- Jeudi 30 mai 2013
- Femmes et culture - Audition de Mme Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, responsable des programmes et des activités de diffusion à l'année, auteure et coordinatrice générale de l'ouvrage, membre du projet IRIS, Centre de Ressources Multimédia sur la création audiovisuelle des femmes
- Femmes et culture - Audition de Mme Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe »
- Questions diverses
Jeudi 30 mai 2013
- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -Femmes et culture - Audition de Mme Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, responsable des programmes et des activités de diffusion à l'année, auteure et coordinatrice générale de l'ouvrage, membre du projet IRIS, Centre de Ressources Multimédia sur la création audiovisuelle des femmes
La délégation procède tout d'abord à l'audition de Mme Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, responsable des programmes et des activités de diffusion à l'année, auteure et coordinatrice générale de l'ouvrage, membre du projet IRIS, Centre de Ressources Multimédia sur la création audiovisuelle des femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne.
Je vous remercie, Madame, d'avoir répondu positivement à l'invitation de notre délégation pour contribuer à alimenter notre réflexion sur la place des femmes dans la culture. Un déplacement à Créteil pour assister à ce Festival fait partie des projets de la délégation. Nous espérons que nous arriverons à le concrétiser prochainement.
Les premières auditions - que nous menons maintenant depuis bientôt six mois - ont révélé aux membres de notre délégation l'ampleur des inégalités et des verrous existants dans ce secteur, qui contribuent à maintenir les femmes - en particulier les créatrices, auteures, réalisatrices, metteures en scène, chorégraphes, plasticiennes - dans des places subalternes et dévalorisées.
En tant qu'auteure et coordinatrice générale d'un ouvrage sur la création audiovisuelle des femmes, peut-être contribuerez-vous à enrichir notre réflexion sur ce sujet en nous fournissant, notamment, des données quantitatives et qualitatives sur les réalisatrices.
Devant le constat de l'absence d'évolution dans le fonctionnement et la composition de ce secteur, notre délégation est aujourd'hui convaincue de la nécessité d'explorer de nouvelles pistes et, notamment, de consacrer certains établissements, manifestations ou lieux, à la création des femmes.
C'est ce que vous avez initié dans le cinéma en créant et en dirigeant le Festival international de films de femmes de Créteil et du Val-de-Marne, dont le succès n'est plus aujourd'hui à démontrer. Ce festival, né en 1979, qui soutient les femmes dans leurs premiers films et jusqu'à leur sortie en salle, a-t-il, selon vous, contribué à faire émerger une nouvelle génération de réalisatrices ?
Ne risque-t-il pas de « cataloguer » la création féminine ? Est-il, selon vous, reproductible dans d'autres disciplines ?
Voici quelques questions, parmi d'autres, pour lesquelles nous souhaitons entendre votre point de vue.
Mme Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, responsable des programmes et des activités de diffusion à l'année, auteure et coordinatrice générale de l'ouvrage, membre du projet IRIS, Centre de Ressources Multimédia sur la création audiovisuelle des femmes. - Je commencerai par dresser brièvement un petit historique de la place des femmes dans le cinéma tout en tentant de vous montrer l'incidence qu'a pu avoir le Festival que je dirige sur le soutien et la visibilité des femmes dans la profession. Il semble que les choses s'accélèrent en ce mois de mai. En effet, l'actualité donne l'impression que nous allons faire un pas de géant concernant l'égalité hommes-femmes dans le cinéma. Les dernières déclarations faites à Cannes par la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui est très attentive à cette situation, laissent entendre que, politiquement, les incitations seront claires. Pourtant, voilà plus de 35 ans que nous travaillons à cette avancée. Et nous ne sommes pas seules : vous connaissez les initiatives du Collectif « La Barbe » ; plus anciennement encore, celles du « Centre Simone de Beauvoir » ; plus récemment, celles des « Archives Carole Roussopoulos » ou encore celles des « Archives du féminisme » à Angers.
Bien que ne voulant oublier personne, je ne peux néanmoins mentionner toutes les initiatives qui ont vu le jour autour et pour la défense de la place des femmes dans la profession, tant elles sont nombreuses et fortes. Parmi toutes, je citerai cependant « Cinéffable », « Femmes en résistance », « TV Debout » et, depuis peu, « Le Deuxième regard ».
Je veux rendre aussi hommage, en la nommant, à celle qui fut parmi les premières à organiser un festival de films de femmes à Paris, en 1975 : Nicole-Lise Bernheim, qui réalisa alors ce premier festival en collaboration avec Claire Clouzot, alors journaliste.
Toutes ces démarches, nous les reconnaissons, nous les défendons comme notre héritage ou nos points d'appui, mais aussi comme autant d'occasions de collaboration et d'échanges.
Je voudrais aussi citer des initiatives plus éloignées géographiquement, telles celles des Québécoises qui ont, au travers d'un « regroupement de réalisatrices équitables », entrepris d'élargir la lutte à l'international.
En ce moment même, un tout jeune festival de films de femmes vient d'être lancé à Pékin : c'est une grande première en Chine !
Avant d'envisager ce futur plein de promesses, je voudrais revenir brièvement sur l'histoire du cinéma, pour bien comprendre les enjeux actuels.
Le cinéma, qui est à la fois un art et une industrie est né de manière assez artisanale il y a 118 ans.
Si, dès le début, des femmes pionnières - telles Alice Guy ou Germaine Dulac - ont pu réaliser des films, très vite la hiérarchisation des rôles est venue entraver leurs désirs d'images et de « réalisation » au double sens du terme.
C'est seulement après-guerre, qu'Agnès Varda a pu ré-ouvrir la boîte de Pandore et initier l'un des premiers films de la « Nouvelle Vague », en 1954, intitulé « La Pointe courte ». Entre temps, on avait déjà oublié Jacqueline Audry, soeur de Colette Audry, cinéaste d'avant-guerre, qui a été la première à adapter Colette à l'écran.
J'en viens maintenant à la place des femmes dans le cinéma et au rôle du Festival international de films de femmes de Créteil et du Val-de-Marne.
Au départ, Alice Guy, secrétaire chez Gaumont - alors fabricant d'appareils cinématographiques à double fonction -, devint cinéaste par volonté. Elle avait assisté à la projection des Frères Lumière. A sa demande, elle se retrouva en charge du département « réalisations » pour promouvoir les appareils de la firme. Sa mission consistait moins à réaliser des films qu'à faire la démonstration du fonctionnement de l'appareil. C'est ainsi néanmoins qu'elle sera reconnue en tant que femme cinéaste. Puis elle partit aux États-Unis pour y représenter la firme Gaumont à New York. Là, elle continua à réaliser et à produire des films « américains » avec des acteurs célèbres de l'époque.
C'est Louis Feuillade, qui la remplaça chez Gaumont et se rendit célèbre avec la série « Fantomas » dans laquelle jouait Musidora, autre femme de cinéma, qui donnera son nom au tout premier festival de films de femmes de Paris en 1975, créé par Nicole-Lise Bernheim.
C'est ainsi qu'Alice Guy entra dans la concurrence que se livraient déjà, à l'époque, les États-Unis et la France. On compte à son actif environ 400 films parmi lesquels « Sage-femme de 1re classe », « Madame a des envies », « Sur la barricade » ou « L'Américanisé »...
La qualité de ses fictions, que l'on redécouvre aujourd'hui, témoigne d'une grande maîtrise du sujet, qui le plus souvent met en scène une ou des femmes. Ainsi, dans « Madame a des envies », on découvre une femme enceinte en proie à des envies irrépressibles et qui succombe à chaque pas pour un sucre d'orge ou un hareng-saur. L'effet burlesque et drôle est assuré, mais c'est en même temps une étude des moeurs de l'époque, puisque l'on voit à l'écran « Monsieur » pousser le landau, alors même que le film date de 1905 !
A cette époque où le cinéma était encore artisanal, Alice Guy n'a pas souffert de la hiérarchie des tâches : elle tournait la manivelle, réalisait les costumes, inventait les décors, utilisait sa maison et tenta même de passer au cinéma sonore en réalisant des expériences de chrono-scènes - c'est-à-dire des scènes synchronisées avec un rouleau de cire qui enregistrait les sons - ce qui prouve qu'elle n'avait pas peur d'innover techniquement.
