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Mercredi 16 novembre 2011
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Économie, finances et fiscalité
L'Italie et la
zone euro
Rapport d'information de M. Jean-François
Humbert
M. Jean-François Humbert. - Monsieur le Président, mes chers collègues. Dix-huit mois après le déclenchement de la crise de la dette souveraine, l'Italie constitue la nouvelle cible des marchés financiers. Cette dégradation de la position italienne s'inscrit dans un contexte marqué par les difficultés de la zone euro à mettre en place des réponses adaptées à l'ampleur de la crise. Chacun peut constater que des incertitudes demeurent sur la démultiplication des moyens du Fonds européen de stabilité financière, malgré les sommets du 21 juillet et du 26 octobre.
La hausse des taux italiens contraste, pourtant, avec la valeur des fondamentaux économiques du pays et la rigueur budgétaire dont l'Italie a fait preuve ces deux dernières années. Au delà du problème de sa dette, qui représente 120 % du PIB mais qui apparaît soutenable, c'est bien la gestion politique de l'adaptation du pays à la crise de la dette qui est visée par les investisseurs. Les différents plans de rigueur adoptés depuis juin 2010 sont jugés incomplets, parce qu'il leur manque l'ambition de relancer la croissance.
La croissance italienne est, dans la durée, inférieure à la moyenne de la zone euro. L'augmentation du produit intérieur brut peine à dépasser 1 % depuis 2000 et devrait atteindre à peine 0,7 % cette année. La Banque d'Italie prévoit, pour 2012, une récession de l'ordre de 0,4 % du PIB.
L'Italie renouerait dès lors avec la récession qu'elle a déjà connue en 2008 et 2009, avec une contraction de l'activité de l'ordre de 7 % du PIB sur deux ans. Aucun rebond d'ampleur n'a d'ailleurs été constaté depuis. L'activité économique n'a pas retrouvé le niveau de 2007, le PIB actuel enregistrant encore un écart négatif de 5 % par rapport à cette année-là.
Il faut également tenir compte de l'impact des disparités régionales sur l'activité moyenne du pays. Le nord du pays et son tissu de petites et moyennes entreprises contraste avec la partie méridionale, toujours en attente d'un plan de développement efficace. Le revenu par habitant du Mezzogiorno est ainsi inférieur de moitié à celui perçu au nord du pays. Et cela, en dépit de l'opportunité que peuvent représenter les fonds européens. Cette division économique de la péninsule en deux territoires distincts se retrouve notamment en matière de chômage.
L'Italie compte, à l'heure actuelle, 600 000 emplois de moins qu'en février 2008. Le pays est, notamment, affaibli par l'explosion du chômage des jeunes et des femmes. Le taux de chômage reste néanmoins l'un des moins élevés au sein de la zone euro : 8,4 % contre 9,9 % au sein de la zone euro.
La dette italienne - 1 911,8 milliards d'euros - frôle, quant à elle, les 120 % du PIB, ce qui interdit toute relance budgétaire. L'année 2009 a été marquée par une augmentation de la dette de 10 points de PIB, principalement imputable au creusement du déficit public. Celui-ci n'est pas lié à une politique de relance, mais au souhait du gouvernement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques. L'endettement a cependant moins augmenté ces trois dernières années en Italie (+ 15,4 points entre 2007 et 2010) qu'en France (+ 17,3 points) ou en Allemagne (+ 18,3 points).
Cette introduction, dans une large mesure négative, ne doit pas occulter la qualité des fondamentaux économiques italiens et notamment ses atouts industriels. L'Italie demeure le pays européen disposant du plus grand nombre d'entreprises, près de 4 millions, contre 2,6 en Espagne, environ 2,4 en Allemagne et 1,9 en France. 95 % de ces sociétés sont des PME.
La capacité exportatrice de ces entreprises demeure le principal facteur de croissance, notamment dans le secteur textile. L'Italie a su développer un véritable label « made in Italy », dépassant les lacunes de l'État en matière d'aide à l'innovation, pour développer au sein des entreprises une véritable culture de la créativité. Les exportations italiennes ont augmenté de 15,8 % en 2010, la progression devrait être similaire pour l'exercice en cours. La valeur des ventes atteint celle enregistrée avant la crise de 2008. L'économie italienne connaît, en outre, un certain nombre de succès sur les marchés extra-européens, notamment en Chine.
L'industrie s'appuie sur un système bancaire solide, relativement préservé par la crise des subprimes, en raison, notamment, de son aversion aux produits financiers complexes. 62 % des placements bancaires concernent les prêts aux entreprises et aux ménages, contre 31,7 % en Allemagne et 30,3 % en France. Les banques italiennes demeurent de ce fait relativement préservées des fluctuations des marchés.
La forte détention de titres de dette publique par les résidents - 56 % -, sécurise, par ailleurs, le Trésor italien, la dette demeurant relativement protégée des mouvements spéculatifs. La gestion de la dette apparaît la plus diversifiée de la zone euro, réduisant l'exposition aux risques liés aux mouvements des taux. Enfin, la maturité de la dette italienne demeure relativement longue - 7,04 années en moyenne -, ce qui la rend moins dépendante des aléas du marché.
L'endettement public italien, s'il inquiète des marchés prompts à anticiper un effet de contagion, doit, en outre, être mis en perspective avec le faible endettement des ménages et des entreprises. L'économie italienne se distingue ainsi des cas irlandais, portugais ou espagnol et s'avère comparable sur ce point à l'économie française.
La focalisation des marchés et des agences de notation sur la croissance et la dette ne doit pas, par ailleurs, occulter la relative bonne gestion des comptes publics italiens. Le déficit public italien est inférieur à ceux enregistrés dans les pays placés sous assistance financière - la Grèce, Irlande, le Portugal - ou menacés de l'être, à l'instar de l'Espagne. Il est également inférieur au déficit d'un pays classé AAA comme la France.
Les bonnes performances de l'économie italienne à l'export ou la faiblesse de l'endettement des ménages et des entreprises ne doivent pas, cependant, faire oublier l'absence dans plusieurs domaines de réformes structurelles, indispensables en vue de gonfler la croissance du pays.
Le « climat des affaires » est jugé peu favorable à l'activité économique. Les procédures administratives sont lourdes et le recouvrement de l'impôt n'est pas assez efficace. La fraude fiscale est estimée à 125 milliards d'euros par an et l'économie informelle à 17 % du PIB.
La gestion par les collectivités locales d'un certain nombre de services publics suscite des réserves. La Banque d'Italie estime qu'une privatisation des entreprises concernées et une libéralisation de leurs secteurs d'activité permettrait au PIB italien de croître de 11 %.
L'amélioration de la gestion publique locale reste également à l'état de projet. La réorganisation administrative du pays dans un sens plus fédéral entreprise depuis 2001, et relancée en 2009 via la notion de fédéralisme fiscal, demeure incomplète. Les décrets d'exécution pris en ce sens ne sont toujours pas opérants. La réforme n'a pas, par ailleurs, été accompagnée d'une rationalisation des structures politico-administratives.
Par ailleurs, si la capacité d'innovation de l'industrie italienne est reconnue, elle demeure du ressort de l'entreprise. Le système scolaire et universitaire comme les politiques publiques en la matière semblent peu efficaces.
L'Italie - comme d'ailleurs la France - ne favorise pas la croissance en taille de ses entreprises ou leur internationalisation. La taille des entreprises contribue à les rendre fortement dépendantes du crédit bancaire (67 % de leurs dettes financières en 2010) et ne leur permet pas d'accéder aux marchés financiers. La gestion « familiale » de ces PME tempère également leur croissance.
Les rigidités observées sur le marché du travail ne doivent pas non plus être occultées. Les négociations salariales demeurent ainsi décorrélées de la productivité.
La Banque centrale européenne a rappelé dans une lettre adressée aux autorités italiennes le 5 août dernier son souhait que le gouvernement transalpin procède à une réforme d'envergure du marché du travail. Cette réforme devrait modifier un modèle fondé sur l'extrême flexibilité pour les jeunes et les titulaires de contrats précaires et la totale protection pour les autres. Elle a également conditionné son intervention sur les marchés financiers à l'engagement de réformes structurelles dans le pays, visant notamment à une plus grande libéralisation de l'économie.
C'est dans ce contexte que doivent être analysés les deux plans de rigueur - les manovre - adoptés cet été. Le premier programme d'austérité adopté le 15 juillet constituait, notamment, une réponse à la mise sous perspective négative de la note italienne et à la hausse régulière des taux. Le second, présenté à peine un mois plus tard, traduisait l'inquiétude des autorités italiennes face au risque de contagion de la crise de la dette souveraine.
Cette manovra bis adoptée début septembre a pour principal objectif le retour à l'équilibre budgétaire dès 2013. La dette publique est supposée être ramenée à 112,6 % du PIB en 2014. Les économies attendues des deux plans sont d'environ 150 milliards d'euros sur les quatre prochaines années. Elles consistent principalement en une augmentation de la pression fiscale : hausse de la TVA, création d'une contribution temporaire sur les hauts revenus et réduction concomitante des dépenses sociales. L'âge de départ en retraite des femmes est porté à 65 ans d'ici 2014 et l'âge de départ en retraite est désormais calé sur l'espérance de vie, et devrait atteindre 67 ans en 2026.
Les doutes subsistent cependant sur l'application effective de ces plans de rigueur et sur leur efficacité. Les incertitudes en matière de croissance relativisent la portée des manovre, et soulèvent la question de la crédibilité du gouvernement qui les a mis en oeuvre.
La cure d'austérité sans cesse renforcée ne peut que susciter des craintes quant à la reprise de la croissance. Cette question est au coeur des doutes exprimés par les marchés et les analystes. La Confindustria, le syndicat patronal et Confartigianato, l'association représentant les intérêts des PME, insistent toutes deux sur l'absence de réelles dispositions en faveur de la relance économique. En effet, la recherche d'économies ou de nouvelles recettes à court terme n'a pas été accompagnée de véritables réformes structurelles, visant le marché du travail ou la libéralisation de certains secteurs économiques.
Un doute subsiste également sur la volonté du gouvernement de mettre en place de façon effective les mesures votées. On peut ainsi s'interroger sur la réalité de certaines annonces. Il en va ainsi de la réforme de la carte territoriale qui prévoit la suppression de l'échelon administratif des 110 provinces ou de la division par deux du nombre de parlementaires. Ces mesures impliquent une révision constitutionnelle dont l'issue s'avère incertaine, compte tenu du contexte politique et des enjeux de tels votes.
Ce problème de crédibilité a débouché sur une double mise sous surveillance, celle des marchés d'une part, puis celle de ses partenaires européens et du Fonds monétaire international, d'autre part.
Silvio Berlusconi a présenté à ses partenaires européens, le 26 octobre, les grandes lignes d'un plan de relance de l'économie et de réduction de la dette au travers d'une lettre de quinze pages. Le document prévoit la mise en place d'une mobilité obligatoire des agents de la Fonction publique et limite le remplacement des fonctionnaires partant à la retraite. Il insiste sur la simplification des procédures administratives et multiplie les incitations fiscales en faveur du financement d'infrastructures et du capital risque.
Le texte annonce une réforme du marché du travail et une privatisation des sociétés contrôlées par les régions. Un programme de privatisations censé rapporter 15 milliards d'euros sur trois ans est également mis en place.
Ces « nouvelles » mesures constituaient en réalité un rappel d'engagements déjà pris ou annoncaient des réformes structurelles d'ampleur abandonnées quelques semaines plus tôt, faute d'accord politique. La présentation détaillée de ces mesures à l'occasion du G20, le 3 novembre, n'a pas tempéré le scepticisme des marchés.
