Mercredi 27 février 2013
- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, Premier Vice-Président -Audition de M. Vincent Laflèche, directeur général de l'Institut national d'environnement industriel et des risques (INERIS)
M. Bruno Sido, président de l'OPECST. - Je remercie M. Vincent Laflèche, directeur général de l'Ineris, de s'être rendu à l'invitation de l'OPECST. L'Ineris est un organisme jouant un rôle clef dans le paysage technologique français, puisqu'il s'efforce de concilier l'excellence scientifique et une expertise audible et crédible pour accompagner l'effort d'innovation nécessaire pour relever les défis du développement durable. En mettant l'accent sur la sécurité, il offre une réponse aux inquiétudes de l'opinion publique suscitées par les progrès de certaines technologies, sujet au centre du rapport de Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux publié en janvier 2012 sur « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques ». J'observe notamment que l'Ineris a abordé la question des nanotechnologies, et mis au point un référentiel de certification pour la sécurité des personnes au poste de travail en présence de nanoparticules (NanoCert).
M. Vincent Laflèche, directeur général de l'Ineris : Avant d'entrer à l'Ineris voici une dizaine d'années, et d'en prendre la tête il y a cinq ans, j'ai travaillé au ministère de l'Environnement, puis dans un cabinet italien de conseil en environnement, ce qui m'a permis de découvrir un univers professionnel dans lequel les ONG environnementalistes jouent un rôle important. C'est une expérience dont je fais aujourd'hui profiter l'Ineris, que j'amène de plus en plus sur le terrain du dialogue avec les représentants de la société civile.
S'il fallait essayer en quelques mots de définir le rôle de l'Ineris, je dirais que c'est celui d'un expert technique qui garde un oeil sur les craintes exprimées par l'opinion publique.
Historiquement, l'Ineris est l'héritier de l'ancien Centre d'études et de recherches des charbonnages de France, le Cerchar, qui s'interrogeait déjà sur les dangers de la toxicologie par inhalation. De là, le coeur de l'expertise de l'Ineris, fort logiquement orienté vers la mesure des polluants toxiques, comme autrefois il l'était vers la mesure des dangers des inhalations pour les mineurs.
Le centre principal de l'Ineris se situe à 50 kilomètres au Nord de Paris, et concentre 90 % des salariés. L'Institut a un budget de 75 millions d'euros dont la moitié provient de recettes propres, provenant pour partie de financements européens sur projet, et pour partie (20 %) de contrats avec nos 1200 clients. C'est un établissement public à caractère industriel et commercial.
Pour demeurer crédible, l'Ineris se doit d'être très vigilant sur l'indépendance de ses avis. Une charte de déontologie définit donc les principes que l'Institut entend respecter dans l'exercice de ses missions, la réalisation de ses objectifs et dans ses relations avec ses partenaires. Un comité indépendant suit l'application de ces règles et rend compte chaque année depuis 2001 directement au Conseil d'Administration.
L'Ineris est certifié ISO 9001 depuis juin 2000. Cette certification couvre l'ensemble des activités de l'institut, pour les sites de Verneuil-en-Halatte et de Nancy. l'Institut est également accrédité ISO CEI 17025, depuis sa création en 1990, pour diverses activités d'essais et d'étalonnages, et reconnu conforme aux « bonnes pratiques de laboratoires » pour les études de ses deux sites d'essais toxicologiques et éco-toxicologiques.
Le rôle de l'INERIS s'est vu renforcer par deux événements : la visite d'une délégation de l'ancienne Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée Nationale en 2005, au cours de laquelle a été réaffirmé le principe selon lequel le développement durable était indissociable de davantage de concertation et de débats publics avant la prise de décision politique ; une enquête d'image en 2006, qui a montré une adhésion à hauteur de plus de 90 % à l'idée que l'innovation est un moyen de relever le défi du développement durable pourvu qu'elle soit juridiquement encadrée.
L'Ineris intervient sur un créneau original de l'action publique, ce qui en fait une sorte de « mouton à 5 pattes ». Sa mission concerne moins l'adaptation de la règlementation sur les techniques existantes, que la préparation d'un cadre de fonctionnement pour les procédés répondant aux défis technologiques de demain. L'objectif est de lever par avance une part de l'incertitude qui risque de freiner le développement de la technologie. Il s'agit de concevoir de manière anticipée la réglementation de l'avenir et d'en informer les industriels. L'Ineris intervient ainsi beaucoup dans l'évaluation des démonstrateurs qui constituent l'étape suivante à la réalisation d'un prototype et dont l'exploitation précède l'étape d'industrialisation du produit. L'Ineris à ce titre ne présente pas de brevets. Il établit des procédures et des règles de l'art pour les projets innovants. Il réalise aussi des certifications, et donc des audits auprès de ses clients.
L'implication de l'Ineris en amont de l'industrialisation fournit une voie pour conjuguer la sécurité avec la compétitivité, car l'établissement anticipé d'un référentiel normatif cohérent permet ensuite à la France d'aborder en position avantageuse la discussion de la normalisation internationale. Prendre les devants permet en effet d'orienter les règles en faveur des solutions techniques françaises.
L'objectif de la sécurité amène à construire des démarches de certification en entretenant un dialogue avec la société civile. À cet égard, l'Ineris se refuse de parler d'« acceptation sociale », formulation pouvant apparaître comme marquée par le parti pris des industriels, car traduisant la volonté de rendre a priori le risque acceptable. L'Ineris, en cherchant une formulation plus ouverte, a décidé de retenir une double négation : « le risque de non-acceptation ».
L'ouverture à la société civile est un point essentiel du positionnement de l'Ineris, car il est vital que son action soit perçue comme parfaitement objective et indépendante. J'ai introduit depuis 2008 le principe selon lequel tous les deux mois, les chercheurs doivent à tour de rôle participer à des débats présentant les travaux de l'Ineris, de sorte qu'ils se trouvent confrontés aux ONG. Cette stratégie paye : j'ai été témoin d'une scène où une représentante d'ONG est intervenue pour prendre la défense de l'Institut en face d'un autre représentant d'ONG ; l'accusation portait sur l'ambivalence du positionnement de l'Institut due à son financement pour partie sur contrats ; au terme du débat, le sentiment que cela n'altérait pas son indépendance a prévalu. Ces expériences permettent aux experts d'apprendre à mieux communiquer avec la société civile, car parler et débattre avec un public d'initiés ne s'improvise pas ; elles contribuent aussi à lutter contre l'asymétrie des connaissances, de manière à ne pas laisser le monopole de celles-ci aux industriels.
M. Pierre Toulhoat, directeur scientifique de l'INERIS. - D'abord quelques mots sur mon parcours professionnel : avant d'arriver à l'Ineris en 2005, ma carrière a commencé au CEA dans le domaine de la gestion des déchets nucléaires, puis s'est poursuivi au CNRS, sur les questions de métrologie relatives aux données de l'environnement. Je vais essayer de rendre compte des travaux de l'Institut à travers quelques exemples concrets.
L'Ineris dispose d'une plateforme pour les tests de sécurité des batteries lithium-ion qui permet d'effectuer des séries d'essais extrêmes (chocs, vibrations) selon des standards internationaux. À partir de ces essais, nous avons été en mesure de bâtir un référentiel d'utilisation qui a permis, via un comité de certification (dont sont membres des fabricants, des utilisateurs, des représentants du pouvoir public, des experts d'associations), d'établir la certification ElliCert, dont nous assurons la promotion au niveau international. L'incident de la batterie lithium-ion sur le Boeing 787 montre la nécessité de traiter la problématique de sûreté/sécurité très en amont.
La certification des conditions de travail sur les nanoparticules, y compris dans le cadre expérimental, est fondamentale pour préserver leur place dans l'avenir des technologies, tout incident pouvant constituer un frein brutal à leur développement. Dans ce domaine, l'Ineris partage un socle de connaissances avec l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). La certification NanoCert, dont la mise au point implique des associations comme « Ecologie sans frontières », concerne la performance des systèmes de protection collective (les hottes), mais aussi la formation des opérateurs.
L'Ineris intervient aussi dans le domaine de la sécurité sanitaire, et c'est un domaine où notre Commission d'orientation de la recherche et de l'expertise (CORE) joue un rôle particulièrement important. Mise en place depuis deux ans, elle regroupe des représentants de l'enseignement supérieur, de l'industrie, des associations, des syndicats, et des élus, et a pour première mission d'évaluer les orientations du programme d'action de l'Ineris. Sur les dossiers concrets qui lui sont soumis, elle aide à trouver les bonnes questions pour formuler les bonnes réponses.
Elle s'est vue ainsi confier la tâche de hiérarchiser 319 substances chimiques selon divers critères, dont certains relatifs à la perception par le public. Cette hiérarchisation doit constituer un outil d'aide à la décision pour la réduction des rejets conformément au « Plan national santé environnement ».
Elle est impliquée également dans la contribution de l'Ineris au programme REPERE (Réseau d'échanges et de projets sur le pilotage de la recherche et de l'expertise), plate-forme de dialogues, de propositions et de projets explorant les voies de la participation de la société civile au pilotage de la recherche et de l'expertise lancée suite au Grenelle de l'environnement. Dans le cadre de ce programme, l'Ineris conduit le projet PICASO qui consiste à élaborer des dossiers de référence évaluant la sécurité d'une part de produits chimiques, et d'autre part de méthodes alternatives à l'expérimentation animale dans le domaine de la santé et de l'environnement. Deux ONG représentées à la CORE participent au financement du projet, et contribuent activement aux investigations.
M. Vincent Laflèche. - Il faut prendre conscience que la mise au point de méthodes alternatives sûres à l'expérimentation animale n'a pas qu'un intérêt éthique, car l'enjeu en termes d'économie potentielle pour les entreprises concernées est très important. La difficulté réside en ce que ces méthodes ne doivent pas seulement être conçues en fonction d'impératifs techniques, mais qu'elles doivent aussi être acceptées par le public.
Les travaux de l'Ineris sur les hydrocarbures non conventionnels ne relèvent en aucun cas de la recherche sur les méthodes d'exploration ; à la demande unanime de la CORE, l'Ineris se concentre sur l'étude des risques, et s'organise pour assurer une veille technologique. Cela crée une situation exceptionnelle où des associations se trouvent à l'origine d'un investissement de connaissances dans ce domaine controversé, en vue de développer des compétences indispensables à la constitution d'une expertise publique. L'objectif est de lutter contre l'asymétrie de connaissances, pour ne pas laisser le monopole de celles-ci aux industriels, et créer les conditions d'un double éclairage, l'expertise publique devant être en mesure à terme de contrebalancer l'expertise industrielle. Il s'agit de préparer l'Ineris à aider l'autorité politique à prendre des décisions sans dépendre des seules informations du monde industriel. La CORE a ainsi soutenu le projet d'envoyer en 2013 un ou deux salariés de l'Ineris en mission de longue durée en Amérique du Nord afin d'aller y renforcer leur maîtrise du sujet.
D'une façon générale, le développement des relations de l'Ineris avec les ONG m'a conduit à prendre conscience qu'une bonne réponse à une mauvaise question reste une mauvaise réponse. C'est-à-dire que si on ne prend pas le temps d'avoir un débat sur les questions qui se posent, il est fort peu probable que les représentants de la société civile accepteront d'écouter les réponses qui seront proposées. Cela doit amener à revoir les programmes techniques pour prendre en compte les questions telles que les citoyens se les posent, et non pas seulement telles qu'elles apparaissent aux yeux des spécialistes.
Ce genre de démarche n'est pas incompatible avec la nécessité de travailler en liaison étroite avec les industriels pour acquérir une véritable maîtrise technique. Et c'est sans doute dans cette double approche de la compétence et du dialogue que se trouvent les conditions d'une expertise utile à l'éclairage du débat public.
M. Bruno Sido. - Avez-vous des liens particuliers avec d'autres organismes publics de recherches ? Par ailleurs, pouvez-vous précisez un peu plus la nature vos travaux relatifs aux hydrocarbures de roches mères ?
M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous vous occupez des risques véhiculés par l'air : comment abordez-vous le cas des nano particules ? S'agissant des évolutions du cadre normatif, quel est votre rôle dans les procédures ? Travaillez-vous sur les risques liés à l'utilisation de l'hydrogène ? Que pouvez-vous nous dire sur les technologies de stimulation des roches mères dans le cadre de l'exploitation des hydrocarbures de schistes ? Dans le domaine des risques numériques, avez-vous des travaux en cours sur le déploiement de la Google Car (voiture sans conducteur) ? Suite à vos études sur les batteries des véhicules, que pensez-vous des multiples incidents intervenus sur celles du Boeing 787 ? La nocivité du diesel est maintenant avérée (NOx, particules fines, etc.). Qu'en pense l'INERIS ?
M. Roland Courteau, sénateur. - Vous nous dites que 20 % de votre chiffre d'affaires correspond à des recettes sur contrats. Mais 20 % de combien ? Par ailleurs, à quels projets européens participez-vous ?
M. Jean-Marc Pastor, sénateur. - Avez-vous des programmes de partenariat avec d'autres structures similaires à l'étranger ? Menez-vous des études concernant les nouvelles énergies, et lesquelles ?
M. Vincent Laflèche. - Le chiffre d'affaires de l'Ineris est de 77 millions d'euros.
Nos liens avec les organismes similaires à l'étranger, essentiellement européens, permettent d'éviter des doublons. Nous nous rencontrons très régulièrement et cela permet d'être plus rapides et efficaces dans la réalisation de nos projets communs. Notre objectif pour le long terme, c'est de faire émerger une structure commune pérenne à l'échelle européenne. Au niveau communautaire, nous prenons notre part à la mise en oeuvre de la feuille de route pour « l'Horizon 2020 ».
L'initiative en matière d'évolution de la réglementation relève du Gouvernement. Nous nous contentons tout juste d'informer le ministère de l'actualité règlementaire à l'étranger.
Pour ce qui concerne l'hydrogène, on constate que la mise au point des produits progresse sans que les producteurs de la filiale s'attachent vraiment à concevoir des panels de test, en France en tout cas. Il serait pourtant utile de s'atteler à quelques travaux prénormatifs, ne serait-ce que pour anticiper les réactions de l'opinion publique : car d'aucuns assimilent la pile à hydrogène à la bombe H.
L'Ineris ne conduit pas de travaux spécifiques concernant la Google Car, mais une certification des circuits électroniques existe déjà. Le développement des connaissances dans ce domaine s'effectue en partenariat avec l'Université technologique de Compiègne.
S'agissant des nanoparticules, certaines ont des propriétés explosives, notamment celles intégrant des métaux. Elles posent donc des questions de sécurité industrielle, et l'Ineris est un des acteurs pionniers de la prévention des risques d'incendies et de dispersion de ces particules. En collaboration avec le CEA, nous avons, en outre, construit une installation d'expérimentation. Nous sommes les spécialistes de la toxicologie par inhalation, et nous avons même trouvé des nouvelles méthodes de détection. Certains de nos experts ont été récompensés pour leurs travaux sur la métrologie des nanoparticules ; et nous participons en liens avec d'autres organismes aux projets européens de normes sur la métrologie des nanoparticules.
En ce qui concerne les hydrocarbures non conventionnels, nous avons été sollicités durant la phase de préparation de la loi, comme le BRGM et l'IFPEN, pour proposer une analyse panoramique des risques et de leurs impacts. Mais nous n'avons pas de recherche à proprement parler sur les méthodes alternatives à la fracturation hydraulique, dont celle utilisant le propane. Cette dernière présente plusieurs avantages : elle permet d'éviter les pollutions de la phase de récupération de l'eau ; elle évite le recours à des additifs chimiques ; elle évite évidemment une consommation massive d'eau. Malheureusement cette technique a un inconvénient majeur : elle requiert de concentrer 70 à 90 tonnes de propane liquéfié ce qui constitue une véritable bombe.
Audition de M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
L'organisme que vous dirigez est un élément essentiel de la sûreté de l'utilisation des substances radioactives. La loi de 2006 lui a conféré un rôle supplémentaire, celui de renforcer la transparence sur ces questions, en précisant qu'il publie chaque année un rapport résumant les avis qu'il a formulés pendant un exercice.
Intervenant sur toutes les utilisations des substances radioactives, ce qui constitue un champ très vaste d'activité, l'Institut est un des organismes de recherches qui emploie un très grand nombre de chercheurs et d'ingénieurs de recherche.
Tous les intervenants de la filière électronucléaire savent qu'il y a un avant et un après Fukushima. J'aimerais que vous puissiez nous donner à la fois votre sentiment sur cette question et nous exposer les inflexions que cet accident nucléaire a apportées à l'action de votre Institut.
M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - Je suis accompagné de Thierry Charles, directeur général adjoint en charge des questions de sûreté nucléaire et d'Audrey Lebeau, en charge des questions parlementaires à la direction de la Stratégie.
Je remercie l'Office pour cette audition. En effet, l'IRSN, qui existe depuis dix ans, a été auditionné à un certain nombre d'occasions ponctuelles par votre Office, mais c'est la première fois qu'il est auditionné à titre institutionnel. Je vous en suis reconnaissant.
Au cours de ses dix années d'existence, l'IRSN, dont l'Office a été l'un des instigateurs, a démontré son bien-fondé. Malgré un schéma complexe - 5 ministères de tutelle et de nombreuses administrations bénéficiaires de notre appui technique - l'IRSN fonctionne de façon satisfaisante. Il permet de mutualiser des travaux demandés par des organismes divers. Le ministère de l'écologie est le principal responsable de la tutelle de l'Institut. Son autorité n'est pas contestée. Le budget de l'IRSN est préservé. Le parlement a substitué à des crédits budgétaires une contribution additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, qui est par nature plafonnée et rapporte 48 millions d'euros par an, avec un rendement très élevé, proche de 100 %.
La recherche menée au sein de l'Institut débouche sur des outils d'expertise performants, reconnus dans le monde entier, notamment dans les domaines suivants : l'évaluation des dispositifs de sûreté, la compréhension des accidents graves, l'évaluation du projet de stockage géologique des déchets radioactifs Cigéo (Centre industriel de stockage géologique pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue). Porter un regard indépendant de celui de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sur ce sujet est fondamental. C'est le fruit de travaux qui avaient commencé bien avant la création de l'IRSN.
En matière de sûreté nucléaire, nous avons mis au point un système de simulation remarquable. Nous invitons d'ailleurs les membres de l'Office à venir visiter cette installation développée en partenariat avec Areva, avec l'aide d'un spécialiste canadien de la simulation numérique. Nous souhaitons qu'EDF rejoigne prochainement ce projet. C'est un outil extrêmement performant.
Nous avons de nombreux partenaires : universités, écoles doctorales, CEA, CNRS. La recherche n'est pas effectuée en vase clos. L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) a donné un satisfecit d'ensemble à nos travaux. Une de nos unités de recherche a obtenu la note A+. L'AERES a reconnu la qualité de la recherche menée par l'IRSN, tout en formulant des suggestions d'améliorations. Ce n'était pas gagné d'avance étant donné les conditions de création de l'IRSN, qui a été séparé du CEA, mais a néanmoins préservé sa dimension d'institut de recherche. L'âge moyen des chercheurs de l'IRSN est inférieur à 40 ans. Ceux-ci publient dans le monde entier. Notre activité d'expertise est couverte par la norme ISO-9000. Nous recevons environ 1.500 saisines par an, dont 600 par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et un peu moins par l'Autorité de sûreté nucléaire de Défense et le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité. L'IRSN sert la sûreté, la radioprotection mais aussi la sécurité nucléaire.
Plus généralement, vis-à-vis de la société, la confiance dans la validité des assertions de l'Institut a beaucoup progressé entre Tchernobyl et Fukushima. On se souvient de la mise en place d'une commission présidée par le professeur Aurengo, à l'époque de la catastrophe de Tchernobyl, pour tirer au clair les controverses entre l'OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants) et l'IPSN (Institut de protection et de sécurité nucléaire). In fine, ce travail a débouché sur un rapport du Conseil scientifique de l'IRSN validant la reconstruction des retombées environnementales de l'accident nucléaire en France, qui ont été importantes mais n'ont pas eu de conséquences en termes de santé publique, en raison de l'alimentation très diversifiée de nos concitoyens.
Au moment de l'accident de Fukushima, l'IRSN a annoncé à l'avance la date d'arrivée de la contamination, qui était de l'ordre de 1000 fois moins importante que celle de Tchernobyl. Nous avons été un peu contestés par la CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité) mais globalement, tant les associations que les médias et l'ensemble des observateurs ont approuvé la démarche de l'IRSN. C'est le signal de la maturité de l'expertise de l'IRSN et de la reconnaissance de ses compétences par la Nation toute entière.
L'objectif en France est celui de « zéro accident » : le tenir représente un fardeau, d'autant qu'il faut aussi être prêt « au cas où ». L'IRSN se concentre sur cette double approche.
L'IRSN est l'opérateur national de la surveillance radiologique. 300.000 personnes travaillent en France dans une ambiance où il peut y avoir des rayonnements ionisants, y compris dans le domaine de la médecine. L'IRSN tient le décompte national des doses de tous ces travailleurs, du personnel des hôpitaux jusqu'à celui d'Air France.
Nous avons défini une charte d'ouverture sur la société. Nous privilégions le dialogue avec les Commissions locales d'information (CLI). Au-delà, nous répondons à toutes les questions qui nous sont posées par tout citoyen ou toute organisation. Notre transparence progresse puisque nous avons un accord avec l'ASN pour publier un plus grand nombre d'avis. C'est un travail important car cela signifie que nous devons rendre nos avis plus accessibles au grand public.
Enfin, l'IRSN est reconnu en Europe et dans le monde. À titre d'exemple, l'autorité de sûreté américaine nous demande régulièrement notre avis sur des projets de réglementation, dans le cadre de commissions publiques. Il est tenu compte de nos avis.
Nous ne sommes pas que l'appui technique d'une autorité pour faire respecter des règlements. Nous sommes là aussi pour faire avancer la sûreté. Tant les accidents de Tchernobyl que de Fukushima se sont produits dans des contextes de recul de la sûreté. Faire avancer la sûreté, ce n'est pas qu'une question de contrôle. C'est aussi une affaire d'économie de la filière nucléaire car les exploitants sont les premiers responsables de la sûreté. Si l'exploitant n'est pas en bonne santé économique, la sûreté peut être mise en cause. Il ne faut pas que la sûreté vienne en compétition avec la situation économique des entreprises. Ce n'est pas le cas aujourd'hui mais c'est à prendre en compte dans le débat sur la transition énergétique. Il faut veiller à ce que les contraintes imposées à l'industrie électrique ne mettent pas en danger la situation économique de la filière nucléaire.
La culture de sûreté est un paramètre essentiel, qui échappe à toute réglementation. Elle signifie reconnaître qu'on ne sait pas tout et qu'il faut donc conserver des marges de sûreté au-delà des risques connus. Cette nuance ne figurera jamais dans aucune loi ni aucun décret. Elle est d'ordre éthique. Nous développons nos travaux en sciences sociales à ce sujet.
La connaissance scientifique des risques est essentielle. Les Japonais n'ont pas tiré les conséquences de risques qu'ils connaissaient pourtant. C'est un déficit de culture de sûreté. En France, la connaissance des séismes continue de progresser. Aujourd'hui, certaines marges se sont révélées moins amples qu'on le pensait sur certains sites. C'est un sujet de débat d'actualité avec EDF.
La sûreté, c'est bien sûr aussi le contrôle. Il faut une autorité forte, des sanctions crédibles et une réglementation adéquate. La France fait figure de modèle de ce point de vue.
Enfin, le dernier paramètre de la sûreté, c'est la vigilance de la société. Un pays qui se désintéresse de son industrie nucléaire prend un risque en matière de sûreté, quelle que soit la compétence de ses exploitants et des autorités. Le Japon nous donne l'exemple d'un système clos, géré par la haute administration et les grands exploitants, sans l'équivalent des CLI, où la Diète ne prêtait aucune attention au sujet de la sûreté nucléaire, jusqu'à l'accident de Fukushima.
À l'IRSN, nous suivons l'ensemble des enjeux de sûreté y compris indirects, d'ordre financier ou dans le domaine des sciences sociales.
Qu'est ce qui a changé depuis 2011 ?
En premier lieu, au travers des évaluations complémentaires de sûreté (ECS), nous avons mis en évidence un certain nombre de vulnérabilités des installations nucléaires françaises, vis-à-vis d'événements naturels hypothétiques mais néanmoins possibles. Certains scénarios conduisent à l'accident. Ils ont une probabilité très faible. L'IRSN a donc proposé de créer un « noyau dur » de sûreté, c'est-à-dire d'ajouter une couche de précautions supplémentaires pour continuer à piloter l'installation nucléaire même en cas d'indisponibilité des outils de refroidissement. Cette notion a été acceptée dans son principe par EDF. Elle est promue également par l'ASN et l'autorité de sûreté nucléaire de défense. Nous en sommes à la phase de conception détaillée avec EDF.
Il faut veiller à la machine humaine qu'est l'IRSN, proche de la saturation, car le travail post-Fukushima est venu s'ajouter à son travail usuel. Il ne faudrait pas, au motif qu'il y a eu l'accident de Fukushima, délaisser notre travail habituel. Par ailleurs, la loi de 2006 entraîne une suractivité documentaire. Elle rapproche le contrôle des installations nucléaires de ce qui existe pour les sites Seveso. Nous avons quelques doutes sur le bien-fondé à long terme de cette inflation réglementaire : la loi a généré mécaniquement une complexification, en sorte que l'on passe plus de temps à gérer des dossiers qu'à gérer des problèmes de sûreté. C'est une évolution qui, personnellement, m'inquiète.
Une deuxième conséquence de l'accident de Fukushima est indirecte : elle concerne la sécurité nucléaire, après les actions menées par Greenpeace. Si des installations peuvent être affectées par un cataclysme naturel, elles pourraient aussi l'être par des actes de malveillance. Greenpeace a prouvé que l'on pouvait entrer dans l'enceinte d'une centrale et a essayé de montrer qu'il existait une vulnérabilité au risque terroriste. De notre point de vue, cette vulnérabilité n'est pas avérée mais le signal politique a été repris et l'administration s'interroge sur la solidité du dispositif réglementaire et humain existant en matière de protection physique des installations. L'IRSN est partie prenante à cette réflexion. Nous avons contribué à l'évolution de la réglementation.