Plus tard, Germaine Dulac, dès ses débuts, dans les années 1920, s'est lancée dans un cinéma très expérimental, c'est-à-dire non narratif, apportant ainsi une dimension plus « artistique » à l'image de l'écriture cinématographique. Elle a, par exemple, brillamment adapté un scénario d'Antonin Artaud, « La coquille et le clergyman », réalisant ainsi l'un des premiers films surréalistes.
Ce petit détour permet de comprendre qu'à partir de 1927, à l'arrivée du cinéma parlant, les femmes ont disparu du rôle de réalisatrices pour se cantonner dans des rôles d'assistantes, de scénaristes, de scripts ou de monteuses et, bien sûr, d'actrices, en particulier à Hollywood. La professionnalisation et la hiérarchie des rôles, puis des images, les ont donc « déclassées ».
Il faudra que les femmes attendent les années 1940 pour retrouver, avec Jacqueline Audry, un tempérament « d'entrepreneuses » et tenter de renverser la hiérarchie des rôles.
Dans les années d'après-guerre, sous l'effet « salutaire » de la place prise par les femmes dans les sociétés occidentales ravagées par le conflit mondial, on voit un grand nombre de femmes refuser de retourner « au foyer ». A cet égard, on peut se référer à un très beau personnage de femme d'un film américain, « Rosie la riveteuse », qui remplaçait les hommes dans les usines d'aviation et d'armement.
Les femmes réalisatrices se manifestent alors de manière quantitativement plus nombreuse.
En France, toujours, Agnès Varda - première femmes de la « Nouvelle Vague » avec « La pointe courte » en 1954 - Yannick Bellon, puis Nelly Kaplan, Chantal Akerman, Marguerite Duras, Colline Serreau, Diane Kurys, Jeanne Labrune, entre autres, ont gravi peu à peu les échelons de la reconnaissance. Je crois qu'il est très important de citer leurs noms car elles restent, hélas, souvent méconnues.
Les femmes se sont attaquées à la hiérarchie des images, mettant en avant le plus souvent des personnages de femmes dans des rôles et des situations nouvelles, anticonformistes : ainsi Delphine Seyrig épluchant des pommes de terre, de face, en plein écran, pendant 10 minutes !
Parties de la marge, les réalisatrices ont donc acquis une place bien particulière dans le cinéma français et international. Celle d'une « avant-garde » interrogeant bien avant l'heure, sans les revendiquer, les questions dites « de genre ».
Il faut aussi souligner le rôle des écoles de cinéma, comme la Fondation européenne pour les métiers de l'image et du son (FEMIS) - anciennement Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) - qui a permis à de nombreuses femmes de revendiquer le titre de réalisatrice, dans cette profession à la fois technique et artistique.
J'en viens maintenant à l'historique du festival.
Dès ses débuts, à Sceau où il est né en 1979, le Festival de films de femmes a tenu à organiser des rétrospectives de réalisatrices françaises oubliées, en commençant par des hommages aux pionnières : Alice Guy en 1995, Germaine Dulac en 1981 et 1992, Marie Epstein en 1991, Jacqueline Audry en 1984 et Agnès Varda en 1982 et 2008.
Le Festival de films de femmes de Créteil et du Val-de-Marne est le plus ancien et le plus important festival au monde consacré aux réalisatrices. Il répond au faible nombre de femmes dans le 7ème Art, dont je vous rappelle qu'elles représentaient 2 % des réalisatrices en 1979 et 20 % environ en 2013. A cet égard, les chiffres devraient être précisés par le Centre national du cinéma (CNC), à qui le ministère de la Culture et de la Communication a demandé l'établissement de statistiques précises.
Il s'agit aussi de mettre en valeur les films de femmes en proposant un regard et une subjectivité jusque-là bannis. Par conséquent, les hommes ne sont pas systématiquement exclus, mais les femmes favorisées, l'objectif étant d'offrir une « vitrine » aux femmes.
Depuis ses débuts à Sceaux, et aujourd'hui après 35 ans d'exploration, le Festival international de films de femmes de Créteil et du Val-de-Marne persiste dans sa mission de révéler au plus large public les oeuvres des réalisatrices du monde entier.
Il s'attache à défendre la place des femmes dans cette profession, mais il ne choisit pas les films en fonction de leur thème en particulier. Il rend compte des productions d'une année, d'une région du monde, d'une partie de l'histoire du cinéma, cherchant inlassablement à réécrire cette histoire pour y resituer les réalisatrices, valoriser leur apport, leur créativité, leur manière de traiter des sujets tabous de nos sociétés, comme des questions artistiques, politiques, économiques ou intimes.
Le festival choisit de mettre en avant les réalisatrices du monde entier, qui apportent une écriture particulière sur des sujets de leur choix. Or, il se trouve souvent que la place d'où elles regardent le monde est celle des opprimées, tant la ségrégation qui concerne les femmes reste vive et mondiale !
Il y a donc dans le cinéma proposé par les femmes une dimension d'engagement militant pour la vie, la solidarité, l'égalité, le respect des autres, des idées, des modes de vies, des cultures et des identités. En ce sens, on ne peut nier qu'il y ait une démarche artistique originale.
J'en viens maintenant plus précisément aux programmes proposés par le festival.
Pour nous, les sélections sont toujours un moment d'exploration très large et internationale. A cet égard, nous avons plusieurs manières de chercher les films : d'une part, nous lançons un dispositif d'inscription par voie internet à partir de notre fichier qui comprend plus de 25 000 adresses, et d'autre part, nous nous déplaçons également dans des festivals internationaux selon les années et les budgets : Toronto, Montréal, Berlin, Locarno, Bruxelles, San Sebastián, Amsterdam, Ouagadougou, Lisbonne, Taïwan, Séoul... Nous avons, par ailleurs, un certain nombre de correspondantes qui nous envoient des contacts et des suggestions. Enfin, depuis deux ans, un nouveau système de découverte des films fonctionne sur le « web », par des serveurs professionnels comme « Cinando » ou « Vimeo », nous permettant d'accéder à certains catalogues de films.
En 2013, par exemple, nous avons choisi le thème de l'Europe Extrême, après deux ans de travail consacrés à l'Europe du Sud puis à l'Europe de l'Ouest. Il était évident pour nous de continuer à cerner ce qui est l'originalité du cinéma européen aujourd'hui, guidées toujours par la notion d'histoire et d'héritage cinématographique.
Nous avons par ailleurs créé une section thématique, appelée « les Bonnes », née il y a plusieurs années de la collecte des films dans nos archives. En effet, nous gardons depuis trente ans les films sur support DVD ou fichiers numériques. C'est ainsi que nous pouvons à volonté revenir sur des thèmes, des zones géographiques et programmer des films qui n'avaient pas été retenus les années antérieures. Je précise qu'au festival, un film est systématiquement répertorié dans notre base de données, une « fiche de visionnement » lui est consacrée et des mots clefs lui sont attribués. De cette façon, nous avons pu bâtir ce programme sur « les Bonnes » qui réunit thématiquement plus de 100 films du monde entier. Le film de Luis Buñuel mettant en scène Jeanne Moreau en « bonne » est un exemple parmi d'autres.
A cette occasion, nous avons fait appel à Geneviève Fraisse - féministe et philosophe - pour animer une conférence sur le statut des « bonnes ».
Pour les 35 ans du Festival, nous avons décidé de montrer la richesse de nos archives et de travailler sur ce thème à la fois féministe, social, politique et cinématographique.
Il se trouve d'ailleurs que l'Institut national de l'Audiovisuel (INA) a signé une convention de numérisation de nos archives il y a 2 ans, devenant pour nous un partenaire indispensable pour partager ces archives avec le plus grand nombre. Ce partenariat a mis officiellement à la disposition des chercheuses et des chercheurs ainsi que des professionnelles et des professionnels un accès direct, via l'InaTHEQUE, en mars 2013, pour consulter le corpus de plus de 300 films et 350 leçons de cinéma, qui sont en réalité des portraits de réalisatrices du monde entier, productions du festival.
