Mardi 8 octobre 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Accès au logement et urbanisme rénové - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 851 (2012-2013), pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
M. Raymond Vall, président. - Je salue l'arrivée dans notre commission de Mme Marie-Françoise Gaouyer, sénatrice de Seine-Maritime, vice-présidente du conseil général de ce département et maire d'Eu, en remplacement de M. Alain Le Vern.
Nous examinons le rapport pour avis de Jean-Luc Fichet sur le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), dont le titre IV comprend un ensemble de mesures visant à accroître l'effort de construction de logements tout en freinant l'artificialisation des sols et en luttant contre l'étalement urbain.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi Alur, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 17 septembre dernier. Son titre IV modernise les documents d'urbanisme et de planification, notamment pour prévenir la consommation excessive des espaces naturels, agricoles et forestiers - préoccupation constante de notre commission, compétente en matière d'aménagement du territoire et donc de planification de l'espace.
Une première série de dispositions modifie les documents de planification et d'urbanisme. Les députés les ont fait précéder de trois articles. L'article 58 AA reporte d'un an, au 1er janvier 2017, la date à laquelle les plans locaux d'urbanisme (PLU) devront avoir été révisés pour intégrer les dispositions de la loi Grenelle II. L'article 58 A soumet à autorisation préfectorale les ouvrages, plantations, constructions, excavations et clôtures situés en bordure des ouvrages de protection de la Loire. L'article 58 B confie au préfet compétence pour délivrer des autorisations d'affectation des sols et d'utilisation du domaine public fluvial préalablement à la réalisation d'ouvrages sur les bords de la Loire.
L'article 58 modernise le régime du Schéma de cohérence territoriale (SCoT). Clé de voûte du projet de loi en matière de planification stratégique, il clarifie la hiérarchie des normes en confortant le rôle intégrateur du SCoT, ce qui devrait faciliter la vie de nombreux élus. Il renforce également le principe de l'urbanisation limitée en l'absence de SCoT, afin d'accroître le maillage territorial. De nombreuses mesures techniques faciliteront l'articulation du SCoT avec les documents existants, PLU ou chartes des parcs naturels régionaux. L'Assemblée nationale a reporté au 1er janvier 2017 les délais de mise en conformité des SCoT avec la loi Grenelle II et l'application de la règle de l'urbanisation limitée à toutes les communes. L'article 58 ter donne un cadre juridique aux démarches d'inter-SCoT. L'article 59, qui porte sur les habitats mobiles ou démontables, clarifie la situation juridique des yourtes : il pose le principe d'un pastillage en zone naturelle ou agricole permettant d'y implanter ce type de résidence à condition que leur autonomie vis-à-vis des réseaux d'eau, d'électricité et d'assainissement puisse être prouvée. L'article 60 modernise la carte communale en élargissant le champ d'application de l'évaluation environnementale, en renforçant le rôle du conseil municipal dans sa gouvernance et en sécurisant les conséquences des évolutions de périmètre.
L'article 61 prévoit le transfert automatique de la compétence d'application du droit des sols aux maires, au plus tard le 1er janvier 2017. À compter du 1er juillet 2015, le seuil de mise à disposition gratuite des services de l'État est abaissé de vingt à dix mille habitants pour les EPCI compétents : les communes compétentes de moins de dix mille habitants ne pourront plus en bénéficier si elles appartiennent à un EPCI de plus de dix mille habitants. L'article 62 entérine la disparition des plans d'occupation des sols (POS) qui deviendront caducs s'ils n'ont pas été transformés en PLU avant le 31 décembre 2015. En cas de caducité, c'est le règlement national d'urbanisme (RNU) qui s'appliquera.
