Mardi 2 avril 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Institutions européennes - Réunion commune avec les députés européens français et la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Je voudrais tout d'abord souhaiter la bienvenue à tous les participants à cette onzième rencontre des parlementaires européens français avec les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Je sais qu'il va être difficile à nos collègues députés d'être à l'heure en raison des « votes solennels » - difficilement prévisibles - qui ont lieu cet après-midi, et je remercie la présidente Danielle Auroi et les rapporteurs de l'Assemblée nationale d'être malgré tout présents en avant-garde.
Le principal sujet à l'ordre du jour est particulièrement important, puisqu'il s'agit du cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union pour les sept prochaines années. Ce sujet a été suivi de près à l'Assemblée comme au Sénat : le Parlement national a joué son rôle, il a apporté sa pierre ! Le résultat auquel est parvenu le Conseil européen ne suscite pas l'enthousiasme. Mais nous sommes entrés dans la deuxième étape, l'examen par le Parlement européen, qui est tout aussi importante puisque l'accord du Parlement européen est indispensable.
C'est pourquoi je remercie tout particulièrement Alain Lamassoure, qui préside la commission des budgets du Parlement européen et se trouve donc au coeur des événements, d'avoir accepté d'introduire le sujet devant nous et de nous préciser vers quoi s'oriente le Parlement européen.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je me réjouis de participer à cette réunion, dont la tenue au Sénat constitue pour moi une première : c'est à mes yeux important d'attester ainsi que les deux commissions des affaires européennes, dans chacune des chambres du Parlement, « souquent ferme » ensemble sur les sujets européens, elles qui ne sont trop souvent considérées que comme un « supplément d'âme » par rapport aux commissions parlementaires plus anciennes !
Les conclusions du Conseil européen du 8 février 2013 ont montré que les égoïsmes nationaux l'emportaient sur le partage d'un projet européen commun. La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale avait soutenu la proposition de la Commission européenne de juillet 2012, plaidant pour un total de crédits d'engagement de 1 061 milliards d'euros pour 2014-2020 et des dépenses sensiblement accrues en faveur de la croissance et de la compétitivité, cela afin de sortir de l'austérité censée tout résoudre, alors même que le Fonds monétaire international (FMI) a reconnu son erreur. Nous sommes particulièrement inquiets aujourd'hui pour le soutien à l'innovation, pour l'avenir d'Erasmus, pour l'aide aux plus démunis... Il importe donc d'améliorer la flexibilité du cadre financier, de permettre le report des marges sous plafond pour les crédits d'engagement, de résoudre la question des restes à liquider en matière de paiements, de mettre fin aux rabais, de revoir la question des ressources propres, par exemple en affectant une partie de la future taxe sur les transactions financières au budget européen... La résolution adoptée le 13 mars dernier par le Parlement européen laisse augurer la possibilité pour le Parlement européen d'accepter les montants globaux arrêtés par le Conseil européen sous plusieurs réserves. Pouvez-vous nous les préciser ? Quelle modification dans la ventilation des crédits proposez-vous ? Comment faire prévaloir dans le budget la dimension sociale de l'Union européenne ? Quelle clause de révision défendez-vous ? Quelles sont vos lignes rouges en matière de flexibilité accrue du CFP ? Comment accompagner la transition écologique de l'Union européenne ? Peut-on approfondir la piste de la taxe carbone parmi les possibles ressources propres ?
M. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen. - Le bon fonctionnement de l'Union européenne exige la collaboration étroite des parlements nationaux et européen : je suis donc heureux de cette occasion d'échanges. La proposition de résolution européenne sur le CFP que vous venez d'évoquer a été adoptée par 506 voix, contre seulement une centaine. Le Parlement européen y juge la proposition de la Commission globalement raisonnable et rappelle la triple nécessité qui s'impose : gérer le plus strictement possible le budget européen, financer les objectifs communs de l'Union européenne (UE) fixés dans la stratégie Europe 2020 et financer les nouvelles compétences de l'UE issues du traité de Lisbonne. Or, il n'y a jamais eu de débat au Conseil européen pour s'interroger sur la situation actuelle, les nouvelles responsabilités européennes depuis Lisbonne et les conséquences de la crise que traverse l'UE depuis 2008. Comment utiliser au mieux le budget européen sans obérer les budgets nationaux et sans s'enfoncer dans la récession ? Le 8 février 2013, le Conseil européen n'a pas pris une décision sur le cadre budgétaire de l'UE, mais a mis en pièces le budget européen. Le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, a tenu 27 « confessionnaux » pour obtenir l'acceptation de chaque paquet national. Finalement, sur le montant total du CFP, alors que la Commission européenne proposait une hausse des crédits, le Conseil européen s'est accordé sur une diminution en volume. Exprimés en part de PIB, les crédits de paiement du CFP représenteraient 0,87 % du PIB, soit le niveau de 1987 ! Entretemps, les dépenses publiques sont passées en moyenne de 40 à 50 % dans les États membres, quatre traités successifs ont élargi les compétences de l'UE et le nombre d'États membres a été multiplié par deux, les nouveaux États étant relativement plus pauvres donc éligibles aux fonds de cohésion. Relativement, le budget de l'UE connaîtrait ainsi un recul. Or, aucun gouvernement national ne s'est engagé à réduire son budget sur sept ans. Les coupes les plus sévères affectent l'agriculture (- 12 %) et la cohésion (- 8 %) ; la rubrique IA qui concerne l'innovation et la recherche est abondée à hauteur de 25 à 30 % mais la répartition des crédits reste à faire au sein de cette rubrique. Finalement, les crédits que l'UE consacre au programme-cadre recherche, sans doute le plus utile à la croissance, pourraient n'augmenter que de 3 pour 10 000.
En outre, le cadre budgétaire sur lequel s'est accordé le Conseil européen est profondément injuste. Il l'est en matière de recettes : le budget européen n'est pas financé par des ressources propres mais par des contributions nationales. La plupart des États membres sont parvenus à ne pas payer proportionnellement à leur richesse : le Royaume-Uni a négocié un privilège à perpétuité, les rabais de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Suède et de l'Autriche, qui devaient expirer en 2013, ont été prolongés et le Danemark devrait aussi en bénéficier dorénavant. La France elle-même aurait obtenu un plafonnement de ce qu'elle paye à la place des autres : rappelons en effet que les contribuables français payent 1 milliard d'euros à la place des contribuables britanniques ! Je remarque que si la contribution des plus riches est ainsi plafonnée, la contribution des États membres au budget de l'UE devient dégressive : les citoyens des États membres les plus pauvres s'en scandaliseraient certainement s'ils le savaient...
Côté dépenses, l'injustice prévaut aussi : les coupes effectuées sur les crédits de la cohésion entraîneraient une diminution de 30 % des crédits à la Grèce, autant pour l'Espagne, - 10 % pour le Portugal, mais une augmentation de 5 % pour la Pologne, de 10 % pour la Slovaquie et de 1 % pour la Suède. Et ceci ne résulte d'aucun critère objectif, juste de la position de force de certains États. Je déplore aussi que le montant de l'aide aux plus démunis soit amputé d'un tiers. Le fonds d'aide à la mondialisation voit son enveloppe divisée par cinq, passant de 500 à 100 millions d'euros par an, alors même que la crise rend ce fonds particulièrement nécessaire. Enfin, les crédits du fonds de solidarité, destiné à répondre aux catastrophes naturelles, connaissent une division par deux.
Il faut bien voir qu'en se privant ainsi d'un minimum de moyens à l'échelle européenne, on se prive aussi de moyens à l'échelon national, car on empêche les économies dans nos budgets nationaux.
Le budget communautaire est un budget d'intervention économique à 94 % - il est conçu pour financer des politiques dont on pense que le rapport coût/efficacité est meilleur à l'échelon européen. Par exemple : si l'on prend l'affaire des viandes frauduleuses, la question qu'il convient de poser est de savoir si un service européen de répression des fraudes ne serait pas plus efficace qu'une collection de services nationaux. Autre exemple : nous pourrions avoir une politique de l'air et des frontières européenne unique avec des agents européens plutôt que d'additionner 27 corps nationaux ; ce serait également une économie.
Le Parlement européen rejette le cadre financier, mais de manière constructive. Nous préconisons trois pistes de négociation :
1 - une clause de révision à mi-parcours, c'est-à-dire en 2017, au moment où les finances des États membres auront normalement retrouvé l'équilibre ;
2 - la nécessité de trouver un accord politique pour financer le budget par de nouvelles ressources propres (la France est d'accord sur ce point et soutient la taxe sur les transactions financières ou l'attribution d'un point de TVA au profit du budget européen).
