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Mardi 22 mars 2011
Institutions européennes
Audition de M. Laurent
Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, dans le
cadre du débat préalable au Conseil
européen
en commun avec la commission de
l'économie, du développement durable et de l'aménagement
du territoire et est ouverte à tous les
sénateurs
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce débat préalable au Conseil européen des 24 et 25 mars prochains se tient sous la forme particulière d'une réunion conjointe de la commission des affaires européennes, de la commission des finances et de la commission de l'économie, car il était prévu que le Sénat ne siégerait pas en séance publique cette semaine en raison des élections cantonales. Il fera l'objet d'un enregistrement et d'un compte rendu intégral publié au Journal officiel.
Ce débat intervient à un moment important du calendrier européen, entre la réunion des chefs d'État ou de Gouvernement de la zone euro du 11 mars et le Conseil européen des 24 et 25 mars.
La réunion du 11 mars a ouvert la voie à des décisions de grande portée : renforcement du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, et du futur mécanisme de stabilité, lancement du pacte pour l'euro et début d'une coordination des politiques fiscales. Ces sujets tiendront une grande place dans les travaux du prochain Conseil européen.
Dans le même temps, nous voyons bien que la zone euro reste fragile, notamment parce que la situation en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne demeure préoccupante, avec une forte exposition des banques étrangères, en particulier françaises et allemandes.
Monsieur le ministre, c'est donc avec le plus grand intérêt que nous écouterons votre intervention. Je donnerai ensuite la parole à MM. les présidents de la commission des finances et de la commission de l'économie, ainsi qu'à M. le rapporteur général. Après que vous leur aurez répondu, nos collègues pourront intervenir dans la limite du temps qui nous est imparti, sachant qu'une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation en Lybie a été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée, à dix-sept heures.
Vous avez la parole, Monsieur le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président de la commission des affaires européennes, d'avoir organisé ce débat qui, s'il déroge quelque peu aux habitudes, revêt un grand intérêt, eu égard à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. En effet, ce dernier, il ne faut pas s'y tromper, aura une portée historique et marquera incontestablement un changement d'échelle pour la politique européenne, une rupture totale avec la situation antérieure et une affirmation de la volonté de progresser sur la voie de l'intégration communautaire.
Or, il y a six mois encore, nombreux étaient ceux qui considéraient que de telles avancées étaient hors d'atteinte. D'ailleurs, il n'est pas sûr que j'aurais moi-même parié, alors, sur la possibilité d'atteindre certains des résultats auxquels nous sommes parvenus et qui seront entérinés par le Conseil européen.
MM. Bizet et Arthuis le savent, j'ai la conviction que nous avons plus que jamais besoin de l'Europe en cette période de sortie de crise.
À cet égard, je vais essayer de démontrer que les trois sujets sur la table offrent, au-delà des différences d'approche, au-delà des nuances qui existent entre les différents États membres et qu'il serait stupide de nier, autant d'illustrations d'une vraie démarche communautaire, manifestant le retour de l'Europe.
Le premier de ces sujets, sur lequel les avancées sont le plus patentes, recouvre toutes les décisions relatives à la création d'une gouvernance économique de la zone euro.
Sur ce plan, il faut se souvenir que, voilà deux ans, rien n'existait. Disposions-nous d'un fonds destiné à défendre l'euro ? Non ! Existait-il un système de gouvernement économique de la zone ? Aucunement, le sujet était même tabou... Était-il possible d'envisager le moindre travail d'approche en matière de convergence fiscale ? Nullement ! Bien des États membres se seraient alors dressés sur notre chemin. Était-il seulement loisible d'évoquer un renforcement de la coordination entre les dix-sept États de la zone euro ? Sur ce point encore, les difficultés semblaient insurmontables.
Il faut donc bien mesurer tout le chemin qui a été parcouru au terme d'une longue marche, commencée il y a deux ans. Les progrès enregistrés trouvent en partie leur source dans la crise de l'euro, dont l'Europe sort résolument par le haut, grâce à des avancées majeures pour la coordination économique entre les États et la défense de la monnaie commune.
Le volontarisme de la diplomatie française, la détermination du Président de la République et le travail acharné accompli par Christine Lagarde, de concert avec nos partenaires, particulièrement l'Allemagne, ont permis ces avancées, que je vais maintenant détailler.
En premier lieu, nous allons nous doter d'un fonds de stabilité, qui nous permettra de défendre la zone euro dans la durée. Souvenez-vous : lors des débats sur le traité de Maastricht, on s'était demandé ce qui arriverait si l'euro était attaqué. Les modalités de mobilisation de ce fonds de stabilité, qui s'élève à 700 milliards d'euros et permettra de prêter effectivement 500 milliards d'euros avec la meilleure notation possible, ont fait hier l'objet d'un accord précis. C'est une réponse aux spéculateurs qui ont voulu attaquer et fragiliser l'euro : l'euro sortira de la crise plus fort qu'il ne l'était auparavant !
En deuxième lieu, les efforts qui ont été accomplis par la Grèce, dont le Gouvernement a fait preuve d'un sens des responsabilités exemplaire, vont être reconnus. Il est normal que nous envoyions un signal à l'opinion publique grecque, qui a consenti beaucoup de sacrifices. Dans cette perspective, la décision a été prise d'abaisser de cent points de base le taux de refinancement de l'économie grecque : l'Europe ne doit pas se montrer ingrate.
En troisième lieu, un pacte pour l'euro vient consacrer pour la première fois la notion de gouvernement économique européen, pour lequel la France plaide depuis longtemps. Jusqu'à présent, nos partenaires de la zone euro semblaient vivre dans l'illusion qu'une monnaie peut exister en apesanteur, sans être fondée sur une convergence économique et sociale entre les différents États concernés. L'une des leçons de la crise est qu'une monnaie ne peut exister artificiellement : elle doit reposer sur des sous-jacents économiques, sur une détermination des pays qui l'ont adoptée à avancer ensemble. Le pacte pour l'euro permet de franchir ce cap, en mettant en place pour la première fois un véritable gouvernement économique conjoint.
La diplomatie française a oeuvré pour que ce pacte soit équilibré. Tel est bien le cas, car il couvre les différents champs, à savoir le nécessaire assainissement de nos dettes et de nos déficits, dont il faut absolument enrayer l'augmentation infernale, et le renforcement de la compétitivité offensive de l'Europe, ce qui suppose d'investir dans la recherche, l'innovation et les infrastructures, ainsi que d'améliorer les passerelles entre la formation des jeunes et l'emploi. Le texte a été considérablement enrichi par rapport à ce qu'il était voilà encore un mois ; la version actuelle est équilibrée, et prévoit même d'associer les partenaires sociaux à la réflexion, point qui me tenait à coeur. Cela n'était pas prévu initialement, mais l'association des partenaires sociaux au gouvernement économique, dans le cadre d'un sommet tripartite, représente elle aussi une avancée très positive.
En quatrième lieu, il a été décidé de travailler sur la convergence fiscale et l'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés. Qui pouvait croire, il y a encore quelques mois, que nous parviendrions à un tel résultat ? Il s'agit d'une véritable rupture dans l'histoire de la construction européenne. La question de la convergence fiscale n'était pas vraiment inscrite à l'ordre du jour européen, mais elle a été replacée au premier plan. Hier, le commissaire européen chargé de la politique fiscale a affirmé sa détermination à avancer sur ce dossier, afin que des harmonisations puissent intervenir rapidement, sans qu'il faille en passer par d'interminables négociations.
Dans le cadre du pacte pour l'euro, cette démarche s'accompagnera d'ailleurs de toute une réflexion sur les moyens de lutter contre l'évasion fiscale, sur la fiscalité du numérique et sur celle de l'énergie. Sur ces points aussi, le prochain Conseil nous permettra de faire un pas décisif.
Enfin, nous plaidions pour la création d'une taxe sur les transactions financières : le Conseil européen en entérinera le principe, une réflexion sur ce sujet et une étude d'impact devant être menées, afin d'évaluer les conséquences de la mise en place d'une telle taxe.
Tous ces éléments nous permettent de mesurer le chemin parcouru. Il s'agit d'une authentique victoire pour l'Europe et pour notre monnaie commune, d'une étape décisive pour le projet de construction européenne dans son ensemble. Je suis convaincu que, dans l'avenir, elle sera considérée comme un moment clé de l'approfondissement des synergies à l'échelon européen.
Ce travail a été accompli dans un temps très court, grâce à la détermination du couple franco-allemand, qui, n'ayons pas peur de le dire, a été amené à prendre les choses en main. Ainsi, des propositions conjointes ont été mises sur la table par la Chancelière et par le Président de la République. Il a ensuite fallu que les États partenaires puissent se les approprier collectivement. Je tiens à insister sur le fait que M. Van Rompuy a joué un rôle essentiel à cet égard. Il est peut-être des personnalités plus charismatiques et plus médiatiques, mais son sens du dialogue et de l'écoute nous a considérablement aidés à faire émerger un consensus autour de ces propositions. Son action a été déterminante dans cette période de transition.
Ce retour de l'Europe constitue donc, me semble-t-il, un premier motif de fierté.
J'en viens maintenant au deuxième enjeu du Conseil européen des 24 et 25 mars prochain : la refondation de nos relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Dans cette optique, deux messages complémentaires doivent être délivrés.
Tout d'abord, il importe de répondre à la situation d'urgence que connaît la Libye. Sur ce plan, je crois que nous pouvons être fiers du travail qui a été mené par la diplomatie française, sous l'égide d'Alain Juppé, afin d'éviter un massacre et un bain de sang à Benghazi. Pour autant, je ne nie nullement les différences d'appréciation existant entre les États membres de l'Union européenne, s'agissant notamment des opérations en cours. Certes, dans des domaines aussi importants que la politique étrangère ou la politique de défense, qui touchent à la souveraineté des États, il existe des divergences entre les pays européens, mais cela enlève-t-il toute portée aux avancées obtenues en matière de coopération européenne ? Sûrement pas ! Ainsi, les Européens ont été parmi les premiers à condamner le régime de Kadhafi et à vouloir mettre en place un embargo extrêmement strict sur la fourniture d'armes et de matériels de répression. Ils ont décidé la saisine des avoirs financiers du dirigeant libyen et entendu éviter que l'argent du pétrole puisse servir à financer ses armées. Je pourrais également évoquer la saisine de la Cour pénale internationale, la mise en place d'actions coordonnées au bénéfice des réfugiés et d'opérations humanitaires : toutes ces initiatives ont été portées par l'Union européenne, de façon réellement coordonnée.