Plus ponctuellement, la soirée solidarité avec le peuple syrien, la soirée autour des nouvelles formes du féminisme, la soirée dédiée à Hannah Arendt, le colloque sur « genre et cinéma », sont des opportunités que nous aimons saisir en fonction d'une actualité, car nous estimons qu'un festival se doit de rester en alerte et de donner à son public toutes les occasions de réagir et d'analyser le monde dans lequel il vit. En effet, le cinéma n'est-il pas une immense fenêtre ouverte sur des réalités qui nous concernent ? Nous estimons que notre devoir de vigilance est bien celui-là.
Comme vous le voyez, nous aimons donc bâtir des programmes géographiques et thématiques variés. Parmi nos plus belles programmations, je citerai « les pionnières », « les Utopies », « les femmes exploratrices », « les femmes en politique », « les sexualités », « les nouvelles images », « les différents continents »... Par conséquent, ce qui est le plus emblématique pour nous varie selon les découvertes et les analyses que nous pouvons faire de nos bases de données. Si nous aimons faire des rétrospectives d'oeuvres complètes de réalisatrices, nous nous heurtons depuis quelques années au problème de carrière des réalisatrices qui peinent à faire une oeuvre. Ainsi, on remarque beaucoup de premiers films et peu de continuité dans leur travail. C'est un vrai problème auquel il faut s'atteler. Il faut trouver des dispositifs pour les soutenir sur l'ensemble de leur carrière et sur la durée.
Je souhaite mettre un coup de projecteur sur le public, largement féminin, car la reconnaissance des réalisatrices s'est beaucoup appuyée sur le public féminin, qui a pu trouver dans les films, enfin, des personnages de femmes auxquelles s'identifier. C'est d'ailleurs là que se situe l'action de notre festival : mettre en relation des auteures et des publics à travers des rencontres, des débats, des forums, des conférences, avec une attention particulière au jeune public.
J'en arrive à la dimension solidaire du festival : solidarité avec les réalisatrices indiennes, africaines, asiatiques et d'Amérique latine.
Le cinéma des femmes du monde entier continue d'être un cinéma militant et engagé, inspiré par la situation de discrimination qu'elles subissent. Si les films qu'elles réalisent sont des oeuvres à part entière, elles sont ancrées dans des réalités sociales, politiques, économiques, le plus souvent complexes et reflet de situations défavorisées.
Depuis ses débuts à Sceaux en 1979, et aujourd'hui après 35 ans d'exploration, le Festival international de films de femmes de Créteil et du Val-de-Marne persiste dans sa mission de révéler au plus large public les oeuvres des réalisatrices du monde entier.
Il s'attache à défendre la place des femmes dans cette profession, mais il ne choisit pas les films en fonction de leur thème en particulier. Il rend plutôt compte des films d'une année, d'une région du monde, d'une partie de l'histoire du cinéma, cherchant inlassablement à réécrire cette histoire pour y resituer les réalisatrices et valoriser leurs apports, leur créativité, leur manière de traiter des sujets tabous de nos sociétés, comme par exemple l'excision, l'égalité des chances, la parité en politique, l'homosexualité, le changement de sexe..., mais aussi des questions artistiques, politiques, économiques ou intimes.
Ainsi, le festival met en avant les réalisatrices du monde entier qui apportent une écriture particulière sur des sujets de leur choix.
La question que je veux maintenant aborder est celle de la particularité de l'écriture cinématographique au féminin : les femmes ont-elles une écriture spécifique ?
Partons du constat selon lequel de la production à la distribution, les films réalisés par des femmes ont du mal à « passer les étapes ». Il nous faut donc analyser les facteurs de barrage, qui sont de l'ordre de la discrimination et du sexisme contre les femmes. On parle de « plafond de verre », de machisme, d'inégalité de sexe ou de genre, mais aussi d'archaïsme de nos sociétés basées sur le patriarcat.
J'ajouterai qu'il existe aussi une forme de « syndrome de Stockholm » qui conduit les femmes à se dévaloriser, à s'autocensurer et donc à épouser le point de vue du plus fort, du pouvoir en place, du réseau décisionnaire, et donc à ne pas prendre la place qui leur revient sur un plan d'égalité, d'où la nécessité d'une éducation civique et politique des petites filles et des jeunes filles.
De manière générale, et selon nos observations, nous pouvons avancer quelques chiffres issus de nos pratiques depuis 35 ans. Je souligne que ces chiffres demandent à être validés officiellement. D'après nos estimations, la part des réalisatrices n'est que de 20 à 25 % en France - elle était de 2 % en 1979 quand nous avons commencé la 1re édition du Festival international de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne -, de 12 % en Europe, et de 5% aux États-Unis ! Nous estimons donc que notre festival a contribué à donner une visibilité aux réalisatrices en France.
Notre festival se développe non de manière continue à travers l'oeuvre de réalisatrices-auteures, qui d'années en années nous proposeraient leurs derniers films, mais « en pointillé », d'oeuvres en oeuvres, à travers de multiples jeunes réalisatrices. Ce cinéma est à la fois éphémère et résistant : le « passage de relai » se fait de film en film, car malheureusement peu de réalisatrices font carrière. L'exception est française puisque nous pouvons citer plusieurs réalisatrices, comme Alice Guy, Yannick Bellon, Agnès Varda, Claire Denis, Catherine Breillat, Dominique Cabrera, Jeanne Labrune, Tonie Marshall, Claire Simon... et bien d'autres.
Je définirai leur cinéma comme un cinéma « en mouvement ».
Depuis 35 ans, les femmes ont bougé : leur place, c'est-à-dire l'inscription de la gestuelle féminine dans l'espace et le temps, a changé, notamment après la guerre en occident.
Ainsi l'on peut suivre, de film en film, la vision des réalisatrices sur la trace des femmes depuis qu'elles franchissent les espaces quotidiens, quittent les intérieurs des maisons, pour circuler, naviguer, dans le monde extérieur qui « ne leur appartenait » pas mais qu'elles explorent désormais, libérées de leur « foyer ».
Le cinéma des femmes a accompagné au plus près le mouvement d'émancipation des femmes du monde entier, dans leur trajectoire, leurs disparités de cultures et d'héritage.
C'est un cinéma actuel, visionnaire, capable de jeter un pont avec le passé.
Par l'image et le cinéma, les réalisatrices parviennent ainsi à transgresser les stéréotypes transmis par l'éducation et les traditions pour donner leur point de vue original et différent sur le monde : elles ont un combat à mener pour exister. Aussi leur mode d'expression revêt-il souvent un caractère d'urgence pour accéder à la liberté.
En un mot, ce qui nous intéresse c'est ce nouveau regard qu'ont les réalisatrices qui s'émancipent en prenant comme mode d'expression l'image.
Depuis 35 ans, nous nous passionnons ainsi, par la découverte du cinéma des réalisatrices du monde entier, à cerner à quelle famille de cinéma elles appartiennent et comment elles ont su s'affranchir des stéréotypes et apporter un regard, un point de vue nouveau sur « la place » des femmes et la présence physique et intellectuelle des femmes dans les sociétés contemporaines.
Pour en revenir à l'écriture cinématographique des femmes et aux femmes réalisatrices et à ce qu'elles ont cherché et apporté, on peut se poser plusieurs questions. Quels chapitres ont-elles ouverts dans l'histoire du cinéma et dans quelles conditions ? Ont-elles été en marge ou se sont-elles intégrées ?
Le festival a distingué quatre directions possibles de leur cinéma, qui sont les suivantes : un cinéma pictural, plastique, expérimental et novateur ; un cinéma littéraire, narratif, plus classique ; un cinéma dramatique et spectaculaire ; un cinéma plus documentaire, réaliste et entreprenant.
Alors, à quel endroit l'écriture des femmes cinéastes a-t-elle fait son apparition ?
Pour ma part, je répondrai du côté de l'intime et de l'invisible, du côté du corps et donc des tabous, du côté du cinéma pictural, plastique, corporel, voire expérimental, et du documentaire engagé et révélateur.
