- Mercredi 16 janvier 2013
- Politique vaccinale de la France - Audition
du Pr Brigitte Autran, professeur des universités, praticien hospitalier
à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (UPMC) et
coordinatrice du réseau Corevac
(Consortium de recherches vaccinales) - Politique vaccinale de la France - Audition de M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
- Nomination d'un rapporteur
- Politique vaccinale de la France - Audition
du Pr Brigitte Autran, professeur des universités, praticien hospitalier
à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (UPMC) et
coordinatrice du réseau Corevac
- Jeudi 17 janvier 2013
Mercredi 16 janvier 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Politique vaccinale de la France - Audition
du Pr Brigitte Autran, professeur des universités, praticien hospitalier
à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (UPMC) et
coordinatrice du réseau Corevac
(Consortium de recherches
vaccinales)
Mme Annie David, présidente. - La Cour des comptes nous a exposé les conclusions de son enquête sur la politique vaccinale de la France le 5 décembre dernier. Le rapporteur que nous avons nommé sur ce sujet, M. Georges Labazée, a souhaité approfondir les principales problématiques liées à la vaccination. C'est à ce titre que nous recevons Mme le professeur Autran, qui est spécialisée en immunologie et vaccins. Vous exercez, Madame, à la Pitié-Salpêtrière, et vous êtes chargée d'animer le réseau Corevac, récemment créé pour coordonner les organismes publics de recherche dans le domaine de la vaccination.
Lors de la présentation de la Cour des comptes, nous avons abordé plusieurs questions générales, comme le débat sur le niveau de couverture de la population, ou la perception de la vaccination par le public et les professionnels de santé, du fait des interrogations sur la sécurité des vaccins. Nous souhaiterions vous entendre sur les enjeux de la vaccination, ainsi que sur les objectifs du réseau Corevac.
Mme Brigitte Autran, professeur des universités, praticien hospitalier à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (UPMC) et coordinatrice du réseau Corevac (Consortium de recherches vaccinales). - Merci pour votre invitation. Je crois important qu'une institution comme le Sénat s'intéresse à la politique vaccinale. Je vais vous présenter la recherche française dans le domaine de la vaccinologie, et serai heureuse de pouvoir discuter avec vous, dans un second temps, de ses aspects sociétaux.
Une alliance des instituts de recherche en santé et sciences de la vie (Aviesan) a été créée il y a quelques années afin de développer la coordination sur des axes de recherches transversaux. L'un de ces axes, pathologie infectieuse et microbiologie, est confié à l'institut de microbiologie et de maladies infectieuses. Son directeur, le professeur Jean-François Delfraissy, ainsi que M. Syrota, qui dirige Aviesan, m'ont chargée de coordonner la recherche française sur les vaccins. Nous avons baptisé cette coordination Corevac : Consortium de recherche sur les vaccins.
Quels sont les défis de la recherche vaccinale au niveau mondial ? D'abord, nous devons affronter la croissance de populations nouvelles : le nombre de nouveau-nés, cible classique, augmente, ainsi que le nombre d'adolescents et celui de personnes âgées, deux groupes qui sont, de plus en plus, de nouvelles cibles. Puis le monde change, vous ne l'ignorez pas : les pays émergents et en développement ont un accès de plus en plus large aux vaccins, ce qui est très bien, mais aussi à la recherche, à l'innovation et à la production de vaccins, si bien qu'ils entrent en compétition directe avec les producteurs occidentaux. De nouvelles catégories de population vont devoir être vaccinées : personnes âgées, femmes enceintes, et aussi les immunodéprimés, dont le nombre augmente considérablement - les porteurs du VIH ont une espérance de vie de plus en plus longue. Il y a aussi l'usage des immunosuppresseurs pour les transplantations. De nouvelles maladies, enfin, menacent, dont certaines ne sont pas encore couvertes par des vaccins mais pourraient l'être demain : maladies infectieuses émergentes, cancers, mais aussi maladies qui ne sont ni infectieuses, ni tumorales, comme la maladie d'Alzheimer.
Où en est la recherche vaccinale dans le monde ? On est passé des vaccins vivants de Jenner à la fin du dix-huitième siècle aux vaccins atténués, puis inactivés de Pasteur, qui encore aujourd'hui protègent contre de très nombreuses maladies : variole, BCG, rougeole, oreillons, rubéole, fièvre jaune, polio, varicelle, grippe, rage, coqueluche, hépatite A... Puis sont apparus, au vingtième siècle, les vaccins subunitaires, qui reposent sur des fractions d'agents pathogènes et prémunissent contre le tétanos, la diphtérie - ils ont été inventés à l'institut Pasteur. Les adjuvants sont à l'origine d'un essor considérable de la vaccinologie, au point que la diphtérie a disparu des pays occidentaux, le tétanos ne s'y rencontre plus que rarement. A la fin du XXe siècle, de nouveaux vaccins dits conjugués ont été inventés, pour lutter par exemple contre des infections responsables de méningites très sévères. Les stratégies actuelles visent à induire une modification génétique des agents pathogènes : c'est la vaccinologie inverse, qui permet de développer de nouveaux vaccins contre la grippe, les rotavirus, les virus HPV.
Restent les « trois grands », VIH, tuberculose et paludisme. L'enjeu est de développer la vaccinologie structurale, notamment contre la bronchiolite, et d'augmenter l'immunité, l'acceptabilité et la sécurité vaccinales dans nos sociétés - c'est, de l'aveu même des scientifiques, un élément majeur.
Pour répondre à ces défis, il faut commencer par améliorer les vaccins existants pour les rendre plus efficaces sur les populations peu sensibles à des vaccins classiques, ou trop fragiles pour les supporter. Cela implique des recherches précliniques, sur les marques immunologiques de l'efficacité vaccinale, des recherches cliniques sur le développement de nouveaux vaccins et la sécurité vaccinale, et des recherches épidémiologiques sur l'efficacité de ces vaccins et sur les aspects sociétaux et économiques.
En France, la recherche vaccinale a longtemps été négligée car on considérait qu'elle relevait strictement du domaine de la politique industrielle : ce fut, en quelque sorte, la rançon de son succès ! C'est ainsi que depuis le vaccin contre l'hépatite B la France n'est à l'origine d'aucune découverte, aucun vaccin n'y a même été développé ou évalué. La recherche est très fragmentée : les équipes travaillent sur des pathogènes spécifiques, les uns sur la tuberculose, les autres sur la coqueluche... Mais il n'y a pas de liens entre elles. Certes, nous disposons de centres de recherches importants, tels que l'institut Pasteur, ou le BioPôle à Lyon, et de quelques universités, mais tout cela manque de visibilité sur le plan international - même si, au niveau européen, les Français sont présents dans les deux tiers des programmes et coordonnent un peu plus d'un quart d'entre eux.