Je le répète, certaines différences d'approche ont pu s'exprimer, mais il ne faut pas leur donner une importance excessive : dans l'optique du Conseil européen des 24 et 25 mars prochains, nous sommes parvenus à une déclaration commune par laquelle l'Union européenne soutient sans ambiguïté la mise en oeuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies. En dépit de nos divergences, nous avons donc su adopter une position globalement commune sur un sujet délicat de politique internationale.
En ce qui concerne la question du partenariat de long terme pour la démocratie et la prospérité partagée au sud de la Méditerranée, l'enjeu est simple : il faut investir dans la démocratie, rapidement, de façon concrète et visible.
Deux jalons de ce nouveau partenariat seront posés par le biais du Conseil européen.
Il s'agit tout d'abord d'une reprogrammation rapide de l'aide financière de l'Union européenne. Chaque pays sera considéré spécifiquement et une prime sera accordée aux États qui se seront vigoureusement engagés dans une phase de transition au cours de la période considérée. Dans cette perspective, nous devons renforcer nos instruments financiers.
S'agissant de la Banque européenne d'investissement, la BEI, près de 150 millions d'euros disponibles au titre des mécanismes de remboursement anticipé ne sont pas mobilisés. Ils peuvent l'être sans fragiliser les assises financières de la BEI. N'attendons pas : ce mécanisme a déjà été utilisé pour l'Europe centrale, il pourrait être transposé sans aucune difficulté au bénéfice des pays de la rive sud de la Méditerranée.
Quant à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD, il faut étudier comment étendre son champ d'action afin qu'elle puisse intervenir aussi sur la rive sud de la Méditerranée.
Enfin, nous proposons la création d'une banque euro-méditerranéenne d'investissement, qui permettrait d'afficher la priorité que nous entendons donner à la rive sud de la Méditerranée. N'oublions jamais cette constante de notre histoire : la France et l'Europe ont été prospères lorsque la Méditerranée était une zone de stabilité et de prospérité, comme l'a très bien montré Fernand Braudel.
La mise en oeuvre de cette démarche passe par des projets concrets, tels le plan solaire méditerranéen, l'Office méditerranéen de la jeunesse, les autoroutes de la mer ou encore l'autoroute de l'Ouest, en Tunisie.
N'oublions pas non plus la gestion conjointe des flux migratoires. Une émigration massive ne serait bénéfique ni pour la Tunisie, ni pour l'Europe, ni pour le monde arabe. Cette question doit être envisagée conjointement, de façon responsable, sans antagonismes : nous devons ensemble faire en sorte que les règles régissant l'immigration sur le territoire de l'Union européenne soient respectées.
J'évoquerai enfin la situation au Japon et la problématique de la sûreté nucléaire.
Un Conseil Énergie exceptionnel a été convoqué hier à Bruxelles. Ce sujet a également été abordé lors du Conseil Affaires générales. Je soulignerai d'abord que nous ne partons pas de rien : l'Europe n'a jamais transigé sur les questions de sécurité nucléaire, et elle n'a pas attendu la crise japonaise pour adopter les standards les plus élevés en la matière.
Ainsi, en 2009, sous présidence française, l'Union européenne a adopté une directive rendant contraignants des engagements pris au travers de la convention sur la sûreté nucléaire de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Ce fut la première étape d'un encadrement juridique commun.
Puis, au mois de novembre 2010, une proposition de directive sur la gestion sûre des déchets radioactifs et du combustible usé a été présentée par la Commission européenne.
Enfin, lors du dernier Conseil, qui s'est tenu le 4 février, c'est-à-dire avant le début des événements tragiques que connaît le Japon, nous avons plaidé, je le rappelle, pour que les plus hauts standards de sûreté nucléaire, issus des standards WENRA, soient immédiatement transposés et mis en application. Nous nous étions entretenus de ce sujet avec les membres de la commission des affaires européennes du Sénat.
Nous devons évidemment mener, à l'échelon européen, une action conjointe en matière d'audit et de mise en oeuvre des tests de résistance. Personne ne comprendrait que les États membres agissent en ordre dispersé dans ce domaine. La France estime donc qu'il convient de mettre en place un cadre harmonisé en vue de réaliser en toute transparence un audit de chacune de nos centrales à l'aune de ce qui s'est passé au Japon : cet audit devra notamment porter sur les conséquences d'un séisme, d'une inondation, d'une rupture de l'alimentation en électricité, ainsi que sur les capacités de réaction lorsque le processus de refroidissement ne peut plus être maîtrisé. La volonté des États membres d'agir sur ce point dans un cadre européen harmonisé est unanime. Nous pouvons nous appuyer sur nos experts.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur toutes ces questions, quelles que soient les différences d'appréciation entre les États membres, le prochain Conseil aura une importance majeure pour la construction européenne. Il permettra notamment, sur les plans économique et financier, d'opérer un changement de dimension et de répondre à toutes les attaques spéculatives que nous avons subies depuis près de deux ans. Avec ce Conseil, l'Europe est de retour ; elle repasse à l'offensive et assure une vraie protection de son économie et de sa monnaie commune : je crois que nous pouvons en être fiers.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Monsieur le ministre, compte tenu des événements internationaux que vous venez d'évoquer, les principaux sujets qui seront débattus au Conseil européen des 24 et 25 mars ne seront probablement pas ceux que l'on imaginait voilà quelques semaines, lorsque le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, a eu la très bonne idée de proposer à la commission des finances et à la commission de l'économie de s'associer au débat préalable à ce Conseil européen qui sera sans doute essentiel pour l'avenir de la zone euro.
Même si le Japon et la Libye seront légitimement au coeur de toutes les préoccupations, il n'en reste pas moins que ce Conseil devra entériner, à l'échelle des Vingt-Sept, plusieurs décisions très importantes prises par l'Eurogroupe le 11 mars dernier et précisées lors de sa réunion d'hier, portant sur la gouvernance économique, dont on a dit à quel point elle est pour l'heure évanescente, et sur la gouvernance budgétaire de la zone euro, ainsi que sur les outils destinés à assurer la stabilité de celle-ci.
Pour éviter les redondances, nous nous sommes réparti les rôles : le président de la commission de l'économie évoquera le nouvel instrument que constitue le pacte pour l'euro ; le rapporteur général abordera le fonctionnement des mécanismes de soutien aux États en difficulté ; pour ma part, au nom de la commission des finances, je centrerai mon propos sur les aspects liés à la gouvernance budgétaire et au pacte de stabilité, qui reste le « règlement de copropriété » de la monnaie unique.
Je ferai d'abord une observation sur le mécanisme communautaire et le processus de prise de décision.
Si, le 11 mars, un accord est bien intervenu entre les États sur le paquet législatif proposé par la Commission, accord devant aboutir fin juin, ce fut au prix de modifications substantielles des propositions initiales de la Commission, et à l'issue d'une démarche parallèle engagée par la France et l'Allemagne, qui, de la déclaration de Deauville à la présentation du pacte de compétitivité, devenu pacte pour l'euro, ont fait pression pour que l'architecture d'ensemble soit moins fédérale et plus intergouvernementale.
Cette évolution fait l'objet de critiques inhabituellement ouvertes de la part de la Banque centrale européenne. Ma question sera donc simple : les institutions européennes fonctionnent-elles bien ?
S'agissant de la gouvernance, le droit communautaire va nous conduire à revoir notre calendrier et nos procédures. Nous l'avons certes anticipé dans la dernière loi de programmation des finances publiques, mais il serait utile, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez précisément ce que le semestre européen changera au calendrier parlementaire.
Par ailleurs, la prochaine révision constitutionnelle permettra de mieux articuler engagements européens et lois financières nationales. La commission des finances milite en ce sens depuis longtemps : c'est donc pour nous un réel motif de satisfaction qu'il puisse être mis un terme à une forme de duplicité, les programmes de stabilité étant adressés à Bruxelles dans une sorte d'allégresse convenue, mais se trouvant systématiquement démentis par la réalité et par nos lois de finances.
Les textes en cours d'examen ne se limitent pas à la procédure. Sur le fond, deux règles me semblent mériter que l'on s'y arrête.
La première de ces règles complète celle du déficit excessif, supérieur à 3 % du produit intérieur brut, et imposera aux États dont l'endettement dépasse 60 % du PIB de réduire celui-ci d'un vingtième par an, sous peine de sanctions. Comment ce dispositif fonctionnera-t-il ? A-t-on anticipé les effets sur la croissance en Europe de la mise en oeuvre simultanée de cette règle par tous les États ?
La seconde règle porte sur les sanctions financières. De telles sanctions existent aujourd'hui en théorie, mais elles ne sont pas appliquées. Chacun se souvient de cette « victoire » politique des années 2004 et 2005, quand on avait en quelque sorte, dans une Europe peu regardante, « tordu le cou » au pacte de stabilité et de croissance : au nom du respect de la souveraineté nationale, on avait posé le principe que chaque État membre, notamment la Grèce, était censé présenter des comptes sincères...
Le nouveau dispositif vise à rendre ces sanctions plus opérationnelles et, dans une certaine mesure, plus automatiques, car il faudra réunir une majorité inversée pour les écarter.
À ce sujet, je soulèverai trois questions.
Premièrement, en faisant payer les États en difficulté, ne risque-t-on pas d'aggraver leur situation ?
Deuxièmement, d'un point de vue juridique, M. Pierre Lellouche, alors qu'il était secrétaire d'État chargé des affaires européennes, s'était interrogé sur la conformité aux traités du principe de la majorité inversée : ces doutes juridiques ont-ils été levés, monsieur le ministre ?
Troisièmement, comment le nouveau dispositif, dès lors qu'il ne prévoit pas de sanctions automatiques, permettra-t-il d'éviter les écueils actuels et de faire en sorte que les chefs de Gouvernement osent décider de sanctionner l'un de leurs pairs ?
À ce stade, je suis tenté d'ajouter une quatrième question : au fond, l'Europe pourra-t-elle survivre sans se fédéraliser ?
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses.
M. Gérard César, en remplacement de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - M. Jean-Paul Emorine étant retenu par une réunion avec M. le ministre de la ville, il m'a confié la lourde tâche de le représenter.
Je vous poserai trois questions, monsieur le ministre.
Tout d'abord, le futur règlement européen sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques prévoit le suivi de certaines variables macroéconomiques sur la base d'un tableau de bord d'indicateurs. C'est une disposition utile, car la crise de l'euro que nous traversons a révélé l'insuffisance des indicateurs prévus par le pacte de stabilité et de croissance. Le choix des variables macroéconomiques entrant dans le champ du futur règlement européen sera stratégique.