Pour moi, c'est cela la spécificité du cinéma des femmes, qui s'est aventuré dans des voies nouvelles, même si toutes ne l'ont pas tenté : certaines ayant eu peur, sont retournées dans « les courants existants » ou ont réintégré les codes narratifs classiques du récit littéraire.
J'en viens à notre réseau européen et international.
Le festival a voulu créer une plateforme internationale de rencontres, d'échanges, de solidarité professionnelle, d'écoute et de valorisation. Nous avons voulu améliorer la situation des femmes dans le cinéma, en commun avec d'autres initiatives.
C'est ainsi que nous avons créé des rassemblements, des réseaux, des « networks », parmi lesquels « Pandora » en 1980 avec la Belgique, l'Espagne et l'Italie ; le « KIWI » en 1985 avec les réalisatrices des pays de l'Est, encore soviétiques ; le réseau « Women in Film » (WIF) d'Europe en 1990 avec l'Allemagne, les Pays Bas, l'Angleterre, l'Autriche... puis, récemment, depuis février 2013, l'ONG « EWA », autre tentative de fédérer les forces sur le plan européen.
Aucune histoire du cinéma ne rassemble ces éléments. Tout reste à écrire et nous sommes en train de le faire à Créteil. Il s'agit de coordonner nos efforts, au moins sur un plan européen.
J'ai maintenant choisi de faire un point sur l'éducation à l'image car nous sommes très conscients que l'éducation est la base de toute évolution. Ainsi, pour qu'une petite fille se projette dans un rôle différent de ceux des traditions, il faut lui proposer des images de femmes dans des professions diversifiées : musicienne, cosmonaute, chercheuse, scientifique, médecin, réalisatrice... et lui donner des occasions de pratiquer et de prendre confiance en elle en réalisant des projets. C'est l'objet des ateliers mixtes que nous organisons chaque année, car il s'agit de donner aux jeunes filles et jeunes garçons des occasions de partager un savoir-faire et d'apprendre à se connaître eux-mêmes dans des réalisations concrètes.
J'ai souhaité ajouter ici une liste de réalisatrices qui comptent et qui ont compté. J'ai en effet appris que sur les 200 titres que comporte la liste des films proposés aux élèves de la FEMIS dans leur cursus de quatre ans, on compte à peine 20 films de femmes !
Je proposerai ce florilège de films de femmes, afin de faire valoir ces films comme référence dans l'éducation, tout au moins dans les écoles de cinéma : « La Fée aux choux », d'Alice Guy (France, 1896) ; « La Souriante Madame Beudet » de Germaine Dulac (France, 1922) ; « Jeunes Filles en uniforme » de Léontine Sagan (Allemagne, 1931) ; « Olivia » de Jacqueline Aubry (France, 1950) ; « La Pointe courte » d'Agnès Varda (France, 1954) ; « Cléo de 5 à 7 » d'Agnès Varda (France, 1961) ; « Les petites marguerites » de Vìra Chytilová (République Tchèque, 1966) ; « Saute ma ville » de Chantal Akerman (Belgique, 1968) ; « Flickorna » de Mai Zetterling (Suède, 1968) ; « La Fiancée du pirate » de Nelly Kaplan (France, 1969) ; « Portier de nuit » de Liliana Cavani (Italie, 1973) ; « Lettre paysanne » de Safi Faye (Sénégal, 1975) ; « Mais qu'est-ce qu'elles veulent » de Coline Serreau (France, 1975) ; « Une vraie jeune fille » de Catherine Breillat (France, 1976) ; « L'Amour violé » de Yannick Bellon (France, 1978) ; « Les Soeurs » de Margarethe von Trotta (Allemagne, 1979) ; « Allemagne mère blafarde » de Helma Sanders-Brahms (Allemagne, 1979) ; « L'Adolescente sucre d'amour » de Jocelyne Saab (Liban, 1982) ; « Rue Cases-nègres » de Euzhan Palcy (France, 1983) ; « Trois hommes et un couffin » de Coline Serreau (France, 1985) ; « Anne Trister » de Léa Pool (Canada, 1986) ; « Chocolat » de Claire Denis (France, 1988) ; « Le Syndrome asthénique » de Kira Mouratova (Russie, 1989).
Enfin, que faire pour faire avancer la cause des femmes cinéastes ?
Le but de notre festival est de provoquer une prise de conscience des inégalités et de porter une revendication d'égalité, de reconnaissance et de visibilité. On nous soupçonne parfois de « ghettoïser » les femmes, mais c'est l'inverse ! Le milieu artistique fonctionne comme un réseau d'influences et de cooptations, dont les accès sont très fermés aux femmes - et à certaines classes sociales ou culturelles également - surtout en ce qui concerne les moyens de production et de diffusion. Ce phénomène, connu dans de nombreuses professions (la culture, la politique, l'économie, les sciences, la recherche...), s'appelle le machisme. Il y a donc clairement une guerre des places entre hommes et femmes depuis le développement de l'éducation des femmes, et le retard pris par ces dernières - en partie dû aux traditions - ne peut être comblé que par une volonté politique de discrimination positive. Autrement dit, il faut réserver des quotas de place pour les femmes, afin d'impulser un changement dans la répartition des rôles dans nos sociétés. Le festival est donc un lieu de soutien à de nouvelles générations de réalisatrices pour les promouvoir, et non une volonté de les isoler dans un « ghetto ». Bien au contraire, la volonté est de faire envie et de provoquer l'admiration de leur travail, de leur audace, de leur talent.
Aujourd'hui, après 35 ans d'exploration et de recensement des femmes réalisatrices du monde entier, le festival pose un constat parfois un peu amer face à une profession qui bouge si peu : pourquoi si peu de femmes dans les sélections des grands festivals ? Pourquoi un tel aveuglement devant leurs oeuvres et leurs entreprises ? Quels sont les leviers pour changer cet état de choses ? Comment ouvrir les regards ?
En conclusion, je voudrais dire qu'après toutes ces années, je suis à la fois émue et fière de pouvoir dire que le cinéma que nous aimons résiste à l'emprise économique, qu'il rencontre son public et que le cinéma des femmes se déploie durablement, malgré les hauts et les bas de son histoire.
Quand on suit le raisonnement sur le masculin et le féminin de Françoise Héritier, l'une des plus grandes femmes anthropologues avec Germaine Tillon, on ne peut que constater que la trace de la hiérarchisation des rôles entre hommes et femmes remonte à la nuit des temps et perdure aujourd'hui.
Parmi les dispositifs à mettre en oeuvre, je vous en livre quelques-uns :
- réhabiliter les réalisatrices oubliées ;
- produire des anthologies et dictionnaires de réalisatrices ;
- promouvoir des études sur l'histoire des femmes cinéastes ;
- inciter à des recherches sur leur écriture (Master, thèse etc...) ;
- soutenir les initiatives nouvelles en direction des femmes cinéastes pour améliorer la parité professionnelle et leur accès à des budgets importants ;
- encourager les publics à découvrir les films des réalisatrices, notamment en améliorant leur diffusion ;
- inciter les grands festivals, comme celui de Cannes, à plus d'équilibre dans leurs programmes.
Il serait juste, à cet égard, que de grands festivals internationaux acceptent d'introduire dans leur compétition une vraie représentation des réalisatrices : une demie Palme d'or à Cannes en 1993, pour Jane Campion, en 65 ans c'est terrible ! Et donc que les comités de sélection soient mixtes et que la direction en soit confiée aussi souvent que possible à une femme.
Quant à mon parcours personnel, je suis satisfaite de mon itinéraire professionnel qui m'a conduite à inventer, avec Elisabeth Tréhard, cofondatrice du festival, puis à diriger un tel projet culturel et artistique après un parcours d'enseignante dans l'éducation nationale. A une époque où la notion de « plafond de verre » existait sans être vraiment identifiée, il pouvait se passer beaucoup de temps avant qu'on puisse choisir sa voie, sa profession. Être légitime dans une place de créatrice devient un enjeu identitaire, comme l'a montré une enquête de Reine Prat sur la place des femmes dans des postes de direction des équipements culturels.