Nous avons organisé en décembre 2011 un colloque pour dresser un tableau critique de la recherche vaccinale en France. Les acteurs de premier plan que nous avons alors réunis, MM. Plotkin (l'un des pères de la vaccinologie mondiale), Moatti, Lambert ou Duclos, sont tombés d'accord pour dire que la recherche française en matière de vaccin souffrait d'une trop grande fragmentation, d'un manque de visibilité, d'un financement peu satisfaisant. Des tables rondes ont été consacrées à des problématiques touchant les sciences humaines et sociales : perception de la balance bénéfices-risques, facteurs prédictifs de l'efficacité ou de la toxicité des vaccins, adjuvants, innovation... Des historiens de la science nous ont parlé de la perception française des vaccins, et le prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi de la recherche vaccinale sur le VIH. C'est de ce colloque qu'est né le Corevac, dont les missions sont d'interconnecter les acteurs multidisciplinaires de la recherche, instituts de recherche, participants aux programmes de santé publique, agences réglementaires, afin d'aider au développement de grands programmes de recherche vaccinale, incluant les questions sociétales, et de faciliter l'innovation vaccinale. La gouvernance de ce Corevac comprend un comité de pilotage, dont la composition reflète les différents aspects de cette recherche : clinique, avec le professeur Launay, santé publique, avec le professeur Perronne qui dirige la section des maladies transmissibles au Haut Conseil de santé publique, recherche fondamentale, avec les docteurs Combadière, Locht, Eliaszewicz et les sciences humaines et sociales, avec le docteur Verger. Le conseil scientifique fera appel en tant que de besoin aux responsables des grands instituts de recherche, à ceux des académies des sciences comme à celles de médecine et de pharmacie, ainsi qu'à des représentants des agences réglementaires, du Haut Conseil de santé publique, et à des experts internationaux. Corevac a commencé à se constituer au cours de l'année 2012, rassemblant des instituts de recherche fondamentale, l'institut de recherche et de technologie Bioaster qui relie Lyon BioPôle et l'Institut Pasteur, le réseau de recherche clinique Reivac ainsi que les organes de santé publique. Le nombre des participants, entre cent et deux cents, témoigne d'un grand enthousiasme pour cette initiative. La coordination existante de la recherche clinique sur les vaccins, menée par le professeur Launay à Cochin, regroupe un certain nombre de centres de recherche en France. Une plateforme de recherche fondamentale montée au CEA dans le cadre du grand emprunt développe des modèles animaux nécessaires au développement des vaccins.
Le Corevac se fixe comme tâche de réunir des chercheurs sur les grandes questions, parmi lesquelles l'amélioration de l'immunogénicité et de l'acceptabilité vaccinale. Des réunions ont eu lieu en 2012 sur les adjuvants, une autre aura lieu bientôt sur les stratégies alternatives d'immunisation, par voie muqueuse, cutanée... Corevac veut également aider à la création de plateformes de vectorologie, d'immunologie, pour aider la recherche fondamentale ; et nous entendons aider à connecter les chercheurs français aux programmes internationaux, ils le sont déjà aux programmes européens, et en particulier à l'European vaccine initiative dirigée par Mme Leroy.
On a des exemples de grandes cohortes, celle de 20 000 enfants par exemple, constituée grâce aux crédits du grand emprunt, ou celles de la Cnam : Corevac souhaite les utiliser pour étudier des questions sociétales, comme la perception des vaccins. La recherche en sciences humaines et sociales constitue un maillon essentiel de la recherche vaccinale, or elle a trop souvent été négligée en France.
M. Georges Labazée, rapporteur. - Merci pour votre exposé passionnant. Les auditions précédentes nous ont montré combien le regard porté par l'opinion publique sur le vaccin avait évolué. La vaccination est de plus en plus contestée - phénomène auquel internet n'est sans doute pas étranger, car de nombreuses contre-vérités y circulent sans contrôle. Est-il possible de fabriquer des vaccins sans adjuvants ? L'industrie vaccinale ne pèse-t-elle pas fortement en amont sur la recherche ? Quelle méthode préconiseriez-vous pour que les populations à risque acceptent de se faire vacciner ? Quelle doit être la part de la puissance publique dans cette incitation ? Quelles sont les avantages de la vaccination par rapport à d'autres stratégies de prévention ?
A mesure que nous avançons dans la préparation de notre rapport, le monde de la vaccination nous apparaît comme très complexe : beaucoup d'autorités, de hautes autorités, certaines relevant directement du ministère de la santé, d'autres indépendantes... Il y a la recherche en amont, les applications. Nous avons parfois du mal à démêler l'écheveau !
Comment devons-nous organiser la coopération avec les pays en développement ? Au Cambodge, par exemple, le vaccin est considéré comme un élément majeur de politique de santé en direction des enfants.
Mme Brigitte Autran. - En France, on observe une désaffection à l'égard de la vaccination. Dans les pays en développement, les politiques vaccinales se voient reconnaître une importance majeure. La différence est simple : la plupart des maladies infectieuses visées par les vaccins ont disparu de France, et la perception de leur danger a disparu de la société française. Pourquoi se vacciner contre la diphtérie par exemple, puisqu'elle n'existe plus ? Mais la diphtérie existe dans le monde ! Si l'on voyage il faut être vacciné contre cette maladie mortelle. Les Cambodgiens la connaissent comme telle et il ne leur vient donc pas à l'esprit de contester la vaccination... Une des raisons essentielles de la désaffection de la population française par rapport au vaccin est la variation de la balance entre risques et bénéfices perçus. Il faut donc rappeler, sans brandir de menaces, que le risque infectieux existe bel et bien, et qu'on ne peut écarter la possibilité d'une épidémie. Ainsi la rougeole a été réintroduite en France par divers mécanismes.
On ne saurait se contenter d'asséner des affirmations sur la nécessité de se faire vacciner. Il faut aussi mieux comprendre les mécanismes du refus, grâce à des recherches en sociologie notamment. La France est en retard dans ce domaine, elle se place loin derrière des pays comme le Canada, les États-Unis ou les pays du nord de l'Europe. Et les chercheurs, comme les industriels, sont d'accord pour dire qu'il est inutile de développer de nouveaux vaccins si l'adhésion de la population à leur utilisation n'est pas meilleure. Il faut convaincre que les vaccins conservent un bénéfice important même si le risque d'être affecté par une maladie infectieuse a considérablement diminué. Il serait utile de réévaluer les risques d'effets secondaires, à travers de nouvelles recherches qui mettront en lien des cliniciens, des agences réglementaires mais également des concepteurs de vaccins.
La question des adjuvants est presque une fausse question. Un vaccin qui n'a pas besoin d'adjuvant est un vaccin qui a, en lui-même, les moyens d'activer le système immunitaire. Les premiers vaccins étaient constitués d'agents pathogènes entiers, mais aujourd'hui on injecte des extraits seulement. Lorsque ces composants sont trop purs, cependant, ils perdent leur pouvoir de protection. Il est alors nécessaire d'employer des adjuvants. Corevac s'intéresse aux stratégies possibles pour minimiser leur poids, tout en conservant leur capacité de stimulation du système immunitaire.
Mme Catherine Génisson. - Est-il ridicule d'évoquer, dans ce débat, la bilharziose ? La difficulté de la population française à accepter le vaccin n'est-elle pas le corollaire d'un manque de lisibilité de la politique vaccinale ? Comment la puissance publique pourrait-elle se réapproprier le sujet ? Je rappelle que toute intervention médicale a une balance bénéfices-risques.
M. René-Paul Savary. - Médecin généraliste, j'ai vécu des campagnes de vaccination. C'est vrai que le problème médiatique est terrible. Quelques complications et tout est bloqué. On l'a vu avec le H1N1 : le taux de vaccination contre la grippe, après cet épisode, a été très faible. Trop de vaccin tue le vaccin. Il faut commencer par faire en sorte que l'existant soit véritablement appliqué. La prévention et le dépistage ne sont pas bien acceptés en France. Comment changer cela ?
Faites-vous également des recherches sur la vaccination animale ? Les campagnes de vaccination des animaux modifient complètement les populations, comme on l'a vu lorsqu'on a vacciné les renards contre la rage. Enfin, où en sont les recherches sur la vaccination contre la maladie d'Alzheimer ?
