Mercredi 27 juin 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Subsidiarité - Le premier « carton jaune » - Communication de M. Simon Sutour

M. Simon Sutour. - Je rappelle que le contrôle de subsidiarité a été mis en place par le traité de Lisbonne et introduit dans notre droit par l'article 88-6 de la Constitution. Il a été ensuite introduit dans le Règlement du Sénat, ce qui fait qu'il est opérationnel pour notre Assemblée depuis 2011. C'est donc une procédure récente.

Depuis le traité de Lisbonne, c'est aux parlements nationaux qu'incombe la responsabilité de veiller au respect de la subsidiarité.

Pour cela, je le rappelle, les parlements nationaux disposent désormais d'un mécanisme comprenant trois aspects :

premier aspect (le « carton jaune ») : dans les huit semaines suivant la présentation d'un texte, toute chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union un « avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet de la Commission européenne ne respecte pas le principe de subsidiarité. Lorsqu'un tiers des parlements nationaux ont adressé un « avis motivé », la Commission doit réexaminer son projet (pour les textes relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale, ce seuil est abaissé à un quart). Pour savoir si le seuil d'un tiers (ou un quart) est atteint, on donne deux voix à chaque parlement, et si le parlement est bicaméral, chaque chambre a une voix.

deuxième aspect (le « carton orange ») : si un projet d'acte législatif est contesté par la majorité des parlements nationaux, le processus législatif est suspendu, et le Conseil de l'Union et le Parlement européen sont consultés ; si le Conseil ou le Parlement européen donne raison aux parlements nationaux, le projet est définitivement écarté ;

- enfin, troisième aspect (le « carton rouge ») : après l'adoption d'un texte, la Cour de justice de l'Union peut être saisie d'un recours émanant d'un parlement national ou d'une chambre d'un parlement, afin que la Cour se prononce sur le respect de la subsidiarité. Dans le cas de la France, il suffit que 60 députés ou 60 sénateurs en fassent la demande pour qu'un recours soit présenté par la France.

Ce contrôle de subsidiarité était quelque chose de très nouveau pour les parlements nationaux, et il a fallu du temps pour que les assemblées commencent à l'utiliser. Notre commission s'est dotée, à l'automne dernier, d'un groupe spécial pour la subsidiarité, avec un représentant par groupe politique, ce qui fait que maintenant nous faisons un suivi systématique.

Le « carton jaune » vient de fonctionner pour la première fois : il y a eu un tiers des parlements pour contester une proposition de la Commission européenne. Elle concerne le droit de grève des travailleurs détachés dans le cadre d'une prestation de services.

Ce texte faisait suite à plusieurs arrêts de la Cour de justice, les arrêts « Viking », « Laval » et « Rüffert ». En effet, ces arrêts ont interprété la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs et ont semblé subordonner, au moins en partie, le droit de grève des travailleurs au respect des grandes libertés économiques. La Confédération européenne des syndicats (CES) a vu dans ces arrêts une atteinte à la capacité des travailleurs européens à défendre leurs droits sociaux fondamentaux.

Dans son texte, la Commission européenne a voulu tenir compte des arrêts de la Cour de justice, mais finalement elle dit une chose et son contraire. L'article 2 du projet dit ceci : « L'exercice de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services respecte le droit ou la liberté de faire grève, et, inversement, le droit ou la liberté de faire grève respecte ces libertés économiques ».

Sur cette base, les tribunaux pourraient avoir à dire, sous le contrôle de la Cour de justice, si une grève menée par des travailleurs détachés ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à une liberté économique. Cela reviendrait à ce que le droit de grève soit encadré au niveau européen.

Plus d'un tiers des parlements ont jugé que cette évolution irait à l'encontre du principe de subsidiarité. Le droit de grève doit rester une compétence nationale, de manière à s'appliquer de la même façon aux travailleurs du pays et aux travailleurs d'un autre pays détachés dans le cadre d'une prestation de services. Il n'y a pas de raison pour traiter ce sujet à l'échelon de l'Union, d'autant que les traités eux-mêmes excluent très clairement le droit de grève du champ des compétences de l'Union.

