Mardi 13 mars 2012
- Présidence de M. David Assouline, président -Egalité des droits et des chances, participation et citoyenneté des personnes handicapées - Table ronde avec les représentants d'associations
M. David Assouline, président. - Notre commission s'intéresse à l'application des lois, c'est-à-dire à la traduction règlementaire qu'en fait l'administration et à la façon dont les textes sont mis en oeuvre sur le terrain. C'est à ce titre que nos discussions avec la commission des affaires sociales ont fait apparaître l'intérêt d'évaluer la loi du 11 février 2005 relative au handicap. J'observe d'ailleurs que cet intérêt est partagé puisque sur le blog que nous avons mis en place sur le sujet pour faire appel à l'expertise citoyenne, plus de 280 contributions ont déjà été reçues contre une dizaine pour chacun des autres thèmes sur lesquels nous travaillons.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - La loi de 2005 est la première que la commission des affaires sociales nous a proposée pour ce travail d'évaluation, ce qui s'explique notamment par son importance et le grand nombre de domaines qu'elle recouvre. Pour ce faire, nous allons rencontrer, outre les grandes associations que vous représentez, des acteurs de terrain. S'agissant de l'audition de ce jour, je vous remercie des réponses que vous pourrez faire aux questions que nous vous avons adressées.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. - Ma collègue Claire-Lise Campion et moi, qui n'appartenons pas au même groupe politique, procédons à cette évaluation dans un climat de respect mutuel et d'objectivité, ce qui signifie que si nous avions des désaccords, ils apparaîtraient dans notre rapport. Comme elle l'a indiqué, nous avons prévu de procéder non seulement à des auditions au Sénat, mais aussi d'aller rencontrer des acteurs sur le terrain, en France et peut-être même à l'étranger, afin de recueillir le plus grand nombre de contributions et d'idées utiles. Permettez-moi enfin de rendre hommage à Paul Blanc qui n'est plus sénateur mais qui serait sans doute à ma place devant vous s'il siégeait encore dans notre assemblée.
M. Jean-Marie Barbier, président de l'Association des Paralysés de France (APF). - La loi du 11 février 2005 est le cadre des différentes politiques visant à mieux intégrer dans notre société les personnes en situation de handicap, que ce soit en matière d'accessibilité, de scolarisation, d'emploi, ou de compensation. Encore faut-il que ce texte soit effectivement mis en oeuvre, difficulté à laquelle nous sommes tous confrontés.
Cette loi étant le point de départ de la politique du handicap pour de nombreux acteurs sociaux, un certain temps était sans doute nécessaire pour qu'ils se l'approprient. Mais tous les efforts n'ont sans doute pas été faits pour faire prendre conscience de la nécessité d'une large mobilisation ; la politique du handicap concerne tous les ministères, elle touche tous les âges et toutes les situations de vie.
De façon plus spécifique, la question des ressources est pour nous un sujet important dont la loi de 2005 s'est assez peu préoccupée. Je rappellerai notre revendication dans le cadre du collectif « Ni pauvre, ni soumis » d'un revenu d'existence pour les personnes qui ne peuvent pas, ou plus, travailler ; il s'agirait en fait de sortir l'allocation adulte handicapé (AAH) du champ des minima sociaux dans la mesure où le mécanisme actuel rend dans les faits la personne handicapée dépendante de son conjoint, puisque l'allocation est déduite des revenus de ce dernier. Ceci est contraire à l'idée d'autonomie financière.
L'accès aux soins est un autre problème, de plus en plus aigu. Le montant de l'AAH étant fixé quelques euros au-dessus du seuil de la couverture médicale universelle (CMU), aucune personne handicapée ne peut en principe bénéficier de cette dernière. Si certaines peuvent disposer de la CMU-Complémentaire, le taux des personnes handicapées qui y ont recours n'est passé que de 7% à 15% en sept ans -mais tous sont en revanche touchés par les franchises médicales et autres limitations.
