- Lundi 20 février 2012
- Mardi 21 février 2012
- Mercredi 22 février 2012
- Nomination de rapporteurs
- Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel - Communication
- Moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire - Examen du rapport en nouvelle lecture
- Contrôle des armes moderne, simplifié et préventif - Examen du rapport et du texte en deuxième lecture
- Reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - Examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission
Lundi 20 février 2012
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Refonte de la carte intercommunale - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine les amendements sur le texte de la commission n° 368 (2011-2012) sur la proposition de loi n° 363 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.
Examen des amendements au texte de la commission
Article additionnel avant l'article 1er
M. Pierre-Yves Collombat. - La messe étant dite, je vous épargne mon credo. L'ensemble de nos amendements -n°s 4 à 18- visent à rétablir l'excellent texte que le Sénat avait voté en novembre dernier. On essaye de nous faire croire que celui qui sort de l'Assemblée nationale est le même, alors qu'il laisse l'essentiel de côté ! J'y reviendrai en séance. Je constate avec amusement que la nouvelle majorité sénatoriale a vite repris les mauvaises habitudes de l'ancienne : sans doute le retour de la culture de gouvernement...
M. Alain Richard, rapporteur. - Je propose à la commission de confirmer les choix faits la semaine dernière.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Sur le fond, M. Collombat, nous partageons l'objectif de vos amendements, mais ils se heurtent au principe de réalité. Nous voulons faire progresser les choses. Si nous n'adoptons pas le texte issu de l'Assemblée nationale, rien ne sera voté avant la fin de la session.
M. Pierre-Yves Collombat - Le principe de réalité est ici principe de renoncement. Sauf à considérer que l'affaire de l'intercommunalité est entendue et qu'on ne changera rien, expliquez-moi donc quelle urgence il y a à voter ce texte ? Aucune ! Vous connaissez la situation aussi bien que moi : les maires sont-ils vraiment en train de piaffer, en Loir-et-Cher ou dans le Loiret ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pas dans le Var ?
M. Pierre-Yves Collombat. - On serait à trois ou quatre mois près ? Allons ! Il y a tant d'autres problèmes à régler : les compétences, les syndicats, la fiscalité...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le texte parle des syndicats.
M. Pierre-Yves Collombat. - Si peu. La reprise des compétences va poser de véritables problèmes ! Quel est l'intérêt du schéma, autre que décoratif ? Le problème, ce sont les intercommunalités réelles ! Notre texte avait le mérite de lier les procédures. Là, on arrête d'abord un schéma, pour ensuite s'asseoir dessus ! Ne me dites pas qu'il y a urgence, sauf à reconnaître que l'on ne reviendra pas sur la loi de décembre 2010 en ce qui concerne l'intercommunalité.
Mme Jacqueline Gourault. - Je ne veux pas relancer le débat, mais en Loir-et-Cher, où des communautés de communes ont fusionné au 1er janvier, les élus attendent ce texte avec impatience ! Les très petites communes qui n'ont qu'un délégué veulent pouvoir nommer un suppléant.
M. Pierre-Yves Collombat. - Quel symbole !
Mme Jacqueline Gourault. - Nous étions nombreux à dire qu'il aurait fallu réformer les compétences avant les structures, mais nous ne maitrisions pas la démarche, car nous n'avions pas la majorité. Aujourd'hui, il s'agit de faire preuve de réalisme.
Une question, M. le rapporteur : le texte maintient les mandats en cours des délégués intercommunaux, mais revient-il sur le nombre de vice-présidents ?
M. Alain Richard, rapporteur. - Sur le nombre de conseillers communautaires comme sur le nombre de vice-présidents, aucune transaction n'a été possible : il s'agit, pour la majorité de l'Assemblée nationale, d'un « marqueur politique ». La solution la plus expédiente serait de déposer une nouvelle proposition de loi qui pourrait donner lieu, dans des circonstances politiques rénovées, à l'adoption de dispositions plus permissives.
M. Jean-Pierre Michel. - Ces amendements sont redéposés aujourd'hui car ils n'ont pas été défendus la semaine dernière. Bis repetita non placent. Le groupe socialiste suit le rapporteur. J'invite M. Collombat à relire Pirandello : À chacun sa vérité.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Cela vous changera de La Princesse de Clèves !
M. Pierre-Yves Collombat. - La vérité est fluctuante...
M. Jean-Pierre Michel. - Toujours !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le débat est clos. Je rappelle que l'avis du rapporteur est défavorable.
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Article 1er
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 4, ainsi qu'à l'amendement n° 6.
Article additionnel après l'article 1er
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Article 2
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Article additionnel après l'article 2
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 9, ainsi qu'à l'amendement n° 10.
Article 4
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 2 de M. Pointereau propose une répartition des conseillers, titulaires et suppléants, qui revient sur les dispositions actuelles, que la commission entend ne pas modifier. Il convient de l'écarter.
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Article additionnel après l'article 4
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement n° 20 de M. Milon est audacieux...
M. Alain Richard, rapporteur. - C'est une disposition qui aurait ses mérites dans le cadre d'un débat plus large sur les incompatibilités de fonctions, mais cette proposition de loi n'est pas le lieu adapté.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Idem pour les amendements n°s 3 et 19.
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 20, ainsi qu'aux amendements n°s 3 et 19.
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 13, ainsi qu'aux amendements n°s 14 et 12.
Article 5 ter
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 15.
Article additionnel après l'article 5 ter
La commission demande le retrait et, à défaut, émet un avis défavorable à l'amendement n° 16, ainsi qu'aux amendements n°s 17 et 18.
La commission adopte les avis suivants :
Examen des amendements extérieurs
Simplification du droit et allégement des démarches administratives - Examen des amendements
La commission procède à l'examen des amendements sur la proposition de loi n° 320 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.
Examen des amendements au texte de la commission
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Lors de notre réunion du 15 février, nous avons adopté pour la seconde fois la question préalable sur ce texte. Je vous propose donc de ne pas examiner les amendements aujourd'hui, quitte à le faire lors d'une suspension si la question préalable était rejetée en séance.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Cela semble logique. Nous examinerions alors les deux amendements de M. Magras sur Saint-Barthélémy. Quid de l'amendement du gouvernement ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Même sort. Le gouvernement a été sensible à la pression de l'Union nationale des associations familiales, mais il aurait dû être plus réactif, et déposer son amendement à l'Assemblée nationale : désormais, il est trop tard !
La commission décide de ne pas se prononcer sur les amendements n°s 2, 3 et 4.
Examen des amendements extérieurs
Mardi 21 février 2012
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Protection de l'identité - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine les amendements sur le texte n° 340 (2011-2012) de la commission sur la proposition de loi n° 332 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la protection de l'identité.
M. François Pillet, rapporteur. - Nous avons déjà largement débattu de ce texte.
Sans surprise, l'amendement n° 2 du gouvernement vise à rétablir l'article 5 dans la rédaction de l'Assemblée nationale. Le débat a été clair, entre partisans d'une base à lien fort et partisans d'une base à lien faible. Le Sénat s'est prononcé, par 340 voix contre 4, pour une base à lien faible, qui protège à 100 % les libertés publiques. Je vous propose d'en rester là. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale, si elles démontrent que les députés ont pris conscience de la nécessité de renforcer les garanties, soulèvent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses...
Je propose à la commission d'émettre un avis défavorable à l'amendement du gouvernement, et d'en rester à la position du Sénat, qui était précise, fouillée et de qualité.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est une question de principe. La position du Sénat, défendue avec force par le rapporteur, préserve les libertés ; elle a été jugée remarquable. En dépit des précautions prises et des concessions faites, le texte du gouvernement risque d'aboutir à la création d'un gigantesque fichier, dont on sait quelles peuvent être les conséquences.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°2.
Mme Virginie Klès. - S'il ne s'agit pas d'un fichier de police mais d'un simple fichier administratif, je propose, par l'amendement n° 1 rectifié, que les personnes qui demandent une carte d'identité ou un passeport comportant un composant électronique et vont, de ce fait, figurer sur le fichier, donnent expressément leur consentement « libre et éclairé ». D'autant que la carte d'identité n'est pas un document obligatoire...
M. François Pillet, rapporteur. - Cet amendement remet en cause un point d'accord : le Sénat a en effet estimé que pour protéger l'identité, il fallait une base centrale de contrôle. Dès lors que l'on s'exclut du système de protection, on affaiblit la portée de la loi.
Il en va en outre de l'image du Sénat. Cette lecture sera la dernière ; vraisemblablement, nous ne serons pas écoutés, et l'Assemblée nationale reviendra à son texte. Il serait dommage de ne pas maintenir la position du Sénat, partagée sur tous les bancs, en faveur d'une base à lien faible. Autant dire qu'il ne faut pas de fichier du tout : c'est un autre combat, que le Sénat n'a pas souhaité engager. En allant au-delà de la position retenue par le Sénat, votre amendement l'affaiblirait. Il serait opportun de le retirer, après l'avoir présenté en séance.
Mme Virginie Klès. - Ce n'est pas exclu. Mais nous ne remettons pas en cause la base de données à lien faible. L'Assemblée nationale aura le dernier mot, vous l'avez rappelé. Il est important d'appeler les citoyens à exprimer leur sentiment.
M. François Pillet, rapporteur. - Autre argument, vous offrez ainsi une belle ouverture à ceux qui préméditeraient une usurpation d'identité...
MM. Jean-Jacques Hyest et André Reichardt. - Tout à fait !
M. François Pillet, rapporteur. - Encore une fois, la position du Sénat a été partout saluée ; il serait dommage de la fragiliser.
Mme Virginie Klès. - Il faut la consolider, nous sommes d'accord sur l'objectif !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous retirerez donc l'amendement en séance publique ?
Mme Virginie Klès. - Je dois en discuter avec le cosignataire, M. Jean-Pierre Michel, et avec le groupe.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il nous faut donc émettre un avis, pour le cas où l'amendement ne serait pas retiré.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°1 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous en avons terminé.