Mesure-phare du texte, l'article 63 transfère aux communautés de communes et d'agglomération la compétence en matière de PLU. En complément, l'article 64 modernise le PLU intercommunal (PLUI). Long et complexe, cet article comprend de nombreuses mesures, dont celle visant à mieux intégrer le PLUI, le programme local de l'habitat (PLH) et le programme de déplacements urbains (PDU). La gouvernance et l'évaluation du PLUI sont modernisées. Le régime juridique du PLU est également sécurisé. Désormais, le juge administratif pourra surseoir à statuer pour permettre une régularisation en cours d'instance en cas de vice de forme ou de procédure. Il pourra également prononcer une annulation partielle du PLU. Ces mesures devraient alléger le risque de contentieux qui pèse sur les PLU. L'article 64 bis, qui résulte d'un amendement du rapporteur pour avis de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, instaure une commission de conciliation départementale en matière d'élaboration des documents d'urbanisme.
Le chapitre suivant est consacré à la lutte contre l'étalement urbain et la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers. L'article 65 prévoit que les rapports de présentation du SCoT et du PLU comportent une analyse du potentiel de densification des zones urbanisées, et enserre dans un délai de neuf ans l'ouverture effective à l'urbanisation des zones à urbaniser. L'article 66 supprime une possibilité de dérogation au principe de constructibilité limitée qui était offerte aux communes menacées par le risque de diminution de leur population, et élargit le champ d'intervention de la commission départementale des espaces agricoles. Les députés ont redéfini les missions des agences d'urbanisme et autorisé une dérogation à la règle d'urbanisation dans les zones de montagne pour les terrains en friche. L'article 66 bis étend l'accès aux données foncières détenues par l'administration fiscale aux divers acteurs de l'aménagement urbain. L'article 67 rendait obligatoire l'élaboration d'un règlement local de publicité lorsque l'interdiction de construire est levée dans la bande des 100 ou 75 mètres le long des routes à grande circulation ; les députés l'ont supprimé, pour des raisons que j'estime erronées.
Le chapitre suivant est consacré au développement de l'offre de construction. L'article 69 prévoit que les établissements publics fonciers locaux peuvent intervenir pour lutter contre l'étalement urbain, promouvoir le développement durable, et contribuer à la préservation des espaces naturels et agricoles. L'article 73, relatif au PLU, supprime la possibilité de fixer des coefficients d'occupation des sols et des superficies minimales pour les terrains constructibles afin d'encourager la densification, et encadre la possibilité de définir, en zones naturelles et agricoles, des secteurs pouvant être bâtis, dits « pastilles ».
L'article 80 prévoit que, dans les communes qui ne sont couvertes par aucun document d'urbanisme, les projets soumis à permis d'aménager ou de construire sont mis à disposition du public lorsque l'autorité environnementale décide qu'il n'est pas nécessaire de réaliser une étude d'impact. L'article 81 institue une procédure particulière de participation du public pour les directives territoriales d'aménagement et de développement durable et précise les modalités de participation du public pour les unités touristiques nouvelles en zone de montagne, ainsi que pour les aménagements légers dans les espaces remarquables du littoral. L'article 82 prévoit une procédure facultative de concertation, à l'initiative du maître d'ouvrage ou de l'autorité compétente, pour statuer sur la demande de permis de construire ou d'aménager. L'article 85 enfin, résultant d'un amendement du Gouvernement, étend aux bâtiments industriels l'obligation d'équiper les places de stationnement en équipements pour la recharge de véhicules électriques ou hybrides.
Sur ce dispositif, je vous propose quatre séries d'amendements. La première concerne le renforcement de la planification stratégique. Si je suis favorable au principe du SCoT intégrateur -les élus qui élaborent leur PLU n'auront plus qu'un seul document à examiner, ce qui simplifiera leur tâche-, je propose néanmoins quelques compléments aux aménagements apportés par l'Assemblée nationale. La première mesure concerne les « zones blanches » : lorsqu'une commune se retire d'un SCoT sans en intégrer un nouveau, elle ne sera pas soumise au principe d'urbanisation limitée, pour éviter le gel des projets en cours, mais cette exception sera limitée à six ans à compter de la date du retrait. La deuxième mesure permet à un établissement public porteur de SCoT, dans l'attente de son approbation, d'exprimer un avis sur les dérogations au principe d'urbanisation limitée accordées par le préfet. La troisième prévoit que le délai d'un an prévu pour mettre les PLU en compatibilité avec le SCoT ne commence à courir qu'à partir du moment où le SCoT est effectivement devenu exécutoire. La quatrième mesure généralise l'interdiction de délivrer une autorisation d'exploitation commerciale ou cinématographique en l'absence de SCoT. La cinquième mesure impose la végétalisation des aires de stationnement affectées aux bâtiments commerciaux construites après le 1er juillet 2014, à l'instar du parking du Zénith à Strasbourg ; cette végétalisation limite les risques d'inondation et rend la densification des villes plus supportable. Je vous propose enfin de supprimer l'article 58 ter sur les démarches inter-SCoT, qui sont d'ores et déjà mises en oeuvre de façon volontaire et spontanée sur de nombreux territoires. Inutile d'accroître la complexité : va-t-on devoir parler d'inter-inter-SCoT ?
