Jeudi 15 novembre 2012
- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -Femmes et travail - Table ronde sur le secteur de la culture et annonces
La délégation auditionne, dans le cadre d'une table ronde, des personnalités du secteur de la culture : Mme Sophie Deschamps, ancienne présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), chargée par le conseil d'administration de la SACD du suivi du dossier relatif à la parité hommes-femmes dans la culture, accompagnée de M. Guillaume Prieur, directeur des affaires européennes et institutionnelles de la SACD, Mme Judith Depaule, vice-présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), Mme May Bouhada, présidente du Collectif H/F d'Ile-de-France, accompagnée de Mme Aline César, trésorière-adjointe, et Mme Blandine Pélissier, membre de la Fédération interrégionale H/F, représentant H/F Poitou-Charentes et H/F Midi-Pyrénées.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous entendons ce matin des personnalités du secteur culturel dans le cadre de notre thème annuel de réflexion « Femmes et travail ». Cette audition préfigure peut-être aussi nos travaux de l'année prochaine dans la mesure où nous avons envisagé comme une option possible, lors d'une récente réunion du Bureau, que la délégation s'oriente, pour son prochain thème de travail, vers le sujet « des femmes et de la culture ».
Les réflexions que nous menons, depuis le début de l'année, nous ont montré le chemin qui reste à parcourir pour parvenir à une véritable égalité entre les femmes et les hommes dans le monde professionnel.
La dynamique impulsée dans les années 1960 avec l'entrée massive des femmes dans le salariat marque le pas depuis les années 1990 et l'on assiste, en particulier à travers des formes de précarisation de l'emploi féminin, à certaines régressions. Je dirai même que la précarisation croissante de l'emploi féminin a été le facteur déclencheur du choix du thème de travail de la délégation.
Ce constat général d'une inégalité persistante entre les femmes et les hommes, nous l'avons vérifié dans les auditions que nous avons consacrées à certaines professions particulières, celles où le salariat n'est pas nécessairement la norme : les professions juridiques (avec notamment les avocats) et les médecins.
Aujourd'hui, notre audition va nous permettre d'examiner dans quelle mesure ces inégalités se retrouvent dans un secteur particulier, celui de la culture. Les rapports présentés par Mme Reine Prat, il y a quelques années, ont souligné les inégalités les plus criantes. C'est un sujet qui n'a encore jamais été abordé par un rapport parlementaire et qui mériterait, à mon avis, de faire l'objet d'un examen approfondi. Notre audition d'aujourd'hui va nous permettre d'en prendre un premier aperçu d'ensemble.
Avant de passer la parole à nos invités, je voudrais rappeler que notre délégation organise, en collaboration avec Christiane Demontès, un déplacement à Villeurbanne et à Lyon le vendredi 23 novembre 2012. Nous visiterons un centre d'hébergement pour femmes avec enfants victimes de violences intrafamiliales et nous rencontrerons, au cours d'une table ronde à la préfecture, les professionnels en charge de l'accompagnement et de l'appui aux femmes victimes de violences.
Notre délégation compte une nouvelle membre, Mme Laurence Rossignol, sénatrice de l'Oise, en remplacement de Mme Hélène Conway-Mouret, nommée au Gouvernement. Je lui souhaite la bienvenue parmi nous.
Mme Maryvonne Blondin. - Je suis heureuse de retrouver, dans le cadre des travaux de la délégation aux droits des femmes, des fédérations que je connais bien, représentées majoritairement par des femmes ce matin, et je m'en réjouis.
Les données chiffrées fournies par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques sont précieuses et nous rappellent que le Pacte de l'égalité doit s'appliquer à tous les secteurs de la société.
Étant plus particulièrement chargée du secteur du spectacle vivant au sein de la commission des Affaires culturelles et de la communication, j'ai eu l'occasion de rencontrer certains d'entre vous, dans le cadre de travaux moins ciblés que celui que nous menons ce matin. Ces précédentes rencontres ont fait émerger une question que je souhaite nous voir aborder ce matin, concernant les femmes au sein du régime de l'intermittence du spectacle et, en particulier, le régime applicable au congé maternité. Je pense que ce sujet rejoint les préoccupations de la délégation.
Mme Sophie Deschamps, ancienne présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). - On a longtemps parlé d'un « plafond de verre ». Il faut aujourd'hui reconnaître que ce plafond est devenu une « chape de plomb ». En effet, si 51 % de la population, et donc des publics, sont des femmes, quasiment toute la programmation - que ce soit dans les théâtres, au cinéma ou à la télévision - est faite par et pour des hommes.
En ce qui me concerne, j'estime que ce n'est plus un problème de féminisme, mais une question de justice ! Est-ce juste d'imposer au public - femmes, hommes, enfants - une vision masculine du monde ?
Aujourd'hui, il n'existe pas un programmateur, que ce soit dans le spectacle ou dans l'audiovisuel, qui se pose la question de l'équilibre hommes-femmes dans ses propositions et ceci vaut même pour les chaînes du Service public. J'en veux pour preuve la diffusion sur la chaîne Arte du feuilleton « Ainsi soit-il » où les femmes sont représentées avec tous les stéréotypes que l'on connaît, et qui a pourtant réalisé une excellente audience.