Mme Chantal Jouanno. - Que veut dire immunogénicité ? Prend-on en compte, dans les programmes de recherche, la possible évolution des épidémies à cause du changement climatique ? Des épidémies qui étaient cantonnées au sud de la Méditerranée pourraient nous concerner demain.
Est-il prévu, pour lutter contre la désinformation, de mettre en place sur les réseaux sociaux une information à la fois transparente et validée par la communauté scientifique et universitaire ?
Mme Brigitte Autran. - L'immunogénicité - pardon pour le jargon ! - est la capacité à induire de fortes défenses immunitaires. Il existe, bien sûr, des travaux de recherches importants sur la bilharziose, conduits en particulier par des équipes françaises. Il n'y a pas encore de vaccin contre Alzheimer, mais il y a des stratégies d'immunisation, des essais cliniques, des actions contre ces agrégats de protéines et de phospholipides responsables de la maladie d'Alzheimer.
La France est un des pays qui connaît la plus grande crise dans la perception de la vaccination ; c'est aussi l'un de ceux où la puissance publique est intervenue de la façon la plus forte dans le domaine de la vaccination. On peut faire un lien...
Il est nécessaire d'informer et de former. J'appelle le Sénat à agir pour qu'il y ait un enseignement sur cette question à l'école : la vaccination est un capital extraordinaire donné aux enfants, il ne faut pas le négliger ! Il faut former les enseignants, sur la vaccination comme sur la notion de prévention. Or la puissance publique comme la puissance médicale françaises n'ont jamais été convaincues de l'importance de la prévention, contrairement à ce qu'on observe dans les pays du nord de l'Europe. Même en faculté de médecine et de pharmacie, la vaccination doit être mieux enseignée. C'est un trésor que Jenner et Pasteur nous ont légué, un bien public à faire fructifier. Evitons toute politisation du discours : les différentes interventions ministérielles dans le domaine du vaccin, depuis la vaccination contre l'hépatite, en passant par le catastrophique épisode H1N1, ont toutes eu un effet négatif. Dans les autres pays, la vaccination ne fait pas comme chez nous l'objet d'interventions politisées !
Mme Annie David, présidente. - Vous n'avez pas répondu à la question sur la vaccination animale. Et comment lever la crainte qui s'est installée par rapport à la politique vaccinale ? Nous avons tous entendu parler des problèmes liés à la vaccination contre l'hépatite B, qu'ils soient réels ou non.
Mme Brigitte Autran. - En ce qui concerne les animaux, il y a un concept promu par l'OMS et les grandes agences internationales, qui est celui de global health : une seule santé pour l'homme et l'animal dans le monde. Mais le champ de la recherche vaccinale humaine est déjà si vaste que Corevac ne pouvait pas développer en même temps ces aspects vétérinaires. Aviesan cependant veut connaître des deux aspects, santé humaine et santé animale.
Le lien imaginé entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques est spécifiquement français, il n'existe nulle part ailleurs. Chaque pays a son problème psychologique propre vis-à-vis de la vaccination : les Anglais ont accusé à tort le vaccin contre la rougeole d'être responsable de l'autisme, les Américains portent les mêmes accusations sur les adjuvants à base d'aluminium - auxquels on impute en France la responsabilité d'une maladie extrêmement rare, la myofasciite à macrophages, alors que l'ensemble de la population est vaccinée avec de tels adjuvants. Chaque pays déclenche ses propres fantasmes vis-à-vis du vaccin...
La France n'est pas en queue de peloton pour la première ligne de vaccination : les bébés français sont très bien vaccinés. Les familles sont donc conscientes du fait qu'il faut protéger les enfants. C'est pour les plus grands que le problème se pose - la société a perdu ses repères.
Mme Catherine Procaccia. - Vous évoquez l'information à l'école, mais l'exemple ne devrait-il pas être donné par la population médicale ? Certains médecins ou pédiatres dissuadent de vacciner les enfants et seulement 15% du personnel des hôpitaux se fait vacciner contre la grippe...
Pour montrer l'utilité des vaccins, peut-être faudrait-il une grosse épidémie...
Mme Catherine Deroche. - Y a-t-il une corrélation entre la difficulté à recruter dans les secteurs de la prévention (médecine scolaire, médecine du travail) et le mauvais suivi de la vaccination des enfants en secteur scolaire, ou des adultes ensuite ?
M. Jean-Noël Cardoux. - Du point de vue financier, j'ignore comment les vaccins sont remboursés...
M. Georges Labazée, rapporteur. - Ils le sont tous à 65%, c'est un système assez uniforme.
M. Jean-Noël Cardoux. - Y a-t-il eu des études comparées de la Cnam sur le taux de retour d'une prise en charge du vaccin par rapport au coût des pathologies développées par ceux qui n'ont pas accepté la vaccination ?
Mme Colette Giudicelli. - Tous les vaccins sont-ils remboursés ?
Mme Brigitte Autran. - Seulement s'ils sont recommandés.
Mme Colette Giudicelli. - Qui financerait la formation qu'à juste titre vous préconisez ? Y a-t-il un problème d'argent ?
M. Georges Labazée, rapporteur. - Nous allons auditionner tout à l'heure le directeur de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, il pourra vous répondre.
M. Gérard Roche. - Comment bloquer la désinformation croissante, qui se répand même dans les milieux sociaux les plus élaborés ? Nous, médecins, avons aussi noté dans le passé que les hommes étaient mieux vaccinés que les femmes, grâce au service militaire. Je suggère donc que quelques minutes soient consacrées, pendant la journée d'appel et de préparation à la défense, à faire un point sur la vaccination.
M. Bernard Cazeau. - Le problème est lié à certaines peurs, en particulier concernant le vaccin contre l'hépatite B. Je connais un cas, sans doute fortuit, où une sclérose en plaques est apparue après le vaccin...
Mme Brigitte Autran. - Vous avez raison : les médecins sont eux-mêmes trop peu convaincus de l'importance de la vaccination et c'est d'abord en faculté de médecine et de pharmacie qu'il faut améliorer l'information, renforcer la formation à la prévention. La santé publique a toujours été considérée comme la dernière roue du carrosse dans le monde de la médecine, c'est une erreur ! Quant à l'enseignement scolaire, il intègre l'éducation sexuelle, à juste titre ; il doit de même réserver une place pour une information sur la vaccination. La rougeole reste la première cause de mortalité infantile dans le monde...
Il y a là un enjeu de santé publique, mais le numerus clausus est tel que l'on manque désormais de médecins pour aller dans les écoles, comme pour la médecine du travail. Sans compter que les salaires ne sont guère attrayants.
La recherche vaccinale est insuffisamment financée, parce que l'on a longtemps considéré qu'elle relevait du domaine industriel, je l'ai dit. Si bien que nous sommes, aujourd'hui, très largement dépendants de l'Europe.
Les recommandations vaccinales prennent en compte l'aspect financier. Dans le cas du vaccin contre les HPV responsables des cancers du col de l'utérus, la question économique, c'est-à-dire le gain à en attendre pour la société, a pesé. Et s'il n'y a pas eu de recommandation pour le vaccin contre le rotavirus, responsable de la gastroentérite, c'est bien parce que le bénéfice économique pour la société a été jugé insuffisant.