L'Italie a finalement accepté d'être placée sous surveillance par l'Union européenne et le Fonds monétaire international afin d'évaluer la mise en oeuvre effective des réformes.
La question de la crédibilité de la politique budgétaire et économique italienne était donc bien posée, avec en filigrane celle du maintien à son poste du Président du Conseil. Son déni de la réalité économique du pays, ses atermoiements sur les dispositions à adopter, ses interrogations sur l'urgence relative des plans de rigueur ou ses déclarations finalement démenties sur l'utilité de l'euro étaient de plus en plus considérés comme le principal point faible de l'Italie sur les marchés financiers. L'annonce, le 8 novembre, de la démission du président du Conseil est, dans ce cadre, apparue logique. Elle ne peut être considérée, cependant, comme la seule solution au déficit de crédibilité de la politique budgétaire italienne.
En effet, au delà du cas du Président du Conseil, les négociations autour de la manovra bis ont mis en lumière les dissonances croissantes au sein de la majorité parlementaire sur l'ampleur des réformes à mener : le parti même de Silvio Berlusconi était hostile à toute augmentation de l'imposition sur le patrimoine alors que la Ligue du Nord s'oppose aux dispositions touchant l'âge de départ en retraite ou à la TVA.
L'annonce de la démission de Silvio Berlusconi n'a d'ailleurs pas enrayé la hausse des taux. Il a fallu le vote les 11 et 12 novembre derniers des réformes annoncées le 26 octobre et l'apparition d'un consensus sur la nomination de Mario Monti à la tête d'un gouvernement technique pour enregistrer une baisse des taux.
Cette accalmie ne pourrait néanmoins n'être que passagère tant des doutes subsistent sur les réformes du marché du travail et des retraites.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que la contagion à l'Italie de la crise de la dette, irrationnelle à certains égards, représente un danger pour la zone euro. Certes, celle-ci a renforcé, le 26 octobre, ses moyens d'intervention. Les réponses qu'elle a tenté d'apporter au risque de crise de liquidités, s'avèrent néanmoins, à l'heure actuelle, encore suffisamment imprécises pour juguler définitivement le problème de la dette souveraine.
M. Simon Sutour, président. - Alors qu'il y a un an la crise de la dette souveraine ne concernait que la Grèce et l'Irlande, la situation prend désormais une autre ampleur avec les menaces qui pèsent aujourd'hui sur l'Italie, dont le poids économique au sein de la zone euro est énorme.
M. Aymeri de Montesquiou. - Je souhaitais m'attarder sur l'importance des entreprises exportatrices italiennes. Le nombre de PME exportatrices dans la péninsule est en effet deux fois supérieur à celui de l'Allemagne et trois fois à celui de la France. Au Kazakhstan, le champ pétrolifère du Kashagan a été concédé au géant italien ENI pour 130 milliards d'euros. Cette société a souhaité sous-traiter 60 % de l'exploitation de ce terrain à des PME italiennes. Celles-ci arrivent à capter un certain nombre de parts de marchés parce qu'elles savent s'associer, à l'image du consortium Finmeccanica. Elles chassent en meute ! Le rapporteur indique pourtant dans son propos qu'il existe des freins à l'internationalisation des PME italiennes, quels sont-ils ?
M. Jean-François Humbert. - Si le succès à l'export des entreprises italiennes est patent, notamment dans le secteur textile, je souhaitais néanmoins souligner que l'État n'a pas encouragé une telle internationalisation et qu'il restait un certain nombre d'obstacles à l'utilisation optimale des capacités exportatrices de l'industrie italienne. Je pense à l'absence d'aide à la recherche et développement ou aux difficultés à accéder aux marchés financiers. La frilosité des banques locales mais aussi la gestion familiale de certaines de ces entreprises peuvent également apparaître comme des obstacles.
M. Aymeri de Montesquiou. - Les atouts industriels du nord du pays devraient tempérer les craintes concernant les investissements des banques françaises en Italie. Pourtant, certains comparent l'exposition des banques françaises à la dette italienne à leur exposition à la dette grecque. Qu'en est-il réellement ?
M. Jean-François Humbert. - Une telle comparaison peut apparaître hasardeuse tant, je le répète, les fondamentaux économiques ne sont pas les mêmes. Je relèverai simplement que les montants sont plus importants en Italie : 24 milliards d'euros pour la BNP Paribas en Italie contre 5 en Grèce par exemple.
M. Jean-Paul Emorine. - La présentation de la situation italienne par le rapporteur peut quelque peu nous rassurer. Nous sommes effectivement loin d'une situation à la grecque. Certes, la dette publique rapportée au PIB atteint un niveau alarmant mais il convient de prendre en compte le faible endettement des ménages et des entreprises. Ce dernier est en effet moins important que dans nombre de pays qui ne disposent pas des mêmes atouts industriels.
On sent bien que la crise italienne est avant tout une crise de confiance à l'égard des autorités. Le nouveau président du Conseil, Mario Monti, que j'ai pu rencontrer en juillet dernier, devrait permettre assez vite de tourner la page et appliquer une politique adaptée. Qu'il s'attaque notamment à l'économie informelle qui représente 17 % du PIB, soit 260 milliards d'euros !
Jean Monnet disait que l'important, ce n'est ni d'être optimiste, ni d'être pessimiste mais d'être déterminé. Si l'Italie est déterminée elle dépassera rapidement ses difficultés.
M. Richard Yung. - Je ne suis pas non plus pessimiste pour l'Italie, qui dispose d'atouts économiques indéniables. En économie comme en sport, il y a toujours un Italien sur le podium ! En Algérie, leurs entreprises du BTP viennent ainsi d'emporter de très nombreux marchés, au détriment des sociétés françaises d'ailleurs. Les PME italiennes chassent en meute avec succès, sans besoin réel d'aides d'État.
Le rapporteur s'est attardé sur la solidité du secteur bancaire local. Satisfait-elle au fameux ratio de fonds propres de 9 % ?
M. Jean-François Humbert. - L'Autorité européenne des Banques a récemment indiqué qu'il manquait 14,8 milliards d'euros aux établissements italiens dits systémiques pour atteindre ce ratio.
M. Simon Sutour, président. - Notre récent déplacement en Croatie corrobore les propos de nos collègues Montesquiou et Yung, les entreprises italiennes connaissent beaucoup de succès à l'international.
M. Jean Bizet. - Je souhaitais souligner le fait que, face à ce type de crise, la solution fédérale était de plus en plus admise par un certain nombre d'États membres. Nous avons trop mésestimé l'importance d'une gouvernance économique de la zone lorsque nous avons lancé le projet de monnaie unique dans les années quatre-vingts. Elle prend aujourd'hui tout son sens.
Il convient également de réfléchir, au sein du couple franco-allemand mais pas seulement, au rôle que sera amené à jouer la Banque centrale européenne. Son cahier des charges limite son rôle à la lutte contre l'inflation. Or, le Fonds européen de stabilité financière, même doté d'un véhicule spécial destiné à accueillir les fonds des pays émergents, ne peut faire face à une crise de liquidités en Italie. Il faut donc songer à impliquer un peu plus la BCE dans la gestion de la dette de l'ensemble de la zone euro, à l'image de ce que fait la Fed ou la Banque d'Angleterre. Rappelons que celle-ci détient 322 milliards de titres britanniques alors que la BCE n'a acquis 187 milliards de titres de pays de la zone euro.
M. Michel Delebarre. - Contrairement à la Grèce, l'Italie dispose en effet de fondamentaux solides. On peut de fait regretter que la crise politique ait par trop duré et ait conduit à une telle panique sur les marchés financiers.
Mme Bernadette Bourzai. - Au delà de la crise économique, le rapporteur a bien souligné le décalage profond existant entre le nord et le sud du pays. Cette différence économique criante peut susciter des inquiétudes quand au maintien à terme de la cohésion nationale.
M. Éric Bocquet. - La situation italienne n'est pas sans nous laisser songeur quant à notre propre situation ! Je suis frappé de voir depuis quelques jours que la réponse à la crise de la dette consiste en la mise en place de gouvernements dits techniques. C'est le cas notamment en Italie. Ces gouvernements d'experts dépasseraient de fait les clivages politiques. Mais il me semble pourtant que gouverner, c'est choisir et qu'aucun programme n'est totalement neutre. Je ne suis pas convaincu que la solution à la crise soit le fait d'experts, au regard notamment d'un passé récent. Que l'on songe à la banque Goldmann Sachs par exemple !
*
A l'issue du débat, la commission a décidé d'autoriser la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 113.
Économie, finances et fiscalité
Nouvelles règles pour les aides
publiques aux services d'intérêt économique
général (SIEG)
Proposition de
résolution de M. Bernard Piras
M. Bernard Piras. - Le sujet dont j'ai été chargé concerne directement chacune de nos collectivités territoriales, et plus particulièrement le financement de nos services publics locaux. Chaque fois que nous accordons une subvention à une association, que nous déléguons la gestion d'un service public à un opérateur ou que nous passons un marché public de services, nous sommes susceptibles de relever de la législation communautaire en matière de concurrence, et plus particulièrement d'aides d'État.
Je résumerai les enjeux sous la forme de trois questions :
Dans quelles conditions les pouvoirs publics peuvent-ils aider à la fourniture de services publics relevant d'une activité économique ? A partir de quel moment cette aide est constitutive d'une aide d'État ? A quelles conditions une telle aide d'État peut-elle être autorisée par les traités européens ?
Ces trois questions sont actuellement réglées par la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier l'arrêt Altmark du 24 juillet 2003, et ce que l'on appelle dans le jargon européen le paquet « Monti-Kroes » de 2005. La Commission européenne a présenté le 16 septembre dernier un paquet législatif composé de quatre textes tendant à réviser le paquet « Monti-Kroes ». Ce sont ces propositions que nous devons examiner aujourd'hui. Le calendrier est serré puisque la Commission européenne s'est fixé pour objectif leur adoption définitive avant la fin du mois de janvier 2012. Détail important, la Commission européenne statue seule dans cette affaire, les États membres et le Parlement européen étant simplement consultés.
Avant d'aller plus loin, un rapide retour sur l'état du droit est nécessaire.
La prise en compte de la spécificité des services publics par rapport aux lois du marché intérieur est un débat très ancien, la France ayant toujours été à la pointe. Chaque révision des traités a permis de faire avancer la reconnaissance de cette spécificité. L'adoption du traité de Lisbonne a permis de nouvelles avancées. Le protocole n° 26 annexé au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne affirme ainsi le pouvoir discrétionnaire des autorités publiques pour fournir et organiser les services d'intérêt économique général (SIEG).
Toutefois, malgré les progrès réalisés pour affirmer la place singulière des services publics au sein du marché intérieur, une grande confusion et des incertitudes perdurent pour savoir quelles sont les règles applicables.
Pourquoi de telles difficultés ?
Tout d'abord, il y a la terminologie communautaire qui ne colle pas aux notions françaises habituelles. Quelques exemples parlent d'eux-mêmes.
Une « entreprise » au sens communautaire n'est pas une entreprise, mais un opérateur, public ou privé, à but lucratif ou non, qui gère un service public.
Un « service d'intérêt économique général » - SIEG - est une activité économique sur un marché potentiel confiée à un opérateur chargé d'obligations de service public.
Ensuite, ces notions ont des contours flous. La Commission européenne se refuse à définir précisément ce que sont les SIEG. Selon l'environnement économique, les traditions des États membres ou le contexte juridique, une prestation de services sera considérée ou non comme un SIEG.
Enfin, les SIEG sont soumis à un régime mixte. Les dispositions des traités en matière de concurrence s'appliquent aux SIEG, mais seulement dans la mesure où elles ne font pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie (article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union.