Or, aucune proposition - qui mettrait en valeur des femmes exemplaires - n'existe pour contrebalancer cette vision. Même la télévision publique - dirigée depuis toujours par des hommes - ignore la question de l'équilibre entre les hommes et les femmes dans ses programmations, que ce soit dans les débats - dans lesquels les « expertes » sont invisibles -, dans les fictions et même dans les programmations pour enfants. La vision masculino-centrée est devenue la norme.
Nous estimons que cette situation - qui prévaut dans les plus hautes sphères de l'État - est devenue intolérable et qu'il est urgent d'agir.
Je vous renvoie, pour illustrer mes propos, aux chiffres que nous avons présentés dans la plaquette éditée par la SACD, intitulée « Où sont les femmes ? », dont il ressort l'invisibilité des femmes dans les institutions publiques du spectacle vivant.
On attribue aux femmes - peu nombreuses - qui arrivent à s'y faire une place, soit les institutions les moins bien dotées financièrement, soit les productions dites « familiales » ou réservées aux femmes, conformément à leur assignation aux tâches domestiques ou ménagères.
Pourtant, les grandes écoles qui forment les interprètes - acteurs, chanteurs, musiciens... - recrutent les élèves sur une base égale : 50 % de garçons et 50 % de filles. Quel avenir proposons-nous alors aux jeunes femmes qui sortent de ces formations d'excellence ?
Il en est de même pour les techniciens du spectacle, dont seulement 13 % sont des femmes.
Il est donc urgent, si l'on ne veut pas purement et simplement décourager les filles de s'orienter vers les filières artistiques, de changer les modalités de recrutement et de nomination.
J'estime, pour ma part, qu'il faudrait que l'État ne nomme aujourd'hui que des femmes pour assurer le rattrapage.
Évidemment, je ne sous-estime pas l'ampleur des obstacles. Interrogés à ce sujet, cet été lors des rencontres SACD au Festival d'Avignon, tel député nous a répondu que nous allions déclencher une guerre entre les hommes et les femmes, tel autre nous a demandé où se trouvaient les femmes compétentes...
Il suffit d'interroger des artistes femmes, telle Coline Serreau, actrice, réalisatrice, scénariste et compositrice française, qui me disait récemment ne plus déposer aucun dossier, sachant d'avance la réponse qu'on allait lui faire ! Pourtant, cette femme présente une filmographie et un parcours exemplaires.
Anne Delbée, metteur en scène, écrivaine et comédienne, a subi le même sort, malgré une magnifique carrière. Et pendant ce temps, Luc Bondy, 70 ans, qui vient d'être nommé à la direction du théâtre de l'Odéon, présente actuellement une pièce « Le retour », d'Harold Pinter, dont la mise en scène atteint des sommets en matière de misogynie.
Le résultat de cette politique d'exclusion systématique des femmes de talent depuis 30 ans a aboutit à la situation actuelle :
- 81,5 % des postes de dirigeants des administrations culturelles sont occupés par des hommes qui ne se posent jamais la question de l'équilibre entre les hommes et les femmes :
- 75 % des théâtres nationaux sont dirigés par des hommes ;
- 96 % des opéras sont dirigés par des hommes et n'invitent jamais les femmes chefs d'orchestre ;
- 70 % des centres chorégraphiques nationaux sont dirigés par des hommes, alors qu'on avait la parité il y a 10 ans. En matière chorégraphique, on ne peut pas dire qu'on manque de femmes !
- 85 % des textes joués sont écrits par des hommes.
Il suffit de regarder les programmes de Canal + pour se rendre compte du résultat. Dominés par le sexe et le sport, les femmes y sont présentées soit comme des prostituées, soit comme des victimes. Il est tout de même édifiant de constater que, dans un polar, le mort, c'est presque toujours une femme !
- Enfin, 78 % des spectacles sont mis en scène par des hommes.
Je crois qu'aujourd'hui la balle est dans le camp des politiques.
A cet égard, nous sommes assez désespérés. Nous avons beau avoir alerté députés, sénateurs, ministres, élus locaux..., nous n'avons vu aucune mesure concrète.
L'extension aux établissements publics de la « loi Sauvadet » - imposant des quotas de nomination aux emplois publics - aurait été un premier pas, mais ce n'est pas le cas. Nous sommes donc là pour demander réparation de 30 ans de machisme d'État qui a abouti à un recul invraisemblable. Il s'agit bien, non pas d'une revendication féministe, mais d'une demande de justice sociale.
Mme Judith Depaule, vice-présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC). - J'irai bien entendu dans le même sens que ce qui vient d'être dit. Je crois que nous sommes toutes d'accord sur le constat, mais je souhaiterais apporter quelques précisions, notamment pour soulever un paradoxe. A l'heure actuelle, dans les écoles de formation de comédiens, nous sommes contraints de pratiquer une politique de discrimination à l'envers, puisque les candidates sont plus nombreuses que les candidats.
Ceci aboutit à pratiquer une double sélection en défaveur des filles : d'abord au moment de la sélection dans les grandes écoles puis, comme cela vient d'être dit, au moment de l'attribution des postes et des nominations.
