Mercredi 2 octobre 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Avenir et justice du système de retraites - Table ronde sur la pénibilité
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à une table ronde relative à la pénibilité, dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIVe) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David, présidente. - Nous entamons nos travaux relatifs au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, qui sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale du 7 au 15 octobre. Nous l'examinerons en commission le 23 octobre, avant la discussion en séance publique prévue du lundi 28 octobre au 5 novembre.
La réforme de 2010 comportait déjà un volet pénibilité, mais retenait une définition strictement médicale, ce qui a fortement réduit son impact. Les mesures visant à prévenir la pénibilité au travail ont, elles aussi, produit des effets limités.
Le nouveau projet de loi crée un compte personnel de prévention de la pénibilité, financé par des cotisations des employeurs, grâce auquel le salarié pourra acquérir, à compter de 2015, des droits en termes de formation, de compensation d'un passage à temps partiel ou d'acquisition de trimestres supplémentaires pour la retraite ; le départ pourrait être anticipé de deux ans au plus. On peut regretter l'absence d'un véritable volet prévention et que ce départ anticipé n'intervienne qu'à soixante ans.
Pour évoquer ce sujet, qui est au coeur des inégalités face à la retraite, nous recevons Christian Jacques, président du cabinet Emergences, Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail (Creapt).
M. Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Creapt. - Je suis en effet statisticien et ergonome au Creapt et directeur de recherches retraité - mais actif - au Centre d'études de l'emploi (CEE). En tant que spécialiste du vieillissement au travail, je suis membre du Conseil d'orientation des retraites (COR). J'ai également participé à la commission Moreau pour l'avenir des retraites, et je me suis particulièrement impliqué dans le volet pénibilité de son rapport.
Le retour de la pénibilité dans le débat social et politique est une bonne nouvelle, tant les occasions de s'emparer des questions de santé au travail sont peu nombreuses, mais le terme demeure flottant, faute de définition scientifique précise. Nous distinguons trois notions. D'abord, la pénibilité au sens courant du terme : est pénible ce qui est vécu comme tel, y compris les trajets domicile-travail, la saleté du poste de travail ou les mauvaises relations avec les supérieurs hiérarchiques. Autant de nuisances qui rendent le travail pénible mais n'ont pas pour autant vocation à être prises en compte sous la forme d'un départ anticipé à la retraite.
Deuxième forme de pénibilité, celle qui est due à l'état de santé. Avec l'âge, les troubles de santé augmentent, ce qui n'est pas compatible avec certains emplois. Dans ce cas, s'il doit y avoir départ anticipé, ce ne peut être qu'en raison de l'état de santé, non du travail. Les dispositifs existants - comme le licenciement pour inaptitude ou invalidité - seront de plus en plus sollicités : si l'on augmente le nombre d'années de cotisation requises, on trouvera de plus en plus de personnes de cinquante-neuf, soixante ou soixante et un ans au travail, d'où un accroissement mécanique du nombre de personnes dans une telle situation.
Troisième définition, celle que donne la loi de 2010 : les contraintes, nuisances et rythmes de travail « susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé ». S'agissant de l'impact à long terme du travail, sur l'espérance de vie et sur la santé au grand âge, il est légitime d'envisager, comme le faisait le rapport Struillou de 2003, une compensation par la possibilité de gagner quelques années de retraite en bonne santé.
Le rapport Lasfargues de 2005 fait la synthèse des connaissances scientifiques sur les liens établis entre certaines caractéristiques du travail et l'espérance de vie ainsi que la santé au grand âge. Sont notamment en cause le travail de nuit, qui laisse potentiellement des traces à long terme sur l'appareil cardiovasculaire et l'exposition aux produits toxiques professionnels cancérogènes - amiante, mais aussi goudrons ou pesticides - à laquelle est attribuée la moitié des disparités sociales en matière de cancer du poumon. Les grands efforts physiques dans le travail ont un lien avec la qualité de vie au grand âge : si leur impact sur l'espérance de vie n'est pas avéré, la probabilité est grande pour celui qui en a réalisé de devenir un retraité en mauvaise santé.
Je me retrouve volontiers dans la réforme aujourd'hui sur la table avec la création du compte personnel de prévention de la pénibilité qui associe formation, possibilité de passage à temps partiel et départ anticipé. En l'état, sans doute pour des raisons de coût et de charge administrative, le texte ne traite pas de la pénibilité passée, au risque de poser un problème d'équité entre générations et, surtout, d'inciter les quinquagénaires à accomplir un travail pénible pendant les dernières années de leur vie professionnelle afin d'accumuler des points ! C'est exactement l'inverse de la démarche de prévention que préconise le texte...
M. Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). - J'ai travaillé sur la prévention de la pénibilité aussi bien comme fonctionnaire de la Direction générale du travail qu'en entreprise, Toute personne cherchant à prévenir la pénibilité privilégie la prévention primaire plutôt que la compensation ; en rémunérant la pénibilité, on incite au contraire les personnes à y rester. Ainsi, des salariés peuvent souhaiter travailler de nuit pour la rémunération qui en découle. Cela vaut également pour les primes d'insalubrité. Difficile dès lors d'inciter véritablement à la prévention. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité peut, à mon sens, devenir un vrai compte de prévention.
On distingue trois populations dans l'entreprise : le stock, soit les personnes longtemps exposées à des facteurs de pénibilité et éprouvant en conséquence des difficultés ; le flux, soit les populations qui ont d'ores et déjà été exposées, ne manifestent pas encore d'inaptitude mais vont se retrouver en difficulté avec l'allongement de la vie au travail, car l'on ne pourra pas travailler plus longtemps à conditions de travail constantes ; enfin, les nouveaux entrants. La pénibilité doit être appréhendée sous l'angle d'un parcours et non à un instant précis. Il faut étudier la démographie au travail et éviter que des populations ne se retrouvent prisonnières des postes pénibles, condamnées à reconstituer le stock.
La fiche individuelle d'exposition à la pénibilité incite dans une certaine mesure à la prévention de par la tâche supplémentaire qu'elle représente pour les entreprises. Plus elles font de la prévention, et moins elles doivent faire de fiches d'exposition. De même, le compte de prévention peut être utilisé dans une logique de compensation, avec pour but d'accumuler des points, ou dans une logique de prévention, avec pour but de l'alléger au maximum. Il ne faut pas bien sûr s'orienter vers la première possibilité mais au contraire chercher à tendre vers la non-exposition.
Il faut distinguer la pénibilité ressentie par les salariés de la pénibilité reconnue par la loi, la grande pénibilité. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne se retrouvent pas complètement dans cette définition. J'ai ainsi été amené à apprécier la pénibilité découlant de la manutention manuelle dans une grande entreprise de métallurgie. Etant donné la présence de ponts élévateurs et l'absence de travaux répétitifs, les critères légaux ne s'appliquaient pas. Difficile toutefois de nier que le travail des salariés à la sortie du laminoir était pénible... Il en serait de même pour les vendeurs des grands magasins, debout, dans le bruit, face à des clients désagréables. Il faudra faire preuve de pédagogie, distinguer la grande pénibilité de l'exposition à un risque : ce n'est pas la même chose d'être exposé, en hiver, au froid extérieur et de travailler dans la température négative d'une chambre froide. La détermination des seuils ouvrant droit au dispositif est un exercice compliqué qui relève souvent d'un compromis social dans l'entreprise ; celle-ci ne sera pas pour autant dispensée de mener en amont une politique volontariste de prévention.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité peut devenir un outil de prévention s'il incite à anticiper, à former les employés, en s'inscrivant dans une logique de parcours. Il ne doit pas seulement permettre l'adaptation du poste de travail des salariés déjà exposés.
M. Christian Jacques, président du cabinet Emergences. - Je partage ces analyses. Le projet de loi marque un progrès par rapport à la réforme de 2010 et à son approche médicalisée. Les fiches individuelles d'exposition à la pénibilité serviront de support au compte personnel de prévention. Les accords et les plans d'action de prévention de la pénibilité mis en place dans les entreprises n'ont pas à ce jour fait l'objet d'un vrai bilan.
S'il parle du salarié et de l'employeur, le texte de 2010 oublie la dimension collective du diagnostic. Un certain nombre de salariés, à commencer par les plus jeunes, ont du mal à reconnaître et à exprimer la pénibilité. Cela posera la question du suivi des fiches individuelles, sachant qu'à ce jour les CHSCT n'interviennent pas pour vérifier l'existence et le suivi des plans d'action. Or le salarié doit être soutenu et accompagné pour vérifier sa fiche individuelle, qui déterminera le contenu de son compte personnel, et le cas échéant la contester. Le délai de contestation prévu par le texte n'est que de deux ans. Ne pourrait-on pas dès lors associer les CHSCT au diagnostic et leur confier le soutien aux salariés ?
La réponse à la pénibilité doit avant tout passer par la prévention. Il ne s'agit pas uniquement d'organiser l'exfiltration de salariés en situation de travail difficile, d'où l'intérêt d'un dispositif en deux volets, comportant une dimension formation pour faciliter les reconversions. Il faut d'abord mieux garantir une véritable prévention réduisant partout les situations de pénibilité. Il serait judicieux d'articuler la contribution complémentaire de l'entreprise avec les efforts, réalisés et mesurés, de celle-ci en matière de prévention. Le texte n'en tient pas suffisamment compte. Or, c'est au plus près des postes de travail, avec les salariés, que l'on devrait enrichir ce concept de pénibilité. Ainsi, les critères de pénibilité actuels ne prennent pas en compte les grands déplacements professionnels, les troubles musculo-squelettiques ni l'exposition aux rayonnements ionisants. Avançons sur le chemin ouvert en 2003 et en 2010.
Mme Christiane Demontès, rapporteure. - Ce débat a rappelé la dimension individuelle mais aussi collective de la pénibilité au travail, ainsi que le rôle des instances de l'entreprise et des employeurs pour réduire celle-ci. Les facteurs d'exposition aux risques tels qu'ils ont été définis par les partenaires sociaux vous semblent-ils convenir ? Quid des risques psychosociaux, que vous n'avez pas abordés ?
Les trois modalités d'utilisation prévues par le compte personnel de prévention de la pénibilité - formation, temps partiel et départ anticipé - vous paraissent-elles pertinentes et suffisantes ? La cotisation additionnelle des entreprises vous semble-t-elle de nature à faire baisser l'exposition à la pénibilité et à inciter les entreprises à agir en faveur de la prévention ?
Enfin, le projet de loi prévoit une application au 1er janvier 2015 : cela vous paraît-il réaliste ? Pour ma part, je doute que les salariés les plus âgés aient envie de se précipiter sur les emplois les plus pénibles, comme M. Volkoff semble le craindre...
M. Hervé Lanouzière - La définition actuelle de la pénibilité est cohérente, car elle a été pensée dans une logique de compensation, et non de prévention. Les dix critères couvrent un spectre très large, conduisant les entreprises à évaluer des risques jusque-là occultés parce que difficiles à évaluer, comme les vibrations, les gestes répétitifs ou les postures pénibles. Il ne faut pas négliger le travail nécessaire pour tenir compte de ces critères.
Les risques psychosociaux sont une réalité pour les salariés, dont il ne faut pas négliger le ressenti. En application du principe général de prévention des risques posé par le code du travail, les entreprises ont obligation de travailler sur cette question. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité ne peut englober tous les risques, ne le surchargeons pas. N'oublions pas non plus la question de l'attractivité : une personne - ou un secteur - ne doit pas se voir stigmatisé à cause de son compte : gare à la logique de compteur !
M. Serge Volkoff. - Je ne saurais vous répondre sur la mise en oeuvre au 1er janvier 2015 mais en général, mieux vaut commencer tôt et avancer tranquillement, sans prendre de décision à la hâte.
Les trois modalités d'utilisation du compte sont cohérentes. Si la compensation est légitime, il faut également tout faire pour éviter de reconstituer le stock. L'obligation de formation ne doit pas être assortie d'une obligation de changer de poste : certains peuvent avoir des raisons de vouloir travailler de nuit, par exemple à l'hôpital, ce qui n'ôte rien au risque sur la santé à long terme du travail de nuit.
Je rejoins M. Lanouzière sur les dix critères comme sur les risques psychosociaux. La littérature scientifique sur les rayonnements ionisants mériterait d'être étudiée. Cela dit, il ne faut pas faire jouer aux connaissances scientifiques plus que leur rôle : il revient in fine au débat social de trancher et de définir les seuils d'exposition.
Le rapport Struillou légitimait une triple source de financement. Il est normal que les entreprises créatrices de pénibilité et de risques à long terme participent au financement du dispositif, d'autant que cela peut favoriser la prévention. Il paraît également normal que l'ensemble des employeurs y contribuent, dans la mesure où toutes les entreprises bénéficient, en tant que clientes, du travail « pénible » de certaines. Troisième source de financement, l'argent public. Toute la société profite en effet de la pénibilité du travail de quelques-uns, qui rendent accessibles quotidiennement biens et services : nous avons besoin que l'industrie sidérurgique fonctionne de nuit, et nous ne savons pas la faire marcher autrement qu'en exposant les fondeurs à la chaleur.
Mme Catherine Génisson. - Le travail de nuit est obligatoire dans certaines professions, mais les partenaires sociaux préfèrent les compensations salariales au repos compensateur par exemple. Notez que dans les hôpitaux, les personnels soignants tournent sur tous les postes, de sorte que tous ou presque travaillent la nuit.
M. Serge Volkoff. - Sauf en consultation.
Mme Catherine Génisson. - Ne faut-il pas restreindre les possibilités de compensation pécuniaire, et inciter les entreprises à se pencher davantage sur la qualité de l'organisation du travail ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Le rapport sénatorial sur le mal-être au travail insistait sur l'importance de la souffrance liée au trajet : la crainte d'être en retard, de perdre en salaire, a souvent des incidences sur les conditions de travail, les risques psychosociaux et l'état de santé. Nous avions pensé qu'il fallait prendre ces éléments en compte dans la mesure de la pénibilité.