Nous dressons donc un bilan mitigé de la loi, pour le vote de laquelle notre association s'était fortement mobilisée. Certes l'APF reconnait des avancées dans nombre de domaines, mais elle regrette le manque d'impulsion politique, l'absence de dispositifs relatifs à la formation des enseignants ou celle de l'agence de l'accessibilité universelle -promise aujourd'hui par les deux principaux candidats à la présidentielle, mais qui aurait pu voir le jour à la suite de la loi de 2005.
A propos des allocations, la prestation de compensation du handicap (PCH) - ne permet pas aujourd'hui de couvrir tous les besoins. Notre association s'efforce d'obtenir son élargissement à toutes les aides domestiques et la prise en compte du droit à la parentalité, les parents en situation de handicap ne bénéficiant aujourd'hui d'aucune aide pour leurs enfants. Le périmètre de la PCH étant restreint, environ 100 000 bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) refusent d'en demander le bénéfice alors qu'elle ne pourra être véritablement évaluée que lorsqu'elle sera généralisée. Encore faudrait-il que les bénéficiaires de l'ACTP ne subissent pas de perte financière en optant pour la PCH ; or les conditions de son attribution sont variables, les bénéficiaires de l'ACTP sont exclus des autres éléments de compensation, mis à part l'aide humaine. Dans certains départements, ils ne peuvent pas non plus faire appel au fonds de compensation pour les aides techniques, ce qui est choquant et revient à dire que pour eux, la loi de 2005 n'a apporté aucune amélioration ; leur situation s'est même parfois dégradée.
Les tarifs et plafonds de la PCH sont trop bas, ce qui amène les handicapés à renoncer à certaines aides, des plans personnalisés de compensation étant même revus à la baisse dans le cadre des premiers renouvellements de PCH au motif que les précédents étaient « trop généreux » ! Or, le montant de la PCH ne permet de financer ni les prestataires agréés, ni les auxiliaires de vie en emploi direct. Nous craignons la disparition des fonds de compensation, l'Etat ayant pris prétexte de l'existence de reliquats pour ne plus les abonder -ce qui décourage les autres partenaires de continuer à le faire.
La loi Blanc du 28 juillet 2011 a largement pris en compte les besoins d'amélioration des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mais nous jugerons son résultat à l'usage. Notons toutefois que certains de ces établissements se sont transformés en maisons de l'autonomie, accueillant un nombre croissant de personnes âgées et diminuant corrélativement la place des personnes handicapées. Notre association milite pour une convergence par le haut, qui améliore simultanément les conditions de vie des deux publics.
En matière d'accessibilité universelle, le délai de dix ans était raisonnable, mais on n'a pas mis en place les dispositifs permettant de le respecter, certains intervenants ayant attendu très longtemps alors que l'obligation date non pas de 2005 mais de 1975... Si toutes les mesures avaient été prises depuis cette date, nous n'en serions pas là.
En matière d'emploi, il est scandaleux que l'Education nationale soit exemptée de sa contribution au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), au motif que le ministère embauche des auxiliaires de vie scolaire (AVS), ce qui est à nos yeux un détournement de l'esprit de la loi.
Le taux d'emploi est de 2 % dans le secteur privé et de 4% dans le secteur public. On est encore loin de l'objectif des 6 % que certains voudraient ramener à 4 ou 5 %, ce à quoi nous sommes opposés, de même qu'à la proposition de certaines organisations patronales d'inclure les aidants familiaux dans ce quota. Toutes les administrations et entreprises qui se sont engagées dans l'embauche de personnes handicapées en sont satisfaites et leur exemple devrait être suivi.
Enfin, si la Conférence nationale du handicap de juin 2011 a été une réussite quant au message qu'elle a permis d'adresser à l'ensemble de la société, on peut regretter que le rapport du gouvernement se soit contenté de reprendre les thèmes abordés alors, et non de traiter de la politique du handicap dans son ensemble.
