M
Lors d'une réunion conjointe avec la commission
des affaires économiques, la commission des affaires européennes
et la délégation sénatoriale à l'Outre-mer, la commission a procédé
à un débat sur la réforme de la politique commune de la
pêche (PCP) et examiné deux propositions de résolution
européennes n° 575 (2011-2012) de MM. Maurice Antiste,
Charles Revet et Serge Larcher, présentée en application de
l'article 73 quinquies du Règlement, visant à
obtenir la prise en compte par l'Union européenne des
réalités de la pêche des régions
ultrapériphériques françaises (E 6449 et
E 6897), et n° 580 (2011-2012) de
M. Joël Guerriau, Mme Odette Herviaux, MM. Gérard Le
Cam, Bruno Retailleau et Charles Revet, présentée en application
de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la
réforme de la politique commune de la pêche (E 6449,
E 6448 et E 6897)
M. Simon
Sutour, président de la commission des affaires
européennes. - Cette réunion a une
configuration inédite puisqu'elle rassemble les commissions des affaires
économiques, du développement durable et des affaires
européennes. En outre, la délégation sénatoriale
à l'outre-mer a été conviée. Je vous prie
d'ailleurs d'excuser nos collègues de l'outre-mer qui n'ont pu nous
rejoindre, du fait des élections législatives. La date retenue n'est pas idéale mais elle a
été choisie pour que nous puissions tenir en juillet en
séance publique un débat sur la réforme de la PCP,
après que la commission des affaires européennes et que la
commission des affaires économiques, saisies au fond, auront
examiné les propositions de résolution européennes sur ces
sujets.
M. Daniel
Raoul, président de la commission des affaires
économiques. - La situation est inédite mais
je pense qu'il s'agit de la première d'une série de
réunions communes parce que nous aurons encore à connaître
ensemble de nombreux sujets, qu'il s'agisse de la PAC, de la politique
énergétique ou de la politique industrielle. La commission des affaires économiques a
souhaité constituer, en avril, un groupe de travail en commun avec la
commission du développement durable, composé de Bruno Retailleau
et Gérard Le Cam pour notre commission et Odette Herviaux et
Charles Revet pour la commission du développement durable.
Joël Guerriau, en charge du dossier de la pêche à la
commission des affaires européennes, s'est associé à ce
groupe de travail qui a procédé à de nombreuses auditions
pour aboutir au dépôt d'une résolution dont nous
débattrons aujourd'hui sur le rapport de Joël Guerriau. A l'issue
de ce débat, la commission des affaires européennes seule se
prononcera par un vote. La commission des affaires économiques,
compétente au fond, procédera dans deux semaines à
l'examen du texte adopté aujourd'hui, sur le rapport de Bruno
Retailleau, pressenti comme rapporteur en avril et que je vous demande de
confirmer. Le délai limite pour le dépôt des amendements
est fixé au lundi 25 juin à 15 heures. La réforme de la politique commune de la pêche
présente, outre des spécificités propres à
l'outre-mer, des enjeux très importants pour celui-ci, d'où le
travail important conduit par la délégation à l'outre-mer
ayant abouti au dépôt d'une proposition de résolution, qui
nous sera présentée par Charles Revet. Là encore, le
débat pourra s'ouvrir sur le rapport de Joël Guerriau au nom de la
commission des affaires européennes, laquelle se prononcera ensuite sur
son adoption. Puis, toujours selon le même calendrier que pour la
première proposition de résolution, mais cette fois-ci sur le
rapport de Serge Larcher que je vous propose de confirmer, notre commission se
prononcera également le mercredi 27 juin. Nous pourrons ainsi demander l'inscription à l'ordre du
jour de la session extraordinaire d'un débat en séance publique
sur la réforme de la politique commune de la pêche. Les enjeux
sont suffisamment importants dans l'hexagone, comme pour les régions
ultrapériphériques, pour justifier d'un tel débat en
juillet, afin de peser sur les négociations communautaires.
M. Raymond
Vall, président de la commission
du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et
de l'aménagement du territoire. - La pêche
participe à la gestion durable des ressources de notre
planète. Parmi les seize recommandations que nous avons
formulées dans le récent rapport d'information « Rio +
20 », la cinquième concerne la prise en compte des
spécificités de l'outre-mer. Pour le reste, je tiens à rendre hommage au travail qui
a été accompli par les trois commissions qui auront encore
l'occasion de travailler ensemble.