La deuxième série d'amendements concerne les documents d'urbanisme. Pour éviter le gel des projets en cours en cas d'annulation contentieuse d'un PLU, un amendement à l'article 62 déroge à la règle de caducité et revient temporairement au POS antérieur.
Sur la question du PLU intercommunal (PLUI), je vous propose un amendement de compromis. Nous sommes tous d'accord sur le fait que le PLUI est un excellent outil. Ma conviction est qu'à terme, toutes les communes l'adopteront. Mais le dispositif contraignant prévu par le projet de loi envoie un mauvais signal aux maires qui peuvent légitimement se sentir découragés et démobilisés. Ce serait une grave erreur de se priver de leur compétence d'ingénierie territoriale, gratuite de surcroît. Le caractère obligatoire de cette démarche pose problème ; le délai me paraît précipité, deux ans à peine après l'entrée en vigueur de la loi Grenelle II. Je vous propose donc de revenir à des dispositions moins contraignantes. L'idée du PLUI est acceptée par tous, même par l'Association des maires ruraux de France : son président m'a indiqué que l'idée lui convenait, mais qu'il était gêné par le délai imposé. Je vous propose donc de donner à l'EPCI la capacité d'engager un débat sur le PLUI, mais en introduisant une minorité de blocage avec des seuils très bas : 25% des communes adhérentes représentant 10% de la population ou l'inverse. L'EPCI pourra se ressaisir de cette question à chaque révision d'un PLU, ce qui laisse aux maires la possibilité de changer d'avis.
Une troisième série d'amendements reprend certaines des propositions de la mission d'information sur la loi Littoral actuellement conduite par Odette Herviaux et Jean Bizet. Il s'agit de créer une charte régionale d'aménagement, pour une gestion décentralisée de la loi Littoral, conforme à son esprit d'origine. Un autre amendement encadre, de manière très mesurée, l'urbanisation dans les dents creuses des hameaux, notamment dans les zones rétro-littorales.
La quatrième série d'amendements concerne la lutte contre l'étalement urbain et l'incitation à densifier les agglomérations existantes. Un amendement à l'article 66 supprime la disposition, introduite par l'Assemblée nationale, autorisant les communes de montagne à déroger à la règle de constructibilité limitée pour rendre constructibles les terrains en friche depuis plus de dix ans. Il me semble que l'objectif de contrôle de l'urbanisation doit être encore plus strict en montagne qu'ailleurs. Un amendement à l'article 67 rétablit l'obligation faite à la commune d'élaborer un règlement local de publicité (RLP) lorsqu'elle lève l'interdiction de construire dans la bande des 100 ou 75 mètres le long des routes à grande circulation. Il n'y a pas de risque de RLP portant sur les zones hors agglomération, le RLP ne pouvant porter que sur les zones urbanisées ou avoisinant les centres commerciaux hors agglomérations.
Enfin, un amendement portant article additionnel introduit une importante réforme du droit des sites et sols pollués, à laquelle l'administration travaille depuis quatre ans et qui m'a été présentée lors des auditions. La réhabilitation des friches industrielles, qui est l'une des clés de la densification de l'habitat urbain, implique une maîtrise du risque de pollution des sols et un traitement de ceux-ci lorsque la pollution est avérée. Le pivot de cette réforme est la création de zones de vigilance des sites et sols potentiellement pollués, qui reposeront sur l'information rendue publique par l'État et seront annexées aux documents d'urbanisme. Ainsi, l'information sera plus aisément accessible aux acquéreurs de terrains et aux aménageurs. L'amendement simplifie également les procédures de réhabilitation des sites et sols pollués pour permettre leur changement d'usage et clarifie les responsabilités.
