- Mardi 13 décembre 2011
- Mercredi 14 décembre 2011
- Nomination de rapporteurs
- Protection de l'identité - Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire
- Règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles - Communication
- Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire - Examen du rapport et du texte de la commission
- Droits, protection et information des consommateurs - Examen des amendements de la commission sur le texte de la commission de l'économie
- Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés
Mardi 13 décembre 2011
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Organisation des travaux de la commission
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Depuis longtemps, notre commission se réunit le mercredi matin, ainsi que le mardi matin, généralement à 9 h 30. Lors de la dernière réunion du bureau, on a fait remarquer que les commissaires venant des régions lointaines ont des difficultés pour être présents si tôt le mardi. Nous avons donc hier reporté la réunion à 14 heures puisque l'ordre du jour était fort limité - il a été épuisé en cinq minutes. Que souhaitez-vous ? Je suis pour ma part disponible matin, midi et soir ! Lorsque nous pouvons nous réunir à 14 heures le mardi, certains d'entre vous y voient-ils une objection ?
M. Hugues Portelli. - Je n'en ai pas mais je souhaite une régularité, afin de pouvoir m'organiser.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le principe demeure mercredi matin, donc ; et mardi matin, sauf lorsque la réunion s'annonce très brève.
M. Jacques Mézard. - Mon avion atterrit rarement avant 9h30.
M. Jean-Pierre Michel. - Quant à moi j'ai réunion de mon groupe à 14 heures. Je ne serai donc pas avec vous l'après-midi.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il me semble pouvoir conclure de cette discussion qu'une réunion de la commission mardi en début d'après midi est possible, mais doit rester exceptionnelle.
J'en viens à un autre dossier. A l'issue du renvoi en commission de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Vial sur les soirées étudiantes, nous avions saisi la commission des affaires sociales pour lui suggérer la création un groupe de travail commun sur la consommation excessive d'alcool des jeunes et ses conséquences pour la santé publique. Mme la présidente Annie David m'a écrit que la commission des affaires sociales a déjà constitué un groupe sur la situation sanitaire des étudiants et leur couverture assurantielle, sujet qui inclut la consommation excessive d'alcool. La présidente nous propose donc de recevoir le président et le rapporteur de ce groupe pour une présentation de leurs conclusions, qui seront rendues en juillet prochain.
M. André Reichardt, rapporteur de la proposition de loi. - L'alcoolisation excessive ne touche pas seulement les étudiants et il me semblait qui nous étions d'accord, en séance publique, pour élargir le débat à tous les jeunes. Auditionnons nos collègues des affaires sociales, mais travaillons pour notre part sur un périmètre plus large : il s'agit tout de même d'un problème de société.
M. Alain Richard. - Si je comprends bien, l'idée d'un groupe commun a été écartée. Reste que, le sujet étant pour nous une préoccupation spécifique, nous pouvons décider de créer un groupe de travail - car la séance plénière n'est pas le lieu pour en traiter.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Confions une mission d'information à deux d'entre nous. Le renvoi en commission de la proposition de loi n'était pas une manoeuvre dilatoire et nous avions pris l'engagement de nous pencher sur la consommation d'alcool non parmi les seuls étudiants mais chez les jeunes. J'attends les candidatures pour le mois de janvier. Et ce travail ne nous interdira pas d'entendre nos collègues des affaires sociales.
Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats
La commission désigne M. Bernard Saugey en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire au sein du Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs.
La commission désigne Mme Eliane Assassi en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire au sein du Conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
La commission désigne M. Jean-Pierre Michel en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire au sein de la Commission nationale des compétences et des talents.
La commission désigne M. Félix Desplan en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire et M. Thani Mohamed Soilihi en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre suppléant au sein de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'Etat outre-mer.
La commission désigne Mme Corinne Bouchoux en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire et M. Thani Mohamed Soilihi en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.
La commission désigne Mme Virginie Klès et M. François-Noël Buffet en qualité de candidats proposés à la nomination du Sénat pour siéger comme membres titulaires au sein de la Commission nationale de la vidéoprotection.
La commission désigne M. Jean-Yves Leconte en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil d'administration du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
La commission désigne M. Alain Richard en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire et Mme Jacqueline Gourault en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre suppléant au sein du Comité des finances locales.
La commission désigne M. Gaëtan Gorce en qualité de candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire au sein de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Mercredi 14 décembre 2011
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Nomination de rapporteurs
M. Gaëtan Gorce est nommé rapporteur du projet de loi organique n° 4017 (A.N. XIIIème Leg.) relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat est nommée rapporteur du projet de loi n° 4001 (A.N. XIIIème Leg.) de programmation relatif à l'exécution des peines.
Protection de l'identité - Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire
La désignation des candidats est reportée au mercredi 21 décembre 2011.
Règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles - Communication
Puis la commission entend une communication de Mme Catherine Tasca sur la proposition de résolution européenne, qu'elle a présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n°562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (E 6612).
Mme Catherine Tasca. - La proposition de résolution que j'ai présentée le 17 novembre dernier à la commission des affaires européennes a été adoptée à l'unanimité.
Au printemps 2011, les autorités italiennes ont délivré aux Tunisiens arrivés clandestinement dans le pays des titres de séjour valables six mois, pour des motifs humanitaires. S'en est suivie une polémique disproportionnée, sur le droit ou non pour les intéressés de circuler dans tout l'espace Schengen et sur le défaut de solidarité européenne en matière de gestion des flux migratoires. Le président de la République et le président du conseil des ministres italien ont demandé à la Commission européenne d'élaborer un paquet sur la gouvernance de Schengen. L'espace Schengen est une zone de libre circulation : toutes les frontières intérieures sont abolies, seule subsiste une frontière extérieure unique, faisant l'objet de contrôles selon des procédures identiques partout. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997 : elle regroupe 26 Etats dont 22 Etats membres. Chypre a demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie en sont au stade de l'évaluation préalable. La commission des affaires européennes a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, nommant co-rapporteurs MM. Richard Yung et Jean-René Lecerf.
Quel est l'état du droit ? Dès l'origine avait été prévue une clause de sauvegarde, permettant de restaurer des contrôles aux frontières intérieures : soit de façon urgente et exceptionnelle, en cas de menace grave à la sécurité intérieure ou l'ordre public, pour une durée de 30 jours ou pour la durée prévisible de la menace ; soit dans le cadre d'évènements prévisibles, sommet international, manifestation sportive de grande dimension, avec une information préalable des Etats membres et de la Commission européenne - une consultation est alors engagée et la Commission rend un avis. Depuis 2006, de tels contrôles ont été rétablis vingt-six fois, tous pour moins de trente jours, la majorité d'entre eux pour moins de cinq jours. La prolongation exige une information de la Commission, des Etats membres et, « dès que possible », du Parlement européen.