M.
Joël Guerriau, rapporteur. - La
première proposition de résolution concerne la proposition de
réforme de la politique commune de la pêche (PCP) qui devrait
être adoptée par le législateur européen
début 2013. La seconde proposition porte sur les incidences de la
réforme de la PCP sur la pêche dans les territoires
ultra-marins. La réforme de la PCP s'est imposée comme une
évidence, tant le dispositif mis en place en Europe a montré ses
limites. La première grande organisation de 1983 visait à
accroître les capacités de production. La réforme de 2002 a
opéré un virage à 180 degrés afin de réduire
les prises. Dix ans après cette réforme, le constat est
sévère. Selon la Commission, la réglementation a seulement
permis d'éviter une évolution catastrophique des prises. Le bilan
est donc plus que modeste. La Commission a préparé sa nouvelle
réforme en publiant un Livre vert en avril 2009. En juillet 2011,
elle a présenté un « paquet
législatif », destiné à réformer la PCP.
La Commission européenne dresse un constat d'échec tant sur le
plan environnemental qu'économique de la PCP. Son objectif est de lutter
plus efficacement contre la surpêche, qu'elle considère comme
généralisée dans les eaux européennes, et à
réduire la surcapacité des flottes de pêche. Le Sénat a pris sa part dans ce débat en
adoptant le 16 juillet 2010, à la suite de la publication du Livre vert,
une résolution européenne critiquant en particulier le projet de
quotas individuels transférables. Nous avons également
participé aux réunions interparlementaires organisées sur
cette question. Avec Odette Herviaux et deux collègues
députés nous avons pu, à Bruxelles, constater les points
d'accord et de divergence avec nos partenaires. La dernière initiative de la Haute Assemblée a
été de constituer un groupe de travail commun aux commissions des
affaires économiques, du développement durable et des affaires
européennes afin de vous présenter cette proposition de
résolution. Tout d'abord, nous considérons que le diagnostic de la
situation de la pêche établi par la Commission est discutable. Les
avis scientifiques sur l'état de la ressource halieutique sont
très controversés. A peine la moitié des stocks sont
aujourd'hui connus, avec des marges d'erreur importantes. Les effets du
changement climatique sur les eaux augmentent les difficultés de
prévision. De même, le jugement sur la surcapacité est
contestable. L'expertise scientifique doit donc être renforcée et
les travaux menés en étroite collaboration avec les
pêcheurs. Ensuite, nous pensons, comme la plupart des autres
États, que le délai pour atteindre le rendement maximal durable
(RMD) ne pourra pas être tenu. Le RMD représente ce qui peut
être capturé chaque année sans affecter le renouvellement
du stock. Il y a un accord général sur l'objectif de parvenir
à organiser une pêche durable « en ramenant
l'exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la
production maximale équilibrée ». La Commission
européenne propose d'atteindre le RMD pour toutes les espèces
dès 2015. Il ne saurait être question de nier
l'intérêt et même la nécessité de fixer une
date butoir accompagnée d'un échéancier, pour
éviter tout dérapage. Néanmoins, fixer un butoir
général pour toutes les espèces semble irréaliste.
Il convient de privilégier une approche pêcherie par
pêcherie, concertée avec les scientifiques et les pêcheurs,
et il paraît plus raisonnable d'envisager le RMD entre 2015 et 2020 au
plus tard. En troisième lieu, nous refusons une régulation
des flottes par les concessions de pêche transférables (CPT). Le
système actuel des quotas a plusieurs inconvénients :
fondé essentiellement sur l'antériorité, il ne prend en
compte ni les façons de pêcher, ni les rejets, ni l'emploi.