Or le texte proposé par la Commission est encore assez vague sur ce point. Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, nous en dire plus sur ces indicateurs ? En particulier, y aura-t-il un suivi du niveau d'endettement intérieur total des pays européens, prenant en compte à la fois l'endettement public et l'endettement privé ? On sait en effet que les pays européens le plus durement touchés par la crise, notamment l'Espagne ou l'Irlande, affichaient jusqu'en 2008 des performances satisfaisantes en termes de dette et de déficit publics, tout en présentant, sans que la gouvernance de la zone euro les prenne en compte, des bulles d'endettement privé.
Ensuite, le pacte pour l'euro prévoit un suivi de l'évolution conjointe des salaires et de la productivité du travail au travers de ce que l'on appelle le coût unitaire de la main-d'oeuvre. Il est indiqué qu'il sera prêté une attention particulière aux mesures visant à assurer que « les coûts évoluent en accord avec la productivité ».
Cette formulation laisse a priori la porte ouverte à des interprétations diverses. Elle s'applique de manière évidente à des pays où les salaires croissent plus vite que la productivité et où, par conséquent, le coût unitaire du travail augmente et la compétitivité-coût diminue. Il ne fait de doute pour personne qu'il s'agit là d'une situation de déséquilibre qui ne peut perdurer.
Le nouveau pacte crée-t-il un outil permanent permettant de se prémunir contre ces politiques économiques nationales non coopératives contre lesquelles, en régime de monnaie unique, il est impossible de se protéger avec l'outil classique des taux de change ?
Enfin, j'aborderai la question de la coordination des politiques fiscales et sociales en Europe.
L'approfondissement de la construction européenne rend de plus en plus illusoire la souveraineté budgétaire et sociale nationale. Les choix collectifs démocratiquement décidés à l'échelon national sont en effet fragilisés : dans un environnement économique totalement ouvert, comme l'est celui du marché européen, une partie des acteurs économiques peuvent migrer d'un territoire à l'autre et jouer ainsi des différences en matière de règles sociales et fiscales existant entre les États membres. Il existe donc un risque de nivellement par le bas pour les États, tels que la France, qui ont les normes les plus élevées.
Monsieur le ministre, dans quelle mesure les progrès de la gouvernance économique en Europe pourraient-ils permettre d'avancer vers une régulation des phénomènes de dumping fiscal ou social ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Mes questions sont assez liées à celles qui ont été présentées par Gérard César et, en matière institutionnelle, par Jean Arthuis.
Je concentrerai mon propos sur la crise de l'euro.
Ce sont bien les États membres de la zone euro qui sont spécifiquement visés par les attaques des marchés à l'encontre des titres de dette souveraine. En effet, des États n'appartenant pas à la zone euro peuvent présenter des caractéristiques, en termes de finances publiques, proches de celles des États périphériques de la zone euro, voire plus mauvaises encore, sans pour autant faire l'objet, tant s'en faut, des mêmes attaques.
Il est donc clair que la zone euro doit se défendre. Elle s'est défendue en créant, l'an dernier, le Fonds européen de stabilité financière, et le Parlement, dans la loi de finances rectificative de juin 2010, a autorisé une garantie de l'État aux émissions dudit fonds pour un total de 111 milliards d'euros, cela jusqu'en 2013.
Ce dispositif est provisoire. Il est quantitativement insuffisant pour faire face aux difficultés actuelles, voire aux difficultés prévisibles, des États dits périphériques, d'où les orientations dont M. le ministre nous a fait part et qui devraient être confirmées lors du prochain Conseil européen.
Monsieur le ministre, j'ai plusieurs questions à vous poser sur ce nouveau mécanisme européen de stabilité, ne partageant pas totalement, pour l'heure, l'optimisme que vous avez manifesté.
M. Jean Arthuis. - C'est le principe de précaution !
M. Philippe Marini. - En premier lieu, le mécanisme européen de stabilité suppose-t-il de modifier le traité régissant le fonctionnement de l'Union européenne, et si oui sur quels points ?
En deuxième lieu, dès lors qu'il faudrait procéder à une telle révision, la procédure simplifiée à laquelle il est prévu de recourir nécessite sans doute quelques commentaires. Nous serions heureux de vous entendre sur ce thème.
En troisième lieu, je voudrais m'assurer que les intérêts budgétaires et patrimoniaux de la France sont bien protégés par ce dispositif. En d'autres termes, dans quelle mesure les emprunts contractés par le biais du mécanisme européen de stabilité seront-ils repris dans la dette de chaque État ? À la vérité, c'est une dette que les États de la zone euro vont contracter pour compte commun et pour assurer la solidarité financière dans la zone ; il pourrait sembler logique - je serais heureux de savoir si Eurostat a été consulté sur ce point - que la dette publique de chaque État tienne compte des efforts ainsi réalisés.
Si tel doit être le cas, cela conduit à s'interroger sur la dégradation de nos finances publiques qui résultera paradoxalement de la mise en place du nouveau mécanisme.
Pour ce qui concerne le Fonds européen de stabilité financière, c'est-à-dire le dispositif transitoire, je rappelle que la solution retenue consistait, pour les États, à apporter une garantie aux émissions du Fonds.
Cependant, en écoutant Mme Lagarde, j'ai cru comprendre que, s'agissant du dispositif pérenne, à savoir le mécanisme européen de stabilité, l'orientation retenue consiste à placer au premier plan les engagements en capital, par tranches appelées et par tranches susceptibles d'être appelées.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet et nous indiquer si les engagements en capital seront intégrés au projet de loi de finances rectificative que le Gouvernement prépare opportunément pour le mois de juin prochain ? S'agissant de la part appelée de ces engagements en capital, en résultera-t-il, pour l'année 2011, une dégradation du solde de nos finances publiques ?
Je conclurai mon propos en évoquant, à la suite de Jean Arthuis et de Gérard César, la question des conditionnalités.
De quelles conditionnalités est assortie la mise en jeu du mécanisme de solidarité européen, provisoire ou définitif, en vue d'assurer la continuité financière pour un État de la zone euro ? Par exemple, n'est-il pas indispensable de s'assurer que cet État manifeste un comportement coopératif en matière fiscale ? À cet égard, beaucoup d'entre nous ont été choqués par ce qui s'est passé dans le cas de l'Irlande : en effet, ce pays a bénéficié de la solidarité communautaire, mais s'est jusqu'à présent catégoriquement refusé à adopter une démarche de convergence fiscale, et même à envisager une amorce de politique fiscale coopérative.
Si l'Irlande maintient cette attitude, la France confirmera-t-elle son opposition, exprimée la semaine dernière, à ce que lui soit accordée, comme à la Grèce, une réduction de taux d'intérêt ? Par ailleurs, comment aller plus loin, en s'assurant que la zone euro soit bien dotée d'une gouvernance et tende vers une convergence aussi bien économique que fiscale ?
M. Laurent Wauquiez. - Je répondrai tout d'abord à M. Arthuis sur le rôle des institutions.
S'agissant de la construction européenne, il est clair que le traité de Lisbonne permet de dépasser l'affrontement entre approche intergouvernementale et démarche fédéraliste, en distinguant les domaines relevant préférentiellement de l'une ou de l'autre. Il n'y a pas d'opposition entre ces deux perspectives : comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire à des parlementaires européens, adopter une méthode intergouvernementale ne revient pas à tourner le dos à l'intérêt général communautaire.
En l'occurrence, monsieur le président de la commission des finances, le choix a en effet été d'obtenir des avancées par le biais d'une démarche intergouvernementale. Il aurait été impossible d'aboutir au même résultat en se fondant sur une approche purement communautaire. Les États membres ont fait leur devoir et ont oeuvré dans le sens de l'intérêt général communautaire : nul ne saurait s'en plaindre.
Quant à la Banque centrale européenne, elle a joué son rôle pendant la crise, de façon assez large et pragmatique, notamment en intervenant sur la dette souveraine. Son action a été utile, mais on ne peut lui demander d'aller au-delà, car elle doit garder son impartialité à l'égard des différents États membres ; c'est ce que l'on attend d'elle.
En ce qui concerne les procédures en cas de déficits excessifs, une période transitoire de trois ans a été accordée, pour une unique raison : tous les États membres ayant été secoués par la crise, il s'agit de leur permettre de purger leurs comptes et de solder les erreurs du passé avant d'intégrer le cadre qui a été défini. En d'autres termes, on donne aux États la possibilité de tourner la page d'une crise historique, pour ensuite pouvoir partir sur des bases saines.
Les sanctions seront-elles opérationnelles ? Comme vous l'avez souligné, monsieur le président de la commission des finances, le dilemme est le suivant : d'un côté, le bâton doit être suffisamment dur pour sanctionner efficacement certains comportements ; de l'autre, il ne doit pas l'être trop dans la mesure où il s'abat sur un pays en difficulté. En fait, il faut que la menace de la sanction soit dissuasive. De ce point de vue, les contraintes et les ajustements auxquels ont été soumis la Grèce, le Portugal ou l'Irlande ont tout de même marqué les esprits.
Pour le reste, le mécanisme de sanction permettra de distinguer le cas des États touchés de façon passagère par des crises macroéconomiques qui les dépassent. Par exemple, si le déficit budgétaire de la Finlande s'est élevé au-delà de la limite de 3 % du PIB, c'est seulement parce que l'économie de ce pays dépend étroitement de celle de la Russie, laquelle a subi en 2009-2010 un choc majeur. Pour autant, il n'y a eu ni dérive ni laxisme de la part du gouvernement finlandais.
La situation sera tout autre quand un gouvernement aura été jugé responsable d'un déficit budgétaire excessif. Dans un tel cas, la Commission européenne disposera de vingt jours pour proposer des sanctions, et le Conseil de dix jours pour s'y opposer. Une telle procédure ne pose aucun problème au regard du droit des traités.
M. César a évoqué les déséquilibres macroéconomiques. Ce sujet est encore en discussion, mais il paraît évident que l'endettement privé doit être pris en compte, notamment dans le cas de l'Irlande.
Plus globalement, le paquet législatif - ce que l'on appelle les six mesures de M. Van Rompuy - manifeste la volonté de resserrer les mailles du filet, car on ne peut juger de la santé ou de la stabilité d'une économie sur le seul fondement de l'examen du ratio dette/PIB et du niveau du déficit : une économie ne se réduit pas à cela. Au regard de ces seuls critères, l'économie irlandaise apparaissait très solide, mais elle reposait sur une construction macroéconomique très fragile, notamment en raison de la surexposition du secteur bancaire.
Il sera désormais possible de révéler les déséquilibres macroéconomiques, d'identifier les économies fragiles parce que reposant sur un modèle macroéconomique non soutenable sur la durée.
En ce qui concerne la question du coût unitaire du travail, l'objectif est précisément de dénoncer les politiques nationales non coopératives. Cela étant, soyons lucides : nous ne pouvons, pour notre part, laisser dériver durablement, à coups de promesses illusoires, notre productivité et nos coûts salariaux. De ce point de vue, l'Allemagne a tout de même indiqué la voie de la responsabilité politique et montré que si l'on consent des efforts, on finit par en récolter les fruits.