Mais le Parlement est prêt à examiner d'autres pistes à la condition que ces ressources nouvelles diminuent d'autant les contributions nationales et qu'il s'agisse de ressources dynamiques en rapport avec la croissance économique. La taxe carbone par exemple pourrait être une ressource propre.
3 - La flexibilité, c'est-à-dire la possibilité de transférer d'un chapitre à un autre des crédits non utilisés ou de les reporter d'une année à l'autre. Dans l'actuel cadre, on aurait pu disposer de 70 milliards de plus.
Si le Parlement obtenait satisfaction sur ces trois points, il accepterait le cadre financier tel qu'il est proposé, mais il ne peut accepter que le budget 2013 soit en déséquilibre. L'année dernière, on a renvoyé sur 2013 environ 3 milliards d'euros de paiement qui auraient dû être exécutés en 2012. Nous ne négocierons sur 2014-2020 que si les engagements de 2013 sont bien payés en 2013. Or, les programmes tournent à plein et le niveau des crédits de paiement de 2013 est au plus bas. Un budget rectificatif pour 2013 a été proposé par la Commission européenne, mais y aura-t-il une majorité qualifiée au Conseil pour ajouter 11 milliards ? Et surtout ce budget rectificatif suffira-t-il ?
Nous nous engageons dans une longue négociation qui comprend trois volets :
1 - le cadre 2014-2020 ;
2 - le budget rectificatif de 2013 (il faut financer 2013) ;
3 - le volet législatif qui est un aspect nouveau qui découle du traité de Lisbonne.
Ainsi, le Parlement européen partage le pouvoir législatif avec le Conseil sur toutes les politiques financées par le budget européen. Or, le président Van Rompuy a fait une répartition savante et compliquée des crédits sur laquelle le Parlement a son mot à dire. Le Parlement va donc arbitrer et la modification des retours budgétaires qui en résultera pour certains États membres ne leur plaira pas forcément.
Nous espérons terminer avant la fin de l'année, mais ce n'est pas certain et alors si nous glissons sur 2014, nous serons à la veille des élections européennes et chaque candidat devra présenter son programme de financement.
M. Simon Sutour, président. - J'ai particulièrement apprécié la fermeté et la clarté des propos de M. Lamassoure. Je me réjouis d'avoir soutenu le traité de Lisbonne dont je mesure aujourd'hui toutes les vertus. Nous aurions sans doute voté la même résolution que vous si nous en avions eu le pouvoir, c'est-à-dire si nous avions été des parlementaires européens.
Mme Pervenche Bérès, députée européenne. - D'un point de vue français, le Président de la République a obtenu les « buts de guerre » qu'il s'était fixés, même si l'équilibre global est moins ambitieux que prévu. Ce que nous comprenons de notre mandat, c'est que nous pouvons améliorer ce cadre financier. Le Parlement européen apparaît aujourd'hui comme le gardien des traités et, entre autres choses, le gardien de l'équilibre budgétaire alors que la Commission et le Conseil n'en ont cure, et nous sommes également les garants de l'orthodoxie sur la question des ressources propres que nous tenons pour une question fondamentale.
Le calage à 7 ans pour le cadre financier, alors que les élections ont lieu tous les 5 ans, n'est pas satisfaisant, d'où l'importance de la clause de révision.
Quand nous aurons défini de vraies ressources propres, nous aurons une marge de manoeuvre supplémentaire, nous serons plus autonomes et nous modulerons la ressource. J'attire votre attention sur l'importance, au sein de la politique de cohésion qui est chère au Sénat, de sanctuariser les 25 % du FSE, car c'est absolument stratégique. Nous avons besoin de consolider la dimension sociale de l'Union.
Mme Estelle Grelier, députée. - Le Parlement a souvent dû se rendre aux désirs du Conseil européen. Il a montré ses muscles lors de la négociation du cadre pluriannuel, mais cette résolution du Parlement européen est-elle suffisante et la droite européenne du Parlement ne va-t-elle pas céder aux gouvernements de droite de l'Union européenne qui sont majoritaires ? Je souhaiterais connaître aussi ce qu'il en est des « restes à liquider » et du « prélèvement sur recettes ».