Je vous signale que les actes de notre colloque sur la loi du 6 février 1992 sont disponibles. Le rapport est intitulé Vingt ans de communautés de communes : bilan et perspectives - La révolution de l'intercommunalité.
La commission adopte les avis suivants :
Examen des amendements extérieurs
-Présidence commune de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois et de M. Simon Sutour président de la commission des affaires européennes-
Audition de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la commission européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté
La commission procède à l'audition commune avec la commission des affaires européennes de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Nous vous souhaitons la bienvenue, madame la commissaire, pour cette audition organisée conjointement par la commission des lois et la commission des affaires européennes. Vous êtes chez vous au Palais du Luxembourg ... compte tenu de votre nationalité, même si les commissaires européens ne défendent que l'intérêt général européen. Vous accomplissez votre troisième mandat à la Commission : votre expérience est donc grande, et nous nous en félicitons car votre portefeuille comprend le dossier sensible des droits fondamentaux des citoyens européens. Vous avez rempli pleinement votre rôle, qu'il s'agisse des Roms ou de l'évolution inquiétante en Hongrie, et je m'en félicite.
Cette audition sera toutefois principalement consacrée à la protection des données personnelles, à laquelle vous savez le Sénat très attentif. Je vous interrogerai en tant que rapporteur du projet de règlement européen à ce sujet, et M. le président de la commission des lois présidera cette réunion.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous sommes très honorés de votre présence parmi nous, madame la commissaire. Parmi les sujets dont vous êtes chargée, beaucoup nous tiennent à coeur. En ce qui concerne d'abord le projet de règlement sur la protection des données personnelles, nous craignons que les autorités nationales compétentes ne soient privées de leurs prérogatives, si l'on laisse à l'autorité du pays où telle entreprise de l'Internet a son principal établissement le soin de statuer. La France est très attachée au respect des libertés publiques et à la protection des données personnelles, et elle s'est dotée d'un instrument efficace, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Nous redoutons un dumping qui inciterait les entreprises à s'implanter là où la législation est le moins rigoureuse.
Lors du déplacement de la commission des lois à Bruxelles, où nous avons été chaleureusement accueillis par vos services, nous avons eu l'occasion d'évoquer aussi le projet de directive sur l'accès à un avocat au cours d'une procédure pénale, l'espace Schengen, l'action de groupe, les libertés démocratiques en Hongrie. Peut-être voulez-vous d'abord nous présenter l'ensemble de vos missions ?
Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. - Nous y serions encore demain, car mon champ de compétences est extrêmement vaste. L'Union européenne n'est compétente en matière judiciaire que depuis le traité de Lisbonne. Le principe de subsidiarité s'applique toujours, et les systèmes judiciaires nationaux subsistent, mais je suis chargée de bâtir des ponts entre eux pour que les citoyens européens profitent pleinement de la libre circulation.
La Commission européenne, en revanche, est pleinement compétente en ce qui concerne le défi numérique et la modernisation de la protection des données. Je m'adresse à des experts, puisque le Sénat a publié à ce sujet plusieurs rapports entre 2009 et 2011. Sur le plan des valeurs et des droits individuels, la directive de 1995 n'a rien d'obsolète, mais à l'époque l'Internet n'existait pas : il faut donc adapter notre législation. Le paquet législatif que j'ai mis sur la table le 25 janvier comporte deux aspects : le renforcement des droits des citoyens, et une plus grande sécurité juridique pour nos entreprises.
Une plus grande sécurité juridique, parce que si le marché intérieur existe en théorie, il a du mal à exister en pratique : les entreprises qui veulent profiter de l'ensemble du marché européen sont confrontées à des règles différentes d'un pays à l'autre. En matière de protection des données, il existe au moins 27 régimes juridiques différents, non coordonnés et parfois contradictoires. A cela s'ajoute l'obligation de notification dans les différents pays, paperasserie inutile. Le coût de ces formalités, estimé à 2,3 milliards d'euros par an, pourrait être utilement économisé en temps de crise. En outre, les entreprises européennes sont pénalisées par une concurrence déloyale, puisque les firmes extra-européennes opèrent souvent dans des pays où elles n'ont pas à se soucier de pareille réglementation.
J'ai donc proposé le principe suivant : un continent, une règle. Je me suis inspirée des législations nationales les plus protectrices : l'harmonisation se fera par le haut. C'est très important pour la crédibilité de l'Union européenne : une législation unique pour 27 pays, plus rigoureuse que sur aucun autre continent, s'imposera au monde comme un modèle, bien loin que l'Europe imite le laxisme de certains pays.
Pour que des règles de haut niveau soient appliquées, il faut quelqu'un qui veille au grain, autrement dit un modèle de gouvernance efficace. Or les autorités nationales chargées de la protection des données se sont constituées au fil des ans, en France il y a plus de trente ans, ailleurs tout récemment. Certaines sont très bien équipées, d'autres non. La plupart ne sont pas en mesure de prononcer des sanctions. En outre, elles travaillent sans guère de coordination. Or les grands dossiers outrepassent les frontières. J'ai donc défini le coeur de métier des autorités et prévu entre elles un mécanisme de coopération et d'assistance mutuelle efficace, afin d'assurer une protection crédible et homogène, et d'obliger les entreprises extra-européennes à se plier à nos règles. Entreprises et individus disposeront d'un point de contact unique là où ils sont établis : c'était une aspiration légitime, et bien loin d'affaiblir les autorités nationales, cela renforcera les capacités des plus modestes.
Les règles étant les mêmes pour tous, cela comblera les vides juridiques dont profitent certaines entreprises. Ces règles sont très protectrices : la directive de 1995 l'était déjà, et depuis lors, le traité de Lisbonne et la Charte des droits fondamentaux ont renforcé les garanties. Toute nouvelle législation doit tenir compte de cette base que l'on peut qualifier de « constitutionnelle ».
Je me suis fondée sur un principe simple : les données personnelles appartiennent à l'individu, non à une entreprise ou une administration ; elles sont sa propriété, son patrimoine. L'individu a donc le droit de confier ou non ces données à une entreprise ; s'il le fait, celle-ci doit l'informer en toute transparence de l'usage qu'elle veut en faire, et l'individu doit donner son accord. Il peut aussi retirer à l'entreprise ces données et les donner à une autre : c'est le principe de portabilité, que j'avais, dans mes précédentes fonctions, introduit à propos du numéro de téléphone.
Les entreprises devront se doter d'un système de sécurité pour protéger les données dont elles ont la garde ; si toutefois un problème survenait, elles devraient le notifier dans les vingt-quatre heures au régulateur national et aux personnes concernées. On en est bien loin : récemment, vous vous en souvenez, des gens ont appris par hasard, plusieurs semaines après les faits, qu'une entreprise avait perdu des données relatives à leurs cartes de crédit... Les pouvoirs des autorités nationales seront homogénéisés ; elles pourront notamment prononcer des sanctions lourdes. J'espère qu'elles n'auront pas à le faire, mais si les policiers ne pouvaient pas dresser de procès-verbaux, le code de la route ne serait pas pris très au sérieux...
Les autorités nationales devront aussi travailler de manière plus cohérente. Vous avez souvent appelé au renforcement de la réunion des autorités de contrôle européennes, le « G 29 ». Je propose d'instituer un comité européen de la protection des données, dont le secrétariat sera assuré par le Contrôleur européen de la protection des données, doté d'un président élu pour cinq ans, ce qui en fera une puissance capable de faire respecter le droit européen partout où il serait bafoué. Vis-à-vis de nos partenaires mondiaux, l'Europe pourra ainsi parler d'une seule voix, faute de quoi elle ne s'imposera jamais. Soit dit en passant, ce projet de directive a donné lieu au lobbying le plus intense de l'histoire de la construction européenne...
J'ai aussi voulu consolider les outils existants pour contrôler les transferts internationaux de données : contrôle de l'adéquation, binding corporate rules et clauses contractuelles types. Il sera possible de commercer avec les pays tiers, à condition que nous déclarions leurs règles satisfaisantes.
Ce projet servira de base aux discussions dans les prochains mois.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Ce texte comporte des avancées considérables, mais suscite également quelques interrogations. Tout d'abord, on peut comprendre que la Commission européenne ait fait le choix d'un règlement plutôt que d'une directive, pour que le niveau de protection soit partout le même. Mais s'agira-t-il d'un plafond ou d'un plancher ? L'harmonisation exclut-elle le maintien de dispositions nationales plus protectrices ?
Ensuite, le projet renvoie très fréquemment à des actes délégués ou d'exécution de la Commission européenne. En la matière, les principes ne devraient-ils pas être énoncés par la législation européenne, et les décisions plus techniques prises par les autorités nationales regroupées au sein du G 29 ?
Enfin, selon le principe du guichet unique, une seule autorité de contrôle sera compétente. Mais les plaignants risquent ainsi d'être renvoyés vers l'autorité d'un autre pays, même si elle assure un contrôle moins rigoureux que l'autorité nationale. L'adage veut pourtant que l'on n'administre bien que de près. En outre, on peut se demander si certaines autorités - par exemple celle de l'Irlande, où est implantée Facebook - seront en mesure de traiter les demandes très nombreuses qui leur seront faites. Ne faudrait-il pas plutôt privilégier une gestion de proximité, plus acceptable par les opinions publiques ? Pourquoi ne pas rendre compétente l'autorité du pays où réside le plaignant, comme dans le droit de la consommation ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je me permets d'insister sur ce point. Il est bon de s'aligner sur les règles nationales les plus protectrices. Mais la règle du principal établissement donnerait à certains pays, dont la réglementation est moins stricte que la nôtre, la faculté de statuer sur l'ensemble du champ. Peut-on accepter que le droit irlandais s'applique à tous les utilisateurs de Facebook ?
