Mardi 26 juin 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Mission d'information sur la carte scolaire - Présentation du rapport et autorisation de publication
La commission entend Mme Françoise Cartron, rapporteure, sur le rapport de la mission d'information sur la carte scolaire.
Mme Françoise Cartron, rapporteure - Mes chers collègues, au terme de six mois de travail, ponctués par 25 heures d'auditions à Paris et par six déplacements à Créteil et en Seine-Saint-Denis, à Nancy, à Lyon, en Gironde et dans l'Yonne, je souhaite vous présenter les principales conclusions que je tire de la mise en oeuvre de l'assouplissement de la carte scolaire, réforme phare de Nicolas Sarkozy en 2007.
Plusieurs rapports d'évaluation dirigés par des économistes et des sociologues ont conclu qu'au plan national, les grands équilibres du système scolaire n'avaient pas été bouleversés, ni à l'entrée au collège en 6e, ni à l'entrée au lycée en seconde. J'explique le faible impact agrégé de l'assouplissement par les contraintes qui ont fortement limité les possibilités de satisfaire les demandes des parents :
- d'abord, dans les instructions ministérielles, le strict respect des capacités d'accueil des établissements, sans création de division supplémentaire, et le maintien d'une priorité d'inscription aux élèves du secteur ;
- ensuite, l'implantation des établissements. En milieu rural, il n'existe bien souvent qu'un seul collège à proximité, ce qui rend caduque toute possibilité de dérogation. En outre, notamment à l'entrée en 6e, les parents affichent une préférence pour l'établissement le plus proche du domicile ;
- enfin, l'assouplissement a aussi eu des effets modérés en apparence, parce qu'existaient déjà des procédures de dérogations bien rodées et une forte ségrégation sociale.
Cependant, ce bilan national agrégé masque des disparités très importantes. C'est pourquoi la mission s'est attachée tout au long de ses travaux à affiner et à différencier son diagnostic selon les territoires et selon les publics touchés. Les zones très urbanisées sont manifestement plus touchées par les dérogations, mais la région parisienne méritait d'être distinguée des grandes métropoles régionales. L'éducation prioritaire demandait également un traitement spécifique. De même, la comparaison des établissements publics et privés était nécessaire.
Le temps me manque pour détailler tous les mécanismes mis en jeu par l'assouplissement et tous les constats différenciés territoire par territoire. Je vous renvoie au texte du rapport et notamment à sa deuxième partie. Je me contenterai de poser le principe général que dans certaines zones et pour certains publics, la dynamique d'aggravation des inégalités sous l'effet de l'assouplissement de la carte scolaire est évidente et inquiétante. En affaiblissant la mixité sociale dans les établissements, l'assouplissement de la sectorisation a servi de révélateur de toutes les inégalités qui grevaient le système scolaire. Il est établi que les territoires où se trouve la plus faible mixité sociale dans les établissements et la plus forte concurrence entre les établissements connaissent à la fois de plus mauvais résultats en moyenne, plus d'échec scolaire et plus d'inégalités scolaires, au détriment des élèves de milieu défavorisé.
Au-delà de ses conséquences visibles sur les flux d'élèves et la composition sociologique des établissements, l'assouplissement de la carte scolaire a également transformé les représentations de l'école qu'entretenaient les parents. C'est l'effet du discours politique qui a accompagné la réforme. On a d'abord évoqué une abrogation pure et simple de la carte scolaire avant de se rabattre sur des aménagements techniques. Mais les familles ont retenu le principe d'un droit au choix de l'établissement au sein de l'enseignement public. La réforme de 2007 a ainsi légitimé symboliquement les anciens comportements de contournement de la carte scolaire, désormais libérés de toute réticence de principe ou mauvaise conscience.
Parallèlement, un certain fatalisme social s'est répandu dans les familles. Les parents sont de plus en plus nombreux à douter de la capacité de l'école à lutter contre les déterminismes sociaux. Dès lors, pour eux, la qualité d'un collège ne dépend pas tant de la qualité de ses enseignants que du public qui fréquente l'établissement. Aux yeux des parents, il devient essentiel de contrôler avec qui leurs enfants sont scolarisés. Ce pessimisme social nourrit les comportements d'évitement de la carte scolaire, soit par des dérogations, soit par le recours au privé.
L'évitement fragilise des établissements peu réputés, qui le deviennent encore moins et sont encore plus évités. Des cercles vicieux se créent : ils aboutissent à accentuer progressivement la hiérarchisation des établissements et à intensifier la concurrence entre les collèges et entre les lycées pour capter des flux d'élèves. Ces stratégies d'attractivité passent souvent par une prolifération contreproductive d'options et de parcours spécifiques, sans amélioration de la qualité de l'enseignement dispensée.
La polarisation néfaste entre « bons » et « mauvais » établissements est d'autant plus forte que dans leurs choix d'établissement, les familles tiennent compte des décisions des autres familles. C'est de là que naissent les effets de réputation et de rumeur qui nourrissent les angoisses et rendent inaudible le discours de l'institution scolaire. Les palmarès et les classements publiés dans la presse amplifient encore le phénomène.
En légitimant la hiérarchisation des établissements, l'assouplissement de la carte scolaire a contribué à stabiliser des représentations biaisées de l'école dans l'esprit des parents. Le climat dans lequel il a été mis en oeuvre a encore amplifié ses effets pervers. En effet, depuis quelques années, l'opinion publique reçoit constamment des messages négatifs, tirés des évaluations nationales et internationales, sans qu'aucune alternative concrète et opérationnelle ne soit proposée. C'est aussi ce climat anxiogène qui pousse les parents à construire des stratégies scolaires sophistiquées et à contourner la sectorisation. L'accompagnement des familles et la prise en compte de leur inquiétude paraît nécessaire, si l'on veut rétablir une régulation efficace des flux d'élèves au service de la mixité sociale.
L'échec de l'assouplissement de la carte scolaire est évident, mais le retour pur et simple à la situation antérieure ne serait pas à la hauteur de l'enjeu : réussir la démocratisation de l'école républicaine en assurant une mixité sociale authentique au sein des établissements. Au fond, l'assouplissement a constitué une réponse inopportune aux questions pertinentes qui étaient posées lors du débat présidentiel de 2007. Le simple retour en arrière ne règlerait pas les problèmes réels de ségrégation scolaire. La question de la participation de l'enseignement privé, en suspens depuis l'origine, ne serait pas réglée. Les stratégies de dérogations sur la base d'options et de parcours spécifiques resteraient à la disposition des familles les mieux informées, dont le capital socioculturel et la familiarité avec l'école sont les plus grands. La hiérarchisation des établissements et leur polarisation en « bons » et en « mauvais », déjà bien ancrées dans l'esprit des parents, persisteraient. Perdurerait aussi la perte de confiance dans la capacité de l'éducation nationale à lutter contre les inégalités.
C'est pourquoi je propose dans mon rapport plusieurs pistes de réforme :
- faire de la mixité sociale un objectif à part entière de la politique d'éducation ;
- refuser, sauf cas exceptionnels, la fermeture des établissements ghettoïsés dont il convient au contraire de protéger les ressources ;
- réguler l'offre d'options et de parcours spécifiques ;
- préparer une modulation des dotations des établissements tant publics que privés en fonction de leur composition sociale ;
- élargir les secteurs et revoir les procédures d'affectation des élèves.
Je préconise d'abord un changement radical de l'orientation politique générale qui a prévalu depuis cinq ans. Il faut faire de la mixité sociale et scolaire un objectif central porté par le ministère de l'éducation nationale, au-delà des discours souvent restés vains.
Je souhaite donc que le nouveau ministre de l'éducation nationale puisse remobiliser tous les personnels pour redonner un souffle et un sens à l'école. La promotion active de la mixité et la réduction des inégalités scolaires pourraient être intégrées dans les lettres de mission des recteurs et dans les projets académiques. De même, les lettres de mission des chefs d'établissement pourraient perdre une partie de leur caractère formel grâce à l'introduction d'objectifs de brassage des publics à l'intérieur de l'établissement. Ceci vise à rompre avec les logiques de ségrégation interne et de constitution de classes homogènes.
Le refus du fatalisme doit nous amener, en outre, à rejeter le principe des fermetures d'établissement sous prétexte de leur ghettoïsation, sauf situation locale exceptionnelle. Il est certain que dans certaines zones notamment en région parisienne, la mixité sociale ne reviendra que difficilement au sein des établissements scolaires. Mais le remède proposé, la fermeture, serait pire que le mal.
Dans certains quartiers sensibles, le collège même très ségrégué est un lieu de vie essentiel. Aussi bien concrètement que symboliquement, sa fermeture constituerait un véritable abandon aux conséquences redoutables. Elle rejaillirait sur toute la population du quartier, définitivement stigmatisée et privée d'un service public fondamental. Elle éloignerait encore davantage de l'école des familles qui n'en sont pas familières. Plutôt que de les fermer, il faut surtout maintenir le niveau des dotations des établissements très évités pour leur éviter de subir une double peine. En outre, il convient de garantir la stabilité de l'équipe éducative en réduisant progressivement l'affectation de stagiaires et de néotitulaires dans les établissements défavorisés et évités.