Quels sont les changements proposés par la Commission européenne ? Ce serait désormais elle qui autoriserait le rétablissement des contrôles, pour trente jours renouvelables, dans la limite de six mois. En cas de manquements aux contrôles de la frontière extérieure par un Etat membre, la Commission procéderait à une évaluation, un plan d'action serait mis en oeuvre. Faute de progrès, les contrôles aux frontières intérieures pourraient être prolongés - trois fois six mois au plus.
L'Assemblée nationale a choisi d'étudier la proposition de règlement de la Commission européenne sous le régime de l'article 88-6 de la Constitution, c'est-à-dire sous l'angle de la subsidiarité. Mais cela n'épuise pas le sujet, c'est pourquoi nous avons préféré nous placer sous l'article 88-4 et présenter une proposition de résolution.
Celle-ci réaffirme notre attachement à la libre circulation : l'espace Schengen a facilité la vie de tous les ressortissants des 26 Etats et de tous les étrangers. Le Parlement européen a pris le 7 juillet 2011 une résolution à propos de la libre circulation, « l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice ». Réintroduire des contrôles aux frontières intérieures, c'est ouvrir une brèche sérieuse dans ce principe. Alors que l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée d'un défaut de solidarité entre Etats, une telle remise en cause serait un bien mauvais signal adressé aux eurosceptiques.
Notre proposition de résolution, suivant le Parlement européen, refuse l'assimilation d'un afflux de migrants, même soudain et massif, à une menace grave pour l'ordre public. Une proposition de loi socialiste a été présentée, qui allait dans le même sens. C'est le gouvernement français qui a demandé l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire. Mais il conteste le choix de la Commission européenne de « regrouper au sein d'une unique procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ». M. Léonetti a dénoncé un « amalgame ». Du reste, la notion d'afflux massif de migrants est bien floue et peut donner lieu à des interprétations contradictoires. La proposition de résolution Mermaz relative à la protection temporaire des réfugiés afghans arrivant de l'Afghanistan ou du Pakistan avait été rejetée en 2008 au motif qu'un afflux massif de migrants ne justifiait pas le déclenchement d'une telle procédure...
La France et l'Italie n'ont pas évalué avec précision l'ampleur du mouvement migratoire intervenu au printemps dernier ; 3.200 personnes contrôlées dans la bande des 20 kilomètres le long de la frontière ont été renvoyées chez notre voisin. On estime à 30.000 le nombre de Tunisiens arrivés sur le sol italien entre le 1er janvier et le 5 avril. A la suite de l'accord du 5 avril avec la Tunisie, l'Italie a de nouveau admis les immigrants illégaux. Une solution a pu être trouvée dans le cadre des règles de Schengen. La modification du code frontières de Schengen ne saurait se fonder sur une assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public.
Des défaillances graves et persistantes dans le contrôle des frontières extérieures doivent trouver réponse au niveau communautaire. En raison de la menace importante pour la libre circulation, la décision de réintroduction des contrôles intérieurs doit être prise par la Commission européenne, si le plan d'action mis en oeuvre dans l'Etat concerné n'a rien amélioré. M. Emorine, à la commission des affaires européennes, a insisté sur la nécessité d'une réponse communautaire en cas de manquements graves - comme en Grèce - dans le contrôle de la frontière extérieure.
Une véritable politique communautaire de l'immigration s'impose, elle ne saurait se réduire à un contrôle aux frontières et une lutte contre l'immigration clandestine. Politique de l'asile, partenariats avec les pays d'origine : la mise en place est bien laborieuse... La commissaire européenne aux affaires intérieures, Mme Malmström, indique néanmoins qu'un texte est en cours d'élaboration.
La proposition de résolution recommande aussi de trouver un juste équilibre entre l'initiative des Etats et l'intervention des autorités européennes. La Commission dans la proposition de règlement s'attribue le pouvoir de décision, pour les évènements prévisibles et, après cinq jours, pour les cas d'urgence. Les ministres de l'intérieur allemand, espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilités. Nous partageons tous le souci d'une meilleure gouvernance de Schengen, mais il ne faut pas entraver la faculté des Etats de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures. La réactivité et l'efficacité le commandent.
Il est cependant utile de mieux informer, et plus tôt, la Commission européenne : c'est l'objet de l'alinéa 9 de la proposition de résolution. Les interdépendances se renforcent ; ne faudra-t-il pas confier à la Commission des responsabilités accrues au moins au stade de la prolongation ?
La proposition de règlement européen a suscité de nombreuses critiques et l'opposition de la plupart des Etats membres. Il est vrai que la demande de réforme avait été formulée par la France dans l'urgence et la précipitation et que la Commission européenne n'était pas demandeuse ; elle estimait suffisantes les clauses actuelles.
La proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes. Il convient de rechercher un compromis. Mais on est loin d'un accord entre les différentes autorités européennes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Evitons de détricoter Schengen. Je signale que nous avons, lors de notre déplacement à Bruxelles, évoqué ces questions avec de nombreux interlocuteurs.
M. Simon Sutour. - Je m'exprime comme président de la commission des affaires européennes et comme membre de la commission des lois. Après la révision constitutionnelle de 2008, le Sénat a adopté une réforme de son Règlement. La nouvelle commission des affaires européennes peut voter une proposition de résolution européenne, qui est ensuite transmise à la commission concernée au fond : si celle-ci ne réagit pas dans les quatre semaines, le texte devient proposition de résolution du Sénat mais si elle souhaite compléter ou modifier la rédaction, elle désigne un rapporteur. Nous sommes ici dans un cas intermédiaire : presque au bout du délai de quatre semaines, la communication de Mme Tasca vise à nous informer.
Je souhaite que la commission des affaires européennes et la commission des lois collaborent de façon plus approfondie, par exemple pour éviter les doublons. Ainsi cet après-midi, nous entendrons ici la présidente de la Cnil, or son audition est prévue aux affaires européennes également, à une autre date ; nous aurions pu envisager une audition commune...
Certains textes à venir pourraient vous intéresser : nous avons voté jeudi dernier une proposition de résolution sur le « passenger name record » (PNR), sur lequel ont travaillé M. Détraigne pour les lois et M. Portelli pour les affaires européennes. Nous avons été saisis tardivement, hélas. Pour la première fois, j'ai donc refusé de « lever la réserve parlementaire », autrement dit autoriser le gouvernement à poursuivre les discussions. En effet, la commission avait estimé à l'unanimité par son vote que les nouvelles règles ne protégeaient pas suffisamment les libertés. Je signale enfin que M. Jean-René Lecerf présente une proposition de résolution sur la présence des avocats en garde à vue. Ces quelques précisions sur notre mode de fonctionnement ne sont sans doute pas superflues, en période de rodage des nouvelles dispositions de notre Règlement.
M. Jean-Jacques Hyest. - Nous pouvons également saisir la commission des affaires européennes, lorsqu'une proposition de règlement présentée par la Commission de Bruxelles nous paraît mal ficelée, mal aboutie - mandat d'arrêt européen, parquet européen,...
Le fait que Mme Tasca fasse une simple communication signifie que la commission des lois est d'accord avec la résolution. Quant à la réserve parlementaire, refuser de la lever interdit-il au gouvernement de poursuivre des négociations ?