La troisième conséquence de l'accident de Fukushima est relative à notre capacité de gestion des crises. Si une vraie catastrophe se produisait en France ou à proximité, nous serions très vite débordés, non pas tant dans la phase d'urgence que par les conséquences gigantesques d'un accident nucléaire qui toucheraient l'ensemble de la société. Lors de l'accident de Fukushima, nous avons été appelés à l'aide par de très nombreuses entreprises françaises présentes au Japon, y compris pour des problèmes en réalité inexistants. En 2012, nous avons conçu une nouvelle organisation de crise. Nous lançons des exercices internes pour nous y préparer. Nous avons un organigramme de crise qui permettrait de réunir de manière opérationnelle tous les laboratoires, tous les experts compétents pour faire face à des besoins importants et cruciaux pour réduire le coût, a posteriori, de l'accident.
L'IRSN a travaillé sur le coût d'un accident nucléaire. Une bonne part de ce coût est indirecte : il résulte des conséquences psychologiques de l'accident. L'expertise peut contribuer à ce que les comportements demeurent aussi rationnels que possible. Nous travaillons au Japon pour comprendre comment la population d'un pays, avancé sur le chemin de la société de la connaissance, gère cette question.
Je conclurai en ajoutant que l'attente vis-à-vis de l'IRSN semble toujours plus forte, tandis qu'on nous demande des économies sur nos moyens. Nous ne contestons pas le bien-fondé de ces économies, mais il faudrait les faire sur les démarches administratives plutôt que sur l'expertise. Il ne faudrait pas que notre expertise soit sous-utilisée en mode administratif.
Les débats publics sur Cigéo et sur la transition énergétique sont essentiels. Ils auront des conséquences sur la gestion de la sûreté. L'IRSN s'y intéresse. Nous suivons le débat sur la transition énergétique à la demande de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Nous allons produire un cahier d'acteur dans le débat sur Cigéo.
Enfin, nous participons aux débats qui se déroulent dans le cadre de l'Union européenne. Nous essayons de bâtir avec la Commission européenne et nos homologues en Europe une plateforme ouverte sur la société, susceptible de rassembler les principaux acteurs de la recherche, en harmonie avec les parties prenantes.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions.
M. Jean-Marc Pastor. - Vous avez des relations avec des partenaires internationaux et notamment européens. Participez-vous à des programmes de recherche communs avec ces partenaires ?
Comment le grand public peut-il s'approprier le thème de la radioprotection ? Les sujets que vous traitez sont sensibles. Au-delà du travail des CLI, participez-vous à d'autres débats contradictoires ?
M. Jacques Repussard. - Non seulement nous participons à des programmes internationaux de recherche mais, en réalité, presque tous nos programmes de recherche sont cofinancés à l'échelle internationale. Il est utile de mutualiser l'accès à des installations expérimentales. Nous avons besoin d'installations : Américains, Russes et Japonais en ont. Des chercheurs de l'IRSN sont résidents permanents à l'étranger : au Japon (avant l'accident de Fukushima), à Sandia (Nouveau-Mexique), par exemple. Nous avons signé un accord au Canada pour participer à des travaux de recherche sur le tritium, car nous ne souhaitions pas mettre en place en France d'installation pour tester les effets d'une contamination. Des chercheurs de l'IRSN participent donc à des travaux dans une animalerie contaminée au Canada.
J'ai contribué à la création d'une association pour la recherche en Europe qui rassemble la plupart des institutions de recherche en radioprotection. La question de la compréhension des effets des faibles doses nous est posée tant par le grand public que par les responsables. Le système de radioprotection est fondé sur l'application d'une loi de proportionnalité du dommage sanitaire à la dose. En application du principe de précaution, on applique cette loi jusqu'à des doses quasi nulles. Ce type de raisonnement ne tient pas la route. Ainsi, après l'accident de Tchernobyl, l'exposition de millions de personnes à de faibles doses aurait provoqué des dizaines de milliers de morts. Or ce n'est pas ce qui s'est produit. Mais la réglementation est fondée sur ce type de raisonnement. Il faut aller au-delà. Malheureusement les unités que nous utilisons (le becquerel, le milli-sievert) sont incompréhensibles pour le grand public. Elles ne sont pas appropriées pour traiter correctement des très faibles niveaux de doses. Des incertitudes importantes demeurent sur la relation entre l'effet sanitaire et la dose : on ne sait pas s'il existe un seuil, on ne connaît pas ce qui gouverne la radiosensibilité individuelle, c'est un inconvénient pour la radiothérapie. On connaît mal la nature de la défense des organismes vivant vis-à-vis des rayonnements. Les enjeux réels sont dans le monde médical, plus que dans celui de l'industrie nucléaire, qui a fait beaucoup de progrès. Les bilans d'EDF sont excellents : en 2011, seules deux personnes (y compris chez les sous-traitants) avaient dépassé les doses admises. L'accroissement de la sous-traitance et des contraintes économiques peut susciter des inquiétudes mais le système est globalement solide.
Pour le grand public, les doses sont infimes, mais cette idée est difficile à véhiculer.
Nous répondons toujours présents lorsque nous sommes sollicités pour des débats publics, dans les CLI ou ailleurs.
Mme Delphine Bataille, sénatrice. - Vous avez évoqué votre rôle à l'échelle internationale, pouvez-vous approfondir ce point en détaillant vos coopérations internationales ?
M. Jacques Repussard. - Nous travaillons avec la plupart des grands pays nucléaires. Nous coopérons avec plusieurs institutions de Russie (autorité de sûreté, appui technique, académie des sciences) ; c'est aussi l'héritage des coopérations du CEA. Avant l'accident de Fukushima, nous travaillions avec le Japon sur le cycle nucléaire et les réacteurs de quatrième génération. Aujourd'hui, nous travaillons beaucoup avec le Japon sur la radioprotection. Nous coopérons également avec la Chine et d'autres pays accédant à l'énergie nucléaire (Afrique du sud, Inde, Émirats arabes Unis etc.) afin de leur apporter un appui pour maîtriser la sûreté nucléaire. Nous maintenons aussi une coopération avec des pays d'Europe de l'est et notamment l'Ukraine. Nous avons un programme cofinancé par l'Union européenne qui permet d'essaimer les savoir-faire européens dans le monde. Je précise que lorsque nous intervenons à l'étranger, nous considérons que cela ne doit pas être aux frais du contribuable français, mais soit grâce à des crédits européens, soit sur devis.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous avez abordé la question du coût d'un sinistre. Vous évaluez le coût d'un accident majeur à 400 milliards d'euros soit 20 % du PIB français. Comment la communauté scientifique a-t-elle accueilli cette étude ?
M. Jacques Repussard. - Nous n'avons pas encore publié toutes les données qui sous-tendent ces évaluations. Nous allons le faire et il y aura des débats sur deux sujets : le scénario d'accident choisi ; les calculs économiques réalisés. Nous allons publier ces calculs dans des revues économiques pour susciter un débat entre spécialistes. J'ai appris aujourd'hui que l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE ouvre également une réflexion sur ce sujet.
Le débat aura donc lieu. Nous avons des arguments solides. Nos études ont duré plusieurs années. Elles sont fondées sur des extrapolations à partir de cas réels. Savez-vous qu'après l'incident de Tricastin, Areva a dû acheter toute la production agricole de la zone en aval de l'installation alors que la contamination était nulle ? Voilà le type de mécanisme qui se met en oeuvre lors d'un accident. Par ailleurs, le coût que nous avons calculé est le coût total intégré sur une vingtaine d'années. Le coût de l'accident de Fukushima au Japon sera probablement plus élevé que ce chiffre de 400 milliards d'euros.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Il existe des estimations sérieuses à ce sujet ?
M. Jacques Repussard. - Il existe des débuts d'évaluations mais pas d'étude aussi globale que la nôtre pour le moment. Certains indicateurs donnent une tendance significative : le déficit de la balance des paiements du Japon par exemple. Notre sujet n'est pas de discuter du montant total de notre évaluation, car tout le monde sait qu'un accident nucléaire est très coûteux, mais de discuter ligne par ligne.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Menez-vous toujours un programme d'évaluation des effets de l'accident de Tchernobyl ?
M. Jacques Repussard. - Le déploiement des radionucléides dans le sol fait toujours l'objet de recherches. Nous avons maintenu un laboratoire à 2 km du réacteur accidenté, qui permet de suivre et de modéliser le devenir de ces radionucléides, notamment le césium.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Et s'agissant des effets de ces radionucléides sur l'homme ?
M. Jacques Repussard. - Il existe un travail européen réalisé dans le cadre de l'association que j'ai déjà mentionnée, pour analyser le suivi de cohorte. Mais en raison de la méconnaissance des doses reçues, il est difficile de tirer des conclusions solides à partir des phénomènes observés. Les chiffres connus pour les « liquidateurs » ne sont pas fiables. Nous risquons de rencontrer le même problème au Japon car les Japonais n'ont pas réalisé de mesures de doses à grande échelle après l'accident de Fukushima. L'IRSN pilote les études consacrées à l'exposition humaine, qui donneront lieu à un rapport du comité des Nations Unies sur l'effet des rayonnements ionisants, mais sur la base des informations données par les Japonais.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Un autre sujet d'intérêt pour l'Office est le programme expérimental mené par l'IRSN sur le site de Tournemire. Il semblerait que ces recherches soient mal coordonnées avec celles menées par l'ANDRA. Pourquoi n'y-a-t-il pas de concertations entre toutes les équipes travaillant sur le stockage géologique des déchets radioactifs ?
M. Jacques Repussard. - On demande à l'IRSN d'évaluer les dossiers de l'ANDRA. Si nous les évaluions uniquement à partir de leurs modèles, nous serions certains de trouver les mêmes résultats qu'eux. Nous devons évaluer la sensibilité des modèles de l'ANDRA, c'est-à-dire leurs marges d'erreur, en analysant une roche voisine de celle de Bure.
L'ouvrage de Tournemire existe depuis cent ans, ce qui permet une analyse de l'évolution de la roche dans le temps. Il s'agit d'un tunnel ferroviaire, d'accès facile, où les recherches sont peu coûteuses. On y dépense moins de 1 % du coût de Bure.
Les programmes de l'IRSN et ceux de l'ANDRA ne sauraient être confondus, mais des concertations existent. Nous avons accès à tous les résultats obtenus sur le site de Bure. Nous avons un accord de coopération scientifique avec l'ANDRA. Cet accord fonctionne bien. Dans certains domaines où il s'agit d'acquérir des données de base ne faisant pas partie de la démonstration, nous travaillons ensemble. À l'échelle européenne, de nombreux pays prohibent le dialogue entre l'agence traitant des déchets radioactifs et l'appui technique. C'est le cas en Suisse, pour garantir l'indépendance de chaque organe. Cela peut nous paraître absurde mais c'est une réalité. La plateforme européenne sur les déchets se heurte d'ailleurs à cette difficulté.
M. Jean-Yves Le Déaut. - D'après vous, l'IRSN ne saurait être considérée simplement comme un appui technique de l'Autorité de sûreté nucléaire. Pourtant, la fusion de l'ASN et de l'IRSN avait été envisagée dès l'origine. Elle avait été écartée au nom de la nécessaire indépendance de l'expertise. Mais aujourd'hui l'idée refait surface. M. Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, souhaite diminuer le nombre d'instances de régulation. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Jacques Repussard. - Si une telle fusion était annoncée, je démissionnerais. Ce serait une très mauvaise décision. Les risques nucléaires sont sensibles dans l'opinion. Nos concitoyens ont compris que l'on avait séparé décideurs et évaluateurs des risques, dans la transparence. Si vous fusionnez les deux fonctions, il n'y aura plus d'avis de l'IRSN, au sein du dispositif ASN. C'est de haute lutte que j'ai obtenu d'André-Claude Lacoste, ancien président de l'ASN, que nos avis soient publiés. Dans le cadre des ECS ou de Cigéo, il existe une forte pression. Cette indépendance est nécessaire.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Mais de ce fait, n'exercez-vous pas une part du rôle de l'autorité ? Cette dualité de l'expertise et de l'autorité est-elle nécessaire ? Ce schéma est-il identique dans tous les pays ?
M. Jacques Repussard. - Il n'en est pas ainsi dans tous les pays, mais beaucoup de pays ont des accidents nucléaires.
M. Jean-Yves Le Déaut. - En raison de cette absence de dualité ?
M. Jacques Repussard. - Aux États-Unis, la compétence scientifique est détenue par le DOE (Department of Energy) et non la NRC (Nuclear Regulatory Commission). Quand l'ASN se réfère à la NRC, ce n'est pas un bon modèle. Les experts de la NRC, et particulièrement son directeur de la recherche, ont une vision bornée par leur propre réglementation. En France, l'IRSN est libre de ses travaux de recherche. Un comité d'orientation des recherches a été mis en place pour prendre en compte l'avis de toutes les parties prenantes. Cette liberté ne serait pas la même au sein de l'Autorité. Une fusion permettrait, certes, de faire des économies budgétaires, mais je refuserais d'y participer.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Sur les sujets de coopération internationale, ne faudrait-il pas qu'il y ait une articulation entre les activités de l'IRSN et celles de l'ASN ?
M. Jacques Repussard. - Cette articulation existe. Il y a une bonne entente avec l'ASN. Nous différons sur la reconnaissance de l'autonomie scientifique de l'IRSN. Mais pour tout le reste notre coopération fonctionne très bien. Dans beaucoup d'autres pays il existe des TSO (Technical Safety Organisations) tels que l'IRSN. Il est vrai qu'en France, nous avons été jusqu'au bout du raisonnement sur l'indépendance nécessaire de l'expertise. C'est un modèle qui est admiré dans le reste du monde, qui donne des résultats, et qu'il faut défendre. Des accidents majeurs ont eu lieu aux États-Unis, en Russie, au Japon. En France, nous n'avons jamais eu de pépin majeur. Mais la conception de nos réacteurs ne l'exclut pas. Nous ne sommes d'ailleurs pas passés loin d'accidents. Nous n'avons pas le droit de prendre des risques.
M. Jean-Yves Le Déaut. - On disait que les relations entre le directeur de l'IRSN et sa présidente n'étaient pas très bonnes. Qu'en est-il avec le nouveau président de l'IRSN ?
M. Jacques Repussard. - Ce sont des rumeurs infondées. Nous avons un nouveau président qui est intérimaire car le mandat du conseil se termine en juillet prochain. Mme Agnès Buzyn n'a pas quitté l'IRSN pour cause de mésentente. Le modèle fonctionne d'autant mieux qu'il y a un directeur général exécutif et un président non rémunéré, non exécutif.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous évoquiez le rapport de l'AERES sur l'IRSN. J'ai lu ce rapport, qui recense effectivement des points forts de l'IRSN, mais aussi des points faibles, notamment : un déficit de vision stratégique de long terme, des faiblesses dans la politique scientifique, une absence de priorisation de la prospective dans la stratégie des partenariats notamment au plan international, une hétérogénéité dans les niveaux de pilotage et d'organisation des directions de l'IRSN...
M. Jacques Repussard. - Ce rapport date d'il y a deux ans. Nous avons depuis lors pris des mesures de correction, comme vous le verrez dans un rapport interne que je vais vous transmettre. Nous avons pris ces critiques très sérieusement. Un certain nombre de remarques résultaient d'explications insuffisantes. D'autres correspondaient à des réalités. Nous avons donc pris des mesures.
Les observations de l'AERES étaient d'une justesse inégale. S'agissant des stratégies internationales par exemple, certaines informations sont fausses. Sur la vision stratégique, il est vrai que l'IRSN s'est fait historiquement à partir de laboratoires, selon un schéma « bottom up ». La vision d'ensemble a mis du temps a émergé. C'est en train de se concrétiser aujourd'hui. L'accident de Fukushima y a incité. Il existe aujourd'hui des axes d'effort. La priorité de l'IRSN est de s'intéresser à ce qui se passe au-delà du dimensionnement des installations. Notre expertise n'est pas concurrente de celle de l'ANDRA, du CEA ou d'EDF pour cette raison.
Notre direction scientifique avait un rôle d'évaluation. Le travail prospectif sur les programmes était réalisé par la direction de la stratégie. Nous avons tiré les conséquences de ce qu'a dit l'AERES en supprimant la direction scientifique. L'IRSN n'est pas universitaire. Nous n'avons pas une vision disciplinaire, contrairement à nos évaluateurs.
Par ailleurs, nous avons complété notre Conseil scientifique par un Comité de Visite, pour répondre aux critiques.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Les membres de ce Comité ont été nommés par vous ?
M. Jacques Repussard. - Oui, ce qui me permet de choisir des personnalités respectées par la communauté internationale et présentes aux réunions. Le Comité de Visite examine nos programmes en détail tandis que le Conseil scientifique s'intéresse à la stratégie d'ensemble. Nous vous enverrons le dernier rapport du Conseil scientifique.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Nous vous remercions.
Jeudi 28 février 2013
- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -Audition publique, ouverte à la presse, sur « l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2013-2015 »
M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST. - Mes collègues Jean-Yves Le Déaut, Christian Bataille et moi-même sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - souvent désigné par l'acronyme OPECST - pour cette audition organisée dans le cadre de l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ou PNGMDR.
L'Office parlementaire a été créé en 1983. Seul organe commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, il a pour mission de permettre au Parlement d'évaluer, en toute indépendance, les enjeux stratégiques et sociaux des avancées scientifiques et technologiques. Il réunit dix-huit députés et dix-huit sénateurs, assistés d'un conseil scientifique de 24 experts de réputation internationale.
La troisième édition du PNGMDR, pour la période 2013-2015, a été transmise au Parlement en janvier dernier. Conformément à la loi de programme du 28 juin 2006, elle doit faire l'objet d'une évaluation par l'Office parlementaire. Celle-ci sera réalisée, en toute transparence, notamment à l'occasion de deux auditions publiques.
Cette première audition comprend deux tables rondes. La première sera consacrée au fonctionnement du groupe de travail pluraliste du PNGMDR, animé par l'Autorité de sûreté nucléaire et la Direction générale de l'énergie et du climat, auquel participent notamment l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les grands producteurs de déchets : Areva, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et EDF, ainsi que plusieurs associations de défense de l'environnement. Compte tenu de la durée, réduite à une demi-journée, de cette première audition, seule une petite partie des participants au groupe de travail pourra aujourd'hui exprimer son point de vue. Mais nous prendrons en compte, le cas échéant, les contributions écrites qui pourraient nous être adressées par les autres participants au groupe de travail.
La deuxième table ronde sera consacrée au projet de centre de stockage des déchets de haute et moyenne activité à vie longue Cigéo. Le stockage géologique profond est l'un des trois axes de recherche sur la gestion des déchets définis par un rapport de l'Office, à la fin des années 90, puis repris dans la loi du 30 décembre 1991, dont le rapporteur, Christian Bataille, vice-président de notre Office, est aujourd'hui parmi nous. C'est l'une des caractéristiques importantes de notre Office que d'assurer ainsi un suivi de long terme des sujets qu'il traite. Cette table ronde s'avérera d'autant plus intéressante que le projet Cigéo se trouve à une étape essentielle de son développement puisque la loi du 28 juin 2006, dont Christian Bataille et mon prédécesseur à la présidence de l'Office, Claude Birraux, étaient les rapporteurs, prévoit une consultation des citoyens, au travers du débat public qui commencera au mois de mai prochain.
Je vais à présent donner la parole à Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l'Office.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Avant de donner la parole à Christian Bataille qui va évoquer les conclusions du rapport d'évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs pour la période 2010-2012, je vais brièvement rappeler le contexte législatif dans lequel s'inscrit ce document et plus généralement la gestion des matières et déchets radioactifs, ainsi que la façon dont l'Office a contribué à sa mise en place.
La prise de contact de l'Office avec la question de la gestion des déchets s'est faite à la fin des années 80. Le Gouvernement avait autorisé une campagne d'exploration pour rechercher une zone géologique propice au stockage en profondeur des déchets, et la population a réagi très vivement face à cette initiative, se sentant tenue à l'écart.
Le Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, a mis fin à la campagne d'exploration, et a laissé au Parlement le soin d'engager une concertation approfondie pour clarifier la situation; c'est ainsi que notre collègue Christian Bataille s'est trouvé investi de la tâche, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de rendre en 1990 un rapport sur la stratégie de gestion des déchets radioactifs.
Ce rapport a présenté un ensemble de dispositions pour remettre à plat la manière d'aborder ce dossier, qui était à l'époque dans une impasse. Ces dispositions ont formé ensuite la structure d'une première loi française sur la gestion des déchets, publiée le 30 décembre 1991, dite loi Bataille. Cette loi a fixé les lignes directrices de la recherche sur les déchets radioactifs. Elle est aussi à l'origine de la création de l'Andra, l'agence chargée de la gestion des déchets en France.
Dans les années suivantes, l'Office a accordé une attention particulière au suivi des réalisations et des recherches en matière de déchets radioactifs. Au total, l'OPECST a produit, depuis 1990 et jusqu'à ce jour, une trentaine de rapports sur les questions nucléaires, soit presqu'un rapport par an.
J'ai moi-même publié en 1992 un rapport consacré aux déchets très faiblement radioactifs, à une époque où une réglementation française peu claire, imprécise et parfois même incohérente, avait conduit à de multiples « affaires » de décharges qui avaient ému la population. Mes principales recommandations portaient sur la clarification de la législation, la réhabilitation des anciens sites de stockage, une meilleure information de la population, le contrôle des sources radioactives utilisées dans l'industrie ou la médecine et l'étude des effets des faibles doses sur la santé humaine.
En janvier 2000, un rapport de l'Office, publié par Michèle Rivasi, proposait aux pouvoirs publics d'étudier la faisabilité d'un plan national de gestion des déchets radioactifs. En 2005, un huitième rapport de l'Office a été à l'origine de la deuxième loi française concernant la gestion des déchets radioactifs, dont les rapporteurs étaient Christian Bataille et Claude Birraux.
Cette loi, datée du 28 juin 2006, prévoit notamment que le Gouvernement établit un « plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs » et le met à jour tous les 3 ans. Ce plan doit ensuite être transmis pour évaluation au Parlement qui en saisit l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
En réalité, à la suite de la recommandation de l'OPECST de créer un plan de gestion des déchets radioactifs, une concertation a été engagée, dès 2003, sous l'égide du Gouvernement, avec les principaux acteurs de la gestion des déchets radioactifs, y compris des associations, pour définir les objectifs de ce document et les conditions de sa réalisation. Aussi, une fois le plan institué par la loi de 2006, sa première édition, pour la période 2007-2009, a pu être rapidement élaborée par ce même groupe de travail pluraliste, sous l'égide du Gouvernement et de l'Autorité de sûreté nucléaire. Christian Bataille et Claude Birraux en ont publié, le 6 mars 2007, le rapport d'évaluation.
Je vais à présent laisser la parole à Christian Bataille qui va revenir sur les conclusions du rapport d'évaluation du deuxième PNGMDR, pour la période 2010-2012, intitulé « Déchets nucléaires: se méfier du paradoxe de la tranquillité », qu'il avait publié, en janvier 2011, avec Claude Birraux. Ce sera ensuite au tour de MM. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC), et Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN, de nous présenter le dernier PNGMDR pour la période 2013-2015.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je remercie Jean-Yves Le Déaut pour ce rappel sur la contribution de l'Office à l'élaboration du cadre législatif de la gestion des matières et déchets radioactifs et du PNGMDR. Je vais revenir, comme il vient de l'annoncer, sur le rapport d'évaluation du précédent plan que nous avons publié, avec Claude Birraux, le 19 janvier 2011.
La préparation de ce rapport d'évaluation a constitué un parfait exemple des manières de travailler de l'Office, puisqu'il a été réalisé sur la base d'une consultation très large. Celle-ci a consisté, d'une part, en l'audition, dans les locaux de l'Office, d'une trentaine de participants au groupe de travail, et d'autre part, en la rencontre, sur le terrain, en France comme à l'étranger, d'une quarantaine de personnes impliquées, au quotidien, dans la gestion des matières et déchets nucléaires.
À la sortie de cette évaluation, nous avons estimé que le PNGMDR 2010-2012 répondait de façon satisfaisante aux objectifs fixés par la loi de 2006, que le bilan de la mise en oeuvre du dispositif de gestion des déchets nucléaires en France était plutôt encourageant et que les institutions prévues, dont le groupe de travail à l'origine du plan, fonctionnaient correctement.
Malgré ce bilan positif, nous avons émis un certain nombre de recommandations. Je me limiterai à évoquer celles relatives aux deux sujets qui nous occupent aujourd'hui : d'une part, le plan et sa démarche d'élaboration et, d'autre part, l'avancement du stockage des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
D'abord, sur le contenu du PNGMDR 2010-2012, nous avons noté l'effort réalisé pour couvrir des types de déchets peu ou pas pris en compte dans l'édition précédente : par exemple les résidus miniers ou encore ce qu'on appelle la radioactivité naturelle renforcée.
Malgré tout, nous avons jugé que d'autres progrès, dans cette direction, restaient possibles, car certains aspects étaient peu ou pas traités. Par exemple, le plan 2010-2012 ne prévoyait pas de façon assez complète toutes les options stratégiques d'évolution de la filière nucléaire pouvant être retenues à la suite d'un nouveau choix politique de la nation. Nous avons donc demandé que cela soit pris en compte dans le plan 2013-2015. Le débat en cours sur la transition énergétique démontre l'utilité de cette recommandation.
De la même façon, nous avons demandé que le plan comporte un descriptif des enjeux financiers de la gestion des matières et déchets radioactifs, notamment du point de vue des ordres de grandeur, avec des indications sur les coûts et les mécanismes de financement. Cette recommandation était déjà présente dans notre rapport d'évaluation du premier PNGMDR mais n'avait pas été suivie d'effet. Pourtant, nous avions constaté que dans d'autres pays, comme l'Espagne, ces informations étaient intégrées dès l'origine dans le plan de gestion des déchets radioactifs.
Nous avons aussi compris, à l'occasion des multiples auditions réalisées, que le PNGMDR avait dépassé les objectifs institutionnels assignés par la loi de 2006. Il est devenu, et je crois que c'est encore plus vrai aujourd'hui, pour les associations et le public, en quelque sorte, une référence sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Ils s'attendent donc à y trouver toutes les informations sur ces matières et déchets mais sous une forme intelligible pour tout un chacun. C'est sur cette nouvelle ambition que portaient nos autres recommandations, le plan devant répondre, au-delà de la loi, aux attentes des citoyens.
En effet, malgré tous les progrès accomplis depuis sa première édition, le PNGMDR restait avant tout destiné aux spécialistes du domaine. Plusieurs de nos interlocuteurs nous avaient d'ailleurs avoué qu'eux-mêmes, alors qu'ils baignent dans ces sujets, ne comprenaient pas tout.