Lorsque la puissance publique a rendu obligatoire le vaccin contre l'hépatite B, toute la population a été vaccinée... Une association a été faite avec la sclérose en plaque, maladie inflammatoire. Pourquoi ? Notons que l'obligation vaccinale est une particularité française - dans tous les autres pays européens, on considère que la recommandation suffit. Or l'obligation peut créer une réaction de rejet.
Mme Catherine Génisson. - Après la controverse sur la sclérose en plaques, n'a-t-il pas été proposé de modifier la population cible ?
Mme Brigitte Autran. - Oui, mais il reste que nous avons été les seuls à imposer la vaccination. Quand est survenue la crise, il a fallu faire marche arrière... au risque d'ancrer dans la population l'idée qu'il y avait sans doute danger, puisqu'on levait l'obligation. Si bien que notre taux de vaccination contre l'hépatite B est de 30 à 40 % inférieur à ce qu'il est chez nos voisins.
J'espère que je vous aurai convaincus de l'intérêt de la vaccination pour la santé publique.
Mme Annie David, présidente. - La question restant celle des moyens d'atténuer les craintes de la population... Nous vous remercions.
Politique vaccinale de la France - Audition de M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
Mme Annie David, présidente. - La Cour des comptes s'est inquiétée de l'effritement du consensus sur la vaccination, relevant que les interrogations sur le rapport bénéfices-risques se sont accrues ces dernières années. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) étant en prise directe avec ce problème, nous avons souhaité vous entendre.
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'ANSM. - Les vaccins obéissent à une relation bénéfices-risques qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est le cas de tout médicament, mais les vaccins sont des médicaments particuliers parce qu'ils sont destinés à prévenir la maladie et administrés à des sujets sains. Sont en cause les maladies infectieuses transmissibles. Le risque épidémique fait des ravages dans le monde : il ne connaît pas les frontières et la prévention, pour être efficace, doit se déployer non sur le seul territoire national, mais bien à l'échelle mondiale.
Une cinquantaine de vaccins sont sur le marché en France, qui changent comme changent les virus et gagnent en sophistication. Ils sont faits pour prévenir vingt-cinq maladies ou groupes de maladies et éviter leur propagation épidémique. Fruit des progrès du XXe siècle, le vaccin, s'il est vrai qu'il suscite tout à la fois attentes et aversion, n'en apporte pas moins un bénéfice majeur à l'individu et à la société. L'objectif, porté par l'OMS, est d'éradiquer les maladies visées. C'est le cas de la poliomyélite, qui devrait avoir disparu en 2017.
Comment est assurée la sécurité des vaccins, en France et en Europe ? Ce sont des produits très particuliers puisqu'entre dans leur composition une culture de l'agent infectieux, ou de sa toxine, injectée pour provoquer une réaction immunitaire qui protège durant un temps déterminé. Les normes de sécurité doivent donc être très rigoureuses. Au stade de la production, deux dispositions sont prévues par la loi. En premier lieu, l'inspection régulière des sites par les autorités de contrôle nationale et européenne. J'ajoute qu'existe une reconnaissance mutuelle entre inspections américaines et européennes, pour mieux prévenir toute dérive, sachant que les risques sanitaires qui pourraient en résulter sont considérables. En second lieu, à la différence des autres médicaments, aucun vaccin n'est libéré sans vérification préalable de chaque lot. Et l'obligation vaut à l'échelle européenne. En France, l'ANSM fait contrôler chaque lot et vérifie les procédures de contrôle. Ainsi, aucun vaccin n'est libérable sans que l'usine ait été inspectée et le lot contrôlé. Ceci pour assurer la sécurité bactériologique du produit, déterminante. Auparavant, l'autorisation de mise sur le marché a constitué un premier verrou. La firme, pour l'obtenir, doit avoir démontré que le vaccin entraîne une réaction immunitaire contre la maladie visée et que cette protection est bien garantie par le mode d'utilisation préconisé. Une fois autorisé, le vaccin est commercialisé et distribué, le plus souvent à l'échelle européenne, car on s'achemine vers l'uniformisation.
Ensuite, la population vaccinée est surveillée. Il s'agit de dépister d'éventuelles toxicités. Cette surveillance repose sur trois piliers. D'abord, le recueil obligatoire des événements imprévisibles par les firmes, qui doivent produire, périodiquement, à l'échelle nationale, européenne et mondiale, les données d'exposition et les effets secondaires repérés. Le système de pharmacovigilance, ensuite, soit la déclaration spontanée par les professionnels de santé mais aussi par les usagers des événements indésirables, attendus ou non. Pour les professionnels de santé, cette déclaration auprès des centres régionaux est obligatoire. Troisième pilier, la réalisation d'études sur cohortes relativement aux effets secondaires. L'ensemble de ces données permet de corriger les modes d'utilisation du vaccin, voire de suspendre ou retirer l'autorisation.
Comment les vaccins sont-ils composés ? Pour certains agents infectieux, la culture de toxine suffit à assurer une protection. Mais il peut être nécessaire d'y ajouter des adjuvants, pour en assurer la stabilité et garantir une réaction immunitaire pérenne. Le débat à propos des vaccins tend à se déplacer sur la question des adjuvants, comme sur les excipients des médicaments. Et c'est bien l'ensemble qui est évalué, donc également la performance des adjuvants. Depuis 1995, les producteurs sont tenus d'élaborer pour chaque vaccin un plan de gestion des risques.
Les inquiétudes que suscitent les vaccins sont imputables à plusieurs facteurs. Une attitude égocentrique peut conduire à considérer que les autres étant vaccinés, on peut soi-même s'en passer. Mais c'est ignorer les circulations. Voyez la réapparition de l'épidémie de rougeole et les morts qu'elle a provoquées. En se vaccinant, on se protège en protégeant les autres, il faut le dire et le répéter. Notre rôle est d'éclairer, pour lever doutes et inquiétudes. Se pose également la question des effets à long terme de la vaccination. Il existe des maladies du système immunitaire, or c'est bien une réaction du système immunitaire que provoque le vaccin : pourrait-il y avoir un lien ? Il convient de s'interroger. Vient, enfin, un autre déterminant : alors que la France est le pays de naissance de la vaccination, la sensibilité de la société française au vaccin est particulièrement vive. Nous devons donc être d'autant plus attentifs à la transparence. Lorsque nous nous interrogeons, il faut rendre public le résultat de nos réflexions, comme celles que nous avons menées sur la vaccination contre les HPV.
Je conclurai en rappelant que le vaccin est un bien majeur pour la santé. Il faut se protéger.
M. Georges Labazée, rapporteur. - Je vous remercie de votre exposé. J'ai été sensibilisé par un habitant de mon département à la question de la présence d'aluminium dans certains vaccins, qui a défrayé la chronique. Les craintes se sont-elles apaisées ? Formulez-vous des préconisations particulières pour les vaccins destinés aux enfants ? Certains vaccins peuvent ne pas être tolérés, ce qui vaut contre-indication. Où en est la recherche sur ces questions ? En dépit d'un contrôle très pointilleux en amont, certaines autorisations de mise sur le marché ont dû être retirées récemment. Quel en est le motif ? Les structures responsables en matière de vaccination sont nombreuses. Sans doute sont-elles toutes utiles, mais sont-elles toutes nécessaires ? Il est vrai que le législateur pourrait faire preuve de plus de vigilance : n'avons-nous pas, en 2004, créé deux organismes dont les missions se rejoignent ?