Cependant, le système proposé par la Commission, fondé sur
les quotas individuels transmissibles, est encore pire. Les expériences menées dans plusieurs pays
montrent que les CPT conduisent à concentrer les droits de pêche
au détriment de la pêche artisanale, pourtant principal vivier
d'emplois. La mise en place des CPT affaiblirait les organisations de
producteurs, si utiles au secteur, qui seraient remplacées par le seul
jeu des marchés. Il est néanmoins peu probable que cette
proposition de la Commission soit suivie d'effet car une large majorité
d'États membres s'est prononcée contre les CPT obligatoires,
préférant laisser à chaque État, la
possibilité de choisir son système de distribution des droits de
pêche. En quatrième lieu, nous nous opposons à
l'interdiction des rejets. La pêche reste une activité de
production aléatoire puisque le pêcheur remonte souvent des prises
accessoires indésirables. L'importance de ces prises dépend
beaucoup des types et des modes de pêche : le chalutage profond
présente plus de risques de prises accessoires que la pêche des
poissons de mer du Nord rassemblés en colonnes d'eau. Les quotas,
calculés au débarquement, provoquent eux-mêmes des rejets.
Il y a là un gâchis économique, écologique et
alimentaire incontestable. La Commission propose d'interdire purement et
simplement les rejets, en obligeant les navires à ramener à terre
tout ce qu'ils ont pêché. Cette approche est préoccupante
parce que les navires ne sont pas adaptés pour ramener à terre
toutes leurs prises. La solution consistant à valoriser les rejets
résiduels par la confection de farine de poisson ne fait que donner une
valeur économique dérisoire aux prises accessoires sans
répondre au défi environnemental. La solution passe par une
réduction des rejets via une meilleure sélectivité des
engins de pêche. Là encore, l'approche régionale par
pêcherie est meilleure que l'application d'une norme uniforme
décidée à Bruxelles. Enfin, la réforme de l'Organisation commune des
marchés (OCM) supprime les soutiens au stockage et les dispositifs
d'intervention en cas de perturbation des marchés. Même si les
prix de retrait étaient souvent dérisoires, ce filet de
sécurité était une assurance pour les pêcheurs. Nous
regrettons aussi que la réforme soit pratiquement muette sur les
conditions de concurrence internationale auxquelles les pêcheurs
européens doivent faire face. La nouvelle OCM renforce l'information du consommateur. Les
données actuelles sur les lieux de pêche (type
« pêche Atlantique Nord Est ») sont
inadaptées. Pour ne pas assommer le consommateur avec des données
inutiles, une information plus pertinente est nécessaire. Enfin, la réforme transforme le Fonds européen
pour la pêche (FEP) - apprécié par les
pêcheurs - en un Fonds européen pour les affaires maritimes
et la pêche (FEAMP) dont l'objet est plus large puisqu'il traite de la
politique maritime de l'Union. Cette extension paraît opportune mais il
faudra veiller à ce que le volet pêche ne soit pas
« cannibalisé » par les dépenses portant sur
l'espace et l'environnement. Ce fonds doit permettre d'améliorer les
flottes et pas seulement d'accompagner la cessation d'activités. Cette
amélioration doit concerner en particulier les domaines sociaux et
environnementaux, comme la réduction de la consommation d'énergie
des navires. En fonction de ces considérations, mes collègues
et moi-même avons présenté cette proposition de
résolution que notre commission pourrait reprendre à son compte.
M.
Bruno Retailleau. - Nous approuvons les conclusions du
rapporteur. La France compte plus de 5 000 kilomètres de
côtes, d'où une histoire, des traditions, mais aussi un avenir et
une économie spécifiques. Or, la pêche a trop souvent servi
de monnaie d'échange avec d'autres intérêts
européens, ce qui n'a pas été bien vécu par cette
profession. Les propositions de la Commission doivent être plus
pragmatiques et plus nuancées. Cette réforme repose sur deux
hypothèses : il n'y pas assez de poissons et trop de
pêcheurs. Il ne peut bien évidemment y avoir de pêche
durable si le stock ne se reconstitue pas, et nous sommes tous d'accord avec la
notion de RMD. Mais les stocks halieutiques sont-ils réellement en
danger ? Moins de la moitié de ces stocks ont fait l'objet
d'évaluations scientifiques à peu près incontestables et
sur cette moitié, le quart des stocks court un risque de
sécurité biologique. Le 8 juin, la Commission a
publié un document attestant la surpêche de certaines
espèces, mais constatant que d'autres deviennent plus abondantes, comme
le merlan bleu, le sprat ou le cabillaud. Il faut donc nuancer le jugement. Il