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - J'ajoute que si l'Irlande s'est dotée d'une commission de l'informatique et des libertés, le pays ne compte que 4,6 millions d'habitants. Cette commission aura-t-elle les moyens matériels de traiter les plaintes de 500 millions d'Européens ?
Mme Viviane Reding. - Si nous avons choisi un règlement, c'est que, pour peser face à nos partenaires - je suis en train de négocier un accord bilatéral avec les États-Unis, je n'en dis pas plus -, l'Europe doit être dotée d'une règle forte. Première économie au monde, l'Union, avec ses 500 millions de citoyens, pourra ainsi imposer sa loi aux entreprises des pays tiers.
La question des actes délégués est aussi très débattue au Parlement européen. Mais ce choix découle de celui du règlement : ce dernier est conçu pour durer plusieurs décennies, et il doit être assez neutre technologiquement pour pouvoir s'adapter aux évolutions. En cas de problème technique, la Commission pourra proposer une solution, mais la décision appartiendra au Conseil et au Parlement, selon la procédure de codécision. Ce point fera sans doute l'objet de discussions.
Si le guichet unique interdisait toute gestion de proximité, nous aurions proposé une bien mauvaise législation ... Ce n'est heureusement pas le cas. Prenons l'exemple d'un étudiant autrichien ayant eu à se plaindre de l'entreprise Facebook. Conformément au droit actuel, il a dû s'adresser au régulateur irlandais : l'affaire est encore pendante... C'est David contre Goliath ! Désormais, l'étudiant pourra s'adresser au régulateur autrichien, qui négociera avec le régulateur irlandais sur la base de la même loi, selon la procédure d'assistance mutuelle prévue à l'article 55. Des garde-fous sont prévus : si l'autorité du pays où est implantée l'entreprise n'a rien fait dans un délai d'un mois, l'autorité du pays de résidence du plaignant pourra prendre des mesures directement applicables sur son territoire ; en cas d'échec de la procédure d'assistance mutuelle, la Commission européenne donnera son avis sur l'application du droit, et la Cour de justice pourra aussi se prononcer. En aucun cas les citoyens ne seront renvoyés vers une autorité étrangère qui appliquerait un droit moins rigoureux que le droit national.
M. Gaëtan Gorce. - Je salue le courage et la détermination de la Commission européenne sur ce problème ancien et délicat. Les textes proposés présentent des progrès notables, notamment sur le droit à l'oubli. Mais puisque vous avez évoqué David, vous me permettrez d'être un peu frondeur... En France, nous sommes habitués à jouir d'un haut niveau de protection des données grâce à une législation déjà ancienne et à une autorité indépendante qui s'est acquis au fil des années une solide crédibilité. Nous ne voulons pas d'un droit moins rigoureux ni de procédures plus complexes. Le critère du « principal établissement », qui déterminera l'autorité compétente, n'est pas défini de manière claire ; la notion s'entend de différentes manières d'un pays à l'autre.
Vous avez dit que les autorités nationales ne seraient pas affaiblies, mais on peut craindre le contraire. Dans l'état actuel des choses, un citoyen peut déjà s'adresser à l'autorité de son pays de résidence. Dorénavant, son dossier serait transmis à l'autorité du pays où l'entreprise a son « principal établissement ». Les compétences de l'autorité nationale seraient donc amoindries, la procédure allongée et compliquée : car en cas de désaccord entre les deux autorités nationales, il faudrait attendre la décision de la Cour de justice...
Oui à des règles plus protectrices et mieux partagées, mais nous avons de fortes réserves sur les conséquences de cette réforme pour les citoyens. La protection dont bénéficient les Français, qu'il s'agisse du droit applicable, des mécanismes de recours et des délais de réponse, ne doit pas être affaiblie.
M. François Pillet. - On ne peut que se féliciter que la Commission cherche à renforcer les droits des personnes physiques. Mais aux réserves exprimées par M. Gorce, j'ajouterai que la loi, même en Europe, est volatile. Même si ce règlement demeure, qui dit que personne ne sera en mesure de pénétrer les dossiers de données personnelles ? Voilà pourquoi j'aimerais savoir si la Commission envisage de renforcer les protections technologiques.
Mme Virginie Klès. - J'approuve le souci de simplicité, de cohérence et de sécurité juridique pour les entreprises et les particuliers. Pourtant, je m'interroge. Vous avez dit que les données étaient la propriété de l'individu, mais lequel d'entre nous a lu jusqu'au bout la licence de Google, ou l'alinéa disposant que les données seront confiées à un tiers de confiance dont on ignore la nationalité et quel usage il en fera ?
En ce qui concerne le droit à l'oubli, je regrette que l'on n'aille pas jusqu'à imposer la désindexation des données des moteurs de recherche.
A la suite de la réunion du G 29 qui a eu lieu hier, il semble que les Etats auront le droit d'adopter des normes plus contraignantes que la règle européenne pour certains traitements particuliers. Lesquels ? Comment cela s'articulera-t-il avec le droit de recours ?
Vous dites vouloir contraindre les entreprises implantées dans des pays où il existe des vides juridiques à se plier au droit européen, mais ce sera difficile, faute de moyens pour les conseiller et les contrôler.
Enfin, vous prétendez renforcer les autorités nationales, tout en limitant leur pouvoir de contrôle : elles ne pourront plus procéder à des contrôles préventifs que dans les cas où il existera un motif raisonnable de supposer l'existence d'activités contraires au règlement.
M. Jean Bizet. - Mme Klès m'a devancé. Est-ce l'intense lobbying auquel vous avez fait face qui vous a conduite à ne pas imposer la désindexation des données par les moteurs de recherche ?
Le projet de règlement ne signe-t-il pas la fin du pouvoir de contrôle préventif des autorités nationales ?
M. Yves Détraigne. - Au plan des principes, le projet de règlement va dans le bon sens, mais je m'inquiète des difficultés auxquelles seront confrontés les citoyens européens pour faire valoir leurs droits. Le droit à l'oubli est très important à l'heure des réseaux sociaux. Or, si l'on n'exige pas le déréférencement des données par les moteurs de recherche, elles réapparaîtront un jour ou l'autre. Ne faut-il pas instituer un droit au déréférencement ?
M. Jean-Paul Amoudry. - Le projet de règlement reconnaît les règles d'entreprise contraignantes pour encadrer les transferts internationaux de données, les fameuses binding corporate rules (BCR). Mais il prévoit une dérogation, grâce à laquelle il serait possible de procéder à des transferts hors de tout instrument juridique contraignant. Pour quelles raisons ? Pourquoi ne pas confier au G 29 le pouvoir de définir le référentiel des BCR ?
Les formalités auxquelles sont soumises les entreprises - déclarations, demandes d'autorisation... - seront presque supprimées. En contrepartie, ne faudrait-il pas renforcer les moyens de contrôle des régulateurs ? Certes, la désignation d'un correspondant « informatique et libertés » sera obligatoire, et des audits de sécurité sont prévus. Mais ne pourrait-on charger le G 29 de certains des actes délégués et d'exécution prévus par le règlement ?
M. Christophe-André Frassa. - La Commission a choisi de procéder par voie de règlement sur les matières couvertes par la directive de 1995, par voie de directive sur les questions de police et de justice qui relevaient naguère du « troisième pilier ». Dans ces conditions, ne peut-on craindre que les règles relatives à la police et à la justice soient moins contraignantes que les autres ? Pourquoi ne pas avoir retenu le même instrument juridique ?
Je m'inquiète aussi des conséquences politiques du critère de l'établissement principal. Au lieu de construire une Europe transparente et proche des citoyens, on rend compétentes des autorités parfois installées à des milliers de kilomètres des plaignants, et qui s'expriment dans une autre langue : cela risque de renforcer l'image technocratique de l'Union. Comment les citoyens comprendront-ils qu'une entreprise active dans leur pays soit responsable devant l'autorité d'un autre pays, situé à l'autre extrémité du continent ?
M. Pierre Bernard-Reymond. - M'autorisez-vous, monsieur le président, à poser une question hors sujet et à me faire le porte-parole de Mme Sophie Joissains, rapporteur du texte sur le parquet européen ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je vous en prie.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Mme Joissains souhaite savoir ce que pense Mme Reding de la création d'un parquet européen. Quelles initiatives compte-t-elle prendre ? Faute d'unanimité au Conseil, ne faudrait-il pas s'engager sur la voie d'une coopération renforcée ? Outre la protection des intérêts financiers de l'Union, ce parquet européen ne pourrait-il être chargé des infractions transfrontalières les plus graves ?
Mme Viviane Reding. - Je commencerai par répondre à cette dernière question. Créer un parquet européen est une entreprise extrêmement délicate, qui n'aboutira pas d'un jour à l'autre. On ne saurait détruire les parquets nationaux, oeuvres de centaines d'années. Avant toute chose, je veux renforcer cet embryon de parquet européen qu'est Eurojust, qui est chargé de faire collaborer les procureurs des différents pays. Il faut en faire une machine qui fonctionne : on est encore loin du compte... L'objectif est de lutter avec plus de cohérence contre le crime international. Aujourd'hui, les poursuites s'arrêtent trop souvent aux frontières, soit parce que la définition des crimes n'est pas la même dans le pays voisin, soit parce que l'on rechigne à mener des poursuites à l'étranger. Il faut commencer par le commencement, et je dois m'en tenir aux domaines où les traités me rendent compétente : d'où le projet de directive prévoyant une définition commune du crime et des peines minimales en matière de protection des intérêts financiers de l'Union. Lentement mais sûrement, un parquet européen se constituera en cette matière.
Si cela fonctionne, on pourra alors faire le deuxième pas, et viser les infractions transfrontalières graves.
Serais-je favorable à une coopération renforcée, s'il n'y avait pas de cohérence absolue autour d'un tel projet ? Oui, d'autant que je suis à l'origine de la première coopération renforcée, en matière de divorce international.