La gouvernance est le véritable problème de la politique du handicap. Dans l'idéal, il faudrait un ministère d'Etat transversal ou, à défaut, un haut commissaire rattaché directement au Premier ministre, capable de mobiliser l'ensemble des administrations, ce que l'actuel Comité interministériel du handicap (CIH) est bien en peine de faire - la personnalité de son responsable n'étant pas en cause.
Mme Sophie Cluzel, présidente de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH). - La loi du 11 février 2005 est une grande loi qui avait suscité de grands espoirs ; son bilan est parfois décevant. En fait, si le mouvement d'ouverture de l'école a été indéniable, les principaux écarts entre les objectifs de la loi et ses résultats tiennent à l'existence de fortes disparités territoriales et notamment au manque d'harmonisation des pratiques des MDPH et de l'Education nationale.
En ce qui concerne le droit à compensation, la question de la PCH-enfant va devoir être traitée en urgence par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), a fortiori en cette année nationale de l'autisme.
S'agissant du fonctionnement des MDPH, la loi Blanc devrait apporter de la stabilité mais on observe là aussi des inégalités territoriales qui portent sur le niveau de formation et l'évaluation des équipes pluridisciplinaires, ou encore le délai de traitement des dossiers. Surtout, le suivi des décisions est lacunaire et rend par exemple impossible, en l'absence d'outil statistique national, l'évaluation précise du nombre d'enfants scolarisés -même si un chiffre compris entre 12 000 et 15 000 est parfois avancé. L'autre grande faiblesse des MDPH est le manque de moyens qui empêche de présenter aux familles les projets personnalisés de scolarisation (PPS) prévus par la loi.
Le retard de mise en oeuvre de l'accessibilité universelle provient, selon nous, du retard des états des lieux.
En matière d'emploi et de formation, je vous renvoie aux 47 propositions que nous avons formulées lors du Grenelle de la scolarisation et de la formation des jeunes handicapés, le 25 janvier dernier. Nous insistons en particulier sur la notion de parcours, préférable à la logique de filière actuellement à l'oeuvre.
Si de grandes avancées ont été réalisées en matière de scolarisation dans l'enseignement élémentaire, le point de rupture se situe aujourd'hui au niveau du collège et surtout après. Il n'est pas acceptable que ne soient alors plus proposés aux familles que des parcours médico-sociaux. De même, le temps partagé est indispensable mais pâtit du manque d'harmonisation des compétences et des pratiques relatives aux transports entre conseils généraux, conseils régionaux et établissements spécialisés. Une meilleure coordination entre le médico-social et l'Education nationale est indispensable.
Quant à la question de l'accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire, c'est un échec complet. En dépit des promesses réitérées et des annonces de la Conférence nationale du handicap, la professionnalisation de l'accompagnement n'est toujours pas au rendez-vous ; les familles doivent toujours se contenter de dispositifs bricolés. Ce dossier interministériel n'avance plus depuis 2010.
En définitive, la loi de 2005 ne doit pas être changée mais être appliquée et enrichie, notamment en mettant en oeuvre son article 79 relatif au Plan métiers.
M. Jean-Louis Garcia, président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH). - Si le vote de la loi est important, son application l'est aussi ; je me félicite que vous receviez les associations qui y participent directement sur le terrain.
La loi de 2005 a eu le mérite de remettre l'école de la République au centre du dispositif et permis de réelles améliorations. Mais 20 000 jeunes sont toujours sans réponse. Comme j'ai pu le constater hier encore en Seine-et-Marne, l'administration, confrontée à des problèmes d'effectifs, retire même des maîtres de l'Education nationale des sections d'éducation spécialisées pour l'audition et le langage (Sesal), ce qui éloigne encore plus ces jeunes de l'école, alors que la formation générale des enseignants ne prévoit déjà rien pour prendre en compte la question du handicap. Par ailleurs, la suppression des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) conduit à un report des élèves qui bénéficiaient de leur soutien vers les unités localisées d'insertion scolaire (Ulis), privant d'autant de places les enfants handicapés.