est possible de demander des sacrifices à une profession, mais en
s'appuyant sur des données scientifiques incontestables, ce qui n'est
pas le cas aujourd'hui. Nous devons donc encourager la co-expertise car
scientifiques et pêcheurs sont capables de s'entendre, pour peu qu'on
leur en donne l'occasion. La Commission estime que la flotte de pêche est trop
importante, mais en dix ans, le nombre de navires français a
diminué de plus de 20 %. Avec 20 000 pêcheurs, nous
approchons d'un seuil en deçà duquel le métier pourrait
disparaître. D'ailleurs, les patrons pêcheurs artisanaux ont
déjà beaucoup de mal à recruter. Depuis 10 ans, les
débarquements se sont réduits de 25 % tandis que nos
importations progressaient de 50 %. L'Europe importe deux tiers de sa
consommation et la France plus de 75 %. La pêche artisanale va mal
et les bateaux vieillissent : tentons d'éviter la disparition non
pas des poissons mais des pêcheurs. Le RMD repose sur un bon principe, mais les modalités
doivent être échelonnées, pêcherie par
pêcherie. La marchandisation des droits de pêche est
inacceptable : privatiser les stocks, qui sont un bien collectif, et
demander au marché d'en assurer la régulation n'est pas
admissible. L'interdiction des rejets est effectivement une fausse bonne
idée. Ce n'est pas en ramenant les rejets dans des bateaux qui ne sont
pas prévus pour cela et qui risquent de chavirer ni en
développant une filière minotière que l'on va
améliorer la situation : la sélectivité des prises
doit en revanche être encouragée. Le FEAMP reste enfin trop modeste : il devra encourager
l'installation des jeunes et la modernisation des bateaux, mais aussi leur
déchirage, quand il est inévitable. Ce problème est crucial : l'avenir de la
pêche est en jeu.
Mme
Odette Herviaux. - Dès la parution du Livre vert
en 2009, nous avions fait des propositions quasi-identiques à celles que
nous défendons aujourd'hui. A l'époque, nous étions contre
les quotas individuels transférables (QIT) et ce n'est pas le changement
de dénomination en CPT qui va modifier notre point de vue, d'autant que
nous disposons aujourd'hui du bilan des expériences menées en
Islande, dans les pays baltes et au Danemark qui prouve que nous avions tout
à fait raison de nous méfier de cette marchandisation des droits
de pêche. Nous devrons réguler la ressource, tout en
préservant l'emploi, les différents types de pêche et le
développement durable. La Commission a une vision souvent trop
restrictive en ce qui concerne la préservation des espèces
marines. On peut au moins demander que chaque État puisse gérer
ses CPT comme bon lui semble. Le RMD est un bon instrument mais nous ne pouvons l'approuver
dans la mesure où il concerne toutes les espèces et doit entrer
en application trop rapidement. Ce n'est pas ainsi que nous règlerons le
problème de la surpêche ou de la surcapacité de la flotte
européenne, d'autant que les définitions que la Commission en
donne ne nous conviennent pas. Nous estimons en effet que de gros efforts de
sélectivité ont déjà été faits,
notamment en France. Nous avons constaté lors de nos différentes
auditions que les positions des chercheurs français et européens
différaient singulièrement. D'ailleurs, moins de la moitié
des stocks est suivie et a fait l'objet d'un véritable diagnostic :
à peine un quart est exploité au-delà du seuil de
sécurité biologique et moins de la moitié est au niveau
des RMD ou légèrement au-dessus. Ne confondons donc pas le RMD
avec le seuil de sécurité biologique. Certaines émissions
de télévision ou de radio donnent une vision apocalyptique de la
pêche, qu'il conviendrait de nuancer, en tous cas pour ce qui concerne
l'Europe. Les expertises scientifiques mériteraient d'être
renforcées en y associant les pêcheurs. La position européenne en matière de rejets est
une ineptie écologique. En voulant interdire les rejets, on risque
d'aboutir au résultat inverse, en encourageant une pêche
minotière et en décourageant les efforts de
sélectivité engagés depuis des années. Enfin, les
rejets en mer permettent de nourrir les autres espèces : c'est le
cycle de la vie. Le Parlement européen et la Commission auraient tout
intérêt à prendre en compte nos critiques : de
nombreux pays ont d'ailleurs une approche proche de la nôtre. Il y va de
l'avenir de la pêche. On ne peut mettre en place une politique
environnementale liée au milieu marin sans l'adhésion de la
profession. Ainsi, cette semaine, plusieurs comités régionaux des
pêches se sont déclarés opposés à la
création d'un nouveau parc naturel marin : il faut éviter
d'instaurer des contraintes sans contreparties, car chacun doit trouver sa
place.