S'agissant des actions qui pourraient donner une impulsion concrète, il me semble qu'une mesure symbolique forte pourrait être prise très rapidement, à l'occasion du renouvellement l'année prochaine de neuf directions de centres dramatiques nationaux. Si, sur ces neuf nominations, cinq au moins pouvaient être des femmes, cela irait dans le sens de la demande du SYNDEAC d'une parité stricte à l'horizon 2018.
Mon expérience de metteur en scène me permet d'appuyer ce qui vient d'être dit concernant les femmes artistes. Tout se passe comme s'il fallait se vendre deux fois, une fois comme artiste et une fois comme femme. Être une artiste femme, c'est un combat, souvent long et épuisant, et pas toujours couronné de succès. Or, cette situation résulte de la résistance profonde des stéréotypes sexués qui assignent l'artiste interprète à son rôle de « danseuse », avec toutes les caractéristiques - frivolité, légèreté... - qui l'accompagnent. Dès lors, dans nos milieux, une femme qui pense, c'est une femme qui dérange.
Au sein de notre propre syndicat, nous avons décidé de donner l'exemple à travers un changement de statuts qui obligera tous les binômes qui composent le bureau national du syndicat à être paritaires (1 homme - 1 femme) à compter des prochaines élections de septembre 2013. Ceci constitue une véritable révolution par rapport à la situation actuelle dans la mesure où je suis, au sein des 24 membres (12 titulaires - 12 suppléants) du bureau national, la seule représentante féminine.
De la même façon, nous estimons que toutes les commissions d'experts et tous les jurys de sélection devraient être paritaires.
A cet égard, la question des nominations, parce qu'elle est symbolique, est primordiale.
Aujourd'hui, nous nous entendons trop souvent opposer l'excuse de la compétence et du talent, pour justifier l'absence de femmes. A cet égard, l'« alibi » féminin des « short-lists » de candidats aux postes de direction - qui sont l'aboutissement d'un processus long de sélection - ne trompe personne. Nous demandons aujourd'hui que les « short-lists » soient paritaires, ce qu'elles devraient être si elles reflétaient réellement la qualité des projets présentés.
Mme Sophie Deschamps. - Permettez-moi de vous signaler que, hier, quatre artistes en résidence viennent d'être sélectionnés au théâtre national de Chaillot : ce sont quatre hommes...
Mme Blandine Pélissier, membre de la Fédération interrégionale H/F, représentant H/F Poitou-Charentes et H/F Midi-Pyrénées. - Je crois qu'il est important de rappeler qu'à la tête d'un centre dramatique national l'État nomme un artiste - c'est la règle -. Or, l'idée que l'homme créé et que la femme est sa muse est une représentation millénaire, encore bien ancrée dans les mentalités.
Le Festival de Cannes, qui a attribué une seule fois la Palme d'or à une femme - et encore était-elle en binôme avec un homme - et dont les membres du jury femmes - une dizaine depuis la création du festival - étaient toutes des actrices et non des réalisatrices, est une belle illustration de la persistance de cette représentation symbolique.
Encore aujourd'hui, par conséquent, la femme, privée du droit de créer, doit se cantonner à celui de « pro-créer ».
S'agissant de la sélection des artistes et de l'éviction quasi-systématique des femmes, l'administration de la culture a tendance à systématiquement mettre en avant des critères « objectifs » de sélection supposés garantir l'objectivité du processus. Or, ces critères - fixés par des hommes - sont tout sauf « objectifs » : ils reflètent la culture de « l'homme blanc de plus de 50 ans » qui fait la loi au sein de l'administration culturelle.
S'agissant des intermittents, les derniers chiffres communiqués par Pôle-Emploi en Poitou-Charentes nous apprennent que 80 % des personnes qui sortent du régime sont à l'heure actuelle des femmes.
Enfin, je vous invite à passer les films que vous verrez au crible du « test de Bechdel » qui consiste à poser les trois questions suivantes :
- Est-ce que dans ce film deux femmes ont des « vrais » rôles ?
- Est-ce que ces deux femmes ont au moins une conversation ensemble ?
- Est-ce qu'elles parlent d'autre chose que d'un homme ?
Vous verrez que très peu de films passent ce test...
La persistance de l'infériorisation systématique de la femme par rapport à l'homme nous a amenés à demander l'anonymat des candidatures, dès que cela est possible. Cette règle, qui existe pour la sélection des musiciens d'orchestre, a été la condition de leur intégration. On va même jusqu'à conseiller aux femmes de choisir des chaussures plates le jour de l'audition afin que le bruit des talons ne les trahisse pas derrière le paravent...
De même, nous avons demandé à ce que cette règle soit appliquée au Centre national du théâtre (CNT), mais nous n'avons pas eu gain de cause.
Pourtant, quand elle est appliquée - en particulier dans les comités de lecture - elle est très favorable aux femmes. Il y a quelques années, le Théâtre 95 a organisé un appel à textes, les auteurs devant présenter leur texte sous couvert d'anonymat. Les textes retenus étaient majoritairement ceux écrits par des femmes.