Si le compte pénibilité consiste à cumuler des points afin de partir plus vite à la retraite, alors c'est le contraire de ce qu'il faut faire. Cela suppose une véritable révolution culturelle : dans l'entreprise où je travaillais, il n'était pas rare de revendiquer, avec le soutien des syndicats, le fait d'occuper un travail difficile ou insalubre pour obtenir des primes. Il faut au contraire s'efforcer de rendre le travail moins pénible.
Toutes les entreprises doivent participer à cet effort - rappelez-vous que nous avons dû revenir sur la participation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et au Fonds de cessation anticipé d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) des seules entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante. Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les financements déjà engagés par les entreprises en matière de prévention dans le cadre de la branche AT-MP ?
Mme Isabelle Debré. - Certains critères de pénibilité sont correctement définis : c'est le cas du bruit, à partir de quatre-vingt-cinq décibels. Les autres critères sont-ils aussi précis et suffisamment uniformisés ? Quand les kinésithérapeutes revendiquent la pénibilité de leur travail, ne risque-t-on pas d'ouvrir une brèche dangereuse pour les finances de l'Etat ? Les personnes polyexposées - comment les définir ? - cumulent-elles les points ? Enfin, une première estimation du coût du dispositif l'a chiffré à 500 millions d'euros en 2020, et 2,5 milliards d'euros en 2040. Or depuis, de nombreuses professions se sont manifestées...
M. Jacky Le Menn. - J'ai présidé des CHSCT d'hôpitaux et d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pendant de nombreuses années. Prodiguer des soins à des personnes gravement atteintes est une tâche pénible. Les aides-soignants travaillent de nuit, et sont souvent victimes de lombalgies et de troubles musculo-squelettiques. Confrontés à la maladie et à la mort en permanence, certains tombent en dépression. Je vois mal dans ces conditions comment fonctionnera le système de décompte des points.
M. René-Paul Savary. - Le compte personnel de prévention de la pénibilité est une idée intéressante, mais potentiellement stigmatisante, par exemple pour ceux qui ont accumulé des points et sont à la recherche d'un emploi. Quel est précisément son champ d'application ? Le décompte serait fonction du nombre d'heures travaillées : il devrait donc être différent pour les salariés ou fonctionnaires d'une part, et pour les travailleurs indépendants d'autre part, qui choisissent leur volume de travail.
En tant que président de conseil général, je sais que le travail sur les routes est pénible et dangereux, que les travailleurs sociaux sont confrontés à l'agressivité de certains usagers, que le personnel des collèges fait face à l'indiscipline des collégiens, que les fonctionnaires subissent la pression de la réduction des dépenses... A l'échelle d'un département, tout le monde a un travail pénible. Comment va-t-on faire évoluer le dispositif ?
M. Jean-Noël Cardoux. - La sécurité sociale envisagerait d'accorder une prime de 5 000 euros aux artisans coiffeurs pour les aider à aménager leurs postes de travail. Trouvez-vous normal que la sécurité sociale, censée couvrir des risques et bien qu'elle ait déjà diversifié ses missions, s'empare de questions sur lesquelles nous nous apprêtons à légiférer ?
M. Claude Domeizel. - Quelle différence faites-vous entre un travail pénible et un emploi dangereux ?
Mme Annie David, présidente. - Dans le dispositif, l'accumulation des points donnera droit à une formation. N'y a-t-il pas là transfert de responsabilité de l'entreprise sur le salarié ?
M. Serge Volkoff. - Ce dispositif n'a pas vocation à traiter exhaustivement la pénibilité au travail. Il ne concerne que les pénibilités qui ont un impact sur la santé au grand âge et la longévité. Les facteurs de risques psychosociaux ou les trajets pénibles ont un impact indéniable sur la santé à court terme, mais ils n'influent qu'exceptionnellement sur l'espérance de vie.
Le mécanisme qui nous est présenté incite sinon à rentrer dans la pénibilité, du moins à ne pas en sortir. Le doublement des points offerts aux personnes proches de la retraite est à cet égard éclairant : un fondeur ayant le choix entre une promotion à un poste de chef d'équipe et un départ anticipé n'hésitera pas une seconde.
Sur les seuils d'exposition, toutes les cartes ne sont pas sur la table. J'avais compris qu'ils seraient fixés par décret. Or le Gouvernement travaille sur des hypothèses précises puisque l'étude d'impact indique le pourcentage de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Vous pourriez l'interroger sur ce point.
M. Serge Volkoff. - L'incertitude qui entoure la définition des seuils empêche d'être plus précis sur l'évaluation financière du dispositif. A quel niveau faut-il fixer la barre ? Il ne s'agit pas de cibler des métiers, car un métier n'est en rien un indicateur de pénibilité - c'est en cela un progrès par rapport aux régimes spéciaux. Partir des conditions de travail est une démarche plus intelligente. Préciser ces critères est à présent du ressort de la négociation. Elle sera plus complexe pour certains facteurs, comme les postures pénibles, que pour d'autres, mais toujours intéressante.
M. Christian Jacques. - La pénibilité est ce qui empêche de rester en bonne santé le plus longtemps possible après le départ à la retraite. Parmi les dix critères retenus, il manque les rayonnements ionisants et les travaux extérieurs soumis aux intempéries.
Pour répondre à la présidente Annie David, la formation est toujours a priori positive. Il faudrait inciter l'employeur à proposer au salarié une reconversion professionnelle bien en amont au lieu de laisser le soin à ce dernier d'en faire la demande. On peut s'interroger sur l'efficacité du mécanisme proposé : les points accumulés offriront-ils de véritables opportunités de formation aux travailleurs titulaires de métiers pénibles, qui sont souvent les moins qualifiés ?
J'ai récemment rencontré des représentants syndicaux qui se réjouissaient d'avoir obtenu une prime de bruit - de surdité, ai-je rectifié. Ce n'est en effet pas la même chose. Les salariés sont souvent demandeurs de postes exposés à la pénibilité car les compensations financières ne sont pas négligeables, surtout au regard des niveaux actuels de pouvoir d'achat. Il faut un large débat sur ces questions, comme celui auquel a donné lieu le problème de l'amiante. Rappelons-nous qu'a longtemps perduré un consensus social sur son utilisation. La contribution complémentaire des entreprises pourrait être mieux articulée avec les mesures décidées pour lutter contre la pénibilité du travail, afin non pas d'interdire les compensations financières, mais d'en rendre la négociation moins aisée.
M. Hervé Lanouzière. - Le système de cotisation doit en effet être vertueux. Un mécanisme incitatif de type bonus-malus, favorisant la prévention, sans exclure la compensation, est une bonne idée. Le passage du travail de nuit au travail de jour peut être accompagné financièrement de manière dégressive. Les conventions collectives affichent parfois ce principe sans qu'il soit mis en oeuvre.
Je me réjouis que la sécurité sociale ne soit pas qu'un guichet et s'attaque à la prévention. Après avoir rencontré la commission Moreau, nous avons fait, conjointement avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), une offre de service aux entreprises afin que les caisses nationales vieillesse et maladie, les caisses régionales et nous-mêmes les aidions à réaliser un diagnostic organisationnel et technique de la pénibilité. Conditionner la cotisation à la branche AT-MP aux efforts de prévention va dans le bon sens. J'ai travaillé dans le privé, où rien n'est plus convaincant que le coût de la non-prévention : dire à un chef d'atelier que la compensation d'un trouble musculo-squelettique coûtera 97 000 euros, soit la totalité de sa production mensuelle, c'est l'inciter à faire de la prévention.
Nous pourrions débattre des heures de l'uniformisation des critères. En toute hypothèse, ils conserveront une part d'arbitraire. En matière de bruit, l'employeur est en infraction au-delà de quatre-vingt-cinq décibels, et le seuil d'action, à partir duquel on considère qu'il faut commencer à se protéger, est fixé à quatre-vingts décibels. Fixer le seuil de pénibilité en deçà n'a guère de justification : on ne peut le situer qu'entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq décibels. Autre exemple : selon la position du corps, la déclivité du sol, la température et mille autres facteurs, porter une charge de cinq kilos sera plus ou moins pénible. Nous avons d'ailleurs mesuré les efforts accomplis par les ouvriers d'une entreprise agro-alimentaire : mettre des olives sur des pizzas revient à porter plus de trois tonnes en une journée. Est-ce moins pénible que de soulever 25 kilos par jour en une seule fois ?
Dans le même ordre d'idées, la polyexposition ne se mesure pas. La notion peut en revanche favoriser le débat dans l'entreprise et aider à établir des priorités. Mais l'appropriation de ces sujets prend du temps et il y aura nécessairement des mécontents. Bref, le consensus sur un seuil est impossible.
La question des équivalences n'est pas simple : les points accumulés par un fondeur valent-ils ceux du salarié de l'usine de pizzas ? A nouveau, il ne peut y avoir de fondement scientifique aux critères de distinction.
Les notions de dangerosité, de pénibilité, de risque et d'usure ne sont pas interchangeables, ni même superposables. Le danger, c'est la capacité intrinsèque d'un objet, d'une situation ou d'un produit à provoquer des nuisances. Le risque est l'exposition de l'homme au danger. Une mer démontée est un danger, mais le risque n'apparaît que lorsque vous allez surfer. La pénibilité suppose que les nuisances ont un effet différé dans le temps : c'est pourquoi l'on raisonne sur l'espérance de vie à partir de la retraite. Soyons clairs, ne créons pas la confusion !
Enfin, les comptes de prévention de la pénibilité devraient être, autant que possible, des comptes vides. Il convient pour cela que les entreprises préviennent l'usure au travail, ce qui suppose une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre.
Mme Isabelle Debré. - Avez-vous eu une étude sur le coût ?
M. Serge Volkoff. - Tant que les seuils ne sont pas sur la table, le chiffrage est difficile. J'imagine toutefois que les estimations du Gouvernement sont cohérentes avec les pourcentages de personnes concernées qu'il indique. Je fais confiance aux statisticiens des ministères pour cela.
M. Georges Labazée. - J'ai assisté hier à la réunion de la Commission consultative d'évaluation des normes. Comment allons-nous concilier toutes ces questions avec la volonté de simplification ?
M. Serge Volkoff. - Le rapport Moreau avait fait deux propositions intéressantes. La première consiste à créer un observatoire des fins de carrière. Nous avons une grande quantité d'informations, mais aucune synthèse ne nous décrit exactement la situation des 55-61 ans en matière d'emploi, de santé ou de retraite. Un dispositif de veille est nécessaire.
La seconde proposition consiste à améliorer les dispositifs d'accompagnement des entreprises en matière de lutte contre la pénibilité. De nombreuses petites et moyennes entreprises rechignent à se lancer dans ces chantiers, faute d'un diagnostic technique solidement établi.
M. Hervé Lanouzière. - La Commission consultative d'évaluation des normes ne concerne que les collectivités territoriales, qui ne sont pas concernées par la création du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Contrôle des comptes des comités d'entreprise - Gestion des comités d'entreprise - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Annie David, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport de Catherine Procaccia sur la proposition de loi n° 679 visant à établir un contrôle des comptes des comités d'entreprise et la proposition de loi n° 724 relative à la gestion des comités d'entreprise.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Nous sommes saisis aujourd'hui de deux propositions de loi : la première, dont je suis l'auteur, vise à garantir un contrôle des comptes des comités d'entreprise ; la seconde, présentée par notre collègue Caroline Cayeux et que j'ai cosignée, concerne également la gestion des comités d'entreprise.
Il n'est pas fréquent de discuter en commission de deux propositions de loi, déposées pratiquement en même temps (en juillet 2012) et portant sur un même sujet. Mais il faut reconnaître que la transparence des comptes des comités d'entreprise est un véritable « serpent de mer » qui traverse les années sans trouver de solutions législatives ou réglementaires, quelle que soit d'ailleurs l'orientation politique du Gouvernement.
Je tiens d'emblée à dissiper tout malentendu et éviter tout procès d'intention : ma démarche aujourd'hui ne vise qu'à renforcer l'action des comités d'entreprise, et éviter que les abus de quelques-uns portent atteinte à une institution à laquelle les salariés attachent, avec raison, une grande importance. Nul ne conteste leurs missions, et je souhaite au contraire les renforcer grâce à la transparence financière, pour que l'on ne jette plus l'opprobre sur les quelque 53 000 comités d'entreprise que compte notre pays alors que cinq ou six sont montrés du doigt.
Expression collective des salariés dans la bonne marche de l'entreprise, gestion des activités sociales et culturelles, telles sont les deux grandes missions confiées aux comités d'entreprise. C'est pourquoi le législateur a prévu deux types de subventions :
- le chef d'entreprise doit verser chaque année au comité d'entreprise une subvention de fonctionnement d'un montant égal au moins à 0,2 % de la masse salariale brute en vertu de l'article L. 2325-43 du code du travail ;
- le comité d'entreprise reçoit également une subvention spécifique pour financer les activités sociales et culturelles. Le code du travail ne prévoit pas de taux prédéterminé pour cette subvention mais instaure un mécanisme complexe d'effets cliquets afin de protéger son montant. Cette subvention, estimée par le ministère du travail à environ 0,8 % de la masse salariale sans certitude, sert à financer différentes activités comme par exemple les arbres de Noël, des soirées, des séjours, des voyages scolaires ou encore des bibliothèques.
Ces deux subventions ne sont pas fongibles afin de souligner leurs logiques bien distinctes, mais les comités d'entreprise peuvent disposer d'autres sources de revenu comme des contributions des salariés ou des revenus immobiliers.
Le Gouvernement estime que plus de la moitié des comités d'entreprise disposaient en 2009 de moins de 19 000 euros de ressources globales annuelles, tandis que 8,6 % des comités d'entreprise étaient dotés de 600 000 euros de ressources. Mais certains comités d'entreprise disposent de subventions très généreuses de la part de l'entreprise, le plus souvent pour des raisons historiques. Ainsi, les ressources du comité des activités sociales du personnel des industries électriques et gazières (en clair, l'équivalent du comité d'entreprise d'EDF et GDF Suez) avoisinaient 500 millions d'euros en 2009, dont 341,5 millions d'euros au titre du prélèvement de 1 % sur les recettes de toutes les entreprises électriques et gazières. La subvention activité sociale et culturelle de la SNCF est quant à elle égale à 1,7 % de la masse salariale, ce qui représente environ 33 millions d'euros en 2012 pour le comité central d'entreprise.