M. Simon Sutour. - C'est une demande au gouvernement de mieux défendre les libertés dans la négociation du PNR qui se poursuit.
M. Jean-Jacques Hyest. - Sur le sujet évoqué par Mme Tasca, je crois qu'aucune modification du code frontières ne peut se fonder sur l'assimilation d'un afflux de migrants à une menace pour la sécurité. En revanche, si un Etat membre n'assume pas ses responsabilités sur la frontière extérieure, si celle-ci ressemble à un gruyère, la libre circulation devient un problème ! C'est pourquoi il faut aider les nouveaux entrants dans l'espace Schengen, en leur apportant un soutien communautarisé, c'est-à-dire en donnant à l'agence Frontex les moyens dont elle a besoin. Pourquoi, à l'alinéa 8 de la résolution, ne mentionner que les évènements prévus et non le cas des menaces soudaines ?
M. Philippe Bas. - J'ai quelques réserves à l'égard de la proposition de résolution et je m'étonne que la commission des affaires européennes l'ait votée unanimement. C'est à la demande de la France et de l'Italie que la Commission de Bruxelles a élaboré ce projet de réforme et je trouverais regrettable de voir la France s'opposer à présent à la poursuite du processus.
L'alinéa 8 me pose problème. Je suis très attaché à la liberté de circulation et à l'espace Schengen ; on ne saurait effectivement assimiler un flux migratoire à une menace pour l'ordre public. Mais tel n'est pas le sens de la proposition de règlement européen... La Commission européenne se borne à poser une dérogation assortie de garanties, la règle n'est nullement remise en cause. Si des Etats négligent leurs responsabilités, la réponse communautarisée n'est pas une mauvaise solution. Tout flux migratoire n'est pas une menace, je le répète : mais il peut le devenir. La proposition de résolution est excessive par rapport à la position de Bruxelles, mesurée. Je ne soutiendrai pas cette initiative sénatoriale.
M. Jean-Yves Leconte. - Les conclusions de Mme Tasca sont raisonnables, fondées sur des convictions fortes. Il est essentiel de réaffirmer les principes, afin que personne ne s'appuie sur les défaillances pour remettre en cause des politiques et des symboles communs, tels que l'euro ou l'espace Schengen et la libre circulation. C'est hélas ce qui s'est passé après l'épisode du printemps et cela m'a semblé regrettable.
M. Christophe Béchu. - Il serait interdit de remette en cause les principes quand on observe des dysfonctionnements ? C'est absurde ! La gravité de la situation financière nous amène bien à revenir sur l'indépendance de la BCE comme sur l'absence de politique monétaire commune !
M. Jean-Yves Leconte. - La BCE n'est pas une valeur.
M. Christophe Béchu. - Allez dire cela dans des pays où la surinflation a conduit jadis au totalitarisme politique.
Mme Catherine Tasca. - Pour répondre à M. Hyest, l'alinéa 8 mentionne les évènements politiques ou sportifs comme exemple, mais il précise surtout que les règles en vigueur ne sont pas modifiées, or elles recouvrent bien les évènements imprévisibles. Il n'y a pas d'ambiguïté.
M. Jean-Jacques Hyest. - Mais l'alinéa 5, lui, mentionne les menaces graves. C'est cette asymétrie qui me gêne.
Mme Catherine Tasca. - Je veux aussi répondre à M. Bas que la rédaction de l'alinéa 6 est claire. Les manquements entraînent une intervention communautaire : voilà la véritable innovation par rapport au droit actuel. La Commission européenne pousse dans le sens d'une communautarisation de la gestion ; il faut défendre nos valeurs, car si nous ne savons pas de quoi l'avenir de l'Europe sera fait, nous sommes au moins d'accord sur la libre circulation. La proposition de résolution insiste sur la communautarisation de certains problèmes.
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi organique n° 187 (2011-2012) relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La commission doit examiner maintenant le projet de loi organique modifiant la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Comme pour la réforme des retraites, le Sénat est une nouvelle fois saisi en procédure accélérée d'un projet de loi organique étendant aux magistrats de l'ordre judiciaire des mesures relatives aux retraites adoptées dans une autre loi. En effet, le Gouvernement a utilisé la dernière loi de financement de la sécurité sociale pour accélérer le relèvement progressif de l'âge d'ouverture des droits à pension, qui passerait de 60 à 62 ans et du départ à la retraite sans décote - qui passerait de 65 à 67 ans. En vertu de l'article 64 de la Constitution, la modification de l'âge limite applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire requiert une loi organique. Tel était l'unique objet initial du présent texte.
Toutefois, une semaine à peine après son adoption en Conseil des ministres, le Gouvernement a saisi cette occasion pour ajouter par voie d'amendements plusieurs dispositions relatives au statut des magistrats. Nous examinons donc un projet de loi qui dépasse largement son strict objet initial. Les amendements ont repris certaines dispositions figurant dans un projet de loi organique déposé auprès de l'Assemblée nationale, sans que les syndicats de magistrats, qui l'ont découvert grâce aux auditions que j'ai organisées, en aient été avertis...
Le nouveau calendrier inscrit à l'article premier résulte de l'adoption en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale d'un amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Le projet de loi organique a été adopté hier par les députés : voyez dans quelle précipitation nous travaillons !
Repoussant de deux ans l'âge d'ouverture des droits à pension et l'âge limite du départ en retraite, la réforme des retraites devait initialement monter en charge progressivement, par paliers annuels de quatre mois pour les générations nées après 1951. L'accélération du calendrier voulue par le Gouvernement ajoute un mois à chaque palier, ce qui avance d'un an l'achèvement de la réforme. L'article premier applique cette accélération aux magistrats.
Les autres articles résultent d'amendements déposés par le Gouvernement et adoptés conformes par l'Assemblée nationale. Ils reprennent quatre des neuf articles du projet de loi organique relatif au statut des magistrats, déposé le 27 juillet devant l'Assemblée nationale, mais pas encore inscrit à son ordre du jour.
L'article 2 modifie le régime des magistrats placés pour revenir sur la jurisprudence du Conseil d'État qui gêne la Chancellerie. Je rappelle que les magistrats placés sont discrétionnairement affectés par le chef de cour aux postes vacants dans son ressort.
L'article 4 assouplit le recrutement des conseillers ou avocats généraux à la Cour de cassation, dont au moins un quart doit aujourd'hui être recruté parmi les anciens conseillers ou avocats généraux référendaires de cette même cour. Mes interlocuteurs semblent valider cette disposition, mais la précipitation dans laquelle nous travaillons empêche d'apprécier la pertinence du passage du quart au sixième.
L'article 5 remédie aux difficultés procédurales qui ont empêché de constituer le comité médical national compétent pour les magistrats. Mes interlocuteurs sont favorables au nouveau dispositif.
L'article 6 modifie la mobilité statutaire obligatoire pour l'accès aux fonctions hors hiérarchie.