M. Dominique Maraninchi. - La préoccupation sur le composant aluminium est ancienne. Mais des centaines de milliers de personnes ont été vaccinées de par le monde avec des produits contenant de l'aluminium. C'est récemment, à la fin des années 1990, que les travaux d'un chercheur français, publiés dans une revue internationale, ont décrit une maladie musculaire inflammatoire, la myofasciite à macrophages, mise en évidence par l'examen anatomopathologique. La biopsie décèle la présence d'un granulum contenant de l'aluminium au lieu de la piqûre. La réaction inflammatoire serait-elle responsable d'une maladie, ou d'un syndrome dont la communauté internationale s'accorde à penser qu'elle reste mal définie ? Telle est la question. Pour l'heure, l'ANSM, l'Agence européenne du médicament et la Food and drug administration procèdent chaque année à un arbitrage bénéfices-risques et ont autorisé, jusqu'à présent, l'utilisation de ces vaccins. Reste que la vigilance doit s'exercer, pour déceler de possibles nouveaux effets secondaires. C'est pourquoi nous soutenons le développement des connaissances sur l'éventuelle toxicité liée à la présence d'aluminium dans les vaccins. Tous les cas déclarés au niveau national, européen et mondial sont examinés.
Nos systèmes de vigilance sont fragiles. Le principal vecteur en est la déclaration, qui reste rare. La collectivité doit développer la recherche. On a reproché à l'ANSM de n'avoir pas soutenu les travaux du professeur Gherardi, mais il faut savoir que notre mission n'est pas celle-là, elle consiste plutôt à aider les chercheurs à participer aux appels à projets. Nous avons reçu les membres de l'association de Romain Gherardi, ses recherches vont être soumises à l'examen d'autres chercheurs, dans le cadre d'un programme qui sera piloté par l'Inserm et qui pourra compter sur les crédits d'un fond d'intervention ad hoc. Vigilance, écoute, stimulation des programmes de recherche : tel est le coeur de notre mission. La myofasciite à macrophages, à la différence de la sclérose en plaques, n'est pas reconnue comme une maladie. Le danger pour la population n'est pas caractérisé, sinon nous n'autoriserions pas le produit. Ces vaccins sauvent des milliers de vies, il ne faut pas l'oublier.
Nombreux sont les vaccins destinés à être administrés aux enfants. Nous assurons des études et une surveillance particulières. Les effets protecteurs sont très rapidement observables, comme on l'a vu, a contrario, pour la rougeole, où le recul de la vaccination a bientôt provoqué un réveil de la maladie, avec des cas mortels.
J'en viens à la question des intolérances. Tout produit a ses indications et ses contre-indications. Mais le fait est que certaines personnes ne peuvent se protéger du fait de leur intolérance à un composant. Le virus de la grippe se développe sur les protéines de l'oeuf, que certains patients ne tolèrent pas. Un vaccin nouveau a été produit, qui se passe de ce support. La production des vaccins antigrippaires est complexe, elle se fait à grande échelle, mondialisée.
Il ne m'appartient pas de juger de « l'empilement des organismes » ; mais j'insiste sur notre responsabilité. Donner un avis est une chose, prendre la responsabilité d'autoriser ou d'interdire un vaccin, comme le fait l'ANSM, en est une autre. Et la surveillance ne s'arrête pas à l'autorisation de mise sur le marché, laquelle peut être modifiée, ou retirée comme ce fut le cas pour le vaccin contre le rotavirus, en raison d'un taux important d'invaginations intestinales aiguës induites, repérées grâce au réseau européen de vigilance, car l'observation, je l'ai dit, ne se limite pas au territoire national.
La variété des produits permet de répondre au mieux aux besoins des prescripteurs. Les autorités médicales sont là pour faire des recommandations de bonnes pratiques - ce n'est pas parce qu'une AMM est délivrée que le produit doit être utilisé dans tous les cas. En matière de vaccination, le Haut Conseil de la santé publique définit les politiques nationales. Nous fournissons des données au régulateur pour l'aider à prendre ses décisions.
Mme Annie David, présidente. - Sans doute, mais s'il existe cinquante autorisations de mise sur le marché pour vingt-cinq maladies, comment le patient peut-il s'y retrouver ? Comment faire confiance au choix de son médecin, et comment ce dernier se détermine-t-il ? Comment ne pas avoir de doutes sur un laboratoire qui vante l'efficacité de son produit, au vu des intérêts financiers en jeu ? A l'heure d'internet, enfin, comment lever les possibles craintes de la population ?
Un mot sur le système de pharmacovigilance : comment être sûr que le volet déclaratoire fonctionne et que l'information remonte réellement ? Car on a vu que ce ne fut guère le cas pour les pilules de troisième et quatrième génération.
M. Dominique Maraninchi. - La variété, encore une fois, a ses avantages. Nous vivons dans un système fragile. Un produit peut venir à ne plus être fabriqué ; qu'il en existe plusieurs pour une même indication est un élément de sécurité. Je peux comprendre que la population s'inquiète de la coexistence de plusieurs vaccins contre la grippe mais c'est, au vrai, une bonne chose. C'est la responsabilité du médecin que de choisir le produit le mieux adapté à la singularité de son patient. Sur quelles recommandations s'appuie-t-il, me demandez-vous. Il est vrai qu'il peut être lourd de prendre connaissance de toutes les études, d'où la nécessité qu'existe une autorité capable d'émettre des recommandations. C'est le cas de la Haute Autorité de santé.
Grâce à divers produits, on parvient à toucher toutes les tranches de la population, je pense aux vaccins contre la grippe. On limite les ruptures de stock. Quand un produit cesse d'être fabriqué, la compétition peut être vive entre pays pour se constituer des stocks, d'où l'importance d'une coordination européenne, voire mondiale. Quant au choix du médecin, dès lors qu'il a la garantie qu'un produit est sûr et qu'il le prescrit dans le respect de ses indications, c'est en son âme et conscience qu'il le prescrit.
Les déclarations spontanées ne sont, je le répète, qu'un élément du système de pharmacovigilance. Il faut en ouvrir au maximum la faculté, mais elles ne seront jamais exhaustives. Ce volet sentinelle est nécessaire, pas suffisant. Nous nous appuyons aussi sur les études post-AMM. Reste que la faculté de déclarer donnée par le législateur aux usagers en juillet dernier est importante. Le système mériterait sans doute d'être simplifié, mais l'information qui remonte des usagers est aussi bonne que celle fournie par les professionnels. On l'a vu pour la pandémie grippale. Et les centres régionaux de pharmacovigilance ont aussi obligation de déclarer et de publier.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - C'est le propre de tout médicament que de présenter des avantages et des inconvénients. Voir l'aspirine. Les vaccins n'échappent pas à la règle. Si pour les enfants, les pédiatres ont bien conscience de l'importance de la vaccination - et l'on a vu, avec la rougeole, les conséquences que peuvent avoir les réticences des parents - on peut se demander, en revanche, pourquoi les populations actives ne sont pas plus étroitement suivies. J'ai travaillé en milieu hospitalier : les contrôles de vaccination y étaient systématiques pour le personnel. Aujourd'hui, il n'en est même plus question. Le ministère de la santé ferait bien d'y réfléchir. D'autant qu'un meilleur suivi, voire une obligation, éviterait des hospitalisations onéreuses.
Mme Catherine Génisson. - On a assisté au combat de deux laboratoires pour la vaccination contre le cancer du col de l'utérus. L'ANSM a-t-elle été entendue par le ministère de la santé sur ce sujet ? Et sur la nécessité de remettre la politique vaccinale au premier plan ?