Pour ces raisons, notre commission avait adopté un « avis motivé », qui a été ensuite approuvé par la commission des affaires sociales. Parallèlement, j'ai écrit à tous mes homologues au sein des parlements de l'Union, pour attirer leur attention sur ce texte. Et finalement, nous avons donc, pour la première fois, dépassé le seuil d'un tiers des parlements nationaux. La Commission européenne va donc devoir réexaminer son texte.

La leçon que je tire, c'est que les nouveaux pouvoirs que nous avons en matière européenne, qui sont des pouvoirs propres du Sénat, peuvent être utiles et qu'ils nous permettent d'avoir notre mot à dire dans le processus de décision européen. Les questions européennes et les questions nationales sont de plus en plus enchevêtrées : nous devons utiliser les moyens que nous avons pour nous faire entendre.

M. André Gattolin. - Il est important de souligner que les parlements nationaux ont un rôle. Je regrette que l'information du public à ce propos soit si faible. Avons-nous fait un communiqué de presse ? Je m'interroge sur les suites que la Commission européenne va donner à ce « carton jaune ». Il n'y a pas de précédent. Il va falloir mettre en place une procédure pour qu'il y ait une issue satisfaisante, dans la concertation.

M. Simon Sutour. - La Commission européenne n'a pas arrêté sa position. Il y a des interrogations. Nous avons fait un communiqué de presse, mais on ne peut dire qu'il ait intéressé les médias ! Les questions européennes sont rarement prioritaires.

M. Joël Guerriau. - Il est très positif que le « carton jaune » ait été effectivement utilisé. Nous devons employer les outils dont nous disposons désormais, y compris si nécessaire le « carton rouge ».

M. Simon Sutour. - Je partage ce point de vue. La révision constitutionnelle de 2008, avec la création d'une commission des affaires européennes, puis le traité de Lisbonne avec le contrôle de subsidiarité, nous permettent d'intervenir davantage. Nous devons jouer pleinement notre rôle.

Culture - L'influence du droit communautaire sur le financement
des services culturels par les collectivités territoriales - Communication de Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Catherine Morin-Desailly. - La commission des affaires culturelles de notre assemblée a souhaité créer en début d'année un groupe de travail sur l'influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales. En raison de ma double appartenance, j'y ai représenté la commission des affaires européennes à la demande de notre président que je remercie.

Ce groupe de travail présidé par notre collègue Vincent Eblé a rendu ses conclusions le 4 avril dernier après de nombreuses auditions et un déplacement à Bruxelles. Dans un esprit de collaboration étroite entre nos deux commissions, je vais vous présenter les principales orientations et, si vous en êtes d'accord, vous proposer d'adopter un avis politique à l'attention de la Commission européenne.

Quelles ont été les raisons de la création de ce groupe de travail ?

Tout d'abord, il faut faire le constat plus général de la complexité des règles européennes et nationales en matière d'aides d'Etat et de commande publique. Les travaux de notre commission, et plus particulièrement de notre collègue Bernard Piras, en témoignent. Je vous renvoie à cet égard aux récentes résolutions européennes du Sénat sur les aides d'Etats aux services d'intérêt économique général (SIEG) et sur la révision en cours des directives relatives aux marchés publics et aux concessions. En dépit de la volonté affichée de la Commission européenne d'alléger la réglementation, j'y reviendrai, les choses bougent lentement et pas nécessairement dans le bon sens.

Cette complexité, qui est source d'insécurité juridique, pèse sur tous les acteurs publics et économiques quel que soit le domaine d'intervention. Mais, elle pèse encore plus lourd sur les services publics culturels financés par nos collectivités. C'est cette spécificité qu'a mise en évidence le groupe de travail auquel j'ai participé.

A l'exception de certains secteurs culturels comme le cinéma et l'audiovisuel, les structures culturelles sont souvent mal armées pour gérer cette complexité. C'est particulièrement vrai pour le spectacle vivant (théâtre, art lyrique, musique, cirque, art de la rue).

Il y a un décalage pour les acteurs culturels qui ne se perçoivent pas naturellement comme des opérateurs économiques, alors même que le droit communautaire les y assimile.

Par ailleurs, les acteurs culturels sont souvent peu professionnalisés pour répondre aux exigences administratives de la commande publique et des règles en matière d'aides d'Etat. Plus encore, il y a un fort risque d'écarter les acteurs les plus intéressants du point de vue culturel et intellectuel, mais peu préparés aux strictes exigences de la réglementation, au profit d'acteurs certes plus professionnels mais moins originaux ou pertinents.