La contribution de la France au budget européen pour 2013 - si elle doit augmenter - sera difficile à trouver malheureusement. Les Allemands sont favorables au règlement du budget 2013, mais seraient intraitables sur le cadre financier qu'ils ne veulent pas renégocier. Qu'en est-il ?
M. Jean Bizet. - Je salue la position du Parlement européen et j'espère qu'il s'y tiendra.
J'ai deux questions.
Une « RGPP communautaire », qui regarderait au cas par cas ce que l'Europe pourrait mieux faire que les 27 États, serait-elle une piste à creuser ? Comment pourrait-on vous aider à mettre cette RGPP en place ? Ce serait une étape intermédiaire avant le fédéralisme.
Le différentiel de 50 milliards entre crédits de paiement et crédits d'engagement me semble élevé. Quel serait le chiffre exact et acceptable ?
M. Jean Arthuis. - Je trouve très intéressantes ces rencontres entre parlementaires nationaux et européens. J'ai apprécié le discours du président Lamassoure sur la position du Parlement européen. Je m'interroge sur le décalage entre les crédits de paiement et les autorisations d'engagements, les « restes à liquider » s'élevant à 240 milliards. Certains États ne sont pas en mesure d'obtenir ces crédits (et tant mieux, car ainsi ils s'endetteront moins) ; mais il y aura quand même 50 milliards de décisions modificatives à honorer en 2013. C'est significatif. Alors est-il raisonnable de poursuivre sur cette voie ? C'est une manière de forcer la main aux budgets nationaux qui doivent fournir des crédits sur lesquels les parlements nationaux ne se sont pas prononcés. En outre, les mécanismes de solidarité financière représentent un deuxième niveau budgétaire : ainsi, les budgets nationaux sont sollicités quand il s'agit de constituer le capital social du mécanisme européen de stabilité.
À propos du fonds européen de stabilité financière qui emprunte sur les marchés avec la caution des États, comment voyez-vous l'évolution institutionnelle de ce mécanisme ?
Autre point : les dépenses administratives s'élèvent à 6 % du budget, mais ce chiffre ne tient pas compte des agences qui dépensent 1,6 milliard. La Commission et le Parlement surveillent-ils cette dépense ? Font-ils des contrôles sur place et sur pièce ? Traquent-ils suffisamment la dépense publique ?
M. Jean-Paul Emorine. - Je regrette que le budget européen ne conforte pas l'Europe. Ce n'est pas le budget européen qui doit faire des économies mais ce sont les budgets nationaux.
Je ferai quelques remarques et poserai ensuite une question au président Lamassoure. Déjà comme européen convaincu, comme vous, je regrette que le budget européen ne soit pas à la hauteur de nos espérances. Personnellement, je suis préoccupé par la diminution du budget alloué à l'aide aux plus démunis : alors que 3,5 milliards d'euros environ sont alloués à ce programme actuellement, seuls 2,5 milliards d'euros sont prévus pour la période 2014-2020. On peut penser que l'Europe a un rôle à jouer vis-à-vis des plus démunis, une certaine cohésion sociale à assurer.
Globalement le budget européen va baisser de 30 milliards d'euros, sur 7 ans, mais le budget alloué à l'agriculture va baisser, lui, de 50 milliards d'euros. On entend dire qu'en France le budget de l'agriculture ne baissera pas. Chaque année, ce sont près de 9 milliards d'euros qui sont alloués à notre pays au titre de la PAC alors qu'elle représente 20 % de l'espace agricole européen. Si on fait une répartition mathématique, la France pourrait être amenée à perdre un milliard d'euros par an. Comment garantirez-vous la répartition du budget ? De plus qui garantira ce montant ? La Commission ? Le Conseil des ministres de l'agriculture ? Les conséquences de la baisse du budget agricole européen inquiète les agriculteurs français.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Avant qu'Alain Lamassoure ne réponde, j'ai également une question à lui poser concernant la transparence. Vous avez beaucoup insisté sur cette transparence tant au niveau des recettes que des dépenses. Le Conseil n'a pas fait preuve, dans son travail, d'une grande transparence. On a bien vu la place du dialogue bilatéral dans ce supposé accord multilatéral. Est-ce que de ce point de vue-là, le Parlement européen peut avoir de nouvelles exigences et est-ce que ces nouvelles exigences peuvent s'inscrire dans le cadre de la clause de revoyure, par exemple ?
