Mercredi 8 juin 2011
- Présidence de M. François Patriat, président -Échange de vues
M. François Patriat, président. - A ce jour, notre mission commune d'information a tenu 18 réunions, dont 17 consacrées à des auditions, totalisant 42 heures 50 de réunion, dont 41 heures 40 d'auditions. A la fin de nos travaux, nous aurons entendu ou rencontré plus de 250 personnes. 50 auditions ont déjà été organisées, 5 restent à intervenir d'ici le 15 juin prochain. Par ailleurs, 175 personnes ont été entendues au cours des cinq déplacements que nous avons effectués. A ces auditions se rajoutent les rencontres avec les élus au cours des déjeuners organisés par la mission, ainsi que les enquêtes effectuées auprès de nos élus locaux.
Par un discours conventionnel, les ministres, les secrétaires généraux ou les directeurs d'administration centrale que nous avons entendus, nous ont rappelé la nécessité de mettre en oeuvre la RGPP. On peut regretter toutefois leur manque d'esprit critique sur les objectifs et la méthode utilisée. En revanche, le ton était plus critique de la part des associations nationales d'élus, mais différent selon les territoires qu'ils représentaient. Nous entendrons la semaine prochaine les représentants des forces de l'ordre et de police, la sécurité étant un sujet qui préoccupe particulièrement les maires.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Le discours convenu des représentants du Gouvernement illustrait parfaitement leur décalage avec les remontées du terrain que nous avons pu avoir. Toutefois, certains acteurs de terrain, bien qu'ayant eu un discours critique, ont également relevé les aspects positifs de la réforme, comme M. Jacques Brot, préfet de Vendée. C'est pourquoi je souhaiterai que le rapport de notre mission soit le plus équilibré possible, en pointant les dysfonctionnements de la réforme tout en mettant en valeur ses aspects positifs.
Je veux d'abord rappeler que, si elle s'est accélérée depuis 2007, la réforme de l'État est une préoccupation ancienne. On la retrouve aussi dans d'autres États européens ou non. Elle répond à une exigence d'efficacité de l'action publique. Elle est accélérée par un contexte budgétaire contraint. Elle est aussi une conséquence inéluctable de la décentralisation, que le Sénat a appelée à plusieurs reprises dans ses travaux d'information et de contrôle. On peut notamment citer à ce titre les rapports Mercier de 2000, Gourault-Krattinger de 2009, ainsi que les travaux de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de notre collègue, Mme Michèle André, qui se sont intéressés, directement ou indirectement, à la question de la RGPP et de ses conséquences.
La RGPP s'inscrit dans un ensemble de réformes. Il y a la réforme des collectivités territoriales, celle de la fiscalité locale, la volonté de maîtriser la dépense publique dans le contexte de la crise financière, l'application de normes européennes comme la directive services. Ce cumul la rend plus difficile à appréhender et à « absorber ». Elle vient aussi dans un contexte de réformes et d'évolutions qui ne touchent pas que l'État. On notera ainsi les évolutions du service postal, de l'électricité ou encore la réorganisation de la SNCF. La pénurie de médecins dans certaines zones, la disparition de commerces de proximité sont vécues comme autant de reculs. Ces mutations créent une confusion dans les analyses, très perceptibles lors des auditions comme des déplacements de la mission.
Si la crise ne peut tout expliquer, le triptyque de base qui fondait la RGPP, à savoir une amélioration du service, une rationalisation de celui-ci pour tenir compte des évolutions intervenues et la recherche d'économies, s'est trouvé déséquilibré, et bien souvent la recherche de limitation des dépenses est apparue comme un leitmotiv qui a laissé à penser à certains que, à défaut d'adapter les moyens aux missions, on pouvait adapter les missions aux moyens. La diminution du nombre d'agents publics doit s'accompagner d'une redéfinition des missions.
Enfin je veux souligner que, conformément à l'objet de notre mission, nos analyses doivent se concentrer non pas sur la RGPP en tant que telle mais sur ses conséquences sur les collectivités territoriales et sur les services publics locaux. A cet égard, on a pu nous faire observer que notre évaluation était trop précoce car les effets de la RGPP ne seront mesurables que dans un délai beaucoup plus long. C'est probablement vrai. Nous sommes au milieu du gué. Mais nos observations et nos préconisations doivent permettre de corriger sans retard ce qui peut poser de vraies difficultés dans les territoires.
Le premier point que je vous propose de soulever dans le rapport est que, plus que les objectifs de la réforme, c'est la méthode utilisée qui pose problème. La RGPP répond à des objectifs ambitieux qui - me semble-t-il - peuvent faire consensus. Il faut, en effet, redéfinir les missions de l'État et nos travaux ont montré que ce processus est encore loin d'être achevé. Il faut adapter l'organisation de l'État à des missions recentrées et veiller à valoriser le travail et le parcours des agents. Enfin, le rétablissement des comptes publics est un impératif pour notre pays. Mais il est clair qu'il ne peut être la seule finalité de la révision des politiques publiques. Il nous faudra d'ailleurs dans le rapport discuter les chiffres d'économies budgétaires - qui s'élèveraient à 7 milliards d'euros - qui ont été évoqués. La Cour des Comptes nous a donné des éclairages très intéressants. J'attends toujours sur ce point les réponses du Gouvernement aux questions précises que je lui ai adressées. Mais il est clair que l'impératif de diminuer la dépense publique et l'application de la règle du « un sur deux » de manière systématique ont accrédité l'idée que la RGPP avait pour seul objectif de réduire la dette et, par conséquent, de limiter l'action de l'État, ce qui ne pourrait conduire qu'à des charges nouvelles pour les collectivités territoriales. Je relève l'observation souvent faite devant la mission que le niveau déconcentré aurait subi l'essentiel des diminutions d'effectifs quand l'échelon central aurait été relativement épargné ou moins mis à contribution. En outre, les spécificités locales - par exemple, les zones de montagnes ou les territoires ruraux - devraient être mieux prises en compte, en raison des questions de distance sous-jacentes. Pour parvenir à ces objectifs, la méthode utilisée a été très centralisée. L'absence de concertation est apparue dès nos premières auditions. Elle a été confirmée par la suite et également lors de nos déplacements. Certes, on peut admettre qu'à l'origine du processus de réforme, un certain volontarisme était nécessaire. Il n'empêche que, face aux conséquences très lourdes pour elles de ce processus de réforme, on ne peut accepter que les collectivités soient mises devant le fait accompli alors même que les spécificités locales n'ont pas été prises en compte. Organiser les conditions de cette concertation pour la suite de cette réforme devra être l'une de nos préconisations.