M. Dominique Maraninchi. - La politique vaccinale relève de la décision du gouvernement. Notre responsabilité est de garantir la sûreté des vaccins. L'engagement de l'État doit être garanti par une autorité indépendante.
Le monde a changé. On est noyé, sur internet, par les opinions contradictoires des médecins. L'exigence première est que les produits soient sûrs. Le législateur a également instauré, dans la loi du 29 décembre 2011, un meilleur contrôle de la publicité - c'est une spécificité française. Nous sommes habilités à interdire la publicité pour certains vaccins, si nous le jugeons préférable.
L'obligation de vaccination fait depuis longtemps l'objet d'un débat collectif. Notre mission est de garantir la protection individuelle et collective. Nous travaillons sous la tutelle de la direction générale de la santé, qui coordonne les politiques de santé. Lutter contre le buzz exige de nous plus de transparence, plus d'information, afin que les arbitrages soient réalisés en connaissance de cause. Nous devons nous montrer davantage proactifs !
Le vaccin contre les HPV ? Là encore, tout tient dans la relation bénéfices-risques. Chaque maladie, chaque produit est particulier. Un vaccin, qui vise à prévenir le stade précancéreux du col de l'utérus, a été autorisé. Reste que la notion de bénéfice est difficile, dans un tel cas, à démontrer, car elle apparaîtra dans longtemps. Nous savons aussi qu'il est beaucoup d'autres cancers liés aux HPV - de la bouche, de la gorge, comme les États-Unis l'ont récemment mis en lumière. Ces vaccins doivent donc être surveillés avec attention. Car il faut songer au risque de modification de l'écologie virale. Renforcer la protection contre certains groupes de HPV peut favoriser la virulence d'autres groupes. Dépister ou prévenir ? C'est là un autre débat. La prévention est autre chose que le dépistage précoce. Il est bon, en revanche, d'interdire la publicité pour ces vaccins, car elle est susceptible de perturber l'objectivité du regard et de rendre un produit utile détestable pour avoir été inadéquatement présenté.
Mme Catherine Génisson. - Il n'y a donc pas de recommandation sur cette vaccination ?
M. Dominique Maraninchi. - Pas à ce stade. Le comité technique des vaccinations statue périodiquement.
Mme Colette Giudicelli. - Je connais beaucoup de mères qui font vacciner leurs filles. S'il existe un risque, on ne peut se contenter de ne pas recommander, il convient d'interdire.
M. Dominique Maraninchi. - A ce compte, tous les produits le seraient, car tous comportent des risques. Le comité des vaccinations n'a pas pris position sur cette question, à la différence des Anglais, qui ont une forte culture de la prophylaxie et ont décidé de vacciner toutes les filles. Peut-être dans quelques années verrons-nous en Angleterre reculer ces cancers. En France cependant, le vaccin est recommandé dans le carnet vaccinal.
Mme Annie David, présidente. - Distinction bien confuse pour les non-initiés.
M. Dominique Maraninchi. - Ce n'est pourtant pas la même chose qu'une recommandation faite à toute la population de se faire vacciner.
Mme Colette Giudicelli. - Voyez ce qui s'est passé pour l'hépatite B. Peut-être, dans quinze ans, découvrira-t-on des effets indésirables au vaccin contre les HPV. C'est angoissant.
M. Dominique Maraninchi. - Les biens de santé sont là pour faire du bien. Il faut certes parler des risques, mais avec lucidité et modération. On ne peut afficher seulement les risques. L'aspirine peut tuer, mais pour des millions de personnes, ses bénéfices sont énormes.
Mme Annie David, présidente. - Un mot sur les pilules de troisième et quatrième génération ?
M. Dominique Maraninchi. - La contraception est un bien pour toutes les femmes, il faut la préserver. Les pilules contraceptives, en grande variété, ont évolué dans le temps. Elles contiennent, par nature, des hormones destinées à bloquer l'ovulation tout en stimulant au mieux l'équilibre hormonal, qui varie selon les femmes, d'où l'existence de pilules monophasiques, biphasiques ou triphasiques. La quantité des oestrogènes, qui ont des effets secondaires importants, a diminué avec le temps. Chaque pilule est le fruit d'un équilibre très sophistiqué entre les deux hormones, d'où la variété des produits, faite pour répondre à toutes les spécificités féminines. On parle, à tort, de « génération », ce qui peut laisser croire que la dernière serait la meilleure, alors qu'il s'agit, en réalité, de compositions différentes.
La surveillance sur ces produits, qu'utilisent 5 millions de Françaises, vise le rapport bénéfices-risques et la tolérance. Il est des risques communs à toutes les pilules, comme le risque vasculaire artériel. Le risque de thrombose veineuse, qui dans 1 à 2 % des cas peut entraîner un événement fatal, est, en revanche, deux fois plus élevé avec les pilules de troisième et quatrième génération. A la différence du Médiator, ces pilules sont commercialisées dans tous les pays du monde. Dans les dernières évaluations, qui datent de 2011, les risques ont été rappelés.
Pourquoi prescrire ces pilules ? C'est là qu'intervient l'effet d'image : on a observé dans plusieurs pays une surprescription des pilules de troisième et quatrième génération. Au Danemark, en janvier 2012, l'agence de santé a dû recommander de ne pas les prescrire en première intention. En France, plus de 50 % des femmes prennent ces pilules, ce qui est beaucoup trop. Nous devons donc peser sur la prescription, de deux manières : nous avons écrit des lettres aux prescripteurs et ouvert des points d'information. L'ANSM doit pouvoir communiquer des mises en garde directes aux médecins, en leur transmettant des informations pour qu'ils veillent à prévenir les risques thromboemboliques.
Pour autant, cela ne doit pas remettre en question la pilule : l'effet serait dramatique ! En Angleterre, les doutes sur la pilule ont conduit à une augmentation du nombre d'IVG qui fut une véritable catastrophe sanitaire. La ministre a établi, en une semaine à peine, une feuille de route pour éclairer la population, restreindre les conditions de prescription, éventuellement suspendre l'utilisation à court terme, et lancer un arbitrage juridique européen. La ministre pose la question de la conformité des prescriptions aux termes de l'AMM. Elle a également demandé une remise en question du système de vigilance, trop obscur. Il est vrai que la loi de décembre 2011 n'est pas encore pleinement appliquée. Le conseil d'administration de l'ANSM a tenu sa première réunion le 26 octobre dernier, validant à cette occasion le nouveau cadre de mise en oeuvre des actions de vigilance et de surveillance. Nous sommes dans une personne charnière de reconstruction de la confiance dans les systèmes de vigilance. Les décisions claires, prises rapidement par la ministre, sont bienvenues. Les premières orientations vont être suivies de tout un train de mesures.
Mme Annie David, présidente. - Le débat sur la contraception offre un double aspect : la contraception est une avancée indéniable pour les femmes, qui maîtrisent ainsi leur corps et leurs grossesses. Mais pourquoi rattacher la contraception à des problèmes de santé spécifiques aux femmes ?
Le choix du terme « génération » est effectivement malheureux, car il donne l'impression que la génération nouvelle est plus performante que l'ancienne, ce qui est faux. Cela dit, comment se fait-il qu'une autorisation de mise sur le marché ait été donnée si le service rendu n'est pas meilleur que par les produits existants ?
Mme Catherine Génisson. - Toutes les pilules, quelle que soit la génération, ont leurs complications. La contraception est un sujet assumé par les femmes alors qu'il concerne la relation entre hommes et femmes. Ces pilules de troisième et quatrième génération ont-elles un intérêt particulier pour certaines catégories de femmes ? Cela leur donnerait toute légitimité pour être commercialisées. La disparition programmée des gynécologues médicaux est un vrai problème.