Mme Bernadette Bourzai. - J'ai une question concernant le mécanisme d'interconnexion en Europe. Peut-être M. Riquet pourrait-il y répondre ? Ce mécanisme devait être doté d'un budget de 50 milliards d'euros. Or, la partie télécommunications ainsi que la partie énergie ont toutes deux été sabrées. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les sacrifices effectués dans ces deux domaines ? Cela est très regrettable car ce programme était extrêmement intéressant, notamment en matière d'investissements d'avenir, indispensables pour la cohésion énergétique, et celle des transports et des télécoms en Europe.
M. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen. - Merci Mesdames, Messieurs les députés et sénateurs. Je réponds d'abord à votre question, Madame la Présidente, sur la transparence. Je crois que la première chose que l'on doit exiger d'un Parlement, c'est d'assurer la transparence, la publicité, l'information surtout lorsqu'il s'agit de budget. Jusqu'à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le cadre budgétaire de l'Union européenne se décidait, pour 7 ans, à huis clos entre 27 personnes. Ces dernières étaient libres de raconter ce qu'elles voulaient, les raisons de leur vote et les conséquences pour leur pays. Désormais, le Parlement européen a son mot à dire tant au niveau du cadre budgétaire qu'au niveau législatif sur les crédits de répartition. Dans la semaine qui a suivi le Conseil européen du 8 février, j'ai adressé une lettre au président Barroso en vue de lui demander quelles étaient les conséquences, pays par pays, des positions prises par le Conseil européen, afin que l'on compare la période précédente et les 7 ans à venir. Le président Barroso a répondu qu'il avait été donné à chacun des pays les chiffres qui le concernaient sans les communiquer aux autres, et m'a renvoyé à M. Van Rompuy, auprès de qui je n'ai pas eu plus de succès pour l'instant. Faute d'avoir les renseignements requis, si j'additionne les chiffres annoncés par chaque État membre, j'arrive à un niveau qui me satisfait mais qui est assez supérieur à 960 milliards d'euros ! On a besoin de savoir ce qu'il en est. La transparence, bien entendu, nous en avons tout à fait besoin.
En réponse à Jean Arthuis qui s'interroge sur le problème des paiements, la définition des engagements et des paiements au niveau communautaire n'est pas la même qu'en France. Je m'explique. Le terme « engagement » a deux significations différentes. Ou bien il s'agit de programmes gérés par la Commission européenne (Erasmus) et là c'est un vrai engagement, c'est-à-dire que, si on passe un contrat pluriannuel, on a besoin d'un crédit d'engagement correspondant au montant total de ce contrat. Par contre lorsqu'il s'agit de programmes gérés par les États membres, ce qui représente 80 % du budget communautaire, l'engagement est une programmation de crédit : on transfère la possibilité d'engager des crédits. Le véritable engagement, au sens juridictionnel, se fait au niveau de l'État membre (SGAR, Conseil régional, cela dépend des programmes et des États) et à Bruxelles, on ne sait pas quand il a véritablement lieu. La notion de « reste à liquider » n'a aucune importance, à mes yeux, parce que cela ne signifie rien. C'est de l'argent parti dans la nature dont une partie va revenir. Il faut lever la confusion entre l'engagement et le transfert de programmation.
Concernant les paiements, on a trois catégories différentes. Pour les fonds structurels en début de période, le paiement fait par la Commission européenne sert de préfinancement pour les programmes européens que nous finançons chez nous. En fin de période, le paiement fait par la Commission est un remboursement pour des dépenses que nous avons faites en France, par exemple ; si nous refusons le budget rectificatif de 2013, certaines collectivités ne seront pas remboursées. Enfin, troisième catégorie : les vrais paiements dus pour les programmes engagés par la Commission européenne.
J'ai pour objectif de clarifier cette nomenclature dont la confusion crée des problèmes politiques qui n'ont pas lieu d'être. Ma première proposition est d'instaurer dans chacun des pays la centralisation et la certification des crédits de paiement. Actuellement, la Commission se contente d'additionner les demandes des États membres en ce qui concerne les fonds structurels. Elle demande alors des crédits de paiement aux ministres du budget qui ne sont pas toujours informés des demandes faites par d'autres administrations nationales ou locales !