Le deuxième point de notre rapport concerne les collectivités territoriales confrontées directement aux conséquences de la RGPP. Elles sont d'abord confrontées à la réorganisation administrative de l'État. J'ai, à plusieurs reprises, mentionné à nos interlocuteurs ce curieux paradoxe qui veut que, s'inspirant des conclusions du rapport Balladur, la RGPP privilégie l'échelon régional au moment même où le législateur a plutôt cherché à conforter les compétences départementales. Toujours est-il que le rôle conféré au préfet de région peut être un instrument de cohérence pour la mise en oeuvre des politiques de l'État. Mais il ne doit pas mettre en cause la place du préfet de département comme acteur de terrain des politiques publiques et, par sa proximité, interlocuteur naturel des collectivités territoriales. En outre, l'inadéquation des procédures de gestion des crédits et des ressources humaines, encore très verticales et centralisées, fait que cette logique est largement inaboutie. L'échelon régional doit permettre une approche interministérielle. Toutefois, le préfet de région est lui-même confronté à une logique verticale vis-à-vis des divers ministères, pour la gestion des personnels et des crédits. Je vous proposerai de doter le représentant de l'État d'une enveloppe budgétaire globale et d'une capacité de décision effective pour la gestion des ressources humaines.
Par ailleurs, la réorganisation des services déconcentrés au bénéfice de l'échelon régional aboutit à des résultats contrastés. Plutôt bien accueillie en ce qui concerne les DIRECCTE, sous réserve de problèmes locaux, elle souffre d'un évident manque de proximité et d'adéquation aux réalités du terrain pour les DREAL. Nous devons là aussi faire des propositions pour répondre au besoin de proximité clairement ressenti par les collectivités territoriales. Et attention à maintenir dans les services déconcentrés le niveau suffisant et nécessaire d'expertise.
La fusion des services financiers a - semble-t-il - été plutôt bien vécue, en dépit de quelques conséquences pratiques critiquables que le rapport devra relever.
L'avenir des sous-préfectures constitue un autre enjeu important pour les collectivités territoriales. Comme le ministre de l'intérieur nous l'a confirmé, leur existence n'est pas mise en cause par le Gouvernement. Mais le ministre a aussi fait valoir que les sous-préfectures devaient réinventer leurs missions, déchargées qu'elles sont, dans le principe, du contrôle de légalité et de la délivrance des titres. Le sous-préfet doit rester un interlocuteur privilégié pour les collectivités territoriales, le point d'entrée pour les collectivités et les entreprises, ce que nous avons pu par ailleurs constater sur le terrain. Mais peut-il l'être s'il n'a plus à sa disposition que quelques collaborateurs ? On observe aussi des situations contrastées sur le territoire. Ainsi, dans le Nord où la mission s'est rendue, les arrondissements sont aussi peuplés voire plus que certains départements et le choix a été fait de maintenir des effectifs importants dans les sous-préfectures et de ne pas recentraliser le contrôle de légalité en préfecture. La mission devra donc se prononcer sur le rôle des sous-préfets et les moyens dont ils doivent disposer.
Cela m'amène à évoquer le contrôle de légalité. Sa centralisation en préfecture peut répondre à un souci de rationalisation et de renforcement des compétences. Ce qui peut aussi justifier un contrôle plus sélectif et centré sur les actes les plus sensibles. Mais nous devons rappeler le besoin de sécurité juridique des collectivités territoriales. Cela doit conduire à rejeter les contrôles inutilement tatillons. Mais cela implique aussi qu'il soit répondu, pour les plus petites d'entre elles, au besoin de conseil et d'accompagnement des communes. La mission devra réaffirmer cette fonction essentielle des services de l'État.
Le troisième point que je vous propose est le suivant : les territoires peuvent être profondément affectés par la réorganisation des services publics induite par la RGPP. Les territoires sont directement confrontés au retrait de l'État induit par la RGPP. De toute évidence, les différentes cartes ont été conçues et mises en oeuvre sans considération pour l'aménagement du territoire. Surtout, ces réformes ont souffert de l'absence d'une vision d'ensemble et ont obéi à une logique « en silos ». Certains territoires ont dû subir les conséquences dramatiques de plusieurs réformes successives. Nous avons ici recueilli les témoignages saisissants de Digne-les-Bains et de Joigny. Nous avons observé sur place la situation de Cambrai. Ce sont des dynamiques territoriales qui sont brisées. On peut comprendre que la réorganisation de la défense nationale obéisse à une logique propre. Mais on ne peut admettre que la mise en oeuvre de ces différentes cartes ne fasse pas l'objet d'une coordination et ne prenne pas en compte la réalité des territoires. En outre, les compensations doivent être effectives et inscrites dans la durée. Il y a là une exigence que nous devrons affirmer.
L'ingénierie territoriale a occupé une bonne partie de nos travaux. Les communes doivent faire face au retrait de l'État qui est la conséquence à la fois de la décentralisation et de la mise en oeuvre des règles de concurrence. La RGPP n'est pas responsable de la réduction et de la réorientation de l'ingénierie publique, qui a commencé il y a déjà une dizaine d'années. En revanche, la RGPP confirme ce mouvement et, en quelque sorte, le renforce. Les collectivités doivent, comme alternative, se tourner vers l'offre privée. Or, celle-ci s'avère onéreuse et parfois inexistante ou inadaptée à leurs besoins. En revanche, les collectivités territoriales font preuve d'ingéniosité dans la recherche d'alternatives, que ce soit par la voie de l'intercommunalité ou du soutien départemental. Cela pose aussi la question de la transmission des savoir-faire acquis par les services de l'État. Mais, en toute hypothèse, le désengagement de l'État constitue un transfert « rampant » pour les collectivités territoriales. Elles devraient donc avoir elles aussi un « retour » sur les économies réalisées par l'État. Au-delà, nous avons été appelés à examiner l'impact du nouveau mode de fonctionnement des services publics sur les collectivités territoriales et les usagers. Je crois que l'on doit approuver dans son principe le recours aux NTIC ou à des procédures nouvelles, telles que la télédéclaration. La dématérialisation peut être à terme source d'efficacité et de simplification pour les usagers. Mais le processus de changement ne va pas sans heurt. On a pu observer certaines difficultés pour la délivrance des cartes grises. En outre, avec ces procédures, les communes subissent des charges nouvelles. C'est vrai dans les échanges dématérialisés qu'elles ont avec l'État. C'est vrai aussi des missions qui leur sont confiées dans la délivrance des titres. Or la compensation de ces charges est insuffisante. Demander que cette compensation soit effectivement assurée devra être un axe important de nos préconisations.