Alors que la certification des comptes concerne aujourd'hui quasiment tous les organismes, publics comme privés, et les syndicats, le comité d'entreprise reste étrangement à l'écart de cette dynamique. Vous n'ignorez pas que le commissaire aux comptes examine les états financiers et vérifie la régularité et la sincérité des comptes des entreprises, mais aussi des associations, des organisations syndicales depuis la loi du 20 août 2008, de nombreux établissements et organismes publics et bientôt des établissements publics de santé.
Certes, certains comités se soumettent volontairement à la certification de leurs comptes, mais il n'existe pas d'obligation juridique claire en la matière. En effet, à l'occasion de la recodification du code du travail en 2008, l'article R. 432-14 a subi une modification rédactionnelle, fondée d'un point de vue légistique, mais qui a entraîné des difficultés d'interprétation. La disposition initiale prévoyait que le bilan établi par le comité d'entreprise doit être approuvé « éventuellement » par le commissaire aux comptes. Cet adverbe a disparu de la nouvelle rédaction de l'article, devenu depuis l'article R. 2323-37, si bien que la version actuelle aboutit en théorie à rendre obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d'entreprise, quelle que soit leur taille.
Compte tenu de la lourdeur de la certification et de son coût (il faut compter environ 70 000 euros pour certifier un budget de 15 millions d'euros), une telle disposition ne pouvait demeurer en l'état, car elle aurait pénalisé l'immense majorité des comités d'entreprise. C'est pourquoi, saisie à la fois par les syndicats et les entreprises en tant que rapporteur du texte de recodification du code du travail, j'ai demandé par courrier au cabinet du ministre du travail dès le 21 décembre 2010 de se pencher sur les difficultés soulevées par la nouvelle rédaction de l'article R. 2323-27.
Peu après, le 7 février 2011, par un courrier commun de la CFDT, de la CFE-CGC, de la CFTC et de la CGT, les syndicats ont alerté le ministre du travail sur ces mêmes difficultés et ont demandé la création d'un groupe de travail, demande à laquelle le Gouvernement a donné une suite favorable. Piloté par la direction générale du travail (DGT), ce groupe de travail s'est réuni sept fois entre janvier et novembre 2012 ; il était composé des représentants des partenaires sociaux sur le modèle de la commission nationale de la négociation collective (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC pour les organisations syndicales de salariés; Medef, CGPME, UPA, UNAPL et FNSEA pour les organisations d'employeurs), et de fonctionnaires du ministère de la justice et du ministère de l'économie. Les partenaires sociaux ont refusé d'engager une négociation en vue d'un accord national interprofessionnel sur cette question, estimant que le cadre d'un groupe de travail tripartite était plus adapté.
Ce groupe a rendu des conclusions adoptées par consensus début 2013. Elles reprennent l'essentiel des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur le comité d'entreprise de la RATP de novembre 2011, et ne sont guère éloignées des principales dispositions de la proposition de loi de Nicolas Perruchot sur le financement des comités d'entreprise, telle qu'adoptée en séance publique à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2012. On peut présenter ces conclusions en dix points :
- les règles sur la tenue des comptes s'imposent à tous les comités, sans distinguer la subvention de fonctionnement de la contribution pour les activités sociales et culturelles, mais en considérant uniquement leurs ressources nettes globales ;
- les nouvelles règles de comptabilité s'inspirent, tout en les adaptant, des règles en vigueur pour les associations. C'est pourquoi les comités d'entreprise sont soumis, selon leur taille, à une comptabilité ultra-simplifiée (ressources inférieures à 153 000 euros), ou une comptabilité avec présentation simplifiée (ressources supérieures à 153 000 euros et obligation de ne pas remplir au moins deux des trois critères suivants : compter plus de cinquante salariés en équivalent temps plein ; disposer d'un bilan supérieur à 1,55 million d'euros et avoir plus de 3,1 millions d'euros de ressources), ou une certification des comptes dans tous les autres cas ;
- seuls les membres élus du CE peuvent arrêter et approuver les comptes, l'employeur ne prenant pas part à ces décisions ;
- les comptes doivent être consolidés si le comité contrôle plusieurs entités;
- le coût de la certification est pris en charge par le CE ;
- un rapport de gestion est obligatoire afin de rendre compréhensible par tout un chacun la présentation des comptes et les orientations du comité;
- les comptes et le rapport de gestion doivent être portés à la connaissance exclusive des salariés de l'entreprise ;
- une commission des marchés devra être mise en place dans les comités d'entreprise soumis à la certification de leurs comptes ;
- les commissaires aux comptes pourront déclencher une procédure d'alerte ;
- l'entrée en vigueur de l'obligation de tenue des comptes annuels s'appliquera à compter de l'exercice comptable 2014, tandis que l'obligation de certification est repoussée à l'exercice comptable 2015.
Il convient d'indiquer qu'un groupe de travail technique conduit par l'Autorité des normes comptables (ANC) a débuté ses travaux le 5 septembre 2012, prenant comme feuille de route les conclusions du groupe de travail de la DGT. Ses travaux se sont achevés en mars 2013 et ont permis de tracer les grandes lignes des futurs règlements de l'ANC sur le référentiel comptable applicable aux comités d'entreprise.
Bien évidemment, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, et qui ont été déposées - je le rappelle - en juillet 2012, ne pouvaient tenir compte de ces conclusions. Ma proposition de loi pose des principes généraux sur l'obligation de tenir des comptes annuels et de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, tout en renvoyant à un décret le soin de fixer les seuils. De même, la proposition de loi de notre collègue Caroline Cayeux fixe des principes en matière de publicité des documents comptables du comité d'entreprise, sur la portée du contrôle du commissaire aux comptes et impose aux comités émanant d'entreprises publiques de suivre les règles du code des marchés publics.
Suite à la saisine de notre présidente Annie David, dans le cadre du protocole adopté par le bureau du Sénat le 16 décembre 2009 sur la concertation des partenaires sociaux, ces derniers ont mis en avant les conclusions du groupe de travail de la DGT et les engagements pris lors de la dernière grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013. Parmi ces engagements, il est prévu, sur la base du relevé de conclusions du groupe de travail animé par la DGT, que des dispositions législatives seront proposées au Parlement sur la transparence des comptes des comités d'entreprise avant la fin 2013.
Le cabinet du ministre du travail, que nous avons auditionné, a indiqué qu'un projet de loi devrait être déposé en fin d'année ou en début d'année prochaine. Mais j'observe pour ma part que le sujet de la transparence financière des comités d'entreprise avait déjà été inscrit sur la feuille de route de la première grande conférence sociale, en vain. Il était pourtant prévu que « des dispositions législatives seront adoptées début 2013 sur la transparence financière des comités d'entreprise ».
En outre, la feuille de route de la deuxième conférence sociale évoque des « dispositions législatives », ce qui n'interdit donc pas de choisir comme véhicule législatif une proposition de loi, fût-elle déposée par l'opposition... dans l'esprit d'ouverture qui est le nôtre !
C'est pourquoi je souhaite, en concertation avec notre collègue Caroline Cayeux, vous présenter toute une série d'amendements, afin d'établir un texte de commission qui reprenne le plus fidèlement possible les conclusions du groupe de travail de la DGT et enrichir ainsi les deux propositions de loi, déposées voilà plus d'un an, en respectant leur philosophie initiale. Notre seul souci étant de faire progresser la transparence des comités d'entreprise, j'invite notre commission à adopter aujourd'hui ma proposition de loi modifiée par les amendements que je vais vous proposer, et dont j'ai informé tous les chefs de file des groupes de notre commission. Je forme le voeu que les élus de la majorité et le Gouvernement adoptent une attitude constructive, ouverte et bienveillante pour améliorer ce texte qui vise à renforcer la légitimité des comités d'entreprise et les droits des salariés.
Les partenaires sociaux que nous avons auditionnés souhaitent que les conclusions du groupe de travail prennent rapidement force de loi. Ils nous ont tous réclamé un texte dans les meilleurs délais. La proposition de loi et les amendements que je vous proposerai répondent bien à leurs attentes. Le temps du dialogue social a été respecté, les négociations et le travail technique sont derrière nous : à nous parlementaires de remplir maintenant notre mission.
Mme Caroline Cayeux. - Je tiens à remercier et à féliciter Catherine Procaccia pour son examen approfondi de nos deux propositions de loi et pour l'excellent travail qu'elle mène d'ailleurs depuis longtemps dans le champ du droit du travail.
J'ai en effet déposé, en juillet 2012, une proposition de loi relative à la gestion des comités d'entreprise. Dès décembre 2011, j'avais entrepris une réflexion qui faisait suite à la multiplication de faits divers impliquant des comités d'entreprise. Les médias ont en effet régulièrement pointé un certain nombre de dérives ou de mauvaises gestions, apparues dans le fonctionnement de certains de ces comités.
La Cour des comptes a elle-même dénoncé, dans un rapport, la mauvaise gestion de trois grands comités d'entreprise qui ont d'ailleurs fait l'objet, par la suite, de l'ouverture d'une information judiciaire ou d'une enquête préliminaire. L'opacité, les rumeurs, fondées ou non, sur les errements de gestion de certains comités, portent atteinte à l'image de nos entreprises publiques ou privés et affaiblissent les syndicats qui souvent président à leur organisation ou à leur fonctionnement.
Aujourd'hui, la loi n'encadre pas véritablement les comités d'entreprise. Elle ne propose pas de véritable contrôle au président de l'entreprise, que ce soit a priori ou a posteriori, sur leurs budgets. Trop souvent, les salariés élus à ces comités jouissent d'une autonomie trop grande et mal encadrée. C'est pourquoi j'ai souhaité apporter une réflexion sur la manière dont nous pourrions, dans l'avenir, mieux renforcer les contrôles et rendre l'action des comités d'entreprise plus transparente, donc plus lisible.
A la lumière de mes auditions, de mes lectures, il m'est apparu pertinent de porter le débat et la discussion sur trois pistes prioritaires :
- quels documents comptables pourraient être produits annuellement par les comités d'entreprise et remis aux conseils d'administration ?
- les comités d'entreprise doivent-ils être soumis aux mêmes obligations que les entreprises et, par conséquent, déposer des comptes certifiés ?
- les comités d'entreprise ne doivent-ils pas se conformer à la réglementation propre aux marchés publics pour des achats ou des prestations supérieurs à 500 000 euros ?
Ces éléments de réflexion m'ont été suggérés par des présidents de grandes entreprises et des juristes spécialisés en droit social. Ils m'ont convaincue de déposer cette proposition de loi destinée à établir un véritable contrôle de l'action, de l'organisation, et du fonctionnement des comités d'entreprise. Rendre plus transparente leur action sera, demain, un gage d'efficacité et de responsabilité pour les entreprises, pour les dirigeants de ces comités et, plus généralement, pour les syndicats. En adoptant une attitude gestionnaire, leurs responsables se rendront plus crédibles et donc plus respectés par les salariés et par nos concitoyens.
A la lumière des nombreuses auditions organisées par notre rapporteur, auxquelles j'ai assisté, c'est d'un commun accord que nous souhaitons élaborer un texte unique et vous proposer des amendements nourris de nos consultations, des conclusions du groupe de travail tripartite et des dispositions de la proposition de loi examinée à l'Assemblée nationale en janvier 2013. J'espère que le travail d'expertise que nous avons mené ensemble favorisera un débat positif éclairant, qui redonnera aux comités d'entreprise une plus grande autorité, une plus grande respectabilité.
Mme Annie David, présidente. - Je tiens à remercier le rapporteur d'avoir transmis aux groupes, la veille de notre réunion de commission, l'ensemble de ses amendements afin que nous en prenions connaissance, d'autant que ceux-ci réécrivent entièrement le texte initial de sa proposition de loi. Cette démarche constructive est tout à son honneur. Je me souviens avoir moi-même rapporté il y a quelques années une proposition de loi dont j'étais la première signataire et que j'avais amendée. J'avais alors été confrontée aux remarques acerbes de mes collègues. Or savoir faire évoluer son texte, c'est la preuve que l'on est à l'écoute des uns et des autres.
M. Claude Jeannerot. - Au nom de mon groupe, je m'associe aux propos de notre présidente de commission et salue l'important travail effectué par le rapporteur, auquel j'associe évidemment Caroline Cayeux. Son rapport et les amendements qu'elle nous propose, fruit des nombreuses auditions menées, témoignent d'un sens certain de la concertation.
Notre seule réserve porte sur le calendrier d'examen de ces deux propositions de loi. Dans la mesure où le dépôt d'un projet de loi global sur la transparence financière des comités d'entreprise est prochainement prévu, comme l'indique la feuille de route de la deuxième grande conférence sociale, il ne nous semble pas opportun de débattre dès à présent de cette question. Pour cette raison, au stade de l'examen de ces propositions de loi en commission, nous ne prendrons pas part au vote sur les amendements et le texte.
Mme Isabelle Pasquet. - Je félicite également le rapporteur pour son travail considérable et son souci de prendre en compte l'avis des différentes parties prenantes.
La transparence financière des comités d'entreprise est effectivement un véritable « serpent de mer » : il est temps de s'atteler à ce chantier. Tout le monde y est attaché. Comme cela a été dit, la Cour des comptes a déjà formulé plusieurs recommandations en vue d'améliorer la situation ; certaines ont d'ores et déjà été suivies par des comités.
Les organisations syndicales que j'ai personnellement rencontrées ont le souci de bien utiliser les sommes qui leur sont confiées. Elles souhaitent également que le versement de la subvention légale de fonctionnement par l'employeur soit mieux contrôlé, mais elles ne disposent actuellement pas des outils pour le faire.