M. Jean Arthuis. - Cela a un effet pernicieux au plan national : on peut avoir un contrôle des engagements au niveau national, mais les collectivités territoriales peuvent obtenir des crédits d'engagement de Bruxelles. Les opérateurs locaux sont incités à s'endetter. Il faudrait revoir cette procédure. Je prends l'exemple du FSE. Les services sociaux imaginent des actions nouvelles pour pouvoir tirer tout le crédit qui leur est ouvert. Je voudrais être sûr de l'utilité de toutes ces actions. L'accès à ces lignes de crédits peut constituer un accélérateur de dépenses publiques. La Commission exerce un contrôle : on fait appel à un cabinet extérieur qui vient avec une rafale d'indicateurs de contrôle qui n'ont pas une grande signification. Je voudrais mettre en garde les instances européennes contre ce genre de dérive.
M. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen. - Je rejoins totalement Jean Arthuis sur ce point. Il est frappant de voir que dans un pays comme la France, un des pays les plus centralisés d'Europe, il n'y a pas de lieu où l'administration centralise les demandes d'engagement, les demandes de crédits de paiement et l'évaluation des besoins de ces crédits de paiement. Nous avons besoin d'un endroit où on centralise et où on certifie, de manière à ce que la Commission européenne puisse se contenter de faire l'addition. Un des progrès à réaliser est qu'il n'y ait plus de contestations sur l'évaluation des besoins.
Par ailleurs, un lien doit être fait entre le budget communautaire et les autres moyens mis en oeuvre dans le cadre de l'UE, ou la zone euro, pour assurer la solidarité à l'intérieur de l'Union au profit de pays en difficulté. Le quatrième sujet sur lequel se battra le Parlement européen concerne le principe de l'unité du budget européen. Dans les efforts de solidarité que fait la France vis-à-vis de certains de ses partenaires comme la Grèce, il y a certes la contribution au budget européen mais il y a également les engagements pris soit dans un cadre bilatéral soit à travers le FESF ou le MES : il y a à la fois contribution de la France au capital initial et la garantie que donne la France. Pour la Grèce, je crois que cette garantie est de l'ordre de 50 milliards d'euros. Or, cette solidarité n'apparaît nulle part et pourtant les parlements nationaux des pays contributeurs comme la France doivent en connaître le montant. On doit avoir un document global permettant de mesurer ce que veut dire la solidarité dans l'Union européenne afin de savoir qui paye quoi pour faire quoi.
M. Jean Arthuis. - Peut-être que le MES préfigure l'Union budgétaire...
M. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen. - On peut très bien imaginer qu'une partie des sommes, qui ont été prêtées par le MES et qui vont être remboursées, soit réaffectée au financement des investissements d'avenir. Le moment est venu de donner à l'Union européenne un budget d'investissement qu'elle n'a pas, correspondant à ce qui est la section d'investissement dans nos collectivités locales.
En ce qui concerne le contrôle des agences, ces dernières sont particulièrement dans le collimateur de la Commission du contrôle budgétaire du Parlement européen. Dans le budget européen, n'apparaît que la dotation qui leur est faite et, comme le rappelle Dominique Riquet, elles disposent d'autres ressources.
Pour répondre au président Bizet, la question de la valeur ajoutée du budget européen se pose effectivement. Il va falloir regarder chaque budget européen à la loupe ainsi que toute nouvelle dépense ou dépense renouvelée. Au niveau des fonds structurels, une question doit se poser : à partir du moment où l'argent européen devient très rare, est-ce que nous pouvons continuer de répartir très généreusement cet argent entre des dizaines de milliers de micro-projets à travers le territoire ? Par exemple, est-il normal que nous demandions au contribuable espagnol, danois, etc... de l'argent pour financer des projets sur le territoire français alors que le département concerné y participe dans une mesure moindre que l'Union européenne ? Il faut mieux utiliser l'argent. Si on fait appel à des financements européens, c'est à cause du caractère européen du programme : soit la dimension européenne le justifie, soit le programme a un caractère exemplaire pour le reste de l'Union. Il faudrait voir à quel niveau doivent être conduits les programmes et exécutées les dépenses.
Sur la question relative au décalage des crédits de paiement et les chiffres qui en découlent, notre objectif est de conserver une proportion convenable. Les crédits de paiements sont, en règle générale, à hauteur de 95 % des crédits d'engagement. Sur une longue période, il y a 5 % qui disparaissent à jamais. Sur les chiffres, nous nous battrons moins sur 2014-2020 que sur 2013.