Je vous suggère de donner un avis favorable à l'adoption de ce texte, sous réserve des amendements que je vous propose sur la partie dont notre commission s'est saisie pour avis.
M. Hervé Maurey. - Le projet de loi Alur est un texte particulièrement indigeste, de 320 pages, qui comporte de nombreuses mesures nocives pour le logement en France. Il y a beaucoup à dire sur les dispositions sur lesquelles nous sommes saisis : désengagement de l'État de l'instruction des permis de construire, confortement des SCoT... Ce fut une erreur de rendre les SCoT opposables, c'est pourquoi je n'avais pas voté la loi Grenelle II alors même que j'étais dans la majorité.
La mesure qui inquiète le plus les élus locaux est le PLUI obligatoire. J'ai relayé la pétition lancée par l'association des maires ruraux de France, qui a recueilli des centaines de signatures. Cette mesure n'est pas anodine. Transférer la compétence d'urbanisme à une autre collectivité de rang supérieur, c'est retirer aux communes leur plus importante compétence. C'est extrêmement grave. Une fois de plus, c'est un mauvais coup porté à la ruralité. Avec la nouvelle répartition des sièges dans les intercommunalités, les communes rurales ont de moins en moins de poids. Le regroupement prévu en 2015 par la loi ne fera que renforcer cet état de choses. On peut donc craindre que demain, le maire n'ait plus son mot à dire sur ce qui se passe dans sa commune : le président de l'intercommunalité pourra lui imposer ses propres décisions. Nous ne pouvons pas laisser faire. Notre rapporteur, qui est comme moi renouvelable, en est bien conscient et propose donc un dispositif qu'on qualifierait en Normandie de « moins pire », avec une minorité de blocage. Mais le mieux serait de ne pas entrer dans ce dispositif.
Mme Duflot s'était justifiée en disant que nombre de collectivités n'ont pas de document d'urbanisme. C'est exact, mais ce n'est pas une raison pour retirer cette compétence aux communes ! Je préfèrerais qu'on oblige les communes à en avoir un, mais certainement pas un PLUI obligatoire.
M. Rémy Pointereau. - Je félicite le rapporteur d'avoir eu le courage de travailler sur un tel projet de loi, qui signe l'arrêt de mort des communes rurales ! Les SCoT étaient déjà une contrainte pour elles. Autour de Bourges, les communes rurales ont été spoliées dans la répartition des permis de construire, qui a été très favorable aux agglomérations. Renforcer les SCoT n'est donc pas judicieux.
Le PLUI est défavorable aux communes rurales. Que leur restera-t-il comme compétence ? L'état-civil ? Les nids de poule sur la voirie communale ? Il restera les mariages, certes... Le désengagement de l'État - qu'on nous a reproché pendant cinq ans - me pose problème. Sa compétence sera reprise par les communautés de communes, qui devront instruire l'ensemble des dossiers, donc recruter des personnels spécialisés, ce qui augmentera leurs coûts alors que leurs dotations sont en baisse... Que devient le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales ? L'AMF est opposée au transfert automatique et obligatoire des compétences d'urbanisme : elle a raison.
M. Gérard Cornu. - Je compatis à la douleur qui doit être celle du rapporteur d'un texte qui consacre la disparition des communes ! Ses nombreux articles ajoutent des contraintes et des normes et réduisent le pouvoir des maires. Nous avons déjà du mal à susciter des candidatures aux prochaines élections municipales, peut-être la diminution du nombre de communes résoudra-t-elle le problème ! En augmentant les charges pesant sur les intercommunalités, vous consacrez le désengagement de l'État, après nous l'avoir reproché pendant cinq ans. Désengagement de l'État, disparition des communes, à tout le moins diminution des compétences du maire : ce texte nous fait très peur.