Aujourd'hui, nous ne croyons plus que « cela va changer avec la prochaine génération », car nous voyons bien que rien ne change.
A cet égard, nous tenons à la féminisation des noms et des fonctions, parce que c'est important pour les jeunes filles de pouvoir se projeter dans ces postes de direction, comme il est important pour elles de se penser dans une filiation par rapport à d'illustres « prédécesseuses », puisque nous savons qu'il y avait des actrices à la Comédie Française, par exemple, dont la notoriété est aujourd'hui complètement oubliée.
A cet égard, qui sait aujourd'hui qui est Émilie du Châtelet ?
Mme Maryvonne Blondin. - J'appuierai ce que vous venez de dire, en vous rapportant mon expérience récente d'un discours que j'ai eu l'occasion de prononcer dans mon département, au cours duquel j'évoquai le nom de Jeanne Laurent. Quelle a été ma surprise de constater que l'auditoire avait complètement oublié l'héritage de cette femme, pourtant à l'origine de la décentralisation culturelle en France !
Mme May Bouhada, présidente du Collectif H/F d'Ile-de-France. - auteure et metteuse en scène, je préside collectif H/F d'Ile-de-France constitué en association depuis 2009 sur le modèle de l'association H/F Rhône-Alpes, créée en 2008 pour combattre les criantes discriminations exposées dans un premier rapport paru en 2006 et commandé par le ministère de la Culture et de la Communication à Reine Prat, puis dans un second rapport en 2009. L'impulsion donnée par l'État à cette occasion est à saluer et son action devrait être poursuivie.
Notre profession ne s'est emparée qu'avec retard des conclusions de ces rapports en créant, pour combattre les criantes injustices qu'ils dénoncent, huit collectifs et associations représentant un millier d'adhérentes, sur la période 2008-2010.
Ce mouvement s'étant développé, ces collectifs et associations ont fondé, en 2011, une fédération interrégionale ; cet ancrage territorial est fondamental car nous travaillons dans un secteur subventionné par l'État mais aussi par les collectivités territoriales, municipalités, départements et régions ; rappelons que la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) est rattachée à la préfecture.
Notre maillage sur le territoire permet à notre fédération de s'adresser directement aux décideurs politiques sur le terrain.
Le collectif H/F Ile-de-France comprend 250 adhérentes principalement issues du secteur de la culture et, plus particulièrement, du spectacle vivant vers lequel s'orientent principalement nos actions car les membres fondateurs sont issus du milieu théâtral ; cependant, pour répondre aux remarques du ministère de la Culture, nous développons maintenant une antenne musique et une antenne audiovisuelle.
Notre développement repose principalement sur le bénévolat bien que certaines actions soient subventionnées, notamment par l'Observatoire de parité, pour le compte de la Mairie de Paris, la région Ile-de-France pour la création d'un site ; nous avons aussi sollicité l'aide du Fonds social européen dans le cadre d'une action dénommée « saison égalité ».
Notre besoin de financement croît car nous atteignons les limites de ce que permet le bénévolat, l'aide de l'État doit être poursuivie pour des missions d'expertise qui demandent d'importants moyens humains et financiers.
Bien que les membres de notre association appartiennent à différents métiers du monde du spectacle, des artistes bien entendu, mais aussi des techniciens et des administratifs, nous pensons qu'il faut s'interroger avant tout sur les raisons pour lesquelles les artistes femmes ne sont pas programmées dans nos scènes ; quels sont les freins constatés et les leviers pour trancher ce noeud gordien ?
L'action d'H/F Ile-de-France s'inscrit dans le cadre d'une fédération qui diffuse un manifeste détaillant les axes de notre action, nos revendications et les outils concrets que nous proposons.
Ce manifeste s'articule autour de l'éveil des consciences et de la dénonciation des inégalités de droit et de pratiques et oriente les politiques vers des mesures concrètes tant au sein de nos milieux professionnels qu'auprès des publics et des responsables institutionnels, c'est fondamental, car nous travaillons dans un secteur subventionné, particularité française qu'il faut pouvoir défendre.
Mme Aline César, trésorière adjointe du Collectif H/F d'Ile de France. - Je suis metteuse en scène et voudrais rappeler quelques chiffres qui témoignent d'une réalité aberrante dans le secteur de l'art et de la culture en France.
Les hommes dirigent 84 % des théâtres cofinancés par l'État, 89 % des institutions musicales, 94 % des orchestres, et 78 % des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes.
Le déséquilibre se décline aussi en termes financiers : 70 % des compagnies dramatiques subventionnées par le ministère de la Culture sont dirigées par des hommes
Quand on examine le financement des scènes nationales, on pourrait croire qu'il y a une égalité ; il n'en est rien car pour un montant moyen de subventions attribuées aux scènes nationales de 2 096 000 euros, le montant moyen des subventions attribuées aux scènes nationales dirigées par un homme s'élève à 2 347 000 € ; il n'est plus que de 1 764 000 € quand elles sont dirigées par une femme. Il y a donc plusieurs centaines de milliers d'euros de différence pour des postes équivalents.
Mme Judith Depaule. - Il y plusieurs strates de scènes nationales mais, à outil égal, la dotation est moindre quand c'est une femme qui en a la direction.
