- Mardi 11 décembre 2012
- Mercredi 12 décembre 2012
- Audition de M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France
- Audition de M. Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France
- Avis sur une candidature aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France - Résultats du scrutin
Mardi 11 décembre 2012
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Aménagement numérique du territoire - Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, sur l'aménagement numérique du territoire
La commission procède à l'audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique, sur l'aménagement numérique du territoire.
M. Raymond Vall, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir, madame la ministre, six mois après votre première audition ici même. Notre commission, chargée des questions d'aménagement du territoire, suit avec attention la politique du gouvernement dans votre domaine de compétence. Les élus locaux, que nous représentons, placent beaucoup d'espoir dans le déploiement numérique. Pour certains territoires ruraux, il s'agit même d'un enjeu vital. La commission de contrôle de l'application des lois, dont je salue les membres ici présents, a, en lien avec notre commission, confié à Yves Rome et Pierre Hérisson un rapport destiné à faire le point sur le rôle des collectivités locales en matière d'aménagement numérique. Leurs conclusions devraient être disponibles fin janvier ou début février. Nous savons que vous êtes en phase de consultation avant l'annonce, à la mi-février, du programme du gouvernement sur la couverture numérique du territoire. A quelques semaines de cette échéance, quelles sont les premières orientations que vous retenez ? Comment envisagez-vous de respecter l'engagement du président de la République - auquel nous souscrivons tous - d'une couverture par le très haut débit de l'ensemble du territoire d'ici dix ans ?
Les choses ne semblent pas avoir beaucoup avancé. Le Sénat a même été déçu et frustré, à plusieurs reprises, de ne pas avoir obtenu de réponses sur le financement et les délais de réalisation du programme national très haut débit (PNTHD).
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. - J'insisterai particulièrement, dans ce progrès liminaire, sur le déploiement du très haut débit et sur l'aménagement numérique du territoire, thématiques auxquelles votre commission est tout particulièrement attachée.
L'aménagement du territoire doit tenir compte de la fracture numérique entre territoires ruraux et territoires urbains, mais aussi parfois au sein même de ces derniers. J'ai eu l'occasion de détailler les orientations du gouvernement en matière de très haut débit notamment lors de l'examen à l'Assemblée nationale, le 22 novembre dernier, de la proposition de loi du sénateur Maurey. Celle-ci a eu l'immense vertu de catalyser les décisions du gouvernement. Toutefois, l'inscription de cette proposition dans un calendrier impossible à respecter nous a contraint à la repousser. Elle présentait de surcroît des carences juridiques et des dangers économiques. Je salue néanmoins le travail remarquable des auteurs du rapport et du texte de la proposition de loi.
Le gouvernement a désormais les idées plus claires sur ce chantier structurant, et souhaite manifester son volontarisme en la matière. La couverture de l'ensemble de notre territoire par le très haut débit à l'horizon 2022 figure au quatrième rang des engagements de campagne du président de la République François Hollande. C'est une priorité de l'action gouvernementale, qui suit le cap de la compétitivité de notre économie. Une première version de la feuille de route est en cours de finalisation par la mission très haut débit, et sera soumise à la concertation dès la fin de cette semaine, à défaut au début de la semaine prochaine. La feuille de route définitive sera finalisée courant janvier et adoptée par le gouvernement lors du séminaire gouvernemental sur le numérique de la fin du mois de février. Dès le lendemain, différents comités seront convoqués pour étudier les nouveaux dossiers présentés par les collectivités. Dès janvier, la mission se tiendra à leur disposition pour accompagner toutes celles qui en manifesteront le besoin.
Dans le cadre des projets privés, le gouvernement veillera à ce que soient clarifiés les engagements pris par les opérateurs, au-delà de leurs déclarations d'intention ; quant aux projets publics, il conviendra de les accompagner et de les rendre viables sur le plan industriel. Plus que de contraintes qui décourageraient les investisseurs, le très haut débit a besoin d'une structure de pilotage claire par l'Etat. Celle-ci est aujourd'hui une réalité, qui pourra s'appuyer sur les compétences des administrations d'état-major, des collectivités locales et des services déconcentrés de l'Etat, afin de répondre à toutes les interrogations que les collectivités se posent légitimement. Le déploiement du très haut débit suppose en outre un modèle économique performant, donnant à chacun les moyens de jouer pleinement sa partition, garantissant que les investissements ne se font pas à fonds perdus, utilisant au mieux chaque euro de dépense publique, favorisant la complémentarité entre opérateurs privés et réseaux d'initiative publique. Son objectif sera de réduire la fracture numérique, par la mise en place d'une péréquation entre les territoires denses et ceux qui le sont moins. Aucune des questions clés de ce chantier ne sera négligée.
Le financement s'appuiera sur deux volets : les subventions et les prêts. L'instruction technique des subventions progresse, en dépit des complications résultant du contexte budgétaire dans lequel nous nous trouvons. Le gouvernement apportera des réponses d'ici février, en abondant le Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) ou un système équivalent. Simultanément, nous tiendrons des prêts à la disposition des collectivités qui se lancent dans l'objectif du très haut débit : il ne s'agit plus des 300 millions d'euros du guichet A mais des 20 milliards d'euros des fonds d'épargne collectés en octobre et mis à disposition des collectivités pour des projets de transports en commun, de réseaux de distribution, de traitement de l'eau, et d'infrastructure numérique à très haut débit. La mission très haut débit travaille actuellement à l'ingénierie financière de ces prêts.
La coopération public privé passera par une contractualisation systématique entre l'Etat, les opérateurs privés et les collectivités territoriales, y compris sur les zones très denses. Après dix ans d'absence de politique nationale d'aménagement numérique, l'Etat se donne enfin les moyens d'accompagner véritablement nos collectivités, de suivre l'action des opérateurs, de soutenir l'harmonisation technique des projets, grâce au groupe Interop'Fibre, regroupant l'ensemble des opérateurs qui déploient des réseaux de fibre en France, et de jouer un rôle de conseil aux collectivités.
Pour remplir son objectif de couverture du territoire, le gouvernement a fait le choix de la fibre optique. Basculer du cuivre vers la fibre nécessite une grande préparation : un test grandeur nature, première mondiale du genre, est conduit en ce moment à Palaiseau. Ce chantier industriel titanesque aura des répercussions majeures en termes d'emplois et de formation. Le remplacement du cuivre sera progressif jusqu'à son extinction, dans un calendrier et selon des modalités qui seront précisés à l'issue des dix-mois de test.
L'objectif du très haut débit partout et pour tous ne nous empêchera nullement de répondre, avant 2022, aux attentes de nos concitoyens. D'ici la fin du quinquennat, des cibles prioritaires seront définies - zones résidentielles moins bien loties, zones rurales, zones d'activité économique ou sites publics comme les hôpitaux ou les établissements scolaires - qui bénéficieront d'un accès progressif plus rapide au très haut débit : dans un premier temps, pour une part avec la technologie Fiber to the neighbourhood (FTTN), avant de profiter pleinement de la technologie Fiber to the home (FTTH).
Je suis également disposée à répondre à vos questions relatives aux télécoms et au réseau de téléphonie mobile.
M. Michel Teston. - Avec le groupe socialiste, nous avons toujours dénoncé le manque de volontarisme du plan national pour le très haut débit. Celui-ci fait en effet la part trop belle aux opérateurs, dont les investissements bloquent les initiatives des collectivités territoriales. De surcroît, manquer à leurs engagements ne les expose à aucune sanction. Le plan a également l'inconvénient de cantonner les collectivités territoriales aux zones très peu denses. Enfin, le FANT créé par la proposition de loi Pintat, n'a jamais été alimenté. Je propose donc de modifier ce plan, en tenant compte toutefois de la notification dont il a fait l'objet à la Commission européenne, ainsi que des investissements déjà engagés par certains opérateurs, notamment en zone 1.
L'Etat doit impérativement reprendre la main sur ce dossier. En zone 2, le délai de cinq ans est beaucoup trop long, il faut créer un vrai constat de carence, de manière à ce que les collectivités puissent agir quand les opérateurs ne tiennent pas leurs engagements.
S'agissant du financement, je propose de remettre en discussion l'idée d'une taxation. Peut-être ne sera-t-il pas nécessaire d'en créer une nouvelle. Un recours a été introduit devant la Cour de justice de l'Union européenne contre la taxe Copé portant sur les opérateurs de télécommunications, et destinée à financer l'audiovisuel depuis la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Cette taxe rapporte 200 millions d'euros : si la Cour sanctionnait ce dispositif, il n'y aurait aucune difficulté à l'affecter au très haut débit, puisque l'assiette de la taxe entretiendrait un rapport étroit avec son objet.
Troisième proposition : trouver des solutions visant à améliorer la coopération entre le secteur public et le secteur privé. Cela semble possible en zone 3, où les règles de concurrence ne sont pas prépondérantes. Sous réserve d'un accord de l'Autorité de la concurrence, on pourrait organiser entre opérateurs privés - qui gagnent de l'argent dans le secteur 1 - et les collectivités, des partenariats qui ne portent pas une atteinte démesurée aux sacro-saintes règles de la concurrence - il s'agit d'ailleurs ici d'aménagement du territoire.
M. Yves Rome. - Je suis ravi de voir que le dossier progresse. J'insiste toutefois sur la nécessité d'arrêter une feuille de route précise, claire et objective, afin que les collectivités territoriales puissent contribuer à l'objectif que le président de la République avait placé au quatrième rang de ses engagements. Les collectivités sont aujourd'hui dans l'expectative : le plan national pour le très haut débit du précédent gouvernement avait, malgré ses défauts, admis au moins onze départements et régions à soumissionner aux 900 millions d'euros du Grand emprunt, dont seulement 266 millions d'euros ont été débloqués à ce jour. Quant aux collectivités qui avaient adopté leur schéma d'aménagement numérique du territoire, il faudra veiller à ce que le nouvel acte de décentralisation ne place pas les départements sous la coupe des régions chargées d'assurer l'interopérabilité des réseaux.
Nous avons besoin du retour d'un Etat stratège qui définisse précisément les modalités du déploiement numérique. Je suis sûr qu'Hervé Maurey pense comme moi.
M. Hervé Maurey. - Je l'ai dit clairement !
M. Yves Rome. - L'Etat s'assurerait que les opérateurs participent pleinement : en fixant précisément les normes du déploiement, leurs arguties ne seraient plus de mise. En zone 1, deux opérateurs se sont engagés à investir, mais seul France Télécom l'a réellement fait. Il faudra confronter systématiquement les annonces aux actes. En outre, une contractualisation tripartite est nécessaire, entre les collectivités territoriales dont on utilise le sol, l'Etat qui aura redéfini son rôle de stratège ou d'aiguillon, et les opérateurs eux-mêmes, qui, sous peine de retomber dans le champ de la zone 2, répondront des investissements réalisés et des délais.
Le précédent plan a créé un fonds sans fond, puisque le FANT n'a jamais été alimenté autrement que par le biais des investissements d'avenir. Tant que les collectivités territoriales n'auront pas la certitude d'un financement pérenne et sécurisé dans le temps, on aura du mal à consolider les investissements nécessaires. Le véhicule utilisé pour abonder le fonds importe peu. Prélever cinquante centimes d'euro sur les abonnements fixes et mobiles dégagerait 700 à 800 millions d'euros par an. Cette somme accompagnerait les collectivités sur une base inégalitaire, contrairement au Fonds national pour la société numérique (FSN) dont le taux moyen ne s'adaptait guère à la situation des collectivités qui pouvaient en bénéficier.
Grâce au choix de la fibre, qui constitue à mes yeux une solution pérenne, la France rattrapera le retard accumulé par sa filière industrielle. Il nous faut dépasser l'opposition fictive entre les usages et les réseaux, car les deux s'alimentent mutuellement. La valeur créée par cette filière est difficile à localiser : en témoignent les difficultés que rencontrent les Etats-nations à faire contribuer à l'impôt les grands opérateurs internationaux que sont Google, Apple, Facebook ou Amazon - les fameux GAFA, comme les dénomme notre collègue Philippe Marini. Développer tout l'écosystème du numérique stimulera les usages - je sais que vous y êtes attentive. Le rôle des collectivités territoriales est déterminant : celles-ci doivent maintenant accompagner la réalisation de l'objectif fixé par le président de la République dans les dix ans à venir. Une demi-année s'est déjà écoulée, ne perdons pas de temps.