Pour les usagers, nous avons pu constater le risque d'un service public qui ne répondrait plus au besoin de proximité. Nous avons aussi mesuré qu'une administration dématérialisée pourrait aussi être une administration « déshumanisée ». Comme l'a rappelé au cours de son audition M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, la machine ne remplace pas un contact individualisé. Enfin, c'est bien de miser sur les NTIC pour moderniser les procédures, encore faut-il que l'ensemble du territoire soit effectivement couvert par le haut débit. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous devrons demander que cette couverture soit effective.
Voilà l'ensemble des constats qui me paraissent se dégager de nos travaux. Ils pourront, complétés par notre échange de vues, servir de fil directeur au rapport que je vous présenterai dans quinze jours et motiver les propositions que je soumettrai à la mission. Je souhaite que ce rapport soit équilibré et constructif. Nous sommes par ailleurs au milieu du gué, nous ne voyons aujourd'hui que les effets négatifs de la RGPP, et nous en occultons ses effets positifs. Toutefois, nous devons faire à l'État une série de propositions pour permettre de corriger les effets indésirables de la réforme.
M. Didier Guillaume - Le groupe socialiste du Sénat est à l'origine de cette mission, à la suite du ressenti que nous percevions sur le terrain sur l'application de cette réforme. Celui d'un recul des services publics et de la proximité. Où est l'aménagement du territoire ?
Les auditions auxquelles j'ai pu assister ont été de bonne qualité et équilibrées dans l'analyse. Les personnes entendues, quelles que soient leurs fonctions, ont tenu des propos libres, et ont défendu leurs convictions et leur engagement avec force.
La RGPP est l'occasion d'un renouveau. Certains services publics ou organismes publics ont bénéficié de cette réforme. Toutefois, nous ne partageons pas le postulat de départ de la RGPP : celui de réduire les déficits publics. Selon nous, la démocratie a un coût et l'application du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne règle pas tous les problèmes budgétaires de notre pays. La modernité voulue par la RGPP a pour conséquence un recul de la proximité, constat qui doit apparaître dans le rapport de la mission. Nous sommes des élus responsables, nous avons accompagné, dans nos territoires, les évolutions de La Poste, mais nous défendons la proximité des services publics.
Je partage le souhait de notre rapporteur de rédiger un rapport équilibré qui ne soit pas simplement un rapport à charge. Dans le rapport, doivent impérativement apparaître trois préconisations.
La première concerne l'égalité des territoires et des citoyens, ce qui renvoie à trois problématiques : celle des normes, qui sont trop nombreuses et trop strictes, en matière, par exemple, de viabilité des maternités ; celle de la concertation : M. Dominique de Villepin avait organisé, en 2005, la Conférence nationale des services publics en milieu rural, qui prônait une concertation préalable à toute réorganisation des services publics dans les territoires ruraux - rappelons que les élus locaux sont des partenaires, non des adversaires ; celle de la différenciation : on ne peut gérer la France de la même façon quel que soit le territoire en cause ; il faut réfléchir à une gestion différenciée de notre République qui, bien que une et indivisible, est également diverse.
La seconde préconisation qui devrait apparaître dans le rapport de la mission est la réaffirmation du rôle des sous-préfets comme conseil en ingénierie des collectivités territoriales. Leur rôle de soutien quotidien au développement local est indispensable.
Enfin, la troisième renvoie à l'application du principe du « un sur deux ». Nous n'approuvons pas ce principe. Mais, s'il est maintenu, il doit être différencié selon les services et les territoires.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - On ne pourra plus assumer la même charge de travail avec moins d'effectifs. C'est pourquoi, dans les préconisations que je vous proposerai, il est indispensable que l'État définisse les missions qu'il souhaite continuer d'assumer et celles qu'il abandonne. S'agissant de l'ingénierie publique, l'État n'a, à aucun moment, affirmé clairement son désengagement.
M. Charles Revet - En préambule, il est normal que l'État, comme toute entreprise, s'interroge sur sa propre organisation. Pourtant, celle-ci semble avant tout liée à une directive européenne. Le désengagement de l'État en matière d'ingénierie publique est certainement une bonne chose pour lui mais il convient de préciser que, là encore, c'est une directive européenne qui en est à l'origine.
Notre constat sur les conséquences de la RGPP est identique, par-delà nos appartenances politiques. Nous rencontrons des problèmes identiques sur le terrain avec la Dréal, en matière d'urbanisme ou de réalisation de projets, ce qui entraîne des conséquences économiques majeures pour nos collectivités. D'où la proposition suivante : l'État doit favoriser sa mission de conseil plus que sa fonction de contrôle, aussi bien vis-à-vis des collectivités territoriales que des particuliers, pour la construction d'une maison par exemple, en nous indiquant les règles à respecter pour mener à bien un projet, quel qu'il soit.
M. François Patriat, président. - Cette idée est-elle réellement compatible avec la RGPP et ses conséquences ?
M. Raymond Couderc - Il s'agit plutôt d'un procès contre la technocratie qui nous étouffe, ce qui n'est pas forcément en lien avec la RGPP !
Mme Catherine Deroche - Nous devons distinguer deux volets dans l'application de la RGPP : un volet interne et un volet externe.
Le volet interne renvoie à la perception de la RGPP qu'en ont les agents de l'État. Les services déconcentrés se sont focalisés sur leurs problèmes internes de management, au détriment de leurs missions de terrain, ce qui pourrait expliquer le sentiment de désengagement de l'État, qui devrait toutefois s'atténuer avec le temps. La concertation doit être privilégiée pour opérer ces réajustements.
Sur le plan externe, nous constatons des différences entre nos territoires. Les élus locaux critiquent plus souvent l'omniprésence des normes réglementaires que la RGPP en tant que telle, que beaucoup, dans mon département, ne perçoivent pas réellement. Parmi nos préconisations, nous devons privilégier la différenciation selon les spécificités des territoires.
Par ailleurs, la proximité est-elle un gage de qualité de service ? Le risque zéro n'est pas toujours compatible avec la proximité. Il vaut mieux partir du besoin des usagers pour parvenir à une organisation des services publics qui leur soit adaptée, avec les moyens nécessaires.