Mme Aline César. - Quand on descend au niveau des coûts de montage de spectacles, dans les centres dramatiques nationaux (CDN) et régionaux (CDR), on constate un coût moyen du montage d'un spectacle de 72 000 € ; toutefois, le coût moyen d'un spectacle mis en scène par un homme s'élève à 77 000 € et chute à 43 000 euros quand le spectacle est mis en scène par une femme.
Un exemple emblématique en termes de programmation théâtrale : en 60 ans, une seule femme a pu produire sa mise en scène dans la Cour d'honneur du Palais des Papes : Ariane Mnouchkine.
Si les femmes accèdent difficilement aux postes de direction, elles sont nombreuses à occuper des postes de second ; à ce poste, elles sont à parité dans les centres dramatiques nationaux et régionaux et les scènes nationales ; le vivier existe donc mais le « plafond de verre » pèse comme une chape de plomb tant dans le monde culturel que dans celui de l'entreprise. La culture n'est pas exemplaire du tout, tant s'en faut.
Depuis les rapports de Reine Prat parus en 2006 et 2009, on pourrait croire que la situation a évolué dans le bon sens ; or, une étude parue en 2011 le dément. En 2005, le ministre de la culture, M. Jean-Jacques Aillagon, s'était ému qu'il n'y eût que cinq femmes à la tête de centres dramatiques nationaux. Or, en 2012, il n'y a plus qu'une femme pour diriger un centre dramatique national, celui de « La Criée » à Marseille.
Sur trente-trois CDN, un seul donc est dirigé par une femme, deux le sont par des équipes mixtes, à Ivry et à Toulouse ; sur les CDR, deux sont dirigés par des femmes (Rouen et Saint-Denis de La Réunion) et un par une équipe mixte, à Vire.
Mme May Bouhada. - Le constat que la situation des femmes dans la sphère culturelle n'évolue pas et même régresse a été confirmé par plusieurs études : je citerai notamment celle qu'a réalisée et financée elle-même la chef d'orchestre Laurence Equilbey.
Il est navrant que les données illustrant la place des femmes au sein des structures culturelles ne soient pas actualisées par l'État alors que c'est une nécessité pour construire une argumentation destinée à faire avancer la cause des femmes. En effet, force est de constater que les hommes sont encore majoritairement nommés aux postes de direction dans le secteur culturel.
Au coeur de la question, il y a la conception que l'on se fait de la femme artiste et de sa place : cela supposerait de démonter un certain nombre de clichés répandus dans notre société tant sur la femme que sur l'art.
La France subventionne et valorise le geste artistique en encourageant l'excellence artistique dans les écoles et les lieux publics. Mais, paradoxalement, les femmes en demeurent exclues. Faut-il en déduire que l'Art a un sexe et ne se conjugue qu'au masculin ? Ou, seconde branche de l'alternative, que l'Art n'a pas de sexe ce qui est, à nos yeux, une ineptie ?
Nous baignons dans un monde de clichés et de représentations fondées sur une perception masculine du monde que l'on persiste à nous décrire comme neutre. Or, d'autres représentations du monde doivent pouvoir émerger.
Le coeur de la question ce n'est donc pas tant la parité dans les nominations sur les postes de techniciens ou dans les postes administratifs que la place accordée aux artistes femmes : c'est elle en effet qui a un sens si l'on accepte de reconnaître que l'art a un sexe. Mais c'est précisément sur ce point que l'on se heurte au principe de liberté de programmation des structures.
Il convient aussi d'aller à l'encontre des idées reçues issues de la valorisation dans l'enseignement culturel du geste artistique romantique désintéressé et d'indiquer que l'expression artistique a un coût, parfois même très élevé en matière de spectacle vivant, qu'il relève du cinéma ou du théâtre. Le rôle de l'argent dans le monde de l'art ne peut pas être éludé.
Une oeuvre artistique émergera ou non, suivant qu'elle peut s'adosser à un budget suffisant. Ainsi, aux grandes scènes aux moyens techniques, humains et financiers importants s'opposent des scènes qui, étant réduites à « bricoler », ne peuvent monter des spectacles à la hauteur des aspirations de leur créateur.
Mme Sophie Deschamps. - De longue date, la vie professionnelle des hommes fait la part belle aux réseaux ; or, bien des femmes travaillent encore seules à la préparation de leur projet sans bénéficier du soutien de leurs pairs, ce qui est un handicap car les ministres redoutent le pouvoir des réseaux.
Attribuer cinq des neuf postes actuellement à pourvoir ne me paraît pas suffisant : c'est en nommant neuf femmes que l'État enverrait un geste fort témoignant d'une volonté de briser les mécanismes actuels.
Le réseau « féodal » est tellement puissant que le ministère a renoncé à se faire communiquer la comptabilité de certaines scènes : or c'est de l'argent public et il est anormal qu'il ne soit pas contrôlé.
Nous n'espérons plus grand chose des ministres qui se succèdent à la tête du ministère de la Culture car rien n'a changé depuis la problématique des rapports de Reine Prat ; on nous a promis de réactualiser les statistiques de ces rapports, mais sans nous préciser à quelle échéance.