Une des illusions majeures qu'il faut dissiper, c'est de croire que les options ou les classes spécifiques comme les CHAM (classes à horaires aménagés - musique) ou les sections internationales peuvent aider les établissements évités. En réalité, si le collège est déjà ghettoïsé, les classes moyennes n'y reviendront pas, quelle que soit l'offre de formation. Les options sont utilisées essentiellement comme un motif de dérogation particulièrement commode. Elles ne servent pas à entrer dans un collège ou un lycée moins réputé, mais au contraire à en sortir.
Considérant en outre leur coût très élevé, je préconise une révision profonde de l'offre et de la carte d'options et de parcours spécifiques. Cette seule mesure étouffera beaucoup de stratégies de dérogations et affaiblira la ségrégation scolaire, aussi bien externe, entre établissements, qu'interne au sein d'un même établissement. Les moyens dégagés par la remise à plat des options pourront alors être redéployés vers des objectifs plus utiles, par exemple l'amélioration du taux d'encadrement dans l'éducation prioritaire ou de l'efficacité du remplacement. J'estime que la rationalisation de l'offre d'options constitue un levier très important pour favoriser la mixité sociale au sein des établissements, en réduisant les possibilités de concurrence entre les établissements.
Plus spécifiquement, je demande également au Gouvernement de mener une évaluation précise des dispositifs CHAM. Je suis en effet inquiète de leur mise en oeuvre concrète et de leur impact sur la mixité sociale et sur l'épanouissement des jeunes.
Par ailleurs, les moyens accordés aux établissements ne prennent pas suffisamment en compte les différences existant entre les publics scolarisés. Une différenciation plus forte des ressources des établissements paraît nécessaire. Je propose donc une modulation des dotations des collectivités territoriales et de l'État en fonction de la composition sociale des établissements, afin d'accorder plus aux collèges et aux lycées défavorisés. Ces modulations permettront aussi de soutenir des collèges ruraux paupérisés, qui ne peuvent bénéficier d'aides dans le cadre de la politique de la ville et en faveur desquels il n'existe que très peu de leviers aujourd'hui.
Ce qui vaut pour les établissements publics doit valoir pour les établissements privés sous contrat d'association avec l'État. La question est posée : peut-on continuer à accorder la même dotation à l'élève pour tous les établissements privés ou doit-on prévoir des modulations en fonction de la composition sociale de chacun d'eux ? Au-delà des conflits idéologiques, qu'il serait vain de réouvrir, j'estime que l'État peut être plus exigeant avec les établissements privés sous contrat, en leur demandant d'accroître la diversité sociale de leur recrutement, en contrepartie des dotations versées et de l'absence de sectorisation. Tous les établissements privés ne pâtiraient pas de la modulation des dotations, mais seulement ceux dont le recrutement favorise particulièrement les catégories supérieures et dans lesquels sont absents les boursiers. Une dotation plancher pourrait d'ailleurs être garantie pour ne pas imposer de réorganisations brutales qui pénaliseraient les élèves.
Pour accroître la mixité sociale et réduire les inégalités, je recommande également un redécoupage des secteurs de recrutement des collèges, de telle sorte que les profils sociologiques des secteurs se rapprochent. L'échelon départemental est le plus pertinent et les conseils généraux doivent rester à la manoeuvre. Il pourrait être opportun dans certaines zones de laisser aux conseils généraux la possibilité d'élargir les secteurs et de prévoir des secteurs communs à plusieurs collèges. Ce serait notamment un moyen de minimiser l'importance de la ségrégation urbaine, puisque des secteurs élargis ont toutes les chances d'être plus mixtes socialement que les secteurs actuels.
Dans les nouveaux secteurs élargis, on pourra avoir un, deux ou plusieurs collèges, selon les zones et les décisions du conseil général. Je préconise l'adoption d'une sectorisation commune en particulier dans les agglomérations moyennes, où l'on compte deux ou trois collèges souvent en situation de concurrence larvée et proches géographiquement l'un de l'autre.
Il conviendra alors de redéfinir les modalités d'affectation des élèves dans ces nouveaux secteurs élargis et comprenant plusieurs collèges. Je propose que les parents émettent des voeux, qui seront ensuite classés par ordre de priorité après application d'un barème.
La construction de ce barème est le point clef. Les cas de handicap ou de traitement médical lourd seront prioritaires. Ensuite, des points seront accordés pour le choix d'un des établissements appartenant au secteur élargi, pour minimiser les dérogations hors secteur. Mais l'essentiel est surtout de donner une prépondérance au critère de bourse, pour que les boursiers puissent automatiquement aller dans l'établissement correspondant à leur premier voeu. Enfin, le choix d'une option n'interviendra pas dans le classement des voeux, de façon à rendre inopérantes les stratégies d'initiés. Les options ne pourront plus servir de support à des dérogations hors secteur, ni à des voeux d'affectation dans un des établissements du secteur élargi.
Ce barème de base au service de la mixité sociale dans les établissements scolaires pourrait encore être affiné de façon à éviter les effets de seuils : des points pourraient alors être attribués aux familles dont les revenus sont juste au-dessus des seuils d'éligibilité aux bourses. Le modèle que je vous propose se rapproche de la procédure d'affectation en lycée en vigueur depuis 2008 à Paris, qui a conduit à une amélioration très significative de la mixité sociale dans ces établissements.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les conclusions de vos travaux ont reçu l'approbation de la majorité des membres de la mission d'information.
M. Michel Le Scouarnec. - Permettez-moi de faire part de mon accord avec le contenu du rapport. Il fournit une bonne analyse de la carte scolaire. Je partage l'objectif de mixité sociale et scolaire. Le groupe auquel j'appartiens craint cependant le manque de moyens. Je crois aussi à la nécessité de la stabilité de l'équipe éducative. Je voudrais indiquer également que nous souhaitons la suppression du dispositif Eclair, même si cette mesure ne figure pas dans le rapport. S'agissant de la régulation des options, il ne faudrait pas utiliser cette préconisation pour réaliser des économies, et ainsi risquer d'appauvrir l'offre éducative. Enfin, nous émettons quelques réserves sur la possibilité de constituer de nouveaux secteurs élargis, en l'absence de certitude quant à leur bon fonctionnement.
M. Jacques-Bernard Magner. - Je voudrais souligner la qualité du rapport, qui dresse un état des lieux remarquable et propose diverses pistes qui pourront être reprises par le gouvernement. Je ne suis pas certain que l'échec de la carte scolaire soit aussi patent que celui de son assouplissement. Certes, la sectorisation a constitué une forme de privation de liberté, mais elle conduisait à plus de mixité sociale qu'aujourd'hui.
Comme la rapporteure, je pense que l'assouplissement a été une réponse inopportune à l'absence de mixité sociale et à la ségrégation scolaire. Il a également accru les inégalités pour les élèves des zones rurales, qui sont de toute façon captifs des transports scolaires organisés en fonction de la sectorisation.
Je partage votre idée de revenir à une forme de sectorisation commune à plusieurs établissements avec une affectation des élèves confiée à une commission. Cela permettrait une hétérogénéité contrôlée, même s'il est difficile de définir précisément la mixité sociale.
Mme Dominique Gillot. - Le rapport transpose parfaitement ce que nous avons vécu lors des auditions et des déplacements de la mission : sincérité, transparence, absence de parti pris. Tout est dans le constat. Vous avez su porter des critiques constructives et des préconisations réalistes. La critique des CHAM utilisées comme une privatisation de l'école publique mérite en effet une évaluation.
La volonté de maintenir tous les établissements est une affirmation forte qui se situe à l'encontre des idées reçues. Son rôle de creuset de la cohésion sociale doit être redonné à l'école.
La proposition d'élargir les secteurs scolaires selon des critères transparents me paraît pertinente pour maintenir la possibilité d'un choix offert aux familles. Il faudra cependant rester vigilant pour qu'aucune nouvelle stratégie d'évitement ne se mette en place. Cette proposition méritera une évaluation pour apprécier son efficacité.
Je suis ouverte à l'intégration des établissements privés dans la perspective d'apaisement et de non-ségrégation que nous recherchons.
Il faut enfin veiller à l'objectivité des critères de mixité sociale pour éviter toute stigmatisation des familles. Je sais que la rapporteure y est sensible.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Les travaux de la mission ont été conduits dans un esprit très constructif. Le diagnostic est très finement analysé.
La place excessive de la mixité sociale tout en attaquant l'élitisme et le mérite conduit cependant le groupe UMP à s'abstenir sur le vote du rapport. Ces mêmes reproches ont été faits lors de l'examen du rapport de la mission d'information sur le métier d'enseignant.
S'agissant des CHAM, des dérives notoires ont été constatées. Il importe que les communes soient bien prises en compte dans la mise en oeuvre d'un dispositif, qu'elles financent largement.
Certaines pistes avaient déjà été avancées par notre collègue Jean-Claude Carle dans le cadre de la mission commune d'information sur le système scolaire, comme la non affectation des enseignants stagiaires et néotitulaires ou la revalorisation du statut d'enseignant en éducation prioritaire. Ce sont des mesures difficiles à obtenir.