M. Jean Bizet. - C'est exact.
Mme Viviane Reding. - Pour nous Luxembourgeois, l'Europe est une question de cohérence. J'essaye d'avoir les 27 à bord, mais plutôt qu'un texte au rabais qui rassemble tout le monde, ne vaut-il pas mieux un texte fort, qui protège l'individu ? Je ne doute pas qu'un bon texte, confirmé par la pratique, aura un effet d'entraînement et que les autres nous rejoindront. Dites à votre collègue, monsieur Bernard-Reymond, que la commissaire et son cabinet sont à sa disposition.
M. Pierre Bernard-Reymond, président. - Mme Joissains a d'ailleurs déjà rencontré vos collaborateurs.
Mme Viviane Reding. - Pourquoi une directive sur les questions de sécurité, ancien troisième pilier ? La Charte des droits fondamentaux s'applique : on ne peut avancer en matière de sécurité sans prendre en considération les droits des individus. Il est bon de le rappeler, étant donné certaines politiques françaises...
Nous ne sommes pas des fonctionnaires, mais des politiques, et devons toujours être réalistes, voir ce qui est faisable, donc applicable sur le terrain. L'ancien troisième pilier est tout sauf démocratique. L'accord passé entre les ministres de l'Intérieur n'est plus compatible avec notre droit fondamental, et devra être « lisbonnisé », si je peux utiliser ce terme, comme tous les accords passés entre quatre murs par les ministres. Plutôt que de les transformer automatiquement, je préfère les reprendre et les adapter. Ce texte, je le « lisbonnise » en le développant, d'une part pour y inclure les droits conférés par les traités et par la Charte, d'autre part pour appliquer la règle non seulement aux transfrontaliers mais aussi à l'intérieur des États. Nous allons donc déjà loin, mais il faut aussi laisser aux gouvernements une certaine latitude pour prendre en compte les spécificités qui leur sont propres.
J'en viens au règlement. Je ne discute pas seulement avec les Français, qui ont le meilleur système au monde, mais aussi avec les autres - qui ont chacun le meilleur système au monde... De tous ces meilleurs systèmes au monde, il s'agit de faire un système européen.
M. Gaëtan Gorce. - Pour cela, il faut la meilleure Commission au monde !
Mme Viviane Reding. - Vous l'avez.
J'ai décidé de retenir les éléments les plus protecteurs des meilleurs systèmes, car je veux une harmonisation vers le haut. Je suis sûre que le Parlement européen m'aidera à rester à ce niveau, sinon à le dépasser. Je solliciterai l'aide des parlements nationaux pour qu'ils freinent les gouvernements, qui voudront sûrement, eux, un texte moins fort. Avis aux amateurs... après les législatives ?
Les procédures seront-elles plus drastiques à l'avenir, ou moins ? Cela fait deux ans que je travaille à ce texte. Nous avons mené des consultations publiques, beaucoup discuté avec les parlements nationaux. Aboutir à un système commun sera une vraie avancée.
La définition de l'établissement principal figure dans le considérant 27. Si elle ne vous paraît pas assez forte, qu'on la renforce. J'accueille toutes les bonnes idées, et le Parlement européen a annoncé qu'il collaborerait avec les parlements nationaux. Je ferai d'ailleurs part aux rapporteurs de mes réunions avec les parlements nationaux, car il faut clarifier les choses et apaiser les craintes de ceux qui redoutent de voir leur système affaibli.
Pas assez de simplification, dites-vous ? D'autres trouvent qu'il y en a trop ! Les experts indépendants ont estimé que les simplifications que je mets sur la table représentent 2,3 milliards d'économies pour nos entreprises.
M. Gaëtan Gorce. - Je parlais des citoyens.
Mme Viviane Reding. - Je vous ai cité l'exemple concret de l'étudiant autrichien. Aujourd'hui, pas de sanction, pas de moyen de forcer une entreprise à agir, le marché est morcelé. Les entreprises européennes du Net et des réseaux sociaux - elles existent - peinent à survivre, m'ont-elles dit, car leurs concurrents ne sont pas soumis aux mêmes règles. Cette concurrence déloyale empêche nos entreprises européennes de croître. Le même droit doit s'appliquer à tous ceux qui s'adressent à des citoyens européens sur le marché européen ; pas question que certains continuent d'échapper aux règles.
La loi est volatile, elle peut changer, dites-vous. C'est plutôt l'interprétation de la loi qui est changeante ! J'ai été parlementaire au Luxembourg pendant dix ans, assez longtemps pour voir une loi dont j'étais rapporteur transformée par les juges et les avocats. La loi est plus difficile à changer quand elle couvre tout le territoire européen et doit être appliquée par toutes les autorités nationales, sous le contrôle l'une de l'autre. En cas de problème, la Cour de Justice européenne interprète, dans le sens du droit fondamental et des citoyens. Heureusement que nous l'avons !
Loin de limiter le contrôle exercé par les régulateurs nationaux, le règlement leur donne des dents pour mordre. Les trois niveaux de sanctions prévus vont très loin. Si le régulateur national les applique, cela va faire mal ; on lui donne un pouvoir semblable à celui qui existe en matière de concurrence. Les régulateurs pourront intervenir de leur propre chef. Nous avons éliminé certaines notifications inutiles. Les Luxembourgeois ont les deux pieds sur terre, et n'aiment guère le bavardage et la paperasserie inutile.
M. Gaëtan Gorce. - En tant que parlementaire français, je ne peux laisser suggérer que les Français n'ont d'autre souci que d'accroître la paperasserie et maintenir un système qu'ils considèreraient comme le meilleur au monde ! On peut débattre de ce sujet courtoisement, avec ironie, mais avec le respect dû à une assemblée parlementaire française.
Mme Viviane Reding. - Monsieur le président, je ne me permettrais jamais de manquer de respect aux parlementaires français.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - M. Gorce parle avec sa spontanéité habituelle. Continuons à dialoguer sereinement.
Mme Viviane Reding. - J'ai donc, disais-je, éliminé les notifications qui me paraissaient inutiles, mais renforcé les moyens des autorités. Si le Parlement européen estime qu'il faut rétablir ces notifications, soit : je suis entre les mains des décideurs, c'est-à-dire du Parlement européen et du Conseil des ministres. Je ne fais que des propositions.
J'ai également exempté les PME de beaucoup de règles administratives que je trouve inutiles, en retenant la définition habituelle des textes européens, soit une entreprise de moins de 250 collaborateurs. Aux législateurs de décider s'ils m'accompagnent dans cette voie ou non. Les jeunes inventeurs, les créateurs de start up peinent à se développer en Europe. Sans les exonérer du respect des valeurs, j'essaye de leur éviter la paperasserie.
Le G 29 est fortement renforcé ; désormais doté d'une cohérence, il pourra influencer les autres régulateurs dans un cadre commun. S'il voit un problème émerger, il pourra initier un processus de cohérence pour le clarifier et le résoudre.
Sur le droit au déréférencement, attention : la plupart des grands moteurs de recherche prétendent que le droit à l'oubli ne serait techniquement pas possible. Nos experts pensent que si. Les citoyens doivent savoir que leurs données peuvent circuler, être vendues à des tiers. Dans certains pays, les données relatives au permis de conduire seraient vendues à des sociétés commerciales ! Pour assurer la transparence, point n'est besoin de soixante pages en petits caractères, mais d'une information claire et précise. Si des adultes décident de laisser filer, soit : c'est leur responsabilité. J'ai en revanche prévu des protections accrues pour les enfants, en-deçà de treize ans. J'aimerai connaître l'avis des élus du peuple français sur ce seuil ; ceux qui sont parents auront sans doute une opinion. En 2009, tous les grands réseaux sociaux avaient signé un accord stipulant que les profils des enfants seraient automatiquement secrets. Trois semaines plus tard, Facebook faisait le contraire... Cette fois-ci, il faudra être très contraignant, et faire appliquer la loi sur tout le territoire européen. Cette réglementation vise à faire de nous un Goliath, capable d'affronter d'autres Goliath. C'est pourquoi certains ont voulu la freiner. Elle est désormais sur la table : aux élus des peuples de voir ce qu'ils veulent en faire. La Commission est là pour les accompagner. Je me réjouis de vous voir collaborer avec les rapporteurs du Parlement européen.
M. Jean Bizet. - Je n'ai pas entendu votre réponse sur les contrôles préventifs. Sur le droit à l'oubli, il faut être très coercitif : à Google, rien d'impossible !
M. Jean-Paul Amoudry. - Vous ne m'avez pas répondu sur le G29 et les actes additifs. Je ne doute pas que la règle sera poussée à l'optimum, mais sera-t-il néanmoins possible pour un État de renforcer la protection au-delà de ce que prévoira le dispositif européen ?
Mme Viviane Reding. - Oui, les autorités peuvent intervenir de leur propre chef. J'ai éliminé la paperasserie qui me paraissait inutile. Le G 29 pourra initier un processus de cohérence pour clarifier et résoudre tout problème qui se poserait. Ses moyens d'action seront renforcés, et il sera équipé en conséquence, au lieu de devoir compter sur des éléments détachés par les autorités nationales.
Non, il n'y aura pas de niveaux de protection différents. C'est l'essence même d'un règlement : une loi identique pour tout le territoire de l'Union européenne. J'ai retenu les règles les plus protectrices des systèmes existants. Un règlement ne règle toutefois pas tous les détails, d'où la possibilité d'actes délégués, par exemple pour prendre en compte les évolutions technologiques. Nous verrons où ces actes délégués seront nécessaires pour profiter de la flexibilité, ou si le législateur préférera fixer les choses une fois pour toutes. Je suis entre les mains des parlementaires et des ministres. J'ai proposé une vision, il peut y avoir des évolutions au fil des travaux parlementaires.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je remercie Mme la commissaire pour le soin qu'elle a pris de répondre à toutes les questions.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Vous avez dit être entre nos mains, madame la commissaire. Nous avons plutôt le sentiment d'être entre les vôtres.... Nos interrogations demeurent. L'harmonisation qu'apporte le règlement est bienvenue, comme le sont de nombreux points, notamment sur le droit à l'oubli. Mais une cinquantaine d'actes délégués, c'est beaucoup, et cela prendra du temps... Espérons que le travail en commun avec le Parlement européen et les parlementaires nationaux permettra d'en réduire le nombre.