Ce projet de festival a été mon choix. Cette manifestation, créée avec Elisabeth Tréhard, est pour moi tout à la fois une école de vie, de solidarité et d'excellence artistique et humaine. Elle porte très haut le rôle de l'image et de son pouvoir d'émancipation, de libération et aussi de subversion. Face au langage de l'image, nous sommes nombreuses à être des autodidactes et les femmes ont eu à se faire une place dans ce milieu. Aujourd'hui il faut consolider leur place et aller encore plus loin dans les instances de décision.
Pour ces années de travail et de soutien, j'adresse un grand merci aux différentes équipes du festival, en particulier à notre présidente, Ghaïss Jasser, et de grands encouragements aux jeunes femmes qui ont décidé de pousser encore plus loin la reconnaissance de leurs compétences : je pense à l'association « Le Deuxième regard », par exemple, et à bien d'autres projets à venir.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie pour cet exposé très complet qui nous sera très utile dans nos travaux. Nous partageons nombre de vos constats, notamment sur la nécessité de rendre visible l'inégalité entre hommes et femmes. Il faut porter les exigences d'égalité et les traduire en moyens, en dispositifs. Vous en avez cité un certain nombre.
La Délégation a une vision assez pessimiste de la situation. Au début de votre exposé, vous évoquez un futur plein de promesses, mais vous semblez vous étonner de ce que ces films rencontrent un public. N'est-ce pas parce qu'ils rencontrent des aspirations de transformation et de démocratie ? L'égalité hommes/femmes est une question profonde de démocratie. Nommer les choses, c'est déjà provoquer leur évolution.
La notion de modèle est donc essentielle et première.
L'ampleur des difficultés dans le champ « Femmes et culture » nous est apparu lors d'un précédent rapport sur les inégalités « Femmes et travail », alors que l'on aurait pu penser que le domaine de la culture échappait à ces inégalités.
J'aurais une question complémentaire : pourquoi avez-vous quitté les Hauts-de-Seine pour Créteil ?
Mme Jackie Buet. - A cause du succès du festival !
A Sceaux, nous ne disposions que d'une salle unique qui ne permettait pas d'accueillir tout le public. Le festival avait suscité un engouement chez les spectatrices qui trouvaient enfin des personnages auxquels elles pouvaient s'identifier. Nous faisions partie d'une génération qui commençait à trouver qu'on lui racontait un peu trop d'histoires de cowboys se baladant sur des chevaux.
Quand nous avons rencontré le succès, nous avons cherché un hébergement plus vaste. C'est la ville de Créteil et sa maison des Arts qui nous ont accueillis, puis le département du Val-de-Marne.
Mme Laurence Cohen. - Je suis sénatrice du Val-de-Marne et connais bien votre festival. Je vous remercie pour votre exposé.
Vous avez analysé de manière fine la situation des réalisatrices. Même nous qui sommes des féministes convaincues, nous ne les connaissons pas toutes. L'idéologie qui s'exerce à l'encontre des femmes, en considérant qu'elles n'ont pas compté, s'appuie sur le fait qu'elles ne sont pas connues, que ce soit dans le domaine du cinéma, des arts ou la peinture. C'est une contre-vérité. Il était très important que vous les nommiez afin de leur restituer leur place dans l'histoire.
La façon dont vous analysez le cinéma des femmes en parallèle avec le regard des opprimés est également intéressante. La richesse de ce cinéma nécessite qu'on réfléchisse à l'éducation du regard, de l'esprit critique face à l'image. Les ateliers mixtes que vous avez évoqués contribuent à cette éducation, ce qui m'amène à vous demander si le festival s'intéresse également au très jeune public.
Mme Jackie Buet. - Nous n'intervenons pas au niveau de l'enseignement primaire mais à celui du collège. Dans les classes de 6ème et de 5ème, nous avons des ateliers de lecture de l'image, réalisés en concertation systématique avec les enseignants. L'image est une langue qui peut nous conditionner, nous induire en erreur. Il faut donc en avoir conscience et apprendre cette langue. Nous proposons également des stages pour les enseignants. Nous avons organisé cette année un atelier « Genre et cinéma ». Les enseignants ont été ravis de comprendre comment on construisait une identité à l'écran.
Nous travaillons également dans les quartiers de Créteil. Nous nous déplaçons auprès des femmes qui, pour des raisons culturelles, ne viennent pas naturellement vers les maisons de la culture. Nous déplaçons les films vers les quartiers.
Nous avons également une unité qui intervient auprès des femmes de la prison de Fresnes.
Mme Laurence Cohen. - L'apprentissage de l'esprit critique face à l'image est un sujet important.
De nombreuses expériences ont été tentées dans le Val-de-Marne. Je pense notamment aux écrans documentaires. Le fait que le festival ait lieu dans ce département est important. Il faut souligner l'implication des personnalités du département, parmi lesquelles les élus - mais pas seulement eux - qui peut expliquer la rencontre du festival avec son public.
Mais cette rencontre est partielle, il est nécessaire de passer à une nouvelle étape, avec une intervention forte de l'État. Nous attendons avec impatience que les déclarations de la ministre du droit des femmes, porte-parole du Gouvernement, Mme Vallaud-Belkacem, se concrétisent. Notre rôle de sénatrices et de sénateurs est de favoriser l'évolution de ce dossier. L'égalité avance, il y a des progrès, une prise de conscience, mais que les pas sont petits !
Mme Jackie Buet. - Le festival fête cette année ses 35 ans. Nous constatons l'affirmation d'une volonté politique concrète. Il faut une accélération du processus.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur le financement et le fonctionnement de votre festival ?
Mme Jackie Buet. - Notre association est financée par l'État et les collectivités territoriales : la ville de Créteil, le département et la région. L'État intervient par l'intermédiaire du Centre national du cinéma et du ministère du droit des femmes.
Nous bénéficions également du soutien ponctuel d'organismes, comme l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), s'occupant de la politique des quartiers dans le cadre de la politique de la ville.
Grâce à notre partenariat avec l'INA - qui n'est pas un partenariat financier - nous avons pu procéder à la numérisation de nos archives, déposées à l'INAthèque de France, département de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Nous leur avons confié 300 films et 350 portraits de réalisatrices que nous avons filmés nous-mêmes.
Nous agissons également, sur le terrain, auprès des publics défavorisés.
Les journalistes et la presse connaissent très mal la liste des réalisatrices et leur travail. Les médias ont eu aussi besoin d'une remise à plat de leur grille de lecture.
Mme Laurence Cohen. - Je partage votre inquiétude sur le faible nombre de femmes réalisatrices dans les festivals, et pas seulement à Cannes. Je ne sais comment nous pourrions favoriser leur présence. Je constate également qu'elles sont largement absentes dans les magazines spécialisés.
Mme Jackie Buet. - Il y a 20 % de réalisatrices en France et 5 % aux États-Unis. De manière paradoxale, alors que les réalisatrices sont peu nombreuses dans ce pays, de nombreuses études universitaires leur sont consacrées.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Madame, je vous remercie.
Femmes et culture - Audition de Mme Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe »
La délégation procède ensuite à l'audition de Mme Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - J'ai le plaisir d'accueillir Mme Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe ».
Les auditions que nous menons, depuis six mois bientôt, sur le thème de la place des femmes dans la culture ont révélé aux membres de notre délégation l'ampleur des inégalités et des verrous existants dans le secteur culturel, en particulier parmi les professionnels du spectacle vivant.
Milieu « archaïque », refermé sur lui-même, corporatiste, masculino-centré, pour reprendre les mots de nos différents interlocuteurs, ce secteur semble, dans son fonctionnement comme dans sa composition, ne pas évoluer ni chercher à le faire depuis une dizaine d'années.
C'est pourquoi nous considérons l'audition du Collectif « La Barbe », que vous représentez aujourd'hui, comme particulièrement nécessaire pour réveiller la profession et alerter l'opinion publique.
Peut-être pourriez-vous nous présenter rapidement la naissance, le fonctionnement et les méthodes de ce collectif, avant de nous aider dans notre réflexion sur les moyens de faire évoluer les choses ?
Au-delà de l'alerte, quels sont les leviers dont nous pourrions disposer pour donner aux femmes la visibilité qu'elles méritent, tant aux postes de direction qu'en tant qu'artistes ?
