Mardi 18 juin 2013
- Présidence de Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure -Audition de M. Frédéric Guin, secrétaire général du ministère de l'Éducation nationale et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir répondu positivement à notre invitation à cette mission d'information commune présidée par Henri de Raincourt, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence aujourd'hui. Nous nous intéressons à la recherche hors de France en matière de développement, en particulier aux partenariats entre le Nord et le Sud auxquels cette recherche donne lieu.
Nous avons souhaité vous entendre sur les difficultés qui peuvent exister entre l'ouverture à la coopération scientifique et la nécessité de protéger notre potentiel scientifique et technique.
M. Frédéric Guin. - De nouvelles règles sont effectivement mises en place, nous sommes en phase de transition et nous ne disposons pas d'un recul très important.
La nouvelle règlementation répond du constat largement partagé de l'existence d'une menace réelle pesant sur nos activités scientifiques au sens large. Un recensement récent a établi cinq mille cas avérés d'atteintes au potentiel scientifique et technique en quatre ans, émanant de ressortissants de toutes nationalités et touchant très souvent des laboratoires de recherche. Nous devons donc assurer à la France et à ses laboratoires la protection nécessaire de savoirs qui, s'ils étaient détournés, pourraient nuire aux intérêts économiques, voire accentuer une menace terroriste ou nucléaire.
Ces risques ne sont pas théoriques mais bien réels dans le contexte général de la mondialisation, qui touche évidemment les activités de recherche. La menace est réelle, avérée, mais n'est pas toujours évaluée à son juste niveau, y compris par les scientifiques eux-mêmes.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pouvez-vous nous donner des exemples?
M. Frédéric Guin. - Je ne pourrais vous citer d'exemples précis d'atteintes, pour les raisons de confidentialité.
M. Frédéric Morinière, adjoint du haut fonctionnaire pour la sécurité et la défense du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Certains brevets se retrouvent déposés dans des pays d'où sont issus des stagiaires doctorants ayant travaillé sur les mêmes recherches en France. Le détournement de propriété intellectuelle profite au pays concerné ou à une entreprise créée autour du nouveau produit. Nous avons également déjà surpris des personnes récupérant des données directement sur les serveurs ou sur les postes informatiques de leurs professeurs. Nous avons la preuve que ces activités sont parfois organisées par des États.
M. Frédéric Guin. - Au-delà du rappel de l'existence d'une menace réelle, il faut également prendre conscience du fait que la protection contre cette menace est difficile à organiser, pour des raisons psychologiques et culturelles, mais également parce que les activités de recherche sont disséminées dans un très grand nombre de laboratoires, d'universités et d'établissements de recherche. La protection de tels sites est plus difficile à organiser que celle des sites militaires. Néanmoins, cette dissémination du risque a été prise en compte dans le dispositif mis en place à partir du décret de novembre 2011.
Les nouvelles modalités de la protection du potentiel scientifique et technique comprennent trois chapitres : la définition des secteurs protégés et de spécialités sensibles, dont la liste est centralisée auprès du Premier Ministre ; la création de zones protégées, les zones à régime restrictif (ZRR), où les infractions aux règles d'accès sont sanctionnées pénalement ; un contrôle a priori de tout projet de coopération avec les laboratoires étrangers.
Ces règles nouvelles, plus précises et contraignantes que les précédentes, exigent une compréhension et une certaine forme d'adhésion de la part des personnels de la recherche, ce qui implique une confiance dans le dispositif. Or, les avis donnés sur l'accès à une zone ou sur un projet de coopération n'ont pas à être motivés, ce qui peut engendrer des incompréhensions - et ce qui oblige à des efforts importants d'information et de pédagogie auprès des établissements de recherche.
Cette confiance résulte notamment de notre capacité à répondre dans des délais suffisamment brefs aux demandes d'avis. Pour l'accès à une ZRR, nous sommes tenus à un délai de deux mois : au-delà, l'avis est réputé favorable. C'est une soupape pour le dispositif, et une forte contrainte pour notre service, de même que le caractère impératif de notre avis est une garantie. Le dispositif est plus léger pour les projets de coopération, puisque le délai est de trois mois et que notre avis défavorable n'a pas de force contraignante.
Nous avons donc à réaliser un travail très important d'accompagnement pour mettre en place ces nouvelles règles. Certains des opérateurs fortement concernés, tels que l'INRIA, nous ont fait connaître leur souhait de retravailler le dispositif en concertation avec nous, pour essayer d'obtenir des formes d'assouplissement dans le cas d'avis défavorable.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pourquoi la liste des ZRR n'est-elle pas publique ?
M. Frédéric Guin. - Il n'est pas question de publier les endroits où nous entendons protéger des connaissances. Seuls les directeurs d'établissements ont donc une vue des lieux concernés.