Seuls les parlementaires pourront-ils peut-être remédier à cette injustice en faisant plier les habitudes acquises.
Mme Blandine Pélissier. - Nous fondons de grands espoirs sur les travaux de la commission interministérielle des droits des femmes du 30 novembre 2012.
Notre action a obtenu la nomination de Nicole Pot auprès de la ministre de la Culture pour s'occuper des questions d'égalité femmes-hommes au ministère de la Culture et reprendre un domaine en friche depuis que Reine Prat a été appelée à d'autres missions. Celle-ci devrait présenter à la commission ministérielle du 30 novembre une série de préconisations qui auront été validées par la ministre.
Mme Judith Depaule. - Le SYNDEAC a entrepris de réactualiser les éléments statistiques figurant dans les rapports de Reine Prat ; cette mise à jour fait apparaître une régression sauf pour la direction des scènes nationales et des scènes conventionnées ; encore faut-il préciser que les femmes n'accèdent à la direction que des moins bien dotées d'entre elles ; tout cela dans un contexte où un nombre croissant de femmes revendiquent l'appartenance à nos professions.
Mme Maryvonne Blondin. - Avez-vous interpellé l'Observatoire de la parité, présidé par Danielle Bousquet ?
Mme Blandine Pélissier. - Nous travaillons, à l'heure actuelle, avec le Laboratoire de l'égalité. Par ailleurs, nous avions interpellé Patrick Bloche, lors d'une réunion de la SACD, qui nous a répondu que les règles de la parité qui s'appliquent en politique devraient aussi s'appliquer au monde culturel.
Mme Judith Depaule. - ... sauf que toutes les nominations depuis le changement de gouvernement ont mis des hommes à la tête des institutions... Nous sommes lassées des déclarations qui ne sont pas suivies d'effets.
Mme Blandine Pélissier. - A cet égard, au cours du conseil municipal de Paris du 25 septembre 2012, Laurence Goldgrab a fait voter un voeu engageant la Ville de Paris à nommer plus de femmes dans les établissements culturels de la ville. Or, nous venons d'apprendre qu'un homme avait été nommé pour prendre la succession de Claude Guerre à la direction de la Maison de la Poésie.
Mme Aline César. - Nous observons bien une régression, c'est indéniable. Pourtant, il ne faut pas sous-estimer la difficulté à aborder les questions de parité hommes-femmes en matière artistique. Cette difficulté tient à la part symbolique véhiculée par l'acte artistique et à la sacro-sainte liberté de la programmation au nom de laquelle on nous explique qu'il est impossible d'imposer la parité dans une matière où c'est le talent qui doit commander. Mais, comme dit Geneviève Fraisse, « l'égalité ne pousse pas comme l'herbe verte », et l'on peut en dire autant du talent.
C'est avec la même assurance que l'on parlera plus facilement d'« Art émergent » pour qualifier le travail des artistes femmes - en opposition au « Grand Art » -, alors qu'il s'agit d'abord d'une différence de moyens disponibles.
Sous couvert de bon sens, cette argumentation repose sur deux présupposés tenaces selon lesquels, en premier lieu, si on imposait plus de femmes dans les programmations, ce serait au détriment de la qualité. Interpellé par le Collectif féministe « La Barbe », lors de sa présentation de saison exclusivement masculine, le nouveau directeur du théâtre de l'Odéon, Luc Bondy, répond que c'est l'exigence artistique qui justifie ses choix.
Le second point d'achoppement tient au sacro-saint « talent » présenté comme un don du ciel et affranchi de toute contingence matérielle.
Que ce soit sous le vocable d'excellence artistique, de singularité, de don ou de génie, on en revient toujours à la question des représentations associées à la figure de l'artiste, qui renvoie toujours à la mythologie du génie - qu'il soit représenté, pour Goethe, par un cygne noir pour symboliser l'apparition de l'inspiration, ou par la figure de l'écrivain romantique -. Quelle que soit la figure, vous remarquerez que la représentation est toujours exclusivement masculine.
Par ailleurs, le talent conférant l'autorité, l'auteur est nécessairement un homme, et ceci depuis l'origine.
Au IIIème siècle de notre ère, un grammairien latin déniait aux femmes le bénéfice de l'usage du féminin pour le mot « auteur », la féminisation des tâches n'étant tolérée que pour les tâches subalternes de copie des oeuvres. Pourtant, on retrouve bien le mot « autrice » dans les registres de la Comédie Française...
Pour sortir de ces blocages - à la fois hautement symboliques, mais également très concrets - la fédération interrégionale H/F a rédigé un manifeste qui se veut une plateforme de revendications, au premier rang desquelles figure la demande de faire appliquer au secteur culturel les lois applicables en matière d'égalité professionnelle.
Parmi les principales propositions, j'en citerai deux qui consistent à rendre visibles les inégalités et à mettre en place des mesures concrètes pour aller vers l'égalité (obligation de respecter la parité dans les appels à candidature ou les jurys et dans l'attribution de moyens financiers...) mais aussi des mesures à valeur symbolique.