M.
Gérard Le Cam. - Certaines règlementations
concernant la pêche relèvent du niveau mondial ; 70 %
des océans sont encore soumis à la loi du plus fort. Pour autant,
la règlementation européenne ne doit pas avoir pour seule logique
la marchandisation ni, d'ailleurs, le tout écologique qui se feraient au
détriment de l'emploi et de la pêche côtière. Cette proposition de résolution va dans le bon sens
puisqu'elle critique à la fois le constat et le diagnostic de la
Commission. A juste titre, le groupe de travail a inclus un volet social
dans sa proposition : en dix ans, le secteur a en effet perdu
20 000 emplois et, en vingt ans, l'Union aura dépensé
3,5 milliards d'euros pour casser les petits bateaux au profit de navires
usine gigantesques. Nous déposerons des amendements pour enrichir la
proposition de résolution, notamment en matière sociale -
durée de travail, rémunérations, effectifs, accidents du
travail. Nous reviendrons aussi sur la pêche artisanale qui n'est pas
suffisamment prise en compte ici. La pêche côtière est un
atout pour la vie économique et touristique de nos côtes,
notamment bretonnes. Nous déposerons aussi des amendements en faveur de la
formation et de l'installation des jeunes afin que la profession demeure
attractive. Enfin, nous reviendrons sur la gestion des
criées : la pêche s'oriente vers les espèces qui se
vendent tandis que le reste est rejeté, ce qui est regrettable. A
Saint-Malo, une association d'insertion récupère les invendus des
criées pour les surgeler puis les orienter vers l'aide alimentaire et
les associations caritatives. Le prix payé par espèce aux
pêcheurs doit être suffisamment rémunérateur pour
éviter des rejets intempestifs en mer, ce qui est un scandale dans un
pays importateur.
M.
Charles Revet. - Une réflexion globale sur la
pêche doit avoir rapidement lieu. La France dispose d'une zone
économique maritime quasiment identique à celle des
États-Unis et elle importe 85 % de ses besoins en poissons et
crustacés : c'est impensable ! J'ai été rapporteur pour la pêche de la
loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, la LMAP : nous
avions adopté à l'unanimité un amendement pour que
pêcheurs et scientifiques travaillent ensemble, sur les mêmes
bateaux. Cette disposition n'a pas été, ou mal, appliquée,
tandis que les constats des scientifiques, contestés par les
pêcheurs, servent de base à la politique européenne. Il y a donc un gros travail de réflexion à faire
pour que la France puisse profiter de ses atouts.
M. Simon
Sutour, président. - Élu
d'un département riverain de la Méditerranée je me sens
très concerné par ce problème.
Mme
Marie-Noëlle Lienemann. - Il semble y avoir
très peu de cohérence entre la directive cadre sur les milieux
marins et la politique européenne de la pêche. Or, la diminution
de la ressource tient aussi aux diverses pollutions. La politique de
l'environnement définit de grandes zones maritimes et je ne comprends
pas pourquoi la politique de la pêche ne fait pas de même.
L'état de la ressource par grands territoires mériterait
d'être mieux connu. Alors que les observations scientifiques divergent,
comment espérer une politique européenne
cohérente ? Le rapport ne mentionne pas la question des aires marines
protégées, alors qu'elles permettent de reconstituer les
ressources : elles n'ont pas qu'une utilité environnementale. En
outre, il faut prévoir des compensations pour les pêcheurs si ces
aires les obligent à changer de méthodes de pêche :
ils y seraient sans doute plus favorables s'ils percevaient une aide du FEAMP.
L'Europe prétend soutenir les PME mais dans le secteur
de la pêche, rien n'est prévu pour valoriser les
coopératives ni les petits artisans, si bien que les immenses navires
usine, néfastes pour l'environnement, se multiplient, amplifiant par
là même les importations. Je présenterai donc des amendements en faveur des
coopératives dont le statut est reconnu par l'Union
européenne. Notre flotte vieillit ; il faut la renouveler. La Caisse
des dépôts demande une rentabilité des placements de
15 %, comme le ferait une banque privée, alors que l'aide publique
française devrait consolider cette filière. Or, pour l'instant,
il n'en est rien et les jeunes commencent à penser qu'il n'y a plus
d'avenir pour eux dans ce métier.