M. François Patriat, président. - Mes élus locaux se plaignent de la disparition des services publics !
Mme Michèle André - Dans mon rapport en tant que rapporteure spéciale de la commission des Finances sur la mission « administration générale et territoriale de l'Etat » (AGTE), j'ai pointé les difficultés rencontrées par les préfectures pour assurer dans les meilleures conditions la gestion des cartes grises et des passeports biométriques. Il est temps d'arrêter l'application du « un sur deux ». Il n'y a plus personne dans les guichets des préfectures. Ce principe s'est appliqué au moment où les services déconcentrés se sont réorganisés. Les personnels de l'État, pourtant dévoués, ne parviennent plus à assurer leurs missions. La dématérialisation des cartes grises s'est opérée de façon chaotique, ce qui a obligé certaines préfectures à fermer leurs services certaines demi-journées pour pouvoir y faire face. Malgré mes demandes répétées auprès des ministères de l'intérieur et du budget, je n'ai pas été entendue sur ce point !
Je partage l'analyse de notre rapporteur selon lequel nous ne pouvons remplacer l'humain par des machines. Par ailleurs, nous devrons certainement embaucher des agents dans les préfectures pour contrôler les pratiques des garages en matière de gestion du SIV. On constate également que le ministère de l'Intérieur est au milieu du gué : il n'a pas défini de doctrine en matière d'évolution de ces effectifs. Dans les préfectures, on dénombre peu d'agents de catégorie A.
Une question n'a pas du tout été abordée jusqu'à présent : celle de la gestion et de la consommation des fonds européens, tels que Leader. L'État n'est pas performant dans ce domaine : le traitement de certains dossiers atteint parfois deux ans et on reproche à la France de ne pas consommer ses crédits européens.
Par ailleurs, la dilution des problématiques liées au droit des femmes, à la jeunesse, à la cohésion sociale dans les agences régionales de l'hospitalisation ou dans les DDCSPP provoque une grande solitude pour les agents concernés. Contrairement à l'organisation antérieure, sur certains sujets de société, on ne trouve plus d'interlocuteurs uniques pour les traiter, comme c'est le cas pour les violences faites aux femmes.
Nous avons constaté que l'État n'organise aucune concertation avec les élus locaux. Quand il diminue, en raison de l'application du principe du « un sur deux », les effectifs de police dans une commune, celle-ci est obligée, en raison de la demande sociale, de renforcer ses effectifs de police municipale. Nous devons attirer l'attention sur le fait que ce principe n'est pas une politique en soi et ne peut durablement être appliqué.
Enfin, le financement des nouvelles cartes nationales d'identité produira les mêmes problèmes que ceux rencontrés lors de la mise en place des passeports biométriques, et aboutira à un tri entre les communes bénéficiaires de ce service et celles qui ne disposeront pas des moyens pour l'assurer. Plus généralement, la dématérialisation ne permet pas de justifier la suppression d'effectifs. Le temps mis pour créer une carte grise est plus long qu'auparavant ce qui pose un problème de qualité de service public pour l'usager.
M. Georges Patient - L'application de la RGPP outre-mer entraîne des conséquences négatives comme en métropole, mais sont amplifiées en raison de notre situation particulière.
Dans un rapport d'information récent, notre collègue M. Marc Massion a présenté les conséquences de l'application de la RGPP dans le secrétariat chargé de l'Outre-mer. Notre administration ne dispose plus des moyens nécessaires pour assurer ses ambitions, en raison d'un manque d'effectifs de qualité. Dans les ministères techniques, les postes « outre-mer » ne sont pas renouvelés en raison de la diminution des effectifs. Cette situation chaotique s'amplifie avec la RGPP !
Mme Jacqueline Gourault - Je partage les propos tenus jusqu'à présent. S'agissant du non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, il faut préciser, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, que nous arrivons aujourd'hui à l'os.
Deux sujets angoissent particulièrement les élus dans nos territoires : l'ingénierie et l'école. L'école communale est un lieu symbolique majeur dans notre pays. On constate que beaucoup d'enfants quittent le système scolaire en ne maîtrisant pas la lecture, l'écriture et le calcul de base. C'est pourquoi nos élus locaux sont inquiets face à la fermeture de classes ou d'écoles.
Il est indispensable que l'État nous précise les missions qu'il souhaite poursuivre et celles qu'il veut abandonner. Je peux admettre que certains élus locaux préfèrent instruire eux-mêmes leurs permis de construire ; il faut toutefois reconnaître que le « tampon » de l'État est aussi une sécurité pour eux. Le transfert de cette compétence aux collectivités pose le problème de son financement et de l'échelon bénéficiaire. Pour ma part, je ne souhaite pas que le département soit en charge de l'ingénierie auparavant assurée par l'État. Si un tel transfert devait avoir lieu, il doit bénéficier aux collectivités qui en ont la responsabilité, afin d'éviter la tutelle d'une collectivité sur une autre.
Nous devons également faire apparaître dans le rapport le paradoxe selon lequel l'État, en se réorganisant, favorise le niveau régional alors que la loi de réforme des collectivités territoriales, que nous avons récemment adoptée, renforce l'échelon départemental.
Je partage le constat de Michèle André sur la gestion des crédits européens. Les collectivités qui se débrouillent le mieux sont celles qui sont depuis longtemps dans les zonages européens et qui disposent de fait de fonctionnaires compétents. Aujourd'hui, la procédure des appels à projets pour pouvoir bénéficier des aides européennes pose un problème éthique et politique de concurrence entre les territoires : ceux qui définissent les projets les plus aboutis disposent d'une structure territoriale et fonctionnelle organisée, ce qui pose un problème d'équipement et d'aménagement du territoire.
Sur la question des sous-préfectures, force est de constater qu'on y trouve les agents les moins efficaces. Par conséquent, les élus se détourneront des sous-préfectures au profit des préfectures afin de trouver l'ingénierie dont ils ont besoin, ce qui pourrait conduire, à terme, à leur suppression.
M. Rachel Mazuir - Les départements ne souhaitent pas instaurer de tutelle sur les communes et les intercommunalités. Le bloc communes - intercommunalités - départements est pertinent. A la demande des maires de mon département, nous réfléchissons actuellement à la mise en place d'une structure technique en matière d'ingénierie de projets.
Par ailleurs, pour l'obtention des fonds européens, rappelons que les conseils généraux disposent des compétences nécessaires.