Pour autant, la France a désormais engagé un réel effort d'assainissement de ses pratiques, notamment en renonçant à donner des « coups de pouce » au SMIC, ce qui avait des effets catastrophiques sur l'emploi des personnes les plus faiblement qualifiées. L'objectif est d'adopter une approche globale afin d'écarter les politiques nationales non coopératives.
La question de la coordination des politiques fiscales et sociales se rattache à cette problématique. L'objectif de M. Van Rompuy est que les États membres prennent chaque année un engagement chiffré sur ce point, qui donnera ensuite lieu à une évaluation. Nous aurons ainsi une vision d'ensemble de la situation de chaque État membre et pourrons mesurer si l'on se dirige ou non vers une convergence.
Monsieur le rapporteur général, une modification du traité de Lisbonne est en effet nécessaire, mais tous les États se sont accordés sur le fait qu'elle devra être limitée et intervenir par la voie de la procédure simplifiée. Certains étaient tentés d'en profiter pour ouvrir la boîte de Pandore et débattre, par exemple, de la prise en compte des retraites dans les déficits et des réformes de transition qui peuvent être menées dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie, mais il n'en sera rien. Le Parlement européen se prononcera sur cette question le 23 mars prochain.
S'agissant de la préservation des intérêts patrimoniaux de la France, j'attends de disposer de tous les éléments nécessaires avant de vous apporter une réponse. Il en va de même pour la question des engagements en capital par tranches appelées et susceptibles d'être appelées, qui a constitué un point très important de la négociation d'hier. Excusez-moi, monsieur le rapporteur général, de ne pouvoir vous répondre précisément sur ces points dans l'immédiat.
En ce qui concerne les conditionnalités, il est hors de question d'accepter qu'un État puisse bénéficier de la solidarité de ses partenaires sans apporter de contrepartie. J'évoquerai à cet égard deux cas actuels.
La Grèce, qui s'est vu demander de mettre en oeuvre un programme d'ajustement difficile, a rempli ses engagements, notamment en consentant des efforts en matière de rémunération des fonctionnaires ou de régimes de retraite. Il est normal que nous adressions en retour aux Grecs un signal positif, en l'occurrence un abaissement de 100 points de base du taux d'intérêt et des facilités de financement pour permettre à ce pays de sortir le plus rapidement possible la tête de l'eau. Les représentants de la Grèce se sont montrés très satisfaits, hier, de ces mesures.
À l'inverse, nous attendons un geste de l'Irlande. Ainsi, nous avons clairement signifié qu'une convergence des bases de l'impôt sur les sociétés devrait intervenir. Dans le cadre de l'agenda fiscal sera examinée la fameuse question du Double Irish Arrangement, dispositif fiscal qui permet à des sociétés multinationales de soustraire à l'impôt, en les faisant remonter vers des structures irlandaises, une large partie des bénéfices qu'elles réalisent ailleurs dans l'Union européenne. C'est grâce à ce dispositif que Google bénéficie d'un taux moyen d'imposition de 2,6 % ! Il est hors de question que nous laissions subsister ce genre de pratiques, et nous allons porter le fer sur ce point. Du reste, la position de la France et de l'Allemagne a été on ne peut plus claire : aucune facilité ne sera accordée au Gouvernement irlandais si celui-ci ne modifie pas sa position à ce sujet.
M. Denis Badré. - Monsieur le ministre, je reviendrai sur deux points : le semestre européen, d'abord ; l'investissement dans la démocratie au sud de la Méditerranée, ensuite.
Sur le semestre européen, j'ai assisté la semaine dernière, au nom de la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, à une réunion très intéressante organisée par la commission économique du Parlement européen rassemblant les représentants des commissions des finances des parlements nationaux de l'Union.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l'heure avoir mesuré un changement d'échelle au niveau des travaux du Conseil et, sans doute aussi à mon avis, de ceux de la Commission. Ce changement d'échelle, j'ai senti une très grande volonté de le vivre de la part des législateurs que sont les membres du Parlement européen et des parlements nationaux.
C'était la première fois que je voyais le Parlement européen et les parlements nationaux arriver à dépasser les vieilles rivalités et les vieilles querelles quelque peu secondaires pour essayer d'avancer ensemble sur l'essentiel, en s'efforçant de faire la part des choses. Il y a, d'un côté, le Parlement européen, qui a un rôle fédérateur, voire franchement fédéral lorsqu'il s'agit de l'euro, afin de rapprocher les uns et les autres et de définir les principes d'une coordination des politiques fiscales et budgétaires. Il y a, de l'autre, les parlements nationaux, qui, au niveau interétatique, cherchent à travailler de concert pour parvenir à une telle coordination.
À cet égard, la réunion a permis de rappeler ce que le Parlement européen sait pertinemment : les budgets nationaux sont votés par les parlements nationaux. Si les dettes souveraines s'appellent ainsi, ce n'est pas un hasard : la souveraineté n'appartient pas à l'Union ; les États restent souverains. Lorsqu'il s'est agi de garantir ces dettes, ce sont les parlements nationaux qui ont tranché par un vote.
Tout cela méritait d'être rappelé, cela a été fait. Voilà qui nous permet de partir dans une démarche très constructive et extrêmement claire avec nos différents collègues.
Je me tourne vers le président de la commission des affaires européennes pour souhaiter que la COSAC de Budapest insiste lourdement sur ces sujets. Mieux vaut parler de cela que de la liberté d'expression en Hongrie, point certes important mais qui pourra être traité plus rapidement. Nous avons là de vrais sujets, sur lesquels nous allons pouvoir progresser.
Ce type de réunion à laquelle j'ai assisté a permis de souligner une très grande convergence de vue sur le fond, par-delà les différences qui peuvent exister entre les pays de la zone euro et les autres. Les interventions des Suédois notamment, qui balancent en quelque sorte entre ces deux catégories, ont été très intéressantes. Même si leurs situations économiques, budgétaires et financières ne sont pas les mêmes, tous les pays, ainsi que l'ensemble des groupes politiques ont des opinions convergentes. Je ressens aujourd'hui une capacité à aller de l'avant, et l'on aurait tort de ne pas en profiter.
Cela dit, me tournant maintenant vers le président de la commission des finances, je soulignerai la nécessité de structurer le travail réalisé au niveau européen et à l'échelon national tout au long de ce semestre européen.
M. Jean Arthuis. - C'est ce que nous allons faire.
M. Denis Badré. - Certains parlements nationaux sont décidés à émettre un vote sur ce qui sera transmis à Bruxelles au début du semestre, d'autres non. Il faudra que les différents États s'accordent pour avoir les mêmes procédures et, surtout, pour caler leurs calendriers respectifs et pouvoir ainsi dialoguer. Sinon la réunion que nous avons eue la semaine dernière n'aura été qu'une initiative isolée. Travailler ensemble et en continu est une condition si l'on veut déboucher de manière concrète.
J'en viens au second point, monsieur le ministre : la démocratie et les droits de l'homme au sud de la Méditerranée.
J'ai remis au Premier ministre le rapport qu'il m'avait demandé sur le Conseil de l'Europe, qui vient à point nommé. Lors d'une réunion, qui s'est également déroulée la semaine dernière, de la commission des questions politiques de l'Assemblée du Conseil de l'Europe à Paris, à laquelle était convié le collectif des dirigeants tunisiens actuels, nous avons pu mesurer le rejet a priori de tous les pays du nord de la Méditerranée par nos interlocuteurs du sud, et notamment de la France, il ne faut pas se le cacher, ce qui doit nous inciter à une grande humilité. Ce rejet se manifeste sur le thème bien connu : « Vous ne nous avez pas beaucoup aidés quand nous avions besoin de vous. Votre passé ne plaide pas toujours en votre faveur. »
Il faut à mon sens passer outre. Ces pays font face à de grands défis et ils ont besoin de nous : à nous de leur apporter notre appui, mais sans l'imposer, pour leur permettre d'avancer en leur rappelant que nous sommes à leurs côtés.
Il ne faut pas en rester à l'idée que c'est par habitude ou intérêt que nous les soutenons mais en revenir aux raisons de fond : c'est parce que nous sommes, les uns et les autres, attachés à la démocratie et aux droits de l'homme que nous agissons en ce sens.
Dès lors, je ne vois que des avantages à passer par le Conseil de l'Europe. Tout d'abord, cela permet de « mouiller » la Russie et la Turquie dans l'affaire, ce qui n'est pas inutile par les temps qui courent. Ensuite, cela nous donne la possibilité d'exprimer nos attentes et nos propositions au travers d'un organisme qui, n'étant pas suspect de jouer pour tel ou tel intérêt particulier, a su apporter des instruments concrets et pratiques : je pense à la formule du « partenaire pour la démocratie » ou à la convention de Venise dans le cadre de l'élaboration des Constitutions.
Le moment me semble vraiment venu de s'appuyer sur le Conseil de l'Europe plutôt que de partir tout seuls comme des grands en tête de peloton, au risque de nous retrouver en porte-à-faux, isolés, voire pris à revers et renvoyés « dans nos vingt-deux mètres », sinon plus loin.
Mme Fabienne Keller. - Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à saluer votre volontarisme et à vous remercier de votre engagement dans la préparation de ce Conseil, et ce dans un contexte international particulièrement chahuté.
Je consacrerai mon propos à deux sujets. Le premier concerne la convergence fiscale.
Qu'il me soit permis aujourd'hui de proposer une relecture de l'échec de la mise à jour de la directive sur la fiscalité de l'énergie, engagée au mois de juin dernier, dans le prolongement du débat français sur la taxe carbone.
Voilà une illustration de la difficulté, dans un système qui a plutôt divergé au cours des dernières années, pour devenir dans certains cas un avantage compétitif, d'instaurer de nouveau de la cohérence là où - c'est l'un des paradoxes - la liberté de circulation tant des personnes que des marchandises a contribué à créer un véritable avantage compétitif intra-européen. Nous le constatons tous, vous l'avez vous-même rappelé, les différentiels fiscaux, en affaiblissant notre compétitivité, jouent à peu près systématiquement au détriment de la France.
La convergence fiscale est une belle ambition. Vous la portez avec énergie, volontarisme en proposant des outils pour ce faire, mais elle est loin d'être évidente. Si le prochain Conseil est l'occasion de marquer une étape et d'exprimer une volonté commune, alors ce sera une vraie avancée européenne dans un dispositif qui a plutôt tendance à être « anti-européen », à l'opposé de la nécessaire harmonisation communautaire.