M. Frédéric Morinière. - La publication donnerait une indication des zones dont les recherches ne doivent pas être rendues publiques. En revanche, des panneaux indiquent qu'il s'agit d'une zone protégée.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Cela a-t-il des conséquences sur les conventions de partenariat et la mobilité estudiantine ?
M. Frédéric Morinière. - Cela pourrait être le cas si des étudiants étrangers demandaient à travailler dans des laboratoires situés en ZRR sur des sujets intéressant la défense nationale, ou encore s'il existait une connaissance certaine de leur soumission à des structures étrangères.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les sciences humaines sont-elles concernées ?
M. Frédéric Morinière. - Non, seules les sciences « dures » sont concernées aujourd'hui, ce qui ne signifie pas que les sciences humaines n'auraient pas vocation ultérieure à être protégées.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Cela inclut-il les mathématiques ?
M. Frédéric Morinière. - Oui, les mathématiques sont concernées, au même titre que la chimie et l'informatique. La liste des secteurs protégés est fixée par arrêté.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Je suppose que cette liste est connue des responsables directement impactés.
M. Frédéric Morinière. - Oui.
M. Frédéric Guin. - La confidentialité d'un certain nombre de textes représente en soi un élément de complexité, au même titre que l'absence de communication sur les motivations d'un avis défavorable. Néanmoins, lors des échanges directs que nous avons avec les fonctionnaires des établissements, il est possible de leur donner des exemples de projets de coopération pouvant entraîner un avis défavorable.
Cette difficulté rend donc indispensable un contact rapproché avec les établissements. A mon sens, le dispositif ne fonctionnerait pas si nous n'avions pas ce dialogue de confiance avec les universités, et il est rendu possible par la nomination d'un Haut Fonctionnaire dédié à la sécurité, au sein même des établissements. Son rôle est essentiel car il est proche du terrain, et se trouve en lien direct avec les chercheurs pour leur donner les éléments d'explication nécessaires. Sans ce chaînon, les incompréhensions seraient bien plus grandes.
M. Frédéric Morinière. - Le porteur de projet peut donner oralement les explications nécessaires, sans entrer dans les détails. Nous avons intérêt à minimiser les ressentis négatifs et à augmenter l'acceptabilité de nos décisions.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les nouvelles règles ne représentent-elles pas une révolution culturelle pour les laboratoires de recherche ? Comment les chercheurs perçoivent-ils les nouvelles procédures ? Quels sont les recours possibles ?
M. Frédéric Guin. - Pour les anciens établissements à régime restrictif qui passent en ZRR, l'acculturation favorise l'adhésion. En revanche, dans le cas d'établissements non-initiés, la pédagogie est plus difficile à faire passer.
Des chercheurs peuvent craindre que les contrôles ne bloquent leurs recherches et c'est précisément notre rôle que de leur garantir le bien-fondé de la protection de notre potentiel scientifique et technique, de leur assurer que nos décisions ne sont pas arbitraires. Qui plus est, l'équipe de scientifiques donnant les avis sur les dossiers a été étoffée dans le sens d'une pluridisciplinarité, ce qui contribue à rassurer sur le caractère fondé des avis.
M. Frédéric Morinière. - Aujourd'hui, les avis concernent essentiellement les coopérations dans le cadre d'appels à projets. Dans ce cas, nos avis s'intègrent entre ceux du comité scientifique et du comité directeur. Notre but n'est évidemment pas de bloquer la recherche, mais bien de protéger les secteurs sensibles, en se focalisant sur certains dossiers.
M. Frédéric Guin. - Nous exerçons notre fonction dans le cadre de notre tutelle et nous devons trouver le bon réglage entre les exigences de la recherche et l'impératif de sécurité. Nous devons donc expliciter nos critères, sans nuire à l'objet même de la recherche et de la coopération. Ce réglage n'est pas évident, surtout que le dispositif est récent et qu'il suscite encore des interrogations. Il peut, par exemple, arriver que le projet d'accueil d'un doctorant reçoive un avis défavorable, alors que ce chercheur présentait un potentiel important et qu'il a aussitôt été inséré dans un laboratoire étranger. Les réactions d'incompréhension sont nombreuses, mais nous espérons les limiter dans les prochains mois et années, à la faveur de la montée en charge du régime.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Peut-on envisager la mise en place de ZRR dans les pays du Sud, à l'occasion de partenariats avec les laboratoires ?
M. Frédéric Morinière. - Les ZRR sont exclusivement sur le territoire national. A l'étranger, il ne peut s'agir que de coopérations, qui sont examinées en tant que telles par le haut fonctionnaire de sécurité et de défense.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les règles nouvelles sont-elles susceptibles de s'appliquer un jour aux sciences humaines ? Quelles conséquences sur la mobilité des chercheurs du Sud ?
M. Frédéric Morinière. - Il est possible que les sciences humaines soient concernées. Par exemple, une étude sur le comportement d'une foule après une explosion dans un espace public pourrait être exploitée par des groupes terroristes.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Sur la propriété intellectuelle, pouvez-vous développer ?