La modification du découpage des secteurs demande une véritable réflexion. Il serait souhaitable que les collectivités territoriales partagent votre point de vue, et que puissent se mettre en place des contrats de stratégie éducative.
Cette mission nous a permis de nous écouter et de nous comprendre réciproquement. Je vous en remercie infiniment.
Mme Françoise Férat. - Grâce à l'analyse pertinente qu'il déploie et à l'état des lieux précis allant de la région parisienne au milieu rural qu'il dresse, ce rapport est précieux pour l'avenir. Le groupe UCR partage une grande partie des objectifs et le souci d'une évaluation des préconisations. C'est une nouvelle étape qui s'ouvre à nous aujourd'hui avec des messages à relayer auprès du ministre de l'éducation nationale. Notre groupe votera donc les conclusions du rapport.
Mme Françoise Cartron, rapporteure - L'excellence doit être partout dans toutes les classes. Tout enseignant doit avoir l'ambition de mener chaque élève au plus haut niveau. Ce qui me gène c'est la différenciation. Nous devons avoir une école à une seule vitesse.
Je ne cite pas de chiffre en termes d'encadrement dans les classes, mais à l'évidence les établissements les plus défavorisés ne peuvent pas avoir la même règle que les autres. Les critères de mixité sociale devront bien évidemment être évalués, si les dispositifs que je propose se mettent en place, notamment par la commission pour le contrôle de l'application des lois.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je note que seront joints au rapport les contributions des groupes CRC et UMP. Les groupes socialiste, CRC, EELV, RDSE et UCR votent donc en faveur du rapport de la mission, le groupe UMP s'abstenant.
Je mets aux voix l'autorisation de publication du rapport de la mission d'information sur la carte scolaire ? Pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé à l'unanimité.
Mercredi 27 juin 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Audition de M. Charles Biétry, vice-président de la chaîne BeIN Sport
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission reçoit M. Charles Biétry, vice-président de la chaîne BeIN Sport.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je remercie M. Biétry de nous présenter la chaîne BeIN Sport, nouvelle venue dans le paysage audiovisuel français.
M. Charles Biétry, vice-président de BeIN Sport. - C'est toujours et un plaisir, et un honneur, de me rendre à une invitation du Sénat.
BeIN Sport se compose de deux chaînes de télévision jumelles. La première, BeIN Sport 1, a commencé à émettre le 1er juin dernier. BeIN Sport 2 démarrera le 28 juillet, à l'ouverture des Jeux olympiques. Pourquoi deux chaînes ? Aucune n'a de spécialisation propre. Nous avons acquis beaucoup de droits, nous voulons que les diffusions soient les plus complètes. France 2 et France 3 ont depuis longtemps trouvé la solution face à l'incertitude des horaires. Personne ne peut prévoir l'heure à laquelle un match se terminera. Que faire si un Federer-Tsonga se prolonge, alors qu'un match de football en Ligue 1 commence à 18 heures ? Nous entendons traiter le sport dans toute sa vérité, sa diversité. L'abonnement se monte à 11 euros environ par mois, pour les deux chaînes. Ce ne sont pas, j'y insiste, des chaînes de football, même si nous nous y sommes beaucoup intéressés - c'est un point de passage obligé pour une chaîne de sport par abonnement. Nous avons donc acquis les droits de la Ligue 1, de la Ligue 2, de la Champions League, du championnat espagnol, allemand, italien. Mais nous retransmettrons aussi des compétitions en basket, handball, cyclisme, judo, boxe, etc. Il n'y a pas de petit sport, chacun peut susciter l'émotion, chacun a sa place à la télévision, pour peu qu'on le présente intelligemment, en racontant par exemple de jolies histoires. Nous avons signé avec la ligue nationale de handball, pour le championnat de France féminin...
Mme Françoise Laborde. - Ah ! Très bien !
M. Charles Biétry. - Certes, a priori, un match PSG-Real Madrid réunit plus de téléspectateurs. Mais le handball est pratiqué à l'école, il intéresse donc beaucoup de monde. Et ces joueuses semi-professionnelles ont des vies fabuleuses : l'une quitte son travail pour venir jouer et repart travailler dès le match achevé, l'autre amène ses deux bébés dans un couffin, les installe dans la tribune d'honneur et jette un oeil de temps en temps pendant le match. Nous voulons raconter ces histoires, elles sont la vérité du sport, celui-ci ne se résume pas à l'or et aux paillettes, aux pétrodollars qui ruissellent...
Nos chaînes ne seront pas des robinets ouverts distribuant à jet continu des matchs ; oui, il y a dans le football de très beaux programmes qui assureront à la chaîne une rentabilité rapide. Mais la journée sera rythmée par des émissions : Expresso de 6 à 9 heures, présentée par deux jeunes qui parleront des évènements de la nuit et livreront de l'information, de l'actualité ; Midi Factory de midi trente à 13 h 30, pour un décryptage réfléchi des images ; une émission de football de 19 heures à 20 heures ; enfin, de 23 heures à minuit, le film de la journée sera repris avec une patte cinéma, pour trancher avec le style du reste de la journée. La moyenne d'âge de la rédaction est inférieure à trente ans et nous avons créé 170 emplois, sans compter le renfort de 1 000 à 1 500 personnes le week-end.
Nous diffuserons en direct huit matchs de Ligue 1 - deux en différé - ainsi que neuf matchs de Ligue 2. Al Jazeera a créé une chaîne en France pour faire de la télévision, mais le président M. Nasser Al-Khelaïfi l'a dit, nous souhaitons aussi apporter une aide au sport français. Nous aurions pu nous passer des matchs de la Ligue 2, mais les clubs de Guingamp, d'Angers ou d'ailleurs ont besoin de droits télévisuels. Nous éviterons la désaffection que pourraient connaître certaines disciplines ou certaines catégories de clubs. Ainsi, nous avons la volonté d'essayer de reconstruire la boxe, en organisant une fois par mois une réunion de néo-pro. C'est un travail en profondeur dans le sport français qui débute. Il a un aspect social. Par exemple, BeIN Sport proposera des cours d'anglais à partir du vocabulaire du sport : les langues étrangères sont plus ou moins bien enseignées en France, les enfants auront avec nous une chance de plus.
Pendant un an, nous avons suivi une équipe du Blanc-Mesnil, qui joue en division d'honneur, pour voir comment se passait la vie dans une banlieue où cohabitent des musulmans, des juifs, des blancs, des noirs... Nous sommes allés jusqu'au poste de police où un gamin membre du club était retenu après une bêtise. Dans le département, les habitants ont été contents de cette expérience. Nous aussi ! Nous avons le sentiment d'avoir fait bouger quelque chose.
Nous essayerons d'être très humains, alors que la société actuelle, la télévision et le monde du sport sont devenus agressifs - le monde du sport est également devenu bête, nous l'avons vu tout récemment. Si je prononce le mot amour, je vais faire sourire, mais nous sommes à la recherche de convivialité, de paix, contre l'agressivité ambiante dans les stades, à la télévision, et même dans la presse écrite. Cela ne nous empêchera pas d'évoquer les problèmes. Mais nous ne serons ni des procureurs ni des juges, on en a trop vu, il y a très peu de temps encore.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Et les supports : ADSL, câble, satellite ?
M. Charles Biétry. - La chaîne sera diffusée via tous les supports ADSL et câble. Les discussions ne sont pas achevées sur le satellite.
Mme Sophie Jordan, conseillère juridique, BeIN Sport. - Les discussions avec Canal Satellite avancent, elles entrent dans la dernière ligne droite.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La TNT payante est-elle susceptible de vous intéresser ?
M. Charles Biétry. - Ce n'est pas à l'ordre du jour mais nous gardons l'esprit ouvert. La TNT payante n'est pas pour nous très attrayante.
Mme Sophie Jordan. - C'est aussi en raison de la contrainte réglementaire que nous nous sommes détournés de ce support.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis sur le budget du sport. - L'arrivée d'Al Jazeera Sport a changé rapidement la donne médiatico-sportive.
La question de l'accès gratuit aux images sportives me préoccupe. Votre chaîne est payante, même si le prix de l'abonnement n'est pas élevé. Votre président a affirmé l'intention de ne pas diffuser en exclusivité des évènements relevant du « patrimoine national ». Qu'entendez-vous par là ? Car vous avez été les seuls à diffuser le match de rugby France-Argentine. Nous entendons veiller à l'accès démocratique aux retransmissions des matchs de nos équipes nationales.
Quelle peut être la neutralité d'un organe de presse qui est aussi propriétaire d'un club appartenant aux championnats retransmis ? Je songe bien sûr au PSG, mais également au club Paris-Handball que vous êtes en train de racheter.
Enfin, les masses financières en jeu sont considérables, mais quelle sera la pérennité de cet investissement ? J'espère que votre engagement s'exprimera dans la durée, car votre démarche est très intéressante pour le financement du sport. Vous allez là où personne n'est encore allé, mais combien de temps resterez-vous ?