Nous avons donc fait plusieurs recommandations visant à transformer le plan en un document lisible pour tous, qui permette une consultation à plusieurs niveaux, suivant le détail que les lecteurs veulent avoir sur le sujet qui les intéresse.
Mais la qualité du plan est aussi le résultat de son processus d'élaboration. Nous avons observé que le groupe de travail pluraliste qui participe à l'élaboration du plan fonctionnait de façon plutôt satisfaisante.
Ce groupe de travail est d'ailleurs précurseur, puisqu'il a été le premier lieu de concertation entre les acteurs de la filière nucléaire française, avec cet objectif de parvenir à une vision commune de la gestion des matières et déchets radioactifs.
L'un de ses grands succès a été d'associer, dès le départ, les associations, conformément à la volonté du précédent président de l'Autorité de sûreté nucléaire française, M. André-Claude Lacoste. De nouvelles associations ont d'ailleurs rejoint le groupe de travail et certaines y sont revenues, ce qui est un bon signe. C'est cette participation des associations qui a transformé ce document, au départ interne à la filière nucléaire, en un document de référence aux yeux du public.
Or, plusieurs associations nous avaient fait part, à l'occasion des auditions, des difficultés qu'elles avaient rencontrées dans le fonctionnement du groupe de travail. Certaines d'entre elles nous ont semblé assez simples à résoudre : éviter que certaines délégations, en surnombre, déséquilibrent le groupe de travail, ou encore diffuser les documents de travail suffisamment tôt avant les réunions.
Nous avons aussi estimé que si la recherche du consensus est indispensable, dans certains cas, il faut acter les désaccords. Cela n'empêche pas le Gouvernement de prendre ses responsabilités. Mais les positions des uns et des autres doivent être explicitées dans le document final.
Après avoir parlé de ce qui nous était apparu satisfaisant, je vais évoquer nos recommandations sur le stockage des déchets de haute et moyenne activité à vie longue.
En ce qui concerne ce projet stratégique de centre de stockage, dont l'ouverture est prévue en 2025, nous avons constaté avec satisfaction que les délais fixés par la loi étaient tenus, grâce à l'action efficace de l'agence nationale en charge de la gestion des déchets radioactifs - l'Andra.
Malheureusement, nos auditions ont également fait apparaître que l'annonce par l'Andra d'une estimation de coût du futur stockage nettement plus élevée que la précédente avait créé des tensions avec les industriels producteurs de déchets et conduit ces derniers à proposer des solutions techniques alternatives, dont l'impact sur la sécurité restait totalement à évaluer.
J'ai donc été amené à rappeler que cette démarche des industriels contredisait la loi qui confie à l'Andra la mission « de concevoir, d'implanter, de réaliser et d'assurer la gestion [...] des centres de stockage de déchets radioactifs [...] ainsi que d'effectuer à ces fins toutes les études nécessaires ».
La perspective d'une prise en charge par les producteurs de la gestion de leurs déchets radioactifs est d'ailleurs inacceptable, non seulement sur le plan légal mais aussi sur le plan éthique.
Je peux comprendre la crainte des producteurs de déchets face à un risque d'inflation excessive des coûts. Mais je leur ai néanmoins rappelé que ces discussions de concertation devaient se dérouler dans le cadre institutionnel défini par la loi.
En fait, avec Claude Birraux, nous avons été conduits, à l'occasion de notre rapport d'évaluation du PNGMDR, à adresser aux producteurs de déchets un véritable rappel à la loi.
Nous avons également demandé au Gouvernement, à cette occasion, de veiller, sans délai, à l'installation effective de la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, qui avait été prévue dans un délai de 2 ans au plus par la loi du 28 juin 2006. Ce rappel, qui n'était pas le premier, a été suivi d'effet, puisque cette commission s'est finalement réunie, pour la première fois, en juin 2011.
L'audition d'aujourd'hui sera, j'en suis certain, l'occasion de dégager de nouvelles pistes d'amélioration du plan de gestion des matières et déchets radioactifs, dans son contenu comme dans sa présentation, ainsi que du fonctionnement du groupe de travail pluraliste qui en est à l'origine.
Mais il constitue également une opportunité, un peu plus de deux ans après la publication du rapport d'évaluation du précédent PNGMDR, de mesurer les progrès réalisés, aussi bien sur le PNGMDR lui-même et le fonctionnement de son groupe de travail que sur la gestion des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat. - Je vais dire quelques mots, en introduction, sur le concept, les objectifs et les points forts du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, avant de passer la parole au président de l'Autorité de sûreté nucléaire, Pierre-Franck Chevet.
Le contexte et les objectifs de ce plan, mis à jour tous les trois ans, sont fixés par la loi du 28 juin 2006, désormais codifiée. Au niveau européen, la directive du 19 juillet 2011, qui établit un cadre communautaire pour la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, prévoit qu'un tel plan doit être établi par les États. Le concept national est donc conforme à cette directive, voire en avance. Ce troisième plan triennal, transmis par le Gouvernement à l'Office parlementaire en fin d'année, poursuit et étend les actions engagées dans les deux précédentes éditions.
Ce rappel montre que le PNGMDR constitue un outil essentiel de pilotage de la gestion des matières et déchets radioactifs. C'est non seulement un outil de planification à très long terme, mais aussi de suivi des actions décidées. Son caractère triennal y contribue largement.
Le plan doit dresser le bilan des modes de gestion existant, mais aussi mettre en évidence les possibilités d'amélioration. Il doit également recenser les besoins prévisibles d'installation d'entreposage ou de stockage, y compris en termes de capacités. Il doit, enfin, définir les objectifs à atteindre pour les déchets radioactifs qui ne font pas encore l'objet d'un mode de gestion définitif. Le PNGMDR a vocation à couvrir, de la manière la plus exhaustive possible, la gestion des matières et déchets radioactifs, quelle que soit leur nature ou origine.
Ce plan s'appuie sur des principes de hiérarchie dans la gestion des matières et déchets : d'abord la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs, ensuite l'entreposage dans des installations spécialement aménagées à cet effet des matières radioactives, en attente de traitement, ou des déchets radioactifs ultimes. Enfin, la loi a prévu, pour les déchets ultimes ne pouvant, pour des raisons de sûreté ou de radioprotection, être stockés en surface ou en faible profondeur, la possibilité d'un stockage, à terme, en couche géologique profonde.
Comme cela a été souligné, le plan devant être un élément fort en terme de transparence, il est élaboré - ce sera l'objet de la première table ronde - au sein d'un groupe de travail pluraliste. Il est transmis au Parlement et évalué par l'Office parlementaire. Il est évidemment, ainsi que sa synthèse, rendu public. Il s'appuie sur un autre document important : l'inventaire des matières et déchets radioactifs, qui a lui aussi vocation à être rendu public.
Ce plan se traduit aussi par des prescriptions. Comme pour le précédent, un décret est en cours d'élaboration. Il sera, d'ici un mois ou deux, mis en consultation publique et fera l'objet d'un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, avant signature par le Gouvernement.
Le plan insiste sur la nécessité de développer des schémas industriels globaux de gestion, et en particulier demande d'avancer sur les modes de gestion des déchets à haute activité et moyenne activité à vie longue. Nous sommes dans un calendrier conforme à celui fixé dans les lois. Il demande donc de poursuivre les études et recherches sur ces déchets, notamment celles sur le stockage en couche géologique profonde.
Comme vous le savez, ce stockage appelé Cigéo entre, sur la période 2013-2015, dans une nouvelle phase. Un débat public va être lancé, la commission nationale du débat public ayant accepté récemment le dossier. La loi prévoit la poursuite des travaux pour arriver à un dépôt de demande d'autorisation de création en 2015. Néanmoins, des éléments complémentaires d'étude sont nécessaires.
Le plan demande la poursuite des études sur le conditionnement des déchets, dits de moyenne activité à vie longue (MA-VL), pour respecter l'objectif de 2030, lui aussi fixé dans la loi, pour le conditionnement des déchets produits avant 2015.
L'Andra avait par ailleurs une mission, fixée par le plan précédent, d'évaluation des besoins en installations d'entreposage. Elle a remis son rapport à l'État fin 2012. La ministre, Mme Batho, a demandé à l'Andra que ce rapport, une fois mis en forme pour être lisible, mais sans rien y changer quant au fond, soit mis en ligne.
Un autre axe de recherche sur les déchets de forte activité à vie longue, évoqué tant dans la loi que dans le plan, concerne les études et recherches du CEA sur la séparation-transmutation des éléments radioactifs à vie longue et le développement des réacteurs nucléaires de nouvelle génération. Là aussi, ces études seront prochainement rendues publiques. Elles identifient à la fois les voies de progrès potentiel que pourraient représenter ces technologies en termes de diminution des emprises nécessaires au stockage de déchets et les perspectives d'utilisation d'éventuels réacteurs à neutrons rapides. Ces études ne conduisent pas à remettre en cause, bien au contraire, la nécessité d'un stockage géologique profond.
Le plan demande aussi de poursuivre les travaux sur les déchets de faible activité à vie longue, afin d'améliorer les scénarios de gestion, par exemple sur le prix, ou sur la caractérisation et le traitement d'un certain nombre de déchets, dont ceux de graphite et d'enrobés bitumineux, ainsi que sur les conditions de stockage déjà en place sur le site de Comurhex, à Malvésie. Par ailleurs, l'Andra a remis à l'État, fin 2012, un rapport sur les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) et sur leurs perspectives de stockage, avec plusieurs options en couche intacte ou en couches géologiques remaniées. Ce rapport sera lui aussi rendu public.
Voici donc, en quelques mots, le contexte et les objectifs du plan, du point de vue des administrations gouvernementales, ainsi qu'un zoom sur deux sujets importants : les déchets de haute activité à vie longue (HA-VL), et ceux de faible activité.
M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire. - M. Laurent Michel a essentiellement focalisé son propos sur les nouveaux modes de gestion et ceux qu'il convient de développer. Le rapport insiste aussi sur l'optimisation des modes de gestion existants. Trois axes peuvent être mis en avant.
Le premier axe concerne le tri et la caractérisation des déchets. C'est un principe d'ailleurs général en matière d'environnement que d'essayer d'améliorer le tri des déchets pour optimiser l'utilisation des installations de stockage ou d'entreposage qui en sont les destinataires. C'est d'autant plus nécessaire pour les déchets, notamment de très faible activité (TFA), qu'avec les opérations à venir de démantèlement et d'assainissement des installations, les volumes destinés aux centres de stockage seront plus importants qu'initialement prévu. La nécessité d'optimiser l'utilisation de ces centres est donc mise en avant par le plan.
Par ailleurs, le plan pose la question de la valorisation des déchets, notamment des ferrailles et gravats. Quel usage optimal peut être fait de ces matières, sans les banaliser ? C'est là un point extrêmement important. La saturation du centre de stockage des déchets TFA, initialement prévue en 2033, devrait, du fait de la montée en puissance des opérations de démantèlement et d'assainissement, intervenir dès 2025, d'où la nécessité de travailler, dès maintenant, à la fois sur l'optimisation et la recherche d'éventuelles voies alternatives.
Le deuxième axe, qui s'inscrit également dans la durée, concerne les résidus de traitements miniers. Le rapport préconise la poursuite des études, afin de déboucher sur des solutions concrètes le plus rapidement possible. Plusieurs thèmes, tels la tenue à long terme des digues, les risques d'exposition des populations et le traitement des eaux, sont mis en avant. Le rapport fait un point assez précis sur l'ensemble de ces sujets. La question de la possible réutilisation de ces stériles miniers est également détaillée.
Le troisième axe, probablement plus nouveau, concerne le développement de modes de gestion pour les déchets issus des petits producteurs, en dehors du domaine électronucléaire. C'est un point important, longuement discuté au sein du groupe de travail, qui concerne notamment tous les producteurs de déchets liquides et gazeux, entre autres dans les installations de recherche. Il est préconisé de s'atteler à la création d'une filière optimisée. Cela renvoie aussi à la question d'un mode de gestion optimisé des sources scellées usagées.
Cette question-là est plutôt un élargissement des problématiques et renvoie aussi à celle de la composition du groupe de travail et à son adaptation aux sujets traités.
J'en viens aux recommandations de l'Office parlementaire en termes de contenu du PNGMDR : vous avez parlé notamment de le rendre plus lisible, ce que j'ai bien entendu. Il est vrai que c'est un document assez complet, mais du coup touffu et complexe.
Nous avons essayé de travailler sur sa structure, de l'améliorer pour le rendre plus lisible avec un rappel des principes et objectifs, en travaillant, d'une part, sur les filières nouvelles à développer et, d'autre part, sur les filières existantes. Nous avons aussi travaillé sur la forme même : vous le verrez, chacun des chapitres contient un encart qui est un résumé, je l'espère plus lisible, en tout cas plus compact, des principales conclusions du rapport. La synthèse sera constituée à partir de ces encarts, ce qui assurera la cohérence entre les deux documents. Voilà un point d'amélioration. Nous avons essayé de suivre vos recommandations. Par ailleurs, pour les lecteurs souhaitant approfondir ces sujets complexes, nous avons ajouté un certain nombre de liens et de références, renvoyant à des études plus précises.
Une autre recommandation importante de l'Office concernait la prise en compte des grandes options en matière de politique énergétique. Aussi le dernier PNGMDR étudie-t-il l'impact, sur la gestion des déchets, de deux scénarios volontairement contrastés d'évolution de la filière nucléaire, notamment en termes d'inventaire et de filières de gestion. Par ailleurs, le rapport s'attache à examiner les conséquences d'un éventuel reclassement de certaines matières en déchets. Enfin, les effets, sur le schéma global de gestion des déchets, des diverses possibilités de transmutation des actinides, sont également pris en compte.
Vous avez évoqué la nécessité d'acter les désaccords. C'est ce que nous avons fait. Vous en avez un exemple page 22-23 du rapport complet : il y a eu des débats sur la question de savoir s'il fallait inclure dans ce rapport la question des rejets radioactifs liquides ou gazeux. Je n'y ai pas assisté directement, mais cela m'a été rapporté. Le parti qui a été retenu est de permettre, à ceux qui étaient pour l'inclusion de cette question dans le rapport comme à ceux qui étaient contre, de bénéficier d'un encart expliquant leur position. Cela retrace convenablement nos discussions.
La question des enjeux financiers avait été également évoquée. Le plan présente une description de ces enjeux, avec des indications sur les coûts et sur les mécanismes de financement.
L'ajout d'indicateurs avait aussi été demandé. Nous avons essayé, en liaison notamment avec la saturation plus rapide que prévue, par exemple du centre de stockage des TFA, d'inclure des indicateurs de taux de remplissage des centres, instantané et prévisionnel.
La directive du 19 juillet 2011 a aussi apporté deux enrichissements au plan, sur la question du suivi des installations après leur fermeture, surtout des installations de stockage, avec la définition des dispositifs de surveillance de long terme installés après la fin des opérations de stockage et des précisions sur les dispositions retenues pour préserver la mémoire de l'installation à très long terme.
Dernier point, en termes d'amélioration du contenu du document, nous nous sommes attachés à tenir compte du retour d'expérience des évènements survenus pendant le plan précédent. Par exemple, bien que ce ne soit pas vraiment un évènement, un autre groupe, le CODIRPA, qui étudie les situations post-accidentelles, notamment à court mais également à long terme, a mis en évidence que dans la gestion d'un accident, celle des déchets est essentielle. L'exemple de Fukushima montre que cette question est bien réelle. Les grandes conclusions des travaux du CODIRPA concernant la gestion des déchets en situation post-accidentelle ont donc été incluses dans ce plan. Un évènement particulier est mentionné : le retour d'expérience lié à l'accident survenu sur l'incinérateur de CENTRACO en 2011, et surtout le détail de son impact sur la filière de gestion des déchets incinérables.
Voilà pour la présentation globale, certainement trop rapide, des principaux points du PNGMDR et des enrichissements de forme et de contenu que nous avons apportés dans la présente édition.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci pour cette présentation. Nous allons à présent entendre le point de vue des associations et des producteurs de déchets. Chacun disposera de cinq minutes, pas une de plus, l'Office étant très attaché au respect de l'horaire prévu.
Mme Maryse Arditi, France Nature Environnement. - Je crois que ces cinq minutes me suffiront, dans la mesure où je participe depuis moins longtemps que mes collègues à ce groupe de travail. Je voudrais d'abord rappeler que l'initiateur de l'inventaire de l'Andra, composante essentielle, avec le PNGMDR, de la gestion des déchets, ne venait pas de la sphère nucléaire, ce qui illustre la capacité de personnes issues d'un autre moule à amener de bonnes idées.
Le groupe de travail auquel nous participons depuis deux ans et demi est courtois et sympathique. Il permet, de temps en temps, de faire part vivement de ses désaccords. Nous y apprenons énormément de choses : qu'il y a des déchets absolument partout, qu'on les reprend, qu'on les retraite, qu'on les améliore, qu'on en découvre tous les jours. C'est un élément absolument essentiel. Récemment, nous y avons également appris que si nous commençons à démanteler, nous allons probablement manquer de place. C'est à se demander si ce n'est pas pour cela qu'on attend et qu'on ne démantèle toujours pas. Donc, des problèmes bien réels sur la manière dont les déchets seront gérés demandent à être étudiés.
Je voudrais rappeler également que, sous réserve de le vouloir, le grand public peut comprendre l'essentiel. En ce qui me concerne, j'ai posé, pendant quatre ans, une question assez simple avant d'avoir enfin la réponse : quel est le critère permettant de distinguer entre déchets très faiblement et faiblement radioactifs ? Cela me paraissait quelque chose de facile à expliquer. Mais nous n'avons, pendant très longtemps, eu aucune réponse. Cela démontre que pour répondre à des questions simples, il faut parfois énormément d'efforts.
Je voudrais aussi essayer de tirer le bilan de deux
années et demie de présence dans ce groupe de travail. Nous nous
interrogeons sur les déchets, nous faisons des efforts extraordinaires,
en regardant tout dans le détail. Par exemple, nous avons traité
des déchets tritiés, en examinant minutieusement les
différentes variantes et les quantités. Puis est arrivé le
sujet d'ITER. Nous nous sommes alors aperçus que la production des
déchets tritiés va être
- je ne me souviens plus
exactement - mille, dix mille, ou cent mille fois plus importante, que ceux
dont nous venions de parler auparavant. C'est une situation paradoxale. Il
n'est peut-être pas utile de rechercher les moindres déchets
existant puisque, de toute façon, cent et mille fois plus continuent
à être produits. Autrement dit, nous avons un peu l'impression
que, de toute façon, la machine à produire les déchets
continue à avancer, telle un rouleau compresseur, alors que nous courons
après, pour tenter de trouver les modes de gestion les moins mauvais
possibles. De ce fait, nous pouvons nous interroger sur le sens de notre
présence dans ce groupe de travail.
Ma deuxième interrogation est la suivante : qu'apporte FNE, association citoyenne généraliste, alors que la participation à ces groupes s'avère extraordinairement chronophage ? Autour de cette table, la quasi-totalité des participants vient dans le cadre de leurs obligations professionnelles. Nous, nous y sommes parce que nous pensons pouvoir peut-être faire avancer des idées auxquelles nous croyons, au prix de notre temps personnel. À un moment donné, il faut faire le bilan et regarder ce que nous avons pu faire avancer : dans le PNGMDR précédent, il y a deux lignes de plus qui n'auraient peut-être pas été là. Est-ce que cela vaut le nombre de réunions, le nombre d'heures et le nombre de déplacements, car parfois nous venons de mille kilomètres ? Eh bien je commence à penser aujourd'hui que la réponse est négative, que cela n'en vaut pas la peine. Et je ne suis pas sûre que FNE ne renonce pas, dans les mois qui viennent, à participer à un certain nombre d'activités, dans le domaine du nucléaire en particulier.
M. Yannick Rousselet, Greenpeace. - Je pense que je vais commencer par être un peu plus positif, parce qu'il est vrai que Maryse Arditi est assez remontée. La participation à un tel groupe de travail est nécessaire mais difficile. Aussi, lorsque nous avons été invités aux toutes premières réunions, nous nous sommes aperçus, pour les raisons évoquées, de leur caractère chronophage, en regard de nos ressources humaines limitées. C'est le jeu des institutions, nous sommes maintenant membres de beaucoup de groupes de travail, et finalement tout le monde nous sollicite. C'est évidemment positif, mais cela pose aussi de réels problèmes dans les associations.
Par contre, nous considérons que cet exercice continue d'être très positif. Pour nous, il est complémentaire de l'inventaire de l'Andra. Le croiser avec le rapport du cycle du Haut comité sur la transparence permettrait d'améliorer encore le PNGMDR. Le Haut comité a en effet prévu une réactualisation de son rapport sur le cycle. Des contradictions existent entre les deux documents, il serait vraiment important de parvenir à les résoudre.
Mais il est vrai que ce PNGMDR nous donne une vision globale de la situation française, ce que nous n'avions pas. Et au-delà de l'inventaire - avant tout un dictionnaire où l'on trouve l'ensemble des déchets - , quelque peu rébarbatif, de l'Andra, nous avons, avec le PNGMDR, un document qui explicite la gestion des déchets et constitue une réelle avancée.
La composition pluraliste du groupe de travail représente un atout. En examinant la rédaction des différentes versions de ce plan, nous voyons bien que dans le premier, les remarques des associations dans l'introduction étaient marginales, séparées du plan. Au cours du temps nos remarques ont été progressivement intégrées dans le consensus, même si nous ne trouvons pas exactement les mots que nous aurions employés. Donc, au niveau du mode de fonctionnement, l'amélioration est réelle.
La limitation des ressources de nos associations constitue une véritable difficulté, parce que nous devons toujours rester au contact de nos adhérents et du terrain. Il ne faudrait pas que nous nous transformions, à vos côtés, en nouveaux « experts », déconnectés des réalités du terrain, au lieu de jouer notre rôle d'intermédiaires, représentatifs de l'opinion publique et facilitateurs du dialogue avec elle. C'est essentiel pour l'avenir. Nous sommes de plus en plus sollicités par des institutions. Nous souhaitons continuer à participer mais il faut que l'ensemble de celles-ci comprennent cette difficulté. C'est-à-dire que le fait d'accepter de discuter en leur sein ne doit pas compromettre notre crédibilité vis-à-vis de nos adhérents et du public. Parce que je pense que tout le monde a à y gagner, y compris dans votre démarche institutionnelle.
Je vous renvoie au baromètre annuel de l'IRSN qui présente un schéma en croix : crédibilité-compétence, dans lequel les associations progressent vers le haut à droite, donc plus de crédibilité et plus de compétences, et, malheureusement, les politiques, de même qu'un certain nombre d'exploitants, stagnent complètement en bas à gauche. Donc nous voyons bien que vous pouvez dire des choses, mais que le public a du mal à y croire. Et il suffit que nous disions, nous, que c'est vrai, et les gens vous croient. Donc, je pense que ce fait doit être réellement intégré dans la compréhension des choses. Je pense que là où il y a des efforts à faire, c'est encore, de la part des exploitants, sur la clarté de leur vision de la réalité.
Par exemple, M. Chevet, vous parliez des matières dites recyclables ou valorisables, par distinction avec les déchets. Le sujet commence à être appréhendé dans le PNGMDR, mais nous avons encore énormément de chemin à faire. Je pense que ce problème devrait être abordé de façon concrète, sans se limiter à des déclarations de principe. Par exemple, face au stock de Mox de 1.140 tonnes, en constante croissance, entreposé dans les piscines de La Hague, il est impossible de se contenter de la déclaration selon laquelle il sera retraité à l'avenir, alors même que ce retraitement, basé sur la dilution dans l'Uox, pose des difficultés techniques réelles.
Il est vrai qu'une réponse toute faite, trop souvent entendue aujourd'hui, consiste à dire que les réacteurs de Génération IV vont apporter toutes les solutions et constituer une manière de remède miracle. Nous ne voudrions pas que cela conditionne les décisions à venir de la représentation nationale. Il ne faudrait pas que vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires, vous vous retrouviez dans une situation où vous seriez contraints d'accepter ces réacteurs, faute d'autre solution pour gérer un certain nombre de problèmes. Il est normal d'évoquer cette possibilité, puisqu'elle est défendue par certains. Mais permettez-nous de dire que nous devons aller plus loin que ce qui est inscrit dans le PNGMDR. Nous devons préserver un équilibre entre ce discours des partisans de la Génération IV, et la possibilité d'une politique énergétique différente.
Pour conclure, je souhaiterais que nous ayons une promotion plus significative de ce genre de travaux vis-à-vis du public, parce que c'est un investissement de temps extrêmement important, comme Maryse Arditi le soulignait tout à l'heure. Aujourd'hui cette promotion n'est pas suffisante. Elle doit être développée. Je fais donc un bilan positif : nous avons participé au début, nous avons arrêté, puis nous sommes revenus, parce que nous pensons que ce plan est utile. Mais nous n'en sommes pas au bout.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci, je ne réponds pas à ce schéma en croix où les politiques sont en bas à gauche, ce n'est pas le sujet, et je donne la parole à Mme Monique Séné, qui représente l'ANCCLI et le GSIEN.
Mme Monique Séné, présidente du GSIEN, groupement scientifique pour l'information sur l'énergie nucléaire et vice-présidente du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'ANCCLI. - Je suis dans ce groupe de travail du PNGMDR depuis le début, et je n'en suis pas partie. Je peux dire qu'il s'est tout de même amélioré, c'est certain. Mais il y a eu, en particulier à la suite du premier plan, l'introduction de la notion de matières valorisables, qui pose problème. Le dernier plan le montre bien : ces matières valorisables peuvent devenir des déchets, pour lesquels il faut donc rechercher des solutions adaptées.
Par ailleurs, le décret du dernier plan est arrivé en 2012, alors que commençait le nouveau plan. J'espère que cette fois-ci, nous aurons bien le décret en 2013, car il est nécessaire. Certes, le plan est suivi, mais il n'est pas aussi contraignant qu'un décret.
Le plan a fait des progrès, c'est évident, dans la façon de présenter les choses. Il s'appuie sur l'inventaire, et c'est indispensable. Cela dit, l'inventaire, destiné à être lu en 2012 avec certains scénarios, n'intervient pas toujours avec cohérence dans la définition, par exemple, d'un site de stockage profond. Il faut harmoniser les choses et, aussi bien dans le plan que dans l'inventaire, être clair sur ce qui doit être mis en ordre de marche. Les filières sont déterminées, il y a les déchets très faiblement actifs, les faiblement actifs, etc., mais il y a du chevauchement. Il faut que ceci soit très clairement explicité.