En matière d'accessibilité, des progrès ont été réalisées mais les choses iraient bien mieux si l'on avait mis cette obligation en oeuvre dès la loi de 1975, comme celle-ci le prévoyait. En outre, nous devons toujours consacrer beaucoup d'énergie à nous battre sur des dossiers comme celui du bâti neuf - on voit fleurir des propositions de dérogation vraiment incompréhensibles... La loi de 2005 est une belle loi qu'il faut faire vivre pleinement et non la détricoter. C'est d'ailleurs pour décourager certaines tentatives en ce sens que nous avons saisi la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).
En matière d'emploi, rappelons que le taux de chômage des personnes en situation de handicap est le double de la moyenne nationale, ce qui exige un effort de formation pour répondre aux besoins des entreprises et un engagement renouvelé de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph) dans l'accompagnement des parcours de formation.
Quant aux lacunes de cette loi, elles portent en premier lieu sur les ressources. L'APAJH milite pour la création d'un véritable revenu universel d'existence dans le cadre d'une remise à plat de l'ensemble des minima sociaux. Des manques existent ensuite en matière d'accès aux soins non liés au handicap. Quid par exemple de la façon dont les soins dentaires les plus simples peuvent être donnés à un enfant autiste ? Ou de la visite chez un gynécologue d'une femme en fauteuil roulant ?
Ensuite, doit être abordée la question du vieillissement et de la dépendance des personnes handicapées, alors que la question du handicap a été exclue du champ des travaux récents menés sur la dépendance.
En conclusion, j'indiquerai qu'il ressort des sondages que nos concitoyens sont très majoritairement conscients de la nécessité d'agir en faveur de l'insertion de personnes handicapées. Nos revendications ne sont pas d'ordre communautaire car elles bénéficient à l'ensemble de la société. Même si des moyens sont nécessaires, il ne s'agit pas d'une charge pour le pays mais bien d'un investissement pour la société.
Mme Nadja Eyraud, présidente de l'association Handicap Droit à l'école et à l'intégration sociale (HanDEIS). - Ces dernières années ont été marquées par des progrès par rapport à l'époque où les familles ne connaissaient pas leurs droits en matière d'accès à l'école. Le plan Handiscol a notamment été une grande avancée dans la mesure où les enfants handicapés étaient désormais pris en compte par l'Education nationale ; le recrutement d'auxiliaires d'intégration sous contrat de cinq ans était un gage de continuité. La loi de 2005 a elle aussi suscité beaucoup d'espoirs mais si la société et les élus ont désormais compris l'importance de la scolarisation des enfants porteurs de handicaps, tel est encore insuffisamment le cas de l'administration et en particulier de l'Education nationale. Alors que cette dernière n'octroie les auxiliaires d'intégration qu'avec réticence et dans des conditions très variables, nous nous inquiétons de leur possible disparition. Les familles demandent un plein temps, on ne leur accorde que deux heures... Il ne s'agit plus réellement d'un métier mais d'un simple job, les personnels étant réaffectés de six mois en six mois alors que la stabilité de l'équipe est essentielle pour les enfants atteints de handicap mental.
Quant aux pertes, c'est à dire aux sorties du système scolaire, il serait très utile de disposer de statistiques fiables. Les enfants se voient proposer des parcours souvent chaotiques entre école, classe d'intégration scolaire (Clis) ou institut médico-éducatif (IME), sans compter que les programmes changent en fonction des enseignants... ou que les enseignements généraux ne sont pas assurés. Je connais le cas d'un jeune entre Ulis, établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA) et emploi dans un groupe de restauration, sans statut précis, qui ne peut passer le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) faute de formation générale. Je connais aussi de près celui d'un jeune trisomique, intégré en milieu ordinaire qui, n'ayant pas fait de langue vivante au collège, se trouve démuni pour poursuivre ses études en bac pro. Quelle place donner au certificat de formation générale (CFG) ? Pourquoi ne pas admettre une adaptation des enseignements - on le fait bien pour le sport ?