M. Dominique Maraninchi. - Nous n'avons pas parlé des victimes, et de notre capacité à les écouter. L'écoute, y compris juridique, des victimes, est l'évènement majeur, et déterminant pour l'évolution des politiques de santé. Si ces pilules sont inutiles, il faut les supprimer. Mais les études actuelles, celle réalisée en avril 2012 par la Food and Drug Administration, celle de décembre 2011 en Europe, suggèrent qu'elles sont efficaces pour certaines femmes. Nous lançons demain un arbitrage européen pour restreindre la prescription à certaines femmes et en deuxième intention. Le processus est engagé.
Mais la décision a été prise de modifier les prescriptions, afin de protéger d'ores et déjà la population française. Il n'y a pas lieu de réserver aux gynécologues la prescription de ces pilules : ce sont eux qui en prescrivent le plus ! Quel que soit le médecin, les femmes doivent avoir la garantie d'obtenir le meilleur médicament, le plus adapté à leurs besoins.
Mme Annie David, présidente. - Je vous remercie.
Nomination d'un rapporteur
La commission nomme M. Jacky Le Menn en qualité de rapporteur sur la proposition de loi n° 243 (2012-2013) portant réforme de la biologie médicale.
Jeudi 17 janvier 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Audition de M. Marc Meunier, candidat pressenti pour le poste de directeur général de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus)
Mme Annie David, présidente. - Le Gouvernement souhaite confier à M. Marc Meunier, administrateur civil, la direction générale de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Nous l'entendons donc, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, issu de la loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. A la différence des fonctions entrant dans le champ de l'article 13 de la Constitution, il ne s'agit pas ici de délivrer un avis : cette simple consultation préalable ne donnera pas lieu à un vote.
L'Eprus a été créé en 2007 pour gérer les moyens de lutte contre les menaces sanitaires graves : moyens matériels, comme les stocks de médicaments et de produits de santé, moyens humains avec les équipes de la réserve sanitaire susceptible d'intervenir en France ou à l'étranger. L'établissement dispose d'une trentaine d'emplois et d'un budget alimenté par l'Etat et l'assurance maladie. Ces crédits, après avoir sensiblement varié ces dernières années, s'établissaient à un peu plus de 50 millions d'euros en 2012.
M. Marc Meunier, candidat pressenti pour le poste de directeur général de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). - Je présente devant vous ma candidature au poste de directeur général de l'Eprus. Agé de cinquante et un ans, j'ai mené une carrière assez diversifiée avec pour un fil conducteur le service public. Vétérinaire de formation initiale, j'ai tout d'abord été chargé de l'inspection des produits carnés au marché d'intérêt national de Rungis. Je suivais parallèlement les cours de l'institut d'administration des entreprises de Paris. Diplôme en poche, j'ai été missionné par le ministère de la coopération pour exercer pendant trois ans les fonctions de directeur administratif et financier d'une société d'élevage à Dakar à laquelle le gouvernement français apportait des subsides. A mon retour j'ai eu la responsabilité, en Dordogne, de la lutte contre les grandes maladies animales contagieuses.
C'est là, en côtoyant préfet et sous-préfets, qu'est né mon désir d'intégrer le corps préfectoral, ce qui m'a conduit, après l'Ecole nationale d'administration, à des fonctions d'administrateur civil du ministère de l'intérieur. J'ai alors exercé différentes fonctions classiques de sous-préfet : directeur de cabinet du préfet du Cher, sous-préfet de l'arrondissement de Gourdon dans le Lot, puis secrétaire général de la préfecture de Saint-Lô dans la Manche.
En 2007, j'ai changé d'activité en devenant sous-directeur de l'éducation routière à la délégation ministérielle à la sécurité et à la circulation routières. Cette administration est en charge du permis de conduire, ce qui inclut la gestion de 1 300 inspecteurs sur tout le territoire.
Depuis huit mois, en qualité de chef de cabinet de la ministre des affaires sociales et de la santé, j'ai participé à l'installation et aux débuts du cabinet de Mme Marisol Touraine. Très récemment, la ministre m'a proposé de prendre la direction générale de l'Eprus.
Jeune opérateur de l'Etat, créé en 2007, l'Eprus intervient essentiellement en matière de logistique. Il ne gère donc pas les menaces sanitaires. C'est un outil de préparation et de réponse rapide aux crises, en France ou à l'étranger. Sa première mission consiste à acquérir, gérer et distribuer un stock de médicaments pour faire face à la fois aux risques nucléaire, chimique, biologique ou radiologique, aux grandes pandémies comme la grippe aviaire et aux grandes catastrophes naturelles. Ces produits peuvent aussi être utilisés dans le cadre des plans grand froid. Sa seconde mission est la mise en place et la gestion d'une réserve sanitaire, composée aujourd'hui de 6 000 volontaires, actifs, retraités ou étudiants, souvent issus du monde médical. Ils prennent un engagement vis-à-vis de l'Eprus et peuvent ainsi être mobilisés au pied levé pour des missions en France ou à l'étranger.
Les fonctions de directeur général de l'Eprus me semblent intéressantes car elles portent sur une matière que j'aime et correspondent aux expériences que j'ai acquises tout au long de mon parcours professionnel. En tant que vétérinaire, j'ai établi des plans de lutte contre des maladies contagieuses des animaux. Puis, en qualité de sous-préfet, j'ai géré un certain nombre de crises comme la disparition des sept spéléologues dans le Lot pendant dix jours ou, dans la Manche, des épisodes neigeux bloquant des nuits entières des dizaines voire des centaines d'automobilistes sur l'autoroute A 13. Dans ce département, j'ai aussi réalisé de nombreux exercices nucléaires. J'ai ainsi acquis une culture de la gestion de crise et une expérience des opérations de terrain.
De par mes fonctions au Sénégal ou comme secrétaire général de préfecture, j'ai aussi été un gestionnaire public. Je possède une bonne connaissance des ministères puisque j'ai travaillé aux ministères de l'agriculture, de la coopération, de l'intérieur, des transports et enfin des affaires sociales. Au sein de ce dernier, j'ai eu, au cours des derniers mois, l'occasion de rencontrer les différents acteurs de la santé. Je crois disposer d'un certain nombre d'atouts pour accéder à la direction de l'Eprus... et d'une appétence forte pour la matière à traiter !
Mon intérêt pour l'Eprus tient aussi au fait qu'il s'agit d'une jeune structure. Sa mise en place depuis 2007 a certes été un peu perturbée par la grippe aviaire en 2009 mais ce fut aussi l'occasion d'accélérer la définition des procédures et de tirer les enseignements de la pratique.
Je mettrai mes pas dans ceux de mes prédécesseurs, qui se sont attachés à la structuration interne, à la définition de procédures d'acquisition et de renouvellement des stocks, à la constitution de la réserve sanitaire, à la définition d'une doctrine d'emploi : quelles missions leur confie-t-on, où, dans quelles conditions ?
Je souhaiterais à présent faire porter l'effort sur les relations avec les autres acteurs tels que le service de santé des armées, la sécurité civile et les services d'urgence des hôpitaux. L'Eprus, petite structure de 35 personnes, est loin d'être le seul intervenant ; mais dans la mesure où il n'a pas d'étiquette particulière, il pourrait jouer un rôle de chef d'orchestre, notamment à l'étranger. Tous les intervenants entretiennent déjà des relations mais il me semble que des synergies plus consistantes pourraient être trouvées en matière d'acquisition des médicaments, d'action des volontaires sur le terrain - et de formation, car si chacun a son programme, il y aurait néanmoins des rapprochements intéressants à envisager. Le Parlement portera sans doute un regard vigilant sur ces sujets, avec le souci du bon emploi des deniers publics.