Enfin, les services publics culturels sont souvent le produit d'une co-construction entre des acteurs culturels locaux et des collectivités. Après plusieurs années, comment faire la part exacte entre ce qui relève d'un soutien d'une collectivité à une initiative individuelle et ce qui relève d'une commande publique ? Cet entre-deux très fréquent fait hésiter sur le choix des modes de financement : subvention, marché public, concession ?

Au total, il faut constater une mobilisation tardive du monde de la culture sur ces questions, à l'exception des secteurs du cinéma et de l'audiovisuel qui bénéficient d'un régime d'aides d'Etat spécifique.

La récente prise de conscience d'un risque de non-conformité aux règles communautaires a suscité en retour des inquiétudes parfois exagérées -les exemples de contentieux sont quasi nuls- et une surréaction de certaines collectivités par crainte de ne pas être dans les clous. Or, il faudrait appliquer, au cas par cas, une sorte de principe de proportionnalité consistant à ne retenir que la procédure juridique adaptée à la réalité des exigences. Cela suppose une bonne connaissance du cadre juridique.

Quel est le droit communautaire applicable ?

Ce manque de mobilisation, en tout cas tardive, sur les enjeux culturels a aussi eu pour effet de ne pas porter devant la Commission européenne un discours fort afin que soit pris en compte les spécificités du secteur.

Pour résumer en quelques mots l'état du droit, on peut considérer que les services culturels sont soumis au droit commun à quelques nuances près. Ils n'ont pas su défendre, à l'inverse des services sociaux récemment, l'idée d'un régime adapté plus souple et plus léger.

Ainsi, s'agissant des compensations financières que les collectivités peuvent attribuer aux services dits d'intérêt économique général (SIEG), le récent paquet « Almunia », que notre collègue Bernard Piras a critiqué, ne réserve aucun traitement spécifique aux services publics culturels. Seuls les services sociaux, au prix d'un lobbying intense depuis plusieurs années, bénéficient désormais d'une exemption de notification. Les demandes de la France et de quelques autres pays (Allemagne, Autriche, Espagne, Hongrie, Luxembourg et Pays-Bas) pour que les services culturels bénéficient aussi de cette exemption n'ont pas été entendues. Sans doute cela est-il dû au caractère tardif de cette revendication.

S'agissant de la réforme en cours des marchés publics, on pourra seulement se féliciter que les propositions de la Commission européenne ne remettent pas en cause la faculté ouverte depuis 2004 pour les Etats membres de faire bénéficier les marchés publics portant sur des services culturels d'une procédure de passation très allégée.

Pour le reste, c'est le droit commun des SIEG et de la commande publique qui s'applique.

Maintenant quelles propositions pouvons-nous donc porter ?

Il faut agir à deux niveaux : national et européen.

Au niveau national, il convient tout d'abord de poursuivre l'effort de pédagogie. Cela a commencé avec la circulaire du Premier ministre du 18 janvier 2010. Il faut continuer. L'adoption du paquet « Almunia » devra être intégrée. La pédagogie doit être dirigée vers les collectivités mais aussi vers les acteurs culturels. Le ministère, à travers les DRAC, doit prendre conscience de sa responsabilité et porter cet effort de sensibilisation. Dans ces domaines culturels, l'Etat est très souvent accompagnateur quand il n'est pas carrément co-financeur.

Deux objectifs doivent être recherchés :

- respecter le cadre légal;

ne pas sur-appliquer le droit et profiter des facilités offertes par la législation. Je pense en particulier aux procédures adaptées en matière de marchés publics. Il faut savoir dédramatiser et ne pas systématiquement retenir la procédure la plus lourde sous le faux prétexte de vouloir sécuriser juridiquement les procédures. Ainsi, le financement par subvention ne doit pas être sacrifié au profit d'appels d'offre. La subvention reste tout à fait légale à condition de respecter les formes. Le plus souvent une convention entre la collectivité et l'opérateur suffit. Elle doit définir les missions, les objectifs et les moyens. Dans 99 % des cas, cela s'avère suffisant. Ce n'est que sur des très gros montants qu'une analyse plus fine du montant de la compensation peut s'avérer nécessaire.