De nouvelles avancées sont donc nécessaires pour permettre l'accès aux diplômes qui est le préalable à la suite du parcours du jeune adulte.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. - Dans l'exemple que vous avez pris, pour quelles raisons l'élève n'a-t-il pas suivi les cours d'anglais ?
Mme Nadja Eyraud. - Comme cela se produit souvent, c'est l'administration qui exclut a priori certains enseignements alors que les parents se battent pour que leurs enfants les suivent sous une forme adaptée.
Enfin, l'on assiste à un élargissement de la notion de handicap, voire à une certaine confusion entre handicap mental et social qui conduit à ce que des élèves en grande difficulté hier suivis par les Rased occupent aujourd'hui, du fait de la remise en cause de ceux-ci, des places en Clis.
M. Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH (Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés). - Le débat sur cette loi qui avait suscité de nombreux espoirs est important et je m'étonne même que vous n'ayez pas reçu plus de contributions sur votre blog. Contrairement à la loi de 1975, celle de 2005 a vu, à une exception près, tous ses décrets publiés dans des délais raisonnables -ce qui ne veut pas dire qu'ils sont connus de tous ; j'ai pu m'en rendre compte hier encore à Strasbourg dans le dossier d'un bâtiment... public. En tout cas, sur les barrières d'âge et la PCH-enfant, rien n'a bougé.
Sur l'accessibilité, on a souffert d'une absence de portage politique fort ; d'où des tentatives de dérogations et un certain flottement du Gouvernement. La date de 2015 reste incertaine. Une autre difficulté d'application tient à l'absence de moyens - ne serait-ce que pour rembourser les frais de déplacement des représentants des associations siégeant au sein des commissions départementales d'accessibilité - les autres membres de celles-ci sont mieux traités. Enfin, même si la loi n'est pas très claire sur le sujet, l'arrêté relatif aux lieux de travail neufs annoncé par le décret d'octobre 2009 n'est toujours pas paru ; en la matière, la loi de 2005 n'a permis aucune avancée. Et rien n'a changé dans l'ancien, alors que le taux de chômage des personnes en situation de handicap a explosé ; ce n'est pourtant pas faute d'avoir tiré la sonnette d'alarme...
En matière d'emploi, alors que la situation des travailleurs handicapés avait plutôt bien résisté au début de la crise, au prix toutefois d'un fort accroissement de leur précarité, elle est aujourd'hui catastrophique. Par ailleurs, cette politique de l'emploi n'est pas pilotée. L'État a transféré des compétences à l'Agefiph sans lui transférer les moyens correspondants, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'offre de cet organisme ; de même, elle lui confie un rôle qui me semble ne pas devoir être le sien sur certains sujets comme la reconnaissance de la lourdeur du handicap. N'est-ce pas plutôt celui de l'État ?
Se pose aussi le problème du maintien dans l'emploi ; la situation est tout aussi catastrophique. Les plus de 120 000 licenciements pour inaptitude par an montrent que le handicap survenu en cours de carrière se traduit souvent par une sortie de l'entreprise alors que cela pourrait être parfois évité, notamment par une plus grande implication des organisations syndicales.
Sur le FIPHFP, les choses s'annoncent mal, hélas, notamment sur la question de sa saisine par les fonctionnaires handicapés ; à mon avis, le décret n'est pas prêt de sortir.
Enfin, je vous invite à ne pas vous contenter du rapport du Gouvernement, que j'estime biaisé, qui fait suite à la Conférence nationale du handicap, et à prendre connaissance des avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et de ses commissions spécialisées.
Mme Françoise Kbayaa, secrétaire générale de l'UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales). - La loi de 2005 qui avait suscité de nombreux espoirs, notamment en ce qu'elle consacrait les notions de compensation ou de projet de vie, fait aujourd'hui l'objet d'un bilan assez mitigé.
En matière de limites d'âges, les choses ne se sont pas améliorées alors que, bien entendu, le handicap mental ne prend pas sa retraite...