Cette architecture a abouti à une construction excessivement complexe, d'autant plus que sa mise en oeuvre est à la charge de milliers d'autorités locales qui ne possèdent pas toujours les moyens de la maîtriser.
Le tableau ci-après, je l'espère, vous aidera à comprendre le système actuel. Bien que schématique, et donc forcément incomplet, il présente l'état du droit ainsi que les principales modifications proposées par la Commission européenne.
(Ce tableau est accessible dans le document pdf consultable en haut de la présente page).
Adopté en 2005, le paquet dit « Monti-Kroes » a représenté sur le plan politique une véritable avancée en donnant une base juridique aux interventions économiques des collectivités territoriales au regard du droit communautaire de la concurrence.
Toutefois, cet ensemble de trois textes n'a pas résolu toutes les difficultés, loin de là. En réalité, depuis son adoption, la Commission européenne a multiplié les communications ou guide pratique pour mieux faire connaître et comprendre les règles du jeu. Elle a même ouvert un service d'information interactif pour répondre aux questions des acteurs de terrain. Je serais tenté de dire en vain, car le ressenti ne s'est pas amélioré. Du côté français, un effort similaire de pédagogie a été fait via des circulaires ou des guides élaborés par les associations d'élus.
Mais le problème ne se réduit pas à un déficit de clarté et de communication. Des difficultés de fond existent, la Commission européenne ne parvenant pas à abandonner son mode de raisonnement habituel en matière de concurrence. Elle calque ses concepts sur des services publics locaux qui n'ont pas grand-chose à voir avec des entreprises actives sur le marché intérieur... Ainsi, la notion-clé de l'affectation des échanges entre États membres ne dépend pas, selon les termes de la Commission, du « caractère local ou régional du service fourni ou du niveau de l'activité concernée ».
Enfin, comme me l'a expliqué le représentant de la fédération des entreprises publiques locales, il existe un fort aléa moral. En cas de non-application de ces règles par les autorités publiques, le risque financier pèse quasi-exclusivement sur les opérateurs qui risquent de voir leurs compensations de service public requalifiées en aides d'État. Et par conséquent être dans l'obligation de rembourser le trop-perçu.
Consciente de ces imperfections, la Commission européenne a annoncé le 3 mars 2011 sa volonté de réviser le paquet « Monti-Kroes ». La « clarification », la « simplification » et « une approche différenciée et proportionnée » étaient les objectifs affichés.
Tenant ses engagements, la Commission a donc présenté le 16 septembre 2011 un nouveau paquet soumis à consultation. Il se compose de quatre documents : une communication, une proposition de règlement de minimis spécifique aux SIEG, une nouvelle proposition de décision d'exemption de notification et un projet d'Encadrement communautaire des aides d'État sous forme de compensations de service public.
Quelles seraient les modifications introduites par ces textes ?
Premier changement : l'adoption d'un règlement de minimis spécifique aux SIEG
Rappel : jusqu'à présent, le règlement n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 dit règlement « de minimis » est applicable à l'ensemble des aides octroyées par une entité publique à une entreprise, les entreprises chargées d'un SIEG n'étant qu'une catégorie parmi d'autres. Schématiquement, selon ce règlement, les aides octroyées à une entreprise ne sont pas considérées comme des aides d'État dès lors que leur montant brut total n'excède pas 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux. Le raisonnement est qu'en dessous de ce seuil, les aides ne sont pas susceptibles d'affecter le commerce intra-communautaire.
La Commission européenne propose l'adoption d'un règlement de minimis spécifique aux entreprises chargées d'un SIEG. Ce texte ne se substituerait pas au règlement de minimis du 15 décembre 2006 qui demeurerait invocable pour des SIEG n'entrant pas dans les critères du règlement spécifique aux SIEG. En revanche, une entreprise chargée d'un SIEG ne pourrait pas invoquer simultanément les deux règlements et cumuler les aides de minimis.
La Commission européenne propose trois critères cumulatifs pour considérer qu'une aide à un SIEG n'est pas une aide d'État :
- l'aide doit être octroyée par des autorités locales représentant une population de moins de 10 000 habitants ;
- son montant total ne doit pas excéder 150 000 euros par exercice fiscal (ce qui porte à 450 000 euros sur trois ans le seuil de minimis contre 200 000 euros aujourd'hui) ;
- le chiffre d'affaires annuel moyen avant impôts de l'entreprise bénéficiaire, toutes activités confondues (SIEG et hors SIEG), n'a pas dépassé 5 millions d'euros au cours des deux exercices fiscaux précédant celui de l'octroi de l'aide.
En première analyse, il faut accueillir favorablement cette initiative qui témoigne d'une approche différenciée des SIEG. Toutefois, plusieurs difficultés sont pointées :
- la coexistence de deux régimes de minimis ne simplifie pas la lisibilité des règles pour les acteurs locaux et leur articulation sera délicate ;
- les trois critères cumulatifs sont complexes et restreignent le champ d'application des règles de minimis (en particulier le seuil des communes de 10 000 habitants, alors même que le développement de l'intercommunalité rend ce seuil de moins en moins effectif).
Deuxième changement : Une nouvelle décision d'exemption de notification
Rappel : la décision de la Commission du 28 novembre 2005 définit les cas dans lesquels une compensation de service public constitutive d'une aide d'État peut être malgré tout exemptée d'une notification préalable à la Commission européenne. Les principaux cas visés sont :
- les compensations d'un montant annuel inférieur à 30 millions d'euros lorsque l'entreprise a un chiffre d'affaires inférieur à 100 millions d'euros ;
- les entreprises chargées de la gestion de logements sociaux, de certains hôpitaux et de certains ports ou aéroports.
Le raisonnement est que dans certains secteurs ou en deçà d'un certain montant, une aide d'État octroyée à un SIEG ne porte pas atteinte au développement des échanges et à la concurrence dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt de l'Union. Les échanges intra-communautaires sont affectés mais dans une mesure admissible compte tenu de l'enjeu de service public.
Cette exemption de notification ne signifie pas absence de contrôle. Les États membres doivent procéder à des contrôles réguliers afin de s'assurer que les entreprises ne bénéficient pas de surcompensation. En cas de surcompensation, celle-ci doit être remboursée par l'entreprise. Si la surcompensation ne dépasse pas 10 % du montant de la compensation, elle peut être déduite de la compensation pour l'année suivante.
La Commission européenne propose l'adoption d'une nouvelle décision qui se substituerait à la décision du 28 novembre 2005. Les cas d'exemption seraient désormais les suivants :
- la compensation est d'un montant annuel inférieur à 15 millions d'euros (contre 30 millions aujourd'hui, mais sans condition de chiffre d'affaires) ;
- la compensation est octroyée à des hôpitaux fournissant des soins médicaux ou à des services répondant à des besoins sociaux essentiels, tels que les soins de santé, la garde d'enfants, l'accès au marché du travail, le logement social et l'inclusion sociale des groupes vulnérables ;
- la compensation est octroyée aux aéroports et ports dont le trafic n'a pas dépassé respectivement 200 000 et 300 000 passagers (contre un seuil actuel de 1 million de passagers).
En outre, la décision d'exemption ne serait applicable que si l'entreprise s'est vue confier le SIEG pour une durée n'excédant pas dix ans. Les mandats de plus longue durée ne seraient couverts que dans le cas où l'entreprise doit consentir un investissement important nécessitant un long amortissement.
Enfin, la méthode de calcul de la juste compensation est modifiée et les États membres seraient obligés de procéder à des contrôles réguliers au minimum tous les trois ans. Cette périodicité imposée est une nouveauté.
Là encore, cette décision laisse un goût très mitigé.
L'abaissement du seuil de 30 millions à 15 millions d'euros n'est pas justifié par la Commission européenne. Il en va de même pour l'abaissement du seuil de trafic des aéroports et ports. Une simple note de bas de page évoque des difficultés dans certains secteurs comme les déchets ou l'assainissement. C'est très léger.
En outre, la proposition ne simplifie pas les règles en matière de calcul de la compensation et alourdit la charge administrative en instaurant une obligation de contrôle des surcompensations tous les trois ans. Surtout, en changeant à nouveau les règles de calcul, les autorités locales devront fournir un effort important d'apprentissage alors même que les règles actuelles, déjà complexes, commencent seulement à être maîtrisées correctement.
En revanche, un point positif est l'exemption dont bénéficieront tous les services sociaux d'intérêt général. On peut toutefois s'interroger sur l'opportunité de recourir au qualificatif de « services répondant à des besoins sociaux essentiels ». Cette expression est inédite et sa plus-value par rapport à celle bien connue de services sociaux d'intérêt général (SSIG) n'est pas évidente. Une autre interrogation est de savoir si la liste de SSIG doit être considérée comme exhaustive.
Je répète enfin que l'exemption de notification n'est nullement synonyme d'un blanc-seing. Certes, beaucoup de services sociaux d'intérêt général ne seraient plus soumis à notification. Ils n'en demeureraient pas moins soumis à toutes les autres règles sur les aides d'État aux SIEG. La Commission européenne pourrait d'ailleurs s'en ressaisir.
Troisième changement : Un Encadrement communautaire remanié
Rappel : l'Encadrement communautaire des aides d'État sous forme de compensations de service public du 19 novembre 2005 précise à quelles conditions les aides d'État à des SIEG notifiés à la Commission européenne peuvent être compatibles avec les traités. Une aide d'État est compatible si elle respecte les trois premières conditions posées par l'arrêt Altmark :
- mandatement revêtant la forme d'un acte officiel (convention, règlement...) et précisant la nature des obligations de service public et des avantages ou droits spéciaux octroyés au prestataire en contrepartie ;
- montant de la compensation ne dépassant pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;
- pas de surcompensation, mais report admis sur la compensation de l'année suivante lorsque la surcompensation ne dépasse pas 10 %. Au-delà, obligation de rembourser la surcompensation
La Commission européenne propose de modifier l'Encadrement qui expire le 29 novembre 2011. Le nouveau texte révise assez profondément l'esprit du texte en vigueur en renforçant le contrôle de la Commission européenne sur l'opportunité de la création d'un SIEG et sur les modalités de sa gestion, en contradiction avec les principes de subsidiarité et de proportionnalité affirmés par le protocole n° 26 au TFUE. L'Encadrement disposerait notamment :
a) qu'un SIEG ne peut être créé si le marché peut répondre aux besoins dans des conditions satisfaisantes pour l'intérêt général ;
b) que la création d'un SIEG devrait être obligatoirement précédée d'une consultation publique afin d'évaluer l'intérêt et les besoins des utilisateurs ;
c) que le recours à une procédure de marché public (4ème critère Altmark) est désormais un critère de compatibilité de l'aide d'État ;
d) qu'un critère d'efficience des SIEG doit être pris en compte pour évaluer leur compatibilité. En particulier, la méthode de calcul de la compensation devrait contenir des mesures incitatives pour favoriser l'efficience des SIEG.
Les deux premiers points posent des difficultés importantes au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ainsi que du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. En outre, la définition donnée d'un SIEG ne devrait pas figurer dans l'Encadrement mais dans le projet de Communication qui définit les concepts transversaux. Au surplus, la définition de l'Encadrement n'est pas identique à celle de la Communication. L'articulation de ces deux documents clefs est confuse, alors même que l'objectif recherché devrait être la clarté.
On observe aussi que ce projet d'Encadrement aboutit en définitive à ajouter des conditions et des critères, parfois contradictoires, ce qui devrait compliquer encore l'application quotidienne du régime des aides d'État par les collectivités. La complexité des calculs de la juste compensation et le risque corrélatif pour les entreprises de devoir rembourser une éventuelle surcompensation sont contreproductifs.