L'article 3 résultait d'un amendement déposé par M. Dosière et adopté par la commission des lois pour interdire aux magistrats judiciaires de recevoir une décoration publique pendant l'exercice de leurs fonctions, ou à ce titre. En séance publique, l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition.
Ces articles soulèvent des difficultés variables.
Le premier étend aux magistrats l'accélération de la réforme de retraite. Peut-on l'accepter sans souscrire à cette réforme ? L'équité impose certes d'appliquer aux magistrats des règles analogues à celles instituées dans le régime général, mais elle commande plus impérieusement encore de revenir sur les dispositions adoptées. Le Sénat s'est d'ailleurs opposé à l'accélération du relèvement de l'âge limite de départ en retraite dans la loi de financement de la sécurité sociale. Un recours a même été déposé devant le Conseil constitutionnel, qui a les chances d'aboutir, compte tenu de la façon dont l'amendement organisant cette accélération a été adopté en nouvelle lecture. Enfin, je rappelle qu'en septembre 2010, notre commission avait souligné l'effet délétère que le relèvement de l'âge du départ à la retraite aurait sur les perspectives de carrière des magistrats. Elle s'était inquiétée des conséquences pour les polypensionnés, notamment les magistrats du troisième concours. Elle avait appelé à des remèdes dans le projet de loi réformant le statut des magistrats. Or, le Gouvernement ne tient aucun compte de nos observations. Pour toutes ces raisons, je vous proposerai donc de supprimer l'article premier.
Les autres dispositions posent moins un problème de fond que de méthode, puisque le Gouvernement a proposé d'ajouter quatre articles sans aucun lien avec la réforme des retraites, une semaine après avoir adopté ce projet de loi en Conseil des ministres. Le Conseil constitutionnel censure les cavaliers législatifs même dans les textes organiques. Or, aucune de ces nouvelles dispositions n'a de lien, même indirect, avec l'accélération de la réforme des retraites. Je rappelle qu'elles figurent dans un texte organique déposé à l'Assemblée nationale sans que le Gouvernement ne l'ait inscrit à l'ordre du jour. Le dépeçage de ce texte ne peut qu'inquiéter, car il éloigne la perspective de traiter toutes les questions posées, notamment la prévention des conflits d'intérêts pour les magistrats.
Cependant, la plupart des mesures proposées sont attendues. Je vous proposerai donc de les adopter.
Je souhaite pourtant attirer votre attention sur trois sujets.
L'article 2 porte de six à douze ans la période pendant laquelle un magistrat pourrait exercer les fonctions de magistrat placé. Ce dispositif est un expédient nécessaire pour faire face aux vacances temporaires de postes, mais il ne doit pas se muer en instrument de gestion de la pénurie. Sa durée moyenne étant de deux ans et onze mois, je proposerai de supprimer la prolongation, contraire à la règle d'inamovibilité des magistrats du siège et susceptible d'entraver l'indépendance de la justice et son bon fonctionnement.
Les nouvelles exigences de mobilité méritent une mise au point. L'introduction de la mobilité obligatoire en 2007, après l'affaire d'Outreau, tendait à s'assurer que les magistrats occupant les postes les plus élevés auraient pu, au cours de leur carrière, envisager le monde d'une place autre que celle de juge. C'est pourquoi les détachements auprès d'autres juridictions avaient été exclus : malgré leur caractère enrichissant, ils auraient maintenu les intéressés dans une fonction juridictionnelle. Le changement d'esprit proposé aujourd'hui n'est pas problématique, mais il faut en être conscient au moment de le valider. J'ajoute que l'allongement de la mobilité à deux ans est une bonne chose.
Enfin, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté un amendement de M. Dosière interdisant aux magistrats de recevoir une décoration publique dans l'exercice de leurs fonctions ou à ce titre. Les parlementaires connaissent bien cette règle cohérente avec la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire. En séance, l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition que je vous proposerai de rétablir dans une rédaction améliorée.
M. Christophe Béchu. - Je ne comprends pas la position du rapporteur.
Il dit que ce texte comporte deux couches.
Pour des raisons idéologiques, il faudrait refuser la première, qui accélère la réforme des retraites conformément à ce qui a récemment été annoncé. Si l'article premier était supprimé, les magistrats bénéficieraient d'un régime différent de celui applicable au reste de la population. Je conçois que la majorité sénatoriale s'abstienne par opposition à la réforme des retraites, mais qu'elle veuille favoriser les magistrats me surprend ! Cette position singulière serait d'autant plus surprenante que la réforme des retraites s'appliquera inéluctablement, malgré les déclarations émises par le favori des sondages. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir ce qui se passe dans les pays voisins. Si l'article était supprimé, le sujet ne resterait pas confiné dans notre commission !
La deuxième phase de la réflexion me surprend également. Sensible à la charge du rapporteur contre les dispositions dont le texte initial a été affublé,...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est le terme !
M. Christophe Béchu. - ...j'aurais compris que l'on repoussât les cavaliers, mais vous proposez d'en conserver certains ! Où est la cohérence ?
M. Jean-Jacques Hyest. - L'article premier ne concerne pas la réforme des retraites, mais la limite d'âge, traditionnellement bien plus tardive pour les magistrats que celle en vigueur dans d'autres grands corps.
On peut être extrêmement rigoureux envers les cavaliers, mais celui qui avait été ajouté sur la Légion d'honneur est ridicule ! Je sais d'où il vient.
Il est gênant d'examiner un texte au lendemain de son vote par l'Assemblée nationale. Certaines mesures introduites ne soulèvent pas de difficultés ; elles ont d'ailleurs un lien indirect avec le projet de loi. En revanche, il n'y a pas lieu d'ajouter ici un cavalier que le Conseil constitutionnel censurerait.
M. Patrice Gélard. - Évidemment !
M. Jean-Jacques Hyest. - Les mesures concernant les conseillers référendaires sont de bon sens.
La prétendue mise en cause subie par l'inamovibilité et l'indépendance des magistrats placés m'a indigné, car nul n'est obligé d'occuper un tel poste. Au demeurant, leur existence est heureuse, vu l'encombrement de certaines juridictions. Certains magistrats souhaitent rester placés le plus longtemps possible, pour conserver leur affectation géographique.
Il me semble que les dispositions relatives à la mobilité ne sont guère contestées.
M. Yves Détraigne. -J'ai rapporté l'an dernier un texte similaire à l'occasion du projet de loi sur les retraites. La disposition examinée aujourd'hui ne changera pas grand-chose en pratique, mais pourquoi ne pas tenir compte, pour les magistrats, des dispositions applicables à ensemble des Français ?
Je suis sceptique à propos des cavaliers, qui rendent le texte difficile à déchiffrer.
Si j'ai bien compris, un magistrat pourrait être placé pendant douze ans tout au long de sa carrière.
M. Jean-Jacques Hyest. - Sans dépasser six années consécutives.
M. Yves Détraigne. - En fait, les magistrats placés servent de pis-aller face au manque d'effectifs. L'allongement proposé risque d'ériger ce dispositif en mode habituel de gestion de la tâche de travail dans certaines juridictions.