À cet égard, je veux saluer votre volontarisme en faveur de la taxe sur les transactions financières. Pourquoi, d'ailleurs, ne pas faire un rapprochement avec les événements extrêmement douloureux qui se passent au Japon ?
Je rappelle en effet qu'une telle taxe est censée alimenter la transition vers une économie plus respectueuse des ressources, en particulier des ressources énergétiques. S'il y a quarante-sept centrales au Japon, c'est bien que l'on est aujourd'hui dans un modèle extrêmement consommateur. Si l'on veut migrer vers une économie mondiale moins utilisatrice d'énergie, il faut se doter d'une ressource.
Cette taxe sur les transactions, au-delà de son caractère national, doit surtout constituer une ressource fiscale européenne et planétaire pour favoriser l'application des protocoles, notamment celui de Kyoto, et l'accompagnement des pays émergents et en voie de développement.
Monsieur le ministre, le second sujet que j'évoquerai est, vous me le pardonnerez, très localisé : je veux parler de Strasbourg !
M. Laurent Wauquiez. - C'est un vrai sujet européen !
Mme Fabienne Keller. - Strasbourg, l'« autre » capitale... Je tiens à saluer le travail réalisé par Denis Badré pour valoriser le Conseil de l'Europe,...
M. Laurent Wauquiez. - Tout à fait !
Mme Fabienne Keller. - ... cette magnifique institution qui a son siège et tient toutes ses réunions à Strasbourg. Les deux thèmes - la démocratie et les droits de l'homme - sur lesquels elle se concentre sont, aujourd'hui, au centre des débats mondiaux.
Le Parlement européen a également son siège à Strasbourg, comme prévu par les traités, même s'il a la fâcheuse habitude de se réunir en commission à Bruxelles. Connaissant votre détermination sur ce sujet également, je vous saurais gré de nous en dire un mot. Mais peut-être le dialogue continuera-t-il en aparté, à l'occasion du sommet consacré à ce thème.
L'Europe a une histoire, elle a plusieurs centres. La présence de l'institution qu'est le Parlement à Strasbourg est liée non pas au hasard, mais à une histoire. Sans m'étendre sur le sujet, je souhaite dire que la distance qui peut être mise entre lui et l'appareil monstrueusement technocratique et plutôt rejeté par nos concitoyens qui se trouve à Bruxelles est de nature à permettre que se développent, à Strasbourg, des débats plus sereins et plus centrés sur les missions essentielles de l'Europe, à savoir construire l'avenir, s'occuper de sa jeunesse, faire évoluer les projets européens dans le sens des attentes de sa population.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de votre engagement envers la capitale européenne, au moment où, comme vous le savez, celle-ci subit des attaques plus mesquines et détournées que jamais.
M. Roland Courteau. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué la refondation de la relation avec les pays du sud de la Méditerranée.
Chacun d'entre nous, ici, ne peut que partager la volonté de faire de la Méditerranée un espace économique attractif, une zone dédiée, notamment, au développement social et à la défense de l'environnement.
À la lumière de ce qui se passe sur la rive sud, plus que jamais - évidemment, personne ne me contredira sur ce point - nous devons accompagner ces peuples dans leur démarche vers la démocratie, pour leur permettre de vivre chez eux, d'y trouver la paix, la liberté et le travail.
Mais il y a selon nous un autre enjeu. Face à la constitution de pôles économiques, technologiques et démographiques à travers le monde, qui rassemblent parfois jusqu'à plus de un milliard d'êtres humains, que pèse l'Europe avec ses 450 millions d'habitants ?
Nous avons donc aussi intérêt à nous rapprocher des pays de la rive sud de la Méditerranée pour relever les défis non seulement de la mondialisation, mais aussi de la concurrence.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, force est de constater que l'Union pour la Méditerranée, l'UPM, n'a pas tenu toutes ses promesses. Les choses n'ont pas été prises par le bon bout. Nous ne parvenons pas à surmonter les blocages entre Israël et les pays voisins. Et nous avons à mon sens trop misé sur les deux piliers du sud de la Méditerranée qu'étaient les présidents Moubarak et Ben Ali.
Cela dit, l'Union européenne ne s'est pas suffisamment intéressée au sud de la Méditerranée jusqu'à aujourd'hui. L'UPM n'a d'ailleurs suscité que peu d'intérêt en Europe du Nord.
Je rappelle qu'il y a en tout et pour tout, sur l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée, deux agences de développement : l'allemande et la française. Il nous faut donc, me semble-t-il, réorienter la politique de l'Union européenne en direction de tous ces pays, dans le cadre d'une démarche plus pragmatique. Je souscris aux propos du président Bizet tenus lors d'un débat que nous avions eu, ici même, au Sénat, voilà quelques jours. Il importe de développer des projets concrets et réalisables rapidement : c'est à cette condition que nous obtiendrons l'adhésion des populations, qui n'attendent que cela.
Il peut s'agir de coopération universitaire, de prévention des risques naturels ou technologiques, ou tout simplement de traitement de la pollution en Méditerranée. J'ai moi-même été chargé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une mission sur l'état - catastrophique - de la Méditerranée face aux pollutions dont elle est victime ; j'aurai l'occasion d'y revenir.
M. Simon Sutour. - Il y a du travail...
M. Roland Courteau. - Monsieur le ministre, le moment me semble venu de relancer fortement une grande politique méditerranéenne, en pariant sur le fait que le développement de la démocratie dans les pays du Sud va déboucher sur une plus grande coopération interrégionale entre les deux rives.
M. François Marc. - Monsieur le ministre, « la page de la crise est tournée » : voilà ce que l'on pouvait lire en titre de certains journaux économiques il y a quelques jours. Par cette formule, ces journaux évoquaient les résultats du CAC 40, la relance des hedge funds, ainsi que toute cette inventivité spéculative que l'on voit de nouveau renaître.
Chacun, ici, en a conscience : tout cela n'est qu'une façade, et la crise, aujourd'hui, se situe bien aux niveaux des monnaies, notamment de l'euro, et de la dette. Dès lors, les mesures annoncées peuvent présenter à nos yeux un certain nombre d'avantages.
Pour ma part, dans le contexte de crise actuel, je peux me réjouir des avancées effectivement obtenues et que vous-même avez soulignées. L'amélioration des conditions de prêt aux pays périphériques, le renforcement de la capacité d'intervention du Fonds européen de stabilité financière et la création du mécanisme européen de stabilité sont autant de progrès dans le fonctionnement de l'Union.
Néanmoins, des questions techniques non négligeables, relatives notamment à la dimension opérationnelle, restent posées. M. le rapporteur général en a évoqué quelques-unes. Nous nous interrogeons nous aussi sur la façon d'obtenir l'unanimité des dix-sept pays de la zone euro pour mettre en oeuvre ces décisions.
Le contenu du pacte pour l'euro, tel qu'il a été validé lors du sommet de l'eurozone, pose à nos yeux un certain nombre de questions. Instaurer plus de discipline budgétaire est certes nécessaire, mais pas dans une proportion qui étouffe la croissance. L'excès de mesures d'austérités prévues dans ce pacte, au détriment de mesures de dynamisation économique et de protection sociale, est un réel problème.
En définitive, monsieur le ministre, nous pouvons reprocher à l'Europe de « batailler en défense ». Vous avez évoqué une dimension offensive. Nous avons, nous, le sentiment que, dans cette affaire, elle joue plutôt la défense et n'encourage pas assez la confiance dans l'avenir.
Nous aurions préféré que soit mise en avant une forme de pacte européen pour l'emploi et le progrès social. Il aurait ainsi été possible, en saisissant l'occasion de la nécessaire réponse à la crise, de mettre en oeuvre des réformes structurantes utiles et intelligentes pour l'avenir, visant à atteindre une croissance plus forte, une croissance plus juste, une croissance plus verte et mieux financée.
Le fait que l'Europe ne dispose pas, à ce jour, d'un budget digne de ce nom et ne se dote pas de ressources suffisantes constitue un sujet de préoccupation.
Je me félicite, à cet égard, que l'on ait fini par évoquer la création d'une taxe sur les transactions financières, une proposition formulée à l'origine dans nos rangs, mais je tiens à souligner que cette initiative reste timide. Il n'est en effet envisagé, pour l'instant, que d'entamer une réflexion, et non de mettre en oeuvre cette mesure. Cette réflexion peut durer des années, voire des décennies, alors même que nous savons combien cette taxe serait profitable. Par ailleurs, les autres modalités financières ne sont pas véritablement envisagées. Ainsi, les euro-obligations sont laissées quelque peu dans l'ombre.
Nous avons le sentiment que ce « pacte pour l'euro » donne lieu à une sorte de troc : en contrepartie de la solidarité dont on a fait preuve à l'égard des pays les plus fragiles, on a généralisé les mesures d'austérité en vue de faire face aux exigences de la défense de l'euro.
J'évoquerai, enfin, un sujet majeur de préoccupation : la régulation financière, qui est à nos yeux trop douce. Il n'est pas certain que l'on ait pris la mesure des besoins de régulation qu'exige le système financier si l'on veut éviter les « rechutes ». Certes, une nouvelle architecture de la régulation financière de l'Union est en train de se dessiner, mais, en dépit de la création d'un Conseil européen du risque systémique, le CERS, les régulateurs nationaux garderont, en pratique, la haute main sur la supervision des principaux métiers de la finance, tels que la banque, l'assurance et les métiers titres.
Il semble que les moyens coercitifs dont dispose le CERS à l'égard des régulateurs nationaux soient limités. Cela illustre, une fois de plus, la faiblesse des capacités d'action dont se dote l'Europe pour homogénéiser la régulation financière. Dans ces conditions, comme par le passé, chaque régulateur national conduira sa propre politique et adoptera ses propres dispositions.
Ma question est simple : comment la France envisage-t-elle de peser pour favoriser une harmonisation accrue en matière de régulation financière ? Les avancées en la matière semblent relativement peu nombreuses. Quelles mesures prendrez-vous pour renforcer l'intégration dans ce domaine ?
M. Richard Yung. - J'ai bien noté que la France avait obtenu deux grandes victoires : une avancée concernant le gouvernement économique européen, et la décision d'intervention en Libye. Vous me permettrez cependant de faire une lecture quelque peu différente de la situation présente, compte tenu de l'attitude de l'Allemagne, selon moi préoccupante.
Nous voyons actuellement se dessiner une nouvelle politique allemande. Nous avons en effet assisté aux changements de cap de Mme Merkel, qui, après avoir été hostile à l'aide aux pays du Sud et à toute forme de gouvernement économique européen, s'y est maintenant convertie.
Vous avouerez que son attitude concernant la Libye est difficilement compréhensible. Pour un pays qui souhaite occuper un siège permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, c'est tout de même surprenant !