En outre, la Cour de justice de l'Union a jusqu'à présent estimé que l'efficience des SIEG ne relevait pas de la compétence de l'Union au titre de la politique de la concurrence. La Commission européenne semble donc s'engager sur un terrain sur lequel elle n'a pas compétence. D'autant que, il faut le rappeler, l'Encadrement fixe la doctrine de la Commission, mais que ce document n'a pas de valeur législative.
Enfin, en demandant le recours à des procédures de marché public, la Commission semble faire du quatrième critère de l'arrêt Altmark, qui est un critère de qualification d'aide d'État, un critère de compatibilité des aides d'État. En effet, en toute rigueur, si les quatre critères de l'arrêt Altmark sont réunis (mandat, calcul juste de la compensation, pas de surcompensation et sélection par marché public), l'aide n'est pas une aide d'État. On ne peut donc pas juger de sa compatibilité avec les règles de concurrence.
Le quatrième changement porte sur la Communication. Rapidement, je dirai qu'un effort de pédagogie a été fait pour définir ce qu'est un service d'intérêt économique général, mais que la clarification n'est pas évidente pour autant.
Pour conclure cette présentation, je dirai quelques mots du contexte de négociation. Comme je vous l'ai dit, la Commission européenne statue seule et vite dans cette affaire. Néanmoins, les premières consultations ont montré que le gouvernement français, qui est très réservé sur l'équilibre général de ces propositions, n'est pas isolé. D'autres États membres partagent les préoccupations françaises, à commencer par l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche, l'Espagne et la Hongrie. La Pologne et les Pays-Bas ont aussi des interrogations.
Du côté des associations d'élus, il y a un front commun pour dénoncer les insuffisances de ces propositions. Le Parlement européen a également adopté hier une résolution qui pointe plusieurs des problèmes que j'ai évoqués.
L'ensemble de ces éléments me conduisent à vous présenter une proposition de résolution qui vous a été transmise hier. Elle tient compte à la fois de l'analyse des documents de la Commission et des positions antérieures du Sénat sur ces questions. Je rappellerai notamment deux résolutions européennes du 23 mars 2005 et du 30 avril 2009 réclamant une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général. Notre collègue Catherine Tasca avait été à l'initiative de la résolution du 30 avril 2009 et avait été l'auteur précédemment de deux rapports d'information sur les SIEG au nom de notre commission. Enfin, je citerai le récent rapport d'information du 28 juin 2011 de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, MM. André Lardeux et Paul Blanc, au nom de la commission des affaires sociales, sur l'influence du droit communautaire des aides d'État sur le financement des services sociaux par les collectivités territoriales.
Le ton de la résolution européenne est délibérément offensif. Sans contester les compétences claires de la Commission, il faut néanmoins marquer notre désaccord sur cette façon de n'aborder les services publics que sous l'angle d'exceptions aux règles du marché intérieur. Les quelques avancées contenues dans ces propositions ne suffisent pas à masquer les objectifs non tenus.
Enfin, si notre commission en est d'accord, je vous propose de transmettre la position de notre commission à la Commission européenne par la voie de ce que l'on appelle le « dialogue Barroso ». Les résolutions européennes sont adressées formellement au seul Gouvernement. Le « dialogue Barroso » est une procédure qui permet d'adresser directement nos positions à la Commission européenne, celle-ci s'engageant à nous répondre.
M. Aymeri de Montesquiou. - Je remercie le rapporteur de son sacrifice. L'aridité et la technicité du sujet sont effrayantes. Je demande au nom du groupe de l'Union centriste et républicaine un moratoire pour comprendre la proposition de résolution européenne qui nous est soumise.
M. Michel Delebarre. - Je veux souligner l'importance du sujet. Derrière les mécanismes très complexes de la législation relative aux aides d'État, il y a le risque d'une remise en cause de nombreuses compétences de nos collectivités territoriales.
La difficulté reste la compréhension du fond du problème ainsi que de la proposition de résolution qui est complexe.
Je serais tenté par une simplification de la résolution afin que son message, globalement très négatif, soit mieux compris par la Commission européenne. Celle-ci sait parfaitement que la France est le pays où la conception des services publics est la plus en porte-à-faux par rapport à la vision bruxelloise.
M. Yann Gaillard. - La tonalité générale de la proposition de résolution est clairement opposée aux propositions de la Commission européenne. Il n'y a pas de difficultés particulières de compréhension. En revanche, il faut demander à la Commission européenne des délais plus longs.
M. Bernard Piras. - Malheureusement, il y a peu de chance que cette requête aboutisse. La Commission européenne veut clore ce dossier fin janvier, le paquet « Monti-Kroes » expirant fin novembre. Il sera seulement prorogé de deux mois.
M. Simon Sutour. - Je rappelle que cette proposition de résolution va être transmise à la commission de l'économie, ce qui donne à notre assemblée un temps d'examen supplémentaire. En revanche, si notre commission retarde l'adoption de la résolution, elle ne sera pas transmise à la commission de l'économie qui ne pourra donc pas l'examiner dans des délais utiles au regard du calendrier européen.
M. Michel Billout. - La proposition de résolution est très dense et fournie, mais le ton général va dans le bon sens. Il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point.
M. Jean-Paul Emorine. - La proposition de résolution est complexe, mais le sujet l'est aussi. Le tableau qui nous a été distribué simplifie beaucoup la présentation.
M. Richard Yung. - Je comprends les hésitations à adopter tout de suite cette résolution longue et complexe. Mais on sent aussi que la Commission européenne ne parvient toujours pas à accepter le modèle français des services publics. La résolution exprime bien notre demande d'une meilleure prise en compte de notre spécificité. On pourrait ajouter la demande d'une directive-cadre sur les services d'intérêt économique général.
M. Simon Sutour. - Je vous propose que le rapporteur lise toute la proposition de résolution. Si un passage ne vous semble pas clair ou si vous avez un désaccord, n'hésitez pas à l'interrompre.
Le rapporteur donne lecture de la proposition de résolution.
M. Jean Bizet. - Peut-être pourrait-on mentionner à la toute fin le souhait d'une directive-cadre ?
M. Michel Delebarre. - A l'alinéa n° 17, il pourrait être mentionné au moins un exemple d'avancée positive, même si on se demande s'il y en a une seule !
M. Simon Sutour. - Ces deux modifications sont intégrées. A l'avenir, il faudra dans la mesure du possible vous transmettre plus tôt les propositions de résolution. L'urgence de ce sujet essentiel pour nos collectivités commandait ces délais un peu serrés.
*
A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 14, 106 et 107 ainsi que le protocole n° 26 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne rendu le 24 juillet 2003 dans l'affaire Altmark, qui définit quatre critères cumulatifs permettant de considérer qu'une compensation financière à un SIEG n'est pas constitutive d'une aide d'État,
Vu les quatre documents de la Commission européenne soumis à consultation publique le 16 septembre 2011, à savoir :
- le projet de Communication de la Commission relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État aux compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général, qui clarifie les concepts,
- le projet de Communication de la Commission intitulée « Encadrement de l'Union européenne applicable aux aides d'État sous forme de compensations de service public », qui définit à quelles conditions une compensation constitutive d'une aide d'État à un SIEG et notifiée à la Commission européenne est compatible avec les règles de la concurrence,
- la proposition de Décision de la Commission tendant à exempter de notification à la Commission certaines compensations de service public constitutives d'aides d'État,
- la proposition de règlement de la Commission établissant un règlement « de minimis » spécifique aux services d'intérêt économique général, qui définit les seuils en deçà desquels une compensation à un SIEG est considérée ne pas affecter les échanges entre les États membres et par voie de conséquence ne pas constituer une aide d'État,
Considérant que ces quatre textes doivent se substituer au paquet dit « Monti-Kroes » de 2005 qui expire au 29 novembre 2011 et qui définit dans quelles conditions les opérateurs chargés d'un service d'intérêt économique général par des autorités publiques (État et collectivités territoriales) peuvent recevoir des compensations financières pour faire face à leurs obligations de service public,
Considérant que, conformément aux articles 106 et 107 du TFUE, la Commission européenne statue seule, après une simple consultation des États membres, et qu'elle a annoncé une entrée en vigueur de ce nouveau paquet législatif au plus tard le 31 janvier 2012,
Considérant la demande forte et constante des collectivités territoriales françaises pour des règles plus simples, plus claires et mieux adaptées à la réalité des services publics locaux,
Considérant que le Sénat a plusieurs fois appelé de ses voeux une directive-cadre relative aux services publics, laquelle ne saurait se borner à la seule question de la compatibilité de leur financement au regard des règles de la concurrence,
Sur l'équilibre d'ensemble des propositions :
- déplore que les objectifs annoncés de simplification et de clarification ne soient pas tenus ;
- constate au contraire que la Commission européenne ajoute de nouveaux critères pour juger de la légalité des aides d'État aux SIEG et qu'elle complique la définition de notions qui commençaient seulement à être maîtrisées par les acteurs de terrain,
- regrette que les quelques avancées positives (notamment l'exemption de notification pour certains SIEG) s'arrêtent à mi-chemin, de telle sorte qu'elles sont peu opérationnelles ou source d'incertitude,
- craint que certains opérateurs soient découragés de continuer à fournir des SIEG compte tenu de l'insécurité juridique accrue,
- rappelle que les traités reconnaissent le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales et locales pour fournir des SIEG, et non un simple « large pouvoir d'appréciation » comme le répète la Commission européenne,
- estime que l'article 106 du TFUE est la base juridique adéquate pour réviser le paquet « Monti-Kroes », mais juge que cet article ne fournit pas la base juridique nécessaire à certaines dispositions qui excèdent manifestement le strict champ du contrôle des aides d'État,
- observe que les projets de décision et d'Encadrement ne sont pas suffisamment motivés,
- formule la demande d'une directive-cadre relative aux SIEG, voire aux seuls services sociaux d'intérêt général, qui pourrait être adoptée sur la base de l'article 14 du TFUE selon la procédure législative ordinaire,
Sur le règlement de minimis spécifique aux SIEG :
- accueille favorablement cette initiative qui prend en compte les spécificités des SIEG par rapport aux autres secteurs d'activités,
- estime néanmoins que les critères cumulatifs retenus pour considérer qu'une aide à un SIEG n'est pas une aide d'État réduisent considérablement la portée effective de ce règlement,
- craint également une articulation délicate entre ce règlement et le règlement de minimis général du 15 décembre 2006,
- demande le retrait de la condition de taille de la collectivité,
- propose de retenir comme critère unique le montant de l'aide - au moins 450 000 euros - calculé sur trois ans,
Sur la décision d'exemption de notification des aides à la Commission européenne :
- ne comprend pas les raisons qui pourraient justifier l'abaissement du seuil, en deçà duquel les compensations n'ont pas à être notifiées, de 30 millions à 15 millions d'euros,
- se réjouit en revanche de la reconnaissance de la spécificité des services sociaux d'intérêt général qui bénéficieraient de l'exemption de notification,
- s'interroge néanmoins sur le recours à l'expression de « services répondant à des besoins sociaux essentiels » en lieu et place de celle bien connue de services sociaux d'intérêt général ainsi que sur l'opportunité d'énumérer une liste de ces services,
- souhaite à défaut que cette liste soit expressément indicative et non exhaustive,
- constate enfin que, contrairement à l'objectif d'allègement des charges administratives, les États membres seraient contraints de contrôler plus fréquemment l'absence de surcompensation,
Sur la Communication :
- remarque un effort de clarification des concepts, qui reste malgré tout insuffisant et n'atteint pas toujours son objectif,
- demande que soit expressément précisé que le quatrième critère de la jurisprudence Altmark du 24 juillet 2003 est satisfait dès lors que l'opérateur a été sélectionné par tout type de procédure de mise en concurrence conforme aux principes des traités, comme la délégation de service public,
Sur le projet de communication intitulé « Encadrement communautaire » :
- souligne que ce document, qui n'a pas de valeur juridique propre, doit se borner à expliciter la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne,
- considère que toute disposition qui irait au-delà n'y a pas sa place,
- juge contraire au principe de subsidiarité la proposition de la Commission européenne de subordonner la création d'un SIEG à la preuve de son utilité, notamment par le biais d'une consultation publique préalable,
- estime que la Commission européenne commet un contresens en érigeant le recours à une procédure de marché public en critère de compatibilité des aides d'État aux SIEG, alors même que la Cour de justice de l'Union européenne dans sa jurisprudence Altmark du 24 juillet 2003 en a fait un critère de qualification d'aide d'État,
- s'oppose à l'introduction d'un critère d'efficacité et de qualité des SIEG pour juger de la compatibilité d'une aide, cet aspect ne relevant manifestement pas du contrôle des aides d'État,
- compte tenu de l'ensemble des observations qui précèdent, demande au Gouvernement de marquer fermement son opposition à l'adoption, en l'état, de ces quatre textes et réitère son voeu d'une directive-cadre relative aux services d'intérêt économique général.