M. Hervé Maurey. - Je ne suis pas en désaccord avec ce que nous venons d'entendre - c'est pourquoi nous avions voté la proposition de loi que j'avais cosignée avec Philippe Leroy. Je suis toutefois moins optimiste qu'Yves Rome, qui voit du changement là où je n'en aperçois aucun. Madame la ministre, lorsque vous avez pris vos fonctions il y a sept mois, le mot d'ordre était « le changement c'est maintenant ». Or, en sept mois, rien n'a changé sur le haut débit, ni sur la téléphonie mobile, pas plus que sur le très haut débit. Cette déception s'est transformée en amertume le 22 novembre, date à laquelle vous avez fait enterrer, à l'Assemblée nationale, une autre proposition de loi qui avait été votée à la quasi-unanimité du Sénat - y compris par Yves Rome. Je ne prétends nullement que celle-ci était la panacée. Elle pouvait certainement être amendée, complétée, corrigée, voire différée dans son examen pour vous laisser le temps d'approfondir votre connaissance du sujet. Mais j'ai été choqué par la violence de votre critique : texte « idéologique et court-termiste », « sous-dimensionné et décalé », propositions « inutiles et inefficaces »... Vous nous avez même reproché de n'avoir pas traité la question du financement, alors que la période pré-électorale, tout le monde le sait, avait convaincu tous les groupes d'en différer l'examen. Vous avez repris la parole sur chaque article pour défendre des amendements de suppression en des termes tout aussi violents : la téléphonie mobile ne pose aucun problème, disiez-vous ; la solution satellitaire à 2 mégaoctets réglait la question du très haut débit, autrement dit « circulez, il n'y a rien à voir » ; quant à la contractualisation, vous refusiez, comme votre prédécesseur, une contractualisation avec les opérateurs, que vous craigniez de décourager, ainsi que de les sanctionner en cas de manquement à leurs engagements. Vous méprisiez ainsi le travail réalisé par le Sénat autour d'un rapport adopté à l'unanimité puis une proposition de loi votée à la quasi-unanimité.
Vous tentez maintenant de nous mettre du baume au coeur en saluant poliment notre travail. Je viens même d'entendre des mots que vous condamniez à l'Assemblée nationale, comme celui de contractualisation. En revanche, j'ignore toujours ce que vous comptez faire en matière de haut débit, dont une partie de nos concitoyens continuent d'être privés, et dont le soutien n'est pas incompatible avec la politique du très haut débit. Maintenez-vous les propos que vous avez tenus à l'Assemblée nationale concernant la solution satellitaire ?
A notre demande, votre prédécesseur avait installé un groupe de travail pour améliorer la mesure de la couverture en téléphonie mobile. Je vous avais demandé, lors de votre précédente audition puis par un courrier auquel vous n'avez jamais répondu, de remettre au travail cette instance dont rien n'était encore sorti.
Enfin, je suis soucieux de voir, dans certains départements, les conseils généraux se défausser sur les communautés de communes. Celles-ci ont rarement les compétences techniques et l'assise financière pour porter le déploiement numérique, à plus forte raison dans les zones rurales. L'Etat stratège devrait commencer par mettre un terme à ces pratiques.
M. Bruno Retailleau. - Un accord est possible sur ce chantier, qui ne doit pas faire l'objet de politique politicienne. Dire que rien n'a été fait en dix ans est une figure imposée mais une inutile facilité rhétorique.
Je partage les propositions d'Yves Rome et de Michel Teston sur le financement du plan national sur le très haut débit. Dans le cas où la taxe Copé n'aurait pas l'aval de Bruxelles, il y aurait une vraie logique à ce qu'elle finance le FANT. La création d'une taxe de cinquante centimes est une autre piste exploitable. Privilégions la première, et donnons-nous le temps d'étudier la seconde. Vous le voyez, sur la question du financement, peu de choses nous séparent.
Pour présider un exécutif local, je peux témoigner des difficultés d'accès au crédit des collectivités territoriales. Vous avez annoncé une transformation en prêts des fonds du guichet A et de la collecte d'épargne : cela nous arrangerait. Les collectivités qui ont déjà obtenu un accord sur le très haut débit pourraient-elles en bénéficier, et dans l'affirmative, à quel taux ?
La loi Pintat faisait du département une maille essentielle du réseau d'infrastructures numériques, sans pour autant exclure l'échelon régional. L'identité de la région surplombe parfois les identités départementales : c'est le cas en Bretagne, en Auvergne, ou encore en Alsace ; inversement, l'identité est plutôt du côté de la Vendée que des Pays de la Loire...
M. Gérard Cornu. - Le Vendée Globe.
M. Bruno Retailleau. - Pas seulement... J'ai eu connaissance de l'avant-projet de loi sur la décentralisation : la répartition des compétences prévue marquerait une régression, et je défie quiconque de l'utiliser pour mener le déploiement numérique. Là encore, le principe de réalité justifiera nos convergences.
Je suis engagé depuis de nombreuses années sur la question du dividende numérique. Les opérateurs sont confrontés à une concurrence effrénée : c'est une excellente chose qui les poussera à innover. Le programme de déploiement de la 4G dépasse enfin l'expérimentation. Dans le processus d'attribution des fréquences, nous avons, pour la première fois, soumis les opérateurs à des contraintes : d'une part, un déploiement dans les grandes villes et, parallèlement, à hauteur de 18 %, dans les zones prioritaires ; d'autre part, 40% de ces dernières doivent être couvertes dans les cinq premières années. Or, pour l'instant, le déploiement de la 4G ne concerne que des grandes villes. Instruit par les expériences précédentes - 2G, 3G, 3G+ -, je vous mets en garde contre la difficulté de respecter les engagements relatifs à la couverture des zones prioritaires si ce problème n'est pas réglé en 2013.
Enfin, où en est la fusion des régulateurs audiovisuel, numérique et des télécoms ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je n'ai jamais été opposée à la contractualisation, bien au contraire : j'ai indiqué à l'Assemblée nationale que l'Etat souhaitait transformer les déclarations d'intention des opérateurs en véritables contrats tripartites, destinés à garantir le déploiement des investissements dans le respect du calendrier convenu. La mission très haut débit travaille à la rédaction d'un contrat-type, qui fera l'objet d'adaptations aux caractéristiques locales et comportera des clauses relatives au constat de carence : leur activation sera possible, comme le propose M. Teston, avant cinq ans.
Nous ignorons quand la Cour de justice européenne rendra sa décision sur la taxe Copé : elle devait le faire au premier trimestre 2013, puis l'on a parlé du premier semestre... Il est toutefois probable, compte tenu des dispositions de la directive télécom, que cette taxe sera déclarée contraire au droit communautaire : celui-ci n'autorise en effet de telles taxes que si elles servent à financer la régulation du secteur. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a provisionné 1,3 milliard d'euros dans le budget 2013 pour rembourser les opérateurs. Son rendement, de 200 à 300 millions d'euros, correspond à ce dont l'Etat aurait besoin pour abonder un fonds de péréquation, et si l'idée de l'affecter au déploiement de la fibre semble davantage euro-compatible, nous restons dans la politique-fiction.
Les guichets A et B de la Caisse des dépôts et consignations restent ouverts : ils représentent respectivement 1 milliard de prêts et 900 millions d'euros de subventions, dont tout n'a pas été dépensé. Le guichet A n'a pas du tout été sollicité par les opérateurs, bien que l'un d'entre eux semble vouloir y faire appel. Nous réfléchissons à la répartition des enveloppes : 300 millions d'euros devraient être consacrés à des prêts à taux bonifiés pour des durées et à des taux adaptés à ce type d'investissements ; une autre partie ira au développement des usages numériques.
Les GAFA, et plus généralement les acteurs internationaux qui ne payent pas d'impôt sur les sociétés et ne contribuent ni au financement de la création ni à celui des infrastructures de communication électronique, font l'objet d'une mission confiée conjointement à un conseiller d'Etat et un inspecteur des finances. Ce sujet n'est pas franco-français : le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l'Allemagne travaillent également sur ces questions. Nous avons réactivé notre participation aux groupes de travail de l'OCDE, aux côtés de nos partenaires allemand et britannique, notamment sur le chantier relatif à l'érosion des bases fiscales et au déplacement des profits (Base Erosion and Profit Shifting, ou BEPS). Nous voulons y jouer un rôle moteur et espérons ainsi faire évoluer les conventions fiscales multilatérales afin de mieux encadrer les stratégies d'optimisation fiscale des entreprises multinationales. Taxer de tels opérateurs rapporterait des milliards d'euros, dont une partie pourrait être dirigée vers le financement de la création et le soutien aux infrastructures.
Les coopérations public-privé en zone 3 sont un sujet majeur de discussion avec l'opérateur historique France Télécom-Orange, principalement concerné par ces investissements. Celui-ci semble prêt à investir dans de telles zones si les conditions de l'équilibre commercial sont réunies. La lisibilité de l'environnement juridique, la stabilité fiscale, l'accompagnement financier offert par l'Etat, constituent autant d'éléments indispensables pour préserver l'envie de ces opérateurs d'investir aux côtés des collectivités territoriales.
Le nouvel acte de décentralisation n'en est qu'au stade de l'avant-projet. Il n'est pas question de donner autorité à une collectivité sur une autre en matière de déploiement du très haut débit. Les situations sont très hétérogènes ; les projets menés en Bretagne et en Auvergne, par exemple, avancent simultanément mais sont bâtis de manière très différente. Si l'Etat détient un rôle pilote, les régions, elles, devront coordonner l'élaboration des schémas directeurs de l'aménagement numérique (SDAN) en veillant à l'interopérabilité des réseaux à leurs frontières. Il ne s'agit nullement de maîtrise d'ouvrage, mais de collecte et de remontée d'information. Les contacts qu'elles auront avec les opérateurs éviteront des demandes redondantes auprès de cabinets de conseil ou de fournisseurs de fibre.
La mission très haut débit aura aussi un rôle d'observatoire du déploiement auquel procèdent les opérateurs. Elle vérifiera l'ensemble des engagements pris par ces derniers, et répertoriera en vue de les cartographier les retards accumulés.
Le sénateur Maurey a été le ou l'un des premiers parlementaires que j'ai reçus pour évoquer ces questions. Rien n'a-t-il changé ? Nous avons monté une structure de pilotage, bâtissons un mode de financement pérenne, gérons les conséquences de l'introduction sans étude d'impact de la quatrième licence mobile, accélérons le développement de la 4G, travaillons sur le refarming de la bande des 1 800 MHz, pressons les choses pour la bande des 800 MHz... C'est une rupture par rapport au laisser-faire qui prévalait par le passé. Dépassons les polémiques : au fond, nous avons tous pour objectif d'améliorer la couverture du territoire en très haut débit, et de fournir à tous nos concitoyens le meilleur service possible. Voilà pourquoi, dans le déploiement numérique en cours, les zones dans lesquelles le haut débit n'est pas satisfaisant seront prioritaires. C'est également pourquoi nous avons un objectif de moyen terme : d'ici à cinq ans, tout le monde devra pouvoir profiter d'un triple play de bonne qualité, soit entre 5 et 8 mega. D'après l'Arcep, 50% des Français ont aujourd'hui accès à un débit de 8 mega. C'est une situation dont on ne peut se satisfaire.
Nous ne sommes nullement défavorables à la contractualisation. Dans la proposition de loi, c'est la perspective des sanctions qui me posait problème, parce qu'elle pouvait dissuader les opérateurs privés d'investir, surtout dans les zones où la rentabilité ne semblait pas garantie.
Pour éviter que les régions se défaussent sur les communautés de communes, nous avons voulu clarifier les rôles de chacun. Certaines grandes agglomérations souhaitent prendre en charge le déploiement de leur réseau, mais pour atteindre les objectifs de péréquation, mieux vaut s'en tenir aux objectifs des schémas départementaux et régionaux.
M. Hervé Maurey. - Je pensais plutôt à la situation dans laquelle les départements, pour se dispenser d'agir, se défaussent sur les communautés de commues, alors contraintes de se substituer à eux. Dans mon département, si les communautés de communes n'exercent pas la compétence relative au très haut débit, il ne se passe rien. A mon avis, il ne s'agit pas du bon niveau d'action.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Absolument. Dans les discussions que nous avons avec le ministère en charge de la décentralisation, nous sommes plutôt favorables à un schéma dans lequel les responsabilités sont confiées aux départements et aux régions. Par la suite, les collectivités pourront s'adresser à la mission très haut débit pour obtenir une assistance à maîtrise d'ouvrage. Les communautés de communes pourront lui demander conseil, sans que les départements se défaussent pour autant de leurs responsabilités. Notre cadre juridique n'est pas clair, car la compétence est partagée par toutes les collectivités. Le contexte n'est pas favorable à la mise en place de nouvelles taxes...
MM. Gérard Cornu et Rémy Pointereau. - On ne l'avait pas remarqué !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous avons d'autres moyens de financement. Nous ne souhaitons pas remettre en cause le modèle dans lequel les opérateurs proposent des innovations à des prix relativement modiques. Il convient plutôt de s'appuyer sur les fonds d'épargne avec des prêts à très long terme et à des taux bas.
M. Bruno Retailleau. - Ce taux sera-t-il proche de celui du marché monétaire ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le taux correspondra à la nature et à la durée de l'investissement, et il sera attractif, compte tenu des finances publiques et locales.
M. Yves Rome. - Un prêt ne fait pas la péréquation...
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Non, il assure néanmoins un modèle économique à des investissements rentables à un horizon difficile à déterminer.