Sur 2013, il faudra ajouter, à mon sens, entre 15 et 20 milliards d'euros par rapport aux crédits de paiement votés dans le budget initial. Le Parlement européen et le Conseil à la majorité qualifiée peuvent décider d'utiliser des marges budgétaires non utilisées. Mais afin de respecter le plafond fixé par les perspectives financières 2007-2013, nous ne pouvons décider d'une augmentation qu'à hauteur de 11 milliards d'euros. Si on veut augmenter au-delà, il faut l'unanimité au Conseil et donc l'accord des Anglais. Cependant, il y a une autre présentation qui consisterait à mobiliser la marge non utilisée en 2012, soit 6,5 milliards d'euros de crédits de paiement. Cela permettrait au Premier ministre britannique de sauver la face, si j'ose dire, tout en dégageant les sommes dont nous avons besoin. En effet, dans les paiements à effectuer en 2013, il y aura environ 16 milliards de crédits de paiement qui portent en réalité sur l'exercice 2012. 3 milliards auraient dû être payés cette année-là et le reste concerne des factures arrivées après le 31 octobre et donc payables en 2013. Les concernant, il n'est pas anormal de mobiliser les marges non utilisées en 2012.
Pour répondre à Estelle Grelier, je rappelle qu'au sein du Parlement européen la gauche dispose d'une minorité de blocage. Le vote final doit être obtenu par une majorité des membres qui composent le Parlement européen : il faut 378 voix s'exprimant pour. Or, les groupes aux extrémités du Parlement voteront contre et les Verts ont annoncé qu'ils voteraient contre. Par conséquent, en pratique, chacun des deux grands groupes du Parlement européen a un droit de veto.
Sur la question relative aux crédits de paiement en 2013, la Commission des budgets du Parlement européen considère que l'on ne peut reprocher à un État membre d'avoir son budget national en déficit et des dépenses excessives et, en même temps, lui demander d'augmenter sa contribution nationale au budget européen. On se trouve dans cette situation parce que, en violation des traités, le budget européen n'est pas financé par des ressources propres mais par les contributions des budgets nationaux. L'idée que j'ai lancée dans le débat, et soutenue par le groupe socialiste au Parlement européen, consiste à dire que tant que nous ne sommes pas revenus à un financement du budget européen par des ressources propres, la Commission doit prendre en compte l'effort supplémentaire des budgets nationaux. Mais je constate que la Commission économique du Parlement européen est plus stricte, plus rigoureuse sur ce sujet.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Peut-être que Dominique Riquet peut nous donner quelques informations sur les questions qui lui ont été posées concernant le mécanisme d'interconnexion en Europe.
M. Dominique Riquet, député européen. - Je vous donne quelques informations chiffrées. L'investissement dans les infrastructures, créateur d'emploi et de compétitivité, a été le plus touché par l'accord au Conseil, avec 40 % de diminution des crédits par rapport à la proposition de la Commission. Cette dernière proposait 50 milliards d'euros dont 30 milliards pour les transports, 10 milliards pour les télécommunications et 10 milliards pour l'énergie. Pour les télécommunications, au lieu de 9,5 milliards d'euros, 1 milliard seulement a été attribué, pour l'énergie 5 milliards et pour les transports 23 milliards. Mais sur ces 23 milliards, 10 milliards proviennent du fond de cohésion et restent sous la régulation de ce fonds afin qu'une partie des investissements destinés aux pays de la cohésion portent sur des projets à valeur européenne ajoutée. Donc en réalité, ce sont 13 milliards de crédit qui sont proposés pour les transports pour l'ensemble des États membres.
Si on compare avec le budget actuel de l'Agence exécutive du réseau transeuropéen de transports qui est de 8 milliards d'euros, on constate que l'augmentation en euros constants est finalement faible. Quant à l'énergie, secteur essentiel aujourd'hui, la diminution est de 50 %. Ce qui est frappant, c'est que c'est sur les instruments de croissance que les arbitrages ont été les plus durs !
M. Simon Sutour, président. - Je remercie notre collègue Alain Lamassoure pour sa présence et ses lumières. Le débat va se poursuivre encore durant quelques mois. Nous, députés et sénateurs, apporterons notre modeste part à ce débat. J'ai le plaisir de voir que nous sommes en osmose avec nos députés européens sur ce sujet.