Je pense enfin qu'il est nécessaire que l'État nous précise les missions qu'il souhaite assumer et abandonner.
M. François Patriat, président. - Le rapport équilibré que nous propose le rapporteur doit souligner les carences et les difficultés de la RGPP mais également ses avancées que nous reconnaissons. Comme nous l'a rappelé la semaine dernière M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, la réforme de la RGPP était nécessaire. En revanche, la méthode utilisée n'est pas satisfaisante. Dans le rapport, nous devrons insister sur les conséquences liées à l'application des nouvelles cartes administratives ainsi que les problèmes de la sécurité et des soins.
Mme Jacqueline Gourault - Je remercie sincèrement notre président et notre rapporteur pour l'excellent climat de travail et de confiance dans lequel nous avons mené nos travaux.
Audition de M. François Moutot, directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA)
M. François Patriat, président. - Après une cinquantaine d'auditions, nous en sommes à notre avant-dernière journée d'auditions. Nous recevons aujourd'hui le directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et également maire de Thoiry. Nous aimerions avoir son sentiment sur la RGPP à ces deux titres.
M. François Moutot. - Vous avez oublié de dire que j'ai également servi dans un ministère dont vous fûtes ministre...
La RGPP n'a pas, selon moi, encore donné tous les effets que l'on était en droit d'en attendre. Dans la plupart des cas, les réorganisations ont pris du temps et les effets directs ne se sont pas fait encore sentir, à la seule exception des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
En ce qui concerne la direction générale des finances publiques (DGFiP), le regroupement des services financiers de l'État était attendu depuis très longtemps. Les entreprises se félicitent d'avoir désormais un seul interlocuteur qui s'occupe de l'évaluation de l'impôt et des prélèvements financiers. Il s'agit d'une avancée remarquable, mais qui se met en place progressivement et qui n'est, à ce jour, pas achevée. De façon générale, il est satisfaisant d'avoir un seul interlocuteur pour traiter un dossier. De plus, les relations entre les entreprises et l'administration des finances ont évolué dans le bon sens.
J'en viens aux Direccte : leurs relations sont bien différentes avec les entreprises et avec les chambres des métiers. Pour les entreprises, l'évolution n'a en effet pas été sensible : le fouillis règlementaire reste tel que les entreprises s'y perdent. En revanche, les chambres des métiers sont satisfaites d'avoir une direction unique pour toutes les régions.
Pour les entreprises, la mesure la plus efficace a été la simplification de l'ensemble du réseau comptable et fiscal.
La dématérialisation est d'importance relative pour les entreprises. Un certain nombre de documents doivent continuer à être remplis et signés. En outre, nous ne sommes pas convaincus que l'administration joue toujours le jeu de la dématérialisation. Nous avons ainsi créé il y a trois ans une clé informatique qui permet à nos adhérents, soit un million d'entreprises, de s'identifier et de déclarer leur TVA. Or, nous venons juste d'obtenir sa validation par l'administration des finances ! Grâce à cette clé, les garagistes pouvaient valider le dispositif d'immatriculation et nous avons dû attendre très longtemps avant d'obtenir l'agrément. Les procédures de dématérialisation devraient donc être simplifiées pour réduire leur temps d'instruction. Aujourd'hui, un million d'entreprises françaises ont à leur disposition une clé informatique pour un coût de 65 euros : il faut absolument parvenir à valoriser cet outil.
La RGPP prend-elle suffisamment en compte la dimension aménagement du territoire ? J'ai du mal à me prononcer. Les problèmes d'aménagement du territoire sont liés à l'organisation politique mais ne sont pas de la compétence des chambres de métiers. En revanche, je m'étonne que certaines programmations d'aménagement du territoire écartent systématiquement les corps intermédiaires. Ainsi, le Parlement va devoir se prononcer sur un texte qui écarte les corps consulaires des établissements publics fonciers pour des raisons qui m'échappent totalement. Si l'on veut aménager les centres-villes, pourquoi nous exclure du processus ?
Vous m'interrogez sur l'aménagement des cartes judiciaire et hospitalière. Les entreprises ne se sentent pas concernées, mais il est bien évident que tout ce qui leur coûtera moins cher aura leur préférence.
Autres question : en quoi la RGPP a-t-elle modifié le fonctionnement et l'organisation des chambres de métiers ? La RGPP est arrivée à un moment où nous étions déjà en train de réorganiser nous-mêmes notre réseau. La RGPP n'a donc pas été subie, mais elle a accompagné notre réflexion. Les entreprises artisanales étant des entreprises de proximité, elles ont besoin de services de proximité : un boulanger n'a pas les moyens de perdre une journée de travail. Les services qui les accompagnent doivent donc être en totale proximité. Dans la plupart des cas, le département est le bon échelon pour gérer les relations entre les entreprises et les structures qui les accompagnent.
En ce qui concerne la représentation politique des professionnels, l'échelon départemental doit être maintenu, car il y a de fortes solidarités territoriales entre l'élu et les entreprises. En revanche, tout ce qui ne relève pas de ces relations entre l'élu et les entreprises peut être centralisé au niveau régional, voire national. Notre schéma est donc le suivant : au niveau départemental, le lien direct avec les entreprises ; au niveau régional, l'organisation de tout ce qui peut être mutualisé, c'est-à-dire les fonctions support, et les relations avec la région. Il est en effet souhaitable d'avoir un seul interlocuteur au niveau régional pour obtenir un plan régional de développement des entreprises.
Dès lors que nous avions des structures régionales et départementales, nous nous sommes demandé si nous devions unifier les structures juridiques. Après un large débat, l'assemblée permanente des chambres de métiers a décidé de laisser les chambres régionales et départementales libres de choisir leur statut juridique. Avec deux ans de recul, nous nous félicitons d'avoir choisi cette solution. La Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais ont décidé d'avoir une seule structure juridique. D'autres régions ont fait de même, mais seulement en partie : la majorité des chambres se sont regroupées et seule une minorité est restée indépendante. L'Assemblée générale qui s'est tenue hier et se poursuit aujourd'hui a évoqué le sujet et toutes les régions ont considéré qu'elles progressaient vers la mutualisation, quels que soient les statuts choisis. Pour nous, la RGPP passe par la mutualisation des moyens et pas forcément par la transformation des structures. Ainsi, tous les supports informatiques seront mutualisés d'ici deux ans, ce qui nous permettra de faire des économies substantielles.