Mme May Bouhada. - Parmi les gestes symboliques, il nous semble essentiel de faire émerger un « matrimoine » qui réhabiliterait la place des femmes artistes dans une perspective historique : contrairement aux idées reçues, les femmes ont existé dans l'histoire de l'art.
Dès la jeune enfance, et en particulier dans les programmes scolaires, mais aussi universitaires, il conviendrait de rétablir la place des femmes dans les listes des ouvrages étudiés.
Mme Sophie Deschamps. - Il me semble qu'un certain nombre d'institutions, comme le Laboratoire de l'égalité, se sont déjà emparées de ces dossiers concernant, notamment, la révision des programmes de l'Éducation nationale. Pour ma part, je crains que ce ne soit l'arbre qui cache la forêt. Je vous rappelle qu'aujourd'hui, avec la crise, ce sont les femmes qui sont les premières à être éliminées...
Mme May Bouhada. - Je suis d'accord avec vous. Il n'en reste pas moins que la constitution d'un matrimoine est une mesure urgente et relativement rapidement constituable si l'on veut rendre possible un processus d'identification pour la jeune génération d'artistes.
Je souhaite également attirer votre attention sur la constitution, à l'heure actuelle, d'une « saison égalité » en partenariat avec dix-neuf théâtres et lieux permanents en Ile-de-France, dont le théâtre de l'Athénée, la Scène conventionnée de Cergy-Pontoise, la Ferme du Bel Ébat, le Centre dramatique national de Montreuil, notamment, qui fera suite à la « saison égalité » qui a eu lieu l'année dernière en Rhône-Alpes.
Ce genre d'initiative aurait été impossible il y a quelques années. Ces théâtres s'engagent à étudier en leur sein leurs pratiques vis-à-vis de l'égalité femmes-hommes en matière de gouvernance, de programmation et de rapport au public.
En Rhône-Alpes, cet examen qui a débuté l'année dernière se prolonge sur trois ans, pour permettre la prise en compte des évolutions.
En 2013-2014, l'Ile-de-France et la Normandie débutent leur « saison égalité », en association avec l'Agence régionale pour la création et la diffusion en Ile-de-France (ARCADI) et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) pour la première.
Aujourd'hui, nous souhaitons la généralisation de cet outil à l'échelle nationale, également parce qu'il permet la mise en réseau des pratiques, l'émergence d'une prise de conscience des programmateurs/trices et une aide concrète à la réflexion sur ces questions essentielles.
Certes, des mesures d'urgence sont nécessaires. Mais sans une véritable réflexion de fond, nous ne sortirons pas des schémas stéréotypes qui contribuent à maintenir l'ordre établi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je crois qu'il faut inscrire ce débat dans une visée d'émancipation humaine qui repose sur la nécessaire prise en compte de la différence de l'autre, différence qui est aussi celle du genre.
Or, cette appréciation de l'altérité s'ancre dès l'enfance. Revenant de Suède, je retiens en particulier le travail mené dans les crèches où sont menées des expérimentations visant à déconstruire les stéréotypes sexués à travers l'activité, les jouets, l'habillement... Si ce discours doit être porté dès l'enfance, je ne sous-estime pas le poids du sexisme dans l'Éducation nationale où l'on sait bien, en particulier dans le primaire, que les enseignants sont majoritairement des enseignantes.
Nous sommes pourtant conscients de la nécessité de prendre des mesures d'urgence.
En choisissant pour thème de réflexion « femmes et travail », la délégation est motivée par la nécessité de faire reculer les formes les plus précaires de travail, auxquelles vos professions n'échappent pas, en particulier les artistes qui s'inscrivent dans le régime de l'intermittence du spectacle.
Vous parliez tout à l'heure des préjugés à déconstruire, notamment concernant la question des femmes et de l'art, mais il me semble qu'un autre préjugé particulièrement ancré concerne la place de la culture dans nos sociétés : il ne faut pas réduire la culture à un « supplément d'âme » comme le font tant de gens aujourd'hui. J'estime, pour ma part, que la culture, parce qu'elle permet l'ouverture à l'autre et donc donne la capacité d'être un citoyen, fait partie, comme la sécurité sociale, du socle des missions de service public.
Aujourd'hui, l'abandon des programmes d'éducation artistique dans les programmes de l'Éducation nationale prouve bien que l'accès à la culture n'est plus considéré comme une priorité de nos politiques publiques.
Je vous l'ai dit en commençant notre rencontre : nous arrivons à la fin de nos auditions portant sur notre thème de réflexion annuel. Toutefois, ce que nous venons d'entendre ce matin apporte une nouvelle illustration de la place réductrice assignée aux femmes - « muses » en art plutôt que créatrices - que nous avons rencontrées dans d'autres professions que les vôtres.
Notre réunion, par ailleurs, me conforte dans l'idée de proposer aux autres membres de la délégation d'orienter nos prochains travaux vers le thème des femmes dans la culture.
Enfin, vous nous avez suggéré un certain nombre de pistes d'actions que nous allons relayer, pourquoi pas dès cette année, auprès de la ministre de la culture pour ce qui est des actions symboliques à prendre d'urgence.