Au niveau européen, il faut développer une action d'influence similaire à celle réalisée en faveur des services sociaux.

L'occasion de la révision du paquet Almunia a été ratée. Il faut donc à partir de maintenant se mobiliser pour obtenir lors d'une prochaine révision (la date est incertaine) le même régime dérogatoire que les services sociaux. Un relèvement des seuils de minimis devra aussi être plaidé une nouvelle fois.

S'agissant des marchés publics et des concessions, il convient de rester vigilant pour que les marchés et concessions portant sur des services culturels continuent à bénéficier d'un régime allégé de passation. La résolution que le Sénat, à notre initiative, a adoptée sur ce point est d'ailleurs très claire.

Enfin, et c'est je crois l'élément le plus important de l'avis politique que je vous propose, il faut enfin exploiter les possibilités offertes par l'article 107-3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Que dit cet article ? Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur cinq catégories d'aides : les aides régionales, les aides en faveur de projet d'intérêt européen commun ou en cas de grave crise, les aides en faveur de certaines activités économiques et, c'est le point qui nous intéresse, « les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l'Union dans une mesure contraire à l'intérêt commun ».

Jusqu'à présent, le Conseil et la Commission européenne ont adopté sur la base de cet article plusieurs règlements exemptant de notification à la Commission européenne de nombreuses catégories d'aide (aux PME, à la recherche, à la protection de l'environnement, aux régions, à la formation...). Toutefois, la faculté ouverte par le traité en faveur des aides à la culture n'a jamais été exploitée.

Or, il se trouve que la Commission européenne a publié le 8 mai 2012, donc après les conclusions du groupe de travail, une communication relative à la modernisation de la politique de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat. Dans ce document, la Commission propose de réviser les règlements en vigueur afin de permettre de déclarer compatible a priori d'autres catégories d'aides. Parmi ces nouvelles aides, elle cite « les aides en faveur de la culture ».

Nous ne pouvons qu'appuyer cette nouvelle approche plus ouverte de la Commission européenne. Il faut maintenant qu'elle se concrétise.

Voici en substance les conclusions du groupe de travail de la commission des affaires culturelles. Vous voyez qu'elles complètent et approfondissent les travaux de notre commission sur ces sujets. Je vous propose enfin d'adopter l'avis politique qui vous a été transmis il y a deux jours. Il actualise en quelque sorte les réflexions du groupe de travail, puisque la communication précitée de la Commission européenne est postérieure aux conclusions du groupe de travail. A cet égard, je rappelle que cet avis est adopté dans le cadre du dialogue politique initié par la Commission européenne avec chacune des commissions des affaires européennes des Parlements nationaux. Le choix de cet instrument est d'autant plus pertinent, par rapport à celui de la résolution européenne, qu'en matière de concurrence, c'est la Commission européenne qui a la main.

M. Simon Sutour. - Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est dans son rôle quand il approfondit l'impact du droit communautaire sur le fonctionnement quotidien de nos collectivités. Notre commission doit utiliser les différents leviers à sa disposition. L'avis politique en est un à côté de la résolution européenne ou de l'avis motivé dont je viens de vous parler.

M. Jean-François Humbert. - Serait-il possible d'avoir plus d'informations sur la nature et la portée d'un avis politique ?

M. Simon Sutour. - Les avis politiques sont adoptés dans le cadre de ce qu'on appelle dans le jargon communautaire le « dialogue Barroso ». C'est en effet à l'initiative de son président que la Commission européenne a souhaité nouer un dialogue direct avec les commissions des affaires européennes de chaque parlement national de l'Union. La Commission européenne s'engage normalement à répondre dans les trois mois aux avis qui lui sont adressés.

M. Joël Guerriau. - La culture doit défendre ses spécificités. Les règles de la concurrence ne peuvent pas s'y appliquer de la même manière que dans d'autres secteurs économiques. Cela n'aurait d'ailleurs aucun sens dans certaines situations. Comment mettre en concurrence des artistes qui ont chacun leur originalité ?

M. Roland Ries. - Je crois que notre commission doit se concentrer sur les aspects européens des conclusions du groupe du travail de la commission des affaires culturelles. Les aspects nationaux nous concernent moins. Sur le fond, il faut encore et toujours défendre l'exception culturelle.