Pour garantir le respect des engagements pris par les opérateurs lors de la délivrance des licences 4G, nous accélérons le déploiement du réseau. Des expérimentations sont lancées dans les grandes villes parce qu'il est nécessaire de régler les problèmes d'interférence avec les fréquences de la TNT, de l'aviation civile ou de l'armée. J'ai constaté hier à l'Agence nationale des fréquences (ANFR) que des décodeurs évitaient les brouillages causés par la TNT. Bonne nouvelle, nous disposons des solutions techniques.
Nous avons demandé à la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) et à la direction générale du Trésor une étude sur les conséquences pour la concurrence d'une ouverture anticipée de la 4G sur la fréquence 1 800 mégahertz, actuellement détenue par Bouygues. Les résultats sont attendus pour la fin de la semaine, c'est à sa lecture que nous statuerons.
Dans les conclusions qu'il remettra au Premier ministre d'ici la fin du mois de décembre, le ministère du redressement productif indiquera qu'il n'est pas favorable à la fusion de l'Arcep et du CSA. La régulation des télécoms s'apparente davantage à celle de l'énergie ou du transport ferroviaire, alors que celle des contenus prend en compte la diversité culturelle. Des instances communes peuvent en revanche traiter de la gestion des fréquences audiovisuelles ou du deuxième dividende numérique.
M. Bruno Sido. - Les objectifs de ce gouvernement ne sont pas exactement ceux de son prédécesseur et rejoignent plutôt ceux des départements ruraux.
La Haute-Marne a obtenu une petite participation de l'emprunt pour les investissements d'avenir. Le bruit court que ces financements pourraient disparaître. Pouvez-vous me rassurer ?
Nous siégeons, avec Hervé Maurey, au sein d'une commission de la DGCIS qui avait commencé un travail de recensement des zones non couvertes par la téléphonie mobile. Or, depuis l'arrivée du nouveau gouvernement, plus rien. Je vous ai écrit, en vain. Quand cette commission se réunira-t-elle de nouveau ? Il est important d'identifier les communes concernées. J'aimerais bien pourvoir répondre autrement à des questions sur la 2G qu'en renvoyant mes interlocuteurs à la 4G ...
M. Jean-Luc Fichet. - La région Bretagne a mis en place une instance de gouvernance avec des objectifs très précis : pour toute prise installée en zone dense, une prise le sera en zone déficitaire. Ceux-ci sont mis en oeuvre au niveau départemental par les schémas directeurs d'aménagement numérique. Nous incitons les communautés de communes et les communautés d'agglomération à se doter de la compétence numérique afin de devenir maîtres d'ouvrage, de conduire les études d'ingénierie et de se situer dans la gouvernance. Nous espérons que le déploiement commencera après le séminaire gouvernemental de février 2013. Ce n'est qu'en mettant en mouvement l'ensemble des collectivités que l'on avancera.
Nous avons évalué le coût moyen d'une prise à 2 000 euros, certaines revenant à 700 euros, d'autres à 7 000 euros. L'Etat, la région et le département apportant leur part, 400 euros restent à la charge des communautés de communes ou d'agglomération. Si cela représente des sommes importantes, les investissements seront lissés dans le temps. Le très haut débit est très attendu dans le monde économique, comme dans les secteurs de la santé, de l'université et de la recherche.
Je préside un groupe de travail sur les déserts médicaux. La télémédecine, la e-santé enthousiasment les professionnels, mais se heurtent à cette difficulté : les zones les plus isolées sont aussi celles où le très haut débit est le moins présent. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous prévu des financements ?
Mme Évelyne Didier. - Après avoir discuté avec des opérateurs, je me demande s'ils ne préfèrent pas aller au bout du cuivre plutôt que d'investir dans la fibre. Ce manque d'enthousiasme se manifeste aussi lorsqu'ils jugent assez peu utile la dorsale en fibre réalisée par le département de Meurthe-et-Moselle. Pensez-vous que nous pourrons tout de même avancer ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Monsieur Sido, nous allons voir pourquoi le projet qui vous concerne traîne un peu. Toutefois, je puis vous rassurer, les engagements pris par le FSN ne seront pas remis en cause.
Le groupe que vous évoquez avait été mis en place par la DGCIS, parallèlement à l'énorme travail accompli par l'Arcep. Ce groupe constituait une bizarrerie. Avec la mission haut débit, vous disposerez d'un interlocuteur naturel qui répondra efficacement aux interrogations tout en recensant les bonnes pratiques. Je reste à votre disposition pour en reparler.
La couverture en 2G s'est nettement améliorée et les zones blanches se sont nettement réduites entre 2009 et 2012. Au 30 novembre, il restait à couvrir 171 communes, dont 26 au titre du programme initial et 145 au titre du programme complémentaire. Le programme a été réalisé à 95 % et nous allons accélérer son achèvement, sans doute avec l'opérateur historique au vu des difficultés actuellement rencontrées par SFR.
M. Bruno Sido. - Il ne s'agit pas du programme des zones blanches phase 3, mais des communes prétendument couvertes, qui ne le sont pas.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous avons créé un observatoire de la couverture mobile au sein duquel l'ANFR mesure, outre le déploiement, la qualité de service ressentie, qui n'est pas prise en compte par l'Arcep. Je rendrai publics les résultats de cette enquête cette semaine ou en tout début de semaine prochaine.
M. Hervé Maurey. - Des maires de mon département ont reçu un courrier du préfet de région leur indiquant, qu'ils avaient la possibilité de sortir de zone blanche .... en mettant 100 000 euros sur la table. Dans des communes de 100 ou de 200 habitants, cela a suscité un certain émoi ! Qu'en pensez-vous ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je trouve cela très étonnant.
Dans le cadre de la mission, nous sommes en train de déterminer de façon précise comment l'Etat va subventionner le coût des prises, car le taux de subvention réel diffère du taux théorique.
Avec la dépendance, le maintien à domicile et les réseaux intelligents, la question des déserts médicaux est l'une de celles qui me tiennent le plus à coeur. Les perspectives de la médecine à distance sont considérables. Les zones rurales géographiquement les plus éloignées des hôpitaux ou des spécialistes doivent bénéficier en priorité du très haut débit : il y va de cet accès au service public que le président de la République s'est engagé à maintenir et à développer. Malgré les blocages de la part de certaines institutions ou du corps médical, je suis favorable à l'expérimentation locale et je donnerai des instructions à la Caisse des dépôts pour que priorité soit donnée aux projets de e-santé et de m-santé dans les zones rurales ou de montagne.
Les opérateurs ont naturellement intérêt à rentabiliser au maximum les réseaux en cuivre sur lesquels ils ont beaucoup investi. Donnons-leur des raisons de le faire aussi dans le très haut débit. Le nombre d'abonnés au très haut débit fixe a progressé de 20% au cours des derniers mois, signe d'une appétence nouvelle des consommateurs. Reste à trouver le bon modèle économique, avec une tarification stimulante pour les clients privés et professionnels ainsi que pour les opérateurs. Il faudra, comme on l'a fait pour la télévision analogique, définir un calendrier de l'extinction du cuivre afin qu'ils puissent anticiper.
L'un des intérêts de la mission est de faire en sorte que toutes les initiatives locales soient compatibles avec les normes des opérateurs. Voilà bien pourquoi l'Etat définira un cahier des charges techniques indicatif.
M. Raymond Vall, président. - Madame la ministre, nous aurons sans doute le plaisir de nous retrouver à la fin du premier trimestre, quand votre feuille de route aura été précisée, de même que les financements.
Mercredi 12 décembre 2012
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Audition de M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France
La commission procède à l'audition de M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France.
M. Raymond Vall, président. - Monsieur de Juniac, vous pilotez depuis un an l'un des fleurons de l'économie française. La période difficile que nous traversons vous a amené à faire des économies : Air France a perdu 350 millions d'euros l'an passé, et pourrait perdre un peu plus cette année, alors que le trafic a repris et que le chiffre d'affaires augmente. Vous avez lancé un plan de redressement ambitieux, « Transform 2015 », pour rétablir les marges bénéficiaires dès 2015 et remettre en place une compagnie aérienne globale, présente à la fois à l'international et au plan régional, ainsi que dans le segment des compagnies low cost. Sans perdre de temps, vous avez pris immédiatement des mesures de réduction des dépenses - gel des salaires, renégociation des accords sociaux et restructuration de l'offre industrielle - afin de rendre Air France plus concurrentielle. Vous avez annoncé 550 millions d'euros supplémentaires pour améliorer la qualité de service au sol et en cabine, et vous prévoyez le départ volontaire de 5 122 personnes. Cela répond à l'objectif que vous avez fixé de 20 % de gain de productivité pour chacune des trois catégories de personnel. Ce plan, qui a fait l'objet, j'imagine, d'âpres négociations, a abouti à la signature d'accords avec les pilotes et avec les personnels au sol, mais pas encore avec les personnels navigants commerciaux. Pouvez-vous nous dire où en est cette négociation ? Pensez-vous pouvoir limiter les pertes dès l'an prochain ? Comment voyez-vous l'avenir des lignes déficitaires, et en particulier - c'est le coeur de notre compétence - des lignes intérieures ?
M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France. - Merci pour votre accueil. Je suis accompagné par M. Xavier Broseta, directeur général adjoint en charge des ressources humaines et de la politique sociale - c'est lui qui a piloté l'ensemble des chantiers sociaux que nous allons évoquer -, M. Zoran Jelkic, mon directeur de cabinet, en charge des métiers, et Mme Patricia Manent, qui s'occupe des relations avec le Parlement et les institutions.
L'industrie du transport aérien mondial est fragile et en difficulté, notamment en Europe.
Elle cumule en effet deux facteurs de fragilité : une intensité capitalistique extrêmement forte, puisqu'elle nécessite des infrastructures industrielles ou informatiques lourdes, et que les avions coûtent cher (la flotte du groupe Air France-KLM a une valeur à neuf de vingt milliards d'euros environ) et une forte intensité de main d'oeuvre, puisque c'est, au fond, une industrie de services - même si Air France-KLM est aussi un employeur industriel, avec près de quinze mille emplois industriels.
Elle est, du surcroît, fortement exposée à la concurrence internationale. En Europe, le marché est désormais complètement dérégulé, et nous devons faire face, vous le savez, à l'irruption très rapide des compagnies low cost - même si la France, du fait de notre position prépondérante, est relativement protégée de ce phénomène, puisque la part de marché de ces compagnies n'y est que de 20 %, contre 40 % en moyenne en Europe, et jusqu'à 60 % en Espagne et en Italie. Sur les vols long-courriers, nous voyons arriver sur le marché des compagnies qui n'existaient pas il y a dix ans : compagnies du Golfe, telles qu'Emirates, Qatar Airways ou Etihad Airways, compagnies asiatiques pourvues de flottes neuves, mais situées plus loin donc un peu moins dangereuses pour nous. Dans tous les cas, la concurrence se renforce, et pour des entreprises de services comme nous c'est une concurrence entre statuts sociaux - y compris en Europe, où l'harmonisation fiscale et sociale est loin d'être faite...
L'industrie du transport aérien, enfin, est soumise à d'innombrables aléas : on connaissait ceux de la météorologie, mais on ignorait jusqu'à récemment l'impact que pouvait avoir une éruption volcanique, qui a pu arrêter tout trafic aérien pendant plusieurs jours en 2010, causant des pertes de plusieurs centaines de millions d'euros aux compagnies aériennes. Il y a aussi les aléas technologiques, comme l'accident de Fukushima qui a bloqué le marché japonais, ou géopolitiques : le printemps arabe, par exemple, a arrêté ou considérablement ralenti le trafic sur la partie Afrique du Nord-Moyen Orient.
Les difficultés se concentrent en Europe : les compagnies américaines se sont redressées - mais après être toutes passées sous chapitre 11 -, en Asie les compagnies sont soit nationales, soit étatisées, à l'exception des compagnies japonaises - mais Japan Airlines est passé tout près de la faillite - et les compagnies du Golfe bénéficient d'un soutien actionnarial très fort, pour lequel la rentabilité du capital n'est pas toujours la priorité, et sont aussi une forme d'expression de la puissance de l'État qui les possède. En Europe, les grandes compagnies (British Airways, Iberia, Lufthansa et Air France-KLM) sont dans des situations difficiles et ont lancé des plans de restructuration extrêmement vigoureux. Depuis mon arrivée, deux acteurs ont disparu : la compagnie nationale hongroise Malev, et Spanair, compagnie espagnole de type semi low cost. Le transport aérien dans son ensemble souffre sur notre continent ; or, c'est une industrie clef : on dit souvent qu'il n'y pas de grand pays sans grande compagnie aérienne. Comment, en effet, organiser le transport international des passagers et des marchandises sans réseau aérien mondial ?