Mon groupe regrette, en revanche, que l'examen de ces deux propositions de loi survienne à un moment où règne un certain climat de suspicion autour de la gestion des organisations syndicales. En outre, à partir du moment où le groupe de travail tripartite a adopté ses conclusions par consensus, est-il nécessaire d'en passer par la loi ? Aussi, nous ne prendrons pas part au vote sur les amendements et le texte, mais nous souhaitons cependant que le rapport soit publié.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je suis surpris de la proposition du rapporteur de ne réserver la publication des comptes du comité d'entreprise et de son rapport de gestion qu'à destination des seuls salariés. La mission principale d'un commissaire aux comptes consiste à certifier ou non les comptes de l'entreprise afin que les tiers co-contractants (fournisseurs, prestataires, banquiers...) puissent disposer d'informations financières sur celle-ci. Dès lors, limiter leur communication aux salariés ne me paraît pas pertinent.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - A mon tour de saluer le travail d'expertise de Catherine Procaccia, qui était nécessaire. Il s'inscrit dans la continuité de la proposition de loi déposée par notre collègue député Nicolas Perruchot et adoptée par l'Assemblée nationale en 2012. Une totale transparence sur le fonctionnement et la gestion des comités d'entreprise est indispensable pour éviter tout soupçon. C'est pourquoi notre groupe soutiendra le texte tel que proposé par le rapporteur.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - J'estime que c'est la moindre des choses d'informer préalablement les collègues de mes amendements, s'agissant d'un texte relatif au dialogue social dans les entreprises !
J'entends la remarque d'Isabelle Pasquet au sujet de la subvention de fonctionnement et du manque d'outils dont disposent les organisations syndicales pour en assurer le suivi. Par ailleurs, il est nécessaire de passer par la loi car certaines dispositions relatives aux comités d'entreprise relèvent du domaine législatif.
A Jean-Noël Cardoux, je répondrai que ma position au sujet de la publication des comptes et du rapport de gestion s'est forgée au fil des auditions. Il s'agit de l'argent de l'entreprise, il est donc logique que les salariés soient les premiers informés. J'ai donc fait le choix de préciser que cette publication ne concerne que les salariés.
Je rappelle à Jean-Marie Vanlerenberghe que ma démarche n'est pas vraiment identique à celle de Nicolas Perruchot ; elle s'inscrit plutôt dans la continuité du travail que j'ai effectué en 2011 en tant que rapporteur pour avis sur la proposition de loi de simplification du droit dite « Warsmann ». J'avais alors déposé un amendement qui aurait permis de régler le problème juridique résultant de la recodification du code du travail, mais qui n'a malheureusement pas pu aboutir, le Sénat ayant rejeté ce texte en adoptant une question préalable.
Je souhaiterais, pour finir, insister sur un point. J'ai été très étonnée par l'unanimité des organisations syndicales sur ce sujet de la transparence financière des comités d'entreprise. Depuis que je siège à la commission, je n'ai jamais vu un tel consensus ! Toutes attendent que les conclusions du groupe de travail trouvent leur traduction dans la loi.
Je précise en outre que rien n'empêche le Gouvernement d'amender le texte de la commission en séance, ni - une fois celui-ci adopté par le Sénat- de le faire porter à l'Assemblée nationale par un membre du groupe socialiste. En réalité, le principal souci du Gouvernement est de trouver le bon véhicule législatif dans ce calendrier parlementaire très contraint. Qu'il saisisse donc l'opportunité de cette proposition de loi !
Mme Annie David, présidente. - Nous passons maintenant à l'examen des amendements du rapporteur.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement n° 1 pose comme principe général l'obligation pour les comités d'entreprise de suivre les règles comptables, à l'image de ce qui existe actuellement pour les syndicats.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement n° 2 interdit à un même commissaire aux comptes de contrôler en même temps les comptes de l'entreprise et ceux du comité d'entreprise afin d'éviter tout risque de conflit d'intérêt.
Mme Isabelle Debré. - Sachant que nous examinons aujourd'hui deux propositions de loi, comment cela va-t-il se passer en pratique en séance publique ? Sur quel texte allons-nous travailler ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les amendements que je présente vont permettre d'établir un texte unique.
Mme Annie David, présidente. - Le texte de la commission, élaboré à partir des amendements présentés par le rapporteur, va se substituer aux deux propositions de loi initiales.
Mme Caroline Cayeux. - Certains des articles de ma proposition de loi vont donc « tomber » ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Oui, car la proposition de loi que j'ai déposée sert de base de travail à l'élaboration du texte de la commission.
Mme Annie David, présidente. - Je rappelle à nos collègues que deux propositions de loi ont été inscrites à l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe UMP, celle de Catherine Procaccia et celle de Caroline Cayeux. Nous travaillons actuellement sur la première, que nous amendons afin d'établir le texte de la commission. L'examen en séance publique portera sur ce texte unique.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement n° 3 crée une procédure d'alerte déclenchée à l'initiative du commissaire aux comptes, sur le modèle de ce qui existe déjà dans le code du commerce moyennant quelques adaptations.
L'amendement n° 3 est adopté.
L'amendement n° 4 oblige les comités d'entreprise soumis à la certification de leurs comptes à instaurer, dans leur règlement intérieur, une commission des marchés afin de mieux encadrer leurs achats et le choix de leurs prestataires.
Mme Annie David, présidente. - Avec cette commission des marchés, les comités d'entreprise pourront-ils toujours privilégier des prestataires intervenant dans les secteurs du commerce équitable ou de l'économie sociale ou solidaire ? Ou bien devront-ils choisir le mieux disant ? Autrement dit, pourront-ils fixer des critères sociaux pour l'achat de biens et de services ? Car les comités d'entreprise servent aussi à proposer des offres culturelles que je qualifierai de sociales.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Je vous rassure, ils pourront toujours le faire. Ils seront même bien plus libres qu'aujourd'hui de fixer ou non un critère social pour leur politique d'achats de biens et de services. Si un tel critère est choisi, la commission des marchés veillera à ce qu'il soit respecté.
M. René-Paul Savary.- Le règlement intérieur est-il obligatoire pour les comités d'entreprise ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Il l'est.
M. René-Paul Savary. - La mise en place d'une commission des marchés sera donc rendue obligatoire ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - C'est l'objectif de cet amendement.
L'amendement n° 4 est adopté.
L'amendement n° 5 propose, conformément aux conclusions du groupe de travail tripartite, de prévoir la communication d'un rapport de gestion, comprenant notamment la présentation du comité d'entreprise, les actions menées pendant l'année écoulée et le bilan financier. Ce rapport sera communiqué à tous les membres du comité d'entreprise, répondant ainsi en partie à l'une des préoccupations exprimées à l'article 1er de la proposition de loi de Caroline Cayeux. Par ailleurs, il est précisé que la publication des comptes du comité et du rapport de gestion ne concerne que les salariés.
Mme Caroline Cayeux. - Avec Catherine Procaccia, nous avons une petite divergence sur la notion de publication des comptes et du rapport de gestion. Pour ma part, je souhaiterais qu'il n'y ait aucune restriction à cette publication. Cet amendement me gêne car il ne vise que les salariés.
M. Jean-Noël Cardoux. - C'est un non-sens de réserver cette publication aux seuls salariés ! Admettons qu'un tiers ait connaissance de ces données, la responsabilité du commissaire aux comptes serait alors engagée !
Mme Annie David, présidente. - Prévoir l'information des salariés constitue déjà un progrès : avançons pas à pas.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'attire votre attention sur le fait que la rédaction proposée n'est pas restrictive. Il est écrit « le comité d'entreprise assure la publication de ses comptes et du rapport de gestion auprès des salariés » : rien n'interdit au comité de communiquer plus largement ces informations, ni à un tiers de les demander.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Sans compter que le comité d'entreprise peut décider, dans son règlement intérieur, de publier ses comptes. Je n'ai pas l'intention de modifier mon amendement à ce stade. Le débat parlementaire permettra, s'il le faut, de faire évoluer la rédaction.
Mme Isabelle Debré. - Pour ma part, je voterai cet amendement. Rien n'empêche en effet le comité d'entreprise d'étendre la communication de ses comptes et de son rapport de gestion à des tiers. Aucun interdit n'est posé.
M. René-Paul Savary.- S'agit-il bien d'une obligation de publicité envers les salariés ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - C'est bien cela.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je ne souhaite pas voter cet amendement.
L'amendement n° 5 est adopté.
L'amendement n° 6 élargit le champ d'application de la proposition de loi à toutes les structures assimilables à un comité d'entreprise et aux institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières.
Mme Annie David, présidente. - Cette proposition va plus loin que celle du groupe de travail, qui consistait à n'étendre les nouvelles règles de transparence financière qu'aux comités centraux d'entreprise et aux comités interentreprises.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement n° 7 prévoit que les obligations comptables s'appliqueront à partir de l'exercice comptable de 2015, et que les obligations de certification et de consolidation des comptes concerneront l'exercice comptable de 2016 et les suivants. Nous décalons donc d'un an les dates retenues par le groupe de travail.
L'amendement n° 7 est adopté.
Je remercie mes collègues des groupes socialiste et communiste républicain et citoyen (CRC) de ne pas avoir pris part au vote, afin que le débat ait lieu en séance publique. Je suis sûre que celui-ci permettra de faire avancer les choses.
La commission adopte la proposition de loi n° 679 dans la rédaction issue de ses travaux.
Mme Isabelle Debré. - Madame la présidente, je tiens à vous faire part du mécontentement de mon groupe au sujet de l'organisation, demain matin, d'une table-ronde avec les organisations patronales sur le projet de loi retraites alors que, dans le même temps, l'examen en séance publique du projet de loi sur les métropoles se poursuit.
Mme Annie David, présidente. - Compte tenu de la charge de notre programme de travail, il était matériellement impossible de fixer toutes les auditions au mercredi matin.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Accès au logement et urbanisme rénové - Examen du rapport pour avis
Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi n° 851 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové dont Mme Aline Archimbaud est la rapporteure pour avis.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - A la suite de la conférence nationale qui s'est tenue en décembre 2012, un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale a été adopté le 21 janvier 2013 ; il définit pour la durée du quinquennat la feuille de route du Gouvernement en matière de solidarité. Ses préconisations sont aujourd'hui largement contenues dans le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur).
Certains constats nous montrent l'ampleur des enjeux auxquels le projet de loi doit répondre : en 2011, 8,7 millions de Français - 14,3 % de la population - vivaient en dessous du seuil de pauvreté, la moitié d'entre eux avec moins de 790 euros par mois. Cela touche en premier lieu les jeunes, les personnes isolées et sans emploi, mais également les familles. Selon l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, un tiers des familles monoparentales et plus d'une famille nombreuse sur cinq vivaient en 2009 sous le seuil de pauvreté. Le mal-logement en est l'un des corollaires : 3,6 millions de Français sont aujourd'hui mal-logés et 150 000 n'ont pas de logement ou sont accueillis dans des structures d'hébergement.
Beaucoup sont hébergés par des proches ou contraints de vivre dans des habitations insalubres ou informelles. Ils sont 1,2 million à attendre un logement social. Or les efforts de construction ne sont pas encore à la hauteur des besoins et demeurent trop peu centrés sur les logements sociaux et très sociaux. L'effort substantiel réalisé au cours des dernières années pour renforcer le parc d'hébergement et en améliorer la qualité n'est pas suffisant face à une demande sans cesse croissante. Ainsi, le baromètre du 115, publié par la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) en juillet 2013, indiquait que 76 % des demandes enregistrées ce mois-là n'avaient pu aboutir. Les familles sont de plus en plus nombreuses à s'adresser au 115, tout en étant les premières victimes de l'inadaptation de l'offre d'hébergement. En l'absence de solutions plus pérennes, l'Etat consacre un budget considérable au paiement des nuits d'hôtel, hébergement qui empêche tout accompagnement social adapté et renforce les situations d'exclusion vécues par les personnes.
Face à cette situation, le Gouvernement a d'ores et déjà pris plusieurs mesures fortes. Il s'est engagé à construire 150 000 logements sociaux par an au cours des cinq années du quinquennat et à créer 15 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires dont 5 000 en 2013. Des projets territoriaux de sortie de l'hiver ont été élaborés par les préfets au début de l'année 2013 pour mettre un terme à la « gestion au thermomètre» des ouvertures de places, parfois suivis de diagnostics territoriaux à 360 degrés qui devraient être généralisés d'ici la fin de l'année.
Le présent projet de loi confirme ces avancées et s'articule autour de deux axes forts : anticiper les difficultés susceptibles de conduire à une mise à la rue et assurer la fluidité des parcours.
Deux mesures ne concernent pas directement l'hébergement : l'article 3 encadre l'évolution des loyers dans les zones tendues. Le logement constitue aujourd'hui le premier poste de charges des ménages français ; pour 8,4 % d'entre eux, cela représente plus de 40 % de leurs revenus. La forte augmentation des loyers au cours des dernières années renforce les risques d'impayés. Il fallait donc intervenir.
L'article 8 instaure quant à lui une garantie universelle des loyers (GUL), dont l'objectif est à la fois d'encourager les bailleurs à mettre leurs logements en location et de rétablir une égalité de traitement entre les locataires qui bénéficient de solides garanties et ceux qui n'ont pas la chance d'en disposer. En attendant son entrée en vigueur au 1er janvier 2016, la phase de préfiguration sera l'occasion d'affiner le dispositif et d'informer les bailleurs et les locataires sur son fonctionnement.
Quant aux articles sur lesquels notre commission doit se prononcer, l'article 10 rend systématique, à compter du 1er janvier 2015, la saisine par les bailleurs des commissions départementales de prévention des expulsions locatives (Ccapex) avant celle du juge. L'Assemblée nationale a apporté plusieurs améliorations substantielles à cet article, notamment le principe du maintien des aides personnelles au logement pour les locataires de bonne foi en situation d'impayés, qui permettra de limiter le risque de spirale de l'endettement, préjudiciable au propriétaire comme au locataire.