M. Jean
Bizet. - Je salue le travail du rapporteur. Oui à
la valorisation de la pêche artisanale, oui à une expertise
scientifique en collaboration avec les pêcheurs. Je soutiens l'approche
nuancée du rapport sur les rejets. La médiatisation de ce sujet
n'a pas encore eu lieu ; elle sera dévastatrice pour la
pêche. La question est pourtant complexe, car les rejets varient selon
les modes de pêche, selon qu'il s'agit d'espèces benthiques ou
pélagiques. Il faut une approche pragmatique. L'Union européenne ne reconnaît pas la notion de
« pêche artisanale », à laquelle nous sommes
tout particulièrement attachés dans la Manche. Le concept
européen de « petite pêche
côtière », qui exclut les engins remorqués, et
donc les nombreux bateaux qui pratiquent le chalutage, ne répond pas
à notre situation. Contrairement au précédent, le nouveau
règlement du Fonds européen des affaires maritimes et de la
pêche, n'y consacre pas d'article spécifique. C'est regrettable,
car nos artisans marins-pêcheurs ont besoin de cette reconnaissance. Je suggère donc d'ajouter à la proposition de
résolution un considérant après l'alinéa 15
qui pourrait être ainsi rédigé :
« considérant que la petite pêche côtière
et la pêche artisanale ont une très grande importance
sociale » ; et, après l'alinéa 28, un
alinéa ainsi rédigé : « déplore
l'absence d'un article spécifique consacré à la petite
pêche côtière et demande de rétablir cette
individualisation ». Il faudra travailler avec la commission des
affaires économiques pour affiner cette notion de pêche
artisanale, car derrière de nombreux emplois et la vitalité de
nos territoires côtiers sont en jeu.
M. Daniel
Raoul, président. - Nous y
reviendrons dans quinze jours, lorsque la commission des affaires
économiques examinera le texte. Le rapporteur et les membres du groupe
de travail seront invités, même s'ils ne font pas partie de notre
commission.
M.
Michel Delebarre. - La résolution qui nous est
présentée me satisfait pleinement. J'aurais même
été plus sévère encore pour dénoncer les
effets nocifs de la PCP, devenue une caricature de politique européenne.
Les délégations de pêcheurs qui se rendaient à
Bruxelles se voyaient refuser toute évolution de mesures qui leur
avaient été imposées de manière très
autoritaire. Je suis très satisfait que la résolution refuse
toute régulation de la flotte par concessions de pêche
transférables : cette vision par trop libérale risquait
d'entraîner de graves dérives. Une suggestion : que la mise en oeuvre concrète de
cette politique soit évaluée tous les ans ou tous les deux ans,
afin de s'assurer qu'elle répond bien à toutes nos attentes.
M. Simon
Sutour, président. - Je suis
d'accord avec vous. Comme l'a rappelé Gérard Le Cam, plus de
3 milliards d'euros pour aboutir à 20 000 suppressions
d'emplois, cela mérite qu'on y réfléchisse ! Je propose aux membres de la commission des affaires
européennes d'adopter cette proposition de résolution en
l'état. Les éventuels amendements seront examinés par la
commission des affaires économiques.
M. Jean
Bizet. - Cela me convient, du moment que l'on prend acte
de ma suggestion.
M.
Bruno Retailleau, rapporteur. - Sur le
fond, je suis d'accord avec Jean Bizet, mais sa formulation risquerait
paradoxalement d'affaiblir notre position. Pêche artisanale, pêche
côtière : ces termes ont des acceptions précises, et
ne recouvrent pas la même chose pour nous et pour Bruxelles. Attention
à bien ciseler notre rédaction.
Mme
Odette Herviaux, rapporteur. - Je
partage cette analyse. La pêche côtière n'est pas uniquement
artisanale ; de même, la pêche artisanale n'est pas
nécessairement côtière. Les différents modes de
pêche participent au développement de nos territoires et au
maintien de l'activité de pêche et de transformation. Attention
à ne pas affaiblir notre position, car la commission Pêche
à Bruxelles n'a pas la même interprétation que nous !