Je ne pense pas que les seules élections dans le Bade-Wurtemberg permettent d'expliquer la position de Mme Merkel. Il est évident qu'elle rencontre des difficultés avec ses alliés politiques. Je pense toutefois que se fait jour, de façon plus profonde, une nouvelle politique allemande, différente de celle qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qui tend à affirmer et à défendre les seuls intérêts de l'Allemagne. Or nous courons derrière comme des petits chiens... Cela augure mal de l'avenir et de ce que l'on a coutume d'appeler le couple franco-allemand ! Nous risquons en effet de connaître, de ce point de vue, des difficultés de plus en plus nombreuses.
S'agissant du gouvernement économique européen, je ne peux que souscrire aux propos de mon collègue François Marc, car il existe plusieurs éléments positifs, comme le fonds de stabilisation de la zone euro et une certaine convergence fiscale en matière d'impôt sur les sociétés. Force est pourtant de constater que, sur un plan global, du fait de votre vision pessimiste de la France et de l'Europe, de votre jeu « petit bras » et de votre manque de confiance dans notre pays, vous menez une politique de restriction, de contraction de la demande. Par conséquent, comme chez Molière, le malade sera certes guéri, mais il sera mort !
En outre, vous n'opérez pas une appréciation différenciée de la situation des dix-sept États membres. Or les économies de nos pays sont bien différentes, pour diverses raisons tant historiques qu'économiques. Pour notre part, nous plaidons pour une politique ambitieuse et différenciée. Il nous faut combattre les déficits, bien sûr, mais aussi conduire une politique de recherche et développement, une politique d'investissement.
Enfin, cet agenda franco-allemand 2020 n'est ni fait ni à faire, surtout au vu de l'expérience du plan de Barcelone... ou plutôt de Lisbonne ! Tous ces éléments sont préoccupants !
Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur la taxe financière ? Quels seront son assiette et son taux ? Comment sera-t-elle mise en place ?
Je souhaite également vous interroger sur la politique d'immigration, question ô combien importante.
D'aucuns ont agité le drapeau rouge et annoncé le déferlement de hordes d'étrangers venant du Sud. Mme Chantal Brunel voulait « remettre les immigrés dans les bateaux »... Or les chiffres dont nous disposons indiquent que ce problème ne se pose pas.
L'un de vos amis, M. Dominique Paillé - un homme très bien puisqu'il souhaite devenir sénateur représentant les Français de l'étranger ! (sourires) -, président de l'OFII, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, l'a dit lui-même : « Il faut arrêter d'agiter des peurs. Il n'y a pas eu d'afflux massif d'immigrés depuis le printemps arabe.»
Vous le savez tout comme nous, les seuls flux de population consécutifs à ces évènements ont concerné la Tunisie et l'Égypte : à peu près 200 000 Libyens ont rejoint ces pays, à hauteur de 100 000 dans l'un, et 100 000 dans l'autre. Quant aux autres Libyens en fuite vers le sud, il est très probable qu'ils courent encore dans le désert.
La France ne pourrait-elle proposer, lors du prochain Conseil, une action de soutien à la Tunisie et à l'Égypte en vue d'aider ces pays, qui ne disposent pas des structures suffisantes pour accueillir tous ces réfugiés, à faire face à cet afflux de population ?
M. Pierre Bernard-Reymond. - Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à exprimer ma réelle satisfaction. Du point de vue de la seule construction européenne, je pourrais presque m'exclamer, si toutefois je l'osais : Vive la crise !
En ce qui concerne la gouvernance européenne, qui avait été oubliée ou, tout au moins, négligée au moment de la création de l'euro, nous avons franchi des étapes importantes, ce qui était inimaginable il y a de cela seulement trois ans.
Mes premières questions concerneront le Conseil européen des 24 et 25 mars prochain, et les suivantes les éventuelles étapes ultérieures, car il ne saurait être question de stopper cet élan à cette date.
S'agissant de la gouvernance économique, la principale critique que je formulerai, à ce stade, concerne la prise de sanctions dans le cadre du volet correctif du pacte. Pourquoi ne pas avoir adopté le principe de la majorité inversée, comme le préconisait la Commission ? Le Conseil conservait un droit de regard et une possibilité de refuser les sanctions, mais le caractère a priori automatique de celles-ci indiquait que l'on ne voulait plus en revenir aux errements du passé, sous forme de demande de dérogation ou d'arrangement entre États. Cela constituait un message plus fort et plus clair à l'égard des marchés.
J'ai tout de même le sentiment, malgré vos propos, monsieur le ministre, que les États sont encore très pusillanimes lorsqu'il s'agit de lâcher une petite parcelle de souveraineté, et que « l'intergouvernemental » pèse encore de tout son poids.
La réduction de la part de la dette supérieure à 60 % de 1/20e par an représente, pour la France, à peu près 18 milliards à 19 milliards d'euros par an. Des simulations ont-elles été faites par le ministère du budget ? Quels sont les secteurs qui réservent, de ce point de vue, des marges de productivité ?
Pour ce qui est du mécanisme européen de stabilité, le MES, les décisions seront prises par les États membres à l'unanimité. Ces aides seront accordées essentiellement sous forme de prêts, mais pourront revêtir aussi celle d'une souscription directe d'émissions obligataires de l'État défaillant. Est-il également prévu que le MES puisse prêter de l'argent à un État en difficulté pour lui permettre de racheter ses propres obligations, comme cela était envisagé à un moment donné ?
Il a été prévu, par ailleurs, la participation éventuelle de créanciers privés. Dans quelles circonstances pourra-t-elle avoir lieu ? Sous quelle forme ? Sous quelles conditions ?
En ce qui concerne l'Irlande, il me semblerait normal que ce pays accepte les deux principes de base suivants : d'une part, la mise en place d'une assiette commune et, d'autre part, l'inscription dans une fourchette européenne des taux de fiscalité de tous les États membres.
En contrepartie, ne faut-il pas laisser à l'Irlande le temps nécessaire pour mettre en oeuvre ces deux règles, qu'elle ne peut visiblement appliquer aujourd'hui pour des raisons politiques et surtout économiques. Il serait par trop contradictoire d'aider l'Irlande tout en lui maintenant la tête sous l'eau !
Sur le pacte pour l'euro, mes questions seront brèves.
S'agit-il d'un document d'orientation et de recommandation, ou bien ces objectifs seront-ils chiffrés et soumis à un calendrier ?
L'élaboration de ce pacte a-t-elle donné lieu à un contact avec les partenaires sociaux ?
Comment la France a-t-elle l'intention de transposer concrètement les règles de discipline budgétaire, qui doivent s'appliquer aussi aux collectivités territoriales ?
Enfin, la France a-t-elle déjà des propositions à faire en ce qui concerne les domaines prioritaires à retenir dans le pacte de l'euro ?
J'en arrive à la seconde partie de mon propos, qui concerne les étapes futures.
La prochaine étape consistera à faire un bilan des décisions que nous avons prises, en particulier sur la régulation. Or, de ce point de vue, le bilan n'est pas satisfaisant ; les bonus refleurissent - M. Barnier lui-même convient qu'il n'a pas été entendu sur ce sujet ! -, les marchés parallèles existent toujours, les paradis fiscaux n'ont pas tous été éliminés, et l'on en vient à se demander si le pouvoir politique et ses conseillers ont vraiment les moyens d'opérer une telle régulation. Il faut savoir, par exemple, que chaque titre fait l'objet de 600 ordres par seconde, dont 99,5 % sont annulés dans les 25 microsecondes qui suivent...
Par ailleurs, où en est-on en matière de lutte contre les CDS spéculatifs et les ventes à découvert ? Il est indispensable que le G20 dresse un bilan de cette situation et prenne, éventuellement, des mesures en conséquence.
Où en sommes-nous, enfin, en termes de « stress tests » des banques ? Comment réagiront les agences de notation si ces tests sont mauvais ? Tous les États se sont-ils bien engagés à recapitaliser les établissements défaillants ?
Pour conclure, j'évoquerai brièvement quelques points qui n'appellent pas nécessairement une réponse approfondie de votre part.
S'agissant de la taxe sur les transactions financières, a-t-on vraiment l'intention d'aller au-delà des déclarations de principe ? Que penser de l'évasion potentielle si cette taxe était mise en oeuvre dans la seule zone euro ?
Le budget européen représente environ 1 % du PIB de l'Union européenne : ce pourcentage ne contribue-t-il pas à décrédibiliser l'Europe ? On peut augmenter cette part en transférant certaines dépenses nationales à l'échelon européen et en intégrant davantage certaines politiques, sans pour autant élever globalement le niveau de dépenses actuel.
Par ailleurs, le moment n'est-il pas venu de reconstituer des ressources propres ?
Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous à la possibilité d'emprunt donnée à l'Europe ?
M. Serge Dassault. - Contrairement à nos collègues, je serai très bref. Je poserai rapidement trois questions, sans faire de commentaires.
Premièrement, en quoi consiste le « pacte pour l'euro » ? Est-ce à dire qu'un effort sera consenti pour faire baisser le cours de l'euro, qui est trop élevé et qui compromet les importations de toute l'Europe ? Ne peut-on pas envisager une dévaluation ?
Deuxièmement, la convergence fiscale, qui est un bon objectif, concerne-t-elle l'ISF ? Nous en aurions bien besoin ! Si l'Union européenne décidait la suppression de ce type d'imposition dans tous les États membres, cela faciliterait bien les choses. Elle l'a d'ailleurs déjà fait pour d'autres impôts.
Troisièmement, où est l'Europe de la défense ? Après la façon dont l'Allemagne s'est complètement désolidarisée de la France pour l'intervention en Libye, je vois mal comment nous pourrions développer une défense européenne à l'avenir. Une part trop importante d'États européens recherchent leurs seuls intérêts.
M. Adrien Gouteyron. - Je remercie M. le ministre de la vigueur de son propos et de son optimisme, qui ne m'étonne pas.
Je m'éloignerai quelque peu de notre sujet de discussion pour poser une question d'ordre institutionnel à laquelle M. le ministre a nécessairement pensé et sur laquelle il pourra nous apporter des réponses. Quel est exactement le rôle du Service européen pour l'action extérieure, monsieur le ministre ?
Vous avez dit voilà quelques instants que nous ne devions pas « hyperboliser » nos différences ; soit. Mais ne pensez-vous pas, compte tenu de l'état de l'Union européenne actuellement - et à cet égard je reprendrai volontiers à mon compte les propos tenus sur le couple franco-allemand ou sur l'UPM par des collègues qui ne sont pourtant pas de mon bord politique -, que la mise en place du service européen a été quelque peu prématurée ?
M. Robert del Picchia. - Monsieur le ministre, je ne poserai pas de question, nous n'en avons pas le temps. Je ferai simplement deux remarques puisque vous avez dit que vous vouliez être à l'écoute.