Sur le guichet unique, nos interrogations demeurent. Sans prétendre que notre système est le meilleur, il n'est pas mauvais, même s'il peut être amélioré. Nous redoutons une harmonisation vers le bas. Si l'arbre est tordu d'un côté, il faut le tordre de l'autre pour le rendre droit, dit un proverbe chinois !
L'élaboration de ce texte va prendre du temps. Nous définirons une première position le 6 mars, en séance publique. Nous souhaitons ensuite continuer à échanger avec vous pour aboutir à une bonne législation. Merci encore d'être venue à Paris. (Applaudissements)
Mercredi 22 février 2012
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Nomination de rapporteurs
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il nous faut d'abord nommer un rapporteur chargé d'examiner la proposition de résolution européenne de M. Piras sur la réforme des marchés publics et sur les contrats de concession de services. Notre commission traitera surtout des conflits d'intérêts, le reste ayant été traité par la commission des affaires européennes.
M. Gaëtan Gorce est nommé rapporteur de la proposition de résolution européenne de M. Bernard Piras sur la réforme des marchés publics et sur les contrats de concession de services.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - A propos de la proposition de loi relative aux soirées étudiantes, renvoyée en commission, j'ai reçu la candidature de M. Reichardt et de Mme Bouchoux, qui fut confrontée à ce problème en tant que chef d'établissement et administratrice d'une grande école. Je tiens beaucoup à ce que le renvoi en commission ne soit pas assimilé à l'enterrement d'un texte. Nous avions convenu de poursuivre la recherche de solutions et si possible de faire de nouvelles propositions.
Mme Corinne Bouchoux et M. André Reichardt sont nommés co-rapporteurs chargés du groupe de travail sur les fêtes étudiantes et l'ordre public.
Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Simon Sutour sur la proposition de directive (E 7054) et sur la proposition de règlement (E 7055) relatives à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, dont la commission s'est saisie en application de l'article 73 quinquies, al. 2, du Règlement du Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'audition de Mme Viviane Reding, hier, était peut-être un peu absconse, et la question de la protection des données personnelles est difficile, mais nous allons profiter des lumières de M. Sutour. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de reparler des projets de la Commission européenne, qui devraient faire l'objet de négociations assez longues. Notre commission et celle des affaires européennes ont réservé l'inscription d'un débat sur la présente proposition de résolution européenne à l'ordre du jour de la séance publique du 6 mars.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Le sujet est particulièrement important. Jusqu'ici, la protection des données personnelles était régie au niveau européen par une directive de 1995 et une décision-cadre de 2008. Les choses ont beaucoup évolué depuis leur entrée en vigueur, avec le développement d'Internet, et il faut modifier la législation. La Commission a choisi de procéder par voie de règlement sur les matières couvertes par la directive de 1995, et par voie de directive sur celles couvertes par la décision-cadre de 2008. Or un règlement est d'application directe, et ne se transpose pas dans la législation nationale : les Parlements nationaux n'auront donc pas à débattre de ce texte après son adoption.
Voilà pourquoi notre commission s'est saisie, dès le 8 février dernier, des deux propositions de textes, sur le fondement de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat. La commission des affaires européennes s'en est saisie pour avis, et les examinera aussi sous l'angle de la subsidiarité. Ces deux textes, présentés par la Commission européenne le 25 janvier, devront être adoptés selon la procédure législative ordinaire, c'est-à-dire par codécision entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne - la généralisation de cette procédure représentant un grand progrès. Les négociations, d'après le Secrétariat général aux affaires européennes, devraient durer deux ou trois ans, mais Mme Reding est un peu plus optimiste.
Jusqu'ici, je l'ai dit, le socle du droit européen de la protection des données personnelles était constitué par la directive du 24 octobre 1995, relative aux fichiers civils et commerciaux, et par la décision-cadre du 27 novembre 2008, qui porte sur les fichiers dits « de souveraineté », utilisés notamment dans le cadre de procédures pénales. La proposition de résolution que je vous soumets ne concerne que la proposition de règlement relatif aux fichiers civils ou commerciaux, destinée à se substituer à la directive de 1995, car les problèmes posés par la proposition de directive sont très différents, et il était difficile d'aborder les deux textes de front dans le délai imparti. Le second pourra faire l'objet ultérieurement d'un examen plus approfondi par nos deux commissions.
Très largement inspirée de la législation française, pionnière en la matière, la directive de 1995 a marqué en son temps une avancée décisive. Cependant, de l'avis général, il est aujourd'hui nécessaire de franchir une nouvelle étape. Car cette directive n'a pas permis une harmonisation suffisante de la protection des données personnelles dans les Etats membres : ainsi, jusqu'en 2011, l'autorité de contrôle britannique ne disposait d'aucun pouvoir de sanction contre les responsables de traitements. En outre, la mondialisation a multiplié les transferts de données avec des Etats tiers, et il convient d'unir nos forces pour imposer aux Etats non européens le respect de certaines règles. Enfin, la directive de 1995 est obsolète : la révolution des nouvelles technologies, l'explosion d'Internet, la multiplication et la place toujours plus importante des réseaux sociaux, l'indexation massive des contenus publiés en ligne accroissent considérablement le volume des données personnelles collectées et échangées, ainsi que les possibilités de consultation ou d'exploitation, notamment à des fins commerciales.
La Commission européenne a appelé, dans une communication de novembre 2010, à une approche globale du problème, et la proposition de règlement est l'aboutissement de ses travaux. Ce texte renforce sensiblement la protection des personnes. Il impose leur consentement exprès à l'utilisation des données qui les concernent. Il reconnaît aux internautes un « droit à la portabilité » de leurs données, grâce auquel ils pourront s'affranchir de l'autorité de traitement sans perdre l'usage de leurs données. Il réaffirme le droit d'opposition de chacun au traitement de ses données personnelles et encadre strictement la possibilité pour les responsables de traitement de soumettre les données recueillies à un « profilage » informatique. Il consacre un droit à l'oubli numérique, en permettant à chacun d'obtenir l'effacement des données personnelles qui lui portent préjudice.
Les fichiers seraient soumis à de nouvelles règles d'autorisation ; les plus sensibles devraient faire l'objet d'une étude d'impact. La règlementation relative au transfert de données vers des pays tiers serait modifiée.
Les responsables de traitement se verraient imposer des obligations nouvelles, comme la désignation d'un délégué à la protection des données dans les entreprises de plus de 250 salariés, et les sanctions contre les entreprises contrevenantes seraient renforcées. La proposition de règlement adapte aussi le système de contrôle des responsables de traitement en créant un comité européen de la protection des données, auquel serait associé le Contrôleur européen de la protection des données, qui se substituerait à l'actuel groupe de travail réunissant les « Cnil » européennes, dit « G 29 ».
On doit se féliciter de ces propositions. Certaines de ces mesures sont déjà en vigueur dans notre droit, comme l'exigence du consentement exprès, le droit d'opposition ou de rectification, ou encore l'indépendance et les pouvoirs de l'autorité de contrôle. Sous d'autres aspects, le texte consacre des évolutions attendues. Je rends hommage à nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier qui, dans leur rapport d'information sur la vie privée à l'heure du numérique, puis dans leur proposition de loi rapportée par Christian Cointat, suggéraient déjà de reconnaître le droit à l'oubli et d'imposer la désignation de délégués à la protection des données. Regrettons que cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité par le Sénat il y a près de deux ans, n'ait jamais été examinée par l'Assemblée nationale...
Sur d'autres points, il serait possible d'aller plus loin, comme sur le droit à l'oubli et les moteurs de recherche, le statut juridique de l'adresse IP, l'encadrement des transferts internationaux de données, ou encore l'obligation de désigner un délégué à la protection des données personnelles.
Surtout, la proposition de règlement pose deux questions de principe. On se demande d'abord dans quelle mesure le législateur national pourra adopter des dispositions plus protectrices que le droit européen. La Commission a fait le choix d'un règlement plutôt que d'une directive, afin de mieux harmoniser les législations. Mais s'agira-t-il d'un plancher ou d'un plafond ? Peut-on envisager qu'en élevant le niveau moyen de protection apporté aux citoyens européens, le règlement diminue celui dont bénéficient les résidents d'un Etat membre qui a fait le choix de garanties complémentaires ? La question intéresse tout particulièrement les Français, qui bénéficient d'une législation pionnière en la matière.
La protection des données personnelles participe de la protection de la vie privée, que le Conseil constitutionnel rattache à la liberté individuelle, mentionnée à l'article 2 de la Déclaration des droits de 1'homme et du citoyen. Cet ancrage constitutionnel justifie que la protection des données prime toutes les autres considérations, notamment les considérations économiques que la Commission européenne met en avant pour limiter les garanties apportées aux personnes. J'ai été un peu choqué d'entendre Mme Reding insister hier sur l'intérêt pour les entreprises d'avoir affaire à un interlocuteur unique, beaucoup plus que sur les droits des citoyens.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est le cadet de ses soucis...
M. Simon Sutour, rapporteur. - La proposition de résolution invite donc le Gouvernement français à veiller à ce que 1'harmonisation s'effectue sans préjudice de la possibilité pour les Etats membres d'adopter des dispositions plus favorables à la protection des données.
D'ailleurs, la proposition de règlement ne définit pas assez précisément le cadre légal qu'elle met en place. Cela se manifeste par le renvoi, plus de cinquante fois dans le texte, à des actes délégués ou d'exécution adoptés par le collège des commissaires, pour préciser les modalités d'application du règlement. Toutes les personnes que j'ai entendues ont critiqué ce renvoi massif à la législation déléguée. La commission des affaires européennes se prononcera sur le respect du principe de subsidiarité, sur le fondement de l'article 88-6 de la Constitution.