M.
Joël Guerriau, rapporteur. - Je
partage cette position. Il faut être vigilant : selon la
définition de Bruxelles, la petite pêche côtière ne
concerne que les bateaux de moins de douze mètres, sans engin
remorqué et donc sans chalut.
M. Jean
Bizet. - À nous de rédiger la proposition
de résolution de manière à faire évoluer la
politique communautaire. N'est-ce pas le but de toute
résolution ? La proposition de résolution européenne
n° 580 est adoptée à l'unanimité par les membres
de la commission des affaires européennes.
M. Simon
Sutour, président. - Le
président du Sénat fait tout son possible pour obtenir
l'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du
jour de la session extraordinaire de juillet. Nous passons à la proposition de résolution
européenne n° 575 relative à la prise en compte par
l'Union européenne des réalités de la pêche des
régions ultrapériphériques françaises.
M.
Charles Revet, auteur de la proposition de
résolution européenne. - En l'absence de Serge
Larcher, président de la Délégation, et de Maurice
Antiste, co-auteur, retenus à la Martinique, il me revient de vous
présenter cette proposition de résolution. La pêche est un
secteur essentiel pour le développement des DOM, dont les
réalités ne sont pas prises en compte par l'Union
européenne. Grâce aux outre-mer, la France dispose de la
deuxième surface maritime mondiale. La pêche ultramarine
représente 35 % de la flotte artisanale française et
20 % des effectifs de marins-pêcheurs au niveau national, et la
Martinique est le premier département de France en matière
de pêche artisanale. Localement, le secteur joue un rôle
économique et social vital. En Guadeloupe, son
poids en termes de chiffres d'affaires est proche de celui des filières
de la canne à sucre ou de la banane. Largement
artisanale, la pêche ultramarine entretient un véritable lien
social du fait de son caractère essentiellement vivrier. Le secteur est certes soumis à des contraintes
importantes : outre l'éloignement de l'Europe continentale, le
développement du secteur est freiné par le coût du
carburant, les difficultés de financement des entreprises,
l'insuffisance des infrastructures portuaires et des structures de
transformation, la vétusté des
embarcations ou encore, aux Antilles, la pollution des
côtes par la chlordécone. Il dispose
cependant d'atouts, au premier rang desquels des ressources halieutiques
abondantes et souvent sous-exploitées. La pêche dispose d'un
potentiel de développement important, tout comme l'aquaculture, à condition de se structurer. Troisième constat : l'Union européenne ne
tient pas compte des réalités de la pêche ultramarine. La
dernière réforme de la PCP ne correspond en rien aux
réalités ultramarines, alors que la Commission européenne
a elle-même souligné que « les RUP possèdent des
ressources halieutiques riches et relativement
préservées ». Les règles
de gestion de la ressource, qui sont au coeur de la PCP, sont
euro-centrées, pensées par et pour l'Europe continentale.
Pourquoi appliquer aux DOM l'interdiction des aides à la construction de
navires, alors que leur flotte est artisanale et vétuste ? Dans le même temps, l'Union européenne
subventionne le développement de la pêche dans des pays
potentiellement concurrents. Ainsi, l'accord de partenariat de pêche
conclu avec Madagascar prévoit une aide de 550 000 euros par an
pour le développement de la pêche malgache ! Pourquoi refuser
une telle aide aux DOM ? La pêche des DOM souffre de la pêche
illégale pratiquée par des pêcheurs des pays voisins. En
Guyane, les zones de pêche sont soumises à une pression constante
des pêcheurs brésiliens et surinamais, avec de graves
conséquences économiques, écologiques et de
sécurité. Enfin, dans le cadre de ses politiques commerciale et
de développement, l'Union européenne conclut des accords de
libre-échange avec certains pays d'Afrique, de la Caraïbe et du
Pacifique (ACP) qui menacent là encore la
pêche des DOM. La délégation a donc estimé que la
réforme de la PCP, dont les principaux volets ne trouvent pas
aujourd'hui à s'appliquer dans les DOM, constituait une occasion
à saisir pour prendre en compte les réalités ultramarines.