M. Frédéric Morinière. - De façon générale, le dispositif des ZRR participe aujourd'hui à la protection de la propriété intellectuelle, grâce à la sécurisation des connaissances.
M. Frédéric Guin. - La protection de la propriété intellectuelle est l'un des objectifs des règles nouvelles, qui placent l'ensemble des établissements sous un régime de protection plus rigoureux, sans distinguer de zones spécifiquement à protéger. La protection est donc diffuse et place l'ensemble de l'établissement à l'abri de la menace.
M. Frédéric Morinière. - Notre analyse des dossiers procède par l'examen des risques concernant le nucléaire, les armes de destruction massive, le terrorisme et les intérêts économiques. Cependant, les règles nouvelles pénalisent moins les pays du Sud que les pays plus développés et plus directement concurrents de la France.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Y a-t-il une articulation avec l'Europe ?
M. Frédéric Morinière. - La protection du potentiel scientifique et technique ne fait pas l'objet d'une coopération européenne.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quel impact sur les projets de coopération avec les pays du Sud ?
M. Frédéric Morinière. - C'est difficile à dire, car nous ne connaissons pas tous les projets en cours.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Un laboratoire omettant de solliciter un avis est-il sanctionné ?
M. Frédéric Morinière. - Nos moyens ne sont pas très étendus, et notre capacité d'audit et de contrôle encore assez faible. C'est pourquoi en dehors des gros projets, la non-sollicitation d'avis aurait peu de chances d'être repérée. En revanche, le non-respect d'un avis donné pourrait facilement attirer l'attention. Du reste, le droit actuel punit déjà l'atteinte à la défense et à la sécurité.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la perception des chercheurs.
M. Frédéric Morinière. - Je sensibilise les chercheurs non pas directement, mais par le relais de leurs établissements, ou par l'intermédiaire des présidents siégeant à la Conférence des Présidents d'Université. J'ai donc peu de contact direct avec eux et je n'ai pas fait d'enquête sur le sujet. Je perçois des réticences, des inquiétudes, mais pas de blocages.
M. Frédéric Guin. - Nous devons développer davantage les discussions directes avec les organismes et les laboratoires. Les réactions varient fortement selon les établissements, entre ceux qui ont une culture sécuritaire depuis longtemps, comme le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et le centre national d'études spatiales (CNES) et ceux qui découvrent l'existence même de règles protectrices. Un laboratoire universitaire intervenant dans un contexte libéral sur des champs de recherche théoriques, éprouve plus de difficultés à comprendre les impératifs de la sécurité que le CEA, qui de son côté a déjà mis en place un dispositif très rigoureux.
M. Frédéric Morinière. - Il s'agit de les convaincre que les incidents ne sont pas fictifs, et qu'il n'existe aucune exagération de la part des services de renseignements. Les chercheurs savent généralement que leur ordinateur et leur téléphone portable sont fouillés.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Messieurs, je vous remercie de votre présence.
Mercredi 19 juin 2013
- Présidence de M. Henri de Raincourt, président -Audition de M. Didier Houssin, président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES)
M. Henri de Raincourt, président. - Monsieur le Président, merci de votre présence. L'initiative de cette mission d'information revient à ma collègue, Mme Ango Ela, et aux membres de son groupe, qui ont souhaité examiner l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, ce qui est assez inusuel - et ce qui en fait une fort bonne initiative.
M. Didier Houssin. - L'AERES évalue les formations de l'enseignement supérieur, des unités de recherche et des établissements supérieurs de recherche ou des organismes de recherche - mais nous ne finançons pas la recherche pour le développement, ni ne la conduisons. Nous avons un rôle de levier, à travers la mécanique de l'évaluation.
La recherche pour le développement est pluridisciplinaire et finalisée. C'est une de ses caractéristiques, qui touche à de très nombreuses disciplines et qui est plutôt tournée vers un objectif précis plutôt que de nature fondamentale.
La recherche française pour le développement du Sud est-elle au service de ce développement, répond-elle aux besoins du Sud ? Comment procède-t-elle concrètement ? Quel est son impact sur la formation des futurs acteurs de ce développement ? Quel rôle y joue notre propre évaluation ?
Je vais tenter de répondre par l'exemple. J'ai regardé avant de venir trois évaluations que nous avons récemment conduites : celle d'une unité de recherche, que j'ai choisie au hasard - appelée interactions hôtes-vecteurs dans des maladies dues aux trypanosomatidae (Intertryp) -, celle de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et celle du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
Le projet scientifique de l'unité de recherche est structuré autour d'axes bien identifiés. Un des apports au service de lutte contre les trypanosomatidae réside dans le développement de nouveaux outils de diagnostic adaptés au terrain et d'un vaccin contre la leishmaniose canine. Les partenaires de l'unité de recherche sont depuis très longtemps les services chargés de la lutte et les quelques organismes de recherche africains qui effectuent des recherches sur ce sujet. Les collaborations de l'unité sont solides, anciennes, à travers un certain nombre de centres, comme, par exemple, le Centre international de recherche-développement en zones subhumides, ou l'université de Yaoundé, au Cameroun, ou l'université du KwaZulu Natal, en Afrique du Sud. Les membres de l'unité sont impliqués dans les activités d'enseignement dans les pays du Sud, à travers des diplômes d'études approfondies (DEA), masters, notamment le master « maladies infectieuses, virales et alimentaires ».