S'agissant du droit à compensation, notre inquiétude porte sur le nombre d'heures d'aides humaines qui sont octroyées et sur les difficultés des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) à prendre en compte les besoins spécifiques des personnes handicapées mentales en matière de socialisation ou de surveillance. Entre les catégories « six heures » et « vingt-quatre heures » il n'y a rien. Nous regrettons la fiscalisation du dédommagement des aidants familiaux ; nous nous demandons aussi si les conditions d'octroi de la PCH sont bien adaptées aux handicapés mentaux, puisque seuls 7,2% des bénéficiaires de cette prestation sont en situation de déficience intellectuelle.
Concernant les MDPH, nous espérons que la loi Blanc va améliorer les choses ; subsiste un problème d'évaluation des dossiers.
A propos de l'accessibilité universelle, nous regrettons d'une façon générale les nombreuses tentatives de dérogations à ce principe ainsi que des lacunes en termes d'accompagnement et de moyens budgétaires. De façon plus précise, la spécificité du handicap mental, qui impose pour la relation aux autres et à l'environnement un accompagnement humain, n'est pas prise en compte alors que nous nous efforçons pour notre part de promouvoir l'élaboration d'un guide pratique ou encore le pictogramme S3A - symbole d'accueil, d'accompagnement et d'accessibilité. Nous estimons que cet effort d'accueil et d'accompagnement doit aussi bénéficier aux personnes en situation de grande dépendance.
Sur l'emploi, les personnes en situation de handicap mental sont les plus éloignées du travail en milieu ordinaire. Il faut un mode de compensation spécifique, un accompagnement humain, des aides techniques. Les acteurs de l'insertion professionnelle ne sont pas mobilisés, les structures sont inadaptées.
Concernant la scolarisation, les chiffres de l'Education nationale traduisent mal la réalité. La question du temps partiel ou très partiel n'est pas traitée et les partenariats Education nationale-secteur spécialisé, pourtant permis par la loi de 2005, ne sont pas au rendez-vous ; seuls 9% des enfants handicapés mentaux bénéficient d'un temps partagé. Et on supprime des postes d'instituteur dans les IME... Dans le réseau Unapei, 5 000 enfants sont sans solution de scolarisation et 650 sont en attente d'un suivi Sesal.
Des annonces positives ont été faites à la Conférence nationale du handicap, par exemple sur l'abondement des fonds de compensation ; mais pas un ne fonctionne comme son voisin, les financements diffèrent comme les dédommagements. C'est démoralisant.
Nos attentes sont surtout relatives aux limites d'âge, à la question du vieillissement. A l'horizon 2015, 30 000 personnes n'auront d'autre solution que la maison de retraite ordinaire...
Il ne faut pas changer la loi de 2005, c'est une bonne loi. Reste à l'appliquer. Si on donnait par exemple davantage de moyens aux MDPH, beaucoup de problèmes perdraient de leur acuité. Nous aimerions enfin que la question du handicap soit prise en compte dans toute la législation à l'instar de la question environnementale.
M. David Assouline, président. - Indépendamment des options politiques des uns et des autres, la loi de 2005 est appréciée comme une avancée. Nos rapporteurs vont se mobiliser d'ici l'été ; ainsi leur travail pourra peut-être peser sur la prochaine rentrée.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. - Nous sommes convenues, Claire-Lise Campion et moi, de recevoir individuellement ceux d'entre vous qui le souhaiteraient pour approfondir notre réflexion. Je n'en dirai pas plus pour permettre à nos collègues sénateurs d'intervenir.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Je confirme ce propos. Nous entendons publier notre rapport au début de l'été.
M. Yves Daudigny. - Je suis heureux de vous avoir entendus. Disparités territoriales, absence de suivi des décisions dans les MDPH, barrières d'âge, autant de questions auxquelles nous sommes tous sensibles.
Les MDPH ont de nouvelles responsabilités, mais le financement de l'Etat ne suit pas ; l'augmentation de leurs moyens dépend désormais des capacités des conseils généraux, il faut en être conscient. La question du partage entre solidarité nationale et solidarité territoriale est récurrente.