La formule est utile, mais son utilisation ne doit pas être trop aisée, car elle ne correspond pas au fonctionnement naturel des juridictions.
M. Patrice Gélard. - L'amendement à l'article 3 sur la Légion d'honneur est un cavalier typique.
Y a-t-il un texte pour l'interdiction d'attribuer cette décoration aux parlementaires ?
M. Patrice Gélard. - Si l'interdit s'appliquait aux magistrats, il faudrait l'étendre à tous les fonctionnaires, donc augmenter leur rémunération puisque la possibilité d'être décorés fait partie de leur statut social.
Au demeurant, l'article 3 n'est pas de nature organique : il relève du code de la Légion d'honneur.
M. Gaëtan Gorce. - Où est la cohérence des interventions que nous venons d'entendre ? M. Béchu a défendu la réforme des retraites, dont M. Hyest a dit qu'elle n'était pas le sujet du texte.
M. Jean-Jacques Hyest. - En effet : nous parlons ici de la limite d'âge.
M. Gaëtan Gorce. - Le Gouvernement a déposé un projet de loi, suivi de cavaliers. Reprocher au rapporteur de vouloir faire évoluer le résultat aurait quelque chose de paradoxal.
Pour être un cavalier, l'amendement sur les décorations n'en suscite pas moins des argumentations intéressantes, à l'Assemblée nationale et aujourd'hui. Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, puisque certains d'entre eux sont indépendants. Nous souhaiterions d'ailleurs qu'ils le soient tous... Leur indépendance est garantie par le Président de la République et par le Conseil supérieur de la magistrature. Est-il cohérent de les décorer en raison de leurs mérites, professionnels ou non ? Le sujet me semble susciter un débat sur leur indépendance.
M. Jean-Jacques Hyest. - En d'autres termes, on pourrait acheter des magistrats avec la Légion d'honneur. L'idée est indigne des magistrats !
M. Patrice Gélard. - Et de la Légion d'honneur !
M. Jean-Pierre Michel. - Ce texte sera obligatoirement déféré au Conseil constitutionnel. Il est vrai que les décisions de ce Conseil surprennent : dans une décision récente, il valide l'ajout de dispositions relatives aux juridictions financières dans un texte qui porte sur les juridictions judiciaires mais se donne bonne conscience en invalidant cinq cavaliers votés à l'unanimité, qui ne gênaient personne et auraient apporté une simplification incontestable, mais qui, eux, n'étaient soutenus par aucun groupe de pression.
En dehors de l'article premier, les autres sont des cavaliers. Je déposerai un amendement pour modifier en conséquence l'intitulé du projet de loi organique.
M. Jean-Jacques Hyest. - Comme ça, le Conseil constitutionnel validera un texte portant diverses dispositions concernant les magistrats !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Loin de m'en tenir à une position idéologique, j'ai procédé à une analyse pragmatique après avoir formulé une critique de forme.
La nécessité de passer par une loi organique pour modifier la limite d'âge applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire signifie que nous disposons d'une capacité d'appréciation. Ce n'est pas une conséquence automatique de la réforme des retraites.
La Chancellerie n'a pas répondu à mes demandes sur l'évaluation des conséquences financières du projet. La pyramide des âges actuelle provoque déjà en haut de l'échelle un encombrement compliquant la gestion du personnel, mais le Gouvernement n'a rien fait pour permettre le recrutement nécessaire de jeunes magistrats. Constater ce qui est n'a rien d'idéologique. En revanche, je suis satisfait par la cohérence de cette critique avec notre opposition à la réforme des retraites.
Les magistrats placés sont utiles, mais ce statut ne doit pas devenir un outil global de gestion de ressources humaines. C'est pourquoi je propose d'en limiter l'application.
Quant aux dispositions relatives aux décorations, pourquoi ne pas les examiner dès lors que l'on analyse les cavaliers sur le fond.
J'ajoute à ce propos que l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose en son article 12 : « Les membres des assemblées parlementaires ne peuvent être nommés ou promus dans l'ordre national de la Légion d'honneur ni recevoir la médaille militaire ou tout autre décoration, sauf pour faits de guerre ou actions d'éclat assimilables à des faits de guerre. »
Discussion des articles
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement de suppression n°5 a déjà été défendu.
M. Christophe Béchu. - Monsieur Gorce, les propos de M. Hyest et les miens ne sont pas antinomiques : quand bien même nous voterions la loi organique, elle rendrait possible l'application de la réforme des retraites, mais sans l'imposer puisqu'un gouvernement pourrait toujours réduire la durée de cotisation et laisser la limite d'âge inchangée. Laissez-nous voter ce texte, puisqu'en tout état de cause, vous appliquerez la réforme si vous revenez au pouvoir. Nous le savons tous !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement n°1 est identique.
L'amendement n°s 5 et 1 sont adoptés et l'article premier est supprimé.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement n°7 tend à ne pas allonger la durée pendant laquelle un magistrat peut être placé.
M. Jean-Jacques Hyest. - L'une des difficultés dans l'affectation des magistrats tient à la fameuse transparence, à laquelle un ministre a tenté de mettre fin, mais à laquelle les magistrats sont très attachés.
Dans les autres corps de l'État, les fonctionnaires formulent plusieurs voeux ; les magistrats n'expriment qu'une seule préférence. Lorsqu'elle n'est pas satisfaite, il est possible de demander un autre poste vacant. Résultat : il faut parfois plus d'un an pour affecter un magistrat. Je me demande si cela n'explique pas l'attractivité du régime des magistrats placés.
M. Jean-Pierre Michel. - Les socialistes étaient hostiles au système des magistrats placés, une entorse grave à l'inamovibilité des magistrats du siège.
Certains choisissent cette situation pour raisons familiales, mais une fois nommés, ils sont totalement tributaires du chef de juridiction, qui les place où il veut, dans des tribunaux qu'il choisit discrétionnairement.
Je déposerai un amendement destiné à supprimer le système des magistrats placés.
M. Alain Richard. - Nous évoquons un vrai sujet.
On dit volontiers que les énarques gèrent mal, mais la situation des administrations gérées par d'autres que les énarques ne le prouve pas.
Le fonctionnement fluide d'un tribunal exige sans doute que quelques magistrats soient placés auprès du premier président, mais cela présente un inconvénient, puisque l'accord donné par l'intéressé confère au chef de cour une marge de manoeuvre pouvant réduire l'indépendance des autres magistrats du ressort.
En outre, faire carrière pendant douze ans comme magistrat placé pose problème, car l'accélération de carrière ainsi obtenue porte atteinte à l'indépendance de l'intéressé et à celle des autres magistrats.
M. Jean-Pierre Michel. - Un procureur général peut déléguer un substitut dans n'importe quel tribunal.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est normal.