Jeudi 17 novembre 2011
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Justice et affaires intérieures
Contrôles temporaires aux
frontières de l'espace Schengen
Proposition de
résolution de Mme Catherine Tasca
Mme Catherine Tasca. - Cette proposition de règlement tend à modifier les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles.
Elle est l'un des éléments d'un « paquet » sur la gouvernance de Schengen, que la Commission européenne a présenté, le 16 septembre 2011, en réponse aux demandes du Conseil européen du 24 juin 2011. Ce paquet comprend deux autres textes :
- une communication intitulée « Gouvernance de Schengen - Renforcer l'espace sans contrôle aux frontières intérieures », qui souligne l'importance de la libre circulation, propose de confier la gouvernance de Schengen à l'Union européenne et fait valoir la nécessité d'aller plus loin que les règles actuelles en reconnaissant que de simples lignes directrices pour la mise en oeuvre de ces règles ne seraient pas suffisantes ;
- une proposition de règlement portant création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi destiné à contrôler l'application de l'acquis de Schengen, qui renforcerait le rôle de la Commission européenne dans l'évaluation ;
I/ Quel est le contexte ?
1/ Le fonctionnement de l'espace Schengen
L'espace Schengen est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières intérieures pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée.
Afin de garantir la sécurité au sein de l'espace Schengen, la coopération et la coordination entre les services de police et les autorités judiciaires ont été renforcées. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. L'espace Schengen regroupe vingt-six Etats, dont 22 Etats membres de l'Union. Chypre ayant demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie sont les derniers nouveaux Etats membres à faire l'objet d'une procédure d'évaluation en vue de leur entrée dans l'espace Schengen.
L'agence FRONTEX est chargée de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen. En novembre 2010, l'opération dite RABIT (Rapid Border Intervention Teams) a permis de déployer en Grèce près de 200 gardes frontières provenant de l'ensemble des Etats membres. Une récente réforme tend à renforcer les capacités opérationnelles de FRONTEX et à développer ses possibilités d'assistance effective aux Etats membres.
L'esprit de Schengen veut qu'un Etat membre assume la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures pour le compte de l'ensemble des autres Etats membres. C'est pourquoi la confiance mutuelle est essentielle. C'est aussi pour cette raison que le mécanisme d'évaluation mis en place doit être réellement efficace. Dans sa nouvelle proposition, la Commission européenne propose que son rôle soit renforcé, que des visites inopinées soient possibles, qu'il y ait des évaluations thématiques et régionales. Ce renforcement de la dimension communautaire de l'évaluation me semble indispensable. Il faut souligner que ces évaluations sont effectuées par la méthode dite de « comitologie » qui associe experts et Etats concernés.
Notre commission a elle-même pris toute la mesure des enjeux attachés à un bon fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, commun avec notre homologue de l'Assemblée nationale, dont Richard Yung et Jean-René Lecerf sont les co-rapporteurs.
2/ L'argument des récentes migrations en provenance de Tunisie à l'appui des demandes de révision du « code frontières Schengen ».
Dès l'origine, une clause de sauvegarde a été prévue dans les accords de Schengen, permettant aux Etats de rétablir les contrôles à leurs frontières dans deux situations.
Le règlement établissant le « code frontières Schengen » prévoit en premier lieu la possibilité de réintroduire de façon urgente et exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures dans les « cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. » Cette possibilité relève de l'initiative d'un Etat membre et sa durée est limitée à une période maximale de trente jours (ou à la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours).
En second lieu, dans les cas d'évènements prévisibles, tel un sommet international, comme le G20, ou une manifestation sportive ou culturelle de grande dimension, l'information préalable des Etats membres et de la Commission est requise dès que possible. Une procédure de consultation est alors engagée. La Commission peut émettre un avis.
Lorsque la menace se prolonge au-delà de cette durée, l'Etat membre peut maintenir les contrôles pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. La Commission indique qu'il y a eu 26 cas de réintroduction des contrôles depuis 2006, tous pour une durée de moins de trente jours et en général pour une durée bien plus courte ne dépassant pas cinq jours.
La prolongation par l'Etat-membre des contrôles aux frontières intérieures requiert une information des Etats membres et de la Commission. Le Parlement européen est informé « dès que possible ». Un rapport est transmis après la levée des contrôles au Parlement, au Conseil et à la Commission.
La décision des autorités italiennes de délivrer aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie entre les mois de janvier et d'avril 2011 des titres de séjour provisoires d'une durée de six mois, pour raisons humanitaires, a soulevé une polémique artificielle ou, pour le moins disproportionnée, sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l'espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité intra-européenne en matière de gestion des flux migratoires.
Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République Française et le président du Conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements des règles applicables à l'espace Schengen (code frontières Schengen) incluant la possibilité, en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes, de rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures. Le Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 a appelé la Commission européenne à présenter des propositions législatives avant la fin septembre.
II/ Quels changements propose la Commission européenne ?
Dans le prolongement de la communautarisation de la convention de Schengen par le traité d'Amsterdam en 1997, la Commission européenne entend « européaniser » la procédure de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, y compris dans les cas actuellement prévus de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. Ainsi, il appartiendrait à la Commission européenne, dans le cadre de la « comitologie » qui permet d'associer les Etats membres, de décider la réintroduction du contrôle aux frontières et sa prolongation éventuelle.
La décision de réintroduction des contrôles pourrait être prise, pour une durée de trente jours maximum (ou pour la durée prévisible de la menace si elle est plus longue) renouvelable dans la limite de six mois.
Dans les cas de manquements graves persistants dans la gestion des frontières extérieures, et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, la Commission européenne, à l'issue d'un processus d'évaluation qu'elle conduirait et de la mise en oeuvre d'un plan d'action dans le cadre du règlement sur le nouveau mécanisme d'évaluation Schengen, pourrait réintroduire pour une période de six mois les contrôles aux frontières intérieures. Un rapport serait établi tous les six mois par la Commission sur la mise en oeuvre du plan d'action et l'Etat membre concerné transmettrait un rapport après trois mois. Faute de progrès significatifs, la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pourrait être prolongée pour une durée de six mois dans la limite de trois prolongations.
La préoccupation sur ce point porte plus particulièrement sur la frontière gréco-turque où, selon les précisions qui m'ont été données par le Gouvernement, on estime qu'il y aurait chaque jour 1 200 passages irréguliers. L'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'espace Schengen assurerait une continuité territoriale qui rendrait d'autant plus sensibles les défaillances des contrôles sur cette portion de la frontière extérieure.
III/ Quelle appréciation porter sur ce texte ?
1/ Nous devons prioritairement réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen
Je crois d'abord indispensable de réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen qui sont des réalisations majeures de la construction européenne. L'espace Schengen a su faciliter au quotidien la vie des citoyens européens et des ressortissants étrangers en leur conférant une liberté de circulation au sein d'un espace sans frontières regroupant aujourd'hui 26 Etats. C'était le tout premier axe de la proposition de résolution du groupe socialiste, défendue ici-même par Richard Yung en juin dernier. Comme l'a souligné le Parlement européen dans une résolution du 7 juillet 2011 : « la liberté de circulation est devenue l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice. »
Dès lors, les rétablissements de contrôles aux frontières intérieures peuvent constituer une brèche très sérieuse dans le principe de liberté de circulation. Dans le contexte actuel où l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée par un défaut de solidarité entre Etats, remettre en cause l'acquis Schengen constituerait un mauvais coup supplémentaire à la construction européenne et un très mauvais signal lancé aux eurosceptiques. C'est l'analyse que disent partager la plupart des acteurs du dossier.
2/ Refuser l'assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public
La faculté de permettre un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures couvrirait aussi bien une situation de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans la gestion de ses frontières extérieures que celle d'une pression migratoire soudaine et forte dans laquelle un Etat membre, volontairement ou non, ne respecte plus ses obligations.
Dans sa résolution du 7 juillet 2011, le Parlement européen avait estimé que les conditions concernant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures étaient déjà clairement énoncées dans le « code frontières Schengen ». Il avait souligné que l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures ne pouvait en aucun cas être considéré comme une raison supplémentaire pour réintroduire des contrôles aux frontières. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution du groupe socialiste, ici au Sénat, qui voyait dans « la réintroduction de contrôles temporaires aux frontières intérieures en cas de pression migratoire illégale forte, imprévue mais non extraordinaire » une remise en cause de l'acquis Schengen et par là même de la liberté de circulation et s'opposait en conséquence « à toute modification de l'acquis Schengen tendant à l'élargissement des clauses dites de sauvegarde ».
L'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire forte et inattendue, par assimilation aux critères existants de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure, est tout à fait inacceptable. De cela aussi la plupart des acteurs du dossier (Conseil, Commission et Parlement européen) semblent convenir.
Je note que le gouvernement français, pourtant demandeur de l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire conteste aujourd'hui l'assimilation opérée notamment dans le considérant n° 5 de la proposition de règlement. A l'occasion d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale, le mardi 8 novembre 2011, le ministre des Affaires européennes, Jean Leonetti, a contesté « le choix de la Commission [visant] à regrouper au sein de la même procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou à la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures » et dénoncé l' « amalgame » opéré par la Commission entre ces menaces et des situations d'augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
D'autant que, comme l'ont admis les représentants des ministères auditionnés par le groupe de suivi des accords de Schengen, le cas d'afflux massif de migrants est une notion qui est elle-même difficile à définir. La notion est suffisamment floue pour permettre des interprétations contradictoires. Ainsi s'agissant de la venue de migrants afghans, une proposition de résolution du groupe socialiste présentée par Louis Mermaz avait souhaité que la France, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire, puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l'octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d'Afghanistan et du Pakistan. Cette proposition de résolution a été rejetée en séance publique lors de son examen le 10 février 2010, le Gouvernement ayant argué qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un afflux massif de nature à permettre le déclenchement de la procédure de protection temporaire. Il y a donc asymétrie dans l'appréciation du caractère « massif » d'un afflux de migrants.
Entre la France et l'Italie, en l'absence de contrôle systématique, il n'y a pas eu d'évaluation précise des mouvements migratoires récents. C'est à la suite des contrôles effectués dans la bande des 20 km le long de la frontière italienne, que 3 200 personnes ont été renvoyées vers l'Italie qui les a réadmises sans difficulté. Au total, on estime à 34 000 le nombre de Tunisiens arrivés en Italie depuis le 1er janvier 2011. De l'avis même des autorités françaises ceux-ci n'ont aucunement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité intérieure. A la suite de l'accord italo-tunisien du 5 avril 2011, la Tunisie a réadmis tout nouvel immigrant arrivé illégalement après le 5 avril.