Cette unité de recherche est-elle représentative ? Je ne saurai le dire, d'autant qu'il faudrait la comparer avec toutes les unités relevant de la recherche pour le développement, ce qui n'est guère facile à identifier...
Nous avons évalué l'IRD en septembre 2010, dans un période intéressante de mutation profonde concernant les pays du Sud, mais aussi d'évolution des politiques publiques en matière d'aide au développement. Ces dernières années, l'IRD a infléchi sa stratégie, pour mieux s'inscrire dans une perspective d'aide au développement, favoriser l'émergence de capacités et de compétences au Sud, mieux cibler les pays les moins avancés (PMA), devenir une sorte de fédérateur de l'action de recherche pour le développement en direction d'un certain nombre de pays, jouer un rôle d'agence d'objectifs, de moyens et de programmation.
Cette évaluation est survenue alors que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2005 avait décidé de cibler des domaines prioritaires - en particulier la santé, l'éducation, la formation professionnelle et l'agriculture - en marquant bien que la recherche pour le développement ne devait céder en rien sur l'excellence. Le même comité interministériel avait également décidé que les résultats des recherches devraient être évalués.
Qu'avons-nous constaté ? Que les priorités scientifiques de l'IRD étaient conformes aux standards de l'excellence - mais aussi que l'impact de la présence au Sud sur le développement restaient très difficiles à mesurer. Comment mesurer l'impact de la recherche ? La question est épineuse aussi pour les pays développés.
L'évaluation a appelé à une meilleure insertion de docteurs originaires des pays du Sud et à un meilleur suivi de la valorisation de la recherche au Sud, en particulier des actions visant à diffuser ses résultats dans le tissu économique des pays en développement. L'évaluation a également souligné que les situations étaient très différentes selon le contexte local, que la stratégie devait s'adapter au contexte. Sur ce point, les évaluateurs relèvent l'absence d'un cadre référentiel pour un redéploiement stratégique du partenariat scientifique et une faible densité de relations entre l'IRD et les milieux socio-économiques au Sud.
Autres constats : la faiblesse de l'évaluation de l'impact sur le développement, le fait que la programmation scientifique est trop souvent déterminée par des initiatives individuelles, entraînant une certaine dispersion thématique et géographique des programmes et un impact peu visible. L'évaluation recommande ici d'expliciter les objectifs poursuivis, et de mieux responsabiliser les acteurs du Sud.
Pour m'en rendre mieux compte, j'ai contacté l'ancien responsable de l'enseignement supérieur au Sénégal et lui ai demandé comment il voyait la question de la recherche en direction du Sud. De son point de vue, un des points clés réside dans une meilleure participation du Sud à l'identification des thèmes prioritaires.
On voit bien la difficulté que cela peut représenter : l'IRD, s'alignant sur une politique gouvernementale, tient compte des objectifs millénaires pour le développement, mais le Sénégal a-t-il étudié les choix thématiques ? La mécanique est complexe à organiser si l'on veut tenir compte des destinataires...
D'un point de vue méthodologique, nous utilisons un référentiel comportant six critères d'évaluation, parmi lesquels deux pourraient concerner la recherche pour le développement. Le premier vise la qualité des interactions avec l'environnement social, économique et culturel, le second porte sur l'implication dans la formation pour la recherche.
A un échelon plus indirect, l'AERES, par son action sur la scène européenne, peut-elle avoir un impact sur le développement du Sud ? Nous avons mis en place un plan d'action européen et international pour coopérer avec nos homologues, nous aidons à mettre en place des agences comparables à la nôtre et nous conduisons des évaluations à l'étranger. Nous avons ainsi évalué des diplômes saoudiens et évaluons cette année le plan national pour la science, la recherche, la technologie et l'innovation de l'Arabie Saoudite.
Au Vietnam, nous avons réalisé une mission exploratoire pour évaluer l'université des sciences et technologies de Hanoï. En Arménie, nous allons évaluer l'université d'Etat, d'architecture et de construction d'Erevan.
Par ailleurs, nous participons à des projets européens de coopération, comme au Liban, avec le projet Tempus pour la mise en place d'une agence d'évaluation libanaise. Au Maghreb, nous sommes également sur un projet Tempus pour le développement de l'assurance qualité des universités dans la région, en particulier pour une amorce d'intégration du Maroc à l'espace européen de la recherche.