En ce qui concerne les associations, la participation d'associations de terrain, par exemple des associations militant depuis les années 80 sur des sites miniers, expertes sur leur site mais pas sur d'autres questions et probablement plus critiques que celles associées depuis plusieurs années au groupe de travail, s'avère positive. Une réunion a été organisée pour informer ce type d'associations mais elle a été restreinte aux associations participantes. Il serait préférable d'ouvrir cette initiative de façon à ce que les associations puissent poser leurs questions dans un groupe spécifique. Il serait ensuite possible de revenir vers le plan national pour les prendre en compte.
Donc, j'attends la synthèse, puisqu'elle n'est pas encore faite, j'attends le décret, parce qu'il n'est pas encore venu, mais personnellement je pense qu'il y a eu des progrès. L'un des points à améliorer concerne l'information des populations concernant le PNGMDR. La synthèse ne suffit probablement pas. Des réunions avec un certain nombre d'associations de terrain constitueraient un progrès. Nous avons rencontré, dans le cadre des commissions locales d'information, un intérêt croissant des populations, désireuses d'exprimer leur point de vue.
Enfin, je souhaite que nous ayons, avant les réunions, accès aux documents issus des réunions de concertation entre l'Andra et les producteurs, dans le cadre desquelles il serait souhaitable que les associations puissent également intervenir.
M. Fabrice Boissier, directeur de la maîtrise des risques, Andra. - Dans votre introduction, vous avez parlé du point de vue des associations et des producteurs de déchets, et je ne me range ni dans l'une ni dans l'autre de ces catégories, puisque l'Andra a une mission particulière définie par la loi. Mais je vais néanmoins vous donner mon point de vue sur le PNGMDR.
En effet, le PNGMDR est très important pour l'Andra, puisqu'il définit son cadre d'action. Plusieurs intervenants ont souligné le rôle de l'inventaire produit par l'Andra. Nous sommes très attachés à ce que cet inventaire soit le fondement sur lequel la politique nationale de gestion de matières et déchets radioactifs puisse se développer. Nous avons d'ailleurs mis en place un comité de pilotage pour créer cet inventaire et le rédiger. Celui-ci, largement inspiré du fonctionnement pluraliste du groupe de travail du PNGMDR, comprend les associations, les producteurs et les représentants de l'État. Il a ainsi été possible d'établir non seulement l'inventaire des déchets existant en France, mais aussi des prévisions sur les déchets qui seront produits, ce suivant différents scénarios de politique énergétique. Ceux-ci ont été repris dans le PNGMDR. Ces prévisions, notamment dans l'inventaire 2012, ont également permis de mettre en évidence l'enjeu majeur, insuffisamment visible jusqu'alors, que représentent les déchets de très faible activité issus des démantèlements, et la nécessité de les prendre en compte de façon adéquate dans la politique de gestion.
Si l'on jette un regard sur les trois années passées, le dernier exercice du PNGMDR et le fonctionnement du groupe de travail, nous considérons bien sûr que l'exécution du plan a permis des avancées notables sur la gestion des matières et des déchets radioactifs.
Je citerai en exemple le groupe de travail sur l'optimisation des filières. Sa mise en place a permis de tirer d'une réflexion partagée une production assez originale, permettant d'anticiper de futures évolutions, en s'abstrayant des catégories classiques : faible activité, moyenne activité..., par trop rigides, pour développer des pistes permettant d'améliorer la gestion, autant sur le plan de la sûreté que du point de vue technico-économique.
Il ne faut pourtant pas négliger le fait que le travail demandé par le plan national est un travail conséquent à la fois pour les producteurs et pour l'Andra. Nous avons ainsi produit pas moins de treize rapports, seuls ou en collaboration avec d'autres, sur ces trois années passées. Une piste de progrès serait sans doute de mieux calibrer les demandes qui sont faites. Certains rapports, portant sur des sujets très techniques et peu stratégiques, ne sont finalement pas lus par grand monde. De tels rapports pourraient éventuellement être réorientés vers des présentations pédagogiques au groupe de travail, permettant de partager les enjeux.
Un autre axe de progrès évident, serait sans doute de mieux définir le rôle de chacun des acteurs. Plusieurs travaux ont été demandés collectivement aux producteurs et à l'Andra. Or, un travail collectif est toujours difficile sans un chef de file, à la fois pour des raisons de logistique, mais aussi parce que les rapports communs rendent difficile l'expression de points de vue divergents. Il me semble important de bien préciser qui est en charge de produire un rapport ou de donner un avis. Un autre exemple de cette nécessaire définition des responsabilités : l'Andra avait en charge l'animation d'un groupe de travail sur les sources scellées. C'est un domaine qui ne relève pas nécessairement de sa compétence, ce qui a rendu difficile la mobilisation des acteurs. Cela me semble une piste d'amélioration pour le PNGMDR 2013-2015.
Je crois que le groupe de travail a atteint une certaine maturité, en tant que groupe pluraliste dans lequel les expressions des uns et des autres peuvent s'exprimer, sont écoutées avec courtoisie et respect, et permettent d'avancer. Cela a été notamment visible dans la rédaction du PNGMDR 2013-2015. Il a pris en compte à la fois le pilotage mené par l'État et l'ASN, les contributions des producteurs et de l'Andra, mais aussi les points de vue des associations.
Je ne reviendrai pas sur les grands chantiers qu'ouvre ce PNGMDR sur Cigéo et les déchets FA-VL, mais je voudrais souligner l'enjeu des déchets de démantèlement. Il me semble que le groupe de travail pourrait utilement contribuer à la réflexion, pour optimiser la gestion de ces déchets. Plusieurs questions se posent : comment limiter la production des déchets radioactifs de démantèlement, sans remettre en cause le cadre réglementaire français ? Comment mettre en place des mesures techniques et organisationnelles pour transformer des déchets - je pense notamment aux déchets métalliques - en matières valorisables, par le recyclage ? Comment optimiser enfin la gestion des déchets dès leur production au niveau de la caractérisation, du tri, mais aussi de leur conditionnement et de leur stockage, puisqu'il faudra développer de nouvelles installations de stockage destinées à ces déchets de très faible activité ?
M. Jean-Michel Romary, directeur de gestion des déchets et matières nucléaires, AREVA. - AREVA vend des services autour de la gestion des déchets et des matières, en termes de conditionnement, de préparation, de tri, etc. Nous ne produisons pas beaucoup de déchets. Nous vendons surtout des services autour de cela. Néanmoins, nous entrons dans la catégorie des producteurs de déchets.
Le PNGMDR donne des résultats positifs et il faut s'en féliciter. Ce travail pluraliste apporte des résultats concrets. Même si le décret est tardif, l'ensemble des travaux prévus dans le précédent PNGMDR ont été réalisés : les actions sont mises en oeuvre et sont appliquées.
Les sujets importants aussi ont été traités, partagés, discutés, cela a permis de clarifier les choses. Pour ce qui concerne AREVA, nous avons parlé des mines, de Malvési, du cycle de l'uranium, en lien avec les travaux du groupe de travail du Haut comité. Tout cela conduit à une clarification, à des échanges et à des actions techniques. Ces dernières sont ensuite mises en oeuvre, afin de parvenir à une meilleure maîtrise des déchets et des matières radioactives, ainsi que de leur impact sur l'environnement et les travailleurs.
Je souligne également, pour AREVA, la forte sollicitation des équipes qui est quand même bénéfique, puisque ce travail apporte nécessairement de la rigueur et de l'exhaustivité, indispensables à notre métier. Toutefois, cela peut amener aussi un risque d'éparpillement. Les sujets à traiter doivent en valoir la peine, comme Mme Arditi l'a souligné au sujet des déchets tritiés, et représenter un enjeu fort en termes de gestion. Le deuxième risque serait d'aboutir à des décisions inapplicables, ce qu'il faut à tout prix éviter.
Donc cela m'amène à attirer votre attention sur deux conditions de réussite de ces groupes de travail qui doivent être préservés : d'une part, leur composition doit rester équilibrée, de manière à permettre, en toute transparence, des échanges techniques à la hauteur du sujet traité et de leur éviter de devenir des chambres d'enregistrement de réclamations, d'autre part, il convient de maintenir une rigueur dans les études et les jugements portés. Il s'agit de mettre en place des actions concrètes, pragmatiques et applicables. À cet égard, il est important de souligner que c'est bien AREVA, pour ce qui concerne les déchets dont il est responsable ou lorsqu'il agit pour le compte d'autres producteurs de déchets, qui a la responsabilité industrielle de mettre en oeuvre les actions décidées et de s'assurer du résultat obtenu.
Enfin, si la transparence est importante dans ce type d'échanges, il faut nous attacher à ne pas nous mettre en difficulté vis-à-vis de nos concurrents, car la gestion des déchets est aussi notre coeur de métier et nous permet de faire des affaires. Il ne s'agit pas de mettre en difficulté une force française, la filière nucléaire, mais de trouver le bon équilibre entre transparence et fragilisation vis-à-vis de la concurrence.
M. Philippe Guiberteau, directeur de l'assainissement-démantèlement nucléaire, CEA. - Je suis en charge du démantèlement-assainissement des installations nucléaires, et de la gestion des déchets au niveau du CEA.
Le CEA participe activement aux groupes de travail du PNGMDR. Comme cela a pu déjà être souligné, il y a eu des avancées très notables. Nous sommes sans doute parvenus à une certaine maturité du fonctionnement. Ce sont donc des points positifs.
En termes de plan de charge, dans le cadre du PNGMDR 2010-2012, le CEA a été amené à rédiger une vingtaine de rapports d'études, soit seul, soit en lien avec d'autres producteurs. Cela a mobilisé d'importantes ressources, au-delà de ce qui était prévu dans le contrat de performance avec l'État.
Aujourd'hui, les perspectives concernent le plan d'action PNGMDR 2013-2015. Il est attendu de la part du CEA des études conséquentes, intégrant, et c'est une nouveauté, plus systématiquement les aspects technico-économiques. Dans le cadre de notre planification, il faut que ces actions soient bien prévues et prises en compte dans le futur contrat de performance, sinon le risque serait de les réaliser au détriment de la recherche sur les déchets.
Nous avons parlé du groupe de travail sur l'optimisation des déchets : il est évident que le CEA est partie prenante, et motivé pour travailler sur ces sujets. Mais nous souhaitons dire que cela doit se passer dans un cadre de maîtrise technico-économique de ces dossiers.
Le CEA attend du PNGMDR qu'il prenne les dispositions nécessaires pour une prise en charge par l'Andra de tous les déchets haute activité, MA-VL et FA-VL existant déjà conditionnés.
Dans le cadre du PNGMDR, le CEA doit rédiger un certain nombre de rapports. Or, certaines options dont l'étude est demandée ne correspondent pas aux solutions industrielles de référence du CEA. Ces demandes sont prises en compte dans nos prévisions, conformément à l'article premier de la loi de 2006. Mais il y a des risques de surcoûts importants. Cela concerne notamment les bitumes. Le traitement des colis de déchets bitumés, pour lesquels un rapport est demandé pour fin 2013, n'est pas la référence industrielle du CEA, qui considère que ce sont des déchets ultimes. Sa référence est donc l'envoi direct de ces déchets, une fois recolisés, vers les stockages Cigéo pour une petite moitié, et FA-VL pour le solde.
Concernant le démantèlement, aujourd'hui, il y a effectivement un vrai sujet qui a été abordé dans le cadre des réunions du PNGMDR, sur les déchets TFA générés. Le CEA dispose, depuis peu, d'un retour d'expérience conséquent après l'achèvement, fin 2012, dans le cadre du contrat de performance État-CEA, des démantèlements à Grenoble. Nous avons démantelé trois réacteurs expérimentaux, un laboratoire, une station de traitement d'effluents et de déchets, sur onze bâtiments. Nous avons généré des quantités très importantes de déchets, à hauteur de plusieurs milliers de tonnes de TFA. Ils ont été conditionnés et transportés vers le centre de stockage CSTFA, à hauteur de la moitié de sa capacité de réception, soit 16.000 m3 par an. Nous avons été obligés d'établir des priorités, de ralentir d'autres programmes, de façon à pouvoir évacuer en ligne ces déchets, sachant que le centre de Grenoble, de petite taille, n'a pas de capacité d'entreposage et d'attente sur site. Pour conclure, je tiens à souligner que ce très important retour d'expérience pourra utilement être mis en débat dans le cadre du PNGMDR.
M. Sylvain Granger, directeur de la division combustible, EDF. - Je voudrais m'associer tout d'abord à ce qui a été dit. Le PNGMDR est pour nous un véritable succès, à la fois sur le fond et en termes de démarche. Je rappelle que tout cela a commencé, comme cela a été dit par Christian Bataille, par un groupe de travail qui n'avait pas de statut particulier avant la loi de 2006. J'étais présent à ses premières réunions. EDF a toujours soutenu et s'est toujours impliqué très fortement dans cette démarche. Nous ne le regrettons pas et nous serons toujours actifs, parce qu'elle est extrêmement positive. Ensuite, tout cela a été formalisé dans le cadre de la loi de 2006. Comme cela a été rappelé par Laurent Michel, le fait que la dernière directive européenne sur la gestion des déchets radioactifs reprenne et élargisse finalement le concept du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs au niveau européen constitue une preuve supplémentaire de toute la pertinence de la démarche.
Pour nous, le plan national est tout d'abord essentiel parce qu'il montre que la gestion des déchets radioactifs, en France, existe. Elle n'est pas virtuelle. Des personnes travaillent à gérer les déchets radioactifs qui sont produits. Donc les industriels font leur travail et d'une certaine manière assument fondamentalement leur responsabilité éthique, rappelée dans la loi de 2006, qui mentionne, dans l'un de ses tout premiers articles, cette responsabilité des industriels vis-à-vis des déchets qu'ils ont produits. Ceci étant, je me souviens de jeunes ingénieurs travaillant dans le domaine, il y a quelques années, qui étaient toujours frustrés, même au sein de leurs familles, quand il y avait des discussions. Une énorme différence existait entre la réalité de leur métier et la perception du public, qui était que finalement nous ne faisions pas grand-chose. Des déchets étaient produits mais on ne savait pas exactement ce que c'était. Je pense que là aussi, le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs est un vrai progrès, puisqu'il a permis d'instituer un lieu d'échange avec un ensemble de parties prenantes assez large, y compris les associations.
Nous ne sommes pas forcément d'accord sur tout. Mais je pense qu'il y a beaucoup de choses qui relèvent a priori de malentendus ou d'un manque de partage de l'information. Ce type de démarche permet de surmonter ces difficultés, en levant beaucoup d'incompréhensions. Aussi cette démarche participative est-elle pour nous essentielle.
Pour aller plus loin, et pour faire en sorte que ce que nous faisons soit réellement connu et compris, nous souscrivons aussi à la recommandation rappelée par Christian Bataille : nous devons faire oeuvre d'information et de pédagogie, surtout pas de communication, pour dire ce que nous faisons. Bien sûr, les choses sont perfectibles, mais je pense que ce qui est fait est important et intéressant. Il est essentiel d'arriver à un document lisible par tout un chacun, qui constitue un vrai document de référence pour le public. Les progrès réalisés dans le cadre de la dernière édition, même s'ils ne mettent pas un point final à l'histoire, permettent d'aller là aussi dans la bonne direction.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci beaucoup. Nous allons poursuivre, avant le débat qui va avoir lieu, par deux interventions de quinze minutes chacune. La première s'intitule : « Comment parvenir à un consensus ? ».
M. Jean Baechler, président de l'Académie de sciences morales et politiques. - Il m'a été demandé de répondre à une question que j'ai comprise dans les termes suivants : comment faire participer des populations d'opinions et de compétences diverses à une prise de décision qui réponde le mieux au bien commun de tous ? Pour essayer de répondre à cette question, je partirai d'une expérience mentale triviale et même puérile: soit deux plus deux égale quatre. Il se trouve que certains se persuadent qu'en fait non, cela fait cinq. Que doit-il se passer ? La réponse est : rien. En effet la liberté d'opinion et d'expression est entière et l'on peut penser sur cette question ce que l'on veut, et le dire. Tout au plus des mathématiciens pourraient-ils s'exciter s'ils le jugent bon.
Supposons que les dissidents aient suffisamment de force de conviction pour faire douter les gens de cette formule arithmétique. Pourtant les gens aimeraient savoir ce qu'il en est, en fait. Que faut-il faire ? Le bon sens indique que les gens doivent s'adresser aux mathématiciens, qui sont censés connaître la réponse. Mais compliquons un peu l'expérience et supposons que les mathématiciens ne soient pas d'accord entre eux. Que convient-il de faire ? Si la réponse ne peut pas attendre, la seule solution rationnelle est évidemment la suivante : ignorer les opinions des non-mathématiciens puisqu'ils n'y connaissent rien, organiser des débats entre mathématiciens et se rallier aux avis dominants des mathématiciens.
Essayons de généraliser cet exemple puéril à des enjeux brûlants d'intérêt commun, tels les déchets nucléaires, les OGM, le gaz de schiste, l'énergie nucléaire, la vaccination, et ainsi de suite. Qu'est-ce qu'un enjeu brûlant ? C'est un enjeu qui a été défini comme tel par des lanceurs d'alerte, c'est-à-dire des gens qui assurent une fonction essentielle en démocratie, que j'appelle la fonction tribunicienne, qui consiste à prendre la parole au nom du peuple pour évoquer tel ou tel problème.
Comment traiter la question de ces enjeux brûlants ? Le point de départ de la réflexion est très simple : tous les citoyens sont concernés. Ces citoyens sont partagés en deux populations, l'immense majorité, ceux qui n'ont pas d'opinion mais voudraient être éclairés, et une infime minorité, ceux qui ont une opinion, et qui se partagent eux-mêmes en deux catégories : d'une part les compétents, et, d'autre part, les incompétents. Bien entendu, les uns et les autres jouissent de la liberté d'opinion et d'expression la plus complète. Au point d'arrivée, nous devrions aboutir à la situation suivante : les « sans opinions » s'adressent aux compétents pour se faire une opinion, le bon sens l'indique.
Malheureusement, deux problèmes sont soulevés, qui doivent être impérativement résolus si nous voulons avancer dans le sens de la bonne solution. Premier problème : les « sans opinion » ont des coûts de coalition prohibitifs. C'est-à-dire que les gens sont en général muets parce que tout simplement ils n'ont pas les moyens de s'exprimer sur des sujets. Et donc seuls s'expriment les incompétents. Pourquoi les compétents ne s'expriment-ils pas ? Ils ont autre chose à faire et, connaissant la réponse, ils ne sont pas particulièrement excités par la question qui est posée. Deuxième problème à résoudre : qui est compétent ?
Sur ces deux problèmes qui paraissent insurmontables, les solutions sont simples, connues et efficaces. Première solution, les « sans opinions » muets délèguent à certains d'entre eux le soin, premièrement de se faire une opinion auprès des compétents, et, deuxièmement, de rendre compte de ce qu'ils ont compris de leurs conclusions à leurs délégants. En termes classiques, les citoyens choisissent des hommes politiques pour les éclairer. Une fois que ces hommes politiques auront estimé qu'ils ont eux-mêmes été éclairés, la solution sera connue.
Pour ce qui est du choix des compétents, trois grandes étapes doivent être poursuivies successivement. D'abord, qu'est-ce qu'un compétent ? C'est un acteur ou une personne qui peut participer utilement aux discussions entre spécialistes. Ce qui implique que personne n'est plus compétent que ceux qui peuvent participer aux discussions entre spécialistes. Et donc les incompétents sont disqualifiés. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui participent aux discussions de manière efficace savent tout, et qu'ils ne peuvent pas se tromper. La conséquence est que les opinions que doivent se faire les hommes politiques de l'état des questions doivent inclure une marge d'incertitude proportionnelle à l'avancement du savoir. C'est à eux d'estimer quel est le degré d'avancement du savoir et des incertitudes. Deuxième étape, comment désigner ceux qui sont capables de participer efficacement aux discussions ? Seuls les spécialistes peuvent désigner les compétents. C'est-à-dire que la seule solution technique est un mécanisme de cooptation par des pairs, un mécanisme qui est respecté depuis des millénaires par les académies, les laboratoires, les sociétés savantes, les universités, qui toutes fonctionnent selon le principe de la cooptation des pairs par des pairs. C'est à eux, troisième étape, que les responsables politiques doivent s'adresser en respectant deux conditions impératives : il faut imposer à ces pairs des règles strictes d'indépendance, d'objectivité, d'exclusion de tout conflit d'intérêt.
Je signale qu'un certain nombre d'académies en France ont créé récemment un observatoire inter académique de l'expertise, et que cet observatoire a déjà réussi à faire adopter par plusieurs académies en France une charte de l'expertise extrêmement précise et contraignante sur ces questions. Deuxième précaution à prendre par les responsables politiques : n'accorder à aucun groupe le monopole de l'expertise de manière à toujours laisser la discussion ouverte, la controverse, la critique, s'exprimer pour faire avancer les choses.
Il reste un dernier point à résoudre : que faire des « opinionés », si le mot existe, incompétents ? C'est-à-dire des lanceurs d'alerte. Mais bien entendu les lanceurs d'alerte peuvent être compétents par ailleurs. Et dans ce cas la question ne se pose pas. Mais la plupart du temps, ils sont incompétents. Alors bien entendu, je le répète pour la troisième fois, la liberté d'opinion et d'expression doit toujours être respectée parce qu'elle est tout simplement contenue dans le concept même de citoyen. Et donc vouloir la contrôler, la limiter, c'est changer de régime politique, et l'on n'a plus affaire à des citoyens. Je pense qu'il n'en est pas question. La liberté d'opinion et d'expression ne doit pas être confondue avec la licence d'imposer son opinion par tous les moyens, et par conséquent la loi doit sanctionner les violences, ce qu'elle fait mollement d'ailleurs, mais elle doit également je pense prévoir des recours contre des insinuations calomnieuses dont sont couramment victimes les experts. Ils sont vendus, pourris etc. Il devrait y avoir me semble-t-il une instance qui se mobilise spontanément pour traduire en justice les cas les plus flagrants de calomnie. Bien entendu ceux qui en sont victimes peuvent prendre les devants et intenter un procès mais c'est extraordinairement lourd, coûteux, et personne ne le fait. Je pense qu'il devrait y avoir un organe public au ministère de la justice ou ailleurs qui en prenne la responsabilité. Donc cela ne pose guère de problème.
Il y a un problème à peu près insoluble, en tout cas non résolu pour le moment, qui est introduit par les nouveaux moyens de communication, donc par internet pour simplifier. Ces nouveaux moyens accordent une prime exorbitante aux opinions les plus extrêmes, qui ont toute chance d'être en même temps les plus incompétentes. On explique facilement pourquoi il en est ainsi. Or ces opinions les plus extrêmes peuvent faire incliner ceux qui n'ont pas d'opinion vers ceux qui ont des opinions incompétentes. Et par conséquent faire verser l'opinion publique dans un sens qui risque de ne pas être celui de l'intérêt commun. Les hommes politiques ne peuvent ignorer les sentiments qui agitent les citoyens. Alors que faire ? Là aussi les réponses sont claires et distinctes, et c'est un peu la solution qui est en train de s'esquisser en France en tout cas. Les hommes politiques et eux seuls, en tant que délégués des citoyens, peuvent prendre la responsabilité de filtrer ce qui mérite ou ne mérite pas débat. Comment peuvent-ils le faire ? D'abord ils peuvent ignorer les dérangés, les fadas, les incompétents notoires. Mais surtout ils doivent prendre l'avis d'experts. Parce qu'un homme politique n'est pas un expert. Il peut l'être par ailleurs, à titre privé si j'ose dire, mais il n'a pas à l'être. Il doit avoir des idées claires et distinctes sur l'intérêt commun et sur la manière de le réaliser. Il n'a pas à être spécialiste des questions débattues. Ce qui a été retenu par ce filtre doit être soumis à l'examen d'autres experts. Il faut qu'il y ait deux corps d'experts. L'un qui fasse le tri entre ce qui mérite d'être soumis à des experts, et ceux qui ensuite traiteront la question. En conséquence, il ne faut jamais mettre sur le même plan, dans une même enceinte, les experts et les incompétents, les experts et les lanceurs d'alerte.
Les lanceurs d'alerte, je le répète, ont une fonction indispensable en démocratie mais il ne faut pas confondre les différents acteurs, car cela entraîne la confusion et si la confusion règne, l'intérêt commun est oublié et les décisions deviennent très difficiles à prendre et même sont impossibles à prendre, et le bon sens est bafoué. Si l'on respecte très strictement ces règles du jeu, il est vain d'espérer le ralliement des excités à la raison et au bon sens. Les excités le sont et le resteront. Il faut trouver le moyen de les disqualifier. C'est un problème politique qui n'incombe pas aux experts ni aux spécialistes. Il faut trouver le moyen de les déconsidérer d'une manière ou d'une autre de façon à les réduire à peu près à l'impuissance.
M. Gilles Compagnat, pilote du groupe de travail sur les évaluations complémentaires de sureté (ECS), HCTISN. - J'ai piloté le groupe de travail ECS, que nous avons appelé dès le début « groupe de travail audit ».. Je rappelle que nous avons été, en mars 2011, sollicités par les deux ministres en charge de la sûreté nucléaire. Très rapidement, le Haut comité a décidé de créer un groupe de travail dédié qui a travaillé près d'un an et demi, en trois grandes phases.
Dans la première phase, nous avons travaillé avec l'Autorité de sûreté nucléaire, notamment MM. André-Claude Lacoste et Nielle ainsi que la direction de l'ASN, sur le cahier des charges en cours de constitution pour lancer ces audits. Nous avons adopté, dans un premier temps, l'avis n°4 du 3 mai 2011, dans lequel nous formulions un certain nombre de demandes, qui ont été prises en compte par l'Autorité de sûreté nucléaire. Nous avons demandé que l'on ait un regard attentif sur les facteurs organisationnels et humains, parce qu'il nous a semblé que dans la sûreté il y avait bien entendu le matériel, qu'il faut toujours essayer d'améliorer et de rendre plus fiable, mais également les hommes et les femmes qui travaillent dans le secteur nucléaire. Nous avons été entendus sur ce point. Nous avons fait une deuxième demande à l'Autorité de sûreté nucléaire : aller au-delà des seules centrales nucléaires, ce qui était, il me semble, dans la lettre de mission du Premier ministre. Ont donc été intégrés les usines d'AREVA, du CEA, et l'Institut Laue-Langevin de Grenoble.