M. David Assouline, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel. - Il serait impensable pour moi de ne pas être abonné à Canal +, pour les matchs de football mais plus largement pour les émissions sur le sport, car j'aime le ton des journalistes et commentateurs. Vous avez emmené avec vous cet esprit... ainsi qu'une partie des équipes. J'hésitais à m'abonner à BeIN Sport, mon fils a insisté. Je suis probablement le seul abonné parmi tous les sénateurs réunis ce matin pour vous écouter. C'est ainsi que j'ai vu les meilleurs matchs de l'Euro.
Avec Canal +, l'accès gratuit au sport à la télévision avait déjà été écorné, mais les retombées étaient positives pour le financement du cinéma. Le fait que l'argent parte ailleurs fragilisait certes le monde du sport, mais l'État et Canal + avaient un accord assorti de contreparties pour la création audiovisuelle en France. Quelles retombées peut-on attendre de l'arrivée de BeIN Sport ? Plus d'argent dans les caisses des clubs de Ligue 1, certainement, mais on observera avec attention quels profits en tirera le football amateur. Et comme acteur de télévision, comment allez-vous contribuer à la création audiovisuelle ?
M. Charles Biétry. - Monsieur Assouline, vous avez-vous-même répondu à votre question. Vous vous êtes abonné à BeIN Sport sur la pression de votre fils. Or vous ne vous êtes pas désabonné de Canal + ?
M. David Assouline. - J'ai peut-être plus de moyens que d'autres...
M. Charles Biétry. - On a clamé que Canal + allait perdre des abonnés et du chiffre d'affaires, mais je ne connais personne qui ait résilié son abonnement à Canal + pour en prendre un à BeIN Sport. C'est que Canal + n'est pas une chaîne de sport, mais de divertissement, de cinéma, etc. Elle payait auparavant 600 millions d'euros de droits, elle n'en débourse plus que 420 mais n'a pas perdu d'abonnés : elle a donc amélioré ses bénéfices. Pourquoi réduirait-elle ses investissements dans le cinéma ? Nous sommes quant à nous une chaîne de sport. Nous avons eu affaire à un lobbying puissant. Personne n'avait songé à imposer une taxation à d'autres chaînes de sport comme L'Équipe TV ou Eurosport ! Nous ne sommes pas en concurrence avec Canal +. Et si le chiffre d'affaires de cette chaîne tend à diminuer, c'est peut-être parce que son modèle économique a vécu : aujourd'hui, les modes de consommation du cinéma ont changé, vidéo à la demande, DVD disponibles peu de temps après l'exploitation en salle, etc. Or on s'abonnait à Canal + pour le cinéma - non pour le sport. Et sans doute est-ce pour cela que Canal + veut acheter une chaîne TNT gratuite.
Vous avez cité les propos du président de la chaîne en conférence de presse. BeIN Sport est une société française, qui se soumet donc aux règles de l'État français. Cette société s'appelle BeIN Sport et non Al Jazeera Sport, j'y insiste - tout collaborateur, lorsqu'il se trompe, doit du reste verser un euro à notre cagnotte. Si les règles françaises sont modifiées, nous suivrons les nouvelles. Que dire de plus ? Je ne suis pas dans la tête des autorités du Qatar, je ne peux dire si elles souhaiteront un jour financer le cinéma. Quoi qu'il en soit, ceux qui chez nous, aujourd'hui, font mine de pleurer auraient des réactions autrement violentes si Al Jazeera annonçait la création d'une ou deux chaînes de cinéma !
Je confirme totalement la déclaration du président de la chaîne. Une liste des évènements protégés avait été dressée, il y a quelques années, par la Haute Autorité de l'audiovisuel, j'y souscris aujourd'hui comme hier. Si nous diffusions les matchs de l'équipe de France de football, le tennis à Roland-Garros ou le Tour de France, la population serait mécontente et l'opération contre-productive commercialement. J'habite un village de 3 400 habitants, il compte quinze abonnés à une chaîne payante... Si le sport cessait d'être gratuit à la télévision, il disparaîtrait des esprits, ce qui ne serait pas à l'avantage d'une chaîne à péage. Oui, nous avons diffusé le match France-Argentine de rugby - à 23 h 10, et disputé, côté argentin, par l'équipe de réserve, ce qu'on ne dit pas trop - mais nous l'avons décidé à peine dix heures avant le coup d'envoi, à l'arrache, en commentant le jeu depuis Paris ; et ce, parce que les demandes émanant du monde du rugby pleuvaient. Nous l'avons fait uniquement pour rendre service et cela ne nous a rien rapporté. C'est un cas à part. Je le répète, jamais un match de l'équipe de France ne sera diffusé en exclusivité. Pour l'Euro 2012 de football, TF1 et M6 entendaient diffuser cinq matchs chacun. Mais les droits pour la France ont été attribués à peine trois semaines avant le lancement de l'Euro et nous postulions. Les deux chaînes publiques ont donc, poussées par notre présence, finalement diffusé dix-neuf matchs, tandis que nous achetions les onze dont elles ne voulaient absolument pas. Nous avons co-diffusé les matchs de l'équipe de France, et comme nous n'avons pas 12 millions d'abonnés - nous en avions zéro à l'ouverture de l'Euro ! - nous n'avons pris de parts de marché à personne.
M. David Assouline. - Et combien d'abonnés avez-vous aujourd'hui ?
M. Charles Biétry. - Je l'ignore, car nous ne sommes pas maîtres de notre distribution et chaque distributeur, qui connaît son chiffre, ne le communique pas. Le Figaro, à partir du chiffre d'un seul distributeur, a établi une estimation, entre 350 000 et 400 000 abonnés. D'après nos autres indicateurs, qui sont bons, ce niveau ne me semble pas invraisemblable. Sans CanalSat, c'est un très beau résultat, qui montrerait, s'il était confirmé, que nous avons bien travaillé.
Le propriétaire des chaînes n'est pas le propriétaire des clubs, ce sont des actionnaires distincts : prétendre qu'ils n'en font qu'un, c'est comme confondre Margarita Louis-Dreyfus et Gervais Martel ! J'ai déjà vécu ce genre de procès à Canal +, contre les gens qui gèrent le football, contre la rédaction, les commentateurs. Or je défie quiconque de trouver dans mes propos à l'antenne, à cette époque-là, quelque trace de partialité en faveur du PSG. Je me suis même fâché avec mon meilleur ami, président du PSG, qui aurait voulu que Canal + soit la chaîne du PSG. Je dirigeais le sport à Canal et je tenais à notre indépendance. Ici, le président est commun, mais nos journalistes ne favorisent pas le PSG - cela serait non seulement contraire à l'éthique mais stupide car nos abonnés sont lillois, toulousain, lyonnais, marseillais. Tous nous rejetteraient !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le financement des clubs, qui est un élément positif, sera-t-il durable ?
M. Charles Biétry. - Voyez les investissements que nous avons faits, visitez nos 3 500 mètres carrés de bureaux à Boulogne, songez à ce que nous avons payé pour les droits de retransmission pour quatre ans : trop d'investissements pour ne pas viser le long terme ! Nous avons embauché des jeunes afin qu'ils soient là pour longtemps.
Ce ne sont pas des investissements faramineux, cependant. Pour tous les droits de football que nous avons acquis, nous avons déboursé 30 % de moins que Canal + pour deux matchs de Ligue 1. Et pas question de jeter l'argent par les fenêtres, le service comptable s'émeut de tout dépassement de quelques centimes d'euros. Le Qatar est riche, mais la gestion de la société est stricte - plus qu'à Canal + ou France Télévisions ! - et BeIN Sport durera. Si TPS n'a pas duré, c'est que Canal + ne le voulait pas ; si Orange Sport a sombré, c'est qu'Orange a été victime de la concurrence. Notre mission est de fabriquer la plus belle chaîne possible, pour l'éternité !
M. Michel Le Scouarnec. - Comment oeuvrez-vous pour le sport de masse ? L'argent gangrène le football. Parlerez-vous des pratiques scolaires, du sport dans les petites villes ? Montrerez-vous ce qui se fait dans les territoires ? Et la lutte contre le dopage, la moralisation du sport, la lutte contre la dérive d'adolescents qui ne font rien alors qu'ils pourraient s'épanouir dans des clubs sportifs et ainsi s'insérer dans la société ?
Mme Françoise Laborde. - Ma marotte, c'est le sport féminin. À part le championnat de France de handball, qu'avez-vous l'intention de diffuser en la matière ?
Onze euros, ce n'est pas très cher, certes, mais c'est plus que l'augmentation du SMIC. Je me félicite que le patrimoine demeure visible par tous, sur le service public, malgré cette exception concernant le petit match France-Argentine.
Une pénalité quand on dit « Al Jazeera Sport » ? Mais le nom BeIN Sport ne sonne pas plus français ! C'est nous qui allons vous mettre à l'amende !
Montrerez-vous des documentaires sportifs ? Les amateurs y tiennent.
Enfin, je trouve inconcevable, quand on investit autant d'argent et d'énergie, de ne pas connaître le nombre d'abonnés.