La situation a donc pu être réglée dans le cadre des règles en vigueur de Schengen.
3/ Réaffirmer le caractère indispensable d'une politique communautaire de l'immigration
On n'avancera pas sur la gouvernance de Schengen et l'amélioration des dispositifs existants sans affirmer une politique communautaire ambitieuse de l'immigration. Cette politique ne peut se résumer aux contrôles des frontières et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous avons en particulier besoin d'une véritable politique européenne de l'asile dont la mise en place apparaît malheureusement très laborieuse. Toutefois, selon Mme Malmström, commissaire européenne en charge des affaires intérieures, un texte est en cours d'élaboration et devrait aboutir d'ici fin 2012. Il faut aussi inscrire la démarche européenne dans le cadre d'un véritable partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.
4/ Traiter au niveau communautaire les cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures
En toute hypothèse, la prise en compte des cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures pour permettre le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures représente une menace importante pour la libre circulation et pour la préservation des acquis de Schengen.
C'est pourquoi il me paraît nécessaire que, dans un tel cas, la décision puisse être prise par la Commission, à la suite d'une évaluation et de la mise en oeuvre d'un plan d'action qui n'aurait pas donné les résultats escomptés.
Ce choix répond à une logique juridique, celle de la communautarisation des accords Schengen par le traité d'Amsterdam qui consacre la Commission comme gardienne du principe de liberté de circulation. Au demeurant, on ne saurait confier à un Etat déjà défaillant dans le contrôle de ses frontières extérieures la responsabilité de décider unilatéralement le rétablissement de ses frontières intérieures.
Cependant, ce pouvoir de contrôle de la Commission européenne ne peut être dissocié de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'immigration, notamment en matière d'asile.
5/ Trouver un juste équilibre entre initiative des Etats et intervention de la Commission
La proposition de la Commission a aussi pour effet de modifier les règles actuelles en matière d'ordre public en s'attribuant le pouvoir de décision, dans tous les cas pour les évènements prévisibles, et après cinq jours pour les cas exigeant une action immédiate. Dans un communiqué conjoint, en date du 13 septembre, les ministres de l'Intérieur allemand, espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilité pour des cas qui jusqu'à présent ont relevé de la souveraineté des Etats membres par exemple ceux d'une menace terroriste ou la protection d'un évènement politique ou sportif majeur. Pour les ministres, « c'est aux Etats membres de maintenir l'ordre public et d'assurer la sécurité intérieure ».
Dans une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, au titre de l'article 88-6 de la Constitution, qu'elle a adoptée le 8 novembre 2011, l'Assemblée nationale a considéré, pour les mêmes raisons, que « la décision de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne peut être communautarisée dans les conditions prévues par la proposition de règlement sans qu'il ne soit porté atteinte au respect du principe de subsidiarité. »
Dans sa proposition de résolution sur la révision de l'acquis Schengen, le groupe socialiste jugeait « indispensable [...] le renforcement de la gouvernance de Schengen dans le sens de sa communautarisation ». C'est pourquoi la proposition demandait plus particulièrement aux Etats membres d'accepter la communautarisation du système d'évaluation Schengen.
Toutefois, sans abandonner la poursuite de cet objectif d'une meilleure gouvernance de Schengen, il nous appartient, s'agissant des cas classiques risquant d'affecter l'ordre public ou la sécurité intérieure, de définir des procédures qui n'entravent pas la capacité d'initiative des Etats de réintroduire les contrôles aux frontières intérieures.
Cela paraît nécessaire dans un souci de réactivité et d'efficacité. Mais, il apparaît aussi utile de confier un rôle accru à la Commission européenne. Dans ce but, il conviendrait, à mon sens, de renforcer l'information de la Commission et de veiller à ce qu'elle cette information lui soit communiquée de manière précoce.
Il resterait à l'avenir à se demander si, dans un espace au sein duquel les interdépendances se renforcent, il ne faudrait pas envisager d'aller plus loin afin de conférer à la Commission européenne une responsabilité accrue, au moins au stade de la prolongation des contrôles aux frontières intérieures.
6/ Un dialogue à poursuivre entre la France et la Commission européenne
La proposition de la Commission européenne fait l'objet de nombreuses critiques, parfois très contradictoires selon les parties et de l'opposition de la plupart des Etats membres.
Un compromis doit à l'évidence être recherché entre le dispositif actuel et la proposition de la Commission. Celle-ci réduit excessivement la marge d'initiative des Etats. Le compromis devrait intervenir sur les délais et les obligations d'information dans les cas considérés comme classiques
Rappelons déjà que la Commission n'était pas demandeuse de cette réforme, jugeant, à juste raison, que les clauses de sauvegarde actuelles permettent de faire face à l'essentiel des situations, y compris par exemple dans le cas d'un afflux de migrants via l'Italie.
La France n'a du reste pas fermé sa frontière avec l'Italie. Le Ministre des Affaires européennes précisait, le 8 novembre 2011, à l'Assemblée nationale : «on l'a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n'a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité et d'ordre public ».
La préservation de l'acquis Schengen aurait dès lors dû nous conduire à nous en tenir là. C'était sans compter sur l'insistance de la France et de l'Italie à réclamer une réforme. On peut regretter que la Commission y ait cédé. On peut regretter qu'elle soit allée au-delà des révisions souhaitées. Le gouvernement français lui-même conteste l'amalgame opéré entre menace à l'ordre public et pression migratoire et redoute la communautarisation de la procédure. En tout état de cause, au-delà même de l'invocation du principe de subsidiarité, on est encore loin d'un accord des diverses instances européennes. Notre Haute Assemblée doit rester attentive à l'évolution de ce dossier qui confronte des approches politiques différentes et même des analyses juridiques divergentes, y compris entre les services juridiques de la Commission et du Conseil. La France fait ainsi les frais d'une demande de réforme improvisée.
M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie pour cet excellent rapport.
M. Richard Yung. - Je souscris entièrement à ce rapport. Les flux migratoires récents entre l'Italie et la France n'ont été qu'un prétexte pour demander une réforme des règles de fonctionnement de Schengen. Le gouvernement italien s'est retrouvé un peu seul pour faire face à une crise difficile. Il n'a pas bénéficié du soutien de la France alors que les deux pays auraient dû gérer ensemble cette situation. Je constate que les flux en provenance de Tunisie se sont taris d'eux-mêmes comme ce fut le cas pour ceux venant de Libye ou, il y a quelques années, pour les mouvements migratoires de Marocains en direction de l'Espagne.
Ce cas spécifique me paraît bien illustrer les problèmes posés par la politique de Schengen. La Commission européenne est garante des résultats de cette politique. Je regrette pour ma part qu'il existe une pléthore de consulats des Etats membres qui font exactement le même travail pour délivrer des visas Schengen. Il serait préférable de constituer des bureaux communs sous l'autorité de la commission européenne. Malheureusement, les Etats membres s'y opposent. Il n'y a pas de volonté politique dans ce sens.
Je soutiens entièrement la proposition de résolution européenne qui nous a été présentée. Il conviendra par ailleurs d'intégrer dans les politiques d'immigration la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Ces questions doivent être traitées au niveau communautaire.
M. Alain Richard. - Ce rapport très complet permet de distinguer trois situations. La défaillance du système de contrôle des frontières extérieures par un Etat membre justifie que les décisions soient prises au niveau communautaire dans un souci de cohésion, cette situation ayant un impact sur tous les Etats membres. Ce que propose la Commission européenne est donc sur ce point un progrès.
Par ailleurs, le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières intérieures pour un événement prévisible ou en cas de menace immédiate pour l'ordre public, est une responsabilité qui relève de chaque Etat membre sous le contrôle du juge et dans le cadre d'un dialogue avec les autres Etats membres.
Enfin, concernant les flux migratoires, il serait à mon sens abusif et pas opérationnel de considérer par principe qu'il s'agit d'une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Pour autant, il me semble difficile de dire que ces flux ne constituent jamais une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Je suggère donc de modifier la proposition de résolution afin d'indiquer que seraient inacceptables les modifications du code frontières de Schengen « qui assimileraient, par nature » les flux migratoires à une telle menace.
M. Michel Billout. - Ce rapport est bien argumenté et délivre des analyses que je partage. La refonte des règles de Schengen intervient dans un contexte d'une Europe en difficulté. La crise de la zone euro conduit à la mise en oeuvre de politiques de forte austérité qui auront deux conséquences : d'une part, l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures risquent d'être mis en cause par la réduction des personnels qui sont affectés à cette mission ; d'autre part, la relance des mouvements migratoires est inévitable, en particulier entre Etats membres de l'Union européenne. Lors de notre récent déplacement en Croatie, j'ai notamment relevé des inquiétudes exprimées sur le risque de flux migratoires vers ce pays en provenance de Bulgarie et de Roumanie.
Ce n'est certes pas le meilleur moment pour porter atteinte à la libre circulation. Le seul événement qui vient justifier la refonte des règles en vigueur c'est l'afflux récent de migrants sur l'île de Lampedusa. Or, je rappelle que cet afflux a été limité et sans commune mesure avec la situation qu'a connue la Tunisie, laquelle a accueilli des centaines de milliers de réfugiés venant de Libye dans un contexte pourtant difficile pour elle. Cette comparaison me paraît rendre dérisoire la réaction disproportionnée de l'Union européenne.
En Italie, les difficultés sont nées de la concentration des migrants à Lampedusa. Mais cette situation a pu être bien gérée notamment en répartissant les personnes concernées dans les différentes régions italiennes.
Cette refonte des règles de Schengen poursuit une visée électoraliste dans un contexte préoccupant de montée des nationalismes en Europe. Lors des auditions du groupe de suivi des accords de Schengen, le directeur de la police de l'air et des frontières s'est déclaré sceptique sur la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Cela ne serait possible que sur une portion limitée de ces frontières avec le soutien des douanes et sur une période courte. Il y aurait des disparités inévitables, de nombreux postes de contrôle aux frontières ayant été supprimés.
Je suis aussi inquiet de la dérive vers un déficit de démocratie dans l'Union européenne. La Commission s'arroge de plus en plus de pouvoirs au détriment du Conseil et du Parlement européen, même si il peut y avoir parfois des ambivalences. Je crois qu'il faut être attentif à cette évolution.
M. Georges Patient. - Je souhaiterais avoir des précisions sur les possibilités de circulation d'une personne qui a accédé à l'espace Schengen. Qu'en est-il de l'Outre-mer ?
Mme Catherine Tasca. - J'approuve pleinement l'idée de bureaux européens communs pour la délivrance des visas Schengen.
Il y a effectivement trois situations qui doivent être distinguées. Mais je veux souligner que les règles actuelles permettent d'ores et déjà de répondre à une situation dans laquelle des flux migratoires auraient un impact sur l'ordre public et la sécurité intérieure.
Il est exact que, dans le contexte actuel de crise économique et financière, de nouveaux flux migratoires apparaissent inéluctables.
Les mécanismes actuels de décision sont très lourds et exigent beaucoup de temps. Il faut donc être d'autant plus vigilant sur le respect des compétences de chacun.
L'accès de l'espace Schengen permet en principe la libre circulation au sein de cet espace mais sous certaines conditions qui sont prévues par le code frontières.
M. Simon Sutour. - Je suggère que la situation de l'Outre-mer fasse l'objet d'un examen spécifique afin de répondre aux interrogations de notre collègue Georges Patient.
M. Jean-François Humbert. - Je remercie notre rapporteur. La rédaction du deuxième alinéa de la proposition de résolution, qui juge « inacceptable » toute assimilation d'un flux migratoire à un problème d'ordre public, me paraît néanmoins un peu forte. Le groupe UMP propose un amendement qui souligne que la modification du code frontières de Schengen doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés.