Dans la deuxième phase de nos travaux, entre juin et décembre 2011, nous avons pu auditionner un certain nombre d'experts du domaine qui touchaient les ECS, à savoir des inondations, des tremblements de terre, etc., et également des experts en facteurs socio-organisationnels et humains. À l'issue de cette deuxième phase, nous avons proposé au Haut comité, en réunion plénière, l'avis n° 6, transmis à l'Autorité de sûreté nucléaire et adopté le 8 décembre 2011.
Enfin, nous avons consacré la troisième phase, menée jusqu'à décembre 2012, à approfondir les questions liées aux facteurs organisationnels et humains, ainsi qu'à la sous-traitance. Pour ce faire, et c'est là que nous avons été un peu originaux, nous avons, d'une part, auditionné les trois grands exploitants nucléaires, qui nous ont exposé leur politique industrielle et de sous-traitance, et, d'autre part organisé des tables rondes sur plusieurs sites nucléaires : trois sites d'EDF, un d'AREVA et un du CEA. Ces tables rondes, nous les avons voulues les plus larges possible, et c'est en cela que nous répondons à votre demande d'aujourd'hui. Nous avons fait l'exercice d'équilibriste de rassembler dans une même réunion, qui peut durer jusqu'à cinq ou six heures, les exploitants nucléaires, les donneurs d'ordre, les représentants des industries sous-traitantes, leurs personnels, les organisations syndicales, les médecins du travail, les inspecteurs du travail, l'Autorité de sûreté nucléaire, et j'en passe... Nous avons vu beaucoup de monde sur les sites que nous avons visités. Je ne voudrais pas oublier les directions de ces sites, et profiter de cette tribune pour les remercier, car nous avons été très bien reçus. Nous avons pu voir ce que nous avions envie de voir, même si nous avons parfois dérogé à la règle que nous nous étions fixée, c'est-à-dire que nous avons pu changer les thèmes des discussions prévues, et ainsi examiner des éléments initialement non prévus.
Une synthèse rapide de nos travaux tiendrait en une vingtaine de points.
Je passe assez vite sur le fait que le processus des ECS est long et continue encore dans un autre organisme.
Nous avons noté la bonne information du public concernant aussi bien de grandes instances - IRSN, ASN et autres -, que des exploitants nucléaires. Ces derniers ont fait un gros travail d'information à la fois de leurs salariés, mais également des salariés sous-traitants.
Nous avons relevé que si la mise en ligne quasi-instantanée des informations venant de Fukushima était une bonne chose, il fallait, autant que faire se peut, non pas les filtrer, mais les hiérarchiser, afin de les rendre assimilables par le public. Nous avons également pu constater l'implication très forte des commissions locales d'information, comme par exemple celles de Manche-Mer du nord, de Paluel-Penly, de Flamanville ou de Golfech. J'ai eu l'occasion de représenter le Haut comité à une réunion de la CLI de Cadarache où il y a eu également un débat, pendant toute une journée, sur la sous-traitance, ce qui tend à prouver que nous avons débloqué ce débat, ce qui n'était pas forcément évident à faire.
Nous nous sommes engouffrés dans la proposition que nous a faite l'ASN de participer aux comités d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains. M. Chevet est là, je pense qu'il pourra peut-être en dire un mot, mais nous participons activement à ce comité d'orientation qui nous semble être le relais de ce que nous avons pu engager comme discussions, ou faire engager comme débats, aussi bien sur tout ce qui est lié à l'humain, au centre de la sûreté nucléaire, souvent décrit comme étant le maillon faible, mais nous pensons, et nous sommes nombreux à le penser au sein du Haut comité, qu'au contraire, l'humain constitue un atout important dans la conduite des installations, notamment en cas de crise majeure. Nous nous sommes lancés très rapidement dans les travaux du comité d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains, et j'ai l'honneur de piloter un groupe de travail qui est encore plus pluraliste que celui que j'ai mené au sein du Haut comité puisque ce dernier n'avait « que » sept collèges.
Le comité d'orientation de l'ASN est encore plus large en termes de représentation, ce qui veut dire que les numéros d'équilibriste que nous devrons faire seront peut-être encore plus périlleux, mais je suis persuadé que nous y arriverons parce que plus on parle de sûreté nucléaire, plus on parle de l'homme, plus on parle également de sous-traitance, et mieux cela vaut. La problématique de la sous-traitance est pour nous une question majeure. Je crois que tout le monde l'a bien compris. Les exploitants nucléaires ne rechignent plus à nous présenter leur politique industrielle avec laquelle on peut être d'accord ou pas. Mais nous avons toujours tenté d'évaluer si les exploitants avaient encore la maîtrise de leur outil de production.
Un point important, sur lequel nous allons travailler d'arrache-pied avec les exploitants et l'ASN, dans le cadre du comité d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains, concerne les modalités d'intégration des sous-traitants durant des situations de crise. Jusqu'à présent, les exploitants nucléaires, quand ils nous présentent leur plan d'urgence interne, affirment pouvoir faire avec les moyens propres de leur organisation. Or, lorsque la sous-traitance avoisine les 60 à 70 % de l'effectif, il est loisible d'estimer qu'en cas de crise majeure, les sous-traitants seront de toute manière impliqués et insérés dans les organisations de crise.
Je pense que vous attendez aussi un retour d'expérience. Encore une fois le travail que nous avons mené est un exercice d'équilibriste. Faire en sorte de trouver un accord entre Greenpeace, France nature environnement, la CGT, la CFDT, les exploitants, les parlementaires et d'autres, n'est pas toujours évident. Nous avons toujours tenté le maximum pour trouver des termes qui conviennent à tous, bien que quelques fois, moi le premier, nous en sortons un peu frustrés.
Nous aurions, en effet, bien voulu aller plus loin sur ces questions, car plusieurs sont en suspens, notamment celle qui demande que les lettres des exploitants, suite aux inspections nucléaires de l'ASN, soient rendues publiques. Mais les exploitants soutiennent que ce n'est pas possible car elles sont trop techniques, et que personne ne les comprendrait. Néanmoins, je pense que nous avons lancé le débat, et nous ne souhaitons pas qu'il soit enterré. Il faudra qu'il revienne sans arrêt, sous forme d'échanges, pour trouver un compromis de manière à ce que la transparence de l'information soit le plus largement possible assurée pour le public. C'est d'ailleurs le titre de la loi TSN de 2006 qui, pour nous, semble une très bonne loi, puisqu'elle a donné un droit à l'information du public. Et ce droit à l'information, en tant que Haut comité, fait partie de nos missions premières.
La confrontation lors des débats pluralistes se tient très souvent, j'en ai fait l'expérience, entre, d'une part, les exploitants et d'autre part, en quelque sorte, la société civile : les associations et les syndicats. Il faut toujours avoir en tête qu'existe une confrontation et un clivage permanents entre des intérêts souvent contradictoires mais pour lesquels on essaie de toujours trouver un compromis, et je pense qu'on y arrive.
Une difficulté sur laquelle nous avons buté, lorsque nous sommes allés sur les sites de Flamanville, La Hague, Golfech et Cadarache, c'est de faire s'exprimer les salariés, particulièrement ceux des sous-traitants. Un salarié qui a en face de lui son donneur d'ordre, et à côté de lui son patron, a du mal à exprimer ce qu'il ressent. Nous avons tenté de contourner la difficulté, notamment à Golfech, où nous avons profité d'un grand arrêt de tranche, une « décennale », pour rencontrer les personnels. Nous avons pu discuter avec des salariés, malheureusement sur un laps de temps réduit, et donc ce que nous avons entendu et vu n'est pas exhaustif, mais nous avons quand même mesuré les choses : une très grande différence de traitement entre les salariés des grands groupes industriels qui sont là en tant qu'ensembliers et qui ont tout ce qu'il faut, primes de déplacement, etc., et les autres, ceux qui font partie des petites entreprises ou ceux qui arrivent en fin d'arrêt, et qui n'ont pas une perspective assez large. Donc ceux-là n'ont rien. Ils ont donc de grosses difficultés. C'est donc sur ceux-là qu'il faudra que nous travaillions.
J'ai trouvé les médecins du travail très réservés, notamment les médecins du travail sous-traitants et même ceux d'EDF. Je sais qu'on ne peut inférer dans la médecine, mais quand on demande aux médecins comment ils voient la population en face d'eux, ils ont des propos que j'ai trouvés, non pas lénifiants, mais très réservés. Nous n'avons pas pu aller plus loin dans ces discussions.
Les inspecteurs du travail, en dehors de ceux de l'ASN qui disposent d'une liberté d'accès et de parole importante, ressentent une grande frustration, car souvent il y a des freins quand ils veulent intervenir chez des exploitants, parce qu'ils n'arrivent pas sur un chantier à brûle-pourpoint. Nous avons bien senti qu'ils tiraient une sonnette d'alarme.
Un point a fait beaucoup débat au sein de notre groupe de travail. L'ASN avait proposé au Haut comité d'intervenir en tant qu'observateur dans les inspections ciblées qu'elle organisait en parallèle des ECS, ce que le CEA et AREVA ont refusé. Nous n'avons donc pu participer qu'aux inspections ciblées d'EDF et de l'Institut Laue-Langevin de Grenoble. Nous avons exprimé notre désaccord. Les exploitants ont trouvé un argument qui peut s'entendre. Mais nous avons été très frustrés par ce refus. De la même façon, le fait qu'AREVA et le CEA ne veuillent pas participer au Comité d'orientation de l'ASN, sinon en tant qu'observateurs, va poser un problème, car plus la discussion est large, plus facilement nous pourrons trouver des solutions et des orientations.
Notre rapport a été adopté à l'unanimité du haut comité : c'est peut-être en contradiction avec ce que je disais tout à l'heure mais nous avons toujours essayé, et je pense que le président Revol y est pour beaucoup par sa manière d'écouter tout le monde et de prendre en compte toutes les expressions, de trouver un compromis.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Chacun connaît les capacités du président Revol à rassembler toutes les bonnes volontés. Je voudrais présenter mes excuses parce que j'ai omis, tout à l'heure, les interventions de Pierre-Franck Chevet et de Laurent Michel sur l'évolution du fonctionnement du groupe de travail. Mais, au fond, dans le débat qui va avoir lieu maintenant, ils pourront intervenir et finalement dire ce qu'ils avaient à dire ou compléter ce qui a déjà été dit. J'ouvre maintenant le débat. De ce qui a été dit, j'ai cru comprendre que chacun considère qu'il y avait une belle amélioration de la façon de travailler, même si tout n'est pas parfait bien entendu.
M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. - En ce qui concerne la dernière intervention, je voudrais juste rappeler que la démarche du groupe de travail du PNGMDR a exactement dix ans. Elle a démarré en 2003, avant la loi, et c'est globalement une démarche jugée positive, même si elle est perfectible, bien entendu, et elle a largement inspiré d'autres travaux, y compris en termes de méthode. Je pense à tout ce qui concerne le post-accidentel, au CODIRPA qui a été lancé en 2005, avant Fukushima, dont les travaux se poursuivent, et puis plus récemment aux travaux du comité sur les facteurs socio-organisationnels et humains. Il s'agit donc d'une démarche qui nous a permis d'apprendre, de progresser, et qui a vocation plutôt, sur beaucoup de sujets nécessitant une participation pluraliste, d'être réappliquée.
Je confirme l'importance des travaux, notamment ceux du Comité spécial sur les facteurs socio-organisationnels et humains. Le travail correspondant n'en est qu'à ses débuts, et il ne pourra être bien accompli que si l'ensemble des acteurs y participe efficacement.
Pour ce qui est de la communication entourant le dernier plan, des efforts ont effectivement été réalisés, mais il ne faut pas oublier que la matière est horriblement compliquée. Je pense qu'on aura beau travailler le document dans tous les sens, créer des encarts, utiliser des couleurs, etc., l'effort à faire pour appréhender un tel sujet reste non négligeable, et je remercie tous les participants au groupe de travail de l'avoir réalisé.
Je ne crois pas qu'autour de cette table il y ait ce qu'a évoqué M. le président de l'Académie des sciences morales et politiques : des lanceurs d'alerte incompétents et bruyants. Il y a des lanceurs d'alerte, mais ce sont des gens compétents, en tout cas qui se sont investis dans le sujet.
Sur l'amélioration de la composition du groupe, nous avons quelques idées que nous serons amenés à discuter collectivement comme il est pratiqué d'habitude.
La question d'avoir des élus locaux dans nos travaux me semble une piste à explorer. J'ai en tête l'échec, pour parler franchement, de la démarche FA-VL, sur laquelle il y a eu un retour d'expérience extrêmement intéressant apporté par le Haut comité, pour tenter d'expliquer pourquoi cela n'avait pas abouti. Je pense que la présence d'élus locaux est utile pour discuter de la manière dont on gère les déchets, ce qui renvoie à la localisation des sites de gestion de déchets. Tout le monde le sait autour de cette table, la création d'une nouvelle installation de gestion de déchets est un sujet éminemment difficile, qu'elle soit ou pas nucléaire. Je pense donc que la présence d'élus locaux dans nos travaux, pour apporter un témoignage et nous aider à réfléchir à la démarche, serait très utile.
Dans le domaine du nucléaire diffus, ou du non-électronucléaire, là aussi il conviendrait de s'interroger sur les questions de composition du groupe de travail. Évidemment, beaucoup d'acteurs sont susceptibles de représenter une partie du problème : il ne faudrait pas que l'on en vienne à un groupe de travail de 150 personnes, totalement ingérable. Nous devons réfléchir à trouver les bonnes personnes susceptibles de traiter de ces sujets identifiés comme importants.
Il y a un acteur qui ne participe pas à nos travaux mais qui est autour de cette table, c'est la Commission nationale d'évaluation. Si elle en était d'accord, je serais partisan de sa participation au groupe de travail.
Dernier point qui va dans le sens d'une pratique qui se généralise : je pense que nous aurions intérêt à inviter des autorités de contrôle étrangères. Malgré les difficultés soulevées par les questions de déplacements, de langue, cela enrichirait notablement nos travaux.
Voici donc quelques pistes de réflexion qui vont vers un élargissement de la composition du groupe, et une meilleure adaptation par rapport au sujet que nous essayons de traiter, dans une phase d'action sur le terrain de plus en plus active.
M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat. - Quelques réactions, en souscrivant à ce qui a été dit par Pierre-Franck Chevet sur les réflexions à mener, entre autres sur la composition des groupes de travail, et sur la question de la diffusion vers le public, ainsi que de la pédagogie, en partant du constat qu'il y a un coût d'entrée fort. Il faut rappeler qu'une synthèse sera produite et une conférence de presse commune Autorité de sûreté nucléaire-DGEC organisée, comme pour chaque nouveau plan.
Monique Séné a proposé d'aller sur le terrain. Il y a les CLI. Ne pourraient-elles pas être ce lieu que nous recherchons, si elles le souhaitent ? Cela dépend de l'appétence des CLI des différents sites pour telle ou telle partie du PNGMDR. Ce serait certainement une possibilité à examiner.
Cette année, nous avons le débat public Cigéo, qui ne se limitera pas à un débat sur « l'objet stockage ». Ce sera aussi un débat national, avec des réunions en dehors de Meuse- Haute-Marne, à l'occasion desquelles le sujet plus général de la gestion des déchets, en particulier HA-VL et MA-VL, pourra être abordé, offrant ainsi une opportunité d'élargissement de la diffusion du PNGMDR, si ce n'est celle d'un contact direct et simple avec le grand public.
Le CEA l'a bien dit dans son intervention : nous sommes dans un processus itératif. Il a été dit que nous étudions des options qui n'étaient pas celles pour l'instant de références industrielles. Et c'est justement l'intérêt de la démarche. Nous ne sommes pas figés, nous essayons d'avoir les clefs pour la décision, qui est un mélange de plusieurs facteurs. Par exemple, nous sommes tous attentifs à la question d'une optimisation, avec un objectif élevé et clair en termes de sûreté nucléaire et de radioprotection du démantèlement. Cela influe sur la question du dimensionnement, le plan le dit clairement, avec une saturation du centre de stockage TFA qui pourrait venir encore plus rapidement. C'est le rôle de ce plan de poser sur la table des sujets, y compris hors références. Cela ne veut pas dire que quand une étude hors référence est faite, elle sera retenue. Mais les études sont là pour éclairer.
Mme Maryse Arditi, France Nature Environnement. - Je crois que je vais être à côté du PNGMDR, mais je ne peux pas laisser passer l'intervention de M. Baechler, qui constitue une véritable provocation : nous sommes tous considérés comme des incompétents. Vous avez commencé par dire 2 et 2 égale 4. Aujourd'hui les questions que les citoyens posent à la science, ce sont les questions émergentes, celles où la science n'a pas encore de complète certitude. On lui demande : est-ce que les OGM in fine sont dangereux ou pas ? Peut-être que pour vous, il y a déjà une réponse absolue, mais il est clair que les citoyens sentent qu'il n'y en a pas. Est-ce que les gaz de schistes sont une technique polluante ?
Vous seriez parti de ces deux questions, il aurait été sûrement plus difficile de continuer votre intervention. En ce qui nous concerne, je tiens à vous dire que nous sommes aujourd'hui sur une démarche qui consiste à faire reconnaître l'expertise associative. C'est-à-dire le fait qu'il existe aujourd'hui des personnes qui, en se regroupant collectivement, sont capables de produire, autant que faire se peut, la recherche institutionnelle.
Nous sommes dans un débat sur l'énergie : l'un des scénarios qui va être au coeur de ce débat est un scénario NégaWatt. Ce sont vingt-cinq personnes volontaires qui travaillent ensemble depuis trois ans à élaborer un scénario qui aura la même capacité, voire meilleure j'en suis même sûre, qu'un certain nombre de scénarios faits par d'autres gens. Voilà ce que nous tentons de faire reconnaître. Ce ne sont même plus des lanceurs d'alerte, ce sont des contre-pouvoirs dans le domaine de l'expertise, car aujourd'hui, effectivement, il est beaucoup trop mis en exergue une voix unique, à part évidemment M. Allègre et le GIEC qui ont encore une petite différence...
Je pense que votre intervention est une provocation. La manière dont vous l'avez présentée fait que, finalement, nous allons élire des gens incompétents qui vont demander aux experts de leur dire ce qu'ils doivent penser. À un moment donné, on peut aussi se passer d'élire des gens, puisque les experts vont nous dire ce qui doit être fait. Justement, c'est cela que nous ne voulons pas. Et des méthodes émergent, qui permettent aux experts de faire leur travail, et aux profanes, je préfère ce nom, d'intervenir sans que pour autant les experts aient donné les résultats et la solution. Je ne veux pas en dire plus, mais je considère que votre intervention était une intervention du siècle dernier, excusez-moi.
M. Jean Baechler, président de l'Académie des sciences morales et politiques. - J'ai enseigné pendant quarante-cinq ans et je sais qu'enseigner, c'est répéter, et que l'on n'est jamais compris du premier coup. J'ai essayé de définir un système de jeu, qui inclut par nécessité trois joueurs ou trois acteurs, des lanceurs d'alerte, des hommes politiques et des experts. Et j'ai essayé de démontrer que si l'on mélange ces trois rôles, le résultat ne peut pas être maximisé. Il faut donc les maintenir séparés.
Vous me dites qu'il y a des experts qui sont encore plus experts que les experts. Bien. Qui les a sélectionnés ? Quelles sont les instances de cooptation qui vous habilitent à vous prononcer sur telle ou telle question ? Soumettez vos candidatures à des gens qui savent, ou qui savent qu'ils ne savent pas, puisque vous avez évoqué des questions qui sont encore en débat. Seuls peuvent y participer des gens qui sont capables de débattre efficacement. Si j'ai besoin d'une interprétation juste d'un vers de Virgile, je m'adresse à des latinistes qui connaissent Virgile. Je ne vais pas m'adresser à des personnes qui ne lisent pas le latin, et qui n'ont donc jamais lu Virgile. Toutes les questions sont du même ordre. Je ne vous convaincrai pas, Madame, mais si vous avez jugé que j'ai voulu vous provoquer, comme j'ignorais jusqu'à votre existence, croyez bien que ce n'était absolument pas mon intention. J'ai essayé de répondre honnêtement à une question. Je peux me tromper. C'est un objet de débat.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Excusez-moi Madame, mais je crois que ce sujet est important. Nous sommes dans un système où l'homme politique, il y a une trentaine ou une quarantaine d'années, prenait des décisions uniquement avec des experts. Ainsi, la filière nucléaire s'est développée uniquement sur des avis d'experts. On peut aujourd'hui dire que cela a été une bonne ou une mauvaise chose, mais ce sont les experts qui ont décidé, à l'époque, des grandes orientations de notre pays. Nous sommes arrivés à une période dans laquelle, à mon sens, le couple entre le politique et l'expert n'est plus suffisant. Je reviens sur ce qui vient d'être dit. D'abord le politique ne sait pas. S'il ne nous est pas demandé d'avis sur Virgile, on nous demande de juger de sujets sur lesquels nous ne sommes pas spécialisés. Moi qui ai fait des études de sciences, quand je suis arrivé au Parlement, il y a un certain nombre d'années, on a considéré que j'étais compétent dans toutes les sciences, et que c'était un tout petit sujet politique. Bien sûr, je savais comme vous qu'on ne peut pas être compétent dans le domaine scientifique sur la totalité des sujets. Pourtant on nous a demandé de traiter de tous le champ de la science, surtout des impacts de la science sur la société. C'est en ce sens qu'aujourd'hui le couple entre le politique et l'expert est modifié. Il faut intégrer un trio constitué du politique, de l'expert et du citoyen. Et c'est compliqué par les alertes que nous nous devons de traiter.
Il y a effectivement des stratégies d'alerte qui ont pour but d'influer sur des décisions politiques, en traitant de sujets de manière itérative. Par exemple, un point sur lequel je ne suis pas en accord : l'affirmation selon laquelle les déchets doivent rester un problème parce que celui-ci conduit finalement à l'occlusion de la filière nucléaire. Aujourd'hui, nous souhaitons résoudre le problème des déchets, même si cela n'a pas encore abouti. Ainsi, des questions importantes ont été posées tout à l'heure dans vos interventions, sur le recyclage d'un certain nombre de déchets. À l'Office, nous avons joué ce rôle d'ouverture vers la société et ce rôle d'expertise ; je dis bien : ouverture publique, collective et contradictoire. Nous ne sommes pas encore toujours suivis au sein du Parlement, mais je pense que c'est la voie. Quand on ne sait pas quelque chose, il faut essayer de confronter des avis. S'il y a des ignorants dans le monde d'aujourd'hui, qui, tout de même, répondent aux sondages, aux enquêtes d'opinion, c'est parce qu'il existe d'autres moyens de communication, qui ne sont pas le débat public, organisés par la télévision ou par internet. Il n'y a plus d'expertise, chacun peut donner son avis, et chacun peut être influencé par des avis qui ne sont pas des avis vérifiés.
Il faut organiser cette expertise collectivement. Il ne peut pas y avoir, dans un monde, des sachants et des ignorants. Il y a des gens qui savent, qui sont experts, et ils doivent dire pourquoi, à un moment donné, ils souhaitent qu'on prenne une décision qui aille dans un sens stratégique pour notre pays. Et tout citoyen a le droit de les interpeller pour leur poser des questions. Cela me semble très important pour la crédibilité de notre Office parlementaire, et pour le travail que nous avons essayé de mettre en place au niveau du Parlement.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Je partage tout à fait ce que vient de dire Jean-Yves Le Déaut. J'ajoute que l'art du politique est difficile. Nous sommes à l'interface, dans ces sujets scientifiques et technologiques en particulier. Mais il y a bien d'autres sujets traités entre experts qui se sont mutuellement désignés, mais est-ce possible autrement ? Nous devons bien faire le lien avec la population, c'est cela notre rôle. Et finalement nous devons aller tous ensemble vers un but. Je prends l'exemple d'aujourd'hui, les déchets nucléaires : si nous n'avons pas la population avec nous, Mme Dupuis le sait bien, cela ne marchera jamais. M. le Premier ministre a dû arrêter parce qu'il avait la population contre lui. Par conséquent, nous avons besoin d'experts, et nous avons besoin de convaincre, d'être convaincant, et d'essayer d'avancer cahin-caha, tous ensemble.
Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Andra. - En ce qui concerne le fonctionnement du groupe de travail du PNGMDR, j'ai bien entendu le souci des ONG sur leur disponibilité pour participer à tous ces travaux, qui deviennent de plus en plus techniques. Je suis intimement convaincue que nous avons besoin de travailler sur les différentes filières de gestion des déchets, en associant, au travers des ONG, les représentants de la société. C'est pour cela que les travaux de groupes sont fondamentaux. Mais pour l'avenir, il me semble, en appuyant ce qu'a dit M. Fabrice Boissier, que nous ne devons pas nous noyer dans le détail technique et le détail des différentes solutions, mais essayer de rester à un niveau suffisamment stratégique où leur regard me parait essentiel.
Je voudrais citer deux exemples, qui sont à mon avis très importants pour l'avenir de la gestion des déchets radioactifs, et qui visent à optimiser les filières de gestion de déchets en cherchant à tout prix à réduire le volume de déchets radioactifs. En ce sens je rejoins un peu Maryse Arditi. Mais quand nous y travaillons dans nos bureaux techniques, nous sommes très vite confrontés à des choix difficiles à prendre seuls.
Cela se passe quand nous travaillons avec les producteurs, ou avec les laboratoires académiques sur différents procédés de traitements innovants. En effet nous pouvons avoir à choisir d'investir dans de la R&D ou sur des prototypes pour traiter les bitumes, etc. ou même les déchets des petits producteurs pour lesquels se pose la question du tri-traitement. Nous nous apercevons que très vite nous arrivons à un débat qui concerne la société : vaut-il mieux stocker directement les déchets tels qu'ils sont dans le sol de l'Aube, de Meuse ou de Haute-Marne, ou investir dans la recherche et l'innovation, dans une unité de traitement qu'on implantera peut-être à Marcoule, Cadarache, La Hague ou peut-être ailleurs en France, et qui là conduira à des rejets, parce que la radioactivité ne disparaît pas mais décroît dans le temps ?
Mais à travers ces choix techniques que nous devons faire et qui vont nécessiter des investissements, il y a un débat difficile. Est-ce qu'il vaut mieux concentrer la radioactivité dans un sol, où qu'il soit, ou est-ce qu'on la disperse par des rejets dans l'eau ou l'atmosphère ? Ces choix à faire, qui incitent à débattre avec la société, sont parfois très importants pour décider de tel ou tel budget de recherche.