M. Dominique Watrin. - Lors de la création de l'Eprus, le groupe CRC avait exprimé son scepticisme : car il existait déjà une réserve civile, qui avait démontré une grande capacité d'intervention. N'aurait-il pas été plus simple de modifier les règles de son fonctionnement ?
Nos craintes semblent se confirmer à la lecture d'un article paru dans le Quotidien du médecin du 18 mai 2012 faisant état des critiques de l'association Samu-urgences de France, sur l'absence de concertation avec les structures de soins, la mauvaise utilisation des ressources humaines, les risques de désorganisation des services d'urgence et l'inefficience globale du dispositif. Ces critiques vous paraissent-elles fondées, et le cas échéant, comment remédier aux faiblesses signalées ?
Je vous poserai également trois questions en ma qualité de rapporteur de la mission santé du budget de la nation : suite aux difficultés rencontrées par le passé, l'Eprus a-t-il amélioré l'adéquation de ses stocks aux besoins ? Souvenez-vous des dérapages lors de l'épisode H1N1. Ne pourrait-on en outre mieux négocier les dates de péremption avec les industriels ? Le financement de l'établissement, qui actuellement pèse largement sur l'assurance maladie, ne devrait-il pas plutôt relever d'une dotation du budget de l'Etat ?
Mme Annie David, présidente. - Et comment mettre en place la réserve sanitaire, alors que des territoires sont sous-dotés en professionnels de santé ?
M. Marc Meunier. - Outre les synergies de type horizontal avec l'armée et la sécurité civile, nous devons aussi assurer une coordination « descendante » entre l'Eprus, les agences régionales de santé (ARS) et les hôpitaux, services d'urgence essentiellement. Les réflexions engagées consacrent le rôle majeur des ARS, particulièrement des ARS de zone. L'Eprus leur confiera la gestion d'une partie du stock de médicaments. Les trente-trois centres de stockage actuels seront ainsi remplacés par un grand entrepôt national - en construction à Vitry-Le-François - regroupant 80 % des produits, les 20 % restants étant répartis entre sept points de stockage, correspondants aux sept zones de défense et gérés par les préfets de zone et les ARS.
Pour la gestion des réservistes, les ARS seront également intégrées dans la boucle : grâce au partage des fichiers, elles pourront, en cas de crise, faire appel aux réservistes situés dans leur zone. L'organisation qui se met en place repose donc sur le principe de subsidiarité.
Une difficulté s'est présentée dans le passé entre l'Eprus et les Samu et urgences ; il faut sans doute là encore revoir le circuit, car l'établissement a jusqu'à maintenant fonctionné de façon un peu fermée. Les chefs de service étaient prévenus la veille au soir de l'absence pour dix ou quinze jours d'un membre de leur équipe. Ils sont partants pour nous aider, mais demandent d'une part à être prévenus aussi tôt que possible, d'autre part à choisir qui ils mettent à notre disposition, afin de perturber le moins possible le fonctionnement de leur service. Nous veillerons à satisfaire ces attentes compréhensibles.
L'adaptation des stocks aux besoins ne relève principalement pas de l'Eprus : celui-ci a un rôle de logisticien, sous la tutelle du ministère de la santé. C'est le département des urgences sanitaires (DUS) du ministère qui détermine quels médicaments l'établissement doit acheter et quelles quantités. Le DUS s'appuie du reste sur l'expertise de l'Institut de veille sanitaire (InVS), qui identifie et évalue les menaces, et sur celle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui dit quels produits acheter et en quelles quantités. Sans jouer un rôle majeur dans ces décisions, l'Eprus pourrait toutefois y être associé plus en amont.
Plusieurs améliorations pourraient être apportées dans la gestion des stocks. Vous évoquez les dates de péremption : l'allongement de la durée de vie de certains produits par rapport au droit commun pourrait être obtenu, sous le contrôle de l'ANSM, sans nuire à la qualité des produits. Autre piste, quelques mois avant d'être périmés, les médicaments pourraient être réinjectés dans un circuit traditionnel, sans doute pas celui des officines de ville, mais peut-être celui des pharmacies des hôpitaux, même si elles ont leur propre politique d'achat. La réflexion n'est pas close mais les sommes en jeu nous imposent de trouver des solutions.
Une réserve gérée au niveau national a des atouts, mais n'exclut pas une utilisation déconcentrée par les ARS et les préfets de zone. Dans le cas où les effectifs de la zone ne suffiraient pas, l'Eprus serait sollicité pour faire appel aux réservistes d'autres régions. Enfin, je ne connais pas toutes les raisons ayant justifié que l'Eprus soit financé à 50 % par l'assurance maladie. Vous en savez sûrement plus que moi sur l'origine des choses !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la sécurité sociale. - Pourriez-vous nous donner des précisions sur les interventions de l'Eprus à l'étranger ? A-t-on bien analysé ex post la crise H1N1, dont nous gardons au Sénat le souvenir vif, car elle a donné lieu à des discussions mémorables au sein de notre assemblée ?
M. Marc Meunier. - Avant la création de l'Eprus, la France ne disposait pas, à la différence de tous les autres grands pays, d'un organisme de gestion des crises capable de prendre en charge la logistique de A à Z et d'assurer des conditions de travail optimales aux personnes mobilisées. Les volontaires se félicitent de pouvoir désormais se concentrer sur leur tâche sans perdre de temps à régler des questions matérielles. La gamme des interventions de l'établissement est plus large que celle de l'armée, dont les conditions d'emploi sont moins souples, et de la sécurité civile, spécialisée dans des missions de courte durée. En outre, la réserve comprend des praticiens de très nombreuses spécialités. L'armée n'a pas de pédiatres, requis en Haïti. J'ajoute que si l'Eprus compte des militaires et des sapeurs-pompiers parmi ses réservistes, il les emploie sous sa bannière, bien acceptée à l'étranger. Bilan : chacune des interventions s'est bien déroulée.
Les critiques formulées par la Cour des comptes concernant la gestion de la crise H1N1 ne visent pas l'Eprus, qui est d'abord et avant tout un logisticien ; la Cour estime au contraire que l'établissement a correctement assumé sa mission. Puisque vous me demandez mon avis, je vous dirai qu'il existe manifestement des marges de progrès dans la gestion de tels épisodes. En particulier, la réponse pourrait être plus graduée et la communication auprès du grand public, plus fine. En s'appuyant sur des centres de vaccination créés ex nihilo plutôt que sur les médecins libéraux et les hôpitaux, les pouvoirs publics se sont privés de relais de communication puissants dans le monde médical. De plus, les accords passés dans l'urgence avec les laboratoires n'ont pas été à l'avantage de l'administration, qu'il s'agisse des conditions de rupture des contrats ou des options de réduction des quantités. Mais reconnaissons que la critique est facile après-coup et n'oublions pas que les délais de décision imposés par la situation étaient très serrés.
Mme Annie David, président. - Monsieur Meunier, merci et bonne chance. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous ne sommes pas appelés à voter sur cette nomination.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la sécurité sociale. - C'est dommage ! Car nous aurions volontiers voté pour M. Meunier.