Mme Catherine Tasca. - Il est vrai que le terme « inacceptable » peut paraître trop marqué. Je vais proposer une nouvelle rédaction de cet alinéa qui prendra en compte votre préoccupation et celle exprimée par Alain Richard.
M. Jean-Paul Emorine. - Je souhaite que, dans le troisième alinéa, nous affirmions plus nettement notre volonté que les cas de manquements graves et persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures fassent l'objet d'une réponse communautaire.
M. Michel Delebarre. - Je ne crois pas que l'Europe soit armée pour répondre à de nouvelles exigences portant sur le contrôle aux frontières intérieures.
A l'issue du débat, et après les interventions de MM. Alain Richard et Richard Yung, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (texte E 6612) ;
Rappelle son attachement au principe de libre circulation et à l'espace sans frontière de Schengen, qui est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne ;
Juge qu'une modification du code frontières de Schengen ne peut se fonder sur une assimilation automatique des flux migratoires à une menace grave contre l'ordre public et la sécurité intérieure, et doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés ;
Considère que les réponses à la situation créée par des manquements graves persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures doivent être apportées au niveau communautaire ;
Souligne que ces réponses ne peuvent être dissociées de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre de véritables politiques européennes de l'immigration et de l'asile, s'inscrivant dans un partenariat avec les pays d'origine et de transit ;
Estime préférable de ne pas modifier les règles en vigueur concernant la réintroduction à titre exceptionnel et temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans les cas qui, comme la protection d'un évènement politique ou sportif majeur, ont jusqu'à présent relevé de la responsabilité des États membres sans créer de difficultés ;
Considère que, dans ces cas, l'obligation d'information de la Commission européenne par les États membres devrait être renforcée et mise en oeuvre de manière plus précoce.
Elargissement
Adhésion de la Croatie à
l'Union européenne
Proposition de résolution
de M. Simon Sutour et Mme Michèle
André
M. Simon Sutour, président. - A quelques semaines de la signature du traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, prévue le 9 décembre prochain, notre commission a souhaité faire un ultime point sur la situation d'un Etat qui a retrouvé sa souveraineté il y a moins de vingt ans et qui deviendra le 28e membre de l'Union le 1er juillet 2013, si le processus se déroule comme prévu, en particulier pour la ratification dans chaque Etat membre.
La vocation européenne de la Croatie a été officiellement établie lors du Conseil européen de Zagreb en 2000 et régulièrement rappelée depuis : le principe de son adhésion à l'Union européenne est donc acquis depuis plus de dix ans et cette décennie écoulée a permis à la Croatie de confirmer sa capacité à remplir l'ensemble des critères exigés par l'Union.
En 2001, la Croatie a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, accord entré en vigueur le 1er janvier 2005. En 2003, la Croatie s'est portée candidate ; en 2004, le Conseil européen lui en a octroyé le statut. En 2005, les négociations se sont ouvertes pour se terminer le 30 juin 2011.
La mission de notre commission à Zagreb les 14 et 15 novembre derniers a permis de vérifier que la Croatie était prête pour son entrée dans l'Union européenne. En outre, notre délégation a pu prendre la mesure de l'excellente stabilité institutionnelle de ce jeune Etat puisque notre visite a coïncidé avec l'ouverture de la campagne des élections législatives prévues le 4 décembre prochain. A cette occasion, notre commission a pu remarquer que la vie institutionnelle et le débat politique suivaient un cours démocratique des plus normaux. Les pouvoirs en place comme ceux susceptibles de les remplacer ont reçu la délégation avec la même cordialité et le même intérêt. Apparemment, la Croatie s'apprêterait à connaître à nouveau l'alternance et à confirmer ainsi que le bipartisme pourrait devenir une caractéristique de la démocratie croate. Nous avons été impressionnés par la qualité de nos interlocuteurs qui, pour la plupart, s'exprimaient en français.
Nous avons saisi l'occasion de cette mission pour manifester à l'ensemble des pouvoirs et de la classe politique croates notre entier soutien à l'entrée de la Croatie dans l'Union. Je crois que nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance et la difficulté des réformes qui ont été menées à bien depuis plus de dix ans. C'est la raison pour laquelle notre proposition de résolution estime que l'adhésion de la Croatie n'appelle plus de réserve.
En outre, aujourd'hui, à la veille de son entrée dans l'Union, la Croatie est suffisamment sûre de sa souveraineté retrouvée pour oeuvrer avec efficacité à la stabilité de la région.
Nous avons pu constater lors de sa mission que les conditions politiques et les conditions économiques pour une entrée réussie dans l'Union étaient réunies.
1. Les conditions politiques de l'adhésion sont remplies
Le consensus en faveur de l'objectif européen
La Croatie a montré une très grande capacité à mobiliser l'ensemble de ses forces vives pour atteindre l'objectif européen et la politique étrangère croate, quel que fût le parti au pouvoir, n'a pas varié depuis presque vingt ans.
Dans le mois qui suivra la signature du traité, la Croatie devra organiser un référendum qui est prévu pour le début de février 2012 et dont l'issue n'est pas douteuse. Cependant, si le consensus de la classe politique est resté le même, l'opinion publique a évolué. Même si elle reste majoritairement favorable à l'adhésion, le « oui » tourne désormais autour de 58 % au lieu de 80 % au début des négociations.
Les bénéfices d'un consensus social reposant sur une grande stabilité politique
La Croatie jouit d'une grande stabilité politique grâce à une Constitution déjà vieille de vingt ans, inspirée de celle de la Ve République française. Un équilibre a été trouvé entre présidentialisme et parlementarisme, et cet équilibre s'est renforcé par l'alternance politique et la cohabitation. Actuellement, la Croatie expérimente pour la deuxième fois la cohabitation : le Président de la République, Ivo Josipovic, que nous avons rencontré, est social démocrate (SDP), tandis que le Premier ministre, Jadranka Kosor est conservateur (HDZ).
La coopération avec le TPIY : nécessité fait loi
La coopération du gouvernement croate avec le TPIY a un temps été jugée insuffisante mais, depuis l'arrestation du Général Gotovina, ce reproche n'est plus fondé même si une certaine méfiance réciproque a eu pour effet de retarder l'ouverture du chapitre 23 sur la justice et les droits fondamentaux. La sévérité avec laquelle le Général Gotovina a été jugé en 2011 a marqué les esprits et soulevé l'indignation de l'opinion publique croate qui tient sa guerre de libération pour une guerre juste.
La réconciliation régionale est en bonne voie
Le souvenir de la guerre de libération reste vivace et, pourtant, la Croatie oeuvre à la réconciliation régionale et plus particulièrement à la normalisation de ses relations avec la Serbie. Le président croate s'est rendu en Serbie et le président serbe s'est rendu en Croatie, et même à Vukovar, ville martyre et point de passage obligé pour les délégations étrangères. Là, le président serbe Tadic a reconnu les crimes commis par l'armée serbe.
De même, le président croate Josipovic a exprimé ses regrets pour la brutalité des réactions croates en Bosnie-Herzégovine.
La Croatie, forte de son expérience des négociations d'adhésion, se propose de servir de guide et de partenaire aux autres pays candidats des Balkans. Son entrée dans l'Union européenne est perçue comme un gage de stabilité dans la région. Nos interlocuteurs nous ont rappelé que la Croatie avait dépensé 8 millions d'euros pour diffuser l'acquis communautaire dans les Balkans.
Minorités, réfugiés et déplacés : des solutions efficaces
On ne reviendra pas sur la « mosaïque des peuples » propre aux Balkans. La Croatie jouit d'un territoire et d'une population homogène à 98 %, mais elle n'échappe pas totalement à son destin balkanique et elle compte sur son territoire des minorités auxquelles elle a accordé des droits importants. En outre, la Croatie a accepté de réintégrer la minorité serbe qui avait fui après la guerre.
Par une loi constitutionnelle de 2002 sur les droits des minorités nationales, la Croatie a su créer un climat de confiance au sein de ses frontières pour ses minorités serbe, bosniaque, italienne, hongroise, albanaise et slovène.
2. Les conditions économiques de l'adhésion sont en voie d'être remplies malgré la crise
Une économie de marché viable selon la Commission européenne
La Croatie compte 4,5 millions d'habitants dont le revenu moyen atteint seulement 65 % de la moyenne de l'Union, mais la Croatie est, avec la Slovénie, la région la plus avancée des Balkans et son PIB représente le double de celui de la Roumanie. Il convient de rappeler que le taux de chômage reste élevé (14,1 %) et que le taux d'activité est faible (56,5 %) même si la Croatie est un moteur économique régional.
La monnaie, la « kuna », créée en 1994, est stable. La note souveraine de la Croatie est BBB- ; l'endettement s'élève à 100 % du PIB dont 40 % pour la dette publique. Interrogés sur l'inquiétude soulevée par l'actuelle crise financière de l'Union européenne, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'ils entraient dans l'Union européenne mais pas dans la zone euro.
Il est intéressant de noter que si la Croatie sait qu'elle sera bénéficiaire net des fonds européens, elle sait aussi qu'elle rejoint un club où elle ne sera pas la plus défavorisée, ce qui implique à moyen terme qu'elle puisse devenir contributeur net.
La Croatie n'échappe pas à la récession, mais elle poursuit des réformes
La Croatie subit la récession depuis un an et demi, mais elle ne renonce pas aux réformes structurelles nécessaires à l'assainissement de ses finances publiques.
La Croatie est handicapée par un important secteur public (dont les chantiers navals), qui est en difficulté et qui génère des pertes. Cependant, l'actuel gouvernement a lancé 30 grands projets d'investissement à hauteur de 13 milliards d'euros destinés à moderniser l'appareil productif croate.
Malgré un tissu industriel limité (environ 20 % du PIB), la Croatie a de grands atouts qui tiennent à une remarquable situation géographique, à une population homogène, à une agriculture diversifiée, à un bon réseau de petites et moyennes entreprises, à un bon système éducatif et à un potentiel touristique très enviable (10 millions de touristes en 2010).
La question agricole
La Commission européenne s'est inquiétée des particularités du secteur agricole croate. En effet, l'agriculture croate reste aux mains de nombreux petits agriculteurs privés dont les exploitations sont modestes et morcelées. Ce modèle, classique et majoritaire en Europe il y a cinquante ans, existe chez la plupart des nouveaux membres de l'Union et en particulier en Pologne. La question se pose effectivement de savoir si, au nom du modèle dominant en Europe, il faut procéder en Croatie à des réformes structurelles susceptibles de déstabiliser le tissu social ou, au contraire, maintenir une agriculture familiale, diversifiée et de qualité.
3. Ce que les négociations d'adhésion ont mis en relief
La Croatie a conclu l'ensemble des chapitres de négociation, mais il n'est pas indifférent que les chapitres les plus difficiles, c'est-à-dire le chapitre 8 (concurrence) et le chapitre 23 (justice et droits fondamentaux), n'aient été conclus qu'à la fin du processus.
La concurrence
On rappellera que le chapitre 8 vise à garantir une concurrence juste entre Etats membres et, qu'à ce titre, il implique la restructuration des chantiers navals croates afin de mettre un terme à toute subvention publique de la part de l'Etat croate. La Croatie a longtemps retardé cette réforme politiquement sensible d'un secteur économique stratégique. Il est question de plusieurs milliers d'emplois. La Croatie doit maintenant mettre en oeuvre les plans de restructuration sur lesquels elle s'est engagée.