Enfin, en ce qui concerne les déchets de démantèlement et de la possibilité de les recycler, beaucoup parlent des matières valorisables qui peuvent devenir déchets. J'aimerais que l'on discute dans le groupe de travail des déchets qui pourraient devenir matières. On me dit qu'en France existe un frein aux budgets de R&D sur la décontamination des « objets » radioactifs. C'est peut-être parce qu'une fois qu'ils sont décontaminés, nous n'aurions pas, exception française, la possibilité de les recycler dans le monde industriel normal. Sans remettre en cause l'absence de seuil de libération, ce qui, dans le contexte actuel, me paraîtrait difficilement acceptable, j'aimerais qu'il y ait un débat au sein du groupe de travail du PNGMDR, sur la possibilité de mettre en place, en France, un système opérationnel pour faire face, par exemple, aux 130.000 tonnes de ferrailles du démantèlement de Georges Besse I.
Aujourd'hui, le choix de référence est de les mettre dans le sol de l'Aube. Je ne suis pas sûre que cette perspective enthousiasme les Aubois. Une autre solution serait de les fondre. Dans ce processus de fusion, les ingénieurs me disent qu'on parvient à décontaminer à tel point que ces aciers seront finalement moins contaminés que ceux importés couramment en France pour la manufacture. Ce sont donc des sujets importants. Je pense que le groupe de travail du PNGMDR est suffisamment mature pour avoir une discussion à ce sujet. Cela voudrait dire, peut-être, instaurer un système de contrôle, pour que les associations qui ont des moyens de mesure, comme la CRIIRADE ou l'ACRO, viennent mesurer les lingots à la sortie du four et constater que c'est un acier moins radioactif qu'un acier couramment importé. C'est ce genre de sujet que je souhaiterais voir traiter au sein du groupe de travail du PNGMDR, et peut-être que les ONG y trouveraient pour certaines un peu plus leur compte que de discuter dans le détail des rapports qui deviennent de plus en plus techniques.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - C'est un vrai sujet, et personnellement je souhaiterais que ce débat ait lieu.
M. Yannick Rousselet, Greenpeace. - Sans vouloir revenir sur les propos qui ont été tenus tout à l'heure, je tiens à signaler, au nom de notre organisation, que je les trouve scandaleux, que le terme de discours d'un autre siècle est tout à fait adapté. Je me considère vraiment comme un donneur d'alerte. J'étais encore il y a assez peu de temps enchaîné sur des rails, et ce n'est pas pour cela que nous sommes dans la contradiction sur la compétence. Il ne me semble pas qu'autour de cette table il y ait des gens qui doutent de notre capacité à discuter des questions que l'on traite tous les jours.
Je voudrais insister sur la manière dont ce PNGMDR va être communiqué. Je pense qu'il faut faire très attention à ce que chacun va en faire : ne pas lui faire dire ce qu'il ne dit pas. J'entends : « Le PNGMDR démontre que l'on a une gestion complète des déchets aujourd'hui en France », mais je n'y ai pas lu cette conclusion. Il apporte un ensemble d'éléments, mais il pose aussi des interrogations, et les exploitants doivent rester extrêmement prudents. Ce qui décrédibiliserait ce PNGMDR, ce serait un discours absolument entier dans lequel on dirait que tout est résolu dans l'ensemble de la filière. Cela se heurterait à un blocage dans le public, qui n'accepterait pas cela. Il ne faut pas casser l'effet positif de ce qui a été fait, car s'il y a eu effectivement des avancées, il y en a encore à faire.
Mme Monique Séné, présidente du GSIEN, ANCCLI. - Je voudrais revenir sur cette problématique d'information, de transparence. Au niveau de l'ANCCLI, nous avons beaucoup travaillé sur la convention d'Aarhus et la façon dont elle est appliquée dans les pays d'Europe. Nous avons fait une analyse, pendant quatre ans, sur ce sujet. Et je pense justement que les conditions de la participation, de la concertation, et de l'accès à la justice mentionnées dans la convention d'Aarhus, restent vagues. Il reste des aspects à préciser quant aux modalités d'accès à cette information. Nous nous sommes dit que pour les informations très techniques, il serait bon d'avoir des médiateurs, issus de la société, qui aideraient à comprendre. À cet égard, les Commissions locales présentent l'avantage d'être maintenant au nombre de 38, soit 3.000 personnes, dont 1500 élus. Cette force commence tout juste à émerger, puisque le décret correspondant ne date que de 2008. Les CLI commencent seulement à prendre conscience du pouvoir de leur parole, même si elles ont, un moment, balbutié.
Nous pourrions essayer de mettre en place une formation, à destination des CLI, afin qu'elles interviennent et que les élus formulent également leurs avis. C'est une façon de faire, mais cela n'exclut pas que les experts, les savants, aient des doutes, comme tous les autres, et ils sont censés les exprimer quand ils parlent d'un sujet. Ce serait dommage que le PNGMDR ne soit pas influencé par cette façon de travailler. Savoir exprimer les limites de ce qu'on fait, c'est l'idéal pour tout le monde. Cela permet de mieux comprendre. Vous avez indiqué que 2 plus 2 font 4. Oui, dans la limite des incertitudes. Donc, vous pouvez avoir plus ou moins. Pourquoi pas ? Cela dépend de la façon dont vous travaillez. Il faut donc savoir aussi relativiser. Et vous avez parlé des élus : ils sont obligés de se retourner vers la population. Il n'y a pas de question idiote. Il y a parfois des réponses qui indiquent que l'on n'a pas très bien compris la question. Mais c'est comme cela que l'on dialogue.
À mon avis, le PNGMDR a permis un dialogue. Nous y participons depuis 2003, et nous essayons d'y introduire ce que nous pensons. Force est de constater qu'il a gagné en possibilités de faire passer des messages. Mais restons vigilants sur la possibilité d'avoir accès, non seulement aux transparents présentés en réunion, mais aussi, de temps en temps, à la documentation qui permet de comprendre ce qui se passe. Pas systématiquement, il n'est pas indispensable de mettre tous les rapports sur la table, mais à la demande, oui. C'est cela la transparence : répondre aux questions des gens.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci Mme Séné. Je partage d'ailleurs votre point de vue : je croyais jusqu'ici que l'on reconnaissait un expert naturellement, à toute la hauteur, la profondeur, la plénitude de ses connaissances, mais également au doute qui subsiste toujours.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - J'ai d'abord deux questions qui sont liées. AREVA et le CEA ont été interpellés par M. Compagnat, sur l'impossibilité de participer à certaines visites. Je souhaiterais que vous l'expliquiez. M. Romary vous avez souligné, tout à l'heure, qu'AREVA commercialisant des services, il convenait de faire très attention, en matière de transparence, à l'absence de conflit avec son intérêt économique. Pouvez-vous en dire un peu plus ? Par ailleurs, Mme Arditi a dit au CEA qu'ITER produira énormément de déchets, le confirmez-vous ?
M. Jean-Michel Romary, directeur gestion des déchets et matières nucléaires, AREVA. - Je vais répondre sur les deux premiers points. Concernant notre participation au Comité d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains, notre position a été partagée avec l'Autorité de sûreté. Nous ne sommes pas du tout opposés dans le principe à la participation à ce comité. Nous avons émis simplement quelques réserves. Certaines d'entre elles ont déjà aujourd'hui été levées, comme la question de la sous-représentativité. Nous avons été autorisés à venir avec un peu plus de personnes représentant notre activité. Nous estimions qu'en termes de délais, comme beaucoup d'activités chronophages ont été lancées, nous voulions un peu différer le démarrage de ce comité, ce qui a été aussi accordé, puisque des dates qui nous conviennent ont été proposées. Il nous reste deux réserves sur lesquelles nous sommes en train de discuter : d'une part, nous voulions une pleine représentativité des parties prenantes présentes, avec lesquelles nous avons l'habitude de discuter, et c'est un point qui est encore à étayer et, d'autre part, il y a un débat auquel nous ne souhaitons pas participer dans le cadre de ce comité, c'est toute la partie gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, car nous estimons qu'elle est du ressort de l'entreprise. Nous sommes prêts à montrer, en particulier à l'Autorité de sûreté, ce que nous avons fait, mais ce n'est pas un débat que nous souhaitons avoir au sein de cette instance. Voilà notre position, elle est claire et partagée, et notre intention in fine est quand même de participer à ce comité d'orientation.
Concernant la deuxième question de M. Le Déaut sur les risques de conflits d'intérêts, je précise, et Mme Séné me l'a soufflé tout à l'heure, que les parties prenantes signent des accords de confidentialité et ne diffusent pas l'information qu'elles peuvent récolter au sein de différents comités et des groupes de travail. Cela fait partie des limites de la transparence. Certaines associations peuvent ne pas respecter cette confidentialité, mais nous n'avons pas de difficultés de ce type avec le PNGMDR. Par contre, et cela a été évoqué par M. Michel, quand nous allons commencer à réfléchir à des technologies plus innovantes de conditionnement de déchets contenant des matières alpha et des matières organiques, et que nous serons amenés à développer des procédés qu'aucun de nos concurrents ne possède aujourd'hui, nous ne souhaitons pas les décrire précisément. Nous sommes encore dans une phase de recherche et développement, et il ne s'agit pas que nous nous fassions couper l'herbe sous le pied par une autre entité qui pourrait être amenée à développer une technologie similaire.
M. Philippe Guiberteau, directeur de l'assainissement-démantèlement nucléaire, CEA. - Concernant le CEA, pour enrichir la réflexion sur le dernier point, la R&D est faite par le CEA au profit d'AREVA pour le traitement des déchets organiques. Il y a effectivement des aspects de propriété industrielle et de valorisation de cette R&D qui sont à prendre en compte. Concernant la participation, la position du CEA est la même que celle qui a été développée par Jean-Michel Romary pour AREVA.
Pour la question sur les déchets tritiés, nous intervenons en tant que support technique au profit de l'agence ITER-France, qui est en relation avec ITER Organisation concernant les déchets. Nous avons un inventaire connu. Il y a deux grands types de déchets : ceux de la phase d'exploitation, et ceux de la phase de démantèlement, avec deux catégories de déchets, pour simplifier : les déchets tritiés purs et les déchets tritiés avec des matériaux activés, tributaires pour partie de Cigéo. Nous travaillons pour l'agence ITER-France sur l'étude et la conception d'entreposage de décroissance avec une durée à déterminer, connaissant la décroissance du tritium et les capacités d'acceptation finale de Cigéo en tritium. L'étude inclut donc la durée d'entreposage de ces déchets, en attente de leur évacuation.
Nous avons donc deux grands types d'entreposage à concevoir. D'une part, celui de déchets tritiés purs faiblement actifs qui est en phase d'avant-projet, sur le site de Cadarache, dans un lieu et pour une durée restant à définir. Cet avant-projet prend en compte les déchets du nucléaire diffus dont nous avons parlé tout à l'heure. D'autre part, celui des entreposages plus lourds, avec des déchets activés, en attente d'un envoi vers Cigéo.
Pour répondre à la question de Mme Arditi sur la disproportion de quantité entre les déchets générés par le nucléaire diffus et ITER, je n'ai pas la proportion exacte. Mais il s'agit effectivement de très grandes quantités pour ITER, puisque nous avons une véritable usine, des déchets tritiés purs et des déchets tritiés activés. Il y a une synergie avec les déchets du nucléaire diffus, mais la part du nucléaire diffus est minuscule par rapport à la production de l'usine ITER.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je remercie, à nouveau, tous les participants à cette audition, ainsi que ceux qui sont venus les écouter, certains d'entre eux nous ayant rejoints au cours de la matinée. Cette deuxième table ronde est consacrée au projet de création d'un centre de stockage géologique profond pour les déchets de Haute et moyenne activité à vie longue.
Celui-ci fera, au mois d'avril prochain, l'objet d'un débat, organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), débat qui se poursuivra jusqu'en septembre. Il est donc absolument essentiel que ce projet puisse être présenté de façon suffisamment précise et claire aux citoyens pour qu'ils puissent se faire leur propre opinion sur la question.
Ce projet ne portait pas encore, au moment de la publication du rapport d'évaluation du précédent PNGMDR en janvier 2011, le nom de Cigéo, que lui a donné l'Andra et dont Mme Dupuis, sa directrice générale, explicitera probablement la signification.
Voici deux ans, nous n'en étions qu'aux prémices de la définition de ce que serait ce futur centre de stockage. Nous allons pouvoir mesurer le chemin parcouru durant ces deux années. Par la même occasion, nous pourrons constater si les problèmes que j'avais relevés, avec Claude Birraux, en 2011, entre l'Andra et les producteurs de déchets, ont été aplanis, au travers des instances de concertation prévues par la loi.
C'est bien entendu à l'Andra, seule chargée, par loi, d'assumer la charge de la gestion des déchets radioactifs qu'il reviendra de faire le point de l'avancement de ce projet, en la personne de Mme Marie-Claude Dupuis et de M. Thibault Labalette, son directeur des programmes.
Le Gouvernement ayant demandé une revue de ce projet, M. Laurent Stricker, qui en a assuré la coordination, viendra nous en présenter les résultats.
Je demanderai ensuite aux représentants des associations et des producteurs de déchets de nous donner leur point de vue sur ce qui nous aura été présenté, et plus généralement sur le projet Cigéo.
Dans la deuxième partie de cette table ronde, Henri Revol, président du Haut comité, M. Charles Antoine Louet, sous-directeur de l'industrie nucléaire, et Mme Lydie Evrard, directrice de la direction des déchets, des installations de recherche et du cycle de l'ASN, nous exposeront de quelle façon ces instances ou organismes sont impliqués dans le projet de stockage géologique profond.
Enfin, c'est le président de la Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des matières et déchets nucléaires qui conclura cette deuxième table ronde.
Je rappelle à tous les intervenants que nous sommes contraints par le temps et qu'il conviendra de respecter strictement le temps de parole qui leur a été attribué.
Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Andra. - Quinze minutes ont été prévues pour présenter le projet, ce qui permettra à chacun de réagir. Je passe tout de suite la parole à M. Thibaut Labalette, directeur des programmes de l'Andra, qui sera, avec Fabrice Boissier, l'un de nos deux porte-paroles pour le débat public. Ils porteront le projet de stockage Cigéo lors du débat et s'efforceront de répondre à toutes les questions posées, avec l'appui de tout le personnel de l'agence.
M. Thibaut Labalette, directeur des programmes, Andra. - Je vais essayer d'être le plus synthétique possible. L'année 2013 va être très importante pour l'Andra puisque c'est l'année du débat public pour le projet Cigéo, qui signifie Centre industriel de stockage géologique pour les déchets les plus radioactifs. Ce débat va être organisé par la Commission nationale du débat public, qui prévoit une quinzaine de réunions publiques à la fois au niveau local et au niveau national sur la période du 15 mai au 15 octobre de l'année 2013.
Ce débat public est très important pour l'Andra, puisqu'il va être l'occasion de bien réexpliquer pourquoi, en France et dans d'autres pays, la solution du stockage en couche géologique profonde est étudiée pour assurer la sûreté, à très long terme, des déchets les plus radioactifs. Il va être également pour nous l'occasion de présenter tous les travaux que nous avons réalisés, depuis la loi de 2006, en particulier notre vision de ce que pourrait être le projet industriel Cigéo : les emplois associés, son implantation sur le territoire, toutes les activités qu'il faut anticiper pour permettre sa mise en oeuvre... Enfin, ce débat sera également l'opportunité d'ouvrir un certain nombre de questions et de présenter nos propositions en matière de réversibilité, car vous savez qu'une future loi devra définir quelles seront les conditions de réversibilité du stockage.
J'ai structuré ma présentation autour de ces trois axes : en liminaire, je vais vous présenter l'inventaire des déchets radioactifs qui a été retenu pour dimensionner Cigéo. Nous en avons parlé ce matin, c'est une question vraiment fondamentale, puisque c'est à partir des déchets que le centre de stockage est conçu. Ensuite, je vous présenterai, en quelques images, ce à quoi pourrait ressembler le centre de stockage, et où il serait implanté. Enfin j'aborderai la question de la réversibilité et des enjeux législatifs associés.
Pour concevoir le centre de stockage, il faut définir un certain nombre d'hypothèses en termes de nature des déchets à stocker. Les déchets dont nous parlons sont des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, qui sont extrêmement radioactifs et, pour des raisons de sûreté nucléaire, ne peuvent être stockés en surface ou à faible profondeur. C'est pour cela que nous étudions un stockage dans une couche d'argile qui a de très bonnes propriétés de confinement à très long terme, à cinq cents mètres de profondeur. Cette couche est étudiée au moyen de notre laboratoire souterrain à Bure. Bien entendu, Cigéo est destiné à stocker les déchets qui existent déjà, mais nous nous projetons également dans le futur, en essayant de prévoir les déchets qui, de manière prévisible, pourraient être produits dans les années à venir.
Pour définir les grandes hypothèses que nous retenons pour dimensionner Cigéo, nous nous fondons sur une durée d'exploitation des installations nucléaires actuelles de cinquante ans, conformément aux indications des industriels. Nous considérons tous les déchets qui seraient produits, sur cette période, par le parc en exploitation et en démantèlement. Évidemment, cela ne préjuge aucunement des décisions d'exploitation du parc, données réacteur par réacteur. Dans notre inventaire de référence, nous ne prenons pas en compte les combustibles usés, considérés comme des matières valorisables, à l'exception d'un volume très limité pour Brennilis, dont le potentiel de valorisation est limité, et nous faisons l'hypothèse que ces matières seront, à terme, recyclées dans un nouveau parc.
Cet inventaire de déchets correspond à peu près à 10 000 mètres cubes de déchets à haute activité et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue. Pour donner un ordre de grandeur, il existe aujourd'hui en France plus d'un million de mètres cubes de déchets radioactifs déjà produits. Nous constatons donc que nous sommes dans un volume limité par rapport à tous ces déchets, mais bien entendu, nous parlons des déchets les plus radioactifs qui concentrent plus de 99 % de la radioactivité. D'où l'importance du sujet que nous traitons aujourd'hui. Un autre chiffre qu'il faut retenir, c'est qu'aujourd'hui, 60% de l'inventaire de ces déchets de moyenne activité existent d'ores et déjà, et 30% des déchets de haute activité existent également.
Donc, un paramètre qu'il faut vraiment avoir en tête quand on parle de Cigéo, ce sont les échelles de temps dont nous allons parler, échelles de temps industrielles, à savoir que pour stocker tous les déchets que je vous présente aujourd'hui, il faudra plus d'une centaine d'années de travail dans le centre industriel.
L'État nous demande également de concevoir une installation industrielle flexible, qui puisse s'adapter dans le futur à des évolutions potentielles de la politique énergétique française.
À titre d'illustration, les réflexions que nous menons, notamment dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, consistent à évaluer l'impact qu'aurait un autre scénario énergétique sur Cigéo. Dans l'inventaire national, il y a deux scénarios, l'un de poursuite du nucléaire, l'autre dans lequel la production nucléaire ne serait pas renouvelée, ce qui voudrait dire que les combustibles usés existant aujourd'hui deviendraient des déchets radioactifs à stocker. Déjà dans les études de 2005, nous examinions la possibilité de prendre en charge de tels déchets dans le centre de stockage, et cette faisabilité avait été montrée.
L'État nous demande aussi de vérifier, en concevant Cigéo, qu'il soit suffisamment flexible pour rester compatible avec un éventuel stockage de combustible usé, si les politiques énergétiques changeaient. Il est très important de noter qu'un tel changement n'aurait un impact sur Cigéo qu'à l'horizon 2070, puisque les combustibles usés sont des déchets chauds qui doivent refroidir avant d'être stockés. Or, les déchets existant aujourd'hui correspondent à plusieurs dizaines d'années d'exploitation de Cigéo.
Le troisième point sur lequel nous travaillons aujourd'hui avec les producteurs de déchets, c'est la question des modalités de transport de ces déchets radioactifs, depuis leur site actuel d'entreposage, que ce soit La Hague, Marcoule ou Cadarache, et le futur site de stockage. Un travail important a été mené par AREVA, le CEA et EDF depuis 2006 pour étudier les modalités de transport associées. Aujourd'hui, les grandes orientations retenues sont de privilégier un transport ferroviaire permettant de limiter les flux à destination de Cigéo, à hauteur d'au maximum une centaine de trains par an, avec des moyens techniques déjà utilisés pour les transferts de substances radioactives entre les installations nucléaires et le site de La Hague par exemple.
Ces bases étant posées, je vais maintenant présenter ce à quoi pourrait ressembler le centre industriel de stockage. L'Andra a lancé en 2011, en se fondant sur vingt années de recherche et développement, la phase de conception industrielle du centre de stockage. Pour cela, nous nous appuyons sur des ingénieries industrielles spécialisées dans les travaux souterrains, dans le génie nucléaire. Nous avons également mis en place, suite notamment à la recommandation de l'Office parlementaire dans le cadre du précédent plan, une convention de coopération avec les autres exploitants nucléaires : AREVA, le CEA et EDF, qui permet de bénéficier de leur retour d'expérience, tout en définissant bien les responsabilités de chaque acteur, puisque, in fine, c'est l'Andra qui en tant que maître d'ouvrage et futur exploitant, est responsable des choix techniques.
Cette image de synthèse me permet de présenter ce à quoi peut ressembler le centre de stockage. C'est une image du stockage dans une centaine d'années, quand toutes les alvéoles auront été construites et exploitées. C'est donc un projet industriel de grande envergure, entre 1.000 et 2.000 emplois pendant la phase de construction initiale, ensuite entre 500 et 1.000 emplois de manière pérenne, sur plus de 100 ans. Il est composé de bâtiments de surface, à la fois pour réceptionner, contrôler et préparer les colis de stockage avant leur transfert vers la station souterraine. Une deuxième installation de surface est destinée à tout ce qui est support aux travaux souterrains. Ensuite, la partie de stockage proprement dite se trouve dans la couche d'argile, à 500 mètres de profondeur. Pour relier la surface et le souterrain, il y a, soit des descenderies, qui sont des tunnels inclinés, soit des puits, comme c'est actuellement le cas dans notre laboratoire.
La particularité de Cigéo, sur le plan technique, est qu'il s'agit d'une installation nucléaire qui sera construite en souterrain, pendant plus de cent ans. C'est-à-dire que nous allons avoir un développement très progressif de cette installation.
Nous avons ainsi une vision de ce à quoi pourrait ressembler l'installation souterraine à l'horizon 2030. Nous retrouvons les descenderies, les puits et, par exemple, une première zone de stockage destinée à recueillir les premiers colis de moyenne activité à vie longue, avec une partie en exploitation nucléaire en bleu, et une partie en travaux en rose. Au niveau technique, il est important de séparer complètement, sur le plan physique, la partie nucléaire de la partie travaux.
Nous voyons également une zone pilote de déchets de haute activité moyennement exothermique. C'est une zone très intéressante parce qu'elle veut dire que, dès 2025, nous allons commencer à stocker, en volumes très limités, quelques premiers colis de déchets de haute activité et que nous allons acquérir un retour d'expérience sur le comportement de cette zone pendant plus de cinquante ans, avant de démarrer le stockage de la majorité des déchets de haute activité, ceci à l'horizon 2070-2080.
Nous voyons également, sur ce schéma, un certain nombre d'optimisations apportées par rapport à la conception de 2009, avec notamment la possibilité d'utiliser un tunnelier pour construire certaines galeries, l'allongement de certaines alvéoles, la séparation plus nette entre les travaux et la partie nucléaire. Tout cela représente des résultats techniques importants, suite à l'esquisse menée en 2012.
Tous ces travaux s'appuient beaucoup sur les travaux du laboratoire souterrain. Nous entrons aujourd'hui dans une phase d'essai préindustriel. En 2013, nous allons qualifier le creusement au tunnelier dans notre laboratoire souterrain. Nous avons réussi, en 2012, à creuser des alvéoles pour les déchets de haute activité de grande longueur, d'une centaine de mètres, et nous travaillons également sur notre capacité industrielle à construire des ouvrages de fermeture, des scellements de grande taille, au moyen d'un démonstrateur en construction à Saint-Dizier.
Pour ce qui concerne les installations de surface, une première est destinée à l'accueil, à la préparation et au contrôle des colis de déchets avant leur stockage. Cette installation sera à l'aplomb de la descenderie, dans la zone interdépartementale contigüe à la Meuse, conformément à la demande faite par les acteurs du territoire dans le cadre du Comité de haut niveau. Très concrètement, cette zone est située à proximité du laboratoire souterrain et présente l'avantage de pouvoir être desservie par une voie ferroviaire d'une quinzaine de kilomètres, à créer, si cette option était retenue. Sur le plan technique, c'est envisageable.
La deuxième installation de surface, qui va être le support aux travaux souterrains, est implantée en Meuse, à l'aplomb de la zone d'intérêt, validée par le Gouvernement en 2010 pour étudier l'implantation de l'installation souterraine du stockage. Le choix entre les deux scénarios possibles d'implantation, discutés et approfondis localement, sera effectué à la suite du débat public.
Pour conclure ma présentation, je voudrais aborder l'avancement des réflexions de l'Andra sur la réversibilité. M. Birraux rappelait souvent que pour lui la question de la réversibilité était une question ouverte, et qu'il attendait de l'Andra de dire ce qui était possible, quelles étaient les limites éventuelles à la réversibilité, pour qu'il puisse y avoir un débat autour de cette question et qu'in fine ce soit le Parlement qui tranche, au travers de la future loi sur les conditions de réversibilité.
Nous avons mené depuis 2006 un très gros travail d'écoute et de dialogue, à la fois au niveau local, en s'appuyant notamment sur le comité local d'information et de suivi du laboratoire souterrain, mais également au niveau national et au niveau international, sur cette question de la réversibilité. Ce travail est intéressant car il nous a permis de collecter les attentes derrière le mot « réversibilité », que je peux résumer au travers des éléments suivants.
Premièrement, tout le monde nous dit que la sûreté est l'objectif fondamental du stockage. Il faut absolument que le stockage soit sûr, c'est un point très important. Mais il faut également pouvoir, techniquement, récupérer les colis de déchets et, politiquement, revenir sur des décisions prises en 2015. Le public nous pose des questions précises : par exemple comment sera réévalué l'inventaire des déchets stockés dans Cigéo, les hypothèses d'aujourd'hui pouvant évoluer dans le futur ? À quelle date commencerait le stockage de nouveaux types de déchets, quand le stockage sera fermé ? Ces questions seront instruites pendant la centaine d'années d'exploitation du centre de stockage.