Enfin, nous menons des actions de coopération multilatérale. Nous avons par exemple un accord avec l'agence qui s'est mise en place au Vietnam en matière d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Nous participons à toute une série de projets en direction de plusieurs pays africains.
Nous nous situons certes dans une perspective de long terme, mais en suivant l'adage bien connu qu'apprendre à pêcher vaut mieux que donner du poisson...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Vos évaluations sont-elles publiques ?
M. Didier Houssin. - Tous nos rapports d'évaluation sont publics et accessibles sur notre site. J'ai mentionné l'IRD, qui m'a paru être le plus emblématique, mais nous avons également évalué le CIRAD. Je suis convaincu que le CNRS et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ont, dans ce domaine, des chapitres correspondants à la recherche pour le développement en matière internationale. On n'a pas évalué l'Institut Pasteur, mais ses activités de recherche. Certaines universités, comme Bordeaux, sont très orientées vers la recherche et le développement en direction de l'Afrique...
On pourrait fort bien projeter une évaluation thématique nationale concernant la recherche pour le développement. Nous avons récemment réalisé des synthèses régionales pour la Bretagne, le Centre, la Lorraine, l'Alsace. Nous allons le faire à présent de manière plus systématique. Pour la Bretagne, nous avons réalisé une analyse thématique sur la mer. Ce n'est qu'une agrégation d'évaluations qui a ses limites. Il pourrait être intéressant d'établir une comparaison européenne. Cela permettrait peut-être de déboucher sur des structurations plus intelligentes et plus rassemblées !
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles vous paraissent les pistes pour évaluer l'impact de la recherche appliquée ? Quels critères seraient pertinents ?
M. Didier Houssin. - D'une manière générale, l'impact de la recherche est très difficile à évaluer, tout comme celui de l'évaluation elle-même.... Les deux critères que je vous ai mentionnés indiquent des faits observables, comme l'implication de chercheurs du Sud et des institutions nationales de recherche. On peut également, comme nous avons essayé de le faire, lister des indices de qualité : un brevet conduisant à la fabrication du vaccin contre la dengue aura, par exemple, un impact considérable alors qu'une réunion avec des acteurs économiques à Dakar reste de portée plus limitée...
Même chose pour le critère de la participation à la formation : il peut tout à fait être informé par des indices observables et des indices de qualité.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Nous accordons une attention particulière aux sciences humaines et aux sciences de la santé, où un grand nombre de progrès ont été réalisés ces dernières années. L'évaluation pourrait permettre certains rapprochements...
M. Didier Houssin. - Les rapports d'évaluation des organismes de recherche peuvent certainement vous éclairer sur quelques actions concrètes.
M. Henri de Raincourt, président. - Quelles modifications vous paraissent indispensables ?
M. Didier Houssin. - Il pourrait être intéressant de savoir comment l'IRD a tenu compte des recommandations de l'AERES.
M. Henri de Raincourt, président. - Nous ne leur avons pas demandé...
M. Didier Houssin. - Vous pourriez, sur un tel sujet, vous appuyer sur ce que nous produisons. Ils étaient engagés dans un projet de régionalisation de leur représentation. Ont-ils réussi à mettre en place un guichet unique ? Ils ont certainement apporté certaines améliorations depuis 2010.
Mon sentiment est que beaucoup de choses devraient pouvoir se régler sur le plan européen. Les Anglais me semblent avoir mené une réflexion assez avancée pour définir leur stratégie de recherche en matière sanitaire à l'échelon international...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment prévenez-vous les éventuels conflits d'intérêts, notamment dans les unités mixtes de recherche ?
M. Didier Houssin. - La question n'est pas d'abord économique, comme en matière d'expertise, mais d'abord de savoir si le jugement porté par les experts que nous réunissons est susceptible d'être partial en raison d'antagonismes excessifs entre évalués et évaluateurs, ou bien, au contraire, en raison de certaines proximités. On arrive généralement à identifier assez vite les antagonismes, et on modifie alors la composition des comités d'experts. La question de la proximité est plus délicate ; nous avons une charte de déontologie et les délégués scientifiques veillent à son application lorsqu'ils composent les comités d'experts.
Après quelques années d'évaluation de plusieurs milliers d'unités de recherche, le taux de recours est très faible, en dessous de 1 %. Le recours, lorsqu'il a lieu, s'exerce presque toujours pour une question d'inadaptation de la composition du Comité à la compétence scientifique du périmètre évalué.
Nous avons également mis en place une commission des plaintes et des recours qui, sollicitée, instruit la plainte et rend un avis auquel je suis censé me plier, mais les recours se comptent sur les doigts d'une main depuis que je suis là.