M. Michel Billout. - Dans mon département la Seine-et-Marne, nous avons été confrontés il y a quelques années à un contentieux. Le préfet dans le cadre du contrôle de légalité a obtenu que le Conseil général lance un appel d'offres. Le résultat fut qu'une scène nationale a été contrainte de s'associer à un opérateur privé pour décrocher le marché, alors même que le projet artistique ne nécessitait certainement pas un tel partenariat.

M. André Gattolin. - Je rappelle que l'économie sociale et solidaire dans ce secteur d'activité représente 60.000 emplois. Il faut prendre garde à ce qu'une application sans nuance du droit communautaire n'aboutisse pas à une prise en main des activités culturelles dans nos territoires par quelques grands groupes bien organisés.

M. Jean Bizet. - Tout d'abord, j'attire votre attention sur le fait que nous avons déjà adopté des avis politiques dans le passé, par exemple sur l'aide alimentaire aux plus démunis. Or, la Commission européenne ne nous répond pas systématiquement, contrairement à ses engagements. Il faut que cette fois-ci nous insistions pour obtenir de vraies réponses.

Ensuite, je suggère à notre commission d'adopter au cours d'une prochaine réunion un avis politique qui traduirait certaines propositions de la mission commune d'information du Sénat sur les agences de notation. Cette mission vient de rendre ses conclusions. Il faut en profiter, notamment pour faire avancer l'idée d'une agence européenne de notation.

M. Simon Sutour. - C'est une excellente idée. Nous allons nous mettre en rapport avec notre collègue Aymeri de Montesquiou qui se trouve être à la fois rapporteur de cette mission d'information et membre de notre commission.

M. Richard Yung. - Auriez vous quelques données sur le montant des aides des collectivités à la culture dans l'Union ? Par ailleurs, l'avis politique fait référence à un règlement d'exemption par catégorie. Pourriez vous nous préciser de quoi il s'agit exactement ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je crois que nous sommes tous d'accord pour affirmer que la relation entre une collectivité et des partenaires culturels n'est pas de nature marchande et révèle souvent une co-construction. Le Sénat a toujours été très sensible à la prise en compte de l'exception culturelle. C'est d'ailleurs le Sénat qui a proposé la loi sur le livre numérique.

Il m'a semblé important d'exposer devant vous toutes les conclusions du groupe du travail, y compris celles ayant une dimension nationale. En effet, il s'agit d'inciter nos autorités nationales à mieux diffuser le droit communautaire afin qu'il soit appliqué effectivement.

Enfin, je précise qu'un règlement d'exemption par catégorie permettrait d'exempter des aides à la culture de notification à la Commission européenne, ces aides étant présumées compatibles avec le marché intérieur.

M. Simon Sutour. - Ce travail entre notre commission et la commission des affaires culturelles illustre notre volonté sans cesse réaffirmée de travailler de concert avec les commissions au fond.

*

L'avis politique est adopté à l'unanimité dans le texte suivant :

Vu la Communication de la Commission relative à la modernisation de la politique de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat (COM (2012) 209 final),

La commission des affaires européennes du Sénat :

- souhaite que le financement public des services culturels d'intérêt général bénéficie d'un régime adapté et allégé au moins égal à celui des services sociaux d'intérêt général ;

- demande à ce titre d'engager une révision du paquet « Almunia » relatif au financement des services d'intérêt économique général ;

- déplore que les possibilités offertes explicitement par l'article 107 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) n'aient jamais été exploitées à ce jour ;

- constate toutefois que la récente communication sur la modernisation de la politique de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat avance enfin l'idée de faire bénéficier les aides à la culture du régime général d'exemption par catégorie ;

- demande, en conséquence, à la Commission de présenter rapidement un règlement en ce sens, dans l'esprit des dispositions du traité et conformément au principe de proportionnalité.

Economie, finances et fiscalité - Contrôle par les autorités douanières
du respect des droits de propriété intellectuelle - Proposition de résolution européenne de M. Richard Yung

M. Richard Yung. - Cette proposition de règlement concerne le contrôle par les autorités douanières du respect des droits de propriété intellectuelle. Elle est à un stade assez avancé de discussion au niveau européen. Le Conseil pourrait prendre position assez rapidement après le vote du Parlement, sans doute avant la fin du mois de juillet.

I/ Quel est le contexte ?