Air France-KLM est un acteur majeur dans l'industrie du transport aérien. Mais sa situation financière est extrêmement tendue, c'est pourquoi nous avons dû mettre en oeuvre les mesures de redressement que vous avez évoquées. Le groupe utilise environ 600 avions, ce qui en fait l'une des premières compagnies mondiales, sans doute après Delta et United Airlines, et au niveau de Lufthansa. C'est le plus grand réseau intercontinental mondial : nous desservons près de 130 destinations, quand le deuxième réseau, celui de Lufthansa, en dessert moins de cent. Nous appartenons à un réseau d'alliances très puissant, Skyteam, avec deux partenaires principaux : sur la partie américaine, Delta, qui est l'une des deux plus grandes compagnies américaines, et en Chine les compagnies China Eastern et China Southern, qui nous donnent accès à ce qui sera bientôt le plus grand marché aérien du monde. Il comporte aussi des compagnies coréennes, européennes, sud-américaines... Cela nous permet - avantage commercial et stratégique majeur - d'offrir le plus grand nombre possible de destinations, comme nous le demandent nos clients et notamment les grandes entreprises mondiales qui ont besoin d'un tel réseau.
En France, Air France-KLM est un acteur très important, pour plusieurs raisons. Nous sommes le premier employeur privé de la région Île-de-France, avec 45 000 salariés principalement répartis entre Roissy et Orly. Nous sommes un acteur important de l'aménagement du territoire, grâce aux dessertes opérées par Air France ou par nos compagnies régionales, que vous connaissez. Nous sommes aussi un acteur important en matière industrielle, avec 9 000 emplois industriels de très haute qualification dans la maintenance : Air France industries KLM Engineering & maintenance est le numéro deux mondial, après Lufthansa, de la maintenance industrielle, qui est un secteur en forte expansion, puisque la flotte mondiale croît dans les mêmes proportions que le transport aérien.
Le chiffre d'affaires d'Air France-KLM avoisine les 25 milliards d'euros, pour un effectif total de 107 000 salariés, dont les deux tiers sont employés par Air France. Malheureusement, notre situation financière est très dégradée. Nous avons subi cinq années consécutives de pertes d'exploitation ; pour 2012 notre perte d'exploitation devrait être inférieure à celle de 2011 - nous nous y sommes engagés vis-à-vis de la communauté financière - mais elle sera tout de même très significative. Notre dette financière, qui s'élevait à 2 ou 2,5 milliards d'euros en 2007, a pratiquement triplé pour atteindre 6,5 milliards d'euros au 31 décembre 2011. Il faut lui ajouter les leasings d'avions - qui sont une pratique normale de l'industrie - ce qui porte le total de notre dette à 11 milliards d'euros. Nos fonds propres étant de cinq milliards, notre situation est très difficile. Elle l'est d'autant plus qu'étant une industrie à forte intensité de main d'oeuvre, et soumise à une forte pression concurrentielle, nos marges sont extrêmement limitées. Comme les volumes d'affaires sont très gros, on s'imagine volontiers que nous sommes riches, mais nous ne faisons guère de marge. C'est un élément un peu triste de cette industrie, qui explique notre fragilité financière : un endettement important est extrêmement préoccupant pour nous.
Cette situation financière impose un effort de redressement très vigoureux. J'ai lancé dès mon arrivée, en janvier dernier, le plan Transform 2015, qui comprend un ensemble de mesures immédiates relativement classiques que vous avez rappelées (gel des salaires, compression des investissements, coupes dans les dépenses de frais généraux), et qui sont complétées par un ensemble de mesures sur les plans industriel, social et commercial. Le but est de faire revenir la compagnie Air France, et dans son sillage Air France-KLM, à la profitabilité, et au premier plan en termes de positionnement commercial, de marque, et de qualité de produit.
Un des éléments qui expliquent la dégradation des résultats d'Air France est que nos coûts sont structurellement trop élevés, notamment par rapport à nos concurrents européens, qui ont pourtant des droits sociaux à peu près comparables. Notre plan industriel vise donc à optimiser le long-courrier : nous avons un réseau dense, qui fonctionne assez bien mais a perdu de la compétitivité. Les avions sont pleins, et la recette se maintient à peu près sur les vols intercontinentaux. En baissant nos coûts, la profitabilité, actuellement quasi nulle, redeviendra très significative, comme elle l'a longtemps été. Nous allons restructurer bien davantage le court et le moyen courriers, car ils concentrent l'intégralité des pertes de l'activité passagers d'Air France-KLM, et d'Air France en particulier, avec 700 millions d'euros de pertes dont 500 pour Air France. Nous allons donc optimiser notre programme, en fermant des lignes déficitaires et en ouvrant des lignes que nous pensons bénéficiaires, et restructurer notre offre autour de trois pôles : un pôle Air France, qui dessert les grands flux de trafic sous les couleurs d'Air France ; un pôle régional français, avec une nouvelle marque qui sera dévoilée fin janvier, qui servira l'alimentation d'Orly et de Roissy sur les petits flux de trafic mais aussi les lignes transversales, et qui regroupera les filiales Brit Air, Regional et Airlinair ; enfin un pôle low cost, Transavia, pour s'attaquer au marché low cost du loisir qui est le plus dynamique actuellement. Nous espérons que cette offre combinée nous permettra de toucher l'ensemble des segments de marché.
La renégociation sociale, condition nécessaire du succès, a été lancée en mars dernier avec les trois catégories de personnel : personnel au sol, personnel navigant commercial (hôtesses et stewards), et personnel navigant technique (pilotes). Nous avions deux objectifs : une réduction de 20 % des coûts de chacune des catégories, et un délai de trois mois pour aboutir - ce qui n'était pas la tradition de la maison en la matière... Grâce à Xavier Broseta, deux négociations sur trois ont abouti, avec plein succès : avec les pilotes, qui sont une part critique de notre personnel, et avec le personnel au sol, qui représente 60 % de nos effectifs. Malheureusement, nous n'avons pas pu conclure d'accord avec les personnels navigants commerciaux : nous sommes allés jusqu'au bout, nous avions un projet de texte, mais nous n'avons pas pu conclure. Après avoir un peu hésité, nous avons récemment rouvert des négociations. A la différence des deux autres catégories de personnel, l'accord qui régit les conditions de travail des personnels navigants commerciaux est un accord à durée déterminée ; ils l'avaient voulu lorsqu'ils avaient signé le précédent accord en 2008. Cet accord expire au 31 mars 2013. Il n'est donc pas possible de le dénoncer, mais en l'absence de nouvel accord au 31 mars nous pouvons imposer unilatéralement des conditions qui réglementent l'emploi de nos personnels navigants commerciaux. Nous avons donc jugé nécessaire d'attendre un peu, après l'échec de la négociation, du printemps dernier, pour voir comment les choses allaient évoluer, et comme nous préférons un accord à des mesures unilatérales, nous avons décidé d'ouvrir de nouvelles négociations, avec quatre principes : même objectif de 20 % d'économies - ne serait-ce que par souci d'équité avec les autres catégories de personnel -, respect du calendrier, prise pour point de départ du projet d'accord que nous avions failli signer, et contreparties (plan de départ volontaire, garanties de rémunération...) si un accord est trouvé, mais pas sinon, pour les mêmes raisons d'équité. Nous espérons trouver un accord avec deux au moins des trois organisations représentatives du personnel que nous avons.
La reconquête commerciale passe par deux volets : d'abord, la lutte contre les low cost, à la fois grâce au pôle régional français, la partie Air France et Transavia. Nous avons une offre qui couvre bien tous les segments du marché, et nous allons lancer en janvier une offre commerciale à prix réduits avec options à destination de la clientèle qui recherche des prix limités mais qui est prête à payer des options. La compagnie Delta, avec laquelle nous sommes alliés, a réussi à limiter l'évolution des low cost sur le territoire nord-américain, alors même qu'elles y étaient plus anciennes : la compagnie Southwest, notamment, a fait couler beaucoup d'encre. Ce n'est donc pas une ambition irréaliste. Ensuite, nous allons remonter en gamme l'ensemble des autres produits Air France : moyen-courrier d'apport sur le long-courrier. Nous portons la France dans notre marque, nous pouvons donc jouer sur cet atout en mettant en avant qualité de vie, savoir-vivre, cuisine, produits de luxe, afin d'attirer la clientèle des pays émergents notamment. Nous devons convaincre les Brésiliens, les Chinois, les Indiens, de monter dans nos avions : cette clientèle est très sensible à la qualité que la France peut fournir. Nous allons donc investir près de 600 millions d'euros dans la rénovation pour améliorer tous les aspects de nos vols : sièges, nourriture, télévision à bord, service au sol, afin que nous puissions, collectivement, être fiers de notre compagnie nationale, que nous avons pour objectif de faire revenir, en 2016, parmi les premières en terme de qualité de service.
M. Raymond Vall, président. - La parole est à notre rapporteur pour le budget des transports aériens, M. Vincent Capo-Canellas, qui est aussi maire du Bourget.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci pour la franchise avec laquelle vous avez abordé la problématique financière d'Air France. Les chiffres que vous avez cités montrent l'ampleur du défi. Où en est l'application financière du plan Transform 2015 ? Qu'en est-il des échéances à venir, notamment en ce qui concerne la dette ? Vous avez affiché un objectif de retour à la profitabilité. On dit souvent que les compagnies américaines ont fortement augmenté leur profitabilité. Y a-t-il un secret américain ? Peut-on s'en inspirer ?
Quelle est l'évolution du trafic ? Je comprends que le moyen et le long courriers se portent assez bien. Qu'en est-il du trafic intérieur, et européen ? S'est-il stabilisé ?
Vous avez été très clair sur la négociation avec les personnels navigants commerciaux. Estimez-vous que, si vous signez un accord, ce plan suffira, ou la dégradation éventuelle de la conjoncture imposera-t-elle de nouveaux efforts ?
On dit souvent qu'on naît low cost, mais qu'on ne le devient pas, même s'il semble y avoir quelques contre-exemples aux États-Unis. Comment Air France peut-elle prendre pied sur ce marché ?
Où en êtes-vous de la stratégie d'alliance d'Air France à l'international ?
M. Michel Teston. - Où en est le projet de monter au capital d'Alitalia ?
Vous nous avez indiqué qu'un accord a été trouvé avec les pilotes, et avec les personnels au sol, mais que la discussion reprend avec les hôtesses et les stewards, qui sont régis par des CDD...
M. Alexandre de Juniac. - C'est leur convention collective qui a une durée déterminée. Individuellement, ils sont en CDI.
M. Michel Teston. - Quelles seraient les conséquences d'un échec de la négociation ? Faut-il s'attendre à des grèves ?
On peut supposer que les mesures que vous avez prises vous permettront de retrouver des marges et de réduire votre dette. Que deviendra alors le projet de monter au capital d'Alitalia ? Est-ce suspendu, abandonné ?
M. Alain Fouché. - Vous avez évoqué Regional Airlines : cette filiale comprend plusieurs centaines de salariés, qui sont inquiets. Il semble qu'Air France favorise ses syndicats de pilotes, qui sont puissants, et que vous voulez récupérer un certain nombre de lignes qui sont desservies par Regional Airlines. Quel est l'avenir de cette compagnie ? Pouvez-vous nous faire une réponse plus claire que la dernière fois que nous vous avons entendu ?
J'habite Poitiers : dans la région, tous les marchés sont raflés par Ryanair, ce qui est désagréable. Répondez-vous à tous les appels d'offres ? Ryanair est aidée, Air France pourrait l'être aussi ! Notre compagnie devrait être plus présente sur ces marchés importants.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je suis bien d'accord : l'omniprésence de Ryanair est agaçante, d'autant que cette compagnie bénéficie d'aides publiques.
En matière d'aménagement du territoire, envisagez-vous de modifier la stratégie d'Air France en direction du rail ? La ligne LGV entre Paris et Bordeaux ouvrira en 2017 : y a-t-il une tentation ?
Il existe de très grandes compagnies de transport de fret. Pour Air France, le fret peut-il être une solution pour contribuer à la rentabilité de l'entreprise ?
Les compagnies des pays émergents sont soutenues par les États. Air France-KLM a-t-elle besoin de plus d'État ?
Quelle est la part des constructeurs d'avions dans la flotte d'Air France ?
M. Alexandre de Juniac. - Nous avons donné comme perspective à la communauté financière - vous savez comme ces communications sont strictement surveillées - des résultats pour 2012 meilleurs que ceux de 2011, et une première diminution de notre dette : nous comptons la faire passer de 6,5 à 4,5 milliards d'euros dans les deux prochaines années, et revenir à la profitabilité dès 2014, pour atteindre un taux de profitabilité compris entre 6 % et 8 % en 2015, ce qui peut paraître faible mais est significatif dans notre secteur. Nous sommes sur le chemin annoncé, mais de justesse. Aussi n'avons-nous d'autre choix que de mettre en oeuvre le plan Transform 2015 dans son intégralité : il n'y a pas de marges de manoeuvre. Nous avons conçu ce plan sur des hypothèses prudentes de croissance du trafic et de nos capacités : jusqu'à 2011, celles-ci croissaient de 4 % à 5 % par an, nous comptons qu'elles augmenteront de 1 % ou 2 % dans les trois prochaines années.
La profitabilité des compagnies américaines s'explique par le dispositif prévu par le chapitre 11, qui leur permet de renégocier leurs engagements avec leurs créanciers, et souvent de les transformer en capital : ainsi Delta a fait des principales banques auprès desquelles elle s'était endettée ses actionnaires. Il permet aussi de renégocier les accords de personnel sous le contrôle du juge, comme le fait actuellement American Airlines. Elles peuvent ainsi transformer complètement leur modèle économique, d'une manière qu'on ne peut pas transposer en France...