Reste une question que nous avons beaucoup de mal à résoudre : celle de l'élection. Les comités d'experts sont en effet composés en fonction des compétences, et non sur une base élective. Or, beaucoup de chercheurs, en France, considèrent que la légitimité scientifique passe par l'élection, ce qui n'est pas la règle sur le plan international...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Il existe parfois un décalage entre la recherche d'excellence et la recherche pour le développement, qui a un côté plus directement utilitaire. L'AERES ressent-elle aussi cette différence ?
M. Didier Houssin. - Évaluer la qualité d'un impact est beaucoup plus compliqué que se limiter au recensement des publications, c'est certain - et je crois que l'AERES n'en n'a pas toujours tenu suffisamment compte, au moins au début de son histoire.
Les organismes de recherche finalisée, rassemblés au sein du groupe « Evaluation de la recherche finalisée » (EREFIN) - qui regroupe notamment l'IRD, le CIRAD, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) - s'étant plaints de ne pas être jugés à la bonne aune, nous avons modifié notre référentiel afin d'en tenir compte.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les politiques publiques conduites ou décidées par les partenaires du Sud compliquent peut-être également les choses - encore que l'on soit dans un partenariat. Comment les prendre en compte ?
M. Didier Houssin. - C'est ce dont traite le rapport d'évaluation de l'IRD. Les difficultés sont bien identifiées, sans toutefois fournir de solutions très précises, les situations pouvant être très différentes.
En second lieu, nos interlocuteurs sont plutôt issus du monde de l'enseignement supérieur et de la recherche ; leurs tâches ne portent donc pas sur des politiques publiques relevant du domaine sanitaire ou de l'assainissement, que votre sujet cherche plutôt à traiter. Je pense qu'il est plus intéressant pour vous de vous pencher sur la manière dont les actions du CIRAD ou de l'IRD peuvent interagir avec les politiques publiques.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Il est intéressant de voir comment on tient compte de la politique de chacun...
M. Didier Houssin. - En France, le ministère joue un rôle interministériel d'intégration des attentes des différents secteurs d'activité de la politique publique, et concocte les priorités, avec les forces qui résultent de la communauté scientifique, le poids des ministères, entre autres. C'est certainement la même chose dans les pays du Sud...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Que souhaitez-vous pour améliorer votre activité, dans le cadre de la recherche pour le développement ou du partenariat Nord-Sud ?
M. Didier Houssin. - Nous passons beaucoup de temps, depuis quelques mois, à essayer de convaincre que ce que nous faisons n'est pas si mal, et que nous pouvons nous améliorer.
Dans un pays comme le nôtre, la faisabilité de l'évaluation de la recherche pour le développement, si possible dans une vision européenne, pourrait constituer un projet intéressant, et déboucher sur des propositions...
M. Henri de Raincourt, président. - D'autres pays européens disposent-ils d'agences agences similaires à la vôtre ? Quels sont les niveaux de coopération entre ces agences ? Pourrait-on imaginer que cette coopération se manifeste dans des programmes européens globaux, comme le programme de développement du Sahel, arrêté à l'échelon européen ? Ce serait certainement une des clés pour faire face aux difficultés économiques et financières que nous avons aujourd'hui...
M. Didier Houssin. - Vous avez raison. Même s'il existe des différences, l'approche reposant sur la qualité de l'enseignement supérieur commence à connaître une certaine homogénéité en Europe. En matière de recherche, l'affaire est bien plus compliquée. L'évaluation n'est pas si développée qu'on le pense, beaucoup de pays finançant sur projet, mais ne menant pas d'évaluation ex post de leurs activités de recherche. La France est relativement en pointe dans ce domaine.
La notion de rapprochement de l'espace européen de l'enseignement supérieur et de l'espace européen de la recherche me paraît extrêmement importante. Dans cette perspective, on pourrait imaginer qu'une impulsion politique pousse les différents organismes européens à travailler ensemble, par exemple sur le thème de l'évaluation de la recherche pour le développement.
M. Henri de Raincourt, président. - Ce serait fort utile face à la compétition qui nous oppose à la Chine. Notre recherche en matière de développement est un atout, utilisons-le et valorisons-le !
M. Didier Houssin. - Vous avez entièrement raison ! Les Chinois ne manquent pas d'atouts, mais, en Europe, nous avons de l'avance en matière de la recherche et d'enseignement : il ne faut pas s'endormir et les projets européens seront déterminants.
M. Henri de Raincourt, président. - C'est peut-être une idée que nous pourrions faire figurer dans nos propositions. Elle est à la fois concrète et pourrait représenter pour nous un atout déterminant.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - On constate souvent que le bailleur a tendance à orienter l'étude qui lui est demandée. Cet aspect des choses est-il pris en compte dans l'évaluation que l'AERES peut réaliser ?
M. Didier Houssin. - L'expertise, qu'elle soit collégiale ou ponctuelle, a une interaction directe avec l'environnement socio-économique et culturel - c'est le cas, par exemple, pour la recherche sur le chlordécone aux Antilles. L'expertise liée à l'activité de recherche relève cependant de la stratégie de l'organisme et de l'Etat correspondant. Je ne pense pas qu'elle soit placée sous la dépendance d'une influence économique particulière...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Avez-vous des relations avec l'Inde ?