Les conditions d'intervention de la douane dans ce domaine sont actuellement précisées par un règlement communautaire qui date de 2003. La révision de ce règlement a été engagée en 2011. Elle vise à élargir le champ d'intervention de la douane à un plus grand nombre de droits de propriété intellectuelle. Elle tend aussi à harmoniser les meilleures pratiques dans l'Union européenne et à simplifier les procédures en particulier pour les petits envois et pour permettre la destruction des marchandises contrefaites. Ce faisant, elle répond à une demande légitime des titulaires de droit de propriété intellectuelle.

La propriété intellectuelle est un enjeu essentiel. Elle soutient l'innovation et la création qui sont les moteurs de la croissance et de l'emploi. A l'inverse, la contrefaçon menace directement nos activités économiques, en particulier notre industrie. Elle fait courir des risques très graves pour la santé et la sécurité des consommateurs. On ne peut donc, au nom du commerce international, affaiblir notre système de protection de la propriété intellectuelle.

La France a toujours été en pointe dans la défense de la propriété intellectuelle. Son droit a souvent inspiré les dispositifs adoptés au niveau communautaire. On pense en particulier à la procédure très efficace de la saisie-contrefaçon. Avec notre ancien collègue Laurent Béteille, nous avions établi, l'an passé, un rapport d'information sur le bilan de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, dans lequel nous avions formulé une série de propositions pour renforcer le cadre juridique.

II/ Quelles sont les principales difficultés ?

1/ Préserver les saisies douanières en cas de transit et de transbordement

Dans un arrêt du 1er décembre 2011 dit « NOKIA PHILIPS », la Cour de justice a donné une interprétation du règlement de 2003 qui altère sensiblement l'intervention de la douane dans la lutte contre la contrefaçon aux frontières extérieures de l'Union européenne. En effet, cet arrêt encadre très strictement les contrôles douaniers dans les cas de transbordement, de transit et même de tout régime douanier suspensif.

De quoi s'agit-il ? De produits de provenance et de destination a priori extra-communautaires, qui transitent en Europe.

Or, l'arrêt exige que les autorités douanières disposent d'éléments probants ou d'indices forts de commercialisation dans l'Union européenne des marchandises de prime abord destinées à un pays tiers et soupçonnées de contrefaçon, pour pouvoir les intercepter.

Il y a là un vrai décalage entre cette interprétation restrictive et la réalité des trafics de contrefaçon, qui sont devenus une activité très lucrative pour les organisations criminelles. Il faut savoir que les saisies en transit/transbordement représentent près de la moitié des saisies en France en 2011 ; 42 % dans l'Union européenne. En outre, ces marchandises peuvent revenir sur le territoire de l'Union via des achats sur Internet : 16 % des saisies effectuées en 2001 l'ont été sur le fret postal et le fret express.

Il paraît essentiel que le texte prenne en compte toutes les situations douanières dans lesquelles les douanes peuvent intervenir. Il faut clairement affirmer que celles-ci doivent pouvoir agir dès l'introduction des marchandises sur le territoire de l'Union, y compris donc en transit et transbordement et sous tout régime douanier suspensif. Toute marchandise soupçonnée de contrefaçon doit pouvoir être interceptée.

Le rapport d'information précité proposait précisément de clarifier la réglementation douanière communautaire pour prévoir explicitement la possibilité pour les douanes d'intervenir pour les produits en transbordement. Il demandait également que les douanes soient dotées d'un arsenal juridique complet pour lutter contre tous les types de contrefaçon.

2/ La saisie de médicaments contrefaisants en transit

Dans un considérant, le texte fait valoir qu'au titre de la déclaration adoptée lors de la conférence ministérielle de l'OMC à Doha en 2001, il convient d'interpréter et d'appliquer l'accord dit ADPIC d'une manière qui appuie les droits des membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir le droit d'accès aux médicaments.

La France soutient l'accès de tous aux médicaments. C'est une exigence que nous devons réaffirmer. Il y a là un enjeu majeur de santé publique à l'échelle internationale. Pour autant, nous ne pouvons pas admettre que des médicaments contrefaits et présentant des risques sérieux pour la santé puissent se déverser sur le territoire européen parce qu'on aurait limité les pouvoirs d'intervention de la douane au-delà de la question des brevets, seule question qui ait fait l'objet de litiges avec l'Inde ou le Brésil au titre du droit d'accès aux médicaments.