L'évolution du trafic est contrastée. Sur le long courrier, les taux de remplissage de nos avions sont bons. Mais sur les court et moyen courriers, alors que le trafic vers l'Europe du Nord et l'alimentation du restent soutenus, les destinations d'Europe du Sud connaissent un fort ralentissement, voire, dans le cas de l'Espagne et de l'Italie, un effondrement du trafic. Le trafic domestique reste très ralenti également, notamment en classe affaires, peut-être parce que les entreprises font désormais voyager leurs employés dans des conditions moins avantageuses, ou les font moins voyager. Nous suivons cette évolution, qui nous inquiète, mois par mois, et même semaine par semaine, voire jour par jour. Heureusement notre équipe de gestion et d'optimisation du remplissage des avions est l'une des meilleures au monde.
Faudra-t-il un deuxième plan Transform ? L'actuel plan était prévu pour les années 2012, 2013 et 2014, avec une clause de rendez-vous au deuxième semestre 2013. Il prévoit 5 122 suppressions d'emplois - toutes par départ volontaire - pour 2012 et 2013, il y aura peut-être une nouvelle tranche pour 2014, si la conjoncture se dégrade ou si nos performances sont inférieures à nos prévisions, mais il est encore beaucoup trop tôt pour le dire : rendez-vous au deuxième semestre 2013. En revanche, de nouvelles restructurations industrielles ne me semblent pas à prévoir.
Il n'est certainement pas question de transformer Air France en une compagnie low cost. D'une part, nos coûts ne sont pas « low », et d'autre part, nous ne cherchons pas à proposer, sous la marque « Air France », un produit au rabais : ce serait une erreur, qui tirerait la marque vers le bas. Le marché du court et moyen courriers se décompose en effet en trois segments : environ 30 % des clients sont prêts à payer sans discuter, soit parce qu'ils ont les moyens, soit parce que c'est leur entreprise qui paie : ce segment a tendance à rétrécir ; la même proportion, à peu près, ne veut pas payer, et joue des comparateurs de prix sur internet pour réduire au maximum la facture : c'est la clientèle des compagnies low cost, et nous n'avons guère de chance de la récupérer ; c'est du low cost de type Ryanair avec lequel nous ne pouvons pas nous battre. Enfin, 40 % du marché fluctue entre les compagnies low cost et notre compagnie, dont ces clients apprécient à l'occasion les prestations : il nous faut absolument les fidéliser. Cette clientèle est l'objet de notre politique commerciale au travers de Transavia, qui est né low cost, et du pôle régional français qui pratiquera des prix réduits avec options. Le réseau Air France lancera bientôt une offre commerciale pour les clients qui n'appartiennent pas aux deux parties supérieures du marché. Elle donnera lieu à une campagne sur les murs de France à compter du 7 janvier.
Air France-KLM est membre de l'alliance Skyteam et nous avons jugé nécessaire de nouer une alliance avec une compagnie du Golfe, Etihad, pour laquelle il s'agit de la seule façon de rivaliser avec Emirates, son grand frère. Un accord de code share a été signé entre les aéroports d'Abu Dhabi, d'une part, et de Schiphol et Roissy Charles de Gaulle (CDG), d'autre part.
M. Gérard Cornu. - Avec qui Emirates est-elle alliée ?
M. Alexandre de Juniac. - Nous avons été précurseurs car aucune compagnie du Golfe n'avait rejoint d'alliance auparavant. La compagnie Emirates estime peut-être pouvoir constituer une alliance autour d'elle. Elle coopère avec Qantas sans pour autant devenir, comme Qatar Airways, membre de l'alliance Oneworld. Le développement des alliances est pertinent car ces compagnies ont des positions fortes dans l'Océan indien au sens large qui représente 1,5 milliard de passagers potentiels et où les compagnies occidentales sont assez faibles. C'est une excellente façon de ramener du trafic sur nos réseaux.
M. Xavier Broseta, directeur général adjoint chargé des ressources humaines. - Nous avons indiqué aux syndicats du personnel navigant commercial (PNC) que nous accorderions une prime à la signature d'accords à l'instar de ce que nous avons fait avec les pilotes et le personnel au sol. Les accords signés avec ces personnels ont eu pour première contrepartie l'engagement de ne pas procéder à de départs contraints d'ici fin 2014. En outre, si Air France revenait à meilleure fortune plus rapidement que prévu, ils bénéficieraient d'émissions d'actions réservées ou de plans d'intéressement et de participation particulièrement musclés. Nous pratiquons la plus grande transparence : les catégories signataires ont chacune désigné un expert au sein du groupe de travail interne chargé du projet qui en valide le degré d'avancement ainsi que les solutions à apporter aux problèmes rencontrés. A défaut d'accord avec les PNC, nous devrons en revanche traiter la question des sureffectifs évalués entre 500 et 600 emplois.
M. Alexandre de Juniac. - Avec Alitalia il s'agit davantage d'une suspension que d'un abandon. Nous ne disposons pas pour l'heure des moyens financiers de monter à son capital et de réaliser cette opération pourtant intéressante pour la couverture du sud de l'Europe.
En revanche, notre coopération avec cette compagnie est exemplaire concernant l'alimentation de nos s et de nos lignes nord et sud américaines en passagers, le domaine industriel - nous assurons la maintenance d'une partie de leurs avions - ou la nourriture à bord. Les principaux actionnaires et les équipes dirigeantes de la compagnie sont aussi très favorables à une alliance avec nous.
Le pôle régional français est un très beau projet regroupant outre Régional, Brit Air, et Airliner. 40 % de son trafic consiste à alimenter nos hubs de Roissy et d'Orly par des avions que nous affrétons, et 60 % est le fait de lignes commerciales propres pour lequel Air France fournit un appui stratégique et commercial. La compagnie Régional a clairement un avenir dans ce pôle, même si la situation sociale y est la plus difficile. Cela tient au fait que cette compagnie s'est historiquement un peu développée en réaction contre la maison mère, ainsi qu'à la césure existant entre ses organisations syndicales et celles d'Air France.
M. Xavier Broseta. - Air France favorise-t-elle ses syndicats par rapport à ceux des autres compagnies ? Il est vrai qu'au printemps, le dialogue avait avancé plus vite avec les syndicats de pilotes d'Air France quant à l'affectation des 120 nouveaux postes à pourvoir dans le cadre du développement de la flotte de Transavia qui doit passer de 8 à 14 avions. Nous nous sommes en effet engagés à leur réserver une part de ces emplois. Toutefois, entre temps, les choses ont mûri et nous nous sommes engagés à créer une filière donnant aux pilotes du pôle un accès aux postes chez Transavia et, sous certaines conditions chez Air France si la compagnie recrutait de nouveau. Aujourd'hui, la direction générale du groupe et les syndicats de pilotes ont le même désir de poursuivre les discussions et d'aboutir.
M. Alexandre de Juniac. - Il faut distinguer deux catégories de low cost. Le premier n'offre aucune prestation et part souvent d'aéroports secondaires, comme c'est le cas de Ryanair. Bien qu'important en Europe, ce marché n'est pas le nôtre. En revanche, nous nous assurons que ces compagnies opèrent dans des conditions de concurrence équitables. Air France a ainsi obtenu des décisions de justice visant à éviter que, sur le territoire national, des personnels n'opèrent avec un statut socialement défavorisé.
D'autres compagnies s'adressent à une partie du marché plus élevée. C'est le cas d'Easyjet qui concurrence directement Air France y compris sur sa clientèle affaire et commence à rencontrer les mêmes contraintes que les compagnies classiques. Les responsables d'Easyjet constatent qu'avec des places attribuées, il est très difficile de réaliser en 30 minutes le turnaround c'est-à-dire l'arrivée, le débarquement et le réembarquement de l'avion. C'est à cette concurrence que notre nouvelle politique commerciale et industrielle s'adresse.
Lorsque le TGV arrive dans une ville, notre trafic entre celle-ci et Paris s'effondre, il est divisé par deux en quelques mois comme l'illustre le cas récent de Strasbourg et comme cela se profile à Bordeaux. Nous ne le voyons pas d'un très bon oeil, d'autant que la concurrence intermodale n'est pas tout à fait équitable. Nous finançons intégralement nos infrastructures alors que tel n'est pas le cas pour le train. Que faisons-nous ? Dans l'intérêt de nos passagers, nous passons des accords avec la SNCF afin de faciliter la desserte de notre hub de Charles De Gaulle.
J'insiste toutefois sur le fait que l'accessibilité de nos hubs parisiens est désastreuse, que ce soit par le train, les transports publics ou la route. Il s'agit d'un problème d'intérêt général ; cette situation est indigne de la France !
M. Raymond Vall, président. - C'est aussi valable pour de nombreux aéroports de province.
M. Alexandre de Juniac. - Mais certains, comme l'aéroport de Lyon sont très bien desservis.
M. Raymond Vall, président. - Il est nouveau.
M. Alexandre de Juniac. - Absolument, mais Charles de Gaulle est une plate forme internationale qui a vocation à devenir le premier d'Europe.
M. Raymond Vall, président. - Le Grand Paris devrait améliorer la situation.
M. Alexandre de Juniac. - Effectivement plusieurs projets coexistent : CDG Express, le Grand Paris Express, ou encore la desserte routière pour laquelle il y a encore beaucoup à faire... Ce constat vaut aussi pour Orly, très important pour l'aménagement du territoire.
La situation du fret est très difficile car au ralentissement du commerce mondial s'ajoute une surcapacité chronique liée à l'arrivée d'avions cargo du Golfe ou de Chine ainsi qu'à l'augmentation de la taille des soutes de nos avions ; la soute du Boeing 777 est le double de celle du 747. Face à cette situation de demande déprimée et d'offre sur-capacitaire, Qantas s'est retiré de la compagnie luxembourgeoise Cargolux et les Allemands ont abandonné leur joint venture avec des partenaires chinois. En outre, le transport maritime a fait de nombreux progrès notamment en matière de produits frais puisqu'il est par exemple désormais possible d'endormir les fleurs...
Faut-il plus d'Etat ? L'Etat nous a beaucoup soutenus dans la mise en place de Transform. Son intervention dans la compagnie serait impossible compte tenu des règles européennes. N'oublions pas que KLM est aussi la compagnie nationale des Pays-Bas. Cette alliance est absolument fondamentale : pour KLM tout serait fini sans Air France, mais Air France n'irait pas bien non plus sans KLM. Cette dernière dispose en effet d'une très forte ouverture internationale liée à la position du pays : nos deux réseaux constituent une force formidable.
Il est important que l'Etat vérifie que les conditions de concurrence européenne et internationales sont bien respectées. Dès que l'on accorde un droit de trafic à une compagnie non européenne bénéficiant des conditions offertes à l'est de l'Europe, on fait partir de l'emploi ; il faut le savoir.
Les appareils moyens courriers d'Air France sont pour 75 % des Airbus et pour 25 % des Boeing, contre respectivement 35 % et 65 % pour les appareils longs courriers. Ces proportions relativement équilibrées sont raisonnables pour une compagnie comme la nôtre. Depuis la commande d'A350 passée en 2011, KLM commence à exploiter des Airbus.
M. Gérard Cornu. - Avec son endettement, Air France est un colosse aux pieds d'argile. Etes-vous à l'abri d'une OPA qui serait lancée par une ou deux compagnies chinoises membres de Skyteam ?
Dans la lutte contre le low cost menée au travers de Transavia, avez-vous envisagé qu'Air France transfère des slots à cette compagnie ?
Vous n'avez curieusement pas évoqué le taux de remplissage des avions : c'est pourtant un élément essentiel...
Si votre hub est situé à Roissy, est-il néanmoins possible que des slots soient transférés à l'aéroport d'Orly qui est plus accessible lorsque l'on vient du sud ou de l'ouest de la France ?
Mme Évelyne Didier. - Merci pour la clarté de votre exposé et de vos réponses.
Que représente la masse salariale dans votre budget ?
Avec le chemin de fer, y a-t-il concurrence ou complémentarité ? Ce qui compte pour l'aménagement du territoire, c'est d'offrir la meilleure desserte possible quel que soit le mode de transport utilisé.
Vous avez un concurrent encore plus favorisé que le rail : c'est la route, qui ne paie rien. Là comme ailleurs, la concurrence loyale et non faussée n'existe pas. Il faudra bien un jour poser clairement cette question.
Dans le low cost, jusqu'où peut-on aller en matière de sécurité et de conditions de travail des salariés ?
M. Jean-Luc Fichet. - Je prends toutes les semaines l'avion à l'aéroport de Brest Guipavas qui vient d'être refait par la chambre de commerce et d'industrie. Toutefois, depuis un mois, nous empruntons des petits avions auxquels on n'accède plus par la passerelle. Ils sont souvent en retard et cela fait par exemple trois fois que je suis sur liste d'attente... Le temps de trajet en train de Paris à Rennes diminuera bientôt ; nous risquons alors d'être nombreux à préférer ce mode de transport. C'est notamment le cas de ceux qui, comme moi seront à trois heures et demie de Paris. Je tenais à vous faire part de notre fort mécontentement. Cette situation va-t-elle durer ?