M. Jean-Pierre Michel. - Parce qu'il s'agit du ministère public. Maintenons les différences de statut entre siège et parquet !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous demandons la discussion en priorité de l'amendement de suppression n°2, que nous avons déposé car nous estimons impossible d'examiner en procédure accélérée la retraite des magistrats et des cavaliers modifiant leur statut, sans même qu'ils n'aient été discutés avec leurs représentants.
Notre amendement donnerait satisfaction à M. Michel.
M. Jean-Pierre Sueur. - Non ! M. Michel veut supprimer le système des magistrats placés.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Adopter l'amendement de suppression n°2 ne mettrait pas un terme aux magistrats placés.
Il me semble en outre préférable de conserver la seconde partie de l'article, qui réduit la portée de la priorité d'affectation, qui constitue la principale incitation à demander à exercer des fonctions de magistrat placé.
L'amendement n°2 est adopté et l'article 2 est supprimé. Par conséquent, l'amendement n°7 n'a plus d'objet.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement n° 6 de rétablissement de l'article 3 sur les décorations a déjà été présenté.
M. Patrice Gélard. - Il ne s'applique ni aux membres du Conseil d'État, ni à ceux de la Cour des comptes.
M. Alain Richard. - C'est normal : leur statut n'est pas organique.
M. Jean-Pierre Michel. - C'est une vieille affaire. J'avais déjà déposé cet amendement d'appel dans les années 2000, lorsque Mme Lebranchu était Garde des Sceaux, Le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui l'avait voté.
Contrairement aux magistrats des ordres administratifs ou financiers, ceux de l'ordre judiciaire sont concernés au premier chef par le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire. Surtout, leurs conditions de carrière sont très différentes de celles en vigueur dans les juridictions administratives et financières, où le déroulement est quasiment automatique, à l'ancienneté, hors le tour extérieur et quelques manoeuvres, régulièrement cassées.
En revanche, les magistrats du parquet sont dépendants du pouvoir exécutif : qu'ils puissent être décorés est normal.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Voilà qui devrait permettre en séance un débat intéressant!
M. Gaëtan Gorce. - Je n'ai jamais suggéré que l'on pourrait acheter des magistrats avec une décoration. Pense-t-on que les parlementaires seraient achetables ? L'argument de M. Hyest n'est pas recevable. Le problème mérite des arguments d'un autre niveau.
M. Jean-Jacques Hyest. - Leur cas n'a rien à voir !
L'amendement n°6 est adopté.
L'article 3 est rétabli dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous avons déjà défendu l'amendement de suppression n°3, conforme au refus des cavaliers.
L'amendement n°3, repoussé par le rapporteur, est rejeté.
L'article 4 est adopté sans modification.
L'article 5 est adopté sans modification.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'amendement n°4 relève de la même logique.
L'amendement n°4, repoussé par le rapporteur, est rejeté.
L'article 6 est adopté sans modification.
L'ensemble du projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Droits, protection et information des consommateurs - Examen des amendements de la commission sur le texte de la commission de l'économie
La commission examine les amendements au texte établi par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire n° 176 (2011-2012) sur le projet de loi n° 12 (2011-2012) renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons examiner maintenant quelques amendements que votre rapporteur pour avis propose de déposer sur le texte adopté par la commission de l'économie sur le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs.
Article 1er ter
L'amendement rédactionnel n° 7 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 2 encadre les exigences que le bailleur peut présenter envers la personne se portant caution. Être membre de la famille n'en fait pas partie.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 3 tend à ce qu'un décret précise les dispositions légales rappelées dans tout contrat de location.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je suggère de remplacer « rappelées » par « qui doivent être rappelées ».
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis. - D'accord. Je rectifie l'amendement.
L'amendement n° 3 rectifié est adopté.
Article 7 ter
L'amendement rédactionnel n° 1 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 4 préserve l'effectivité du droit de rétractation dont bénéficie le consommateur en cas de vente en réunion à domicile.
L'amendement n° 4 est adopté.
Article 10 bis A
L'amendement rédactionnel n° 5 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis. - Avec l'amendement n° 6, les prérogatives des maires quant à l'occupation temporaire du domaine public seront préservées en cas de ventes au déballage de fruits et légumes, sans porter atteinte à la rapidité de la décision.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Gouvernement ayant eu l'excellente idée d'inscrire le projet de loi organique à l'ordre du jour de lundi après-midi, je vous solliciterai vers 16 ou 17 heures pour examiner les amendements extérieurs.
Examen des amendements du rapporteur
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je suis heureux de vous accueillir, Madame la présidente. Je remercie l'ensemble des collègues présents et vous prie de bien vouloir excuser l'absence de certains de nos collègues, retenus en séance ou en audition. En effet, notre ordre du jour est particulièrement chargé.
Par courrier en date du 13 décembre, vous avez appelé mon attention sur le fait que la Commission européenne devrait présenter, fin janvier 2012, une proposition de révision de la directive européenne 95/46/CE qui fixe le cadre juridique européen en matière de protection des données personnelles. Vous m'avez fait part de votre inquiétude devant la volonté de la Commission de retenir désormais le critère du « principal établissement » d'un responsable de traitement pour désigner l'autorité de protection compétente. Il en résulterait une perte de compétence pour la CNIL. Nous y reviendrons sans doute au cours de nos échanges mais je tiens à vous dire d'emblée que je partage vos préoccupations.
Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL. - La CNIL est encore mal connue de nos concitoyens. Elle est pourtant devenue au fil des ans une « grande maison » : la CNIL dispose ainsi en 2011 de 154 postes, ce qui représente un doublement des effectifs depuis 2004 ; ses missions sont sans cesse plus larges et l'institution est de plus en plus sollicitée : elle reçoit ainsi 6000 plaintes par an.
L'univers technologique dans lequel évolue la CNIL est en perpétuelle mutation : face à ce processus, qui crée de nouveaux risques mais aussi de nouveaux besoins, la CNIL doit s'adapter. Les principes fondateurs de la loi « informatique et libertés » doivent-ils pour autant être remis en cause ? Je ne le crois pas. En revanche, nous devons les appliquer en liaison étroite avec les différents acteurs. La CNIL n'est pas une institution « éthérée », hors du temps, défendant des principes idéologiques. Elle doit, au contraire, proposer des solutions concrètes, pragmatiques et réalistes, comme elle l'a fait récemment à propos de la carte d'identité biométrique.
Notre mission de régulation ne doit pas être exercée de manière trop brutale : nous devons avant tout nous appuyer sur les différents acteurs publics et privés pour qu'ils s'approprient la culture « informatique et libertés ».
A cet égard, je souhaiterais donner deux exemples.
En premier lieu, la CNIL possède une compétence de plus en plus large en matière de vidéoprotection. Pour y faire face, nous nous sommes rapprochés de l'AMF, avec pour objectif de diffuser la culture « informatique et libertés » auprès des élus locaux et de limiter ainsi les manquements à la loi de 1978.