Le texte pose une deuxième question de principe, soulevée notamment par la Cnil dont la présidente a alerté notre commission lors de son audition en novembre dernier. Il s'agit du « guichet unique ». La Commission européenne propose d'attribuer la compétence pour instruire les requêtes des citoyens européens à l'autorité de contrôle du pays dans lequel le responsable de traitement a son « principal établissement ». L'objectif avoué est de faciliter les démarches administratives des entreprises, qui n'auront plus qu'un interlocuteur unique à l'échelle de l'Union ; leurs représentants s'en félicitent. N'est-il pas paradoxal que les citoyens soient moins bien traités que les entreprises, et privés de la possibilité de voir l'ensemble de leur plaintes instruites par l'autorité de contrôle nationale ? Puisqu'il s'agit ici de protéger les citoyens et de leur assurer un droit de recours effectif, il faut - comme en matière de consommation - qu'ils puissent s'adresser à l'autorité la plus proche, auprès de laquelle ils ont l'habitude d'accomplir leurs démarches.
En outre, sans même évoquer le risque de forum shopping dénoncé par la Cnil - c'est-à-dire le danger que le niveau de protection assuré par les différentes autorités nationales n'influe sur les choix d'installation des entreprises -, le « guichet unique » présente de multiples inconvénients. La question se pose d'abord des moyens des autorités de contrôle : en Irlande, où est installé Facebook, l'autorité nationale sera-t-elle en mesure de faire face à l'afflux de contentieux en provenance des autres pays européens ? Rappelons que l'Irlande ne compte que 4,5 millions d'habitants... En outre, ce système crée, pour le plaignant, une asymétrie entre les recours administratifs exercés auprès de l'autorité étrangère, et les recours juridictionnels portés devant le juge national.
La Commission a certes prévu des aménagements : elle propose une coordination entre autorités de contrôle, et prévoit que l'autorité nationale se chargera de la transmission de la plainte à l'autorité étrangère. La Cnil deviendrait une boîte aux lettres... Ces expédients sont insuffisants : le citoyen se voit privé de la possibilité à la fois de voir sa demande instruite par l'autorité la plus proche et la plus accessible, et de se voir appliquer les dispositions de droit national plus favorables.
C'est pourquoi il me semble nécessaire que le Gouvernement veille à ce que le critère du « principal établissement » soit abandonné au profit du principe selon lequel l'autorité de contrôle compétente est celle du pays de résidence de l'intéressé.
Tel est le sens de la proposition de résolution que je vous propose d'adopter, sous réserve d'éventuels amendements. La commission des affaires européennes s'en saisira pour avis, après s'être saisie du projet de la Commission européenne quant au respect du principe de subsidiarité. La discussion en séance aura lieu le 6 mars.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je me félicite que la commission se soit saisie de ces deux textes fort importants. Je m'interroge en particulier sur deux points. Tout d'abord, s'il faut se réjouir que le projet de la Commission européenne reconnaisse que les données sont la propriété des personnes, exige leur consentement exprès aux utilisations qui en seront faites et impose le droit à l'oubli, on se demande comment ces dispositions seront appliquées. Comment un citoyen pourra-t-il obtenir la suppression de telle ou telle donnée sur l'ensemble de l'Internet ?
Sur le critère du « principal établissement », qui inquiète la présidente de la Cnil, nous n'avons pas obtenu hier de réponse claire. Mme Reding a dit et répété que le droit le plus exigeant s'appliquerait désormais dans toute l'Union, mais lorsque nous l'avons interrogée sur des problèmes concrets, nous sommes restés sur notre faim.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Elle a dit plus exactement avoir pris pour base de réflexion la législation en vigueur dans quelques pays parmi les plus avancés. Là où les données personnelles étaient jusqu'à présent très mal protégées, comme au Royaume-Uni, le projet de la Commission européenne représente un progrès considérable. En France, même si notre système est perfectible et les moyens de la Cnil insuffisants, l'harmonisation proposée se traduirait par une baisse du niveau de protection.
M. Gaëtan Gorce. - Je suis moi aussi très satisfait que nos deux commissions se soient saisies de ce sujet très préoccupant, sur lequel le Parlement français doit s'exprimer dès à présent puisque le règlement ne donnera lieu à aucune transposition. Mme Reding a beau s'exprimer dans un français parfait, je ne l'ai pas trouvée parfaitement claire lors de son audition d'hier. Elle a semblé méconnaître certains aspects du droit existant : je ne sais si un étudiant autrichien ayant affaire à Facebook doit déjà s'adresser au régulateur irlandais, mais il est certain qu'un étudiant français peut se tourner vers la Cnil, qui a le pouvoir de sanctionner une entreprise contrevenante et s'est déjà prononcée sur une affaire concernant Google Earth. Mme Reding n'a pas non plus clarifié la notion de « principal établissement », dont l'ambiguïté est matière à contentieux. Son objectif affiché est d'harmoniser le droit européen, mais elle ne prend pas en compte les différences de niveau de protection d'un Etat à l'autre.
Quant à la suppression des formalités préalables demandées aux entreprises, j'en vois bien l'intérêt pour ces dernières, mais il me paraît inadmissible de parler de « paperasserie » : à ce mot, je suis sorti de ma réserve, sans manquer, je crois, à la courtoisie... Ces formalités préalables sont l'occasion d'un contrôle a priori, même sommaire ; à l'avenir, seul pourrait s'exercer un contrôle a posteriori, par voie contentieuse... Ce serait un recul de la protection des citoyens.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les débats récents sur la protection de l'identité ont montré que les moyens techniques étaient au moins aussi nécessaires que les moyens juridiques. Pourquoi ne pas exiger que, lorsque deux techniques sont disponibles, la plus protectrice des droits individuels soit choisie ? Cela offrirait un moyen de contester les décisions des responsables de traitements.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je comprends de moins en moins la fabrication des normes européennes. Nous avons appris dans notre jeunesse à distinguer les règlements, d'application immédiate, et les directives, qui doivent être transposées en droit interne. Or, selon la proposition de résolution, l'harmonisation européenne ne saurait « priver les Etats membres de la possibilité d'adopter des dispositions nationales plus protectrices ». Mais un règlement, une fois adopté, devient la loi de toute l'Union ! Il en va différemment des directives, que nous avons souvent transposées avec beaucoup de sophistication... Sera-t-il juridiquement possible d'ajouter au règlement d'autres dispositions, nationales celles-ci ? Sans doute faut-il soulever la question de la subsidiarité.
M. Simon Sutour, rapporteur. - La commission des affaires européennes l'a fait.
M. Jean-Jacques Hyest. - La directive de 1995 est devenue obsolète, et le projet de la Commission européenne présente d'incontestables progrès ; il reprend les principes qui fondent déjà la législation de quelques autres pays avancés, dont le nôtre. Mais l'harmonisation se traduirait en France par un recul. En outre, on peut se demander si les recours prévus seront efficaces.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Si M. le président le permet, je réponds tout de suite à cette question technique. Il sera permis à un Etat d'adopter des dispositions plus protectrices si le règlement le prévoit explicitement, comme c'est le cas en droit de la consommation.
M. Jean-Jacques Hyest. - Ou en droit des sociétés.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Nous parlons d'un texte législatif européen, qui doit être négocié entre 27, bientôt 28 Etats membres : nous sommes au début d'un processus long et complexe, qu'un ancien Premier ministre appelait une partie de pancrace... Le Parlement européen désignera bientôt un rapporteur. Le Sénat doit contribuer à ce débat, et demander à ce que soient préservées les garanties apportées par le droit français.
Mme Virginie Klès. - Je me pose les mêmes questions sur le respect du principe de subsidiarité et la sécurité juridique du dispositif proposé. Quelles seront concrètement les voies de recours ? Je n'ai pas eu de réponse hier sur les contrôles préventifs : la Cnil y est aujourd'hui habilitée, mais le règlement restreint ces possibilités. Enfin, le nivellement par le haut ne sera qu'un voeu pieux si l'on n'y met pas les moyens nécessaires.
M. Alain Richard. - Le choix du règlement par la Commission européenne peut surprendre et gêner ; il ne se comprend que si l'on considère le bilan des directives passées. L'harmonisation des législations nationales par voie de directive s'est grippée. La transposition des textes donne lieu à un concours d'ingéniosité entre Parlements : c'est à qui transposera le moins complètement et le plus tard. Les moyens disponibles pour imposer aux Etats le respect de leurs obligations - action en manquement, astreinte sous le contrôle de la Cour de justice - ne sont pas proportionnés. Ce n'est donc pas par malignité bureaucratique que la Commission a choisi de procéder différemment.
Cependant, la remarque de M. Hyest est tout à fait pertinente. Certes, comme le souligne M. le rapporteur, en droit interne français il n'est jamais interdit d'ajouter à des dispositions protectrices des libertés d'autres dispositions plus protectrices. Mais il faut tenir compte du risque de « discrimination à l'envers » : les entreprises seraient soumises en France à des contraintes supérieures au droit commun européen. Or le principe de la libre prestation de services s'applique. L'obligation asymétrique imposée aux prestataires de services en France pourrait donner lieu à l'invocation d'une discrimination.
Je ne combats pas le choix de la Commission, rendu nécessaire par le fait que certains Etats répugnent à transposer correctement les textes européens, pourtant adoptés régulièrement, en application des traités qu'ils ont signés. Dans ces conditions, il y a fort à parier que le choix du règlement se généralisera.
Mme Catherine Tasca. - Je souscris pour l'essentiel à la proposition de résolution de M. Sutour, et aux remarques qui ont été faites. La prochaine étape sera d'examiner dans quelle mesure le projet de la Commission respecte le principe de subsidiarité. Ce texte suscite de telles inquiétudes que nous devons nous départir des formules habituelles : au lieu d'écrire que le Sénat « se félicite des notables avancées que porte la proposition de règlement », écrivons plus simplement que le Sénat « prend acte des avancées ». Il n'y a pas de raison d'adresser d'emblée un satisfecit à la Commission.