3/ Le déroulement des procédures

Pour être efficace, la procédure de retenue des marchandises suspectées de contrefaçon doit pouvoir être mise en oeuvre rapidement. C'est elle qui permet d'engager les contrôles qui confirmeront ou non la réalité de la contrefaçon. Or, le texte prévoit la possibilité pour le déclarant ou le détenteur des marchandises soupçonnées de contrefaçon d'exprimer son point de vue sur la mesure de retenue avant même sa mise en oeuvre, pendant une durée pouvant aller jusqu'à 20 jours pour les petits envois.

Ce droit d'être entendu pourrait donc s'appliquer au stade d'un simple soupçon de contrefaçon. Or, la retenue n'aboutit pas nécessairement à une décision défavorable pour le détenteur de la marchandise. On risque donc d'alourdir inutilement la procédure. Pourtant, ce droit d'être entendu a été maintenu dans le projet de résolution législative du Parlement européen et dans le texte du Conseil pour la seule procédure simplifiée concernant les petits envois. Cette dernière solution est paradoxale puisqu'elle revient à complexifier une procédure dite simplifiée.

Cela conduit à évoquer plus globalement cette procédure simplifiée pour les petits envois. Outre le souci de conserver un caractère simple à cette procédure, il faut aussi retenir des seuils qui la rendent applicable à un nombre de cas suffisant. La définition des petits envois serait limitée aux envois en fret express et en fret postal. C'est bien dans ces domaines qu'une procédure simplifiée peut être pertinente. Un double critère de poids et d'articles serait par ailleurs mis en oeuvre. Ce qui paraît cohérent. Mais encore faut-il que les seuils ne soient pas trop bas. Or, le texte du Conseil retient un critère alternatif : cinq articles au moins ou un poids de moins de trois kilos. En France, les seuils sont actuellement de 100 articles et/ou 60 000 € pour la saisie directe.

4/ La révision du droit matériel de la propriété intellectuelle

Le règlement douanier est un règlement de procédure. Il s'agit donc d'un règlement d'application du droit matériel de la propriété intellectuelle. C'est donc à l'occasion de la révision - annoncée par la Commission - de ce droit matériel, en particulier le droit des marques, qu'il faudra veiller à prendre en compte l'ensemble des situations douanières dans lesquelles une marchandise peut porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle. En outre, la jurisprudence a actuellement une vision restrictive de la notion de commercialisation qu'elle limite à l'acte de vente au consommateur sur le territoire de l'Union européenne. Il conviendrait donc d'élargir cette notion pour prendre en compte le transit et le transbordement.

5/ Le maintien du droit national plus protecteur

Il est essentiel que les Etats membres puissent appliquer leur droit national lorsque celui-ci est plus protecteur. C'est en particulier le cas pour le droit français qui, par exemple, prend en compte, contrairement à la proposition de la Commission, les marchandises non commerciales contenues dans les bagages des voyageurs ou, encore, retient des seuils plus importants pour la procédure simplifiée applicable aux petits envois. En outre, nos exigences constitutionnelles portant sur le droit de propriété requièrent que la procédure de destruction simplifiée, envisagée par le texte, ne puisse être mise en oeuvre sans l'accord express du propriétaire de marchandises.

6/ Les sanctions

Le texte se borne à prévoir de simples sanctions administratives qui concerneraient uniquement les manquements aux obligations édictées par le règlement douanier. Or, notre droit national prévoit, pour sa part, des sanctions pénales contre les auteurs d'infractions, qui peuvent être dissuasives. Il faut donc que le texte permette aux Etats membres d'appliquer des sanctions pénales en vertu de leur droit interne et ne ferme pas la perspective d'une harmonisation des sanctions pénales au sein de l'Union européenne.

M. Joël Guerriau - Je suis étonné qu'on ne permette pas aux douanes d'agir face à des cas de contrefaçon dès lors qu'il s'agit de marchandises en transit. La contrefaçon est un délit qui détruit des emplois. Je souscris donc pleinement à la proposition de résolution qui rappelle à juste titre les enjeux de la protection de la propriété intellectuelle.