Y a-t-il concordance entre la RGPP, les corps consulaires et les structures politiques ? Oui, car nous avons régionalisé toutes les fonctions de compétence régionale et nous avons laissé au niveau départemental ce qui nous semblait lui revenir.
Nous avons également modifié le régime électoral des chambres de métier : auparavant, les chambres de métiers régionales étaient élues au suffrage indirect par les chambres départementales qui désignaient les élus régionaux. Aujourd'hui, les suffrages des artisans départementaux se portent à la fois sur des délégués départementaux et régionaux. Il y a donc une relation directe entre l'artisan départemental et son représentant qu'il envoie siéger dans la chambre régionale mais qu'il élit dans son département. Ce système fonctionne depuis six mois à la satisfaction de tous.
Dans le système politique antérieur, nous assistions à des blocages aussi bien au niveau régional que départemental. Aujourd'hui, nous n'avons aucun blocage dans les 102 chambres départementales, contre 15 à 20% auparavant, et nous n'avons enregistré qu'un seul blocage dans une des 26 régions : le président a reconnu qu'il ne parviendrait pas à gérer la région, il a démissionné et un de ses collègues a pris la suite. Aujourd'hui, la totalité des régions est en ordre de marche.
Votre question suivante concerne le système d'information Chorus et ses conséquences en matière de délais de paiement des prestataires de l'État. La question des délais de paiement est un peu compliquée : les délais prévus ne sont pas faciles à respecter par les collectivités territoriales et certaines entreprises ne peuvent pas exiger des collectivités qu'elles respectent les délais. Le système actuel n'est donc pas complètement opérant.
Le système d'immatriculation des véhicules fonctionne bien et nous avons mis en place un dispositif qui permet d'y accéder facilement. Nous nous félicitons donc de ce progrès qui permet désormais aux acquéreurs de véhicules de partir avec leur immatriculation. Comme je n'ai pas de remontées négatives des concessionnaires, j'en conclus qu'ils sont satisfaits. En revanche, rien de tel pour les photographes professionnels qui se trouvent dans une situation difficile. L'évolution technologique de la photographie et le régime de l'auto-entrepreneur ont eu des conséquences catastrophiques pour ces professionnels. De nombreuses personnes se sont autoproclamées photographes sans en avoir nécessairement les compétences. Les photos d'identité faisaient partie du fonds de commerce traditionnel des photographes professionnels : le fait d'avoir confié ce travail aux communes n'est pas de nature à les aider alors qu'ils rencontrent déjà des difficultés.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Vous n'avez pas parlé des relations entre l'APCMA et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), anciennement Drire (directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement,), et Diren (directions régionales de l'environnement).
M. François Moutot. - En tant que directeur général de l'APCMA, je n'ai pas d'opinion particulière. En revanche, en tant que maire, j'aurais beaucoup à dire : c'est épouvantable ! Dans ma commune, nous avons le parc de Thoiry, à la fois site classé et activité économique : je suis donc confronté aux avis non convergents de la Diren, de la direction des services vétérinaires (DSV), de la direction des affaires sanitaires et sociales (Dass), de l'agriculture, des sites classés : c'est une horreur absolue ! Les différents pouvoirs départementaux, régionaux et nationaux qui s'appliquent sur un même territoire prennent des décisions contradictoires. Il faudrait un seul interlocuteur, une seule autorité, une seule compétence. Ce que je dis vaut pour le maire, mais aussi pour l'entreprise : le parc de Thoiry rencontre les mêmes difficultés que moi. Il faut que cela cesse.
M. François Patriat, président. - Dans mon département, un zoo qui fonctionnait très bien a dû fermer du fait des exigences multiples auxquelles il devait faire face.
M. François Moutot. - Quand les exigences sont multiples, c'est difficile ; quand elles sont contradictoires, c'est ingérable.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Ces difficultés sont-elles dues à la RGPP ou préexistaient-elles ?
M. François Moutot. - Avec la RGPP, les choses vont un peu moins mal... Il y a eu harmonisation à chaque niveau. Le problème, c'est qu'il reste divers niveaux de compétence... Encore une fois, il est indispensable que, pour un territoire donné, il n'y ait qu'un seul interlocuteur.
M. Raymond Couderc. - Votre expérience rejoint la mienne en tant que maire de Béziers, notamment en ce qui concerne mes relations avec la Dreal.
M. François Moutot. - Quand une entreprise est confrontée à six ou sept règlementations différentes, tout devient caricatural.
Un exemple : la réglementation pour les handicapés. Les entreprises artisanales installées en centre-ville ne peuvent déposer un permis de construire. Si la réglementation actuelle devait être appliquée à la lettre, il faudrait fermer toutes les boucheries et les boulangeries ! Nous devrions parvenir à trouver un équilibre entre les contraintes et les possibilités. Si nous laissions l'administration édicter les règles, il serait impossible d'avoir des permis de construire pour améliorer les locaux. Les entreprises en centre-ville doivent pouvoir continuer à exister.
M. François Patriat, président. - Cela vient sans doute de notre hyperfécondité normative !
Dans le Nord-Pas-de-Calais et en Bourgogne, la mutualisation est positive et les artisans ne se plaignent pas de la RGPP. Combien de régions ont créé des guichets uniques ?
M. François Moutot. - Les deux régions que vous avez citées sont parvenues à une intégration complète. En Basse-Normandie, un département fait de la résistance pour des raisons politiques et, en Aquitaine, les départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques ne sont pas intégrés car trop éloignés de Bordeaux. En revanche, tout le nord de la région s'est regroupé, à la satisfaction de tous.
Aujourd'hui, 20 régions sur 22 fonctionnent avec des mutualisations telles qu'elles sont très proche de l'intégration.
Le président de l'APCM, Alain Griset, dans la région Nord, et le vice-président Pierre Martin, dans la région Bourgogne, étaient très attachés à cette évolution et ils ont donné l'exemple. En outre, nous étions déjà dans une phase de mutualisation et d'harmonisation si bien que la RGPP a clarifié les choses.
En revanche, nous avons des présidents départementalistes qui considèrent que leur département doit être géré exclusivement par eux. C'est un sentiment logique, pour peu qu'ils acceptent de faire des économies.
M. François Patriat, président. - Logique, mais pas forcément louable !
Merci pour votre intervention.