M. Jacques Cornano. - Il existe une forte demande de vols vers la Guadeloupe et la Martinique au départ de Charles de Gaulle. Nous avons pu le constater notamment auprès de nos interlocuteurs rencontrés au Canada dans le cadre de l'agenda interterritorial. En effet, le transit actuel par Orly s'avère très compliqué.
M. Raymond Vall, président. - Qu'en est-il de la transition écologique et des évolutions notamment en matière de carburant ?
M. Alexandre de Juniac. - Je ne crois pas au risque d'OPA, et ce pour plusieurs raisons : des intérêts non européens ne peuvent pas prendre plus de 50 % de nos entreprises. Même si le cours de notre action est bas, la mariée n'est pas suffisamment belle ! Enfin, il n'est pas d'exemple d'OPA hostile dans ce secteur, auquel les Etats sont très sensibles.
Nous luttons contre les low cost en nous appuyant sur l'ensemble du réseau point à point, c'est-à-dire à la fois sur le pôle régional français, le réseau Air France opérant à partir d'Orly et Transavia. Nous ne prévoyons pas de transferts de slots d'Air France vers Transavia mais nous procéderons d'ici trois à cinq ans à des échanges de lignes dans les deux sens entre ces compagnies. Un peu de souplesse est nécessaire, ce que les pilotes ont bien compris.
M. Xavier Broseta. - Les deux compagnies vont commencer à exploiter des routes en parallèle, Air France assurant les dessertes aux deux extrémités de la journée et Transavia conservant les horaires où le nombre de passagers loisirs est plus important. Il ne s'agit pas d'échanges mais de slots supplémentaires.
M. Alexandre de Juniac. - KLM le fait déjà avec un certain succès. En outre, à partir d'avril 2013, quatre vols - et non des slots - seront transférés de Roissy à Orly.
La masse salariale représente 33 % de nos coûts, ce qui est supérieur aux autres compagnies comparables... ce qui explique que nous devons accomplir un effort important en ce domaine.
Il est vrai que la route finance encore moins son infrastructure que le rail. Pour nous, il importe de réduire au maximum la part des taxes et des redevances, faute de quoi l'on tuera la compagnie française. L'un des avantages des compagnies du Golfe est précisément qu'elles ne paient pas leurs infrastructures. Contrairement à l'Europe, ces pays ont fait le choix d'un financement par l'impôt.
Il faut reconnaître la réussite des low cost qui on créé les seules compagnies véritablement européennes. Elles ne l'ont pas fait au détriment de la sécurité.
M. Gérard Cornu. - Même Ryanair, qui fait décoller des avions avec des réservoirs qui ne sont pas remplis ?
M. Alexandre de Juniac. - Oui, même Ryanair. Toutes les compagnies font attention au carburant car plus vous en emportez, plus vous êtes lourd et plus vous en consommez.
Contrairement ce que l'on entend parfois, l'on ne peut pas non plus accuser Air France de faire le moindre compromis sur la sécurité. Tous nos investissements ont baissé sauf ceux sur la sécurité, où ils n'ont pas été affectés ne serait-ce que d'un euro.
La limite au low cost, c'est ce que les voyageurs sont prêts à accepter. On a envisagé de les faire voyager debout ou de faire payer les toilettes... A partir d'un certain moment, on ne peut pas aller plus loin. Par exemple aux États-Unis, la progression des low cost s'est arrêtée pour se stabiliser entre 30 % et 40 % du marché.
M. Xavier Broseta. - Les accords que nous avons passés avec les pilotes et les personnels au sol ne remettent pas en cause le niveau actuel des salaires. Nous obtenons en revanche des gains de productivité en augmentant le temps de travail. Pour les personnels au sol, nous revenons aux 35 heures. Dans l'accord avec les pilotes et dans le projet concernant les hôtesses et les stewards, le temps de travail augmente de 10 %, soit très en-deçà des maxima prévus par le code de l'aviation civile.
La sécurité au travail est prise très au sérieux car elle est le corollaire de la sécurité en vol pour laquelle nous sommes presque à égalité avec les meilleures compagnies de notre catégorie. Enfin, Air France est une référence pour la prévention des risques psychosociaux (RPS).
M. Alexandre de Juniac. - Si l'on nous demande parfois de se rendre aux Antilles à partir de Charles de Gaulle de façon à assurer des correspondances, 95 % de nos clients sont satisfaits par Orly.
M. Jacques Cornano. - Orly convient pour les domiens qui habitent l'Île-de-France ou la province mais gêne les touristes étrangers. Cela freine le développement du tourisme en Guadeloupe et en Martinique : je l'ai constaté lors d'une rencontre à Laval, au Canada, dans le cadre des objectifs du millénaire.
M. Zoran Jelkic, directeur de cabinet de M. de Juniac. - Depuis l'hiver 2011, nous avons mis en place à titre expérimental deux vols quotidiens de Roissy, l'un vers la Martinique et l'autre vers le Guadeloupe. Le bilan auquel nous procédons révèle que cela n'a pas créé de trafic supplémentaire. Il s'agit de vols bien positionnés, le samedi et le dimanche, mais le trafic européen demeure très limité et ces vols sont moins intéressants pour nous que ceux partant d'Orly.
M. Alexandre de Juniac. - Notre compagnie contribue à la transition écologique en agissant, en premier lieu, sur les nuisances sonores. Le transport aérien est l'une des seules industries qui paye une taxe en la matière. Cela fonctionne bien, même si l'on peut s'étonner de plaintes émanant de riverains souvent installés dans ces zones alors que l'aéroport existait déjà. Les appareils contribuent beaucoup à cette amélioration : un A380 est, par exemple, deux fois moins bruyant qu'un 747.
En second lieu, nous limitons les émissions de dioxyde de carbone et d'oxyde d'azote. Comme KLM nous utilisons des bio-fuels, ce qui fonctionne mais avec les avantages et les inconvénients de ces carburants.
Enfin, nous menons des programmes d'économie d'énergie largement dictés par le prix du pétrole, qui est notre premier poste de dépenses. Depuis mon arrivée, les comptes d'Air France ont fluctué d'un milliard et demi du seul fait des variations des cours du pétrole ! Nous avons aussi des programmes d'économie d'énergie au sol et dans la gestion des vols, les pilotes y sont très impliqués. L'essentiel des progrès viendra toutefois des constructeurs d'avions et des motoristes.
A Brest, l'utilisation d'avions plus petits - qui implique le recours à des escabeaux, et non à des passerelles - est justifiée par le faible niveau de trafic. Le coût d'exploitation rapporté au siège de ce type d'avions étant deux fois supérieur à celui d'un appareil plus grand, ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre. Nous allons regarder ce qu'il en est précisément dans ce cas d'espèce.
M. Jean-Luc Fichet. - Nous avons construit un aéroport tout neuf avec ses passerelles et maintenant, on nous demande d'emprunter les escabeaux ! Je comprends qu'il n'y ait pas assez de passagers, mais pour mon retour de ce soir je suis encore sur liste d'attente... Beaucoup préféreront sans doute le train lorsque nous serons à 3 heures 30 de Paris.
M. Alexandre de Juniac. - Je précise que ce service est assuré par Brit Air, installé à Morlaix...
M. Jean-Luc Fichet. - Certes, mais c'est le passager qui doit être au coeur du système. C'est lui qui fait le trafic. Je le dis aussi pour Brit Air.
M. Raymond Vall, président. - Merci de votre franchise et de votre clarté alors qu'Air France traverse une période difficile.
Audition de M. Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France
La commission procède à l'audition de M. Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France.
M. Raymond Vall, président. - M. Rapoport est candidat aux fonctions de président de Réseau ferré de France (RFF). Nous l'auditionnons en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, sa nomination par décret en Conseil des ministres ne pouvant intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition, publique et ouverte à la presse, sera suivie d'un vote à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. La loi proscrit dans ce cas toute délégation de vote, et oblige à un dépouillement simultané des votes à l'Assemblée nationale et au Sénat. La nomination du candidat sera écartée si les trois cinquièmes des suffrages exprimés par les sénateurs et les députés sont négatifs.
Monsieur Jacques Rapoport, vous êtes inspecteur général des finances et vous avez consacré une bonne partie de votre carrière aux transports, en particulier à la RATP où vous avez dirigé aussi bien les finances, l'exploitation du métro, le pôle industriel que le pôle opérations, mais aussi à Keolis, une filiale de la SNCF. Vous avez également été secrétaire général du ministère des affaires sociales et directeur général des bureaux de poste au groupe La Poste, ce qui vous qualifie tout particulièrement pour diriger des structures publiques en transformation et aux métiers très nombreux.
Votre candidature intervient à un moment stratégique pour le rail français. Le ministre chargé des transports a annoncé la création, l'an prochain, d'un « pôle public ferroviaire intégré » qui comporterait une sorte de holding surplombant la SNCF et un « gestionnaire d'infrastructures unifié » (GIU), lequel regrouperait les 1 500 salariés de RFF et les 55 000 cheminots de SNCF Infra qui s'occupent actuellement des horaires, de la régulation du trafic, de la gestion des circulations, de la maintenance et de l'ingénierie.
L'idée est de rationaliser l'organisation actuelle, dans laquelle RFF est responsable des travaux et des sillons, sans maîtriser le personnel, ni l'organisation pratique des équipes. Le gouvernement a décidé le regroupement des équipes, ce qui va dans le bon sens, comme l'ont montré il y a un an les Assises du ferroviaire. Cependant, la forme de cette holding reste à définir, d'une manière qui rende possible la concurrence : le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence et le transport national de voyageurs le sera dans six ans, l'opérateur SNCF ne doit donc pas être en position d'organiser le marché ni d'en maîtriser suffisamment les règles pour pouvoir empêcher les concurrents d'y venir.
Nous aurons de nombreux aspects à préciser. Nous pouvons nous inspirer de nos voisins allemands qui ont concilié intégration et respect des règles de la concurrence, mais, comme s'y est engagé le ministre, nous devrons trouver une voie française, adaptée à notre situation. RFF doit trouver toute sa place dans ce paysage, pour participer pleinement à la grande réforme ferroviaire. En quinze ans, RFF a su remettre de l'ordre dans la planification du réseau, qui avait trop longtemps été délaissé au profit du seul TGV. Nous avons entendu la Cour des comptes : des progrès importants ont été faits sur la régénération des voies, salués par l'école polytechnique de Lausanne cette année encore : RFF rénove mille kilomètres de lignes par an. À ce rythme, le vieillissement du réseau devrait cesser vers 2017 - c'est dire l'ampleur de la tâche.
Selon le contrat signé avec l'État en 2008, RFF mobiliserait 13 milliards d'euros entre 2009 et 2015 ; l'établissement propose même d'accélérer le rythme avec un nouveau programme de modernisation du réseau. Cependant, le coût complet du réseau est estimé à 7 milliards d'euros par an, qui ne sont couverts que pour moitié par les péages facturés aux utilisateurs. RFF a une dette de 29 milliards d'euros et ses charges continuent d'augmenter deux fois plus vite que les recettes.
Le problème tient pour beaucoup de la quadrature du cercle, d'autant que vous ne maîtriserez qu'une partie des paramètres, en particulier sur la gestion de la dette que RFF a héritée. Quelle serait votre feuille de route ? Comment voyez-vous l'évolution du réseau ferré dans ses différentes composantes ? À quoi devrait ressembler, selon vous, la holding du pôle public ferroviaire ? Comment voyez-vous le passage entre la situation actuelle et celle du « gestionnaire d'infrastructures unifié » ?
M. Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France. - Je suis très heureux de me présenter devant vous dans le cadre de cette candidature. Comme ce n'est pas pour tirer le bilan d'une action, je ne puis qu'ébaucher quelques éléments de réponse à ces questions.
Les Français sont très attachés au train, qui fait partie de notre culture du service public. Toutefois, notre système ferroviaire est confronté à de graves défis techniques, financiers, commerciaux. Même s'il est, d'un point de vue comptable, un actif dans les comptes de RFF, notre réseau est un patrimoine public qui appartient à toute la nation. Nous sommes redevables de sa pérennité, ce qui nous impose d'importants travaux de maintenance, de rénovation, de modernisation. Nous devons également le développer : les besoins de transport de la population ne cessent d'augmenter - ce qui est une excellente chose.
Le financement du transport ferroviaire est déséquilibré. Il coûte une vingtaine de milliards d'euros - dont sept pour l'infrastructure - et présente un déficit annuel de 1,5 milliard, sachant qu'il y a déjà une importante contribution publique, les clients n'en financent que la moitié. Nous devons résoudre cette grave crise financière.