L'article 11 précise les conditions d'adoption et de suivi des chartes départementales pour la prévention des expulsions créées par la loi du 29 juillet 1998 et renforce le rôle des Ccapex, qui restent consultatives, mais mieux articulées avec le préfet, le bailleur, les organismes payeurs des aides au logement ou le fonds de solidarité pour le logement.
L'article 12 consacre le rôle et les missions des services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao) qui n'avaient jusqu'à présent qu'un fondement réglementaire. Placées sous la responsabilité du préfet, ces structures sont chargées, dans chaque département, de réguler l'offre d'hébergement, de coordonner les acteurs, d'assurer la continuité des prises en charge et d'analyser l'évolution des besoins. L'article 12 précise l'ensemble de ces missions : les Siao pourront conclure des conventions, que ce soit avec les organismes gérant les structures d'hébergements, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales ou les agences régionales de santé (ARS). Je vous proposerai de compléter cette liste en intégrant les services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui jouent un rôle essentiel pour la réinsertion sociale des anciens détenus. Avec l'article 12, les Siao deviennent les véritables pilotes du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion vers le logement. La direction générale de la cohésion sociale nous a indiqué que des moyens supplémentaires substantiels leur seraient alloués dans le projet de loi de finances pour 2014, notamment pour assurer le déploiement d'un système d'information partagé, indispensable à l'analyse de l'évolution des besoins et de l'offre d'hébergement.
L'article 13 étend la compétence du comité régional de l'habitat au domaine de l'hébergement.
L'article 14 crée le plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), qui résulte de la fusion du plan départemental d'accueil, d'hébergement et d'insertion (Pdahi) et du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) dans lesquels ils doivent être inclus depuis 2009. Ce document unique, élaboré sous la responsabilité partagée du préfet et du président du conseil général, garantira une meilleure articulation entre les politiques d'hébergement et du logement.
L'article 16 ter, introduit à l'Assemblée nationale, donne aux départements la possibilité de déléguer le paiement des dépenses et le recouvrement des recettes relatives à l'hébergement des publics pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le cabinet de la ministre m'a assurée que cela permettra de faciliter le travail quotidien des structures chargées d'intervenir auprès de ces publics sans remettre en cause la qualité du soutien apporté.
L'article 17 renforce la participation des personnes à la définition, au suivi et à l'évaluation du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Des conseils de la vie sociale ou d'autres formes de participation seront ainsi créés dans des structures qui ne rentrent pas dans le champ de la loi du 2 janvier 2002 qui a posé les bases de la participation des usagers pris en charge dans les établissements et services médico-sociaux. C'est une avancée forte.
L'article 18 encadre mieux le dispositif de bail glissant qui permet à un organisme d'intermédiation locative de devenir locataire d'un logement pour le sous-louer temporairement à un ménage dont il assure en parallèle l'accompagnement social. Il étend cette possibilité aux ménages reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo). Je m'interroge sur l'opportunité d'une telle mesure qui me semble contraire à l'esprit de la loi du 5 mars 2007 : une personne reconnue prioritaire est, par principe, en mesure d'accéder immédiatement à un logement et de s'y maintenir. Pourquoi créer à travers la sous-location une nouvelle forme de mise à l'épreuve stigmatisante ? Je vous proposerai donc un amendement qui le limite aux personnes reconnues prioritaires au titre du droit à l'hébergement opposable (Daho).
L'article 19 renforce en cette matière les pouvoirs du préfet qui orientera les demandeurs reconnus prioritaires vers le Siao. Si aucune solution n'est proposée dans les temps ou si un organisme refuse de prendre en charge la personne, le préfet pourra procéder d'office à l'attribution d'une place ou d'un logement adapté. Je vous présenterai un amendement prévoyant que l'hébergement proposé présente un caractère de stabilité. Il s'agit ni plus ni moins d'inscrire dans la loi la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière d'hébergement.
L'article 20 permet aux commissions de médiation de requalifier un recours Daho en recours Dalo. Jusqu'à présent, seule l'option inverse leur était offerte.
Enfin, l'article 21 porte sur la domiciliation des personnes sans domicile stable. Celle-ci n'est pas un droit en soi, mais la condition de l'exercice de certains droits limitativement définis par le code de l'action sociale et des familles tels que l'affiliation à la sécurité sociale ou l'inscription sur les listes électorales. Les personnes sans domicile doivent se faire enregistrer auprès d'un centre communal d'action sociale (Ccas) ou d'un organisme agréé par le département. Depuis la loi Dalo, une procédure unique s'applique à tous, mais les étrangers non communautaires en situation irrégulière n'y ont en principe pas droit, sauf s'ils souhaitent bénéficier de l'aide médicale d'Etat, s'ils demandent l'asile ou, sous certaines conditions, s'ils peuvent prétendre à l'aide juridictionnelle. L'article 21 aligne ces trois procédures dérogatoires sur celle de droit commun. Je veux pourtant aller plus loin : la domiciliation devient possible pour l'exercice des droits civils, sauf pour les étrangers non communautaires en situation irrégulière. Pourtant, rien ne leur interdit, s'ils ont une adresse, de se marier en France ou d'y ouvrir un compte en banque. Il faut remédier à cette inégalité.
Ce texte n'est pas la grande loi de programmation en matière d'hébergement et de logement accompagné que certains pourraient souhaiter. Il se borne, et c'est déjà beaucoup, à poser les bases d'une meilleure articulation entre les politiques de l'hébergement et du logement et d'une coordination renforcée entre les nombreux acteurs qui interviennent dans ce domaine. L'ensemble des personnes que j'ai pu auditionner ont salué ces avancées.
Il conviendra bien évidemment d'être attentif aux moyens qui seront mis en oeuvre. Mais il s'agit là d'un autre débat, celui du projet de loi de finances que nous examinerons dans les prochaines semaines. Comme vous le savez, le Gouvernement a débloqué il y a maintenant quinze jours 107 millions d'euros afin d'abonder les crédits consacrés cette année à l'hébergement d'urgence, ce qui montre bien les tensions sur ce secteur sous-financé.
Deux éléments me semblent essentiels. D'une part, l'accompagnement social. Sans lui, comment prévenir les ruptures de parcours qui conduisent aux expulsions? Comment envisager une sortie durable de l'hébergement vers le logement ? Il est à ce titre essentiel que les professionnels se sentent encouragés dans leurs actions, qu'ils aient les moyens de mieux se coordonner pour proposer, sur la base d'évaluations sociales partagées, des solutions d'accompagnement individualisées pleinement adaptées aux besoins des personnes.
D'autre part, le développement de solutions innovantes de logement adapté. Afin d'éviter la rue ou le bidonville à ceux pour qui l'accès à un logement autonome est un horizon lointain, il est essentiel de développer les dispositifs existants, comme les logements foyers ou les maisons relais, et de réfléchir sans cesse à de nouveaux modes de prise en charge. Un appel à projets a été lancé en avril dernier pour expérimenter des solutions innovantes auprès de quatre publics : les femmes victimes de violences, les personnes souffrant de troubles psychiques, les jeunes en errance et les personnes sortant de prison. Cette initiative prometteuse doit en amener d'autres qui ne requerront pas nécessairement un accompagnement financier démesuré de la part de la puissance publique si elles s'appuient sur le secteur de l'économie sociale et solidaire. Afin d'alimenter la réflexion sur ce sujet, je vous proposerai de demander au Gouvernement un rapport qui nous permettra de disposer à la fois d'une évaluation des expériences déjà menées et de pistes pour en développer de nouvelles à l'avenir. Ce texte n'en demeure pas moins une étape importante pour faire du logement la porte d'entrée vers une intégration sociale réussie et non pas un facteur d'exclusion et de creusement des inégalités.
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'appel à projets visant entre autres publics les femmes victimes de violences intègre-t-il les femmes cherchant à sortir de la prostitution ?
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Ce n'est pas précisé. Les projets sont en train d'être examinés. J'espère qu'il y en aura qui concernent ce public ; rien ne s'y oppose en tout cas.
M. René-Paul Savary. - Ce projet de loi est une modification de la politique en faveur de l'hébergement et du logement. Jusqu'à présent, le logement était considéré comme un droit pour tous et l'hébergement comme une solution transitoire, de manière notamment à éviter les nuitées en hôtel qui sont une solution mauvaise et très coûteuse. Le logement devait être la solution de première intention. Ce que vous proposez est un constat d'échec, puisque vous mettez l'accent sur l'hébergement. Les Siao fonctionnent très bien. Ce projet de loi les reconnaît, leur accorde plus de moyens, c'est positif. Ils deviennent pilotes, mais il faut bien que la politique impulsée soit celle de l'Etat.
L'article 13 ajoute un échelon régional qui me semble malvenu concernant les questions d'hébergement qui peuvent être très différentes d'un département à l'autre. Dans ma région, les problèmes de la Haute-Marne ou des Ardennes n'ont rien à voir en ce domaine avec ceux que rencontre la Marne. L'hébergement est une compétence sociale qui doit être traitée au niveau départemental. Y mêler le niveau régional, ce n'est pas simplifier, c'est tout mélanger.
M. Gérard Longuet. - Puis-je avoir votre sentiment sur cette réalité française : nous sommes un pays où le logement est rare et cher, sans baisse des prix en période de crise, et tout cela malgré une dépense publique considérable. Sans vouloir mettre en cause un gouvernement ou un autre, quelle est votre interprétation de cette fatalité ?
Mme Catherine Deroche. - L'article 16 ter prévoit la possibilité de déléguer le paiement des dépenses et le recouvrement des recettes relatives à l'hébergement des publics pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. A qui ?
Mme Michelle Meunier. - J'apprécie que ce projet de loi mette l'accent sur la prévention et l'anticipation, afin que l'accompagnement d'une personne ne soit pas mis à mal faute d'hébergement ou de logement, ou à cause d'un hébergement inapproprié tel que l'hôtel. L'accompagnement est en effet aussi important que l'hébergement. En revanche, je ne comprends pas l'article 21 sur la domiciliation. Il me semblait que les CCAS n'étaient plus chargées de la domiciliation des étrangers en situation irrégulière. Cet article revient-il en arrière ? Il s'agit souvent de situations dramatiques difficiles à traiter pour les CCAS.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - La domiciliation concerne tous les acteurs. Seules 17 % des démarches sont prises en charge par les CCAS ; le reste est fait dans des associations. La procédure ne change pas mais est élargie.
Monsieur Savary, ce projet de loi ne remet pas en cause la loi Dalo, au contraire. L'objectif final reste bien évidemment le logement. Mais il faut voir la réalité en face telle que nous avons pu la percevoir collectivement en audition : le 30 juin 2012, 27 534 ménages reconnus prioritaires attendaient un relogement depuis au moins six mois !
M. Claude Jeannerot. - Ces chiffres globaux ne veulent pas dire grand-chose tant les disparités sont grandes entre les territoires.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - La loi Dalo est excellente ; encore faut-il l'appliquer, ce qui nécessite d'éviter les ruptures. L'hôtel est une très mauvaise et très coûteuse solution et elle favorise ces ruptures. Il faut créer un parcours qui aille de la rue, du bidonville voire de la voiture au logement durable. C'est la raison d'être des articles de ce projet de loi sur le Daho. Quant aux Siao, ils sont bien placés sous l'autorité du préfet. Si nous avons l'impression que cela ne fonctionne pas, nous pouvons nous retourner vers lui, ce qui est rassurant.
M. René-Paul Savary. - Vous nous dites pourtant que les Siao pilotent les dispositifs. Les associations font un travail remarquable... mais le pilote doit rester le préfet.
Mme Annie David, présidente. - Mais ils seront placés sous l'autorité du préfet.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Le mot « piloter » est de moi. Il est peut-être inapproprié et ne figure pas dans le projet de loi.
Pour le pilotage régional du dispositif d'hébergement, l'objectif est de donner de la souplesse en cas de blocage dans un département. En Seine-Saint-Denis, tout est bloqué, alors que des solutions existent sans doute au niveau régional. C'est une possibilité et en aucun cas une obligation. La région n'est pas en concurrence avec le département.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je comprends bien que l'on raisonne ainsi en Ile-de-France. Mais en Basse-Normandie, un cas problématique à Cherbourg ne peut trouver sa solution à Alençon, à 230 kilomètres de là.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Le texte distingue bien l'Ile-de-France des autres régions.
Mme Annie David, présidente. - Les Siao d'Ile-de-France en bénéficieront, mais les autres n'en auront pas même l'idée. En Rhône-Alpes, c'est la même chose ; on ne va pas héberger un habitant de Lyon en Haute-Savoie. Faut-il pour autant préciser et discriminer dans la loi ?
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - La coordination régionale des Siao sera plus structurée en Ile-de-France qu'ailleurs.
M. René-Paul Savary. - Raison de plus pour supprimer l'article 13 qui complique tout. Ce n'est pas le comité qui vous aidera à trouver des hébergements.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Il a un rôle consultatif.
M. René-Paul Savary. - Raison de plus ! Cela occasionnera des déplacements superflus...
M. Claude Jeannerot. - Je comprends les remarques de M. Savary, mais une telle rédaction permet d'affirmer la nécessité d'un continuum.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Vous me demandez, Monsieur Longuet, pourquoi le logement est rare et cher. Sans vouloir polémiquer, force est de constater que pendant longtemps, la politique du logement a été insuffisante. D'autres articles du projet de loi, sur lesquels nous ne sommes pas saisis, tiennent à d'autres aspects et font preuve d'une logique globale en faveur de la construction de logements publics et privés. Il est ainsi nécessaire de lutter contre les pratiques spéculatives, mais aussi d'avoir une politique d'aménagement du territoire et d'encourager la construction de tous les types de logements : privés de toutes les gammes, sociaux et très sociaux, en rééquilibrant les rapports entre locataires et propriétaires
M. Gérard Longuet. - Dans quel sens ?
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Dans le sens de la justice. L'article 16 ter, enfin, dont je m'étais moi-même inquiétée, présentera surtout une utilité pour le Samu social de Paris.