M. Charles Biétry. - Ce sont les distributeurs qui maîtrisent les abonnements, pas nous. Ceux-ci sont ouverts depuis quinze jours seulement. N'oublions pas en outre que l'offre est sans engagement : on peut se désabonner à tout moment. Dans ces conditions, difficile de connaître les chiffres exacts. Plutôt que de se focaliser sur le nombre d'abonnés, comme d'autres sur l'audience, je souhaite que l'on travaille à faire la plus belle chaîne possible. Si nous travaillons bien, les abonnés suivront. Nous regarderons les chiffres au 1er janvier, d'autant que l'arrivée de CanalSat, si elle se concrétise, changera la donne - mais moi qui crains toujours de possibles pièges, je ne peux que répéter : rien n'est signé...
Une chaîne à péage a besoin d'abonnés pour vivre : avec le Real Madrid ou le PSG, c'est plus facile. Cependant, pour beaucoup d'entre nous, le sport de masse a été toute notre vie et je veux donc le traiter le mieux possible. Mais nous ne sommes ni le ministère des sports, ni les directions techniques, ni les actions régionales, ni le Parlement... Oui aux actions pour favoriser la pratique sportive chez les jeunes, mais cela reste très difficile. Les cours d'anglais que j'ai évoqués sont une première marche. Je souhaiterais mener des actions avec l'éducation nationale, proposer des programmes éducatifs autour du sport. Nous n'avons que quinze jours d'existence : rien n'est encore prêt, mais l'envie est là. Dès que nous aurons réussi notre lancement, nous pourrons rendre service, faire quelque chose pour les autres. C'est l'esprit des autorités qatariennes, dont la passion du sport est sincère. Nous utiliserons nos moyens, comme vous les vôtres.
Moraliser le sport ? Lutter contre le dopage ? Je ne sais pas comment faire ! Si l'on me proposait un cachet pour jouer au tennis comme il y a 25 ans, le refuserais-je ? Le dopage a toujours existé. Lors d'une campagne électorale, ne faut-il pas tenir la distance, être plus en forme que l'adversaire ? Les candidats n'absorbent-ils pas quelque stimulant ? N'ont-ils jamais transgressé les lois ? Il faut être plus fort que l'adversaire. C'est un sujet extrêmement délicat. On ne va pas éradiquer le dopage. Il est partout. Par contre, on ne va pas faire en plus sa promotion. Je n'ai pas de solution.
M. David Assouline. - Vous suggérez qu'il y a eu dopage ?
M. Charles Biétry. - Absolument ! Notre président lui-même... Mon père prenait sans doute quelque chose avant de jouer ; j'espère que mon petit-fils n'en fera pas autant. Mais je doute que la télévision soit le moyen d'éradiquer le dopage. Cette mission est plutôt la vôtre !
Le sport féminin ? Il serait stupide de ne pas le diffuser, ne serait-ce que pour des raisons commerciales. Le sport féminin a en outre beaucoup progressé techniquement : c'est un superbe spectacle, aussi agréable à regarder que le sport masculin. Nous montrons le handball féminin, mais aussi le volley, le foot. Il n'y a aucune distinction.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Quid du nom de la chaîne ? Pourquoi n'avoir pas choisi un nom français pour une chaîne française ?
M. Charles Biétry. - Le Qatar a choisi un nom générique qui pouvait être décliné dans plusieurs pays. La France est une tête de pont. D'ici trois semaines, il y a aura une chaîne BeIN Sport aux États-Unis, puis ailleurs.
Les documentaires ne font guère d'audience, même le magnifique « Intérieur Sport » sur Canal +. Sur une chaîne à péage, il faut avant tout éviter les désabonnements. Comme le disait André Rousselet, « c'est comme un pullover : si une maille se détricote, tout part ! » Un documentaire coûte 100 000 euros minimum, mais une chaîne de sport ne peut s'en passer, pour son image, pour donner aux téléspectateurs les clés des matchs à venir. Aucun documentaire n'est programmé pour l'heure, mais cela changera dès que nous aurons trouvé notre rythme de croisière. Le sport de masse, notamment, sera abordé par ce biais.
M. David Assouline. - La handballeuse avec ses deux couffins ?
M. Charles Biétry. - Absolument. Pour faire naître l'intérêt autour d'un match de handball féminin Mios-Besançon, par exemple, il faut raconter des histoires, montrer, dans de petits documentaires, ce qu'il y a autour, les dirigeants bénévoles, les entraîneurs... C'est aussi ça, le sport de masse.
Mme Dominique Gillot. - En effet, il faut donner à voir des tranches de vie pour intéresser les spectateurs à l'exploit sportif.
Le lien entre sport et éducation ? Avec l'association Diambar, Bernard Lama veut créer en France des écoles de football populaires, mettant l'accent sur les bons comportements. Espérons que grâce à elles, nous aurons, dans dix ans, des champions qui correspondent davantage à nos idéaux que certains mauvais garçons mal élevés...
Chaque sport a sa place sur votre chaîne, dites-vous. Le handisport me paraît de nature à provoquer l'émotion. Le nageur Philippe Croizon, le sprinteur Oscar Pistorius réalisent des exploits. Il est temps que ce sport-là gagne ses galons de produit commercial.
M. Dominique Bailly. - Vous dites défendre les sports peu médiatisés, aider les clubs en difficulté. En tant que supporter du Racing Club de Lens, je m'interroge sur les horaires retenus pour les matchs de Ligue 2 : comment remplir un stade, encourager la ferveur populaire quand le matche débute le vendredi à 18 heures ou 18 h 45 ? Vous parlez de pérennité, mais la Ligue 2 va-t-elle survivre longtemps avec de tels horaires ?
M. Jacques-Bernard Magner. - Le sport spectacle l'emporte désormais sur la pratique sportive, sur la promotion du geste sportif comme élément éducatif. M. Biétry, grand commentateur sportif dont nous connaissons tous les valeurs, ne sert-il pas de caution à une opération purement commerciale de Al Jazeera ? On porte un coup supplémentaire au sport sur le service public, avec ce mariage entre argent et sport de haut niveau, réservé à ceux qui ont les moyens de se l'offrir.
M. Jean-Pierre Chauveau. - J'ai beaucoup apprécié la présentation de M. Biétry. En tant que supporter du Mans FC, je partage les inquiétudes de M. Bailly sur la question des horaires. Les villes moyennes, qui peinent à réunir plus de huit à dix-mille spectateurs pour un match, craignent la désaffection...
Par ailleurs, quel est le pourcentage du football - Ligue 1 et Ligue 2 - dans vos retransmissions ?
M. Charles Biétry. - Ce n'est pas BeIN Sport qui fixe les horaires mais la Ligue elle-même. Les présidents de clubs, dont MM. Legarda et Gervais Martel, ont défini eux-mêmes l'appel d'offres, qui proposait des matchs de Ligue 2 entre 18 heures et 18 h 30 le vendredi. Nous avons remporté l'appel d'offres, pour 12 millions d'euros... Nous apportons de l'argent pour produire ces matchs de Ligue 2, qui auparavant n'étaient vus par personne ! BeIN Sport n'est pour rien dans le changement d'horaires, qui a été voulu par les clubs. Nous n'aurions simplement pas répondu à un appel d'offres pour des matchs commençant à 20 h 30, car à cette heure là, il y a des matchs de Ligue 1 !
M. Dominique Bailly. - Merci de ces précisions. M. Gervais Martel ne m'a pas fait la même réponse.
M. Charles Biétry. - Nous avons proposé comme solution de programmer les matchs le samedi à 14 heures : les présidents de club n'en ont pas voulu. J'habite Carnac ; pour aller voir l'équipe de Rennes, je fais 120 kilomètres de route. Si le match commence à 21 heures, je ne rentre pas avant minuit trente, de nuit, souvent sous la pluie... Les présidents de Ligue 2 qui craignent de perdre des spectateurs oublient que beaucoup ne viennent pas, aujourd'hui, parce que le match finit trop tard ! Je suis sûr qu'à la fin de la saison prochaine, il y aura plus de spectateurs qu'aujourd'hui. Sans compter que beaucoup de personnes ne travaillent pas le vendredi après-midi...
M. David Assouline. - Grâce aux 35 heures !
M. Charles Biétry. - Nous offrirons une couverture inédite de la Ligue 2, qui va enfin exister. Jamais un sponsor de Ligue 2 n'est passé à la télévision. Je défie quiconque ici de me citer les cinq premiers clubs de Ligue 2 ! J'aurai préféré que les matchs commencent plus tard, mais ce n'était pas possible : il y a un match de Ligue 1 tous les soirs. Encore une fois, ce sont les présidents de clubs qui l'ont voulu.
M. Jean-Pierre Chauveau. - M. Legarda nous dit qu'il est minoritaire...
M. David Assouline. - Mais M. Gervais Martel a un certain poids...
M. Charles Biétry. - Ils auraient très bien pu refuser notre argent, et jouer quand bon leur semble !
M. Dominique Bailly. - Le public lensois vient de loin, beaucoup font deux heures de route. Pas facile d'être au stade pour 18 h 45... Je crains que les clubs ne perdent des spectateurs. Espérons que la visibilité accrue de la Ligue 2 attirera de nouveaux partenaires.
M. Charles Biétry. - Les clubs perdront quelques spectateurs, mais gagneront ceux que le nouvel horaire arrange. Ils retrouveront un public plus familial.