M. Yves Détraigne. - Je salue l'initiative de M. Sutour. Il a rappelé les travaux menés par Mme Escoffier et moi-même. Il faut préserver les protections apportées par le droit français, sans rendre pour autant le système trop contraignant. Il est important d'améliorer les garanties apportées aux citoyens ; Mme Reding a surtout parlé des 2,3 milliards économisés par les entreprises. Le droit à l'oubli est une excellente chose, ainsi que l'obligation de notification des failles de sécurité, mais il faut s'assurer que les citoyens pourront aisément faire valoir leurs droits, en s'adressant au régulateur de leur pays. Prenons garde, toutefois, aux contraintes excessives.
M. Jean-Paul Amoudry. - Je m'inquiète de la réduction des pouvoirs de contrôle des autorités nationales. L'article 53 de la proposition de règlement ne les autorise à procéder à des contrôles dans les locaux des entreprises que « s'il existe un motif raisonnable de supposer qu'il s'y exerce une activité contraire au règlement » : cette condition limitera leur activité et provoquera des contentieux.
Je me réjouis que soit institué un droit à l'oubli, mais la Commission n'est pas allée jusqu'à imposer la désindexation des données par les moteurs de recherche.
On peut aussi se féliciter de la simplification des démarches des entreprises, mais la fin des formalités préalables privera les autorités de contrôle d'un contact permanent avec les responsables de traitement, et ne leur permettra pas d'être au fait des dernières avancées technologiques. En cas de plainte, cette expertise leur fera défaut.
Il faudrait évaluer l'impact de ce projet sur les droits des citoyens. La Cnil sera-t-elle encore en mesure de remplir les missions qui lui ont été confiées par le législateur français ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le groupe CRC n'est pas vraiment d'accord avec la proposition de résolution en l'état. Jusqu'à quand pouvons-nous vous faire parvenir nos amendements ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, nous allons adopter aujourd'hui une première fois cette proposition de résolution. Nous examinerons mercredi prochain les éventuels amendements, qui devront être déposés avant lundi midi.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Je ne répondrai pas dans le détail à chaque intervention, parce qu'il me manque certains éléments, et parce que nous aurons l'occasion de revenir sur ce texte.
Les autorités nationales conservent un pouvoir de contrôle : l'article 52 de la proposition de règlement les autorise à mener des enquêtes, soit de leur propre initiative, soit à la suite d'une réclamation.
Ce texte est d'une taille imposante, et si nous voulons être audibles, il n'est pas question de le réécrire entièrement. C'est pourquoi j'ai concentré le tir sur deux points. En premier lieu, il faut revoir le critère du « principal établissement », afin qu'un citoyen français n'ait pas à s'adresser à l'autorité de Dublin ; la Cnil a fait ses preuves, et c'est un échelon de proximité. La négociation sera difficile, car nous ne sommes pas nombreux à réclamer une modification de la proposition sur ce point ; peu d'Etats, il est vrai, se sont dotés d'une législation aussi protectrice.
En second lieu, il faut s'assurer que les Etats auront le droit d'adopter des dispositions plus protectrices que la norme européenne ; c'est possible, je le répète, si le règlement le prévoit expressément.
La commission des affaires européennes se prononcera notamment sur le respect du principe de subsidiarité. Elle a mis en place sous ma présidence un groupe de travail à ce sujet, où sont représentés tous les groupes politiques et qui se réunit tous les quinze jours. Il a décidé la semaine dernière de se saisir de ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous propose d'adopter la proposition de résolution de M. Sutour, en la rectifiant d'ores et déjà pour prendre en compte la remarque de Mme Tasca.
La proposition de résolution, modifiée, est adoptée.
Moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire - Examen du rapport en nouvelle lecture
Puis la commission examine le rapport, en nouvelle lecture, sur le projet de loi n° 386 (2011-2012) de programmation relatif à l'exécution des peines.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteure. - Le Sénat doit se prononcer en nouvelle lecture sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, adopté le 20 février par l'Assemblée après l'échec de la CMP réunie le 14 février.
En nouvelle lecture, les députés ont supprimé les articles introduits par le Sénat, à la seule exception de l'article 7 ter relatif à la possibilité donnée aux praticiens hospitaliers de réaliser des expertises pendant leur temps de service. Ils ont rétabli le texte et l'intitulé qu'ils avaient adoptés en première lecture.
Les deux assemblées défendent des visions antinomiques de la politique pénitentiaire : le Gouvernement et la majorité des députés veulent accroître les capacités du parc pénitentiaire, alors que le Sénat souhaite qu'une politique dynamique d'aménagement des peines réduise le nombre d'incarcérations et combatte la récidive en favorisant la réinsertion des condamnés. Ces deux visions ne sont guère compatibles, mais je regrette que plusieurs dispositions introduites par le Sénat qui auraient pu faire l'objet d'un compromis aient été repoussées après un examen expéditif à l'Assemblée nationale. Tel est notamment le cas des modalités d'information du chef d'établissement sur les antécédents judiciaires d'un élève : la version du Sénat préserve la présomption d'innocence et limite plus précisément les destinataires de l'information, mais le rapporteur de l'Assemblée nationale s'est borné à observer que « si le texte adopté par le Sénat ne rejette pas l'idée d'un partage d'informations qui aujourd'hui n'est pas prévu par le code de procédure pénale, il apparait toutefois en deçà de l'enjeu de la prévention du renouvellement d'infractions particulièrement graves ».
Sur plusieurs points, les positions du Sénat ont été déformées. Ainsi, on nous a prêté une « véritable indifférence pour le sort des personnes incarcérées dans les établissements surpeuplés », alors que la majorité sénatoriale a joué un rôle déterminant dans le cadre de la loi pénitentiaire pour affirmer le principe de l'encellulement individuel ! Nul ne peut nous reprocher de négliger la dignité des détenus !
L'Assemblée nationale ayant rétabli son texte de première lecture, je ne peux que réitérer les principales objections à ce texte : l'objectif d'un parc pénitentiaire de 80 000 places traduit la priorité donnée à l'incarcération par rapport aux aménagements de peine, malgré la volonté contraire affirmée par le législateur en 2009 ; la mise en place de structures spécifiques aux courtes peines est incompatible avec le principe posé par la loi pénitentiaire aménageant les peines inférieures ou égales à deux ans ; la nécessité de partenariats public-privé n'est toujours pas démontrée ; la lutte contre la récidive risque de rester sans effet par manque de conseillers d'insertion et de probation ; l'accroissement du nombre de centres éducatifs fermés au détriment des autres structures d'hébergement diminue la faculté concrète des juges à apporter la réponse pénale adaptée à la personnalité de chaque mineur délinquant ; enfin, l'examen du texte en procédure accélérée à la veille d'échéances électorales majeures empêche un débat approfondi.
La poursuite de la discussion étant dès lors impossible, je vous propose d'opposer une question préalable au projet de loi adopté par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pour le coup, la question préalable est tout sauf une procédure dilatoire : Mme Borvo Cohen-Seat avait proposé une réécriture du texte qui a été rejeté en bloc par les députés.
M. Patrice Gélard. - Notre position est la même qu'en première lecture : nous ne voterons pas la question préalable.
M. Jean-Pierre Michel. - Nous, si. En première lecture, la question préalable n'a pas été opposée au texte, qui a été étudié sur la base de nombreuses auditions de la part de Mme Borvo Cohen-Seat et a fait l'objet de propositions nouvelles. En revanche, la CMP fut très rapide : après l'intervention de chacun des rapporteurs, son président a dit que tout rapprochement était impossible. Si nous avions examiné chaque article, nous aurions peut-être pu trouver quelques compromis permettant d'adopter aujourd'hui une autre position. Je regrette que nous en soyons réduits à la question préalable, mais la responsabilité en incombe à la majorité des députés.
Mme Catherine Tasca. - Je déplore que l'Assemblée nationale nous accule à opposer la question préalable, mais nous ne pouvons cautionner un texte qui aggraverait encore la situation alors que la surpopulation carcérale excède tous les seuils acceptables.
M. Pierre-Yves Collombat. - En somme, dans l'esprit des représentants de la majorité présidentielle, le bicamérisme n'a lieu de fonctionner que lorsque le Sénat se range à l'avis de l'Assemblée nationale. Son rejet ayant été expéditif, une réponse expéditive s'impose. De très nombreux membres du RDSE voteront la question préalable.
M. Christian Favier. - Par contraste avec la manière dont nous avons examiné cette semaine le texte proposé par un député de la majorité sur l'intercommunalité, il apparaît que la majorité de l'Assemblée nationale est extrêmement brutale envers le travail du Sénat.
Sur le fond, tout a été dit quant à la dérive sécuritaire du texte adopté par les députés, qui aggrave la fuite en avant de l'incarcération. J'ajoute une mise en garde contre les partenariats public-privé en matière de réalisation, vu la dérive des coûts caractérisant l'hôpital sud-francilien dans l'Essonne.
M. François Zocchetto. - Nous ne voterons pas la question préalable, car ce sujet de première importance mérite un débat, mais cette issue était prévisible : le débat est vicié par l'adoption d'une procédure accélérée dans le contexte politique actuel. Les torts sont partagés, puisque les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat sont antagonistes.
Tout cela nourrit néanmoins notre réflexion pour les temps à venir.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteure. - Il est normal que certains d'entre nous refusent la question préalable, mais la procédure accélérée n'a aucune justification, hormis la volonté d'affichage qui inspire le Gouvernement en ces temps de campagne électorale. La discussion ne peut plus continuer.