M. Didier Houssin. - Nous avons eu des relations avec l'Inde dans le cadre de la réunion euro-Asie organisée par le Centre international d'études pédagogiques (CIEP), durant laquelle nous étions intervenus sur les questions d'évaluation. En Asie, nous avons aujourd'hui surtout des contacts avec le Japon, la Chine, la Thaïlande et le Vietnam. Nous ne sommes qu'une petite structure !
Audition de M. Philippe Gasnot, fonctionnaire de sécurité de défense du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
M. Henri de Raincourt, président. - L'initiative de cette mission commune d'information revient à Mme Ango Ela, notre rapporteure. Nous étudions la politique extérieure de notre pays en matière de développement, en particulier en direction des pays qui en ont le plus besoin, afin de proposer d'éventuelles pistes d'amélioration.
M. Philippe Gasnot. - Je dépends du président du CNRS. Dans une entreprise civile, mon poste correspond à une fonction de directeur de la sûreté ou de la sécurité, au sens noble du terme. Mais j'exerce également une fonction étatique de fonctionnaire de sécurité de défense. C'est dans ce cadre que je suis amené à émettre un avis sur le risque que représentent certains pays en termes de sécurité ou de sûreté. Je dois également faire appliquer tout le spectre de la défense et de la sécurité nationale, tel qu'il est défini par l'Etat français, dans une hiérarchie qui n'est pas celle de mon employeur. La panoplie est très large, puisque je dois aussi m'intéresser aux problèmes concernant les matières vivantes, le nucléaire, le biologique, le chimique, les biens à double usage, et émettre un avis concernant l'accès aux laboratoires sensibles définis par l'État. Je suis aussi coresponsable de la gestion des crises au sein du CNRS, avec la directrice de cabinet du président.
La protection réglementaire de notre patrimoine scientifique et technique a pris de l'importance au lendemain de la seconde guerre mondiale et elle vient d'être réformée, au terme d'un processus assez long - et l'on parle désormais de potentiel scientifique et technique. Le nouveau dispositif est fondé sur l'évaluation des risques, pour les maîtriser.
La loi affirme désormais que la science fait partie des intérêts fondamentaux de la Nation. Les textes indiquent que tous les domaines de la science sont protégés, à l'exception des sciences humaines et sociales. Chaque laboratoire est évalué selon quatre types de risques touchant aux intérêts économiques, aux capacités de défense, à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme.
La prolifération concerne le domaine nucléaire, biologique, et chimique, de la nanoparticule jusqu'au missile, selon un risque évalué de 0 à 3. Le but est d'écarter les prédateurs et non d'empêcher la science de faire son travail, mais également de faire en sorte que les contraintes de sécurité soient uniformisées. On doit pour ce faire diffuser une attitude responsable vis-à-vis du secret à protéger, sanctionner pénalement les agresseurs, et mettre à disposition des opérateurs une boîte à outils adaptée.
La protection du potentiel scientifique et technique (PPST) s'appuie sur la mise en place de secteurs scientifiques protégés définis par le décret du 2 novembre 2012 en fonction des intérêts de la Nation. Un domaine plus restreint est l'objet d'un arrêté concernant les spécificités sensibles susceptibles d'être détournées au profit de la prolifération nucléaire ou du terrorisme.
Enfin, quand le risque dépasse un certain niveau, on peut mettre en place une zone à régime restrictif (ZRR) à l'intérieur de laquelle des mesures de protection existent en raison des risques de détournement d'informations. L'autorisation sera à demander au ministère de tutelle.
Les instructions interministérielles fixent toutefois un cadre très difficile à appliquer, qui représente un certain coût. Il faut donc rester pragmatique, tout en améliorant le dispositif en permanence. C'est pourquoi il existe un plan adapté à chaque laboratoire. Au CNRS, où près de 900 laboratoires sont concernés, nous avons fait un séminaire de lancement de la PPST le 14 mai ; tous les directeurs d'institut, et tous les délégués régionaux étaient présents. Nous avons passé un accord-cadre avec nos partenaires, pris un règlement intérieur type. Nous mettons par ailleurs en place des outils informatiques. Nous recensons actuellement 9 400 demandes d'accès à des zones réglementées, rien que pour le CNRS. Sachant que nous disposons d'un délai de deux mois pour y répondre, il faudrait traiter cinquante demandes par jour, c'est vous dire le défi ! L'année dernière, 1 % des dossiers a été refusé. Cela peut paraître peu, mais il faut savoir que nous avons renégocié 2 % de l'ensemble des demandes et ramené le risque dans une zone acceptable. C'est cette démarche que nous essayons de faire accepter par notre ministère de tutelle.