Le PLUI vient de loin : déjà, Mme Lebranchu avait voulu le faire, convaincue de la justesse de ses vues. Mme Duflot a la même conviction, mais elle n'a pas la même connaissance du terrain que Mme Lebranchu, qui au moins était une élue locale. Je n'ai rien contre des PLUI fondés sur le volontariat, au contraire : laissons aux élus un espace de liberté ! Ils ont déjà assez de contraintes, et sont capables de décider par eux-mêmes. Le système proposé par le rapporteur est, certes, « moins pire ». Mais il rend possible la coexistence de deux majorités : 25 % des communes représentant 10 % de la population, ou 10 % des communes représentant 25 % de la population. Sans compter qu'avec deux rapporteurs au fond et un gouvernement décidé à passer en force, Jean-Luc Fichet peut-il vraiment imposer son amendement ? Quoi qu'il en soit, plutôt qu'une solution mi-chèvre mi-chou, il faudrait frapper fort, et laisser aux maires la liberté de décider s'ils veulent ou non du PLUI. Beaucoup sont effrayés par ce texte. Nous voterons donc contre ce rapport.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie le rapporteur pour son exposé. Nous ne sommes pas saisis de tout le projet de loi, et ce n'est pas simple de se prononcer ainsi sur des articles pris isolément. Nous ne partageons pas la philosophie de ce texte, qui alourdit la règlementation pesant sur un secteur qui a besoin de liberté, de confiance et de stabilité. La situation du logement et du bâtiment nous inquiète : des cris d'alarme se font entendre qui alertent sur la chute massive de la production de logements.
Pouvons-nous trouver un compromis sur le PLUI ? Avec l'amendement de Jean-Luc Fichet, les élus pourront discuter de son principe. Il aurait été plus sécurisant de donner aux conseils municipaux un droit de véto sur la proposition de l'intercommunalité applicable à leur commune. Le sujet est certes moins polémique en zone urbaine qu'en zone rurale : chez nous, nous ressentons le besoin d'une planification.
Et que les zones à urbaniser qui n'ont pas fait l'objet d'une ouverture à l'urbanisation dans un délai de neuf ans après leur création soient automatiquement transformées en zones naturelles, comme le prévoit l'article 65, me semble comporter des conséquences qui n'ont peut-être pas été entièrement évaluées.
M. Michel Teston. - Je rends hommage à la qualité du travail de Jean-Luc Fichet, qui a bien analysé le texte et le contexte du projet de loi. L'Assemblée nationale a adopté l'article 63 qui dote les EPCI de plein droit de la compétence d'urbanisme. Cela suscite de nombreuses réactions parmi les élus ruraux. D'où l'amendement du rapporteur pour avis, qui revient largement sur ce qu'a voté l'Assemblée : les communautés de communes et d'agglomération deviendraient compétentes de plein droit au 1er janvier 2017 à condition que 25 % des communes représentant au moins 10 % de la population, ou 10 % des communes représentant au moins 25 % de la population ne s'y soient pas opposées dans les trois mois qui précèdent. C'est ce que souhaitent les élus des petites communes, qui pourront ainsi décider elles-mêmes de ce qu'elles feront. Cet amendement respecte le principe de libre administration des communes. Je vous incite donc à adopter ce rapport, qui propose une bonne solution, respectueuse des collectivités locales.
M. Ronan Dantec. - À vous entendre, nous vivons dans un pays merveilleux. C'est oublier qu'il comporte trente-six mille PLU autonomes, consomme l'équivalent d'un département de terres agricoles tous les huit ou neuf ans, que les maires de petites communes y sont confrontés à d'énormes problèmes de désaffection des centre-bourg... Il faut revoir la manière dont nous gérons le logement et l'urbanisme. Cette loi est courageuse, la vivacité des oppositions qu'elle suscite le montre assez. Ces oppositions me semblent assez théoriques. À force de dire sans cesse que la commune est menacée, nous risquons d'accréditer l'idée qu'elle est effectivement condamnée ! Or je ne pense pas qu'elle le soit. Dans l'agglomération nantaise, qui gagne 1 % d'habitants par mandat et manque de grues pour bâtir, il y a un PLUI. Les intercommunalités périphériques demandent à intégrer le SCoT, qui est déjà intégrateur.