Mme Natacha Bouchart. - Il ne faut pas oublier l'équilibre entre les communes centres et les autres. Certaines d'entre elles ont les moyens de construire des logements sociaux et ne le font pas. Baisser les seuils démographiques permettrait de mieux répartir les besoins du Dalo. Dans l'agglomération de Calais, s'il y a trente-huit ménages prioritaires au titre du Dalo, c'est la ville de Calais qui doit y répondre. Concernant l'hébergement, certains Siao fonctionnent bien ; le nôtre non : lorsque nous voulons trouver de la place pour des migrants en appelant le 115, il n'y en a jamais...
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Je vous rejoins sur votre premier point. C'était l'objet de la loi votée il y a quelques mois. Toutes les communes doivent jouer le jeu. Or certaines ont 40 % de logements sociaux, tandis que d'autres, qui devraient en avoir 25 %, n'en ont que 5 % à 6 %.
Comme Mme Meunier, je considère que plus les difficultés sont prises en amont, plus il est possible d'éviter bien des souffrances et des dépenses. Mais cela suppose des moyens et des dispositifs d'alerte.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'article 10 prévoit notamment que les bailleurs - personnes physiques et SCI familiales - devront signaler aux commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex), les commandements de payer adressés à leurs locataires en situation d'impayés. Pour éviter l'encombrement des Ccapex, ce signalement ne sera obligatoire qu'au-delà d'un certain montant de dette, mais ce montant ne permet pas à lui seul d'apprécier les difficultés du locataire.
Mon amendement n° 1 propose donc de croiser ce critère avec celui du nombre de termes impayés, car même si les sommes en jeu sont faibles, la quantité d'impayés peut être un bon signal d'alerte.
M. René-Paul Savary. - Nous ne participerons pas au vote sur tous ces amendements.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Mon amendement n° 2 tire les conséquences de celui que nous venons d'adopter.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Afin que les familles en passe d'être expulsées puissent faire valoir leurs droits, l'amendement n° 3 précise que la notification de la décision de justice prononçant l'expulsion devra indiquer les modalités de saisine et l'adresse de la commission de médiation.
L'amendement n° 3 est adopté.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Je propose dans l'amendement n° 4 d'ajouter à la liste prévue à l'article 12 les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) afin que les Siao puissent passer des conventions avec ces structures. Les sorties sèches de prison favorisent en effet la récidive.
M. Claude Jeannerot. - Cet ajout me semble utile, mais n'aurions-nous pas intérêt à proposer une formulation plus large pour éviter une longue liste d'organismes avec lesquels les Siao peuvent conclure des conventions ?
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'article 12 propose une liste, d'où mon amendement visant à y adjoindre les Spip, mais rien n'interdit de présenter un amendement plus global.
L'amendement n° 4 est adopté.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 5 apporte une clarification rédactionnelle.
L'amendement n° 5 est adopté.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'article 18 prévoit que les personnes reconnues prioritaires au titre du Dalo puissent bénéficier de baux glissants. Mais les associations que nous avons reçues estiment que ce serait montrer une sorte de défiance à l'égard de ces personnes et que ces baux glissants les mettraient dans l'incertitude. En revanche, il convient d'ouvrir le bail glissant aux personnes reconnues prioritaires au titre du Daho pour qui il s'agit d'une réelle avancée, d'où mon amendement n° 6.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 7 fait débat. La loi rappelle que le principe de mixité sociale doit être respecté par le préfet. Or, les alinéas 6 et 7 visent à limiter les possibilités de relogement des personnes bénéficiant du Dalo dans les zones urbaines sensibles (ZUS), ce qui signifie implicitement qu'elles créent des difficultés. Je trouve qu'une telle rédaction est très stigmatisante, d'où mon amendement n° 7 pour supprimer ces deux alinéas.
M. Claude Jeannerot. - L'alinéa 7, qui a été ajouté à l'Assemblée nationale, dit : « Le représentant de l'Etat dans le département tient compte dans des conditions fixées par décret de la situation des ZUS pour la définition de ce périmètre », le but étant que l'objectif de mixité sociale soit bien pris en compte. Ceci dit, je comprends cet amendement mais notre groupe s'abstiendra pour que le débat ait lieu en séance publique.
Mme Natacha Bouchart. - Dans les ZUS, de nombreuses associations accompagnent les personnes en difficulté. Si les bénéficiaires du Dalo se retrouvent dans des quartiers où il n'y a pas de centres communaux d'action sociale (CCAS) ni de lieux d'accueil, ils ne pourront pas être encadrés et redeviendront des cas sociaux. Je suis donc défavorable au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. Claude Jeannerot. - Mais cet alinéa 7 laisse le représentant de l'Etat juge de la situation. Il n'interdit en rien le relogement en ZUS. Cette ouverture me semble intéressante.
M. Gérard Longuet. - Exactement !
Mme Annie David, présidente. - Le préfet n'a aucune obligation, mais préciser qu'il faut tenir compte des ZUS, c'est dire implicitement que ces zones regroupent déjà des personnes en difficulté. Pourquoi le préciser dans la loi alors que le préfet tiendra compte de la situation ?
M. Claude Jeannerot. - J'ai le sentiment que vous faites une lecture restrictive de cet alinéa : l'appréciation du préfet sera la plus large possible et il tiendra compte de chaque situation. Il nous semble donc difficile de faire disparaître dès maintenant cet alinéa.
M. Gérard Longuet. - Comme M. Jeannerot, j'estime que les préfets doivent tenir compte des situations locales, pour éviter qu'ils ne fassent preuve de systématisme.
Mme Annie David, présidente. - Vous méfiez-vous des préfets ?
M. Gérard Longuet. - Appartenant au corps préfectoral, je serais bien mal venu de me méfier d'eux. Mais pour un préfet, plus c'est simple, moins c'est compliqué !
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Je ne suis pas d'accord quand j'entends dire qu'on ne peut pas loger les personnes bénéficiant du Dalo ailleurs que dans les ZUS : c'est le contraire qui doit être fait. Mais je n'ai pas réussi à rédiger un amendement qui inciterait les communes sans ZUS à accepter des bénéficiaires du Dalo. Il faut faire vivre la mixité sociale, sans stigmatiser les ZUS ni les Dalo.
M. Claude Jeannerot. - C'était bien l'objectif recherché par les députés qui ont déposé et voté cet amendement.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Nous ne sommes pas parvenus à une rédaction qui permette de faire vivre la mixité sociale partout, mais peut-être en trouverons-nous une d'ici la semaine prochaine.
Mme Annie David, présidente. - Nous allons en rester là pour l'instant et nous reprendrons ce débat en séance publique.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Le rapporteur au fond travaillant sur la question, je vais retirer mon amendement.
L'amendement n° 7 est retiré.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 8 concerne le droit à l'hébergement. Le Conseil d'Etat a estimé, dans une décision du 22 avril 2013, que la place d'hébergement proposée par le préfet au demandeur reconnu prioritaire par la commission de médiation au titre du Daho « doit présenter un caractère de stabilité ». Les préfets ne doivent donc pas proposer des hébergements pour quelques nuits.
Mme Catherine Génisson. - Je voterai cet amendement, mais je doute du résultat concret : s'il n'y a pas d'autre solution, le préfet ne pourra que proposer quelques nuitées d'hôtel.
Mme Catherine Deroche. - Nous sommes d'accord sur le principe, mais sur le terrain, il sera bien difficile à faire respecter.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Nous devons nous donner les moyens d'offrir des places de logement durable. La situation actuelle n'est plus tenable.
L'amendement n° 8 est adopté.
Article additionnel après l'article 20 bis (nouveau)
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Plusieurs associations ont attiré notre attention sur l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles qui consacre le principe de l'accueil inconditionnel des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale dans les dispositifs d'hébergement d'urgence. Or, cette définition pourrait laisser penser qu'il faudrait cumuler les trois détresses pour bénéficier d'un hébergement d'urgence. L'amendement n° 9 propose donc de ne retenir que la détresse sociale, afin que le texte soit moins ambigu.
Mme Annie David, présidente. - Je crains que votre rédaction ne supprime les cas de détresses psychiques et médicales. Pourquoi ne pas remplacer le « et » par un « ou » ?
Mme Catherine Génisson. - Je voulais faire la même proposition.
M. Gérard Longuet. - Il s'agirait de conditions alternatives et non plus cumulatives.
Mme Annie David, présidente. - Et qui peuvent d'ailleurs se cumuler.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Je rectifie donc mon amendement en ce sens.
L'amendement n° 9 rectifié est adopté.
Article additionnel après l'article 20 bis (nouveau)
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Mon amendement n° 10 demande un rapport au Gouvernement pour faire le point sur les dispositifs de logement adapté et pour proposer d'éventuelles modifications législatives. Il est difficile de faire plus, à cause de l'article 40...
M. Gérard Longuet. - A force de rédiger des rapports, on finira peut-être par savoir pourquoi les mécanismes actuels fonctionnent mal.
L'amendement n° 10 est adopté.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Mon amendement n° 11 réaffirme le rôle du préfet qui doit garantir l'accès à la domiciliation des personnes sans domicile stable.
M. Gérard Longuet. - Faut-il dire l'Etat ou le représentant de l'Etat ? Dans le premier cas, c'est l'Etat dans sa majesté alors que dans le second cas, c'est le préfet qui est visé et qui pourrait être attaqué.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - J'ai repris ici l'expression consacrée.
L'amendement n° 11 est adopté.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'article 21 aligne la procédure de domiciliation des personnes étrangères en situation irrégulière et qui ne sont pas originaires de l'Union européenne sur celle du droit commun lorsque ces personnes demandent à bénéficier de l'aide médicale d'Etat, du droit d'asile ou de l'aide juridictionnelle. Il élargit en même temps les cas d'ouverture du droit à domiciliation à l'exercice des droits civils, sauf pour les étrangers en situation irrégulière non communautaires. Ce faisant, il crée une inégalité entre les étrangers en situation irrégulière qui bénéficient d'un logement et qui peuvent ainsi se marier, ouvrir un compte en banque, exercer l'ensemble des droits attachés à leur personne qui nécessitent de déclarer une adresse, et ceux qui n'ont pas de domicile fixe et ne peuvent donc pas exercer ce type de droits. Toutes les associations - qui règlent, d'après l'étude d'impact du projet de loi, 83 % des problèmes de domiciliation contre 17 % pour les CCAS - nous ont demandé de déposer cet amendement n° 12 pour remédier à cette situation.
Mme Natacha Bouchart. - Nous reviendrons sur cette question en séance publique, d'autant que Calais connaît une situation tout à fait particulière.
Mme Catherine Génisson. - C'est vrai, et ce problème déborde même Calais pour toucher tout le département. L'expression « exercice des droits civils » a-t-elle une signification juridique ?
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'objectif est avant tout de permettre à ces personnes de se marier. Cette expression a bien une signification juridique.
M. Gérard Longuet. - La situation n'est pas comparable entre des étrangers en situation irrégulière mais qui ont un logement, un compte en banque et qui montrent leur volonté de s'intégrer, et ceux qui sont simplement de passage, comme ceux qui veulent rejoindre leurs proches en Grande-Bretagne. Faut-il que ces étrangers soient traités de la même façon ? Je ne sais et c'est pourquoi je m'abstiendrai sur cet amendement en attendant que nous en débattions en séance publique.
Lorsque je suis entré à l'Assemblée nationale, le premier débat auquel j'ai assisté concernait les étrangers en situation irrégulière qui étaient depuis dix ans dans notre pays et que nous avions décidé à l'époque de naturaliser.
Mme Annie David, présidente. - Les migrants en transit ne demanderont pas la domiciliation. En revanche, ceux qui sont dans notre pays depuis quelques années doivent pouvoir bénéficier d'une domiciliation pour scolariser leurs enfants et se marier.
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'ouverture d'un compte en banque permet l'intégration.
L'amendement n° 12 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Jeudi 3 octobre 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Avenir et justice du système de retraites - Table ronde avec les partenaires sociaux (organisations patronales)
La commission procède à une table ronde avec les organisation patronales dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIVe) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David, présidente. - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites en recevant les organisations représentatives des employeurs, avant les organisations syndicales de salariés le 9 octobre prochain. Le Medef est représenté par M. Frédéric Agenet, vice-président de sa commission Protection sociale, Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) est représentée par Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales. L'Union professionnelle artisanale (UPA) est représentée par M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Caroline Duc, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement.
M. Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef. - Ce projet de réforme suscite bien des interrogations. Il ignore le besoin de financement du régime de retraite de la fonction publique, des régimes spéciaux, tout comme celui des régimes complémentaires du secteur privé. Faire reposer l'objectif de retour à l'équilibre du régime général sur une hypothèse de croissance de 1,6 % entre 2011 et 2020 est très hasardeux : il faudrait que la croissance s'établisse durablement à un niveau que nous avons rarement connu, a fortiori de manière prolongée. De quoi hypothéquer le retour à l'équilibre...
Comment le compte personnel de prévention de la pénibilité sera-t-il financé ? Le rapport Moreau est très prudent sur les hypothèses de montée en puissance du dispositif. Le Gouvernement estime à trois millions le nombre de comptes qui seront ouverts à partir de 2015. Les données de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) semblent indiquer que ce chiffre est sous-estimé. Pour les entreprises, c'est une bombe à retardement. L'expérience montre que, dans un contexte d'allongement de la durée d'activité, ouvrir une possibilité de départ anticipé crée un puissant appel d'air.
Loin d'encourager la prévention, ce dispositif risque au contraire d'accentuer les phénomènes de trappe à pénibilité. Nous ne partons pas de rien : les conventions collectives prévoient déjà, pour la plupart des travaux pénibles, des majorations de salaire qui peuvent aller, dans certains cas, jusqu'à 40 %. Cela rend difficile les reclassements, nul ne renonçant aisément à un tel avantage financier. Si nous ajoutons encore des incitations, la prévention passera au second plan. Ce dispositif sera, de surcroît, fort complexe à mettre en oeuvre pour les grandes entreprises et plus encore pour les petites.