J'ignore le pourcentage que représente le football dans nos programmes. Indéniablement, nous en diffusons beaucoup, mais je m'attache à ce que BeIN Sport n'apparaisse pas comme une chaîne dédiée au football. Samedi dernier, nous avons montré sept sports différents avant l'Euro : beach volley, derby d'Epsom, rugby à treize, etc. Je vous donnerai un chiffre quand la Ligue 1 et la Champions League auront commencé.
Considérer que je sers de caution est un peu réducteur... À mon âge, je n'aurais pas accepté d'être un pion ! J'ai pris ce poste avec sincérité, parce que je pense que nous pouvons faire quelque chose de bien. La démarche de l'actionnaire est commerciale, évidemment : il s'agit de créer une entreprise, de créer des emplois, de la richesse. Mais une démarche qui ne serait que commerciale n'aurait aucune chance d'aboutir. Pour avoir dirigé les sports sur France Télévisions, je sais combien il est difficile d'être écartelé entre les exigences de l'audience, d'une part, du service public, d'autre part. Les chaînes publiques devraient diffuser le handball féminin, le tir à l'arc, ... Oui, mais l'audience serait proche de zéro et le président du groupe risquerait d'être mis à la porte ! Nous ne prenons rien au service public, avec lequel nous passons des accords. À France Télévisions la couverture des Jeux olympiques ; BeIN Sport pour sa part diffusera l'intégralité du tennis, du handball et du basketball, masculin et féminin. Nous partagerons également la diffusion de la Coupe d'Angleterre de football. Je suis pour des accords avec les autres chaînes : nous ne recherchons pas l'exclusivité et ne sommes nullement le cheval de Troie de l'Argent dans le sport français !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Un mot sur le handisport et les jeux paralympiques ?
M. Charles Biétry. - Les droits, avec ceux des Jeux olympiques, appartiennent à France Télévisions. Le handisport est un sujet très complexe à traiter. Oscar Pistorius court avec les valides ! Malgré les discours politiquement corrects, il est difficile de filmer le handicap. J'ai beaucoup fait pour le handisport, pour que les sportifs aient des stades, des entraîneurs, des voitures pour leurs déplacements. Mais en faire un sport de télévision ? Le handicap n'est pas facile à montrer, même si l'on peut toujours se dédouaner en diffusant une ou deux courses...
Mme Dominique Gillot. - Je ne parle pas des handicapés sportifs mais des sportifs de haut niveau qui sont handicapés. Avant de voir la personne handicapée, c'est l'exploit sportif que l'on voit ! Il n'y a pas de voyeurisme à regarder Philippe Croizon nager !
M. Charles Biétry. - J'adhère totalement à ce propos. J'ai vu Philippe Croizon, son exploit sportif est remarquable.
Mme Dominique Gillot. - Certaines personnes handicapées développent des aptitudes supérieures à celles des valides, du fait même de leur handicap.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous savons votre passion !
Je remercie M. Biétry. Son enthousiasme et sa sincérité à défendre le sport, y compris dans sa pratique quotidienne, ont séduit la commission. Nous serons vigilants à ce que la démarche commerciale de l'actionnaire ne l'emporte pas sur ce que vous nous avez donné à voir.
Audition de Mme Sylvie Linder, coordonatrice nationale de la mission espaces ludiques en milieu scolaire
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne Mme Sylvie Linder, coordonatrice nationale de la mission espaces ludiques en milieu scolaire.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mme Sophie Primas m'a signalé l'action tout à fait intéressante des espaces ludiques en milieu scolaire et c'est à ce titre que nous recevons Mme Linder.
Mme Sylvie Linder, coordinatrice nationale de la mission espaces ludiques en milieu scolaire. - Je cède la parole à M. Macron, représentant de l'éducation nationale qui a labellisé, mis en oeuvre, suivi et évalué le dispositif des espaces ludiques.
M. René Macron, chef du bureau des écoles à la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale. - Merci de nous recevoir. Ce dispositif existe depuis 2004 et n'a de sens que dans un cadre partenarial puisqu'il a été conçu pour fonctionner durant et en dehors du temps scolaire ; il concerne les écoles élémentaires et les collèges.
Les espaces ludiques sont des lieux où les enfants trouvent des jeux auxquels ils peuvent jouer librement. Seules deux règles doivent être respectées : jouer, calmement si possible, et ranger les jouets après avoir joué. Le rôle des animateurs est de veiller à leur respect. L'objectif est double : lutter contre la violence et donner la possibilité aux enfants qui n'ont pas l'occasion de le faire dans leur milieu familial de jouer en toute liberté. Dès 2004, nous avons engagé un partenariat avec la Fédération française des industriels du jouet-puériculture (FJP) afin de constituer un pack de jouets correspondant aux objectifs poursuivis. A l'issue de l'expérimentation lancée en 2004 dans plus de 80 écoles, une conférence s'est tenue à Lille pour faire un état des lieux. Nous avons depuis relancé le dispositif à plusieurs reprises en l'intégrant aux circulaires sur l'accompagnement éducatif de même qu'au site Eduscol, et en transmettant aux inspecteurs d'académie et aux recteurs des notes d'incitation.
Les objectifs poursuivis ont été atteints mais aussi d'autres qui n'étaient pas visés. L'aménagement des rythmes de vie des enfants est une question récurrente et la réflexion sur l'organisation globale de leur temps sera certainement relancée à l'occasion du futur texte d'orientation ; or les espaces ludiques ont un impact sur l'organisation du temps scolaire lui-même. Ils ont, en outre, eu la vertu de valoriser les partenariats, de resserrer les liens entre les écoles et les municipalités. Ils ont également eu un impact sur les parents d'élèves, dont certains ont découvert que leurs enfants pouvaient jouer avec autre chose que des consoles vidéo...
Une plaquette réunit les informations utiles à la conception d'un espace ludique ; les règles y sont rappelées - certains enseignants ont tendance à « pédagogiser » les jeux. Les espaces ludiques peuvent être créés dans les classes, dans des locaux spécifiques ou des bibliothèques. Nous travaillons avec la FJP pour faire évoluer la sélection des jouets afin de prendre en compte les jouets eux-mêmes mais aussi les stéréotypes qu'ils véhiculent éventuellement.
Jusqu'à présent, 50 espaces ludiques ont été ouverts, 70 projets sont en passe d'être réalisés et 50 dossiers en cours d'instruction. Il serait bon qu'à l'occasion de la réflexion sur l'école, ces espaces ludiques puissent se multiplier grâce à la mobilisation de l'éducation nationale mais aussi des collectivités territoriales et des associations.
Mme Sylvie Linder. - Ce n'est pas une nouveauté d'introduire des jouets à l'école, puisqu'il existe des clubs de jeux, des ludothèques. L'intérêt de ce dispositif repose sur un concept original, une combinaison spécifique de jouets à même de répondre aux besoins ludiques des enfants. Les jouets sont répartis en trois catégories : les jeux symboliques ou d'imitation, les jeux de construction ou d'imagination et les jeux de règles ou de société. Cette sélection a été étudiée par des spécialistes et a été validée après plusieurs années de pratiques. L'objectif est de provoquer des réactions de compensation ou de décompensation des enfants afin qu'ils se détendent, s'équilibrent, s'intègrent dans un processus de développement personnel au sein d'un groupe qui partage la même dynamique. Chaque pack comprend une soixantaine de jeux, ce qui permet de répondre à la demande de groupes de 15 à 25 enfants. Cet outil concret ancre les enfants dans une réalité à leur dimension ; ils sont trop souvent projetés dans des réalités d'adulte et se réfugient dans des mondes virtuels.
Les jeux sont à la disposition des enfants qui choisissent en toute liberté celui auquel ils veulent jouer, sans animation ni travail par thème. L'encadrement est assuré par les enseignants ou par le personnel municipal pendant les récréations, la pause méridienne ou après la sortie des cours. Ces espaces ludiques ne nécessitent aucune formation, ils utilisent les ressources humaines et matérielles existantes à l'exception de l'acquisition des jouets.
Une convention cadre a été signée entre l'éducation nationale et les représentants de la filière jouet, qui se sont engagés à proposer le pack à des tarifs tout à fait préférentiels.
Le dispositif s'adresse à toutes les écoles et sa mise en oeuvre permet d'obtenir des résultats rapides et probants. Ainsi dans celles où les espaces ludiques ont été créés note-t-on un changement d'atmosphère, une pacification des comportements, une diminution des incivilités et de la violence, le développement de la mixité fille/garçon et entre grands et petits, des progrès dans l'intégration et la communication, un sens accru des responsabilités et du respect des règles, l'amélioration de la confiance en soi et la concentration, l'appropriation de l'école par les enfants et la stimulation des apprentissages. Mme Primas a pu le constater à Bonnières-sur-Seine, les enfants se respectent, s'organisent de façon autonome, assimilent les règles du champ social et ... retournent ensuite tranquillement en classe.