M. André Gattolin - Le destinataire des marchandises peut lui-même être victime d'abus et peut donc avoir besoin d'une protection juridique.

Comment ce texte s'articule-t-il avec l'accord international ACTA qui est critiqué de façon unanime au Parlement européen, lequel estime qu'il est essentiellement destiné à protéger les intérêts de certains secteurs industriels ?

M. Richard Yung - Dans son arrêt NOKIA PHILIPS, la Cour de justice indique « qu'il est essentiel que ces marchandises puissent transiter via l'Union, d'un Etat tiers vers un autre sans que cette opération soit entravée, même par une retenue provisoire, par les autorités douanières des Etats membres ». La Cour considère donc que le développement des échanges ne doit être limité en aucun cas.

Il est vrai que les destinataires des marchandises peuvent eux-mêmes être trompés et de bonne foi. Mais ce n'est pas le cas de ceux qui reçoivent massivement des articles contrefaits.

L'accord international ACTA a peu de chance d'être ratifié. Plusieurs commissions du Parlement européen se sont prononcées contre ainsi que certains Etats membres. Avec cet accord, l'idée était de lier certains Etats émergents sur les enjeux de propriété intellectuelle, mais en réalité aucun d'entre eux ne l'a signé. En définitive, la question des droits d'auteur sur Internet a cristallisé les critiques.

M. Jean Bizet - Je salue cette proposition de résolution, en particulier son alinéa qui traite de la question des médicaments. Il avait été difficile à l'époque des accords de Doha de faire prévaloir le droit à l'accès aux médicaments. Il est important de rappeler que ce droit relève de la propriété intellectuelle alors que certains Etats l'ont détourné au profit de contrefaçons en faisant des copies de médicaments qui ne sont pas fiables au plan médical.

*

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle (texte E 6299),

Considérant que les droits de propriété intellectuelle sont essentiels pour permettre la pleine contribution des activités de recherche, d'innovation et de création à la croissance et l'emploi,

Rappelant que la France s'est dotée d'un cadre juridique permettant d'assurer un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle,

Considérant que les atteintes aux droits de propriété intellectuelle et le commerce de produits de contrefaçon constituent une menace pour l'industrie et peut entraîner de graves risques pour la santé et la sécurité des consommateurs,

Considérant, en conséquence, que les autorités douanières doivent être mises en mesure de mieux protéger les droits de propriété intellectuelle et que la révision des procédures qu'elles mettent en oeuvre à cette fin doit poursuivre cet objectif,

Juge indispensable de veiller à préserver les prérogatives des autorités douanières pour procéder à des saisies en transit et transbordement ; que ces autorités doivent pouvoir agir dès l'introduction des marchandises sur le territoire de l'Union européenne, y compris en transit et transbordement et sous tout régime suspensif ;

Souligne que le droit d'accès de tous aux médicaments a été reconnu dans la « déclaration sur l'accord sur les ADPIC et la santé publique » adoptée lors de la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Doha le 14 novembre 2001 ; que ce droit fondamental est un enjeu majeur de santé publique et qu'il doit être pris en compte dans le contrôle par les autorités douanières du respect des droits de propriété intellectuelle sans toutefois empêcher leur intervention pour toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle portant sur les médicaments, y compris la marque ;

Considère que le droit reconnu au déclarant ou au détenteur des marchandises soupçonnées de contrefaçon d'exprimer son point de vue ne devrait pas s'appliquer lors de la mise en oeuvre de la mesure de retenue ;

Estime que la procédure spécifique prévue pour le traitement des petits envois devrait pouvoir être mise en oeuvre à partir de seuils qui ne soient pas trop bas, et dans des conditions qui garantissent son efficacité ;

Relève que le règlement douanier est un règlement de procédure et que sa révision devra être complétée par celle du droit matériel afin d'élargir la notion de commercialisation et de prendre en compte l'ensemble des situations douanières dans lesquelles une marchandise peut porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ;

Estime que le texte devrait préserver la faculté pour les Etats membres d'appliquer leur droit national lorsque celui-ci est plus protecteur ; qu'en particulier les Etats membres devraient avoir la faculté d'appliquer les sanctions prévues par leur droit interne en cas de manquement aux dispositions de ce texte ;

Considère qu'une harmonisation des sanctions pénales au sein de l'Union européenne serait de nature à dissuader efficacement les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.