Quant aux dispositions concernant les jeunes ou les femmes, bien que socialement légitimes, elles doivent inspirer la plus grande prudence étant donné les incertitudes qui pèsent sur leur financement. Soyons pragmatiques !
Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales. - Loin de résoudre les problèmes, cette réforme complexifie et met en péril les régimes complémentaires sur lesquels les partenaires sociaux avaient pourtant trouvé un accord l'an dernier. Elle annulera les efforts consentis pour sauver le régime Agirc-Arrco, le patronat ayant accepté une hausse des cotisations vieillesse et les syndicats de salariés une moindre revalorisation des pensions. Dès 2018, ce régime se trouvera de nouveau sans ressources. Le régime des retraites sera plombé plutôt que sauvé.
Ne pas reporter l'âge d'ouverture des droits, c'est dire aux jeunes actifs qui ont fait des études qu'ils ne prendront pas leur retraite à soixante-deux ans mais à soixante-six ans. Il aurait mieux valu que nos générations acceptent de reporter l'âge d'ouverture afin de ne pas faire porter sur les jeunes l'intégralité de l'effort. Il sera possible de racheter des trimestres, dans la limite de quatre. Il est extrêmement important d'envoyer un signal aux jeunes, notamment les apprentis.
Rien non plus sur la convergence des régimes de la fonction publique et du privé, qui est loin d'être effective : 9 milliards d'euros de déficit pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, 5 milliards d'euros pour le privé, qui compte quatre fois plus de salariés ! Les chefs d'entreprise ne comprennent pas cette absence d'harmonisation.
Le compte de prévention de la pénibilité porte bien mal son nom, puisqu'il ne fait que réparer. La cotisation augmentera pour toutes les entreprises, avec une surcote pour celles qui ont des postes estampillés pénibles - alors que la France a déjà un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés au monde. Le coût du travail n'est certes pas le seul responsable de notre manque de compétitivité, mais il y contribue substantiellement. Loin de le contenir, nous l'accroissons ! Les cotisations au régime de base ont déjà été augmentées avec l'élargissement du dispositif carrières longues ; une nouvelle hausse interviendra au 1er janvier 2014. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) compensera, dit-on, mais les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) n'auront rien avant l'an prochain.
Indépendamment de son coût, ce compte de prévention de la pénibilité sera source de complexité administrative pour les petites entreprises. C'est tout sauf un choc de simplification ! Le chef d'entreprise devra-t-il, chaque matin, comptabiliser le nombre de minutes pendant lesquelles chaque salarié aura été exposé à la chaleur, au froid ? C'est kafkaïen ! Je suis chef d'entreprise dans un secteur qui compte des métiers relevant des dix critères de pénibilité. Pour certains critères, je fais de la prévention, mais pour le travail de nuit, je ne sais que faire. Devoir apposer ma signature sur une fiche de poste estampillé « pénible », tout en ayant une obligation de résultat dans la protection de la santé de mes salariés, me pose problème.
Pour la CGPME, la pénibilité doit être traitée avant tout sous l'angle de la prévention. Quelle réponse faire au salarié d'une TPE ou PME qui demanderait à changer de poste après avoir suivi une formation s'il n'y a pas de poste à lui proposer ? Ce sera un licenciement à la charge de l'entreprise, qui devra de toute façon recruter un remplaçant : on ne fait que déplacer le problème. Il sera encore plus difficile pour le chef d'entreprise de traiter l'inaptitude au travail par le reclassement. Le travail de nuit est déjà compensé par du temps de repos et des majorations de salaire. Allons-nous passer de la double peine à la triple peine ? Les chefs d'entreprises refuseront des marchés les obligeant à recourir à du travail pénible, et vous verrez qu'après 22 heures tout sera fermé : plus de restaurants, plus de cinémas, la vie sera très calme ! La Ville lumière risque de s'éteindre...
Vous allez nous exposer à la concurrence européenne : la France sera la seule en Europe à avoir un tel dispositif, au moment où la directive « détachement » va nous autoriser à recruter des travailleurs d'Europe de l'Est, payés au Smic français mais sans les charges et sans compte de prévention de la pénibilité ! La CGPME est fermement opposée à ce compte : c'est une question de survie des entreprises et de l'emploi. Nous ne recruterons plus, et nous recourrons à des travailleurs extérieurs dès que possible.
Nous voulons être associés à l'élaboration des critères qui seront établis par décret. Il faudrait au moins reporter l'entrée en vigueur du dispositif : il sera techniquement impossible d'être prêts en 2015. Plus les critères seront assouplis, plus le public concerné sera nombreux, ce qui posera problème aux entreprises mais aussi au régime lui-même. Si l'on cumule les carrières longues avec le compte de prévention de la pénibilité, c'est 40 % d'une classe d'âge qui pourra déroger aux règles de droit commun en matière de départ en retraite. Aucun régime ne peut supporter cela.
M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale. - Je rejoins les positions du Medef et de la CGPME. Nous avons émis un avis défavorable sur ce projet de loi. Cette réforme n'est pas structurelle, elle ne règle pas le problème des déficits. Les réformes se succèdent : 1993, puis 2003, 2010, 2013... A ce rythme, la prochaine viendra dans dix-huit mois ! Nous sommes très attachés au régime de retraite par répartition, qui met les consommateurs en confiance, ce qui est bon pour l'économie. Mais cette réforme accroît encore les prélèvements obligatoires. Le régime des travailleurs indépendants a déjà vu ses charges sociales augmenter de 1,1 milliard d'euros l'an dernier. Les cotisations vieillesse vont être déplafonnées, sous prétexte d'alignement avec le régime général. Or l'augmentation ne sera pas intégralement compensée : il n'y a donc pas d'alignement. Les cotisations des travailleurs indépendants sont calculées sur le bénéfice, qui comprend non seulement la rémunération de l'exploitant mais aussi celle du capital et la part réinvestie dans l'entreprise. Où est la pause fiscale pour les entreprises ? La plupart des chefs de petites entreprises ont le statut de travailleur indépendant et sont donc traités, fiscalement et socialement, comme les ménages. On aggrave en outre les distorsions avec le régime de l'auto-entrepreneur.
Les branches professionnelles se soucient de la pénibilité : quel serait l'intérêt pour l'entreprise de faire travailler ses salariés dans de mauvaises conditions ? Cela est d'autant plus vrai que dans les petites entreprises, le chef d'entreprise participe également à l'acte de production. L'objectif est de travailler sur la prévention, d'abord en réduisant la pénibilité. Dans le bâtiment, la taille des sacs de ciment ou de plâtre a été divisée par deux ; dans la coiffure, des solutions peuvent être trouvées pour limiter la position debout. Cela suppose d'agir de manière collective, or la récente décision du Conseil constitutionnel sur les actions mutualisées nous bloque...
Il est curieux de demander au Parlement de voter le principe du compte de prévention de la pénibilité, et d'en renvoyer la mise en oeuvre à des décisions ultérieures. Il faudra préciser les dix facteurs de pénibilité définis dans le cadre de négociations en fixant des seuils. Le code du travail et le code de la sécurité sociale deviennent de plus en plus virtuels. Un chef d'entreprise qui a deux salariés dans la maçonnerie devra faire des fiches individuelles journalières, puisque chaque salarié exerce l'intégralité du métier. Or l'exposition à un marteau-piqueur peut ne durer qu'une heure... Où est le choc de simplification ? Ce compte pénibilité nous inquiète, qu'il s'agisse de sa faisabilité ou du risque de contentieux qu'il fait naître. Ce qu'il faut, c'est mener des actions de prévention pour améliorer les conditions d'activité.
Mme Christiane Demontès, rapporteure. - J'ai entendu vos points de vue, qui ne nous surprennent guère. Chacun sait que nous ne sommes pas égaux face à l'espérance de vie. Les travaux exécutés pendant la vie professionnelle pèsent sur l'espérance de vie. Je réfute l'idée selon laquelle les conditions de vie personnelle seraient les seules à jouer, étant donné le temps passé au travail. Nul ne conteste que certains métiers, par ailleurs utiles et nécessaires, dégradent la santé. Ne pensez-vous pas que la création de ce compte personnel de prévention de la pénibilité peut inciter les entreprises à améliorer les conditions et l'organisation du travail ? M. Burban a évoqué des actions collectives. Comment envisagez-vous les choses ?
M. Agenet a parlé de trappe à pénibilité. Mais le compte pénibilité a aussi un objectif de formation et offre à un salarié exposé la possibilité d'envisager des orientations professionnelles nouvelles. En quarante-trois ans de travail, il y a place pour des changements !
Les dix facteurs de la pénibilité ont été définis par les partenaires sociaux. Faut-il les remettre en question, ou sont-ils pertinents ?
M. Frédéric Agenet. - Nous devrions être tous d'accord sur un objectif : réduire la durée d'exposition à la pénibilité. Pour cela, il faut travailler en priorité sur le reclassement. La loi prévoit que les points accumulés peuvent être utilisés pour se former ou obtenir un temps partiel avant la retraite. Mais on voit sur le terrain que la possibilité d'un départ anticipé occulte les autres options : c'est un véritable appel d'air, d'autant que les salariés savent que la durée d'activité va s'allonger. Les publications syndicales, très prudentes sur la réforme, ne mettent en avant que ce seul élément. Dès lors, comment inciter à solliciter un reclassement ? Il faut travailler avec les partenaires sociaux sur le terrain pour remettre à plat l'ensemble du dispositif de lutte contre la pénibilité dans les entreprises et utiliser les enveloppes disponibles pour inciter au reclassement plutôt qu'au départ anticipé. Parmi les trois options ouvertes par le compte pénibilité, il faudrait faire en sorte que les salariés soient incités à opter pour le reclassement. Sinon, la prévention n'intéressera plus personne.
Mme Geneviève Roy. - Je ne nie pas le lien entre conditions de travail et espérance de vie en bonne santé, mais chacun a aussi une responsabilité individuelle : nos salariés travaillent 35 heures, ils ont une vie en dehors du travail qui a aussi un impact sur leur santé ! La négociation sur les dix critères instaurait un filtre médical, sans lequel nous compensons un risque qui ne surviendra peut-être pas. Nous sommes inégaux face aux tâches pénibles, ne serait-ce que physiquement. Sans filtre médical, comment évaluer le risque ?
Comment compenser le travail de nuit ? Je l'ignore. Encore faut-il distinguer entre le travail en trois-huit, avec des changements de rythme physiologiquement difficiles à supporter, et un travail pendant trois nuits de 12 heures par semaine, qui plus est compensé par du temps de repos. Faut-il remplacer les travailleurs de nuit par des digicodes ?
Pour le reclassement, il faut d'abord que les salariés manifestent une appétence pour la formation. Que faire des personnels non qualifiés, qui ne sont pas toujours susceptibles de recevoir une formation qualifiante ? Pôle emploi est-il la solution ? Pour moi, le plus pénible à supporter, c'est de ne pas avoir de travail. Il faut retravailler sur les seuils et rétablir un filtre médical.
M. Pierre Burban. - Certains métiers pénibles, comme celui des infirmières de nuit, sont nécessaires à la société. N'ayant aucun intérêt à maintenir les personnes dans des situations pénibles nous faisons tout pour réduire la pénibilité. N'oublions pas que 95 % des entreprises françaises comptent moins de cinquante salariés, que 53 % des salariés y travaillent et que 37 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de vingt salariés. Il est compliqué de mener des actions en interne dans ces entreprises-là. Il faut donc des actions collectives, mutualisées. Les branches qui avaient mis en place des complémentaires-santé obligatoires, comme la boulangerie ou la coiffure, ont également développé des actions concrètes de prévention des risques. Pour nous, la pénibilité n'est pas un problème de retraite mais de santé au travail. Dans la boulangerie, les poussières de farine peuvent générer de l'asthme : des actions collectives ont été menées pour diminuer ces poussières dans les fournils. Travailler dans une ambiance sucrée peut donner des caries dentaires : une action collective a instauré des consultations et des soins dentaires gratuits.
Le reclassement n'étant pas toujours possible, il faut des actions collectives concrètes pour réduire la pénibilité. Il y a trente ans, les bouchers portaient sur leur dos des demi-boeufs ; aujourd'hui, les abattoirs découpent davantage, et certains artisans-bouchers ont des systèmes mécanisés de réception de la viande. Ce compte n'arrive-t-il pas trop tard ? L'objectif, c'est de prévenir. Définir des facteurs de pénibilité permettait notamment d'éviter de qualifier certains métiers de pénibles, et donc de décourager les jeunes d'y recourir.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je partage les préoccupations de M. Agenet. Je soutiens ce texte, mais la conjonction avec l'allongement de la durée du travail risque d'inciter les travailleurs à s'orienter vers le départ anticipé plutôt que vers la reconversion dans des postes moins pénibles. Je travaille depuis cinquante ans, mais je serais incapable de faire aujourd'hui le travail que je faisais à vingt-cinq ans. Traditionnellement, la négociation dans l'entreprise prévoyait des compensations salariales à la réalisation des travaux pénibles ou insalubres : il y avait donc concurrence pour les exécuter !
Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les mécanismes déjà mis en place dans le cadre de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), dont la vocation est de lutter contre la pénibilité ? Je suis par ailleurs sensible aux efforts réalisés l'an dernier par le régime social des indépendants.
Mme Catherine Procaccia. - M. Burban a évoqué une décision du Conseil constitutionnel. Laquelle ?
Il faudra aménager le compte de prévention de la pénibilité pour les PME et TPE si l'on ne veut pas accentuer les difficultés de recrutement dans certaines filières comme les métiers de bouche ou la menuiserie. A estampiller certains métiers comme « pénibles », on risque de dissuader les jeunes et de démolir l'apprentissage.