Audition de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer
M. François Patriat, président. - Madame Penchard, merci de nous rejoindre pour nous donner votre sentiment sur la RGPP outre-mer. Les effets de cette politique sont amplifiés outre-mer, disait le sénateur Georges Patient ce matin. Qu'en pensez-vous ? Notre souci est de dresser un premier bilan objectif de cette réforme. A-t-elle rempli son triple objectif : simplifier, optimiser et économiser ? Son but, à notre sens, ne peut pas être seulement comptable. Les économies, si elles sont nécessaires, ne sont pas toujours pertinentes dès lors qu'il s'agit des pouvoirs publics.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. - Merci de me recevoir. Pour moi, l'objectif de la RGPP est d'abord d'adapter les missions de l'État aux défis du XXIe siècle. Il s'agit d'insuffler une nouvelle culture du résultat et de la responsabilité, en vue de rétablir l'équilibre des comptes publics, tout en améliorant le service rendu aux entreprises et aux citoyens.
Concernant l'outre-mer, cette politique consiste en des mesures correctives, définies lors du Conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008. Ainsi, la loi pour le développement de l'outre-mer, adoptée en février 2009, tout en créant de nouvelles dispositions comme les zones franches d'activité, a recentré le dispositif d'exonération des charges sociales sur les bas salaires et les petites entreprises dans les secteurs porteurs à compter du 1er janvier 2010. Autre objectif de cette loi : améliorer l'encadrement de la défiscalisation prévue par la loi Girardin -un outil nécessaire au développement économique de l'outre-mer- avec l'abaissement des seuils d'agrément, l'obligation de déclaration des investissements défiscalisés dès le premier euro et la priorité donnée au logement social. On a aménagé une sortie en sifflet pour le logement intermédiaire et le logement libre. À propos de ce dernier, la défiscalisation s'applique dorénavant aux seuls primo-accédants à la propriété et aux maisons individuelles dont la surface est inférieure à 150 m2.
Ensuite, l'extinction de l'indemnité temporaire de retraite (ITR), créée en 1952, est une nécessité au regard de l'évolution du monde et de l'injustice de ce système qui bénéficiait à 34 000 fonctionnaires installés à la Réunion, à Mayotte, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non à ceux des Antilles. Cette réforme, votée dans des conditions particulièrement difficiles, a permis l'écrêtement des pensions les plus élevées et le gel du montant des indemnités déjà octroyées. Grâce à elle, l'enveloppe financière est passée de 330 à 320 millions ; si nous n'avions rien fait, elle aurait atteint 370 millions en 2010.
Autre sujet, la modernisation de l'administration centrale de l'outre-mer. Le ministère a abandonné sa mission de gestion pour se consacrer aux tâches de conception et d'évaluation. Cette transformation en une administration de mission, décidée en 2009, s'est opérée durant l'année 2010. Elle a consisté en un transfert des tâches de gestion et des crédits afférents aux ministères sectoriels. En contrepartie, nous avons récupéré les crédits prévus dans le cadre des contrats de projet ou des contrats de développement.
Enfin, la réforme des congés bonifiés, confiée au délégué interministériel de l'outre-mer en début de mandature, n'est plus d'actualité, compte tenu de la complexité de la question et des relations avec les syndicats.
Dans le cadre de la RGPP, a également été décidée en 2009 la suppression du service de l'état civil du ministère, dont l'existence remontait à l'édit royal de juin 1776 qui faisait obligation aux ultramarins installés en métropole de posséder un duplicata de leur acte de naissance. Avec les moyens modernes, ce service, qui délivrait 15 000 actes par an, ne se justifiait plus. Enfin, nous espérons mener à bien cette année la transformation de l'indemnité particulière de sujétion et d'installation, qui visait à rendre plus attractifs les postes de fonctionnaires en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, en une indemnité de sujétion géographique limitée à la Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le ministère a également accompagné la réforme de l'administration territoriale de l'État, applicable depuis le 1er janvier 2011, en tenant compte des observations formulées lors des états généraux et de la spécificité de l'outre-mer. Les régions ultramarines étant monodépartementales, elles comptent désormais six directions régionales, sans compter l'ARS et le rectorat ; disparaissent les trois directions départementales existant en métropole. Dans le cadre de cette réorganisation, 50 postes ont été ouverts avec la volonté de promouvoir les ultramarins ; sept postes ont été pourvus. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de cette réforme applicable depuis le début de l'année.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - J'ai noté que les conséquences de la RGPP sur les collectivités territoriales d'outre-mer ne seront visibles que dans les mois à venir, la réforme des services ne s'appliquant que depuis le 1er janvier 2011. Mais comment le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux s'applique-t-il outre-mer ? Les états généraux de l'outre-mer ont été l'occasion d'une concertation avec les élus ultramarins. Nous les envions ! Les ministres en charge de la RGPP, que nous avons auditionnés, n'ont pas caché leur volonté de passer outre, ajoutant même que la concertation, si elle avait eu lieu, aurait bloqué la réforme. Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - L'outre-mer n'échappe pas au principe du « un sur deux ». Néanmoins, ces territoires ayant un niveau de vie comparable à celui d'un pays en développement, ils ont besoin d'un accompagnement fort de l'État. La réduction des effectifs de l'administration territoriale, si ma mémoire est bonne, se limite à 0,98%. Le conseil interministériel de l'outre-mer a créé des commissaires au développement endogène, poste imaginé lors des états généraux. Leur mission, confiée à des personnalités dotées d'une solide expérience internationale, est de développer l'économie et l'emploi en favorisant l'insertion des territoires de l'outre-mer dans leur environnement régional. Autre particularité : les sous-préfets à la cohésion sociale, une nécessité pour accompagner le retour à l'emploi et développer le potentiel des métiers de la croissance verte quand le taux d'illettrisme outre-mer est cinq fois supérieur à celui de la métropole.
S'agissant des autres emplois de la fonction publique, les ministres sectoriels en savent davantage que moi. Pour autant, je constate que cette politique est modulée selon les besoins des territoires : les moyens de l'Éducation nationale ont baissé à la Réunion ; ils ont augmenté en Guyane et à Mayotte où la population a doublé. Pas moins de 150 postes ont été créés pour le seul secondaire.