L'ouverture à la concurrence est déjà faite juridiquement pour le fret et pour le transport international de voyageurs, et la date de 2019 évoquée pour sa généralisation est très proche, pour un système de cette ampleur : ce n'est pas en 2018 qu'on s'y préparera ! Je ne crains pas cette concurrence car je considère que l'excellence française doit l'emporter. Si vous m'accordez votre confiance, c'est dans cet esprit que j'agirai : dans un monde difficile de compétition et d'exigence, garantir à l'excellence française la première place - non par des barrières ou des monopoles, mais par l'exigence sur tous les plans, du service des voyageurs à la performance économique, en passant par le professionnalisme du personnel.
Mon action devra s'inscrire dans la durée, et se caractériser par la détermination et la persévérance. Ce ne sont pas que des mots. Je parle de détermination, parce que la voie de la facilité à court terme existe dans un système aussi lourd, où le long terme l'emporte : c'est celle de l'endettement et du lent déclin, imperceptible d'une année sur l'autre. Je parle aussi de persévérance, parce que l'évolution de cet immense patrimoine ne peut se faire que dans la durée. Les coups d'éclats n'amènent rien.
Quoique l'exercice ne m'agrée guère, je dois parler un peu de moi-même. J'ai consacré toute ma vie professionnelle au service public, dans l'administration des finances, dans l'administration sociale où j'ai été très heureux, à la RATP où j'ai passé quinze années et où j'ai exercé des fonctions financières, puis d'exploitation technique, ce qui m'a donné le privilège de diriger les ingénieurs de la RATP, des hommes et des femmes d'exception. J'ai ensuite travaillé à Keolis, puis, depuis cinq ans, à La Poste, où, sous l'autorité du président Bailly, nous conduisons la modernisation du réseau des bureaux. Sans y avoir été impliqué récemment, je connais bien le réseau des transports publics. J'ai pour lui beaucoup d'affection et je lui ai consacré beaucoup d'énergie. Il est tellement vital pour l'équilibre du pays et pour la cohésion nationale et le bien-être des populations que c'est avec beaucoup d'ambition, d'enthousiasme et de plaisir que je le rejoindrais. Les cinq années que j'ai passées à La Poste m'ont montré combien les questions d'aménagement du territoire sont importantes : il est clair que le chemin de fer contribue beaucoup aux équilibres territoriaux.
Avant de répondre à vos questions, je tiens à souligner combien l'action de l'actuel président de RFF, M. Hubert du Mesnil, a été importante et décisive, dans un contexte difficile. Certes, la facilité n'est pas pour demain, ni pour après-demain, mais les années passées ont été particulièrement difficiles. Le système ferroviaire français et RFF ont connu sous son impulsion des progrès très importants.
À son actif, d'abord, il y a cette prise de conscience qu'après des années et des années de développement de lignes nouvelles, il ne fallait pas oublier la préservation du patrimoine existant. Avec sa grande, et ancienne, compétence en matière de transports, il a pu sonner l'alarme et convaincre les acteurs du monde ferroviaire de la nécessité d'accélérer les opérations de maintenance qui avaient été perdues de vue pendant deux ou trois décennies.
Il a également donné à RFF, au côté de la SNCF dont le rôle est irremplaçable, les moyens de mettre en place des outils de régulation qui créent les conditions pour que la concurrence ferroviaire soit un levier de développement et non un risque de déclin. Je pense à la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF), à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), au développement des autorités organisatrices régionales de transport. La concurrence est la pire des choses quand elle trouve son équilibre par du dumping, social ou aussi bien technique, ce dont on parle moins. Elle peut être la meilleure si l'on développe des instances de régulation, ce qu'a fait Hubert du Mesnil, aidant ainsi beaucoup le transport français à se préparer à la concurrence.
Il a également été un acteur très actif de la préparation de la réforme annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre. Il a su convaincre que responsabilité ne signifiait pas cloisonnement. Chaque fonction du système ferroviaire doit disposer des leviers d'action pour assumer les responsabilités qui lui reviennent. Il faut sortir de la mentalité consistant à se défausser systématiquement sur d'autres. Tous doivent travailler ensemble, avec pour objectif l'excellence du service public à la française. L'action d'Hubert du Mesnil a donc créé les conditions du succès dans les prochaines années.
La réforme ferroviaire annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre doit assurer la performance du système ferroviaire français, en assurant le double équilibre que je viens de suggérer : l'intégration de chacune des deux grandes fonctions, de transport et d'infrastructure. Elle découle des Assises du ferroviaire, qui ont fait apparaître un large consensus sur l'intérêt de regrouper l'ensemble des fonctions propres à assurer le bon état de l'infrastructure. Le système ferroviaire constitue un ensemble : les rails n'existent que pour les trains, et les trains ont besoin des rails. Les acteurs doivent donc travailler de façon intégrée.
Quelle sera la déclinaison opérationnelle de ces orientations ? Le ministre a confié à Jean-Louis Bianco mission de préparer la loi et de définir les éléments opérationnels pour décliner ces orientations générales. Il a demandé à Guillaume Pépy ainsi qu'à moi-même de formuler ensemble des propositions en liaison avec M. Bianco, et de mettre en place les dynamiques opérationnelles pour anticiper cette double intégration.
Nous pouvons avancer vite sur certains points. Ainsi, nous avons élaboré ensemble un document sur la sécurité ferroviaire, sur les règles ferroviaires et les modalités de traitement des incidents : c'est bien entre l'infrastructure et l'exploitant que les choses doivent se régler. Nous pouvons progresser aussi sur les garanties accordées au personnel et la gestion des ressources humaines. Nous nous situons évidemment dans le cadre du statut des cheminots. La SNCF a une longue histoire, porteuse de joies et de peines, d'éléments essentiels de notre grand service public. Dans la perspective de cette réforme institutionnelle, nous devons pouvoir garantir au personnel la préservation et même le développement de son professionnalisme. Le chemin de fer, comme tous les secteurs économiques, est confronté à l'introduction de technologies innovantes que chacun doit pouvoir maîtriser. Le ministre souhaite donc que soit défini un cadre social pour l'ensemble du secteur ferroviaire, public et privé, afin que la concurrence s'exerce dans de bonnes conditions.
La notion de pôle public ferroviaire intégré a fait l'objet de débats à tout le moins émotionnels... Il faut prendre en compte l'histoire : le chemin de fer est présent dans notre pays depuis 180 ans et depuis lors se sont accumulés beaucoup de savoirs nouveaux. Voilà un pôle d'excellence française. Valorisons-le, pour le renforcer et le préparer à la concurrence.
Pensez à l'interface entre le métier de transporteur et celui de gestionnaire d'infrastructures. Si un train privé tombe en panne et bloque une ligne, qui doit le dépanner ? Les systèmes de contrôle et de commande des trains comportent un ordinateur embarqué, un ordinateur au sol et un réseau radio ; on ne peut pas imaginer que chacun gère son ordinateur sans se préoccuper de l'autre. Le pôle public ferroviaire intégré, c'est l'intégration sous l'égide de celui qui possède le savoir historique, c'est-à-dire la SNCF, de toutes les dimensions techniques nécessitant une interface entre les deux acteurs, et aussi des dimensions sociales. RFF n'aura plus que quelques centaines d'ingénieurs mais il aura aussi des dizaines de milliers d'opérateurs et de cheminots, qui seront évidemment gérés comme ceux qui resteront à la SNCF, dans le cadre d'un statut qui apporte des garanties et favorise cette mobilité interne qui constitue une des forces du service public.
Nous partageons la volonté de construire un système efficace, propre à une identification claire des responsabilités et à une intégration systémique. J'ai commencé à travailler avec Guillaume Pépy, et je prends devant vous l'engagement, en mon nom comme en le sien, que nous saurons faire des propositions communes au ministre ; il n'y aura pas de divergence. Nous devons être les meilleurs en 2019 : une seule place convient au service public à la française, la première. Nous devons nous préparer à la concurrence pour l'attendre avec une parfaite sérénité.
Nous allons accélérer le plan de rénovation et de modernisation du réseau, indispensable pour l'ensemble des circulations ferroviaires et pour la promotion du fret. En l'état actuel, le fret est le parent pauvre des circulations ; ce n'est pas une fatalité ! Il faut simplement améliorer l'efficacité du réseau, et cela incombe à RFF. Quatre lignes à grande vitesse sont en construction ou en préparation, nous devons travailler avec toujours plus d'acuité sur le financement de projets et veiller à la performance économique.
Pour réduire notre déficit, nous avons plusieurs leviers. Une meilleure identification des responsabilités nous fera gagner en productivité et réduira donc les coûts : les activités de maintenance continueront de croître, avec les besoins, mais la croissance des dépenses sera moindre. Une meilleure maîtrise du financement de projets nous fera également progresser dans la bonne voie. Et il faudra poser la question des contributions. Ces marges de manoeuvres seront-elles suffisantes pour équilibrer le système ? Je ne saurais l'affirmer. Mais notre système ferroviaire a tous les leviers pour surmonter les défis difficiles qu'il a devant lui.
M. Raymond Vall, président. - Merci. Vous avez montré beaucoup d'énergie et une volonté de réussir dans cette mission difficile. Vous avez fait un bilan à la fois réaliste et plein d'espoir.
M. Michel Teston. - J'ai toujours été opposé à la réforme de 1997 qui a séparé l'exploitant historique et le gestionnaire d'infrastructures. Mais j'ai toujours apprécié la qualité du travail effectué par RFF, et par ses présidents successifs - vous avez bien fait de rappeler l'action d'Hubert du Mesnil. Je note avec satisfaction que le gouvernement veut revoir la question, sans fusionner pour autant les activités de gestionnaire d'infrastructures et l'activité d'exploitant principal.
La priorité pour RFF doit être la régénération du réseau. On arrive désormais à régénérer mille kilomètres de ligne chaque année, contre cinq cents il y a quelques années. L'actualisation de l'étude menée par l'école polytechnique de Lausanne fait apparaître qu'il faut accélérer si l'on veut prendre le dessus sur la dégradation du réseau. Dans certains territoires, les temps d'accessibilité sont excessifs, alors qu'il y a un bassin de population susceptible d'utiliser le chemin de fer. Il faudra donc continuer à développer le réseau ferroviaire à grande vitesse, mais peut-être pas au rythme qui a été retenu jusqu'à présent.
Il faut, aussi, réduire la dette de 29 milliards d'euros, qui oblige RFF à lever chaque année 1,4 milliard d'euros sur les marchés financiers, ce qui est énorme et diminue d'autant les moyens pour la rénovation du réseau et l'ouverture de lignes nouvelles. Pensez-vous que l'écotaxe poids lourds va apporter des moyens suffisants à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) face aux besoins d'investissement ?
Il faut, également, développer le fret ferroviaire. L'amélioration du réseau classique y contribuera, mais il manque encore des maillons. En particulier, comment aller du port du Havre à l'Est de la France sans passer par la région parisienne ? Il faut remettre à niveau la ligne Serqueux-Gisors et l'électrifier.
Il faut, enfin, se donner les moyens propres à favoriser l'acceptabilité sociale du développement du fret ferroviaire sur les lignes classiques, en particulier quand elles sont empruntées fréquemment, avec des nuisances importantes. Pour la rive droite du Rhône et l'Ardèche en particulier, nous avons progressé. La question se posera bientôt dans l'Est de la France aussi.
M. Alain Fouché. - J'ai eu le privilège de siéger au conseil d'administration de RFF, désigné par le ministre des Transports de l'époque, avec M. Zeller et Mme Keller. J'ai donc vu comment fonctionnait l'entreprise. Elle est endettée, mais pas de sa responsabilité : elle a hérité de dettes de la SNCF et elle s'est parfois substituée aux collectivités qui refusaient de financer leur part de certains chantiers, comme celui de la LGV Atlantique. Il ne s'agit donc pas de mauvaise gestion ou d'erreurs de commandement. Je suis convaincu de la nécessité du rapprochement avec la SNCF, malgré les rivalités qui ont pu exister entre les deux entreprises.
La loi de Mme Duflot sur le logement social propose la mise à disposition de terrains appartenant à RFF et à la SNCF, qui ont très mal géré leur patrimoine : dans certains départements on a laissé des terrains, des gares s'effondrer au lieu de les vendre dans de bonnes conditions. Autant les mettre à disposition, dès lors, pour faire des logements sociaux.
Certaines voies pourraient être réhabilitées dans l'esprit du Grenelle. Avez-vous une réflexion sur ce point ?
M. Alain Houpert. - Vous semblez être un grand connaisseur des voies ferrées, et votre passage à La Poste vous a donné du cachet. La France est le Finistère de l'Europe et tous les Européens passent chez nous pour aller à Lutèce ou sur nos belles côtes. Les autoroutes et les voies ferrées sont une vitrine. Vous avez parlé du déclin qui s'y installait, d'année en année, et dit qu'il allait s'arrêter. Il y a deux territoires en France : la façade, urbaine qu'on connaît, et la ruralité. Ce déclin fait des laissés pour compte, les réseaux secondaires. Ils constituent un maillage territorial qui permet à nos citoyens de se déplacer vers la ville. Le fret est désormais chargé sur des camions dans ces zones secondaires. Je crains une France des autobus et des camions. Il faut en faire une grande cause nationale, car sans voie ferrée, sans autoroute, on tombe dans l'hyper-ruralité et on crée une fracture difficile à résorber. Il faut avoir conscience de cela dans nos politiques d'aménagement. La France, première destination mondiale, ne doit pas être irriguée uniquement par quelques grands axes. Les touristes doivent pouvoir aller au fond des vallées dans de belles petites michelines, et il faut pouvoir y amener les céréales, comme il y a une ou deux décennies, par le train et non en camion.