Création de places en établissement, inclusion en milieu ordinaire : comment voyez-vous cette problématique ?
M. René Teulade. - Je remercie à mon tour les représentants des associations, dont les propos me confortent dans ma volonté de poursuivre un combat engagé depuis de nombreuses années. Il y a vingt ans, j'avais auprès de moi au gouvernement un secrétaire d'Etat en charge des personnes handicapées.
La loi de 2005 est une bonne loi, c'est vrai ; mais beaucoup de bonnes lois ne sont jamais appliquées... La moitié des lois votées n'ont pas tous leurs décrets d'application...
Est-on parvenu à changer le regard que porte la société sur les personnes en situation de handicap ? Je n'en suis pas si sûr...
J'ai tenté une expérience en Bourgogne dans une usine de conditionnement de pièces pour téléphone ; elle a si bien marché que j'ai eu des ennuis avec mes amis syndicalistes : les personnes handicapées employées avaient un rendement supérieur de 10 % à celui des autres salariés ! C'est dire s'il est important de modifier notre regard sur le handicap.
M. Claude Dilain .- Merci de vos témoignages.
Vous avez fait plusieurs fois allusion à l'hétérogénéité de l'application de la loi sur le territoire. Je m'occupe de la loi Dalo : elle est très bien appliquée là où on n'en a pas besoin, très mal là où on en a besoin ! Quelles sont les causes de cette hétérogénéité ?
M. Jacky Le Menn .- Il y a deux ans, mon groupe a organisé une table ronde sur le handicap : rien n'a beaucoup changé depuis. Tout le monde reconnaît que la loi de 2005 est excellente, mais aussi qu'elle a du mal à être appliquée.... Certains problèmes relèvent d'une volonté politique -barrières d'âge, périmètre de la PCH- d'autres de moyens financiers supplémentaires. Raison pour laquelle mon groupe s'est abstenu sur la loi Blanc. Pour l'accessibilité, loi et décrets n'ont rien réglé. Il faudrait mettre tous les acteurs autour d'une table ! Pour les MDPH, beaucoup reste à faire. Nous avons dû batailler pour en créer une dans mon département. La route est droite, mais la pente est rude !
M. David Assouline, président.- Je prends votre intervention comme une déclaration d'optimisme.
Mme Isabelle Pasquet .- Il est important de faire le point. En matière d'accessibilité, le débat houleux lors de l'examen de la loi Blanc a montré que s'il y avait un manque de volonté politique, il y avait aussi des raisons objectives qui rendaient l'accessibilité universelle difficile. Il faut en parler en toute franchise ; les maires de mon département, toutes tendances politiques confondues, m'ont signalé des problèmes de financement. J'ai moi-même consacré ma réserve parlementaire à des travaux sur des bâtiments publics... Le nouveau gouvernement devra donner un signal fort sur le sujet et en débattre sérieusement avec les élus locaux.
M. Jacques-Bernard Magner .- J'ai organisé un transport scolaire pour handicapés dans le Puy-de-Dôme, pris en charge à 100% par le conseil général ; j'ai découvert à cette occasion que d'autres systèmes de transport existaient déjà, mais qu'il n'était pas possible de les géminer car ils n'avaient pas le même financeur...Le gaspillage est indéniable. C'est une conséquence de la décentralisation et du délitement de la solidarité nationale ; on a oublié, ce faisant, que certains handicaps impliquent la mise à disposition de moyens lourds. Et j'ai constaté dans mon école qu'une petite fille lourdement handicapée mentale était accompagnée d'une personne recrutée sur un emploi de vie scolaire (EVS), ancienne vendeuse, sans aucune formation.
M. David Assouline, président.- Yves Daudigny et Claude Dilain ont posé deux questions essentielles : l'une sur une éventuelle contradiction entre l'existence d'établissements spécialisés et l'inclusion, l'autre sur les causes des disparités territoriales.