La proposition de résolution appelle à faire figurer, dans les
projets de textes présentés par la Commission européenne,
des dispositions spécifiques aux RUP, en s'appuyant sur
l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne (TFUE). Il est indispensable de rétablir la
possibilité d'octroyer des aides à la construction de navires
dans les RUP. Les flottes ultramarines sont vétustes ; ralentir
leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus
écologiques et plus sécurisés. Les critères de
l'aide au remplacement des moteurs sont inadaptés aux
réalités ultramarines : dans les eaux tropicales,
l'obsolescence est plus rapide. Il faut rétablir le financement public
des dispositifs de concentration de poissons (DCP) ancrés collectifs.
Ces dispositifs, qui recréent artificiellement la chaîne
alimentaire au fond de l'eau, sont essentiels pour le développement des
pêches antillaise et réunionnaise. Il faut enfin créer un
comité consultatif régional spécifique aux RUP, afin de
permettre aux DOM de faire entendre leur voix au sein de l'Union
européenne. La proposition de résolution appelle également
à mieux coordonner la politique commerciale de l'Union européenne
avec les autres politiques sectorielles, à commencer par la PCP et la
politique de cohésion. Il faut notamment évaluer
systématiquement et préalablement les effets sur les RUP des
accords commerciaux négociés par l'Union européenne. Ce texte a fait l'objet d'une approbation unanime au sein de
la délégation. La pêche représente un enjeu et un
potentiel important pour l'outre-mer : nous souhaitons que la
réforme de la PCP en tienne compte.
M.
Joël Guerriau, rapporteur de la commission des
affaires européennes. - Il est important d'adopter
cette proposition de résolution, qui marque la première
orientation politique de la délégation. C'est également
l'occasion de rappeler que l'article 349 du traité prévoit
que l'on tient compte des spécificités des RUP. La PCP n'est pas
adaptée à la situation des DOM, qui ne souffrent pas de la
rareté de la ressource, mais où la flotte a en revanche besoin
d'être rénovée. Il faut marquer la volonté du
Sénat de défendre les intérêts des territoires
d'outre-mer.
Mme
Odette Herviaux. - S'il est des régions où
la pêche a toute son importance, c'est bien l'outre-mer. Les aides
européennes ont permis certains progrès, mais ceux-ci concernent
plus les infrastructures que la mise en sécurité des bateaux, qui
sont souvent de très petits esquifs. La commercialisation du poisson est
également différente outre-mer : si la consommation y est
forte, on achète l'arrivage du jour. Il faut également veiller à ce que les aides
accordées à des pays extracommunautaires ne pénalisent pas
nos outre-mer. On subventionne la pêche malgache, mais les pêcheurs
de Mayotte, eux, ne perçoivent aucune aide !
M.
Michel Delebarre. - Sur la forme, je suggère que
l'on introduise un considérant à la première proposition
de résolution rappelant le problème des RUP.
M.
Charles Revet, rapporteur. - Je me suis
posé la question. Attention toutefois à ne pas minimiser les
problèmes de l'outre-mer en se limitant à une seule phrase.
L'enjeu que représente l'outre-mer est tel, pour la France et pour
l'Union européenne, qu'il faut le traiter pleinement !
M. Simon
Sutour, président. - Michel
Delebarre a une grande expérience des institutions européennes.
On sait qu'à Bruxelles, les RUP sont sur la sellette : voyez la
place qui leur est faite dans le budget 2014-2020... Il peut être bon de
sensibiliser la Commission à la richesse que peuvent représenter
les RUP pour l'Union. Je peux témoigner pour ma part de la richesse
halieutique fabuleuse de La Réunion, par exemple. Le débat aura
lieu en commission des affaires économiques et en séance.
N'oublions pas que les outre-mer sont divers : la situation n'est pas la
même à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux Antilles ! Pour ma
part, je trouve l'idée de Michel Delebarre intéressante. Il
faudra songer à un amendement, car nous recherchons avant tout
l'efficacité ! La proposition de résolution européenne est
adoptée à l'unanimité par les membres de la commission des
affaires européennes.Mardi 12 juin 2012
- Présidence
commune de M. Raymond Vall, président, de M. Daniel Raoul,
président de la commission des affaires économiques, et de
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires
européennes -
Réforme de la politique commune de la
pêche - Débat