Je regrette que le Sénat soit, une fois de plus, sur la défensive. Le rapporteur propose un compromis, mais c'est rester au milieu du gué. Il faut faire le PLUI. Cela ne fera pas disparaître les communes : n'oublions pas que le président de l'intercommunalité est élu par les maires ! Il peut y avoir une déclinaison communale du PLUI, comme dans l'agglomération nantaise. Les directions départementales de l'équipement (DTE) n'ont plus les moyens d'accompagner les petits maires qui se trouvent seuls face aux contraintes...
M. Gérard Cornu. - Les petits maires, cela n'existe pas !
M. Ronan Dantec. - Je parle des maires de petites communes.
M. Charles Revet. - Respectez-les !
M. Ronan Dantec. - Ils sont en difficulté. C'est en niant la réalité qu'on ne les respecte pas. Le logement et la planification sont dans une impasse ; il faut redonner de la cohérence. C'est la logique du SCoT intégrateur et du PLUI. À force de conservatisme, notre pays gaspille ses terres, gâche ses paysages, sans résoudre les problèmes de logement : il faut franchir de nouvelles étapes.
M. Rémy Pointereau. - Et Notre-Dame-des-Landes ?
M. Raymond Vall, président. - Ce n'est pas la polémique d'hier soir sur le vote du projet de loi métropoles qui risque de donner un nouvel élan aux territoires ruraux !
M. Ronan Dantec. - Je n'ai pas voté contre les territoires ruraux.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je me félicite que le Sénat ait voté, cette nuit, la création des pôles ruraux d'équilibre et de solidarité territoriale, avec neuf voix d'avance... J'ai plaidé pour que les élus locaux - dont je suis - puissent se déterminer ensemble. Il faut donner de la souplesse, ce que font les pôles ruraux.
J'ai apprécié le travail du rapporteur, qui fait des compromis - c'est son rôle. Je ne vais pas en faire. Dans l'agglomération tourangelle, nous avons voté il y a quelques jours un SCoT pour une quarantaine de communes. Il y en a de toute taille : les petites n'ont pas été tuées par le SCoT !
M. Charles Revet. - Elles sont en train de l'être.
M. Jean-Jacques Filleul. - C'est faux. Nous avons travaillé sur le SCoT pendant trois ans, en tenant compte des spécificités de chaque commune. C'est un outil formidable de développement et d'intégration de l'ensemble des communes qui en font partie. Les pôles ruraux d'aménagement et de coopération favoriseront également des développements nouveaux et donneront aux pays un rôle majeur.
Je suis un maire et un président d'EPCI constructeur. Mon PLU n'est pas intercommunal, mais tous nos PLU ont été élaborés de concert, avec l'agence d'urbanisme de l'agglomération tourangelle : aucune commune ne s'est vu imposer des choix qu'elle ne partageait pas. Tout président de communauté de communes a pour ambition le développement de son territoire, de l'habitat, de la qualité environnementale. À l'instar du SCoT, le PLUI donnera une vision territoriale dépassant le strict cadre communal.
Il n'est pas honnête de prétendre qu'un PLUI va tuer les communes. Il n'y a pas de « petites » communes, de « petits » maires : tous méritent le respect. Mais il faut accepter que le développement du territoire passe par l'intercommunalité : c'est une grande révolution territoriale, qui n'est pas encore achevée. J'espère ne pas l'entendre à nouveau mise en cause comme elle vient de l'être lors du débat sur les métropoles !
Reste qu'il ne faut pas contraindre les maires : préférons l'incitation à l'obligation...
M. Gérard Cornu. - Nous sommes d'accord !
M. Jean-Jacques Filleul. - D'où le compromis proposé par Jean-Luc Fichet.
Mme Hélène Masson-Maret. - Ce n'est pas suffisant.