Mme Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe ». - Au nom du Collectif « La Barbe », nous vous adressons nos remerciements pour votre invitation, qui fait suite à celle du CSA, puis celle du ministère des droits des femmes il y a quelques semaines. Toutefois, c'est après un long débat interne et avec le sentiment d'une situation paradoxale que « La Barbe » a finalement accepté d'incarner une parole en ce lieu. En effet, historiquement, l'activisme de terrain observe à distance la lutte de négociation et « La Barbe » n'y fait pas exception. De plus, le postiche que nous arborons lors de nos actions - la barbe soyeuse qui nous couvre le visage - nous garantit également un anonymat qui nous permet de faire entendre notre voix, et désamorce toute accusation de collusion d'intérêt. La notion de porte-parole n'existe pas au sein de notre collectif, où chacune s'exprime pour elle-même : pour autant je n'interviens pas non plus totalement en mon nom propre, même si mon expérience n'est pas étrangère à ma présence ce matin. Il s'agira pour moi, ici, de parler en tant que citoyenne, en tant que témoin, agissant comme un révélateur, un miroir. Un choeur de citoyennes mettant en lumière, en voix, l'invisibilité des femmes à tout poste de responsabilité symbolique (chef d'orchestre, plasticienne, metteuse en scène, directrice d'institution culturelle...), qui est aussi l'invisibilité de leurs différences salariales et du poids des stéréotypes qui mènent hommes et femmes sur les traces de leurs pairs et de leurs pères.
Je voudrais souligner l'état paradoxal dans lequel se trouve la prise de parole des femmes qui doivent s'efforcer de ne pas passer pour des intrigantes dès lors qu'elles demandent simplement la parole au nom de l'égalité.
« La Barbe » est un collectif d'action féministe né en 2008, à la suite de la campagne présidentielle de 2007. Nombre de féministes avaient été effarées par les propos particulièrement sexistes tenus à l'égard de Ségolène Royal. Elles avaient considéré qu'il y avait quelque chose à faire autour de l'invisibilité des femmes dans les lieux de pouvoir. Notre collectif est né de cette réflexion.
Plutôt que de se focaliser sur les femmes, « La Barbe » a décidé de mettre au jour l'omniprésence symbolique des hommes dans tous les lieux de pouvoirs. Ainsi, les activistes de « La Barbe » interviennent dans les instances de pouvoir sans y avoir été invitées, masquées par de fausses barbes, afin de féliciter les « grands hommes » réunis entre eux. Par un effet miroir, nous pastichons le jeu de ces acteurs du pouvoir. Il s'agit de mettre en lumière, par la confusion des genres, l'omniprésence des hommes. Nous ne sommes pas forcément bien reçues !
Le collectif est lié aux théories du genre.
Nous sommes un mouvement non-violent. Notre action repose sur l'humour et l'ironie.
En cinq années d'activité, le groupe parisien de « La Barbe » a mené environ cent-cinquante actions. « La Barbe » a étendu son poil dans différentes régions françaises, dans le nord de la France, dans l'ouest autour de Nantes, Lyon et Toulouse, ainsi qu'au niveau international (Copenhague, Australie, Mexique (« Las Bigotonas »).
« La Barbe » intervient dans tous les secteurs de pouvoir réel et symbolique : le monde économique, la finance, les médias, la défense, les arts et la culture.
Nous intervenons dans les colloques, les « Think Tanks ». Hier, nous sommes intervenues à Amsterdam, chez EADS. Nous constatons que, dès lors que l'on parle d'avenir, il n'y a que des hommes autour de la table.
Nous intervenons dans tous les partis, en dehors du Front national, non parce qu'il est dirigé par une femme mais en raison des valeurs qu'il défend.
Mme Michelle Meunier. - Votre collectif est déjà intervenu à Nantes. Vous vous appuyez sur des relations, des amis, pour des opérations de repérages et vous êtes contactées pour intervenir dans tel lieu, tel colloque, lorsque seuls des hommes sont pressentis.
Mme Sophie Hutin. - Nos membres sont issues du monde de la culture et des médias. De nombreuses personnes nous écrivent pour nous signaler des cibles. Si nous le voulions, nous aurions matière à intervenir tous les jours ! Nous pouvons également revenir au même endroit d'une année sur l'autre.
« La Barbe » est, en revanche, peu intervenue dans le monde de l'édition, de l'architecture où il y aurait sans doute beaucoup de choses à faire.
Alors même que le public culturel est encore largement féminin, la création artistique, la direction de ses lieux de production et de diffusion ainsi que ses instances de légitimation (concours, prix, rétrospectives) restent majoritairement masculines en France. Nous n'intervenons d'ailleurs que lorsque la proportion de femmes descend en dessous de 30 % et que la situation devient proprement scandaleuse, et que cette proportion tombe entre 0 et 10 %.
Rappelons que les femmes représentent 51 % de la population, et donc 51 % des talents potentiels à même d'enrichir notre sens de la beauté, notre imaginaire et notre réflexion.
La recherche de chiffres nous a permis d'être légitimes et de rendre visibles nos revendications.
L'incitation seule ne suffira pas pour faire évoluer cette inégalité. Il faut une politique de sanction financière, liée à l'argent public.
A « La Barbe », nous questionnons l'inconscient collectif dans les lieux de pouvoir, dès que la notion de talent, de génie est mise en avant. C'est cette qualité qui sert à mettre en scène l'invisibilité des femmes dans la création. Dans le même temps, elles sont surexposées en tant que corps archi-sexué, à travers les modèles, les actrices.
Et cette création, androcentrée, prétend incarner l'universel ! Je relève les propos de Noël Burch et Geneviève Sellier dans « Le Cinéma au prisme des rapports de sexes » : « Au lieu d'élever le cinéma vers le monde pur des idées, on l'abaisserait vers le monde impur des rapports sociaux de sexe, duquel la création artistique devrait se soustraire, en tout cas dans la tradition culturelle française où l'art autant que la politique sont censés relever d'une universalité qui prétend transcender la différence des sexes, au profit d'une masculinité qui s'érige en norme neutre de l'humain ». On constate un basculement du masculin vers l'universel, que reflète également la grammaire.
Ce sont des représentations très ancrées que seules des sanctions financières seront à même de faire évoluer. Je remarque au passage que même des grands hommes de culture n'hésitent pas à faire preuve de misogynie lors des vernissages, des jurys de sélection... alors qu'ils sont supposés avoir un rapport plus ouvert à l'égalité.
Ce passage du masculin à l'universel a trois conséquences : une influence directe sur l'accès des moyens de production, c'est-à-dire sur l'allocation des ressources ; une influence sur la reconnaissance, via les distinctions du type prix et fonction de direction ; une influence sur la place et l'image de la femme dans les créations et le façonnage des représentations collectives. C'est aussi le passage à l'histoire et à la mémoire, les femmes faisant systématiquement l'objet de thèses ou de livres. Tout ceci forme un système clos.
Thierry Frémaux a affirmé que les festivals intervenaient en bout de chaîne et ne pouvaient être tenus comme responsables d'un « manque » de femmes. A « La Barbe », nous considérons que les festivals sont un des maillons d'un système qui tourne en boucle et qu'ils ont donc leur part de responsabilité.
Certes, on constate des avancées dans la formation dispensée au sein des écoles d'art, mais la difficulté surgit dans la suite du parcours des étudiantes.
Nous avons également remarqué que les femmes sont beaucoup plus présentes que les hommes dans les pratiques artistiques en amateur. De manière paradoxale, on prétend expliquer l'absence des femmes dans le milieu professionnel par le fait qu'elles disposeraient de moins de temps que les hommes : mais, curieusement, elles trouvent le temps de s'exprimer par un autre circuit !
Il me semble important de distinguer le genre de la création et le fait de qualifier la création comme « genrée ». La notion de « bande dessinée féminine » est pour nous une classification presque insupportable. La question est de donner des noms aux créateurs et de reconnaitre que les femmes créent, pas de les qualifier en tant que créatrices féminines.