Le deuxième point technique sur lequel il faut être bien clair, c'est que la récupérabilité des colis sera de plus en plus complexe, au cours du temps et après la fermeture du stockage. En effet, il est plus facile d'aller rechercher un colis dans un entreposage en surface que dans une alvéole à cinq cents mètres de profondeur. Il sera aussi plus compliqué d'aller rechercher un colis qui se trouvera dans une alvéole fermée, qu'avant fermeture de celle-ci. Il y a eu, sur ce sujet, un travail au niveau international, avec plus d'une dizaine de pays, pour proposer une échelle de récupérabilité, décrivant les différents niveaux de vie du stockage, la progression, à chaque niveau, vers une sûreté de plus en plus passive et, corollairement, l'augmentation de la complexité du retrait éventuel d'un colis. Ce qui veut dire que, dans la vie du stockage, il y aura des décisions importantes à prendre à chaque franchissement d'une étape : en 2015 pour le début de la construction du stockage, à l'horizon 2040 pour la fermeture d'une première alvéole, dans plus de cent ans pour le rebouchage de la descenderie et des puits. Toutes ces réflexions nous amènent à faire des propositions répondant aux attentes que nous avons perçues, à travers ce dialogue, sans compromettre la sûreté du stockage, objectif fondamental, et qui soit réaliste sur le plan industriel. Nous aurons l'occasion de les présenter pendant le débat.
Le tout dernier point concerne les enjeux législatifs. Ceux-ci concernent, d'une part quelques adaptations de la fiscalité de Cigéo, de son financement, de l'articulation entre les fonds de construction et de recherche ainsi que des ressources en personnels de l'Andra, et, d'autre part, les ajustements nécessaires entre les deux lois de 2006 : celle du 28 juin, décrivant les modalités spécifiques d'autorisation de Cigéo, et celle du 13 juin, traitant du régime général des installations nucléaires de base.
M. Laurent Stricker, président de WANO, administrateur de l'Andra. - Une première revue du projet de stockage géologique profond a eu lieu avant le lancement de la phase d'esquisse proprement dite. Cette deuxième revue de projet, demandée par la DGEC, a comme objectif de vérifier que tout ce qui doit être fait avant d'engager la phase d'avant-projet est bien réalisé.
Notre lettre de mission précise comment structurer le processus d'évaluation des solutions d'ensemble envisageables : la faisabilité et la flexibilité de la solution retenue, les propositions en matière de réversibilité, le contenu des évolutions pour le programme industriel de gestion des déchets, et l'organisation du projet pour prendre en compte l'expérience nucléaire française. De plus, cette seconde revue devait valider la prise en compte des recommandations de la précédente de 2011. Elle inclut également un objectif sur la méthodologie d'évaluation des coûts du projet, et enfin sur les risques et opportunités qui y sont liés.
Pour organiser cette revue, des experts, français et étrangers, ont été proposés et agréés par la DGEC, dans les nombreux domaines couverts par ce projet : la géologie, la gestion de grands projets, l'ingénierie et l'exploitation d'installations nucléaires, les mines et ventilations associées, les tunnels ou la sûreté, que ce soit au niveau de l'exploitation ou de la construction, en radioprotection, en matière d'incendie.
Ces experts se sont attelés à l'étude d'une base documentaire comportant de l'ordre de deux cents documents, représentant plus de dix mille pages. À cette fin, ils se sont répartis en plusieurs groupes de travail après le lancement de l'étude le 21 novembre dernier. Les experts ont rencontré les producteurs, le maître d'oeuvre système et la direction de l'Andra, notamment la direction du projet Cigéo. Ils ont travaillé non seulement en sous-groupes, mais également lors de réunions plénières qui ont permis de conforter les visions d'experts venant de spécialités différentes, permettant soit de conforter leurs avis, soit de les confronter. Cela a abouti une réunion conclusive de la revue, le 13 février dernier, avec l'ensemble des experts, le commanditaire, l'Autorité de sûreté nucléaire et son appui technique l'IRSN, un représentant de la CNE, le président du Groupe permanent déchet, l'Andra ainsi que les producteurs.
S'agissant des principales conclusions de cette revue, il convient d'abord de souligner, d'une part, le très important travail effectué par l'Andra, depuis le début de la phase industrielle du projet, et, d'autre part, la bonne prise en compte des aspects sociétaux, en lien avec les élus et les pouvoirs publics, le Comité de haut niveau, les discussions avec les communes et les visites du laboratoire, ainsi que, d'une façon plus générale, des recommandations de la revue précédente, ce qui peut montrer l'intérêt de ce type de revue. Je présente les conclusions en trois points : l'organisation générale, des aspects techniques, et des aspects liés aux coûts.
Du point de vue de l'organisation générale, la recommandation la plus importante consiste à bien structurer le projet, pour prendre en compte l'ensemble du périmètre concerné. En un mot, nous avons le projet de stockage souterrain, sa construction et son exploitation, mais bien entendu il faut prendre en compte ce qui se passe en amont, à savoir la création proprement dite du déchet, son conditionnement chez les producteurs, l'entreposage, les contrôles associés, le transport et le stockage. De façon à ce que le projet ait une structure industrielle solide, la revue de projet a fortement suggéré de jalonner les différentes étapes, c'est-à-dire de prévoir plusieurs étapes clé, et, avant de passer à l'étape suivante, de vérifier qu'un certain nombre d'options ont été clairement validées. C'est bien sûr l'objectif donné par la loi du 28 juin 2006, avec la mise en service en 2025, si l'autorisation est donnée. Nous avons insisté sur la nécessité de préciser les conditions de réversibilité qui feront l'objet de la loi de 2016, et également de mettre en évidence les coûts associés à cette réversibilité.
D'un point de vue technique, la revue recommande de compléter ce qui a été fait en matière d'études pour les esquisses avant de passer à la phase d'avant-projet proprement dite, de façon à ce que cette dernière se déroule de manière robuste et que la solution retenue, à savoir bien entendu viser un stockage sûr et réversible, dans les meilleures conditions technico-économiques, soit bien compris par les différents acteurs, toutes les parties prenantes, que toutes les décisions qui seront prises par le maître d'ouvrage se comprennent bien.
La deuxième recommandation est d'établir un référentiel en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection, de sécurité et d'environnement. C'est déjà fait sur l'incendie, mais ce sont des choses qui méritent d'être précisées. Les éléments existants de la phase d'esquisse doivent être rassemblés et consolidés, pour valider quelques options techniques telles que les modalités de creusement - quelques travaux restant à compléter pour le tunnelier - les moyens retenus pour la descente des colis, les protections, les ruptures de charge entre l'arrivée et le stockage proprement dit et l'amélioration de la standardisation des colis, pour faciliter leur manutention, leur stockage et leur récupérabilité. De même, il serait possible d'optimiser le nombre, le diamètre, la longueur, le taux et le rythme de remplissage des alvéoles, toujours pour optimiser l'exploitation.
Les coûts ne faisaient pas partie du champ de la revue. En revanche, la méthodologie a été analysée, ce qui amène à plusieurs recommandations : structurer les différents postes de coûts de façon à bien délimiter coûts de construction, d'exploitation, de maintenance, de rénovation et leur actualisation sur la durée, préciser les marges pour aléas prises, de façon à mieux évaluer l'enveloppe globale et les incertitudes, et mettre en place, le moment venu, un dispositif incitatif rigoureux de suivi des contrats avec les différents maîtres d'oeuvre.
Enfin, il conviendra de procéder périodiquement à une analyse du risque projet et de vérifier l'adéquation des parades, car compte tenu de la durée du projet, il est peu probable que l'on soit capable de lister tous les risques dès 2013.
Pour conclure, l'objectif des experts durant l'étude et lors de la rédaction de leurs recommandations, était d'aider le maître d'ouvrage et de prendre en compte les différentes parties prenantes, de façon à ce que l'on puisse engager la partie d'avant-projet dans les meilleures conditions possibles.
Mme Maryse Arditi, France Nature Environnement. - Premier rappel, notre association, ainsi que quarante-quatre autres, avait demandé le report du débat public Cigéo après septembre, de manière à ce que celui sur la transition énergétique soit quasiment achevé. Nous n'avons pas réussi à l'obtenir. Nous avions annoncé que, dans ce cas, nous ne participerions pas au débat de manière officielle, ce que je confirme. Notre fédération locale, Mirabelle, a publié un communiqué en ce sens.
Deuxième rappel : ce débat public n'en est pas vraiment un, pas en totalité, car il ne permet pas, contrairement à toutes les enquêtes publiques et assimilées, de questionner l'opportunité du projet. Quand un débat public concerne une ligne à haute tension, il est possible de dire qu'il ne faut pas la réaliser, ou qu'il faut la construire ailleurs, etc. L'opportunité du projet peut être questionnée. Ici, l'État a décidé d'enfouir, faute d'autre solution. La question ne se pose donc pas. C'est donc un débat un peu tronqué, comme c'est en général le cas dans le nucléaire. Je rappelle qu'en plein milieu du débat sur l'EPR, le Gouvernement a annoncé que, de toute façon, il serait construit..
Troisième élément, la réversibilité : la population devra attendre la loi prévue après le débat public pour savoir en quoi elle consiste. Ce que je dis personnellement, c'est que la descente du premier fût sera un geste absolument irréversible. Il n'y a pas de réversibilité. La réversibilité a été proposée en 2006 pour que les députés acceptent la loi et l'enfouissement. En réalité il n'y aura pas de réversibilité et chacun le sait plus ou moins.
Un autre point : initialement, le stockage géologique était réservé aux déchets de haute activité à vie longue, tels que les produits de fission. Ensuite, il a été question d'ajouter les déchets de moyenne activité à vie longue, à défaut d'autre solution. Puis, à l'occasion de débats récents du PNGMDR il est apparu qu'il y aurait une réserve, destinée aux déchets dépourvus d'autre solution. Petit à petit, se dessine ainsi un stockage qui, en plus des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, accueillera tous ceux pour lesquels aucune autre solution n'aura pu être trouvée.
Dernier élément : nous sommes radicalement contre les enfouissements à grande profondeur pour une raison simple. Quand tout se passe bien, c'est très bien. Sauf qu'à la moindre difficulté, comme à la mine de sel d'Asse, dans laquelle était exclue toute possibilité d'infiltration, les fûts radioactifs stockés en 1967 barbotent aujourd'hui dans l'eau : aujourd'hui 12.000 litres par jour, et les Allemands se grattent la tête en se demandant ce qu'il faut faire, les retirer ou non, et si oui comment. Deuxième épisode, Stocamine. Même chose, accident, incendie, la préfecture dit qu'on les retire, qu'on ne les retire pas, on se demande ce que risque la nappe phréatique d'Alsace, etc. Donc l'idée est la suivante : ou tout va bien, ou il y a un pépin, et donc la seule question que je poserai dans la demi-minute qu'il me reste, c'est : ne vous demandez pas comment arrivera l'incendie, ne vous demandez pas comment arrivera l'explosion, faites comme pour les évaluations de sécurité, supposez qu'ils soient arrivés, et dites-nous ce que vous ferez.
M. Yannick Rousselet, Greenpeace. - Je voudrais d'abord rappeler notre position de principe, que vous connaissez tous : la meilleure solution pour bien gérer les déchets de notre héritage collectif est d'arrêter d'en produire. L'absence d'accroissement du volume de déchets à gérer résoudrait une partie du problème. En l'état actuel, nous sommes opposés à une décision d'ouverture du centre de stockage géologique profond, faute d'être convaincus par les arguments développés. Cela ne signifie pas qu'un jour nous ne dirons pas que c'est une solution. Nous disons juste qu'en l'état actuel, une démonstration convaincante n'a pas été donnée. Je suis prudent sur les mots que j'utilise, mais nous sommes aujourd'hui dans l'expectative sur de nombreux aspects que je ne vais pas détailler.
Ce que j'ai entendu, pour le moment, sur la diffusion des radioéléments dans les couches géologiques apparaît convaincant. Néanmoins le discours des géologues français est identique à celui de leurs collègues allemands, certifiant l'absence de problème à Asse, comme le montrent les comptes rendus des réunions publiques en Allemagne que j'ai pu trouver. Il est vrai qu'avant-hier, au Haut comité, nous avons aussi entendu un géologue nous dire que jamais il n'y aurait de problème. Pour le moment nous attendons encore des confirmations avant de pouvoir nous prononcer sur un tel projet. Aussi sommes-nous, pour le moment, vraiment réservés.
Par exemple, sur la gestion des gaz, nous ne sommes pas convaincus, compte tenu des éléments à notre disposition, de l'absence de risque d'explosion d'hydrogène au fond. Ce problème, bien réel, nécessiterait des démonstrations. De même, pour le monitoring des alvéoles, nous avons appris, à l'occasion de visites du laboratoire - ce dont nous remercions l'Andra - en discutant avec des ingénieurs, que des recherches se poursuivent sur les modalités de transmission, vers la surface, de paramètres tels que la température des alvéoles, et que celles-ci pourraient ne pas aboutir d'ici 2025.
Aussi conviendrait-il de s'assurer que les décisions susceptibles d'être prises aujourd'hui ne nous mettent pas dans une situation où, finalement, nous n'aurions plus aucun choix. Et c'est pour cela que nous considérons qu'il n'y a pas une urgence telle que le processus l'a décrite, en particulier avec tous les déchets de haute activité nécessitant une durée de refroidissement conséquente. J'ai entendu le mot d'occlusion intestinale, ce n'est pas notre propos aujourd'hui. Nous estimons nécessaire de trouver de bonnes solutions de stockage, et d'entreposage. Simplement, si politiquement il ne faut pas que nous soyons dans une position de blocage, nous sommes en droit de poser des questions. Il existe, aujourd'hui, encore trop d'imprécisions, sur quantités de points, comme le confirment les propos expliquant, à l'instant, qu'au fur et à mesure de l'avancement du projet, on va étudier, confirmer ce qu'on est en train de faire, etc. Pour le moment, puisque nous sommes en contact avec les populations, je peux vous dire que ce dont elles ont besoin, c'est d'être convaincues que les arguments sont correctement étayés, pas simplement parce qu'il y a un discours d'expert, bien que nous en ayons aussi besoin. Mais derrière, il faut que nous ayons des éléments convaincants, y compris au niveau social.
D'autre part, je pose une question récemment entendue aux alentours de Bure : comment l'État prendra-t-il en compte l'aménagement global du territoire? Ce ne serait pas à moi, en tant que membre d'une organisation écologiste, de poser cette question. Mais elle correspond à une préoccupation réelle des populations locales. Comment celles-ci vont-elles être prises en compte? J'ai vu un schéma sur les hypothèses de transport vers le site. Ce point inquiète énormément les populations.
Un dernier aspect concerne l'impact direct de Cigéo sur la gestion des sites d'entreposage de déchets de haute activité de La Hague, de Marcoule ou de Cadarache. Comme j'aurai l'occasion de le dire prochainement au président de la commission particulière du débat public, il faut absolument que les CLI correspondantes soient associées. Par exemple, le devenir de Cigéo va influer sur les temps de présence des déchets vitrifiés : ceux-ci resteront-ils sur les sites actuels ou dans un entreposage intermédiaire de Cigéo ? Toutes ces questions doivent être clarifiées pour parvenir à une adhésion au projet.
Mme Monique Séné, présidente du GSIEN, ANCCLI. - Je ne vais pas reprendre les arguments précédents, mais m'interroger sur ce qui a été compris de la loi de 2006. La loi de 1991 a prévu la possibilité d'études préliminaires dans un laboratoire. En 2006, le site du laboratoire a été fixé. Ce choix restreint pose problème dans la région.
De plus, il n'y a pas eu vraiment d'étude, ni de réponse, sur l'entreposage de longue durée, qui était une question issue du débat public de 2005-2006. À cet égard, je rappelle qu'en l'état actuel, des entreposages existent un peu partout : à Marcoule, La Hague, etc. Les entreposages d'une durée de soixante-dix ans sont-ils considérés comme de longue durée ? Pour un être humain, soixante-dix ans s'approchent de la longue durée, mais, il est vrai, pas en géologie.
La principale difficulté a été mise en évidence : la définition des déchets destinés à Cigéo. Au départ, il s'agissait des déchets de haute activité et de moyenne activité vie longue. À présent, sont aussi évoqués les bitumes, lesquels posent des problèmes de prévention incendie. Mais il n'y a pas que cela, il y a la possibilité d'y mettre une partie des déchets graphites-gaz, les résidus des générateurs de vapeur... Cela nécessite effectivement d'être précisé.
Une autre difficulté importante concerne la réversibilité, qui influe sur les modalités de réalisation du stockage. Or, actuellement, trois débats distincts portent sur Cigéo, la transition énergétique, et, enfin, la réversibilité.
Quant au stockage profond, le constat fait sur l'évolution de la terre sur des millénaires porte sur le passé, mais ne garantit rien pour le futur.
Ce qui est certain, c'est que les déchets existent. Donc il faut chercher une solution. Seulement, pour trouver la moins mauvaise, il convient, d'une part, de limiter le développement de l'énergie nucléaire, et, d'autre part, de traiter correctement les déchets existant sur tous les sites, leur donner les emballages adéquats, etc. De plus, en l'état actuel des choses, comme nous l'avons constaté quand nous avons rencontré le CLIS, il faut discuter, répondre, et s'approprier toutes les interventions.
Cette mise en oeuvre demande une consultation réelle des citoyens et leur participation aux décisions. En particulier vous parlez toujours de flexibilité. Au moment où un changement interviendra sur le site, les populations seront-elles consultées, en fonction de son ampleur? Je pense qu'il faut y réfléchir. Nous avons trop parlé du site et peu de ce qui l'entoure. Mais la consultation locale reste insuffisante car réservée à quelques privilégiés. Cela ne marche pas. Le maire d'un village de cinquante habitants a aussi le droit à la connaissance.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Mme Dupuis ou M. Labalette sont les mieux à même de répondre aux questions techniques soulevées.
Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Andra. - Merci, Monsieur le président. Beaucoup de questions portent sur l'inventaire qui est l'un des sujets clef du projet. Il était initialement question des déchets de haute activité, puis des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, à présent l'hypothèse émise porte sur les déchets de faible activité à vie longue, en sachant que nous reprenons la démarche de recherche d'un site pour ces derniers. L'hypothèse de référence porte sur un stockage en faible profondeur pour les déchets de faible activité à vie longue. Le rapport correspondant sera prochainement publié, comme annoncé ce matin. Mais nous nous disons qu'au cas où aucune solution ne serait trouvée pour ces déchets à faible profondeur, il faudrait nécessairement les mettre en lieu sûr, plutôt en grande profondeur.
En cela, nous nous appuyons totalement sur la disposition législative de la loi du 28 juin 2006 qui prévoit le stockage en profondeur de ce qui ne peut être stocké, pour des raisons de sûreté ou de radioactivité, en surface ou en faible profondeur. Nous essaierons, dans le débat public, d'être les plus clairs possible, afin de bien expliquer ce qui existe et ce qui va être produit dans le futur, avec quelles hypothèses et quelles réserves.
Sur tout ce qui est maîtrise des risques, je confirme que nous nous poserons, conformément à la démarche d'évaluation des risques classiques, les questions de risque d'incendie et d'explosion, sans chercher à imaginer quelle pourrait en être l'origine. Nous sommes convaincus que nous n'aurons pas l'autorisation de créer Cigéo si nous ne répondons pas à ces questions. Sur la réversibilité, je ne voudrais surtout pas que l'impact technique, sur le projet industriel, de cette demande politique soit sous-estimé. Nous travaillons bien sur les deux volets : la conception technique, pour faciliter autant que possible le retrait de ces colis de déchets, et le processus de décision associé à cette demande de réversibilité.
Nous aurons le temps de prendre ces décisions, puisque nous allons construire le stockage, si nous y sommes autorisés, pas à pas, au fur et à mesure des besoins. Les étapes vont s'imposer d'elles-mêmes, puisqu'il faudra décider d'un nouvel investissement. De plus, nous aurons des rendez-vous, tous les dix ans, avec l'Autorité de sûreté nucléaire. Ce que nous proposons, pour répondre à Mme Séné, c'est de préparer ces grands rendez-vous non seulement sur le plan technique, avec l'ASN, mais aussi avec la société, sous une forme restant à définir. Cela pourrait être inscrit dans la future loi de 2016 sur les conditions de la réversibilité. Nous essaierons de faire des propositions sur la réversibilité, afin que le processus initié, il y a plus de vingt ans, par la loi de 1991, laquelle a prévu un chemin pas à pas pour avancer vers une solution sûre à long terme, se poursuive après la mise en service. J'ai en effet conscience que la société n'a pas envie de donner un chèque en blanc à l'Andra pour cent années d'exploitation.
Sur la concertation locale, je tiens à souligner que nous ne discutons pas uniquement avec les élus, même si nous passons beaucoup de temps avec eux, au niveau des maires et des conseillers généraux. Nous avons accueilli plus de quatorze mille visiteurs au laboratoire cette année. Nous faisons des opérations « galeries ouvertes », c'est-à-dire que les meusiens et haut-marnais peuvent descendre et avoir accès à nos installations. Nous avons même investi, il y a plusieurs mois, dans un minibus, pour aller de village en village, au-devant des meusiens et haut-marnais, et répondre à toutes leurs questions. Les agents de l'Andra sont régulièrement sur les places de marché. Nous allons au-devant de la population qu'il faut convaincre.
Enfin, sur les exemples de Stocamine et d'Asse, cités par Mme Arditi, ceux-ci constituent pour nous une mine d'expérience. Nous nous efforçons de montrer en quoi Cigéo ne suit pas ces deux contre-exemples.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Nous allons reprendre le cours des interventions avec les producteurs de déchets.
M. Jean-Michel Romary, directeur de gestion des déchets et matières nucléaires, AREVA. - Il est clair que le stockage géologique est, pour la filière nucléaire française, un enjeu essentiel qui permettra de démontrer sa capacité à gérer de manière sûre et durable l'ensemble des déchets qu'elle génère. Je suis d'accord avec M. Rousselet, quand il dit que le meilleur déchet, c'est celui qui a été évité. C'est un principe de base appliqué sur nos sites, en particulier celui de La Hague. AREVA souhaite la mise en oeuvre du projet Cigéo, et, à cette fin, met à disposition de l'Andra son savoir-faire et ses compétences d'industriel du nucléaire, en particulier pour la gestion des colis destinés à Cigéo aujourd'hui entreposés sur le site de La Hague.
Il y a eu de nombreuses avancées entre 2005 et 2013, comme souligné par M. Stricker tout à l'heure. L'Andra a réalisé un travail important d'étude, avec des évolutions significatives en termes de design, de concept du stockage profond, d'options de conception...
Au cours de la même période, il y a eu un consensus international sur le fait que le stockage en couche géologique profonde est bien la meilleure solution pour les déchets de haute activité, à la fois sur le court terme et sur le long terme. Cela nous a été expliqué de nombreuses fois, dans différentes instances. Nous échangeons très fréquemment sur ce projet, que ce soit avec les autres producteurs ou avec l'Andra. Nous avons une convention de collaboration, au travers d'instances de gouvernance, de groupes de travail, et cela doit in fine aboutir à des choix techniques clairs et partagés pour les options de stockage ou la définition des colis, sachant qu'un certain nombre sont déjà produits, les déchets vitrifiés, ou les colis compactés de déchets métalliques et à moyenne activité vie longue. Nous allons donc prochainement, sous réserve de ce qui se dira lors du débat public et de la prise en compte des remarques formulées dans ce cadre, entrer dans une phase de réalisation.
AREVA y met toutefois une condition, c'est que le niveau d'incertitude technique et financière doit être le plus faible possible. Donc il faut désormais en faire un projet industriel avec une gouvernance adaptée, par le franchissement de jalons techniques : phase d'esquisse, puis après validation, passage en phase d'avant-projet sommaire, puis d'avant-projet détaillé. Mais il faut aussi une gouvernance financière, car je rappelle que ce projet est financé par les exploitants : EDF, CEA, AREVA. Les différentes options techniques et les coûts qui en découlent peuvent avoir des conséquences importantes sur l'équilibre économique des entreprises qui sont amenées à le financer. Donc il faut travailler sur un projet, vis-à-vis d'un coût à terminaison de ce projet. Et là aussi nous devons franchir des jalons en fonction des phases du projet et en fonction du chiffrage du projet tel qu'il a été identifié, avec un minimum d'incertitude. Il faudra également définir et préciser les modalités de financement et d'échelonnement des dépenses d'investissement et d'exploitation ainsi que des autres coûts, notamment la fiscalité.
L'enjeu à court terme, c'est le débat public, qui doit avoir lieu sur un projet clair, pour lequel un certain nombre de solutions techniques ont été évaluées, et seront présentées. Il ne faut toutefois pas évacuer la possibilité de faire évoluer ces options techniques, d'une part en fonction des commentaires qui sont faits, et d'autre part en fonction des études complémentaires encore nécessaires pour arriver à un concept finalisé, sans pour autant remettre en cause la sûreté de l'installation, la protection des travailleurs ou de l'environnement et des populations avoisinantes. Donc, on peut encore, je le pense, travailler et faire évoluer un certain nombre de choses vis-à-vis d'affinements techniques, sans pour autant changer les grands concepts.
En conclusion, AREVA souhaite être fortement impliqué dans la maîtrise d'ouvrage du projet, parce que nous avons une expérience industrielle. Pour ne citer qu'un exemple, aujourd'hui AREVA gère tous les transports et un terminal à Valognes. Cela fonctionne, pourquoi ne pas s'appuyer sur cette expérience pour la suite?
M. Philippe Guiberteau, directeur de l'assainissement-démantèlement nucléaire au CEA. - Je ne vais pas reprendre tous les éléments qui ont été présentés par M. Romary, partagés par le CEA. Le CEA considère que ce stockage géologique est un enjeu essentiel pour l'avenir de la filière nucléaire. Depuis que nous avons signé, sous l'égide de la DGEC, une convention de collaboration entre les trois producteurs et l'Andra, un travail important a été réalisé sur ce projet, mais il reste beaucoup à faire en 2013. La structure mise en place, avec des groupes de travail et des comités de liaison alimentant un comité décisionnel, a permis un travail commun.