Si l'on veut réduire le temps et la charge administrative, il faut faire en sorte que les choses puissent se faire à partir d'un site informatique, et non plus par courrier. Nous avons aujourd'hui identifié 92 ZRR, qui sont en cours de création, mais leur nombre va augmenter.
J'attire votre attention sur le fait que chaque université, chaque opérateur, dispose de son système informatique. Même le CNRS, en région, n'a pas forcément les mêmes outils. Il faut donc y remédier. Cela va se faire dans le temps.
Le délai de traitement de deux mois est très mal compris par les chercheurs de l'espace Schengen, dont la quasi-totalité a l'habitude des échanges entre collègues. L'Europe est une réalité pour la science. Une partie des crédits a déjà été mise en commun, de façon que chacun puisse en bénéficier. Attendre deux mois pour un accord afin de travailler avec un collègue allemand, dont le délai d'attente est d'un mois, pose donc souci.
Enfin, l'absence de système informatique unique ne permet pas au secteur protégé de restituer la liste des visiteurs des laboratoires. L'idée est de pouvoir en publier automatiquement la liste une fois par an.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - On voit bien la difficulté à mettre en oeuvre une politique nouvelle au sein d'une structure aussi importante que le CNRS.
Quelles sont, selon vous, les implications de cette nouvelle façon de procéder par rapport à nos coopérations scientifiques avec les pays du Sud ?
M. Philippe Gasnot. - Ce n'est pas parce qu'il existe des contraintes que les gens ne peuvent venir. Certes, la demande doit être formulée deux mois avant, mais on ne découvre pas du jour au lendemain le sujet d'un chercheur qui vient pour trois ans. Les chercheurs doivent généralement obtenir un visa pour sortir de leur pays. Un Chinois, par exemple, doit demander une autorisation de sortie du territoire cinq semaines avant son départ.
Si l'État français considère que les intérêts économiques de la France nécessitent davantage de protection qu'auparavant, 10, 20, ou 30 % des demandes peuvent être rejetées, mais cela concernera aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord. Je ne puis maîtriser cet aspect des choses.
M. Henri de Raincourt, président. - Ce n'est certainement pas la même chose dans les pays du Sud, où le système peut connaître des fuites !
M. Philippe Gasnot. - L'État français fixe les domaines qu'il souhaite protéger. En matière d'intelligence économique, je ne dispose d'aucun texte pour m'indiquer les priorités...
M. Henri de Raincourt, président. - Mais comment faire pour qu'un chercheur du Nord communique avec un chercheur du Sud, sans qu'il existe de fuites ?
M. Philippe Gasnot. - Dès lors que des chercheurs collaborent sur un sujet commun, ils publient le fruit de leurs découvertes. La publication appartient à l'ensemble de ceux qui ont contribué à la recherche.
Peut-on éviter une publication ? Cela me paraît très difficile, sauf dans le domaine très particulier des sujets couverts par le secret défense. C'est le rôle de la Délégation générale à l'armement (DGA), 3 000 des 30 000 brevets déposés en France pouvant poser problème.
Lorsque le CNRS forme de nouveaux mathématiciens au Cambodge, l'élite ayant été détruite par les Khmers rouges, il ne s'agit pas de recherche, ni d'échanges. Cela permet également de détecter des esprits brillants, qui pourront ensuite travailler dans notre pays, être naturalisés...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - On sait qu'il n'y a pas de contrainte impérative par rapport à la protection scientifique à l'étranger, dans le cadre des UMI, où des chercheurs du CNRS peuvent être impliqués.
Nous allons nous rendre au Tchad et en Inde. Existe-t-il des unités mixtes particulièrement intéressantes à visiter ?
M. Philippe Gasnot. - Votre question est légitime par rapport à un certain nombre d'organismes internationaux. J'ai ainsi interrogé la tutelle à propos de l'institut franco-allemand Saint-Louis, créé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, qui travaille sur la science tectonique, mais également au sujet du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) ou de l'anneau de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN).
Quand on conclut un accord international, chaque pays a sa lecture des règles de protection scientifique. Un sujet peut donc être refusé dans le cadre d'une unité d'enseignement et de recherche (UER), ou d'une UMR, et être étudié par la même personne dans un autre cadre. Ce n'est pas toujours cohérent, mais je ne sais pas où est la solution. En Europe, chacun a sa méthode : l'harmonisation serait bienvenue...
Quant aux États-Unis, on ne peut y débarquer sans avoir rempli un formulaire très complet. Par ailleurs, chacun doit attester qu'il n'a pas l'intention d'attenter aux intérêts de l'Etat américain ; or, la science fait partie de ceux-ci. Nos chercheurs sont donc parfaitement connus avant d'entrer aux États-Unis...
Enfin, c'est dans les universités que l'Agence centrale de renseignement (CIA) recrute largement ses agents. Ce sont ces chercheurs que l'on retrouve ensuite dans les laboratoires. C'est ainsi que les États-Unis assurent la protection de leur potentiel scientifique...