M. Guillaume Prieur, directeur des affaires européennes et institutionnelles de la SACD. - Au-delà de la question centrale et cruciale de la nomination de femmes aux postes de direction dans la sphère culturelle, deux autres sujets devraient être aussi soumis sans tarder au ministère de la culture : d'une part la création d'un outil statistique pérenne d'observation du monde du spectacle vivant ; d'autre part, la rédaction d'un projet de loi d'orientation sur le spectacle vivant, lequel est actuellement l'un des seuls secteurs culturels qui ne soit pas soumis à des objectifs en matière de politiques publiques fixant notamment la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales et s'intéressant à l'emploi artistique.
La question de la parité dans le spectacle vivant doit être portée par l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics comme un objectif de politiques publiques.
Mme Maryvonne Blondin. - Lors de la présentation devant la commission de la Culture du Sénat de son projet de budget pour 2013, la ministre de la Culture m'a assurée que ces questions seraient traitées l'année prochaine.
Mme Judith Depaule. - Je crois que l'opposition création/procréation avec ses origines ancestrales, est à l'origine de cette confiscation de l'acte de création par les hommes ; mais c'est si profond que c'est à la fois très difficile à faire bouger et très difficile à faire admettre par les hommes.
Mme Sophie Deschamps. - Je vais presque tous les soirs au théâtre ou au cinéma, ce qui me donne une vision assez complète des oeuvres qui sont présentées au public : eh bien, je peux vous assurer que celles-ci reflètent de façon écrasante une vision masculine du monde, avec toute sa violence ; je ne suis pas la seule femme à avoir été choquée par la programmation du théâtre de l'Odéon et ce qu'elle véhicule de monstrueux. Et l'on peut en dire aussi beaucoup de la programmation des chaînes de télévision qui s'adresse à un public nombreux et dont la part la plus assidue est souvent la plus modeste. Ce public finit par considérer ce qu'on lui projette comme un reflet normal de la réalité.
A titre d'exemple, j'ai demandé à Rémi Pfimlin de réaliser des statistiques portant sur le nombre de femmes assassinées dans des fictions diffusées à la télévision française ; je les attends toujours, mais faites ce décompte et vous serez édifiés !
Il ne faut en effet pas envisager cette question du seul point de vue des artistes : il faut aussi l'aborder sous l'angle du public qui reçoit les spectacles car, après tout, notre travail, à nous artistes, c'est d'apporter au public un point de vue sur le monde.
Or, il faut bien voir à quoi aboutit ce laisser-faire en matière de nominations qui conduit à privilégier presque exclusivement des visions masculines des choses : cela débouche sur une violence inouïe que l'on tolère et dont on abreuve le public soir après soir.
Mme Blandine Pélissier. - Je veux rappeler qu'il s'agit bien d'argent public qui est dépensé par des hommes pour des hommes. Or, la formation des femmes, qu'elles soient techniciennes ou artistes, a aussi nécessité des fonds publics qui sont gâchés si elles ne trouvent pas à s'employer.
La Fédération internationale des acteurs (FIA), avec le soutien financier de la Commission européenne, a rédigé un manuel des bonnes pratiques paru en juillet 2010.
Un exemple qui démontre que des mesures incitatives et de formation peuvent aider les femmes : en Suède, le syndicat des acteurs et l'organisation patronale du spectacle vivant ont organisé des stages d'éducation au leadership dans le spectacle vivant pour former des femmes à la direction de théâtres ; alors qu'en 2005 et 2006, 15 % des théâtres étaient dirigés par des femmes, neuf des douze participantes à ces stages occupent maintenant un poste de directrice de théâtre ; en 2010, on dénombre quatorze femmes et dix-huit hommes à la direction des institutions de spectacle vivant en Suède.
En Poitou-Charentes, lors de rencontre avec les commissions régionales des professions du spectacle (COREPS), la proposition d'octroyer un bonus de 20 % aux femmes porteuses de projets a été avancée mais n'a pas encore été suivie d'effets.
Je voudrais indiquer que le mécontentement des femmes enfle et pas seulement dans le domaine de la culture. Elles souhaiteraient pouvoir consacrer moins de temps à militer et en avoir davantage pour la création ; des mesures énergiques doivent être prises pour y remédier.
Mme Maryvonne Blondin. - La question de l'égalité femmes-hommes commence à pénétrer tous les ministères depuis que Najat Vallaud-Belkacem a mis en place une sensibilisation des ministres et de leur cabinet à cette dimension. Une éducation et une sensibilisation à ce niveau de décision, c'est une avancée significative !
Mme Blandine Pélissier. - Pour appuyer ce que vous venez de dire, on sent effectivement une prise de conscience dans la société en faveur de l'égalité femmes-hommes et de la parité ; néanmoins dans nos métiers artistiques, il n'y a clairement aucune avancée.
Ce statu quo nourrit la colère !
Mme Catherine Génisson. - Les collectivités territoriales (communes, départements et régions) jouent un rôle important dans le soutien au secteur culturel. Il faut donc effectuer un important effort de sensibilisation en leur direction.
La région Nord-Pas-de-Calais a choisi dans son programme « culture » de s'attacher au sujet de l'égalité professionnelle femmes-hommes.