En second lieu, les grands acteurs de l'Internet que sont Google, Facebook... sont de plus en plus sensibilisés aux enjeux « informatique et libertés », sous la pression des internautes eux-mêmes qui réclament une meilleure protection de leurs données personnelles. D'ailleurs, la CNIL a rendu publique hier une étude sur les « Smart phones » qui met en évidence une vigilance de plus en plus grande des utilisateurs à l'égard des risques inhérents aux nouvelles « mémoires numériques ».
En conséquence, la CNIL doit accompagner et encourager cette prise de conscience. Elle doit ainsi se rapprocher des industriels pour obtenir des engagements précis dans le cadre, par exemple, de chartes. Certes, ces documents relèvent de ce que d'aucuns appellent le « droit mou » dans la mesure où ils sont dépourvus de force juridique contraignante. Toutefois, ils présentent l'intérêt de pouvoir aborder la problématique « informatique et libertés » de manière beaucoup plus fine et détaillée que ne pourrait le faire une disposition juridique.
J'en viens aux enjeux internationaux de la protection des données. Ces enjeux sont majeurs car l'avenir ne se joue plus seulement en France, mais également en Europe et dans le monde. Les grands espaces géographiques que sont les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie se livrent à une concurrence féroce sur le plan commercial. Dans ce contexte, la tentation est grande de privilégier l'attractivité économique au détriment de la protection des données.
S'agissant du processus de révision de la directive de 1995, la Commission européenne, vous l'avez dit, Monsieur le Président, risque d'introduire le critère du « principal établissement ». C'est en tout cas ce qui ressort de nos échanges avec Mme Viviane Reding, Commissaire en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. Concrètement, de quoi s'agit-il ? A titre d'exemple, si un responsable de traitement est établi dans trois pays, la France, l'Espagne et l'Irlande et que son principal établissement est situé en Irlande, seule l'autorité irlandaise serait compétente pour l'ensemble des traitements, qu'ils soient réalisés en Irlande, en France ou en Espagne. Dans cet exemple, la CNIL perdrait toute compétence. La solution envisagée par la Commission européenne porterait atteinte à la protection des données personnelles de la population et aussi aux intérêts économiques de notre pays. Elle pourrait, en effet, favoriser les délocalisations d'entreprises vers des Etats dont les autorités de protection des données personnelles privilégient une approche plus souple et moins exigeante que celle retenue par la France.
Mme Reding nous répond :
1° que la Commission souhaite garantir un haut niveau de protection des données partout en Europe ; c'est pourquoi serait privilégiée l'adoption d'un Règlement en lieu et place d'une nouvelle directive ;
2° qu'il est nécessaire de simplifier le cadre juridique pour les entreprises et de donner à ces dernières un interlocuteur unique ;
3° que la Commission, prenant en compte les inquiétudes exprimées par la CNIL, pourrait proposer un système dit de « consistency », fondé sur la coopération entre autorités de protection de données : dès lors qu'un traitement aurait un impact sur un territoire, l'autorité nationale pourrait faire part à l'autorité compétente de son désaccord éventuel avec la position prise par cette dernière. Si les autorités ne parvenaient pas à trouver une approche commune, chacune d'elle aurait la possibilité de faire remonter le différend au niveau du G29 (instance qui regroupe les autorités de protection des 29 pays membres de l'Union européenne), qui serait alors compétent pour adopter un avis sur la question.
Nous ne sommes pas convaincus par les réponses apportées par Mme Reding. En effet, même si l'adoption d'un Règlement ne peut que conduire à une harmonisation des législations nationales, plus que ne le fait l'actuelle directive de 1995, il n'en demeure pas moins que les approches culturelles sont différentes d'un Etat à un autre au sein de l'Union européenne et que certaines autorités de protection, en particulier celles du Royaume-Uni et de l'Irlande, sont plus clémentes que d'autres. En outre, la protection des données personnelles interagit avec certaines branches du droit, telles que le droit social, le droit fiscal... Lorsque la CNIL traite un dossier, elle l'examine en tenant compte des spécificités et des exigences de droits connexes. Comment l'autorité de protection irlandaise pourrait-elle procéder à une analyse aussi fine, qui suppose une connaissance approfondie des textes et des pratiques de notre pays ? Par ailleurs, le système dit de « consistency » ne nous paraît pas satisfaisant en l'état car il ne préserve pas la souveraineté de la CNIL.
Mme Virginie Klès, rapporteur pour avis des crédits du programme « Défense des droits et libertés. - Dans mon rapport budgétaire, j'ai marqué cette année certaines interrogations concernant les attributions consultatives des autorités du programme « Défense des droits et libertés ». Il semble en effet que certaines d'entre elles soient trop rarement - et en tout état de cause de moins en moins - consultées par le Gouvernement sur les textes qui relèvent de leur compétence. Qu'en est-il de la CNIL ? Avez-vous le sentiment que le Gouvernement vous consulte systématiquement et en temps utile sur les projets de loi ou de décret qui relèvent de votre compétence ?
Par ailleurs, je pointe dans mon rapport la très nette insuffisance des moyens budgétaires et humains alloués à votre institution au regard notamment de l'élargissement continu de ses missions par le législateur. En effet, ce dernier a confié à la CNIL en 2011 deux nouveaux champs d'action :
- un contrôle général de la vidéoprotection : la CNIL est désormais compétente non seulement pour les dispositifs de vidéoprotection installés dans les locaux privés, mais également, depuis la loi dite « LOPPSI 2 », pour les systèmes de vidéoprotection installés sur la voie publique. Cette évolution législative conduit la CNIL à exercer un contrôle sur un nombre de caméras 20 fois supérieur à la situation antérieure, puisque le nombre de dispositifs de vidéoprotection relevant de la CNIL est passé de 30.000 à 600.000 ;
- la réception des notifications des failles de sécurité : une ordonnance d'août 2011 rend désormais obligatoire l'information de la CNIL « en cas de violation » de l'intégrité ou de la confidentialité de ces données.
S'il est difficile de mesurer précisément l'impact de la seconde mission (failles de sécurité), il est indéniable que la première (vidéoprotection) aura nécessairement un impact important sur le volume d'activité de l'institution en 2012. Or, les moyens progressent trop faiblement. Comment la CNIL pourrait-elle avec 11 ETPT supplémentaires fonctionner efficacement quand l'une de ses compétences est multipliée par 20 ?
Par ailleurs, j'ai personnellement constaté qu'il était relativement simple d'accéder aux facturations détaillées des communications de téléphone portable, les informations exigées par les opérateurs téléphoniques pour cet accès étant faciles à obtenir (nom, numéro de téléphone, date de naissance...). N'y a-t-il pas là une faille de sécurité ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Quel regard portez-vous sur la protection des données personnelles dans le cadre de la mise en place de l'HADOPI ? Par ailleurs, la proposition de loi sur la vie privée à l'heure du numérique, dont notre collègue Yves Détraigne, vice-président, est l'un des inspirateurs, bien que votée à l'unanimité au Sénat en mars 2010, est toujours en instance à l'Assemblée nationale. En tant que rapporteur pour avis sur cette proposition, je m'étais en particulier intéressée à son article 1er portant sur l'inscription, dans les programmes scolaires, d'une sensibilisation aux enjeux « informatique et libertés ». C'est, à ce jour, la seule disposition de cette proposition de loi qui est entrée en vigueur puisqu'elle a été intégrée dans la loi du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
Je souligne enfin que la commission des affaires européennes à laquelle j'appartiens est sensible aux sujets qui ont trait à la protection des données personnelles.