La justice et les droits fondamentaux
Ce point était pour l'Union le plus sensible car les récentes expériences roumaine et bulgare avaient conduit à renforcer les précautions du côté européen. C'est ainsi qu'il a été exigé des autorités croates - parfois sans ménagement diplomatique - des efforts très intenses en matière de réforme de la justice aussi bien dans le domaine du recrutement, de la formation que de l'indépendance des juges. Ont été passés au crible la réduction des arriérés judiciaires, le jugement des crimes de guerre, la lutte anti-corruption, le relogement des réfugiés, le traitement des minorités et le respect des droits fondamentaux. La Croatie devra poursuivre ses efforts et soutenir activement la réforme judiciaire et la lutte anti-corruption jusqu'à son entrée dans l'Union tout en fournissant des rapports convaincants des progrès accomplis.
C'est dans cet esprit que la France a proposé un mécanisme de suivi de la Croatie jusqu'à l'adhésion, plus particulièrement pour les chapitres 8 et 23 ainsi que le chapitre 24 (justice, liberté, sécurité). En cas de nécessité, le Conseil pourra prendre des mesures appropriées sur proposition de la Commission. Ces clauses de monitoring sont insérées dans le traité d'adhésion.
La lutte contre la corruption
La corruption est apparue au cours des négociations comme un problème majeur et une priorité pour le gouvernement croate.
Toutefois, l'action énergique du gouvernement croate a été saluée, car il a apporté une attention particulière au cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption. Une bonne coopération s'est installée entre la justice croate et les agences internationales. Il convient de poursuivre le renforcement des capacités administratives des services de lutte contre la corruption, en particulier celles de l'Office contre la corruption et le crime organisé (USKOK). Un effort supplémentaire devra aussi être consenti pour corriger les insuffisances de la transparence dans les domaines des dépenses publiques comme dans celui du financement de la vie politique.
La réforme de la justice
On ne peut que se réjouir des efforts importants mis en oeuvre pour accélérer la réforme du système judiciaire, réduire le nombre d'affaires en souffrance et rationaliser le système judiciaire par l'agrandissement des tribunaux et la spécialisation des juges.
La Croatie a créé une école des professions judiciaires et renforcé l'indépendance dans la nomination aux fonctions judiciaires.
Nos interlocuteurs ont souligné que la réforme judiciaire était celle dont ils étaient les plus fiers, tout en reconnaissant qu'elle ne porterait tous ses fruits qu'à moyen terme.
La nécessité de réduire le rôle de l'Etat dans l'économie
La Croatie a été invitée par Bruxelles à rationaliser son secteur public et à poursuivre l'assainissement des finances publiques en réduisant les dépenses publiques et en réformant le secteur de la santé.
La rigidité du marché du travail a été soulignée lors des négociations et la Croatie s'est engagée à lever les obstacles qui s'opposeraient encore à sa fluidité.
L'aptitude à remplir les obligations découlant de l'adhésion
Nos interlocuteurs se sont dits pleinement conscients que la signature du traité d'adhésion marquait une première étape mais qu'il convenait de poursuivre les réformes engagées.
La Croatie a prouvé qu'elle était prête à assumer les obligations découlant de son adhésion à l'Union européenne grâce à un bon degré d'harmonisation avec l'acquis communautaire dans la plupart des secteurs ; elle devra cependant accorder une attention particulière aux capacités administratives nécessaires à la bonne mise en oeuvre du corpus législatif communautaire.
Notre mission en Croatie nous a convaincus que la Croatie devait entrer dans l'Union et que nous devions manifester notre approbation. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution qui vous a été distribuée. Le traité sera signé le 9 décembre ; en ce qui concerne le Sénat, il nous a semblé sage de signaler notre approbation dès maintenant.
*
La commission a ensuite examiné la proposition de résolution.
A la suite d'un large débat, auquel ont pris part Mmes Catherine Tasca, Colette Mélot et Catherine Morin-Desailly et MM. Alain Richard et Jean-Paul Emorine, des modifications rédactionnelles ont été apportées à la proposition de résolution.
Ainsi, le 8e paragraphe est devenu « estime que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne est un encouragement pour les autres pays des Balkans occidentaux à poursuivre leur engagement en faveur de la stabilité régionale ». Au 9e paragraphe, le mot « population » a été changé au profit de l'expression « peuples et nations ». Le 10e paragraphe est désormais rédigé ainsi : « souhaite que la France soit parmi les premiers Etats membres à mener à terme la procédure de ratification du traité d'adhésion et adresse, par une approbation rapide, un message d'encouragement à la Croatie ». Le 11e paragraphe met à jour la date de la signature, qui a été avancée au 9 décembre.
M. Alain Richard. - Avant que nous nous prononcions, je voudrais souligner que le service du Quai d'Orsay chargé des ratifications est sinistré, ce qui entraîne de longs délais. Je considère qu'il faudrait attirer l'attention de tous sur ce problème.
M. Simon Sutour. - Je propose que nous fassions un courrier au ministre d'Etat pour le charger de remercier notre chancellerie à Zagreb et lui transmettre la proposition de résolution.
Mme Catherine Tasca. - Pouvez-vous nous dire en quelle langue se sont tenus les entretiens à Zagreb ?
M. Simon Sutour. - Ils se sont déroulés en français la plupart du temps.
Mme Catherine Tasca. - Je me réjouis que la francophonie se porte bien.
M. Simon Sutour. - La Croatie a un poste d'observateur à la francophonie.
M. André Gattolin. - Je précise que le problème en Croatie n'est pas la langue. Le problème, c'est le passif qui existe avec la France à cause de la position de la France au moment de la guerre.
M. Simon Sutour. - Je remarque que beaucoup de responsables politiques croates sont des femmes.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Mais le pourcentage de femmes croates dans la vie publique est dans la moyenne européenne (25 %).
Mme Colette Mélot. - Qu'en est-il des relations avec la Slovénie qui est membre de l'Union européenne depuis 2004 et de la zone euro depuis 2007 ? Vos interlocuteurs ont-ils fait allusion aux relations croato-slovènes ?
M. Simon Sutour. - Le problème a été abordé et nous avons été accusés de laisser la Slovénie faire pression impunément. Nous avons été informés du délicat problème de la Baie de Piran. Cependant, la Slovénie a déjà un accès aux eaux internationales. Les deux pays ont accepté une procédure arbitrale. Il faut donc attendre l'arbitrage.
M. André Gattolin. - Il y a aussi des « terres irrédentes » entre la Slovénie et l'Italie !
M. Simon Sutour. - Que chacun se rassure : il y a un million de touristes slovènes en Croatie chaque été.
A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'avis de la Commission du 12 octobre 2011 (COM 2011 667 final) concernant la demande d'adhésion à l'Union européenne présentée par la République de Croatie,
Vu le rapport d'information n° 610 (2010 - 2011) de MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,
Considérant que les négociations d'adhésion de la Croatie ont été conclues avec succès le 30 juin 2011 et que la Croatie a été invitée à poursuivre son effort de réforme jusqu'au jour de son entrée dans l'Union européenne, le 1er juillet 2013 ;
Considérant qu'à l'initiative de la France et de l'Allemagne, un mécanisme de suivi a été mis en place pour s'assurer que le processus de réforme se poursuivra dans les meilleures conditions jusqu'au 1er juillet 2013 et que ce mécanisme constitue la garantie que le calendrier sera respecté ;
Considérant que la Croatie a prouvé qu'elle soutenait l'objectif majeur de l'Union européenne, à savoir - comme l'indique le préambule du traité sur l'Union européenne - une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe ;
Estime qu'aujourd'hui, la Croatie répond aux critères politiques nécessaires à l'adhésion et qu'elle pourra satisfaire aux critères économiques d'ici la date retenue pour son adhésion, à savoir le 1er juillet 2013 ;
Estime que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne est un encouragement pour les autres pays des Balkans occidentaux à poursuivre leur engagement en faveur de la stabilité régionale ;
Félicite la Croatie pour son engagement dans la nécessaire réconciliation des peuples et nations ayant pris part au conflit issu de l'éclatement de la fédération yougoslave ;
Souhaite que la France soit parmi les premiers Etats membres à mener à terme la procédure de ratification du traité d'adhésion, et adresse, par une approbation rapide, un message d'encouragement à la Croatie ;
Invite en conséquence le Gouvernement à déposer le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion rapidement après la signature de celui-ci prévue le 9 décembre 2011.
Questions diverses
M. Simon Sutour. - Je voulais dire un mot du déblocage de la situation sur le Programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis.
Comme vous le savez, le programme européen d'aide alimentaire, inscrit dans les crédits de la PAC, a été mis en place en 1986-1987 pour distribuer les surplus agricoles aux associations caritatives.
Cependant, la fin de ces surplus agricoles a transformé la nature du programme, qui est devenu un programme d'achat sur les marchés de produits alimentaires. Cette transformation a été censurée par la Cour de Justice.
La Commission européenne a déposé une nouvelle proposition pour régulariser la situation, mais six pays (Allemagne ; Danemark ; Pays-Bas ; République tchèque ; Royaume-Uni ; Suède) ont contesté le maintien de ce programme au sein de la PAC et formé une minorité de blocage.
A la suite de longues négociations entre l'Allemagne et la France, les deux pays sont parvenus à un accord, ce qui a entraîné la fin de la minorité de blocage. Cet accord prévoit la poursuite du programme à son niveau passé (500 millions d'euros par an) jusqu'au 31 décembre 2013.
Cet accord franco-allemand a été présenté au Conseil du 14 novembre parmi les « points divers » de la réunion, ce qui ne constitue donc pas une décision formelle du Conseil dans son ensemble. Le Conseil a seulement constaté l'existence de l'accord franco-allemand et de la fin de la minorité de blocage.
Un nouveau projet de règlement tenant compte de cet accord doit être rédigé par la Commission et adopté formellement par le Conseil. L'adoption du texte pourrait intervenir avant la fin de l'année 2011, au plus tard en janvier 2012. Le Parlement européen doit également adopter le texte car nous sommes en régime de codécision.
Pour la période suivant le 31 décembre 2013, l'accord franco-allemand ne se prononce pas. La Commission européenne a déjà esquissé des pistes (programme intégré au FSE), mais pour l'instant il n'y a aucune garantie de poursuite du programme après 2013.
M. Jean-Louis Lorrain. - Les sénateurs UMP de la commission se réjouissent de cet accord, qui assure la continuité du programme pour les deux prochaines années. Nous saluons le travail du ministre Bruno Le Maire qui s'est beaucoup impliqué pour parvenir à ce résultat. Nous regrettons en revanche que la Commission européenne n'ait toujours pas répondu au texte que notre commission lui avait adressé dans le cadre de la « procédure Barroso », en juin dernier, après un vote unanime. Nous souhaitons que notre commission réfléchisse aux moyens de pérenniser le programme au-delà de 2013.
Mme Bernadette Bourzai. - J'avais personnellement alerté notre commission lorsque le PEAD avait commencé à paraître en danger. Nous pouvons tous nous réjouir aujourd'hui de la prolongation du programme. Il faut effectivement réfléchir à la suite. La Cour de justice était fondée à dire que les distributions après achats sur les marchés manquaient de base juridique. Il faut trouver une solution pérenne pour ce programme qui est indispensable et qui représente un euro par habitant de l'Union. Si nous ne pouvons pas conserver ce type de programme, à quoi bon parler de solidarité entre Européens ?
M. Alain Richard. - Il ne sera pas facile de trouver une solution satisfaisante. Je ne suis pas sûr que les traités donnent une base appropriée. La PAC est de compétence communautaire, mais l'aide sociale est une compétence nationale. La vocation du FSE n'est pas le soutien aux actions caritatives.
M. Jean-Louis Lorrain. - Au-delà des règles, il y a des valeurs européennes, dont la solidarité, qui doivent inspirer l'action.