Dans la suite de mon propos, je vais brosser un constat genré de trois secteurs culturels qui font l'objet d'une attention toute particulière de la part du collectif « La Barbe » : les arts plastiques et visuels, le spectacle vivant, le secteur du cinéma et de l'audiovisuel avant de formuler des propositions pour améliorer la situation des femmes.
Si les étudiantes sont majoritaires à 61 % dans les cursus de formation aux arts plastiques et visuels, les bourses au mérite leur sont distribuées avec parcimonie.
Un mémoire de 2008 d'une « barbue », Sophie Faÿ, montre que l'achat de leurs oeuvres est réduite à la portion congrue ; cela vaut tant pour l'État qui, en 2004, n'a acquis que 54 oeuvres d'artistes femmes sur les 1 052 soit 5 %, que pour les fonds régionaux d'action culturelle (FRAC) dont les collections en 2007 ne comportent que 11,5 % de créations d'artistes femmes, constat encore aggravé si l'on considère que les femmes y représentent 21 % des artistes ; un FRAC acquiert en moyenne 14 oeuvres auprès d'un artiste masculin contre seulement 7 auprès d'une artiste féminine, soit 50 % de moins ; un rapport identique a été observé en inventoriant en 2000 les collections du Musée national d'art moderne du centre Georges Pompidou ; pour finir de noircir ce tableau, ajoutons que le prix moyen d'achat d'une oeuvre de femme est deux fois moindre que celui d'une création masculine.
Le secteur du spectacle vivant bénéficie des constats et préconisations des rapports commandés à Reine Prat par le ministère de la Culture et de la Communication. Si le secteur de la danse peut sembler féminisé, les représentations y demeurent genrées, tant au niveau des costumes que des postures.
Reine Prat note que les metteuses en scène produisent 15 % des spectacles des centres dramatiques nationaux alors même qu'elles ne bénéficient que de 8 % des moyens, contraste qui traduit certes leur dynamisme mais révèle aussi une inégale allocation des financements publics, principalement attribués à des metteurs en scène dont les spectacles offrent encore les rôles principaux majoritairement aux hommes, 67 %, contrastant avec un public des théâtres, lui principalement féminin, qui contribue ainsi, en s'acquittant du prix de leur place, à pérenniser cet état de fait. Pour y remédier, ne faudrait-il pas instituer des quotas de metteuses en scène dans les centres dramatiques nationaux et les scènes nationales à l'instar du quota de candidats masculins aux concours d'entrée aux écoles de théâtre et de cinéma ?
Les femmes subissent aussi un double préjugé d'incompétence et d'illégitimité : leurs projets font l'objet d'un examen beaucoup plus pointilleux que ceux de leurs homologues masculins, et la pugnacité dont elles font preuve pour le défendre est facilement taxée d'hystérie ; on les soupçonne en outre de « créer pour les femmes », ce qui revient à nier leur capacité à accéder à l'universel ; enfin, et notamment à l'Opéra, on doute de leur capacité à gérer un budget.
Les femmes pâtissent aussi d'un manque de reconnaissance, notamment au festival d'Avignon : elles sont nombreuses à y participer, mais une seule metteuse en scène, Ariane Mnouchkine, a été jouée sur la scène du Palais des Papes dans toute l'histoire de ce festival ; elles sont également moins bien introduites dans les réseaux qui structurent le monde du spectacle vivant et qui privilégient la nuit et un certain monde de la fête.
J'avancerai quelques propositions pour essayer de remédier à cette situation : tout d'abord, établir des statistiques genrées des rémunérations, complément essentiel au rapport de Reine Prat ; généraliser les auditions à l'aveugle en musique ainsi que l'utilisation de « short-lists » paritaires pour l'examen des candidatures à des postes de direction ; instaurer un examen anonyme des projets d'aide à la production, à l'écriture ou à la diffusion, au moins pour les premières demandes ; mais aussi étendre le test de Bechdel aux textes de spectacles théâtraux lorsque ceux-ci sollicitent des aides à la production ou à la diffusion. Ce test est déjà utilisé pour évaluer la présence féminine dans un film en répondant à trois questions simples :
- y-a-t-il au moins deux personnages féminins portant des noms ?
- ces deux femmes se parlent-elles ?
- leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu'un personnage masculin ?
Ce test pourrait être utilisé tant par les jurys de cinéma que lors de l'instruction de dossiers de demande de subvention pour des spectacles théâtraux.
Afin d'établir un état des lieux dans le secteur du cinéma et de l'audiovisuel mettant notamment en lumière l'allocation des dotations de l'État, des collectivités territoriales, voire de l'Union Européenne, un rapport équivalent à celui de Reine Prat a été commandé au Centre national du cinéma (CNC) par Mme la Ministre Najat Vallaud-Belkacem. Ce rapport doit être exhaustif et s'intéresser tant aux parcours individuels de carrière, aux rémunérations, aux cursus de formation et aux écoles, qu'au dénombrement des projets demandant des aides à la production et aux critères et modes d'attribution des subventions.
En 2011, seuls 26 films sur les 135 soutenus par le CNC ont été réalisés par des femmes, soit 19 %, ainsi que seulement 5 % des films d'un budget de plus de 5,5 millions d'euros, ce qui traduit une quasi-exclusion des femmes des films à gros budget. Il faut donc prendre des mesures pour permettre à des réalisatrices d'accéder au financement de leur film, telles que l'instauration de la parité dans les jurys d'attribution des subventions et des aides, la mise en place d'un quota de films de réalisatrices aidés, l'instauration de l'anonymat lors de la sélection des premiers projets : c'est ce qui est déjà pratiqué par le fonds à l'innovation audiovisuelle, permettant d'atteindre une quasi-égalité dans les projets soutenus ; en matière de financement, la question essentielle n'est pas tant d'obtenir une stricte parité que de permettre que toutes les personnes qui ont envie de présenter un dossier puissent le faire et qu'elles soient jugées sur leur seul talent.
La difficulté du financement du second film se pose aussi avec acuité et, par conséquent, la difficulté pour une réalisatrice de faire carrière et d'entrer dans l'histoire ; en témoigne, au sein de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), le très petit nombre de sociétaires femmes, les sociétaires étant choisis en fonction de la diffusion de leurs oeuvres, alors que les adhérentes y sont majoritaires.
Les festivals, lieux privilégiés de reconnaissance par les pairs, sont le couronnement d'un système d'exclusion des femmes, notamment le Festival de Cannes, n'en déplaise à son directeur général, Thierry Frémaux, qui a affirmé que puisque les festivals interviennent en bout de chaîne ils ne peuvent être tenus pour responsables du peu de femmes qui y sont représentées. Le collectif « la Barbe » a dénoncé en 2012 cette absence totale de femmes. Depuis la création en 1946 du Festival de Cannes, 97% des films sélectionnés ont été réalisés par des hommes - 95% depuis 1980 - une seule Palme d'or a été attribuée à une femme, Jane Campion en 1993, pour « La leçon de piano », et encore était-elle ex-aequo avec un réalisateur, Chen Kaige pour « Adieu ma concubine ».
Or, en 2011, rien qu'en France, 26 films ont été réalisés par des femmes. Leur absence au palmarès est donc incompréhensible et révèle une volonté d'exclusion qui confine au déni. Aussi, nous semble-t-il vraiment indispensable de communiquer la composition des comités de sélection des festivals et d'affiner l'examen de la parité au sein des jurys d'attribution des prix puisque, même lorsque le jury est globalement presque paritaire, à Cannes notamment, ce n'est pas la même chose d'y intervenir en tant qu'actrice ou en tant que réalisatrice.
Enfin, lors du dernier festival de Cannes, de nombreuses voix se sont élevées contre le sexisme des déclarations de François Ozon ou de Roman Polanski. On y retrouve la conception suivant laquelle il reviendrait aux réalisateurs de former la « matière morte » que constituent les actrices pour les sublimer et les rendre magnifiques, à grand renfort de scènes de prostitution, de viol ou de saphisme qui sont des grands classiques de la fantasmagorie masculine ; ce cinéma masculin doit cesser de prétendre à l'universel et laisser enfin une place à l'imaginaire issu des rêveries et des réflexions de femmes.