M. Jean-René Lecerf. - J'avoue être surpris par la position de Mme Reding, peu favorable à la protection des données alors que sur d'autres sujets elle a pris des positions très exigeantes dans le domaine des libertés individuelles. Vous avez souligné que les réserves de la CNIL sur la carte d'identité biométrique se fondaient sur la disproportion entre les moyens déployés et les fins poursuivies. Cela signifie-t-il que le lien fort serait acceptable si l'on étendait les finalités d'utilisation de la base au-delà de la seule sécurisation du titre comme par exemple pour l'identification des personnes désorientées ou de cadavres ou des recherches criminelles effectuées sous contrôle du juge ?
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai quatre questions complémentaires à vous poser.
Tout d'abord, La CNIL a-t-elle toujours un différend avec Google au sujet de ses voitures « Street View », qui sillonnent la France pour photographier les routes mais qui permettent également de capter des courriels et des informations confidentielles transitant par les réseaux WI-FI non protégés ?
Par ailleurs, votre prédécesseur, M. Alex Türk - auquel je tiens à rendre hommage pour la qualité du travail accompli - appelait régulièrement l'attention des parlementaires sur les risques inhérents au développement des nanotechnologies, technologies fondées sur l'étude, la fabrication et la manipulation de structures, de dispositifs et de systèmes matériels à l'échelle du nanomètre, c'est-à-dire du milliardième de mètre. Partagez-vous ces craintes ? Que préconisez-vous face à ce risque ?
En outre, le rapport d'information de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne sur la vie privée à l'heure des mémoires numériques avait souligné la nécessité de renforcer la sensibilisation des jeunes générations aux questions de protection de la vie privée et des données personnelles. Le rapport avait notamment pointé le développement des réseaux sociaux sur Internet qui ont fait naître une nouvelle tendance sociologique forte : l'exposition volontaire de soi et d'autrui. Quelles conclusions tirez-vous de ce rapport ?
Enfin, où en est-on du projet de Convention universelle pour la protection des personnes à l'égard du traitement des données personnelles ? Pensez-vous que nous arriverons un jour à nous doter d'un instrument international contraignant garantissant le respect de la protection des données personnelles et de la vie privée, étant rappelé que si l'Union européenne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et quelques pays d'Afrique et d'Amérique soutiennent la nécessité d'une intervention protectrice des pouvoirs publics et mettent progressivement en place à cet effet des normes et des organismes spécialisés, d'autres, tels que les États-Unis, le Japon, la Chine ou l'Inde, restent étrangers à ces préoccupations ?
Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL. - Sur la consultation de la CNIL, l'article 11 de la loi « informatique et libertés » fait obligation au Gouvernement de consulter notre Commission sur tout projet de loi ou de décret relatif à la protection des personnes à l'égard des traitements automatisés. Cette disposition est globalement respectée. Je me demande dans quelle mesure elle ne devrait pas être étendue aux propositions de loi. Cela dit, la CNIL n'a pas vocation à se substituer aux pouvoirs publics et au Parlement en particulier.
Mme Klès, je partage votre analyse sur le manque de moyens de la CNIL. Toutefois, nous évoluons dans un contexte budgétaire contraint et nous pouvons nous appuyer sur des « têtes de réseaux » pour diffuser la culture « informatique et libertés » comme je l'ai indiqué tout à l'heure.
Sur les conséquences de la mise en place de l'HADOPI, nous manquons encore de recul pour tirer des conclusions en matière de protection des données.
S'agissant du « droit à l'oubli » que le Sénat a souhaité renforcer au travers du vote de la proposition de loi des sénateurs Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, le sujet est toujours d'actualité. En effet, le futur Règlement européen sur la protection des données devrait comporter un chapitre entier consacré à cette question. Devrait ainsi être facilitée la désindexation de données par les moteurs de recherche.
Sur la position prise par Mme Reding, je crois que sa priorité est de lutter contre les disparités juridiques entre les Etats membres et de simplifier les règles pour les entreprises. Elle ne voit pas de risque de concurrence intra-communautaire ni, donc, de « forum shopping ». Le compromis qu'elle a proposé, fondé sur la coopération entre autorités de protection de données (système dit de « consistency »), ne nous paraît pas satisfaisant. Nous soutenons une solution alternative respectueuse de la souveraineté des autorités de protection des données. Par ailleurs, il est important de dire que le Règlement européen à venir devrait comporter certaines avancées, telles que le caractère obligatoire du Correspondant informatique et libertés, ce qui répond à l'un des objectifs de la proposition de loi sur la vie privée à l'heure du numérique.
Sur la carte d'identité biométrique, nous avions considéré que la création d'une base centrale était disproportionnée au regard de l'objectif de sécurisation des titres. Si toutefois la base centrale est constituée, la meilleure garantie contre les utilisations détournées serait la garantie technique, celle du lien faible. L'Assemblée nationale et le Gouvernement semblent s'orienter vers une autre garantie, celle qui consiste à réduire, par la loi, les finalités d'accès à la base. Cependant, nous savons qu'une fois un fichier constitué il est toujours possible d'étendre ses finalités de consultation. C'est pourquoi la CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques, qui rendent impossibles l'utilisation de la base à des fins détournées.
Sur l'application « Street View », la CNIL a condamné la société Google. Cette dernière a contesté cette condamnation devant le Conseil d'Etat mais elle vient de se désister.
Sur les nanotechnologies, le débat public qui a eu lieu sur ce thème n'a pas eu le succès escompté. Nous voudrions que l'exigence de protection des données soit prise en compte en amont, dès la conception des produits, dans le cadre de ce que les spécialistes appellent la « Privacy by design » (« protection des données dès la conception »).
Sur l'éducation, c'est un chantier prioritaire que mon prédécesseur avait initié et je le poursuivrai. L'étude sur les « smart phones » en illustre la pertinence.
Enfin, s'agissant des enjeux internationaux, je signale qu'un texte existe déjà : il s'agit de la Convention 108 du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l'égard des données à caractère personnel. L'aboutissement d'une Convention universelle pour la protection des personnes se heurte à des difficultés. L'interopérabilité des fichiers, recherchée en particulier dans la zone APEC (Asie-Pacifique), ne dispense pas d'une telle évolution, bien au contraire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je le redis, nous partageons vos préoccupations concernant l'évolution du cadre juridique européen en matière de protection des données. Nous pourrions, par exemple, entendre Mme Reding ou préparer une résolution européenne. Dans l'immédiat, je propose que nous disions, par voie de communiqué de presse, notre attachement à la protection des données personnelles et nos craintes quant à la mise en place d'un système qui aboutirait à un dessaisissement de la CNIL sur les traitements de données qui concernent la population française.