Mme Évelyne Didier. - Vous avez tenu exactement le discours que nous pouvions vouloir entendre. La description que vous avez faite du service public me convient parfaitement. Je crois que c'est effectivement un pôle d'excellence et que, s'il s'en est parfois écarté, c'est plus du fait des directions que du personnel. La qualité de notre réseau ferroviaire est préservée, même si une rénovation profonde s'impose. Mais nous avons des sillons très concentrés ; comment faire en cas d'accident majeur si n'existe aucune ligne de délestage ? La question s'est posée lorsque la ligne vers le Luxembourg a été coupée. On omet toujours de dire que si notre réseau était correctement entretenu - et nous savons bien qui est responsable de son état actuel - la vitesse des trains serait supérieure et nous n'aurions pas besoin de mettre des TGV partout. Il ne faut pas laisser se dégrader les lignes entre capitales régionales. Les cheminots ont trop souvent été caricaturés ; ils aiment leur métier, leur entreprise : travailler aux chemins de fer est leur fierté.
Les accidents sont de plus en plus des accidents de personne, ou bien sont dus à des vols de cuivre : comment améliorer la situation ?
M. Jean-Jacques Filleul. - J'ai eu des relations difficiles avec les présidents de RFF, mais j'ai apprécié votre discours, la manière dont vous avez parlé du ferroviaire, du pôle public ferroviaire intégré. J'ai la conviction que ce ne sont pas que des propos de présentation et que l'homme qui sera président de RFF travaillera sur ces bases, qui me paraissent indispensables si l'on veut que l'excellence française l'emporte.
Le pôle public ferroviaire intégré devra jouer pleinement son rôle pour la reconquête des finances, la préparation à la concurrence. Vous avez évoqué le problème du fret, il me tient tout particulièrement à coeur. Tout le monde en parle depuis vingt ans, mais le fret ferroviaire est tombé à 7 % et le fret aérien ne va guère mieux. Que reste-t-il ? Des poids lourds, de plus en plus imposants. Cela ne nous convient pas. Nous en avons parlé au ministre ; nous a-t-il entendus ? Il faut un vrai plan national, voire européen. Il n'est pas réaliste de prétendre amener le fret sur des lignes qui, comme Paris-Bordeaux-Irun, sont déjà saturées. Il faut sans doute créer des lignes spécifiques pour le fret, dans le cadre de grands travaux éventuellement aidés par l'Europe. C'est très important, en particulier pour donner à nos ports, dont on déplore souvent qu'ils soient en retard par rapport à ceux du Nord, l'hinterland qui leur manque.
Si vous pouviez, enfin, faire en sorte que les rapports entre RFF, la société Vinci et les maires soient pacifiés, ce serait une bonne chose...
M. Francis Grignon. - Vous avez indiqué que l'excellence française doit l'emporter : on ne peut qu'être d'accord. Encore faut-il la considérer sous l'angle de l'équilibre et non de la performance à tout prix.
Serez-vous entièrement favorable au TGV, ou accepterez-vous, contrairement aux voeux des élus, d'avoir des trains adaptés aux fonctions qu'ils ont à remplir sur les territoires ? L'excellence, c'est l'organisation, les moyens, les hommes. Il faut regrouper toutes les fonctions régaliennes. Pour avoir auditionné toutes les parties prenantes, je peux dire que les dysfonctionnements étaient nombreux. Le regroupement est une bonne chose.
Pour faire des travaux convenablement, il faut avoir la main sur les sillons, et tenir compte des exigences commerciales des uns et des autres. Le conseil d'administration de la SNCF et son directeur chargé du fret se plaignent du manque de sillons. Allons-nous enfin faire des efforts dans ce domaine ? Le fret, c'est d'abord une réalité économique, une organisation industrielle complètement différente de l'Allemagne. Les péniches arrivent d'Anvers et de Rotterdam à Duisbourg, d'où partent des dizaines de lignes pour irriguer la Ruhr et tout le pays. Nous n'avons rien de tel en France, nous n'avons même pas voulu du canal du Rhône au Rhin !
Les opérateurs privés sont très attachés à réaliser eux-mêmes la maintenance du matériel roulant. Avez-vous l'intention d'effectuer vous-même cette maintenance et de le leur imposer ?
On ne peut pas supprimer un statut du jour au lendemain. Vous allez gérer deux types de personnel, celui de RFF qui n'a pas de statut et les cheminots sous statut de la SNCF. Allez-vous faire passer le personnel de RFF sous statut ? Qu'adviendra-t-il du statut des cheminots ? Les départs en retraite sont nombreux en ce moment ; n'est-ce pas l'occasion d'une évolution statutaire ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Au cours de votre carrière à la RATP, vous avez été directeur du métro. Maire du Bourget, j'utilise le RER B pour me rendre au Sénat : quand tout fonctionne, c'est très bien... Nous sommes suspendus aux annonces : hier, c'était le B+ ; il est en retard. Maintenant on nous parle du B++... Comment concevez-vous l'amélioration des transports en Ile de France ? Un saut qualitatif est indispensable. La tangentielle nord était annoncée pour la fin de l'année 2014 : nous apprenons qu'elle aura deux ans de retard, et plus encore puisque fin 2016 signifie en réalité mi-2017. Comment voyez-vous le lien avec le Grand Paris Express et quel peut être votre rôle sur ce sujet ? Je sais bien que, dans l'attente du rapport Auzannet et de la discussion interministérielle, le sujet est sensible. Mais pour les usagers, l'urgence est là : il faut prendre le problème à bras le corps et dans sa globalité, ce qui nous renvoie à la gouvernance. Or, entre le syndicat des transports d'Île-de-France (STIF), la Société du Grand Paris (SGP), la RATP, RFF, la SNCF, on a l'impression qu'on n'en sortira jamais...
Enfin, un tour de table serait en cours entre la SNCF, la RATP, RFF et Aéroports de Paris (ADP) au sujet du « CDG Express ». Quelle est votre position à ce sujet ? Alexandre de Juniac nous a dit combien la mauvaise liaison du centre de la capitale à l'aéroport était préjudiciable. On ne saurait construire le CDG Express sans régler préalablement les problèmes que j'évoquais, du RER B aux métros du grand Paris. On ne peut n'avoir de transports efficaces que pour ceux qui se rendent dans les aéroports ! Il faut donc faire les deux.
M. Jacques Rapoport. - Je suis très sensible à l'intérêt que vous manifestez au sujet et sollicite votre indulgence : je ne suis que candidat. Mon propos vous a convenu, tant mieux, mais je ne l'ai pas tenu pour vous complaire. Je suis fier et heureux de participer au service public depuis 35 ans et d'y achever mon parcours professionnel.
Les priorités ? D'une certaine façon, tous les sujets sont prioritaires, tous les thèmes que vous avez abordés méritent d'être considérés. Emerge cependant depuis quelques années une priorité qui fait consensus : la sauvegarde du patrimoine. Cela ne diminue en rien l'importance des autres sujets mais nous ne pouvons en faire abstraction lorsque nous envisageons les nouveaux projets. Nous nous appuyons sur des expertises externes, notamment celle de l'école polytechnique de Lausanne, qui nous évalue tous les six ans environ. Je préfère parler de kilomètres de voies que de coûts et je dirai qu'une bonne façon de faire mieux consiste à faire moins cher au kilomètre, non en sacrifiant la technique mais en améliorant notre organisation.
La dette est supérieure à 30 milliards ; en y ajoutant celle de la SNCF, on approche les 40 milliards. Une partie est légitime, celle qui a vocation à être amortie par des recettes commerciales futures, mais ce n'est malheureusement pas le cas de la totalité. Je souhaite faire porter l'effort sur l'optimisation des coûts de production et sur le financement de projets. Dans ce domaine, on a le pire et le meilleur. Le pire consiste à externaliser un projet pour cacher de la dette, qui revient ensuite sous forme de péage annuel. Le meilleur projet est celui qui conduit à partager le risque. Le projet de la tangentielle nord - malheureusement retardé - comporte des risques d'exécution qu'un bon financement de projet doit aider à partager, voire à transférer vers un opérateur. Dans ce cas, l'effet peut être très vertueux.
Voilà pour les deux leviers de l'entreprise gestionnaire de l'infrastructure. Au-delà, demeure une impasse, relevée par la Cour des comptes, l'institut Montaigne, les Assises du ferroviaire... Mais ces enjeux - tarifaires - relèvent d'une décision politique.
La situation du fret en France n'est pas bonne. Les acteurs de la SCNF n'ont pas tort de souligner qu'en l'état actuel de notre réseau, l'infrastructure ne peut être exploitée aussi loin que les technologies modernes le permettraient. La modernisation technique du réseau existant doit apporter des solutions pour intensifier l'utilisation de l'infrastructure : faire rouler plus de trains sur la même ligne. C'est ainsi que nous trouverons des solutions pour le fret. Nous n'allons pas créer des lignes de fret, ni transférer le fret sur le camion, ce qui serait contraire aux intérêts de la nation. La modernisation technique doit accroître la productivité du capital, c'est-à-dire faire rouler plus de trains avec la même infrastructure.
Messieurs Houpert et Capo-Canellas, vous avez raison. L'outil ferroviaire est essentiel à l'aménagement du territoire, à la revitalisation des zones rurales, et aussi à l'équilibre des grandes villes, à commencer par l'Île-de-France. La relance du gros entretien et du renouvellement a commencé par les lignes peu circulées, où c'est plus facile. Pour rénover la ligne B du RER, il faut couper la circulation, faire du travail de nuit, ce qui revient plus cher, et que tout soit remis en état à cinq heures du matin. Cela ne laisse pas beaucoup de temps à l'intervention. Il est vrai qu'il faut trouver un équilibre entre les zones rurales et urbaines. C'est un travail de tous les acteurs, mais in fine les décisions reviennent aux pouvoirs publics.
Le statut des cheminots constitue un élément essentiel du système. Il garantit la cohésion de l'entreprise et l'implication du personnel. Je reconnais qu'avec l'ouverture à la concurrence, si tout reste en l'état, les entreprises privées vont l'emporter. D'où l'orientation, difficile, retenue par le ministre : la négociation d'un cadre social harmonisé. Nous ne sommes pas au bout du chemin ; encore fallait-il l'emprunter.
La cession de terrains représente 120 millions d'euros dont j'aurais du mal à me priver. Je comprends bien aussi l'utilité de mettre des terrains à disposition pour construire des logements sociaux.
Je partage votre analyse sur le CDG Express. Le sujet n'est pas neuf, j'ai entendu à plusieurs reprises parler de métro de riches contre métro des pauvres...Depuis une dizaine d'années, la ligne B s'est améliorée même si beaucoup reste à faire. Son bon fonctionnement est un préalable à la construction du CDG Express. Cette nouvelle ligne ne relevant pas de la notion de service public et mettant en oeuvre une tarification élevée, elle doit trouver seule son équilibre financier, ce qui explique le retard. Le nouveau président d'ADP, Augustin de Romanet, est très demandeur ; attendons sa contribution.
M. Raymond Vall, président. - Il serait opportun que vous disposiez des comptes-rendus des auditions de la Cour des comptes et du président de la SNCF. Ce dernier a en effet pris des engagements concernant le foncier, confirmant notamment qu'il ne vendrait plus un mètre linéaire de voie ferrée. Il a également indiqué souhaiter mettre des gares à disposition des communes pour du logement social.
La transition économique et écologique s'impose. A partir du 1er juillet 2013, l'écotaxe poids lourds va peser lourdement sur les territoires pauvres en infrastructures. Leur survie économique va dépendre de la possibilité d'un désenclavement par le fret ferroviaire ; pour certains, le sauvetage de lignes constituera le dernier espoir, avec le numérique. Il faudra étudier au cas par cas ces territoires où n'existe que la voie ferrée pour supporter les nouvelles contraintes de la fiscalité écologique et énergétique. Des compromis seront à trouver avec les opérateurs privés, en termes de régime d'exploitation. Sinon, le risque est grand d'accentuer la désertification.
Nous avons interrogé le président du directoire de la Société du Grand Paris au sujet du fret. Réponse : rien n'a été prévu dans ce cadre. Notre interrogation demeurant, je la verse au dossier.
Je vous remercie en notre nom à tous pour votre prestation, dont je ne doute pas de la sincérité et de l'engagement.
Avis sur une candidature aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France - Résultats du scrutin
La commission procède au vote sur la candidature de M. Jacques Rapoport aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France.
M. Raymond Vall. - Voici les résultats du scrutin : sur 8 votants, il y a 8 votes favorables.