Nous n'avons pas opposé la question préalable en première lecture, précisément parce que nous voulions un débat. Il s'est déroulé ici entre majorité présidentielle et majorité sénatoriale. Je n'ose penser que les députés de la majorité présidentielle soient différents des sénateurs de la même majorité, mais le Gouvernement et l'Assemblée nationale n'ont pas souhaité poursuivre la discussion. C'est regrettable, même en période préélectorale.
Cela dit, puisque le débat est impossible, il est inutile de perdre du temps à répéter la même chose.
La commission adopte la motion tendant à opposer la question préalable.
Contrôle des armes moderne, simplifié et préventif - Examen du rapport et du texte en deuxième lecture
Puis la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 331 (2011-2012), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. - Le Sénat est saisi, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif de MM. Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann.
L'Assemblée nationale l'avait adoptée en première lecture le 25 janvier 2011, puis le Sénat l'a votée à l'unanimité le 8 décembre 2011 après avoir apporté quelques modifications. L'Assemblée nationale l'a adoptée en deuxième lecture le 1er février, non sans avoir confirmé presque toutes nos modifications.
Les députés ont en outre effectué quelques ajustements pour la plupart conformes à l'esprit de notre vote.
Ils ont tout d'abord modifié la catégorie A en adoptant un amendement inspiré par le ministère de la défense pour distinguer l'ensemble des matériels de guerre, qu'il s'agisse d'armes, de véhicules ou d'équipements - constituant la catégorie A2 - des autres armes soumises au régime d'acquisition et de détention le plus restrictif - soit la catégorie A1. Est ainsi préservé le statut particulier des armes et matériels de guerre via une sous-catégorie spécifique.
Parallèlement, les députés ont ajusté le régime d'acquisition et de détention applicable aux armes de catégorie A, dont la prohibition totale de l'acquisition et de la détention devait permettre une distinction parfaitement claire avec les armes de catégorie B, soumises à autorisation. En effet, cette solution a inquiété les chasseurs et tireurs sportifs : ils ont craint que certaines armes, aujourd'hui classées en catégorie 1 à 4, qu'ils peuvent acquérir et détenir à titre dérogatoire, leur deviennent inaccessibles faute d'être classées en catégorie B. Les députés ont donc modifié l'article 3 pour qu'un décret en Conseil d'État puisse instaurer des autorisations dérogatoires à la prohibition imposée aux armes de catégorie A.
Ainsi, le dispositif résultant des articles 1er et 3 de la proposition de loi a partiellement perdu sa simplicité originelle pour se rapprocher largement du droit aujourd'hui applicable aux armes de catégories 1 à 4 : les armes de catégorie A seront en principe interdites à l'acquisition et à la détention, mais avec de possibles dérogations par décret en Conseil d'Etat ; les armes de catégorie B seront soumises à autorisation. Toutefois, le passage de 8 catégories à 4 est préservé, même si deux d'entre elles se subdivisent en deux sous-catégories. Cette indéniable simplification devrait permettre une meilleure intelligibilité du classement.
En troisième lieu, l'Assemblée nationale a opéré d'ultimes ajustements des formalités exigées pour l'acquisition et la détention des armes des catégories B et C, en respectant l'esprit du texte voté par le Sénat, pour mieux distinguer les obligations liées à chaque catégorie.
En quatrième lieu, les députés ont apporté quelques modifications à l'article 32, relatif à la sanction pénale du transport et du port d'armes. Ces adaptations concernent les armes de chasse. Afin d'apaiser certains représentants de chasseurs entendus par sa commission des lois, l'Assemblée nationale a en effet précisé qu'un permis de chasser conférerait à son détenteur une présomption de transport légitime de l'arme, même en l'absence de la validation de l'année en cours ou de l'année précédente. En revanche, comme précédemment, seul le permis de chasser accompagné de la validation de l'année en cours ou de l'année précédente constituera une présomption de port légitime - en action de chasse ou pour toute activité connexe - des armes qu'il permet d'acquérir.
Les députés ont ensuite facilité l'acquisition d'armes dans certains cas. Ces modifications sont issues de l'audition du comité Guillaume Tell, qui représente diverses catégories d'utilisateurs. Ils ont ainsi accepté d'inclure des armes de catégorie B parmi celles dont un décret en Conseil d'Etat autorisera une livraison directe à l'acquéreur dans le cadre d'une vente par correspondance ou à distance. Aujourd'hui, les armes soumises à autorisation peuvent être achetées à distance, mais il faut les faire livrer dans une armurerie, ce qui ne facilite pas la vie des amateurs de tir sportif ne disposant pas d'un tel commerce à distance raisonnable de leur domicile. Les garanties de sécurité publique apparaissent suffisantes, puisque l'acheteur devra présenter l'autorisation obtenue auprès de l'administration dans les trois mois précédant la vente. En outre, l'armurier pourra consulter le fichier des interdits d'armes comme lors d'une vente en magasin. Il devra ensuite avertir l'administration de la transaction, afin que l'arme soit enregistrée. Le décret en Conseil d'Etat devrait aussi disposer que l'arme est livrée en plusieurs éléments.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement de M. Christian Estrosi autorisant les personnes physiques et les personnes morales telles que les musées, les collectivités locales ou les organismes d'intérêt général à vocation culturelle, historique ou scientifique à se porter acquéreurs dans les ventes publiques des armes des catégories A, B ou D, à condition d'être par ailleurs autorisés à les acheter et à les détenir en vertu des règles fixées par l'article 3 du texte. Seuls les armuriers peuvent actuellement acquérir ces armes dans les ventes publiques.
Pour le reste, l'Assemblée nationale a pleinement approuvé le statut du collectionneur introduit par le Sénat en première lecture, en retenant toutes les obligations que nous avions adoptées : présenter un certificat médical, se sensibiliser aux règles de sécurité dans le domaine des armes, prévenir le vol de la collection.
D'autre part les députés ont accepté la rédaction issue du Sénat pour le dispositif qu'ils avaient ajouté afin de rendre obligatoire le prononcé des peines complémentaires relatives aux armes en cas de condamnation pour un certain nombre d'infractions, là où le droit en vigueur ne prévoit qu'une faculté.
En conclusion, le texte transmis en deuxième lecture ne diffère guère de celui que nous avions adopté en première lecture ; il me paraît respecter les exigences de la sécurité publique tout en garantissant aux utilisateurs légitimes d'armes à feu la poursuite de leur activité de loisir dans de bonnes conditions. Attendue depuis de nombreuses années, la simplification de la classification allègera considérablement la réglementation, au plus grand profit des utilisateurs et de l'administration. Dans ces conditions, je vous propose d'approuver ce texte en l'état.
M. Alain Richard. - Notre groupe approuve la recommandation du rapporteur : cette proposition de loi mérite un hommage, car elle a été élaborée conjointement par des députés de groupes différents avant d'être travaillée en relation avec une administration qui a fait son travail avec impartialité, le ministère de l'intérieur s'étant abstenu pour une fois de politiser le sujet. Enfin, les deux assemblées ont fourni un travail constructif.
M. Patrice Gélard. - Nous partageons l'avis du rapporteur, qui présente un texte équilibré grâce au terrain d'entente qu'il a trouvé avec l'Assemblée nationale.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce vote conforme n'étant pas un vote de conformisme, nous l'approuvons aussi.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Même les chasseurs du Var souscrivent !
M. François Zocchetto. - Je ne suis guère chasseur, mais je voterai ce texte en me félicitant de l'excellent travail parlementaire réalisé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Depuis dix ans, j'interpelle régulièrement le Gouvernement sur l'utilisation du Taser, par les forces de police notamment, mais je n'ai jamais eu de réponse. Aux États-Unis, 500 personnes seraient mortes après un tir de Taser. Je vais donc interpeller à nouveau le Gouvernement sur cette arme dangereuse.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. - Je me réjouis de cette concorde nationale et remercie les intervenants pour leurs félicitations.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a formulé une remarque fondée. Il faudra poursuivre la discussion sur ce sujet, mais j'observe que les utilisateurs de Taser sont moins nombreux que ceux d'armes de tir sportif ou de chasse.
La commission adopte la proposition de loi sans modification.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - À l'unanimité ! Je remercie le rapporteur pour son efficacité.
Reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - Examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission
Enfin, la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
M. Jean-Pierre Sueur, président, en remplacement de Mlle Sophie Joissains, rapporteure. - J'adresse nos voeux de prompt rétablissement à Mlle Joissains et vous présente son rapport en son nom.
Le Sénat doit se prononcer en deuxième lecture sur la proposition de loi relative aux formations supplétives des forces armées, adoptée le 20 février en première lecture par l'Assemblée nationale.
Je rappelle que notre collègue Raymond Couderc est à l'origine de ce texte, modifié par le Sénat en première lecture pour viser l'ensemble des forces supplétives et leur conférer la protection assurée aux forces armées par les articles 30 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, tous ceux qui ont choisi de combattre pour la France dans le cadre de ses forces armées bénéficieront, face à la diffamation et à l'injure, de la protection apportée aux militaires stricto sensu et aux résistants : la diffamation sera passible de 45 000 euros d'amende ; l'injure, de 12 000 euros. En outre, les associations défendant les intérêts moraux et l'honneur des personnes appartenant ou ayant appartenu aux forces supplétives pourront désormais se constituer partie civile en cas d'injures ou de diffamation. Ce texte possède une forte valeur symbolique marquant la dette de la Nation envers les forces supplétives, en particulier les harkis.
Respectant la logique de notre rédaction, les députés ont unanimement modifié l'intitulé de la proposition de loi afin de supprimer la référence à la loi du 23 janvier 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Ainsi, le texte vise de manière générale les « formations supplétives des forces armées ». Je vous invite à accepter ce nouvel intitulé.
M. René Vandierendonck. - Comme en première lecture, nous voterons la rédaction proposée.
M. Patrice Gélard. - Nous approuvons également les conclusions de Mlle Joissains, qui a beaucoup travaillé sur cette affaire.
La commission adopte la proposition de loi sans modification.