Le dispositif permet de mieux vivre ensemble à l'école ; et si les enfants vivent mieux à l'école, ils sont en situation de mieux vivre tout court et de mieux travailler, ce qui est tout à leur bénéfice, mais aussi à celui des enseignants, des parents et de la collectivité toute entière. Il s'agit d'un outil efficace pour aménager les rythmes et les espaces scolaires. De plus en plus d'enfants restent en effet dans le champ scolaire de 8 heures du matin à 18 heures et il est primordial de les considérer dans leur globalité et non pas seulement comme élèves.
Il s'ouvre en moyenne un espace ludique en milieu scolaire par semaine ; 70 dossiers sont en cours d'installation et une cinquantaine à l'étude. Ce début est très prometteur ; je compte sur vous pour être notre relais auprès des collectivités afin que ce dispositif profite au plus grand nombre.
M. Bruno Bérard, ancien président de la fédération française des industries du jouet-puériculture. - La fédération a soutenu, organisé, promu le projet depuis huit ans. Pour nous, les jouets ne sont pas un produit de consommation, mais un produit d'équipement qui favorise le développement de l'enfant. En 2004, la FJP a financé totalement une expérimentation dans une centaine d'écoles du nord de la France, qui a démontré les bienfaits des espaces ludiques. L'expérience ne s'est pas généralisée, parce que nous n'avons pas trouvé tout de suite l'organisation qui aurait permis aux écoles d'avoir accès aux jouets à des prix préférentiels. J'ai repris ce chantier il y a trois ans, mobilisé la filière et le réseau de distribution pour proposer des tarifs accessibles. Ce qui a été fait, car nous sommes tous convaincus que ce projet est porteur de valeurs et d'avenir. La FJP est le principal support de l'Association française des espaces ludiques et dynamique sociale (AFELDS). Sur la base de 50 espaces ludiques ouverts tous les six mois, ce projet ne pourra cependant pas être porté durablement et nous souhaitons trouver auprès de vous les relais nécessaires dans les collectivités territoriales pour que ce dispositif puisse réellement se déployer.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous n'avons pas pour habitude de recevoir des fédérations de fabricants de jouets, mais tout ce qui peut contribuer à l'intérêt général doit être entendu.
Mme Dominique Gillot. - Je suis très heureuse d'avoir entendu cette présentation, mais de nombreuses communes ont déjà des lieux dédiés, ludothèques ou espaces ludo-éducatifs, qui ne sont d'ailleurs pas conventionnés avec l'éducation nationale. Comment faire pour obtenir ce conventionnement ? Quels sont les avantages financiers que nous pouvons en attendre ? Je suis convaincue de l'intérêt éducatif des jouets. Pour quelles raisons cette expérience n'a-t-elle pas été généralisée ? Je suis persuadée que de nombreuses communes seraient volontaires.
M. Jacques Legendre. - Quel est le coût des espaces ludiques pour les collectivités ? Pouvez-vous nous dire où ils ont été créés ?
Mme Marie-Annick Duchêne. - Les communes sont obligées de procéder à des appels d'offre. Quelles sont les démarches à suivre pour les espaces ludiques ?
Mme Sylvie Linder. - Tout cela a bien évidemment un coût. La fédération et les grossistes distributeurs ont consenti des conditions financières tout à fait particulières.
L'AFELDS a été créée à la demande de l'éducation nationale et du ministère de la ville pour qu'il y ait une entité experte neutre capable de faire le lien entre tous les partenaires. L'Association est soutenue par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) ; dans les zones prioritaires, elle bénéficie des crédits des contrats urbains de cohésion sociale (Cucs). Pour ce qui est des implantations des espaces ludiques, je vous renvoie au document que je vous remettrai. Le coût de la soixantaine de jeux du pack ne doit en aucun cas dépasser 1 500 euros TTC, franco de port.
M. Bruno Bérard. - Ce prix est moitié moindre que celui que nous pratiquerions pour distribuer les mêmes jeux en milieu scolaire à d'autres titres.
Mme Sylvie Linder. - Pour qu'un appel d'offres soit valable, il faut trois devis. Comme il y a quatre grossistes nationaux qui distribuent les jouets en France, les communes ne devraient pas avoir de problème.
Certes, Madame Gillot, cela fait fort longtemps qu'il y a des jeux dans les écoles mais ce qui rend les espaces ludiques originaux, c'est la sélection des jeux. La première expérimentation avait pour objet de réduire les violences et les incivilités : sur une centaine de site, les résultats ont été tout à fait positifs.
Cette année, la moitié des sites ouverts l'ont été pour lutter contre la violence et l'autre moitié pour aménager les rythmes scolaires. Le maire de Bonnières a adressé une lettre au ministre de l'éducation nationale pour se féliciter des bons résultats qu'il a obtenus.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons bien compris l'effort commercial de la FJP, mais le ministère de l'éducation nationale participe-t-il financièrement ?
M. René Macron. - Le ministère apporte son expertise et il a négocié une convention cadre avec la FJP, ce qui permet d'accéder à des tarifs préférentiels.
Mme Françoise Laborde. - Quel est l'apport de l'éducation nationale au niveau financier ? Le plus souvent, le ministère nous apporte sa bénédiction mais, en définitive, c'est le conseil général ou la municipalité qui paye.
M. René Macron. - Vous connaissez le poids de la masse salariale au sein du budget de l'éducation nationale. Le plus souvent, elle offre des prestations de services ou de personnel. La structure nationale, l'AFELDS, n'a pas demandé de subvention à l'éducation nationale ; si elle le faisait, nous lui répondrions dans les conditions habituelles. Au niveau local et en l'état actuel du droit, il n'appartient pas à l'État d'équiper les écoles. En revanche, le ministère de la ville intervient via les crédits Cucs et l'Acsé. Et le personnel qui intervient sur le temps scolaire ou hors temps scolaire est rémunéré par l'éducation nationale. Chacun exerce ses prérogatives dans le cadre qui est le sien. Enfin, le prix de l'équipement, relativement faible, ne semble pas devoir poser de problème particulier. Le choix des jouets, comme celui des livres, a une grande importance : si nous pouvons proposer un matériel et des règles d'usage pertinents, pourquoi ne pas le faire ?
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Avec ce dispositif, vous apportez de la qualité...
Mme Sylvie Linder. - Les espaces ludiques peuvent parfaitement compléter les ludothèques dont l'objectif est plus vaste. Je rappelle que notre dispositif a pour but de lutter contre les violences et les incivilités...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Y a-t-il des espaces ludiques outre-mer ?
Mme Sylvie Linder. - Il y en a un au François, en Martinique. Nous voudrions développer un partenariat avec la fondation d'un transporteur maritime pour obtenir des tarifs préférentiels.
M. Jean-Claude Carle. - A qui doit s'adresser une commune pour ouvrir un espace ludique ?
Mme Sylvie Linder. - Les inspecteurs de l'éducation nationale sont les principaux référents et le projet d'école doit intégrer l'espace ludique. Quand une collectivité veut utiliser ce dispositif dans un centre social ou une maison de quartier où elle reçoit des enfants de six à onze ans, elle peut accéder aux conditions de vente négociées par l'éducation nationale et bénéficier du suivi de celle-ci. Les jouets utilisés plus souvent s'usent plus vite ; nous proposons un kit de réassortiment dans les mêmes conditions préférentielles.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - L'Europe, mais aussi nos collègues députés se sont mobilisés contre toute une famille de phtalates : je vous invite donc à anticiper les nouvelles règles lors des réassortiments pour ne pas risquer des retraits de jouets, même si je sais que les fabricants de jouets ont réagi plus vite que ceux de biberons et de puériculture.
M. Jean-Claude Carle. - Que sont les phtalates ?
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il s'agit d'additifs qui rendent les plastiques mous ; certains passent facilement dans le corps. Or la moitié d'entre eux sont des perturbateurs endocriniens...
M. Jean-Claude Carle. - Est-ce pour cela que les tapis puzzle ont été retirés du marché ?
M. Daniel Aboaf, délégué général de la FJP. - Non. Une nouvelle directive sur la sécurité des jouets a été adoptée par le Parlement européen en 2009. Sa première partie concerne les propriétés mécaniques et physiques des jouets, la seconde les composés chimiques. Tous les industriels du jouet se sont engagés à l'appliquer. Pour les articles de puériculture, la prise de conscience a été plus tardive mais elle a eu lieu.
En ce qui concerne les tapis puzzle, le formamide n'a rien à voir avec le bisphénol A. Au nom du principe de précaution, le Gouvernement français a demandé le retrait de ces tapis. Des études complémentaires sont en cours pour en connaître la dangerosité exacte.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.
Audition de Mme Elisabeth Maheu-Vaillant, formatrice en régulation de conflits en milieu scolaire
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La commission reçoit Mme Elisabeth Maheu-Vaillant, formatrice en régulation des conflits en milieu scolaire. Dans quel cadre ces formations sont-elles dispensées ? A qui s'adressent-elles, sur quels principes reposent-elles ? Et quelles sont les perspectives pour que le législateur fasse vivre les initiatives tendant à réduire la violence en milieu scolaire ?