L'organisation des états généraux de l'outre-mer a traduit la volonté de l'État de tout remettre à plat après la fameuse crise de 2009. Ces travaux ont permis d'identifier le fort besoin d'assistance technique des collectivités ultramarines. La réflexion est désormais aboutie sur la création d'une cellule d'ingénierie publique ciblée sur certains secteurs : la prévention des risques naturels, tel le risque sismique en Guadeloupe et en Martinique- car de nombreux crédits destinés à la remise aux normes des équipements scolaires n'étaient pas consommés, faute de soutien- ainsi que l'assainissement, l'alimentation en eau potable et la gestion des déchets. Nous verrons comment aller au-delà, sachant que l'État dispose déjà de deux agences spécialisées dans l'aide à la construction de logements : la société immobilière de Guadeloupe (SIG) et la société immobilière de Martinique (SIMAG).
M. Georges Patient. - La réforme de l'administration territoriale de l'État, entrée en vigueur en 2010 en métropole, s'applique depuis le 1er janvier 2011 à l'outre-mer. En tant que maire, j'ai simplement reçu un courrier le 26 janvier accompagné d'un dépliant à afficher dans un lieu public. Compte tenu de l'enjeu, le plan de communication est peut-être à revoir...
Avant l'application officielle de cette politique, des décisions de réduction d'effectifs avaient déjà été prises. Ainsi, en Guyane, le nombre de géomètres experts est insuffisant. Or, au moment où l'État demande aux collectivités guyanaises de compter davantage sur leur fiscalité locale, ces fonctionnaires remplissent une tâche essentielle pour l'élargissement de l'assiette : établir le cadastre. Cinq géomètres pour un territoire de 80 000 km2, aucun pour la commune de Saint-Laurent, cela paraît très insuffisant. Mieux vaudrait doter correctement l'outre-mer afin qu'il puisse mener à bien cette tâche et ne plus être contraint de quémander des crédits.
La direction départementale de l'équipement et la direction départementale de l'agriculture et de la forêt apportaient une ingénierie technique très appréciée en Guyane. Alors qu'elles remplissent un rôle fondamental pour l'aménagement de l'immense territoire guyanais, faut-il appliquer les normes nationales de la RGPP ? Le problème de la compensation des charges se pose également, comme en métropole. Enfin, les sous-préfectures sont vidées de leurs personnels. Veut-on les fermer ? À Saint-Laurent, la sous-préfecture est l'unique point de contact avec l'État ; Cayenne est loin. Or la ville n'abrite plus qu'un service des papiers pour les personnes en situation irrégulière.
Mme Marie-Luce Penchard. - L'État continuera d'aider les collectivités de Guyane à élargir leur assiette ; nous avons créé un poste supplémentaire de géomètre pour mener à bien la réalisation du cadastre. Il en faudrait plus, me répondrez-vous. Soit, mais ces postes sont difficiles à pourvoir en raison de l'éloignement. Nous en revenons au problème de l'attractivité...
L'ingénierie publique sera désormais concentrée sur certains secteurs. Pour autant, les sous-préfectures continueront de jouer un rôle de conseil ; et ce, d'autant mieux, que l'on a augmenté la qualification des personnels. En Guyane, il y a désormais 42 cadres A, contre 27 auparavant.
Toute réorganisation, notamment la dématérialisation, entraîne une perturbation temporaire des services. Quant à la communication sur la réforme, sa déclinaison a été fonction des territoires : la Martinique a organisé des réunions de présentation aux élus, publié dépliants et communiqués de presse.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - La dématérialisation des procédures pose-t-elle un problème particulier outre-mer ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - D'après les premiers chiffres disponibles, l'outre-mer se situe dans la moyenne nationale pour le traitement des cartes grises, des permis de conduire ou encore des passeports. En revanche, je ne dispose pas encore de données sur le taux de satisfaction des usagers.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Qu'en est-il de l'équipement en informatique des ultra-marins ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Contrairement à ce que l'on pense souvent, chaque foyer ultramarin possède au moins un ordinateur, y compris dans les familles modestes. Celui-ci représente une ouverture sur le monde, un moyen de remédier à l'enclavement des territoires. Les collectivités territoriales en offrent un à chaque lycéen. Reste à toucher leurs parents. Pour leur apprendre à utiliser l'informatique, associations et bénévoles mènent des actions. C'est, en outre, l'un des axes des plans de lutte contre l'illettrisme.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Les collectivités territoriales, d'après les auditions menées par notre mission, s'inquiètent des conséquences de la réforme de l'administration territoriale de l'État sur le contrôle de légalité et l'ingénierie publique. En bref, elles craignent une plus grande insécurité juridique et un retrait de l'État en matière de conseil. Ce problème se pose-t-il en termes identiques outre-mer ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - L'organisation proposée sera plus efficace : centralisation du contrôle de légalité en préfecture et, donc, recentrage des sous-préfectures sur la fonction de conseil et la première orientation. Les sous-préfets se disent satisfaits : ils pourront jouer leur rôle de conseiller de proximité auprès des maires. Nous verrons à l'usage ; il est encore trop tôt pour se prononcer.
M. François Patriat, président. - La carte scolaire fait-elle l'objet d'un traitement différencié outre-mer pour tenir compte de l'objectif de lutte contre l'illettrisme ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Bien sûr ! La politique de lutte contre l'illettrisme, axe dégagé lors des états généraux de l'outre-mer au sein de l'atelier sur l'égalité des chances, a été renforcée lors du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009 par décision du Président de la République. Nous voulons toucher tous les publics, enfants et adultes. Le plan de l'Éducation nationale, élaboré peu de temps après, s'intègre donc dans des plans régionaux de lutte contre l'illettrisme. Ceux-ci ont été signés en Guyane, à la Réunion et à la Martinique ; un autre sera bientôt finalisé en Guadeloupe.
J'ai décortiqué à titre personnel le plan martiniquais, un travail remarquable, mené de concert par l'État et les collectivités territoriales. Il est assorti d'un système d'évaluation avec des indicateurs. La logique de partenariat est très forte : la part des collectivités est de 1,8 milliard pour un coût total de 5 milliards d'euros. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un an pour dresser un bilan.
L'objectif est de réduire de moitié l'écart entre le taux d'illettrisme constaté en métropole, qui est de 9%, et celui en outre-mer, qui atteint 14% en Martinique, 20% à la Réunion. En Guyane, les chiffres ne sont pas connus. Néanmoins, si l'on se réfère aux tests effectués lors de la journée défense et citoyenneté, 42,5% des jeunes Guyanais ne savent pas lire correctement. Une situation inacceptable ! Dans ces conditions, comment accéder à l'emploi ? Le plan est mis en oeuvre depuis plus d'un mois dans ce territoire.
M. François Patriat, président. - Nous vous remercions.