Concernant la position de l'Allemagne sur l'intervention en Libye, je crois savoir de bonne source - l'information provient d'une source parlementaire très élevée - que Mme Merkel a été freinée par l'obligation qui lui incombe d'obtenir l'approbation d'un tel engagement par le Parlement.
S'agissant de l'UPM, j'ai eu l'honneur d'assister à l'assemblée parlementaire qu'elle tenait à Rome voilà moins de quinze jours et je dois dire que l'ambiance a totalement changé. Certes, compte tenu de la situation transitoire de leurs régimes respectifs, et notamment faute de Parlement, les Tunisiens et les Égyptiens n'étaient pas représentés, mais toutes les personnes présentes avaient la volonté d'aller de l'avant avec des réalisations concrètes. La banque d'investissement euro-méditerranéenne que chacun aspire à voir naître rapidement était la préoccupation numéro un, après d'autres sujets concrets.
Concernant le problème des relations entre Israël et ses voisins, monsieur le ministre, permettez-moi de vous signaler que le chef de la délégation israélienne et le chef de la délégation palestinienne, l'ancien ministre Majalli Whbee et M. Taysir Qubaa, se sont entretenus en tête à tête dans une petite salle en marge de l'assemblée. Ce n'était peut-être pas la première fois. Toujours est-il que la discussion a dû être assez approfondie car elle a duré une heure. Il y a donc tout de même un espoir.
M. Jacques Blanc. - Monsieur le ministre, l'Europe est-elle prête à fournir un effort important pour que soit mis en oeuvre un véritable plan Marshall pour la Méditerranée ? En effet, la transition démocratique ne se fera pas sans une évolution économique de l'emploi et des perspectives nouvelles.
Par ailleurs, on ne peut pas accuser la France d'avoir joué « petits bras » s'agissant de la situation en Méditerranée.
M. Robert del Picchia. - Absolument !
M. Jacques Blanc. - Pour ma part, je suis fier de ce que la France a osé faire. Elle n'est pas restée en arrière ; au contraire, c'est elle qui a « tiré » ses partenaires pour éviter le drame qui menaçait les Libyens.
Réussira-t-elle à surmonter la prise de position de l'Allemagne pour élaborer, par exemple par une action de voisinage, une politique très forte vis-à-vis de la Méditerranée ? Jamais l'Union pour la Méditerranée n'a été aussi nécessaire qu'aujourd'hui. Sur ce plan également, la France a montré qu'elle n'avait pas attendu les événements de ces derniers mois pour penser à la Méditerranée.
M. Laurent Wauquiez. - Je vais tenter de répondre dans le peu de temps dont je dispose aux salves de questions qui m'ont été posées.
Permettez-moi tout d'abord d'apporter un complément d'information sur le mécanisme européen de stabilité. Ce dernier sera doté de 700 milliards d'euros, dont 620 milliards d'euros de garanties et 80 milliards d'euros de capital. Le système est identique à celui que nous avions adopté pour les garanties bancaires : dès lors qu'il s'agit de prêts, le budget de l'État bénéficie d'une contrepartie ; le mécanisme n'a donc aucun impact sur les déficits.
Je tiens à remercier M. Badré de sa question. En effet, le Conseil de l'Europe a un rôle déterminant à jouer s'agissant de l'engagement sur la rive sud de la Méditerranée. Votre rapport, monsieur le sénateur, arrive à point nommé ; nous avons eu l'occasion d'en discuter ensemble.
À la suite des échanges que nous avons eus à ce sujet, j'ai rencontré le secrétaire général du Conseil de l'Europe lors de mon déplacement à Strasbourg. Cette institution mène en ce moment un très beau travail pour se recentrer sur les enjeux démocratiques. Or c'est précisément l'accompagnement dont nous avons besoin sur la rive sud de la Méditerranée. Il serait donc possible de tirer profit de cette complémentarité entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.
S'agissant du semestre européen - j'anticipe les réflexions qui seront faites -, je ferai remarquer qu'est engagée une véritable petite révolution dans le fonctionnement et la logique parlementaires en matière d'appropriation du budget. Sans vouloir dépasser le cadre de ma fonction, je préciserai simplement que, en termes de calendrier, le rapport sur la croissance sera émis par la Commission en janvier, le retour des parlements nationaux devra être communiqué en avril et la Commission rendra son avis en juillet.
Un tel cadre permet d'avoir une vision commune tout en conservant une certaine souplesse. Chaque État agit non pas seul mais en réfléchissant aux actions des autres membres, dans le cadre d'une réflexion globale sur la croissance européenne. Ainsi, la procédure préserve la souveraineté parlementaire et, en même temps, s'inscrit dans un cadre de réflexion européen. Il me semble que c'est un bon équilibre.
M. Jean Arthuis. - Sur ce point, monsieur le ministre, permettez-moi d'indiquer à nos collègues que, dans la dernière semaine d'avril, nous soumettrons au Sénat un rapport de la commission des finances sur le programme arrêté par le Gouvernement et que, pour la première fois, le Sénat sera appelé à se prononcer par un vote sur ce qu'on appelait hier le programme de stabilité.
La Commission donnera son avis et nous aurons à nous saisir de cet avis dans la dernière semaine du mois de juin, au cours de ce qu'on appelle la « séquence vertueuse », pendant laquelle nous aurons à nous prononcer sur la loi de règlement, le débat d'orientation budgétaire et les indications qui résulteront des travaux conduits à Bruxelles sur le programme pluriannuel de stabilité.
M. Laurent Wauquiez. - Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être intéressant pour vous - c'est en tout cas mon opinion - sera de travailler avec les parlementaires européens. Incontestablement, vous êtes un levier de l'influence de la France. La capacité du Sénat à être un relais des préoccupations françaises et à faire oeuvre de conviction auprès de nos partenaires sera absolument déterminante.
La politique européenne n'est pas le fait du seul Gouvernement : l'enjeu parlementaire est décisif, surtout avec la montée en puissance du Parlement européen. Vous êtes donc tous des acteurs absolument déterminants pour aider la France à faire valoir ses positions et à s'approprier les décisions européennes.
J'en viens aux questions qui ont été soulevées par Fabienne Keller.
En ce qui concerne la convergence fiscale, il est certain que, depuis l'échec que nous avons connu voilà à peine quelques mois en matière de fiscalité sur l'énergie, un véritable changement de donne a eu lieu. L'onde de choc que tout le monde a subie a ouvert les esprits, et nous sommes plutôt optimistes sur les chances d'aboutissement d'une taxe carbone.
Certes, celle-ci ne sera pas évidente à mettre en place ; des problèmes très précis se posent. Nous avons toutefois une vraie opportunité d'y parvenir.
Surtout, nous devons partir d'une conviction simple : nous ne pourrons pas faire fonctionner le marché unique si des distorsions fiscales perdurent. Je ne comprends pas nos collègues anglais, qui plaident à tout va pour le marché unique et qui, dans le même temps, expliquent qu'il peut y avoir des distorsions fiscales. L'un ne peut pas aller avec l'autre.
Nous connaissons leur position, mais nous sommes désormais déterminés à avancer sans eux. Ils l'ont d'ailleurs bien compris et une telle attitude les ennuie fortement, mais nous l'assumons. La convergence fiscale est lancée et nous n'avons pas l'intention d'arrêter ce mouvement.
Concernant la taxe sur la transaction financière, j'ai probablement mal compris ceux d'entre vous qui ont parlé de « jouer petits bras ». Soyons clairs : qui plaidait dans le désert pour la mise en place d'une telle taxe et depuis combien de temps ? Les majorités successives ont plaidé pour ce sujet sans succès, sans susciter la moindre écoute, la moindre attention, dans une vraie solitude. Et qui arrive enfin à obtenir une première avancée dans le cadre d'un Conseil européen ?
Il faut savoir reconnaître les avancées. Vous avez raison de le souligner, Mme Keller : c'est la majorité actuelle qui, pour la première fois, est parvenue à faire inscrire la taxe sur la transaction financière sur l'agenda européen. C'est une avancée très importante et je vous remercie de l'avoir soulignée.
Au sujet de Strasbourg comme siège du Parlement européen, il n'y a aucune ambiguïté : c'est inscrit dans le traité et fait partie des équilibres fondamentaux. Nous saisissons la Cour de justice de l'Union européenne à ce sujet. Ce qui a été fait est inacceptable. Les amendements ont été déposés sous le boisseau, le scrutin a été fait à bulletin secret pour éviter que chacun assume son vote. C'est un coup de canif dans l'équilibre institutionnel et nous devons nous y opposer. Nous devons être offensifs.
Je ferai deux remarques à ce sujet.
Tout d'abord, si on veut supprimer tous les coûts de déplacement relatifs aux travaux des institutions européennes, alors installons-les toutes à Bruxelles ! Est-ce là ce que nous voulons ? Souhaitons-nous une Europe qui concentre tous ses décideurs et ses fonctionnaires dans les mêmes buildings, dans les mêmes quartiers, dans la même capitale ?
Ensuite se pose la question des valeurs sous-jacentes, comme certains d'entre vous l'ont très bien souligné. Strasbourg, c'est l'incarnation de la réconciliation franco-allemande, c'est l'Europe du citoyen, c'est l'Europe des Droits de l'homme. C'est aussi une Europe qui prend ses distances vis-à-vis de la sphère bureaucratique et des lobbies. Je ne suis pas sûr que cette Europe-là soit l'Europe du passé. J'en ai assez que nous la défendions frileusement ; il faut que nous soyons offensifs.
Certains veulent faire des économies ? Très bien ! Aucun problème ! Transférons toutes les institutions à Strasbourg ! Rapatrions tout : le travail des commissions, le travail des sessions. Cela ne présente aucune difficulté pour nous ! (Sourires.) Ce qui crée des problèmes, ce ne sont pas les sessions à Strasbourg, c'est le travail en commission à Bruxelles !
Mme Fabienne Keller et M. Adrien Gouteyron. - Très bien !
M. Laurent Wauquiez. - D'après le traité, le siège du Parlement européen se trouve à Strasbourg, non à Bruxelles.
Je remercie les parlementaires alsaciens, qui ont totalement soutenu cette position et qui ont fourni un travail conjoint très important sur le sujet.
Mme Fabienne Keller. - Merci !
M. Laurent Wauquiez. - Concernant l'Union pour la Méditerranée - je réponds ici à la remarque de Roland Courteau -, nous devons tirer les leçons de nos échecs. Dans notre conception initiale, nous avons voulu couper l'UPM du sous-jacent européen ; c'était une erreur.