Concernant le projet Cigéo lui-même, le CEA considère qu'il faut respecter le calendrier de lancement de l'appel d'offre, prévu en octobre 2013, pour la phase d'avant-projet sommaire (APS). C'est un élément clé pour le respect global du calendrier de l'ensemble du projet, donc de la confiance que l'opinion peut avoir dans sa maîtrise. Il est indispensable, comme recommandé par la revue de faisabilité et comme rappelé par M. Stricker, de trancher définitivement sur les options structurantes du projet avant de lancer de manière effective l'APS, pour éviter de reporter les problèmes dans la phase suivante, assurer une bonne collaboration pour toute la suite du projet entre les différentes parties prenantes impliquées dans la revue, et atteindre un niveau de sûreté correspondant à l'optimum technico-économique global.
Concernant l'inventaire, on a parlé du programme industriel de gestion des déchets, qui va être revu avant l'été 2013. Nous sommes prêts à travailler avec l'Andra afin de dimensionner Cigéo au plus juste et rechercher l'optimum technico-économique global. Je prendrai deux exemples : nos 240 colis historiques qui dimensionneraient trop haut les capacités de Cigéo et la question du type de colisage utilisé à l'expédition chez le producteur et à l'arrivée à l'Andra.
Je souhaitais faire un point sur la spécificité des bitumes. Les bitumes de Marcoule représentent 60.000 fûts qui sont aujourd'hui entreposés dans des casemates. Une petite moitié est tributaire de Cigéo et une grosse moitié du stockage FA-VL. Nous avons une contrainte forte du DSND, l'autorité de sûreté de la Défense, pour reprendre l'intégralité de ces colis avant 2035. S'agissant des bitumes les plus chargés, tributaires de Cigéo, le CEA souhaite que ce ne soit pas un point de cristallisation du débat public. Notre position est qu'il soit clairement affirmé d'emblée que les colis bitumés de Marcoule qui le justifient, donc les plus chargés, soient bien prévus pour être stockés dans Cigéo, sous réserve qu'une démonstration de sûreté convaincante soit faite.
À ce titre il faut qu'ils soient bien pris en compte dès mi-2015 dans la demande d'autorisation et que leur stockage dans Cigéo se fasse, en deux tranches, à partir de 2030. Le fait de décaler l'envoi de ces déchets à Cigéo se traduirait mécaniquement par des entreposages supplémentaires à Marcoule. Pour ce faire, la CNE demande, dans son rapport de fin 2012, en vue d'une démonstration de sûreté fin 2014, un programme d'étude commun au CEA et à l'Andra, respectivement sur la sûreté intrinsèque des colis, notamment quant au risque d'incendie, et la sûreté du colis dans le stockage. Nous allons proposer ce programme à la CNE, valider le protocole et le mener à bien de façon à ce que la CNE puisse se prononcer fin 2014.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Nous reviendrons sur cette question des bitumes dans une prochaine audition.
M. Sylvain Granger, directeur de la division combustible, EDF. - Le projet qui nous occupe dans le cadre de cette table ronde est fondamental pour EDF. Nous y sommes particulièrement attentifs puisque l'ouvrage Cigéo doit accueillir nos déchets les plus radioactifs. La loi de 2006 rappelle, s'il en était besoin, l'étendue de la responsabilité des industriels vis-à-vis de leurs déchets. Quels sont les déchets d'EDF qui seront concernés par ce stockage ? Ce sont ceux qui sont contenus ou ont été contenus dans des combustibles usés, pas les combustibles usés eux-mêmes. À ce titre, il est important de rappeler que, dans le contexte français, ce stockage ne sera pas la seule et unique solution à la gestion des combustibles usés. Elle vient s'inscrire dans un dispositif existant de recyclage et d'entreposage de longue durée pour les déchets déjà produits et conditionnés. Celui-ci permet aujourd'hui à la France d'être le seul pays, et donc à EDF d'être le seul électricien, à pratiquer à l'échelle industrielle le recyclage de ses combustibles usés. Tout recyclage étant forcément imparfait, des déchets ultimes devront être, après conditionnement et entreposage, stockés dans Cigéo, ce qui permet la concentration de la radioactivité dans un volume réduit. Cela a nécessité des investissements extrêmement importants, aussi nous espérons qu'avec la pratique industrielle actuelle, ils permettront de simplifier le stockage et d'en renforcer la robustesse. Par ailleurs, cela crée une contrainte d'inscription de cet ouvrage de stockage au sein d'un dispositif industriel existant qui est actuellement discutée et regardée de près avec l'Andra.
Pour nous, la problématique actuelle du projet Cigéo correspond à celle rencontrée sur tous les projets complexes : réussir le passage de la phase de R&D à la phase d'ingénierie ou à la phase industrielle. Forcément, y compris quand cela doit être géré au sein d'une même entreprise, cette transition, toujours délicate, donne lieu à des débats. J'ai tendance à les considérer comme étant naturels et constructifs. Dans le cadre des débats techniques sur Cigéo, je pense qu'EDF a apporté sa pierre à l'édifice, notamment en proposant pour l'industrialisation un certain nombre d'éléments techniques issus de notre retour d'expérience. En particulier, pour la technique de creusement, le tunnelier que nous avons proposé est aujourd'hui une technologie examinée avec beaucoup d'attention et d'intérêt par l'Andra. Cela prouve que les idées progressent et qu'en termes de gouvernance, la convention de partenariat signée début 2012 a permis de mettre en place des groupes de travail, des échanges techniques plus formalisés, plus organisés, qui sont un vrai progrès et permettent d'avancer dans la clarté des responsabilités des uns et des autres, en utilisant toutes les compétences disponibles.
L'objectif d'EDF est d'être, au même titre que les autres industriels, non un financeur passif mais une vraie partie prenante, en apportant notre compétence et notre retour d'expérience qui, à mon sens, a, comme celui des autres industriels, énormément de valeur. Nous souhaitons aussi exercer notre vigilance de futur utilisateur parce que, en fin de compte, nous sommes responsables de nos déchets et que cet ouvrage sera une nouvelle installation industrielle, en tout cas nous l'espérons, permettant de compléter le dispositif de gestion existant.
Bien sûr, nous ne sommes encore qu'à une étape. En termes techniques, il convient de prendre en compte de manière extrêmement précise et rigoureuse les recommandations de la revue de projet. En termes de gouvernance, sans doute s'agit-il d'aller au-delà de la convention de coopération actuelle et d'envisager sérieusement la mise en place d'une convention « industrielle », comme prévu par la loi de 2006. Et pour conclure je dirai que j'ai envie de retenir comme cible une expression issue du débat public de 2005, qui nous incitait à « progresser résolument sans brûler les étapes ».
M. Henri Revol, président du HCTISN. - Permettez-moi de rappeler ce qu'est le Haut comité : une instance de concertation et de débat relative à l'information sur les activités nucléaires, sur leur sûreté et leur impact sur la santé des personnes et sur l'environnement, créée par la loi transparence et sécurité nucléaire du 13 juin 2006. Par ailleurs, la loi du 28 juin 2006 sur les déchets et matières nucléaires, lui a aussi confié la mission d'organiser des concertations et des débats sur la gestion durable des matières et des déchets nucléaires.
Le Haut comité est une instance plurielle, associant l'ensemble des parties prenantes concernées par les enjeux d'information et de transparence. Il comprend sept collèges, ce qui permet la confrontation des différents points de vue, parfois contradictoires, mais toujours dans le respect des sensibilités de chacun. Nous organisons nos travaux avec des sessions plénières et des groupes de travail, en fonction des sujets qui nous sont confiés par les autorités susceptibles de nous saisir : le Gouvernement, le Parlement. Nous pouvons également nous autosaisir. M. Compagnat a montré ce matin comment fonctionne un groupe de travail.
Lors de notre séance plénière du mois de juin 2012, l'Andra nous a présenté le cadre de la préparation du prochain débat public sur ce projet Cigéo. Le Haut comité a souhaité s'investir sur ce sujet. Sur ma proposition, Mme Gilloire, du collège des associations, a bien voulu accepter d'assurer le pilotage de ce nouveau groupe de travail qui a déjà tenu sept réunions. Il s'est donné pour mission d'établir la transparence sur deux aspects principaux : le processus décisionnel qui conduit aujourd'hui au projet Cigéo, et l'inventaire des déchets destinés à Cigéo.
Et il se trouve que le 3 décembre 2012, la Ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Batho, a officiellement saisi notre Haut comité afin qu'il établisse un rapport public destiné à clarifier l'inventaire et le processus décisionnel. Cette saisine est donc venue conforter les travaux de notre groupe de travail.
Notre groupe de travail a évidemment entendu le député Christian Bataille à l'origine, voici vingt-trois ans, des processus qui nous intéressent, le maître d'ouvrage, l'Andra, et les organismes évaluateurs : l'ASN, l'IRSN et la CNE ainsi que le CEA, AREVA, EDF, M. Mercadal, président de la commission particulière du débat public de 2005-2006 sur la gestion des déchets radioactifs, les représentants d'associations nationales et locales, Mirabelle, le CLIS de Bure, Robin des Bois, Greenpeace et des experts de la géologie et de la fin de cycle du combustible. En outre, un panorama des expériences menées à l'étranger nous a été présenté par un expert étranger, M. Lalieux, et une délégation du Haut comité s'est également rendue à la quatrième conférence internationale sur le stockage géologique à Toronto, rassemblant la plupart des nombreuses nations qui travaillent sur le sujet du stockage profond des déchets radioactifs.
Nous avons souhaité que ce rapport du haut comité soit adopté avant le début du débat public, annoncé pour la mi-mai 2013, afin qu'il puisse être rendu disponible sur notre site Internet, mais aussi sur celui de la commission particulière du débat public. Ce rapport, nous souhaitons qu'il soit court, synthétique, percutant, clair et inédit. Je ne sais pas si nous y parviendrons, mais nous ne souhaitons pas faire un rapport de 200 pages, plutôt quelque chose de vraiment destiné au grand public, très facile d'accès. Les deux prochaines réunions du groupe de travail permettront d'établir ce rapport, lequel sera présenté pour approbation à la réunion plénière du Haut comité du 28 mars prochain, et, s'il est adopté, sera également mis en ligne sur notre site dès le lendemain.
M. Charles Antoine Louët, sous-directeur de l'industrie nucléaire, DGEC. - Pour évoquer le rôle de l'administration dans le suivi du projet Cigéo je voudrais commencer par dire qu'à la DGEC, et plus particulièrement dans la sous-direction dont j'ai la charge, nous nous sentons responsables de la mise en oeuvre des dispositions de la loi de 2006 relative aux déchets, sous le contrôle du Parlement et sous la vigilance de l'OPECST.
Dans ce contexte, nous avons une vue générale sur l'organisation qui est mise en place pour gérer nos déchets et plus particulièrement sur le projet Cigéo. Je voudrais, compte tenu du temps limité qui m'est imparti, aborder trois points particuliers.
Le premier point concerne la tutelle de l'Andra exercée par la DGEC. La loi a confié à l'Andra des missions essentielles. Il revient à la DGEC de s'assurer que celle-ci dispose bien des moyens de les exercer. Comme vous le savez, les recherches de l'Andra sont financées par une taxe. Le montant de celle-ci sera amené à évoluer. Nous faisons des propositions en ce sens, dans le cadre de la loi de finance. L'intérêt de cette taxe est de donner à l'Andra une liberté dans le choix de ses projets de recherches, tout en permettant aux producteurs de déchets de payer leur contribution et de s'acquitter de leur responsabilité, au titre du principe « pollueur-payeur ». En revanche, cette taxe restant une ressource publique, au sens formel du terme, a pour effet de soumettre l'Andra aux plafonds d'emploi, ce qui ne va pas être sans difficultés dans le cadre de la montée en puissance du projet Cigéo. Là aussi la DGEC s'attache à lever ces difficultés.
Le deuxième point est relatif à la régulation. L'Andra a, en quelque sorte, le monopole de la gestion des déchets radioactifs en France et les producteurs de déchets celui du financement. Cette situation, que l'on pourrait qualifier de monopole non régulé, pose un certain nombre de questions de régulation qui ont été abordées, sous un angle ou sous un autre, au travers des différentes interventions. Vous avez rappelé, M. le président, dans vos propos introductifs, que le cadre institutionnel était extrêmement clair et confiait à l'Andra la responsabilité du projet Cigéo. Néanmoins, la DGEC a mis en place des instances de concertation adéquates, notamment un comité de coordination industriel pour la gestion des déchets radioactifs, qui permet, dans le respect des responsabilités de chacun, d'organiser le dialogue technique qui doit nous conduire in fine à des choix techniques éprouvés et acceptés par tous. C'est dans ce contexte que la DGEC a missionné la revue dont M. Laurent Stricker vous a présenté les résultats, et c'est à la suite de ces travaux que la ministre de l'Énergie devra arrêter le coût de Cigéo, après avoir entendu les avis de l'ASN et des producteurs de déchets.
Le troisième point a été soulevé tout à l'heure par M. Yannick Rousselet : il s'agit de l'accompagnement économique. Il soulève des questions d'implantation des infrastructures, de développement des territoires et des compétences ou encore de montée en puissance des PME. La ministre de l'Energie, Delphine Batho, a présidé, le 4 février dernier, un Comité de haut niveau dédié à l'ensemble de ces questions, auquel a été présenté un schéma de développement des territoires. Ce projet de schéma liste les questions qui se posent sans y apporter, pour le moment, de réponse. Il sera l'un des documents versés au débat public.
Les travaux que nous avons devant nous sont nombreux, pour permettre l'accueil du projet Cigéo sur les territoires, de façon que les territoires le voient comme une réussite non seulement de la gestion des déchets radioactifs, mais également du développement de leur propre territoire. Je sais que le président Sido connaît très bien le sujet et m'arrête là.
Mme Lydie Evrard, directrice de la direction des déchets, des installations de recherche et du cycle, ASN. - Je vais vous présenter, essentiellement autour de trois points, les principaux éléments relatifs à la prise en compte des exigences de sûreté et de radioprotection pour un projet comme celui présenté par l'Andra pour Cigéo. Le premier point concernera les exigences générales applicables à toute installation nucléaires de base, le second s'attachera à préciser quelles sont les exigences particulières pour un projet de stockage géologique profond, dans le dernier je vous présenterai quelques éléments relatifs aux exigences en matière de transparence.
Concernant le premier point, le projet de stockage profond relèvera du régime des installations électronucléaires de base. Ce régime est régi par un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires, principalement celles de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire et à ses décrets d'application, notamment un décret de 2007 qui précise les conditions dans lesquelles une autorisation de création d'une installation nucléaire de base peut être rendue. Cela cadre clairement les éléments que l'ASN attendra en vue de l'instruction de la demande d'autorisation de ce stockage. En particulier, l'autorisation ne pourra être délivrée que si, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, l'exploitant démontre que les dispositions prises ou envisagées permettent de prévenir et de limiter de manière suffisante les risques et les inconvénients présentés par l'installation.
Comme pour toute installation nucléaire de base, l'exploitant devra s'assurer que les dispositions retenues permettent d'atteindre un niveau de risques et d'inconvénients aussi faible que possible, dans des conditions économiquement acceptables, compte tenu de l'état des connaissances, des pratiques et de la vulnérabilité de l'environnement. En phase d'exploitation, l'ASN assurera le contrôle de l'installation, par ses inspections, mais également au travers des réexamens périodiques de sûreté - tous les dix ans - qui permettent de s'assurer que l'installation peut être maintenue dans des conditions d'exploitation répondant aux meilleurs standards de sûreté.
Toutefois, Cigéo ne sera pas une installation nucléaire de base classique. Elle présente un certain nombre de particularités, au regard de ses installations souterraines comme de surface. Elle est également prévue pour un fonctionnement d'environ cent ans, avec une construction modulaire, une co-activité entre le stockage et la poursuite de la construction de l'installation. L'une de ses autres particularités réside dans son caractère réversible, impliquant des dispositions spécifiques au regard de la sûreté. Cigéo relèvera du statut des INB mais sera donc soumis à des exigences particulières pour des installations de stockage profond. L'ASN a d'ailleurs édité, à ce sujet, un guide d'exigences de sûreté spécifique, rappelant que l'objectif fondamental de la santé des personnes et de la préservation de l'environnement doit être évalué au regard des caractéristiques du site qui sera retenu, de l'implantation de l'installation de stockage et de la conception des composants artificiels, notamment les colis et les composants ouvragés.
Concernant le dernier point qui est lié à la transparence, l'ASN considère d'une façon générale qu'il est essentiel que les parties prenantes soient correctement informées, et en premier lieu les commissions locales d'information autour des sites nucléaires. Pour une installation comme Cigéo, ce point nous semble d'autant plus important que sa nature est atypique. L'information des populations devra de ce fait être la plus complète et la plus pédagogique possible. Un autre aspect particulier doit être pris en compte : la durée de fonctionnement de cette installation. Celle-ci conduit à envisager un fonctionnement de la commission locale d'information sur une durée beaucoup plus longue que pour d'autres installations, et, de ce fait, une information durable des citoyens.
M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE. - La Commission nationale d'évaluation, créée par la loi Bataille de 1991, renouvelée par la loi de 2006, travaille en toute indépendance et remet chaque année à l'Office parlementaire un rapport sur les études et recherches sur la gestion des matières et déchets radioactifs qu'elle a suivies au travers de ses auditions.
Tout d'abord, concernant les acquis des quinze dernières années d'études et de recherches, nous considérons que l'Andra a tiré parti au maximum des études qu'elle a menées dans toute la zone d'intérêt pour une reconnaissance approfondie. Cela concerne la géologie, la sismique 3D et le modèle hydrogéologique, parvenus au degré de maturité que nous souhaitions. Nous considérons également que d'une part les verres dans lesquels sont mis les déchets de très haute activité à vie longue, et d'autre part l'argile de cette zone, assurent réellement un confinement des radionucléides pour des centaines de milliers d'années. Le site géologique de Meuse-Haute-Marne révèle d'excellentes qualités de confinement, et par conséquent il nous paraît clair que les acquis scientifiques autorisent à passer à la phase industrielle concrète de réalisation des opérations. Toutefois il reste encore des choses à faire, et j'en parlerai longuement à la fin.
Nous considérons que le débat public et l'examen en 2015 de la demande de création de stockage seront des jalons importants. Pour le passage à la phase industrielle, nous avons reçu les esquisses préliminaires. Nous avons noté qu'elles respectent le cahier des charges élaboré par l'Andra, qu'elles portent une attention à la sécurité du personnel et à la sécurité à long terme. La commission est sensible à ces précautions et les approuve. Je vais répéter ce qu'a dit Mme Evrard et je m'en excuse d'avance auprès d'elle. Nous considérons que la démarche de sûreté ne se limite pas à chercher la solution la moins coûteuse qui respecte un niveau donné d'impact radiologique, mais elle consiste aussi à rechercher l'impact le plus faible possible qui reste techniquement et économiquement réalisable. Nous considérons que dans les documents que nous avons reçus jusqu'en janvier 2013, l'Andra s'est correctement inscrite dans cette démarche.
Je ne parlerai pas des bitumes, puisque je constate avec plaisir que le CEA et l'Andra ont décidé de suivre nos recommandations. Je voudrais juste dire un mot sur la réversibilité. Nous allons remettre à Mme la ministre de l'Environnement l'avis de la commission sur le document de réversibilité de l'Andra. Nous prenons toujours collectivement nos décisions, donc je vous en parlerai très peu afin de réserver la primeur de nos avis à Mme la ministre. Toutefois, je rappelle que nous avons, depuis dix ans, toujours dit qu'il ne faut pas oublier que la vocation du stockage est d'être scellé pour que soit garantie une sûreté passive à long terme. Si des contradictions devaient apparaître entre réversibilité et sûreté passive à long terme, alors la priorité devrait être donnée à cette dernière, sans jamais altérer la sûreté des travailleurs.
J'en viens aux aspects restant à approfondir. Au plan de la géologie, nous estimons que l'Andra a tiré toutes les informations qu'elle pouvait et que s'il reste des choses à faire, car il peut toujours y avoir des surprises en milieu géologique, il faut mettre en route le stockage pour pouvoir poursuivre les études. Nous recommandons qu'un programme d'acquisition de telles informations soit prévu dans le cahier des charges. D'autre part, nous disons qu'il y a des expériences à poursuivre dans le laboratoire souterrain, notamment parce qu'il y a des études de très long terme qui peuvent être menées pour les creusements de galeries et la diffusion. Par ailleurs, nous recommandons qu'un programme d'expériences de longue durée soit aussi réalisé dans le stockage, par exemple pour la mise en oeuvre d'un scellement à l'échelle un. Pour étudier le comportement des alvéoles, il faut commencer par ces études qui ne pourront être menées correctement que dans le site même.
Un point important concerne le comportement mécanique différé de la roche. Nous recommandons que le dimensionnement des ouvrages s'appuie sur des bases scientifiques robustes, et que l'Andra poursuive l'effort qu'elle a mené pour parvenir à un résultat satisfaisant avant le dépôt de la demande de création du stockage. Dernier point de long terme : l'observatoire pérenne de l'environnement. Nous approuvons sans réserve l'action de l'Andra. Nous recommandons la mise en place d'une surveillance épidémiologique raisonnable, et d'un site environnemental témoin éloigné de la zone de stockage.
Brièvement, pour terminer, nous attendons deux informations : l'une sur le coût du stockage et l'autre, rejoignant les préoccupations exprimées par les associations, sur les installations de surface. Il est essentiel que l'Andra ne réalise qu'un entreposage tampon, destiné à fluidifier la gestion du stockage, et non à accroître les capacités d'entreposage de l'ensemble des producteurs de déchets. Nous insistons également sur l'absolue nécessité d'une procédure d'admission et de contrôle des colis rigoureuse, laquelle nécessitera des installations permettant l'examen et éventuellement le reconditionnement des colis défectueux à leur arrivée.
Je m'excuse d'avoir été un peu long M. le président, mais j'ai condensé d'un facteur deux mon exposé.
M. Christian Bataille, député, vice-président. - Nous sommes confrontés à un dossier de très longue haleine, par rapport au temps politique. Il y a vingt-quatre ans que je m'y suis personnellement impliqué. Notre objectif se situe à l'horizon 2025, et sans doute à celui du XXIIe siècle pour le fonctionnement du stockage. Et pourtant, malgré cette durée, il faut continuer à avancer, ce que nous avons fait aujourd'hui. Le pire serait d'être immobile. Il faut donc avancer avec prudence, mais il faut le faire. C'est ce que l'Andra fait et ce que nous, Parlement, faisons, et je voulais m'en réjouir. Je vais rendre la parole à Jean-Yves Le Déaut juste avant que notre président Bruno Sido ne conclue.
Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Je voudrais vous remercier toutes et tous d'être venus participer à cet échange sur le PNGMDR. Nous n'avons pas les mêmes avis sur tous les sujets, mais quel que soit l'avenir de la filière nucléaire, il restera toujours des déchet radioactifs à gérer. Bien qu'elle soit absente, je souhaite revenir sur plusieurs points abordés par Mme Arditi sur lesquels nos points de vue diffèrent.
D'abord sur le report du débat public relatif au stockage géologique profond après septembre, je rappelle que nous sommes tenus par la loi de 2006, laquelle demande pour 2015, et c'est pour cela que l'Andra s'est toujours attaché à tenir le cap, un certain nombre de réponses. Si le débat sur la transition énergétique, sur lequel travaille également l'Office, va donner des solutions à long terme sur l'évolution énergétique, il n'est pas lié à la question du stockage des déchets radioactifs. Si nous nous étions arrêtés pendant un an, nous n'aurions pas tenu nos engagements pour 2015, et on nous l'aurait reproché. On nous aurait dit que le sujet des déchets est compliqué et qu'il traîne en permanence.
Concernant la réversibilité, je crois que M. Duplessy a bien répondu sur le plan technique. Je voudrais répondre sur le plan politique. D'abord, nous n'avons pas été trompés en 2006, la réversibilité n'a pas servi de prétexte pour faire passer la loi. Nous savions, comme l'a dit M. Duplessy, que la réversibilité ne durerait qu'un temps. Il suffit d'aller dans le laboratoire de Bure pour constater qu'en l'absence d'intervention humaine pour le conforter, l'argile se refermerait sur lui-même. Néanmoins, il y a une réversibilité, pendant un temps, et il n'est pas exact de dire que dès qu'un premier colis arrivera, il ne sera plus possible de le retirer. Il y aura à fixer dans la loi, sans a priori, les conditions de la réversibilité.
Troisième point, la survenue d'un éventuel incident. En tant que rapporteur de la loi sur la transparence et la sûreté nucléaire, je rappelle qu'il revient à l'Autorité de sûreté nucléaire de s'assurer que toutes les précautions nécessaires sont prises. Par ailleurs, un entreposage disséminé, au pied de chaque centrale, sur des centaines d'années, constitue-t-il une meilleure solution ? Il me semble que Fukushima a répondu à cette question, l'entreposage des déchets ayant, comme l'a indiqué le prédécesseur de M. Pierre-Franck Chevet, M. André-Claude Lacoste, aggravé l'accident. Si des entreposages resteront nécessaires, ne pas vouloir de solution pour le long terme, c'est laisser cette charge aux générations futures. Il faut en débattre, même si nous n'avons pas le même avis.
Enfin le dernier point, le problème de l'argile. Certains affirment que l'argile est fissurée, qu'elle ne tiendra pas. M. Duplessy n'a pas abordé cette question à l'instant, mais la CNE a indiqué que durant plusieurs dizaines de milliers d'années, l'argile du Callovo-Oxfordien permettrait d'isoler les radioéléments. C'est la réponse qui nous a été apportée. Il revient aux autorités de vérifier si elle leur apparaît suffisante.
Je voudrais terminer en disant qu'il faut s'honorer de ces débats, car dans les pays où ils n'ont pas lieu, des stratégies politiques uniquement basées sur les avis d'experts se mettent en place. Aujourd'hui, comme l'ont indiqué Christian Bataille et le président Sido, nous allons poursuivre ce débat sur la gestion des matières et des déchets radioactifs. Nous allons l'élargir vers la société, avec les associations et les CLI. Mais il faudra ensuite prendre des décisions politiques comme le prévoit la loi pour 2015.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Je voudrais me féliciter que l'Office soit capable d'organiser des débats aussi intéressants, aussi essentiels que celui-ci. La première partie était certes incontournable, puisque prévue par la loi, pas la deuxième. Mais cette dernière était remarquablement intéressante. Je n'y ai pas pris part, ne souhaitant pas être à la fois juge et partie. Aussi je tiens à remercier tous ceux qui sont intervenus dans ces tables rondes, en rappelant que si nous n'avons pas pu faire intervenir tout le monde, puisque cette rencontre ne s'étalait que sur une demi-journée, nous examinerons toutes les contributions écrites qui pourraient nous parvenir avant la publication de notre rapport définitif.