Les critiques d'art, l'Université et l'enseignement de l'histoire de l'art sont largement responsables de l'effacement des artistes femmes et de leur « matrimoine » de l'histoire, effacement qui intervient parfois en moins de 25 ans ; qui sait aujourd'hui qu'une femme, Alice Guy a créé la fonction de metteur en scène et que les réalisatrices furent très actives dans la première moitié du XXème siècle ? Personne ! Pour remédier à cette absence des femmes dans les catalogues, les revues d'art, les livres scientifiques, les sujets de thèse, de mémoire - puisque les chercheurs sont censés être indépendants - il faut engager un travail portant sur le choix des noms de rue, l'archivage des oeuvres, les ressources des bibliothèques et la formation initiale des enseignants et de la constitution des programmes scolaires.
Si « la Barbe » s'intéresse plus aux mécanismes de la domination, il nous semble néanmoins que le vieux discours sur l'autocensure des femmes est considérablement à nuancer au vu du vivier d'artistes femmes qui reçoivent une formation de qualité ; mais presqu'aucune femme artiste ne voudra reconnaître qu'elle a été victime de machisme ; celles-ci auront plutôt tendance à introduire leur discours en disant qu'elle n'en ont pas été victime, comme pour se dédouaner de toute forme d'intrigues de pouvoir ; il ne faut donc pas s'attendre à trouver systématiquement des alliées chez les femmes artistes, d'autant qu'elles craignent aussi d'être cataloguées comme faisant du « cinéma de femme », de la « bande dessinée de femmes », du « théâtre de femmes » ; c'est donc bien à la société civile de s'emparer de ce sujet pour en faire un enjeu d'égalité et non une simple revendication corporatiste.
Pour conclure, « la Barbe » préconise la réalisation d'études genrées détaillées, mettant à jour les flux de moyens financiers, dans la production ou les rémunérations, dans chaque secteur de la culture ; seules de telles études peuvent combattre la résistance des hommes de culture qui maîtrisent le canal de la parole médiatique ; elles permettront, par des données chiffrées incontestables, de répondre aux conceptions encore très prégnantes sur la nature des femmes, leur comportement et leur ressenti.
Pour promouvoir une meilleure égalité entre les hommes et les femmes, je citerai aussi : l'instauration de « short-lists » paritaires pour les nominations à des postes sensibles ; l'anonymat dans la sélection des premiers projets ; la composition de jurys de sélection et d'attribution paritaires dans leur genre et leurs fonctions ; l'écriture épicène des textes ; l'extension éventuelle du test de Bechdel aux textes de théâtre, voire même son application par les jurys d'attribution de subventions aux films ; la réhabilitation des femmes et des artistes oubliées et la sensibilisation de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les écoles.
Pour toutes les structures bénéficiant de fonds publics, il faut aller d'une obligation de moyens vers une obligation de résultats avec menace de sanctions financières et ne pas se cantonner aux déclarations d'intention afin que l'État non seulement favorise, mais aussi garantisse l'égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur de la culture.
Pour « la Barbe », demeure en suspens une question essentielle, celle de la lutte contre les représentations stéréotypées assimilant l'universel au masculin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie pour votre intervention qui, au-delà du constat, démontre la nécessité de remédier à cette quasi-invisibilité des femmes dans différents secteurs culturels, celles qui réussissent se plaçant dans une posture de déni des obstacles qu'elles ont dû affronter dans leur parcours professionnel. Il est aussi intéressant de constater que cette analyse de la place des femmes réalisée par le mouvement « la Barbe » conduit à formuler plus ou moins les mêmes préconisations que celles de praticiens de la culture que la délégation a pu auditionner.
Mme Laurence Cohen. - Votre propos était fort intéressant et complète nos auditions précédentes. Ils démontrent la nécessité d'intervenir pour promouvoir les femmes artistes et leurs créations, tant au théâtre qu'au cinéma, et notamment les réalisatrices. Leur absence dans les revues et les média, qui résulte de l'occultation de leur travail, vient alimenter la pensée dominante selon laquelle le faible nombre de femmes primées s'expliquerait par le peu de créatrices existantes.
Je n'ai pas constaté que la programmation de pièces de réalisatrices au Festival d'Avignon, où je me rends régulièrement, ait été significativement étoffée malgré la mise en place d'une codirection mixte.
Mme Sophie Hutin. - Le machisme n'est pas qu'une question d'homme mais aussi une façon de penser, une question de langage.
Mme Laurence Cohen. - Une question de langage, certes mais aussi de regard, ce qui me conduit à aborder la question du financement des projets culturels, qu'en tant qu'élus nous examinons de plus en plus avec un souci de promouvoir la parité. Peut-être faut-il songer à la mise en place de mesures plus incitatives, à l'image de celles que l'on envisage actuellement de renforcer pour faire avancer la parité politique.
Mme Michelle Meunier. - D'aucuns, sans doute gênés par l'image que vous leur renvoyez, dénigrent volontiers les actions du mouvement « la Barbe » lors de colloques, de symposiums ou d'assemblées générales de partis politiques, comme j'ai pu le constater lors d'une manifestation du collectif « La Barbe de l'ouest » en 2008, organisée avec la complicité d'une « barbue » nantaise, Sophie Faÿ, et la bienveillance du président du conseil général de Loire-Atlantique. Vos propos constructifs, sources de réflexion pour notre délégation, me paraissent bien confirmer l'intérêt des actions menées par votre collectif pour faire avancer la cause des femmes.
Mme Sophie Hutin. - L'équilibre financier des festivals reste précaire et largement tributaire des subventions publiques : les mesures favorisant la parité sont utiles, mais ne doivent pas risquer de menacer leur existence.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Madame, je vous remercie de votre intervention. Il faut peut-être plutôt réfléchir à des subventions positives pour les centres qui mobilisent la créativité féminine.
Questions diverses
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous avons désigné notre collègue Françoise Laborde rapporteure de notre délégation sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche dont nous allons être saisis par la commission de la Culture.
Pour être en mesure de présenter nos recommandations devant la commission de la Culture, le mercredi 12 juin dans la matinée, notre rapporteure devra nous soumettre pour examen son rapport la veille en fin d'après-midi, le mardi 11 juin à 17 heures.
Ça n'est pas une très bonne date, car à ce moment-là le Sénat débattra en séance publique du bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (la loi LRU).
Mais le calendrier d'examen du projet de loi ne nous laisse malheureusement guère le choix.
Je devrai participer, au nom de mon groupe, au débat en séance publique et j'ai proposé à Christiane Demontès, vice-présidente de notre délégation de me suppléer.
Le cabinet de la ministre des droits des femmes m'annonce par ailleurs le prochain dépôt du projet de loi relatif aux droits des femmes qui pourrait venir en discussion en première lecture au Sénat dans les premiers jours de la session extraordinaire de septembre.
Je vous proposerai donc, sans attendre que le texte soit déposé, de désigner très prochainement notre rapporteur pour lui permettre de commencer rapidement ses travaux.
Mme Michelle Meunier. - C'est un calendrier qui va s'avérer difficile.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Oui, d'autant plus qu'il devrait concerner, outre notre délégation, plusieurs commissions, qu'en outre nous devrons auditionner à peu de choses près les mêmes personnes et que celles-ci ne seront pas nécessairement faciles à joindre au mois de juillet.
Mme Laurence Cohen. - C'est dommage qu'un texte que l'on attend depuis si longtemps soit examiné dans les conditions pareilles !
Mme Michelle Meunier. - Il devait, initialement, passer en Conseil des ministres au mois de mai, mais il a été retardé d'un bon mois. Faut-il, pour autant, le discuter dès le mois de septembre ? N'aurait-on pu se laisser un peu plus de temps pour permettre au Parlement de l'examiner ?
Mme Laurence Cohen. - Ce calendrier n'est pas de nature à garantir à ce texte une bonne visibilité. Pourriez-vous vous faire l'interprète de nos inquiétudes ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je ne suis pas sûre que l'on puisse modifier ce calendrier, mais si vous le souhaitez, je me ferai votre interprète et je tenterai une démarche en ce sens auprès du Gouvernement.