L'UPM fait partie de la politique européenne de voisinage. Elle doit pouvoir s'appuyer sur les instruments de gouvernance européens et les fonds européens. Essayons de remettre ce projet sur le bon chemin. Il reste plus que jamais valide, à condition de rester dans le concret. Je vous rejoins totalement sur ce point. Vous avez d'ailleurs très bien listé les quelques projets évalués en ce moment. Voilà ce sur quoi nous devons travailler.
Monsieur Marc, je suis parfaitement d'accord avec vous, la crise n'est pas derrière nous. Elle le sera définitivement quand nous aurons mis en oeuvre tous les outils et que nous serons parvenus à éloigner tous les errements et à reprendre le terrain perdu en termes d'emploi.
Jouons-nous en défense ? Permettez-moi de vous poser une question, monsieur Marc : avez-vous eu en main la dernière version du pacte ? Après avoir entendu vos questions, je pense que non. Le texte ayant varié dans le temps, ce ne serait pas étonnant, et même parfaitement normal. Je demanderai donc à mes services de vous transférer la dernière version pour que vous puissiez en prendre connaissance.
En effet, tous les sujets que vous avez soulevés y sont mentionnés : l'investissement dans les infrastructures, l'investissement dans la recherche et l'innovation, la nécessité d'investir sur la formation et l'adéquation entre formation et emploi, la nécessité de mettre en place des politiques offensives de compétitivité. Cela ne figurait pas dans la version initiale.
M. François Marc. - Avec quels financements ?
M. Laurent Wauquiez. - Je vais y venir.
La totalité des efforts à accomplir sont donc listés et nous ne nous situons pas dans une vision étriquée d'une Europe exclusivement préoccupée de ses déficits. La vision adoptée est celle d'une Europe qui investit dans sa compétitivité et dans l'amélioration de son capital humain, de sa formation, de ses infrastructures. De ce point de vue, ce texte est donc véritablement équilibré.
Par ailleurs, monsieur Jung, il ne faut surtout pas confondre Barcelone et Lisbonne. Se sont conclus dans chacune de ces villes des actes très différents. Le processus de Barcelone concerne la politique du Sud et de la Méditerranée ; le processus de Lisbonne a déterminé, quant à lui, l'agenda d'investissement destiné à améliorer la compétitivité de l'Europe.
J'en viens à la nouvelle politique allemande. On ne peut pas reprocher aux Allemands une chose et son contraire, vous l'avez-vous-même souligné avec beaucoup d'honnêteté, monsieur Marc. Il y a six mois, on reprochait aux Allemands de refuser d'être dans le jeu communautaire ; maintenant, on leur reproche d'y être !
Les Allemands ont dû faire des choix et - retenons la leçon - ils ont fait des choix courageux en refusant de mener une politique de père Noël consistant à promettre sans cesse en tirant des traites sur l'avenir et sur les générations futures. Les Allemands ont fait l'effort de mettre au clair leurs finances publiques, collectivement, et de restaurer leur compétitivité.
Ils ont dû choisir : continuer à porter cette politique dans le cadre communautaire ou bien se renfermer dans une vision germano-centrée. Ils ont décidé de jouer la solidarité communautaire, d'affirmer leur confiance dans la défense collective d'une monnaie commune et de croire en la dimension européenne de leur destin.
C'est une belle réponse que les Allemands ont apportée, car ce qu'on leur demande avant tout c'est de payer et de financer des mécanismes de solidarité.
En fait, nous avons un vieux complexe par rapport à l'Allemagne. Mais arrêtons ! Qui a rejoint les positions de qui ? Le gouvernement économique, était-ce une proposition allemande ou française ? S'agissant du fonds de stabilité, il y a un an et demi, l'Allemagne était-elle favorable à une intervention en Grèce ? Non, mais elle a rejoint des positions défendues par la France. Qui a défendu l'idée d'un pacte pour l'Euro au sein de la zone des dix-sept ? C'est la France. La taxe sur la transaction financière offre encore un exemple des avancées promues par la France.
Et quand je dis la France, je l'entends dans le sens le plus républicain du terme, c'est-à-dire en englobant l'ensemble des composantes politiques de notre pays, puisque nous nous sommes parfois retrouvés sur ces sujets.
Ne soyons pas dans l'auto-dénigrement et l'auto-flagellation ! Je le répète, des avancées fortes ont été réalisées, au cours desquelles l'Allemagne a rejoint les positions de la France ! Vous pouvez sans doute me citer des cas où l'inverse s'est produit, et c'est tant mieux !
Ma vision du couple franco-allemand est très simple. Nous avons, chacun, nos intérêts nationaux : nous ne demandons pas à notre pays de renoncer à ses intérêts nationaux ; ne demandons pas à l'Allemagne de renoncer aux siens. Mais nous avons tous les deux, c'est ce qui fait la force du couple franco-allemand, la lucidité de savoir qu'au lieu d'essayer d'imposer à l'autre nos intérêts nationaux il est préférable de dégager une position commune au niveau européen, moteur d'une dynamique positive pour l'un et pour l'autre.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. Laurent Wauquiez. - C'est ce qui fait la maturité du couple franco-allemand. Nous ne cherchons pas à défendre nos intérêts nationaux, nos différences ou nos divergences, mais nous cherchons toujours à faire prévaloir un intérêt communautaire construit ensemble.
Non, il n'y a pas une Allemagne germano-centrée ! Mais une Allemagne qui assume les efforts qu'elle a faits. Non, il n'y a pas une France rabougrie ! Mais une France qui plaide et qui fait avancer ses idées. Tout cela est au bénéfice commun et mutuel de l'Europe.
Au sujet de la politique migratoire et de la politique en faveur des réfugiés, je demanderai que l'on vous transmette tous les éléments de nature à vous informer de façon précise.
En la matière, nous n'avons pas attendu : des investissements très importants ont été faits par l'Europe pour que les réfugiés égyptiens en Tunisie et que les réfugiés tunisiens en Égypte fassent l'objet de transferts croisés entre les deux pays. L'Europe a été présente, par une politique de soutien, pour éviter le drame humanitaire qui aurait pu se produire.
Cela dit, il faut distinguer la politique migratoire de la politique des réfugiés. Ce n'est pas le même sujet. Quelles sont nos craintes concernant la politique migratoire ?
La Libye est le cône de déversement de flux migratoires massifs venant d'Afrique, notamment d'Afrique noire. Compte tenu des turbulences et des évolutions actuelles, pouvons-nous compter sur les coopérations nécessaires à la régulation de cette politique migratoire ?
Compte tenu des changements qui sont intervenus en Tunisie, pourrons-nous continuer à travailler et à collaborer avec le nouveau régime pour essayer de réguler l'immigration illégale ?
Vous avez raison, pour l'instant, le pire n'a pas eu lieu, mais c'est que nous avons su anticiper. Au moment où je vous parle, l'opération européenne « Hermès », déployée dans les eaux territoriales entre l'Italie et la Tunisie, veille à nous protéger.
Je crois que par là nous obéissons à un devoir simple : nous veillons à faire respecter nos règles migratoires tout en travaillant pour la démocratie dans ces pays qui ont besoin de nous.
Je pense avoir répondu à l'ensemble des questions posées par M. Pierre Bernard-Reymond.
Je vous dirai simplement, monsieur le sénateur, que le fonds de stabilité peut souscrire des obligations sur le marché primaire mais qu'il ne peut pas les revendre à prix cassé à l'État émetteur, que le pacte pour l'euro fera l'objet d'un calendrier et d'un engagement chiffré. Tout commence maintenant, il faut savoir faire vivre ce pacte.
La régulation financière a donné lieu à des opérations d'encadrement du trading haute fréquence et du shadow banking, auxquels vous avez fait référence. Les retours nous parviendront à travers un rapport de l'OCDE sur les avancées réalisées concernant les paradis fiscaux. Vous le verrez, ces avancées sont nombreuses.
Monsieur Dassault, il s'agit d'un pacte pour une gouvernance économique commune. En ce qui me concerne, je vous invite à poser vos questions au gouverneur de la Banque centrale européenne. Le débat ne peut être qu'intéressant.
Pour l'instant, la convergence fiscale concerne l'impôt sur les sociétés.
À propos de l'Europe de la défense, je vous répondrai qu'il existe certes des différences d'approches au sujet de la Libye, mais que nous devons assumer nos différences ! L'Europe est faite de convergences et de divergences d'approches. Cela ne tue en rien le projet de défense européenne. La meilleure preuve en est que nous oeuvrons - j'ai travaillé, hier, très tard, avec mon collègue allemand - pour une relance de la politique européenne de défense à travers le « triangle de Weimar ». Nous ne devons pas abandonner : une difficulté passagère ne saurait enterrer un projet de long terme.
J'en viens aux questions d'ordre institutionnel posées par M. Adrien Gouteyron, qui vient d'un excellent département (Sourires.) et qui connaît parfaitement ces questions de politique étrangère.
Le Service européen pour l'action extérieure, le SEAE...
M. Yves Pozzo di Borgo. - Il existe seulement depuis deux mois !
M. Laurent Wauquiez. - Cela explique effectivement très bien la situation : on demande beaucoup au SEAE, dans un domaine très difficile alors qu'il n'a encore qu'une durée de vie très courte.
On lui demande beaucoup dans la mesure où il s'agit d'un domaine qui incarne la souveraineté. N'ayons pas d'exigence excessive à l'égard de ce que peut faire, dans un premier temps, la politique européenne étrangère ! Il ne faut pas demander à l'Europe de sauter deux mètres : elle peut parfois sauter un mètre vingt mais pas deux !
Ayons des ambitions raisonnables ! Ce qu'a fait le SEAE est loin d'être négligeable : saisine du Comité de coordination de la politique internationale de l'environnement, le CCPIE, position commune sur les embargos, saisine des avoirs libyens, position commune lors du dernier Conseil.
Souvenons-nous, au milieu des années quatre-vingt-dix, des difficultés sans nom que nous avons rencontrées lors d'une crise qui se déroulait pourtant au coeur de notre continent !
Du chemin a été parcouru. Certes, l'aboutissement n'est pas complet et le SEAE reste un projet en construction, mais il est toujours valide et se renforce au fil du temps.
J'espère avoir répondu à vos questions, mesdames et messieurs les sénateurs. Messieurs Jacques Blanc et del Picchia, je n'ai rien à ajouter à vos deux interventions, qui ont renforcé mes propos sur le rivage sud de la Méditerranée.
M. Jean Bizet. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de ce débat de grande qualité.
Comme vous l'avez dit en préambule, monsieur le ministre, la réunion des chefs d'États de la zone euro du 11 mars et le Conseil européen des 24 et 25 mars feront date. Je suis persuadé que nous assistons en ce moment à l'édification des fondements de la gouvernance économique de l'Union européenne.