Le reclassement est sans doute possible dans de grandes entreprises, mais comment faire dans les TPE ? J'étais responsable d'une équipe de logistique de cinquante personnes dans une grande entreprise. Aux caristes, je proposais une formation en posture ou en informatique, mais il n'est pas toujours aisé, même avec la meilleure volonté, de transformer en employés de bureaux ou en agents d'accueil des personnes qui n'ont souvent pas de formation. A cela s'ajoutent les problèmes de santé éventuels. Et la reconversion est encore plus dure à cinquante ou cinquante-cinq ans.
Ne pourrait-on pas réintroduire un minimum de filtre médical ? Les jeunes travaillent désormais tous sur écran et se plaignent de fatigue visuelle ou de mal de dos. Ces emplois seront-ils bientôt considérés comme pénibles ? Tout travail va-t-il devenir pénible ?
Mme Catherine Génisson. - La prévention de la pénibilité, ce n'est pas seulement une problématique de santé au travail, c'est aussi la possibilité de vivre sa retraite en meilleure santé possible. Les entreprises font déjà des efforts en matière de prévention. Le travail de nuit est certes indispensable, dans le secteur public comme dans l'entreprise. Cela ne doit pas pour autant interdire toute réflexion sur le sujet : faut-il privilégier le confort ou le développement économique ? Les salariés concernés préfèrent souvent la compensation pécuniaire aux repos compensateurs, d'ailleurs parfois reportables et cumulables. La loi ne devrait-elle pas encadrer davantage les choses et orienter clairement les salariés vers la prévention ?
Remplir le compte individuel de pénibilité sera certainement complexe, notamment pour les PME. Il apparaît en effet kafkaïen de consigner chaque jour, heure par heure, les travaux pénibles effectués. Ne pourrait-on procéder par statistiques, selon les métiers, pour établir un quota mensuel ou annuel ?
M. Dominique Watrin. - Je vois une certaine contradiction dans vos interventions. D'un côté, vous regrettez que le texte fasse primer la compensation sur la prévention ; de l'autre, vous craignez qu'en l'absence de filtre médical, les compensations ne soient pas toujours justifiées. C'est oublier que la pénibilité a des effets différés ! Les entreprises tardent à agir, les accords et les plans d'action ont pris beaucoup de retard.
Le compte de prévention de la pénibilité ne règle pas tout. Tous les salariés n'en profiteront pas, notamment ceux qui sont en fin de carrière. Mais l'injustice fondamentale, c'est que l'espérance de vie d'un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d'un cadre !
Nous avons eu droit au couplet habituel sur la hausse des prélèvements sociaux. Cette réforme générera 16 milliards d'euros d'économie d'ici 2040. L'effort sera supporté à plus de 20 % par les retraités, avec le gel des pensions et la fiscalisation des majorations pour les personnes ayant plus de trois enfants, à 60 % par les salariés, avec la hausse des cotisations ou l'allongement de la durée de cotisation, et à 20 % à peine par les entreprises. Et le Gouvernement a annoncé que la légère hausse de leurs cotisations serait entièrement compensée ! Pourtant, les cotisations sociales ont augmenté quatre fois moins vite que le PIB ; il ne serait pas illogique de leur demander un effort supplémentaire...
En tant que parlementaire communiste, je fais bien la différence entre les TPE-PME et les grands groupes du CAC 40. C'est pourquoi dès 2010 nous avions déposé une proposition de loi soumettant aux cotisations sociales les revenus financiers des entreprises. La mesure rapporterait 30 milliards d'euros à la sécurité sociale et endiguerait la financiarisation de l'économie qui joue contre l'emploi. En France, les dividendes sont deux fois plus élevés que l'ensemble des cotisations sociales versées par les entreprises !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je pense moi aussi que notre système de retraite doit tenir compte de la pénibilité. Lors de la réforme de 2010, mon groupe avait déposé des amendements en ce sens qui n'ont pu être examinés au Sénat, le débat ayant été écourté. Statistiquement, ceux qui ont exercé un métier pénible profiteront moins de leur retraite. Toutefois, le dispositif proposé par le projet de loi est d'une complexité insondable, sans doute pour avoir voulu associer prévention et réparation. Bien sûr qu'il faut supprimer les postes pénibles ! Il y a cinquante ans, le thème majeur était l'ergonomie du poste de travail ; des progrès considérables ont été réalisés en matière de santé au travail. Néanmoins, ceux qui travaillaient à l'époque - et j'en suis - voient leur espérance de vie en bonne santé réduite. Améliorer ce texte ne sera pas chose aisée. Ne nous laissons pas impressionner par les petits messieurs qui entourent les ministres et ignorent tout de l'entreprise !
Mme Catherine Procaccia. - C'est bien vrai !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il ne sera pas simple de reconstruire une carrière, notamment pour les polypensionnés. La tâche administrative des chefs d'entreprise sera alourdie. Quant au coût, il risque de dépasser les estimations.
Comme les précédentes, cette réforme ne va pas au bout et n'est pas structurelle. Mme Roy préfèrerait reporter l'âge d'ouverture des droits à la retraite pour éviter de faire porter aux jeunes le poids de la réforme. Certes, les jeunes ont été sacrifiés, mais en reportant l'âge de départ, on ne favorise pas leur entrée sur le marché du travail... En ce domaine, j'admire ceux qui ont des certitudes, car la réalité n'est peut-être pas aussi simple !
Mme Laurence Cohen. - Il est indispensable de légiférer. Les conditions de travail restent pénibles pour nombre de salariés en dépit des progrès techniques et médicaux ou de la prise de conscience de certains chefs d'entreprise. Nous avons besoin de la loi pour accélérer les choses et obliger à modifier les pratiques, car trop de salariés souffrent.
Il faut définir les critères de la pénibilité : les facteurs qui diminuent l'espérance de vie, ceux qui diminuent la durée de vie en bonne santé, ceux qui aggravent les risques psychosociaux, souvent négligés. Les conséquences de la pénibilité pèsent sur les salariés mais aussi sur la société tout entière. Il faut travailler sur la prévention, mais aussi sur la formation, la qualification et la valorisation de certains métiers. Les métiers du commerce, des services à la personne ou de l'hôtellerie, par exemple, sont dévalorisés et mal reconnus. Comme ils sont souvent occupés par des femmes, la formation est négligée - sans doute considère-t-on qu'elles sont « naturellement » douées des qualités requises... Ces facteurs aggravent la pénibilité. Les mécanismes de réparation ne doivent pas se limiter à une compensation salariale ou une possibilité de départ en retraite anticipé. Elles doivent aussi inclure un effort de prévention et de formation. Les salariés sont souvent volontaires pour évoluer. Enfin, parmi les facteurs de pénibilité, n'oublions pas le travail à temps partiel, morcelé, avec une forte amplitude horaire qui accroît les temps de trajets.
Mme Annie David, présidente. - Madame Roy, ceux qui commencent leur journée à l'aube seront bien contents qu'elle s'arrête à 22 heures !
M. Frédéric Agenet. - La loi peut être nécessaire pour faire évoluer les mentalités, mais pour être efficace, elle doit être adaptée à la réalité. Il importe de redonner une marge de manoeuvre aux partenaires sociaux. Plus le texte sera général, moins il sera applicable. Simplifions, ne créons pas un système kafkaïen. Plutôt qu'un décompte d'apothicaire de l'exposition à la pénibilité, laissons les partenaires sociaux définir, grâce à la négociation, des modèles statistiques de pénibilité selon les branches et les métiers.
Les entreprises sont constituées d'êtres humains, faits d'émotion. Si trois mécanismes sont proposés, il n'est pas surprenant que l'un d'entre eux soit privilégié. C'est pourquoi il faut favoriser le reclassement, ce qui est certes plus facile dans les grandes entreprises que dans les petites. Cela suppose d'établir des plans pluriannuels, une cartographie des métiers pour mettre en place des passerelles, de renoncer à sous-traiter certaines fonctions pour garder ouvertes des possibilités de mobilité... Tout le monde doit tirer dans le même sens. A ce prix, la formation entrera dans les moeurs. Si le dispositif reste en l'état, l'immense majorité des salariés ne retiendra que la possibilité de départ anticipé, compromettant les efforts accomplis pendant des années.
Mme Annie David, présidente. - La décision du Conseil constitutionnel évoquée était celle relative à la clause de désignation prévue par la loi de sécurisation de l'emploi.
M. Pierre Burban. - Absolument. L'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale a été jugé inconstitutionnel. Cela interdit aux branches professionnelles de mettre en place des mécanismes mutualisés et remet en cause tous les dispositifs de prévoyance qui couvrent aujourd'hui 13 millions de salariés.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Quid de la complémentarité entre le compte pénibilité et la branche AT-MP ?
Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale au Medef. - La branche AT-MP a largement contribué à l'amélioration des conditions de travail et à la baisse de la sinistralité. Le nombre d'accidents du travail est historiquement bas, grâce à une meilleure maîtrise des risques professionnels et de la pénibilité. Le système a fait la preuve de son efficacité, même si la tarification incite moins à la prévention en raison de la hausse de la part mutualisée et cible moins les entreprises à risque. Le dispositif reste orienté vers la prévention ; les interlocuteurs sont connus, ils travaillent ensemble. Ne perturbons pas un fonctionnement clair et lisible en introduisant ce compte de prévention de la pénibilité qui est d'une telle complexité. Comment articuler les deux, demandiez-vous ? Je ne sais pas !
M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). - Le texte ne crée pas seulement un compte de pénibilité ; il généralise la fiche d'exposition à tous les salariés de tous les secteurs ! Mécanique déjà lourde et complexe. Il faudra ensuite remplir le compte personnel, selon un barème par points dont l'Assemblée nationale vient d'accentuer encore la complexité. Le décompte, qui n'est pas fondé sur un avis médical objectif, pourra être contesté par le salarié devant les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et des commissions ad hoc statueront. Kafkaïen, en effet !
La réforme de 2010 a créé un dispositif pénibilité, avec un filtre médical, qui monte lentement en charge. Comment les deux seront-ils articulés ?
L'évaluation du coût du dispositif à l'horizon 2040 est pour le moins hasardeuse. Ce qui est certain, c'est que le montant cumulé des hausses de cotisations employeurs et salariés prévues par le décret du 2 juillet 2012, qui élargit le dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues, représente déjà 10 milliards d'euros sur trois ans. Le présent projet de loi prévoit une hausse cumulée de cotisations de 12 milliards d'euros, sur quatre ans. Les prélèvements nouveaux en faveur des retraites auront ainsi augmenté de 22 milliards d'euros entre 2012 à 2017.
Mme Catherine Génisson. - La part employeurs sera en principe compensée.
M. Georges Tissié. - En partie seulement. Et pas pour l'instant.
Mme Geneviève Roy. - Reculer l'âge d'ouverture des droits ne freine pas l'entrée des jeunes sur le marché du travail, car le remplacement n'est jamais automatique. Nombre de salariés en fin de carrière sont licenciés avant l'âge légal de départ à la retraite. A la représentation nationale de créer un climat favorable à l'emploi. Ne vous en déplaise, le montant cumulé des hausses de charges est élevé, notre taux de marge historiquement bas. Nous plaidons non pas pour une compensation mais pour une baisse des charges, afin que nos entreprises redeviennent compétitives par rapport à nos concurrents européens - Allemagne, Italie, Espagne - et puissent embaucher. Diminuer le coût du travail sert l'emploi. Nous ne demandons pas de cadeau : seules les entreprises privées peuvent créer des emplois !
Mme Annie David, présidente. - En Allemagne, 16 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Espagne, le taux de chômage est considérable. Quelle société voulons-nous ? Les richesses créées doivent-elles profiter à tous ou bien seulement à quelques-uns tandis qu'une frange croissante de la population s'appauvrit ? Lorsque nous légiférons, nous devons aussi penser aux seniors au chômage qui partent en retraite avec les 500 euros de l'allocation équivalent retraite, aux jeunes qui enchaînent les CDD, aux femmes qui font le ménage à l'aube dans les grandes entreprises...
M. Pierre Burban. - Vous légiférez pour tous, c'est légitime. Mais attention à la faisabilité de ce que vous votez. Il ne faut pas décourager l'initiative. Collectivement, nous avons tout intérêt à créer de l'emploi. Dans le cas contraire, les gens préféreront rester auto-entrepreneurs plutôt que de prendre le risque d'embaucher. Favorisons plutôt la création d'entreprise et ne créons pas un droit virtuel qui se retournera collectivement contre nous.
M. Frédéric Agenet. - La compétitivité est une préoccupation constante des entreprises. Ne faisons pas de ce projet de loi un handicap de plus pour les entreprises françaises. Aucun de nos voisins ne possède de dispositif de prévention de la pénibilité de ce type. Soyons pragmatiques. Ainsi, pourquoi ne pas réintroduire un filtre médical, quitte à s'en dispenser par exemple pour les travaux en équipe de nuit ? Cela objectiverait le problème, éviterait les effets de masse et limiterait les contentieux.
M. Georges Tissié. - A défaut de réintroduire le filtre médical pour les trois facteurs organisationnels, faisons-le au moins pour les sept facteurs techniques.
Mme Geneviève Roy. - Les compensations horaires du travail de nuit ne pourraient-elles être inscrites dans le compte de pénibilité ?
La CGPME est attachée au régime par répartition. Comme vous, Madame la présidente, nous ne voulons surtout pas du modèle allemand. Mais en ne traitant pas le fond du problème, cette réforme met en cause notre régime et ouvre la porte à la capitalisation et à l'assurance privée. De même, nous sommes attachés à un Smic plancher ; aux branches et aux entreprises de décider ensuite de la politique salariale. Ne créez pas un monstre que les entreprises ne pourront mettre en oeuvre, et qui les conduirait à ne plus embaucher ou à recourir au travail dissimulé.
Mme Annie David, présidente. - Nous entendons votre plaidoyer pour plus de simplification. Le compte personnel de prévention de la pénibilité est un élément important de la réforme des retraites et il tient à coeur d'un grand nombre d'entre nous. Nous allons tenter de simplifier un peu ce texte, même s'il nous faut tenir compte de bien des facteurs. A mes yeux, une société compétitive est celle qui permet à chacun de vivre dignement.