M. Jean-Marie Barbier.- Il ne faut pas fermer les établissements, mais les ouvrir, abolir les barrières autour d'eux ! Ce qui ne veut pas dire qu'ils doivent cesser de proposer des réponses spécialisées.
Les disparités...Le sujet du handicap reste traité à part. Sur le terrain beaucoup est affaire de volonté et de savoir-faire. Voilà longtemps que nous alertons sur l'accueil et le financement par l'Etat des postes transférés. Il faut « blinder » la fonction d'accueil dans les MDPH et faire vivre les notions de recours et de contentieux.
L'accessibilité enfin. Mme Bachelot m'a envoyé hier un message après avoir passé une matinée en province avec un des administrateurs de l'APH ; elle m'a écrit : « oui à l'accessibilité partout, c'est possible ! » Qu'ajouter de plus ?
Mme Sophie Cluzel. - Oui le regard a changé, mais pas sur la perception des compétences des personnes en situation de handicap ; d'où l'importance de la formation de tous les acteurs, notamment au sein de la communauté éducative.
Les disparités territoriales : il est clair que certains conseils généraux ont mis le paquet et d'autres moins... L'accompagnement pédagogique varie d'un département à l'autre. Il est aberrant de voir que le projet personnalisé de scolarisation (PPS) n'est pas national, il aurait fallu commencer par là. La CNSA s'empare à peine de la question, elle doit retrouver un rôle pilote.
M. Jean-Louis Garcia. - Le regard a certes changé, mais être aujourd'hui en situation de handicap, parent ou militant reste un âpre combat.
On est en train de passer de la notion d'intégration à celle d'inclusion. Mais il ne faut pas que ce passage se traduise par une intégration au rabais, qu'on en vienne à penser qu'un accompagnement n'est plus nécessaire. Les établissements spécialisés restent évidemment indispensables.
Quant aux disparités, un peu plus de 30% seulement des enfants bénéficient d'un PPS évalué annuellement. C'est dire qu'il y a des marges de progression...
Mme Nadja Eyraud. - L'expérience de nos voisins européens est instructive -je pense à l'Italie ou à la Suède, par exemple. On y voit des centres devenus des centres « ressources » ; l'enfant y va s'il en a besoin...
Le regard de la société a beaucoup changé. Et il changera encore à mesure que les enfants en situation de handicap grandiront au contact des autres enfants...
Mme Isabelle Debré, rapporteur. - ... fréquenteront les mêmes crèches...
Mme Nadja Eyraud. - ... participeront aux mêmes activités périscolaires et à la vie sociale de leur quartier.Tout cela va se construire sur la durée.
M. David Assouline, président. - La question du handicap est singulièrement absente de la campagne présidentielle...
M. Jean-Marie Barbier. - Nous travaillons à l'y faire entrer !
M. David Assouline, président. - Avant même de remettre la loi de 2005 sur le métier, le travail de nos rapporteurs doit inciter les pouvoirs publics à l'appliquer.
M. Jean-Marie Barbier. - Sans doute n'aurait-on pas fait le film Intouchables il y a vingt ans. Atteindre comme il l'a fait 20 millions de personnes, c'est hors de portée des associations... Etant la seule personne en situation de handicap -repérée !- autour de cette table, je peux dire que le regard des gens a changé. Je ne sais combien de temps cela va durer, mais c'est bien agréable à vivre...
Mme Isabelle Debré, rapporteur. - Je pense au centre ouvert Simon de Cyrène de ma ville : c'est exactement ce qu'il faut faire ! Le regard a considérablement changé. Mais il est vrai que les personnes en situation de handicap doivent toujours prouver ce dont elles sont capables.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Il y a de formidables exemples de maisons ouvertes. Mais il faut continuer à créer des places. Dans ma commune de l'Essonne, nous avons ouvert une maison pour personnes handicapées vieillissantes.
Les enfants sont la société de demain, tout passe par eux. OEuvrons ensemble, et d'abord en pensant à eux.
M. David Assouline, président. - Merci à tous pour votre participation.