Mme Elisabeth Maheu-Vaillant, formatrice en régulation des conflits en milieu scolaire. - J'étais à l'origine enseignante en mathématiques, en collège, et suis membre du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN). Je suis devenue formatrice au sein de l'institut de formation du mouvement, l'Ifman. Puis j'ai réintégré l'éducation nationale comme formatrice en partageant mon temps entre l'IUFM et le rectorat, entre formation initiale et continue en collèges et lycées.
Il y a beaucoup à faire pour améliorer la formation des enseignants au-delà de la transmission disciplinaire. On s'est déjà penché dans le passé sur la façon d'aider les enfants à développer des compétences de communication, de coopération, de créativité, afin de résoudre plus facilement les conflits et la violence à l'école. Cela suppose une expérimentation par les enfants, une pratique de la citoyenneté en classe, l'apprentissage du temps de parole, la formation de médiateurs ou de délégués...
J'interviens, en formation continue, dans deux cadres différents. D'abord les stages, auxquels s'inscrivent, individuellement, des enseignants, conseillers principaux d'éducation, assistants sociaux, infirmiers, secrétaires. Hélas, quand ils reviennent dans leur établissement avec des idées et des projets, rien ne se passe car autour d'eux, rien n'a bougé. C'est pourquoi je préfère l'autre cadre, l'intervention directe dans les établissements, auprès de groupes de 15 ou 20 inscrits, sur deux ou trois jours, en axant la formation, selon les demandes, sur la gestion des émotions, la tenue de classe, la transgression et la sanction, le fonctionnement des classes, ou encore, l'organisation de la parole. Lorsque nous parlons des conflits entre les élèves, ou entre les élèves et les adultes, nous arrivons immanquablement à évoquer un manque de travail en équipe des adultes.
Une précision : les « conflits », souvent inévitables, recouvrent, dans mon acception, tous les désaccords qui tendent les relations. Il ne s'agit pas de les éviter mais de les traiter de façon civilisée ; c'est toujours l'occasion de progrès.
Le MAN est membre de la Coordination pour l'éducation à la non-violence et à la paix, qui regroupe plus d'une cinquantaine d'associations. Elle soutient la proposition de loi présentée il y a un an par M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être faudra-t-il intégrer ce texte dans une future loi d'orientation pour l'école...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Que pouvez-vous nous dire de l'état actuel de la formation à la médiation et à la régulation non-violente des conflits ? Un futur maître, dans son parcours banal, échappe-t-il totalement à cette formation ?
Mme Elisabeth Maheu-Vaillant. - Il n'échappe pas au thème. Mais une conférence de pré-rentrée où 300 enseignants débutants, un peu ou très angoissés, reçoivent quelques vagues recommandations, n'a rien à voir avec une réflexion de fond, guidée par des formateurs et intervenant en parallèle du travail sur le terrain. Certes, les jeunes enseignants ont suivi des cours de psychologie de l'enfant ou de l'adolescent. Mais ils n'y trouvent pas de réponse sur la conduite à tenir lorsqu'un élève leur dit, pardonnez-moi le terme, « vous me faites chier ».
Il est important de travailler avec les jeunes collègues sur tous les éléments concourant à l'autorité, au lieu d'asséner que « l'autorité, on en a ou pas », assertion qui est totalement fausse et le meilleur moyen de les abandonner à l'impuissance. Durant les formations, nous explorons tous ces éléments. Dans un lycée professionnel, par exemple, si les choses fonctionnent encore un peu, on se demandera pourquoi. Et la réponse sera : parce que les jeunes sont consentants. Il est vain de vouloir instaurer une relation frontale, un rapport de force, à une époque où nombre de familles ne valorisent pas l'autorité de l'enseignant : l'enseignant sera seul contre trente-cinq et le fait qu'il représente l'institution n'y changera pas grand-chose. Mais s'il fonde son autorité sur les besoins de la classe, y compris de sécurité, et sur ses propres compétences, une certaine confiance s'installera. Ce qui n'empêchera pas les transgressions, habituelles chez les adolescents.
Il faut aussi travailler sur les règles. De nombreux établissements ont élaboré une charte, mais on y trouve souvent tout et n'importe quoi. Il est important de distinguer entre ce qui dépend de la loi et ne saurait faire l'objet d'une négociation, ce qui relève du règlement intérieur et ce qui relève des règles de vie posées par l'enseignant. Il y a enfin un espace pour l'élaboration de règles en commun avec les élèves, à condition que les adultes assument le non-négociable. On peut alors espérer que les élèves, ayant l'occasion à la fois de se confronter à un cadre ferme et d'expérimenter la fabrication commune de règles, adoptent un rapport plus mature à la loi. L'obéissance à la loi laisse de toute façon une place à l'objection de conscience...
Les enseignants se laissent parfois emporter par leurs émotions et alors, tout part en vrille dans la classe. Il faut se poser les questions en amont des crises...
Quant à l'organisation de la parole, pour que chacun puisse s'exprimer dans un groupe, une régulation est indispensable. Les échanges, les avis, doivent intervenir à certains moments, certainement pas au milieu des cours comme dans le film Entre les murs, parfait exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
Les formations comme celles que j'anime sont plus courantes qu'on ne le croit, mais elles deviennent anecdotiques à mesure que les moyens de la formation continue diminuent.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Combien y a-t-il de formateurs comme vous par rectorat, pour la formation initiale ?
Mme Elisabeth Maheu-Vaillant. - Il est difficile de l'apprécier faute de connaître le contenu exact des modules sur la communication par exemple. Je sais qu'il existe des choses équivalentes à Amiens, à Rennes, à Montpellier... Cependant mon activité est le fruit d'un concours de circonstances, l'IUFM de Rouen ayant décidé de sous-traiter ces questions à l'Ifman, où je travaillais sur ces sujets. J'ai eu ensuite l'occasion d'intégrer l'IUFM sur un poste de pédagogue. J'ai été bien accueillie par l'institution, mais c'est en tant que militante que j'avais travaillé sur ces sujets.
Mme Françoise Laborde. - Les formations sont plus efficaces lorsque menées au sein des établissements, j'en suis bien d'accord.
J'ai vu un reportage sur une enseignante qui a quitté l'éducation nationale. Elle dénonçait un problème dans les contenus et l'absence de certains thèmes, pour reprendre le beau mot que vous avez employé. Quand, le jour de la rentrée, un élève a jeté une table contre un mur pour marquer son pouvoir et son territoire, elle ne savait pas comment réagir. On ne lui avait pas appris non plus quoi faire quand les élèves, collectivement, refusent d'ôter leurs manteaux ou d'ouvrir leurs manuels. Elle était totalement démunie. La confiance en soi, l'autorité ne s'acquièrent pas en quelques recommandations ou recettes. L'enseignant les intègre en travaillant avec des formateurs comme vous, hélas en nombre insuffisant.
Mme Elisabeth Maheu-Vaillant. - Cela relève de la politique éducative : la formation des formateurs doit d'urgence être repensée car nombre de nos collègues enseignants sont en souffrance, parfois victimes de burn out.
Dans mon IUFM, nous avons décidé, une année, de proposer un module de pré-rentrée, à la fin du mois d'août, pour les enseignants débutants. Nous attendions peu de monde, il y a tant à faire pour préparer une première rentrée ; nous avons reçu 35 personnes le matin et 55 l'après-midi... Les jeux de rôle n'étaient plus possibles et il a fallu revoir le contenu de la formation les années suivantes. La mise en situation est une méthode excellente, car elle prend en compte les aspects non verbaux, posture, regard, accroche, qu'une circulaire ne peut traiter... Même la vidéo du ministère sur la tenue de classe demeure anecdotique.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Est-il nécessaire d'inclure dans la régulation des conflits ceux qui opposent des membres de l'encadrement ?
Mme Elisabeth Maheu-Vaillant. - L'entente entre collègues est essentielle pour que la régulation fonctionne dans l'ensemble de l'établissement. Dans le cas d'un conflit entre adultes, il est plus facile de faire intervenir un tiers extérieur, qui facilite la communication. Je figure sur une liste dressée par le recteur de personnes-ressources, susceptibles d'intervenir en cas de clash au sein d'un établissement. Mais attention, il importe de poser un cadre très précis pour obtenir des résultats car une intervention peu professionnelle fait plus de mal que de bien.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sur la proposition de loi relative à l'éducation à la résolution non-violente des conflits, notre commission saisie au fond a nommé en octobre dernier son rapporteur, Mme Gonthier-Maurin, mais le texte est encore en attente d'inscription à l'ordre du jour. Il pourrait venir en séance à l'initiative du groupe socialiste ou lors de l'examen de la future loi d'orientation - qui sera précédée, a précisé M. Peillon, d'un grand débat donnant la parole aux professeurs, aux parents, aux parlementaires, aux élus locaux... Mes chers collègues, chaque fois que vous en avez l'occasion, parlez de cette proposition de loi afin qu'elle prenne toute la place qu'elle mérite.
Madame Maheu-Vaillant, je vous remercie. Vos modules m'apparaissent comme un merveilleux hasard pour les enseignants qui y ont accès. Compte tenu du degré de violence qui règne dans les établissements, il serait bon, pour les généraliser, d'y consacrer les moyens suffisants. Nous nous y emploierons.