M. Jean-Jacques Filleul. - Le climat qui règne actuellement au Sénat n'est guère progressiste, c'est dommage. C'est parce que la communauté de communes gère le droit des sols que les petites communes peuvent délivrer un permis en un mois, dans de bonnes conditions. Je regrette toutefois le désengagement de l'État, et le coût qu'il entraîne pour les petites communes. Je voterai l'amendement du rapporteur, car nous n'avons pas d'autre choix que l'intercommunalité.
M. Charles Revet. - À mon tour de souhaiter la bienvenue à notre collègue maire d'Eu, ville royale qui accueille une collection de portraits des rois de France que j'avais fait rapatrier d'Ecosse à l'époque où j'étais président du conseil général...
Je salue le travail du rapporteur, mais je vois mal la cohérence de ce texte. La France manque de logements, nous dit-on, or ce texte va encore complexifier l'attribution des permis de construire, et le foncier va encore se raréfier ! Après le projet de loi sur la consommation, ce texte habilite à nouveau le gouvernement à procéder par ordonnance : c'est l'article 83. Serions-nous incompétents pour légiférer ?
Les délais prévus pour mettre en conformité les documents d'urbanisme sont intenables. Que se passera-t-il si le POS n'a pas été transformé à temps ?
Les maires sont jaloux de leurs prérogatives en matière d'urbanisme - ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas besoin de cohérence. Nous achevons un SCoT, dans le cadre du pays, qui accorde à certaines communes un permis de construire par an, pas plus.
M. Jean-Jacques Filleul. - Ce n'est pas le rôle du SCoT !
M. Charles Revet. - L'objectif étant de concentrer l'habitat dans les grands bourgs, le SCoT prévoit la construction de logements à Fécamp - ce port de mer qui entend le rester, disait le Général de Gaulle - où l'on compte 800 logements vides... Dans le même temps, on refuse à certains villages de construire plus d'un logement par an ! Absurde !
À moins que le rapporteur n'accepte de vraies modifications, il nous sera difficile de le suivre...
Mme Esther Sittler. - Élue du monde rurale, je viens d'achever mon PLU, que je me vois mal transformer en PLUI. Pourquoi cet acharnement, en France, à compliquer les choses simples et de bon sens ? Pourquoi ne pas s'en remettre au volontariat ? Quand les élus seront mûrs, ils iront d'eux-mêmes vers le PLUI. Dans mon EPCI, les deux plus grosses communes totalisent à elles seules la majorité des voix ; les huit autres seront obligées de suivre. À aller contre la volonté des élus, on court à l'échec. Qui mieux que le maire sait s'il faut préempter ou pas dans sa propre commune ? De grâce, que l'adhésion reste volontaire !
Quant au désengagement de l'État, je constate qu'il a fait émerger des bureaux d'études dévoués aux communes, aux tarifs raisonnables et à la fraîcheur de vue appréciable.
Mme Hélène Masson-Maret. - Au rapporteur, qui a manifestement beaucoup travaillé pour produire ce rapport touffu, je reprocherai presque un excès de zèle ! Chargée, avec André Vairetto, d'un rapport sur la montagne, j'ai été choquée par l'amendement proposé à l'article 66, qui revient sur le droit des communes à disposer de leur sol. Alors que l'Assemblée nationale avait accepté que les zones de montagne dérogent au principe de constructibilité limitée et que des permis de construire puissent être accordés dans des zones en friche, vous proposez encore une aliénation ! Je connais les souffrances des maires de nos villages de montagne, et je ne peux cautionner un texte qui leur ôte un droit presque constitutionnel sur leur propre territoire. Ces friches sont le résultat de la baisse du pastoralisme, pas de la mauvaise volonté des maires ou des propriétaires ! Ce texte est dangereux pour la montagne, je vous demande d'y réfléchir.
M. Jean Bizet. - Comme M. Filleul, je demande plus de souplesse en matière de PLUI. En tant que président du pays de la Baie du Mont Saint-Michel, je n'en nie pas l'intérêt, mais une mise en oeuvre brutale et coercitive ne peut que crisper les maires. Je souhaiterais que la démarche repose sur le volontariat.
L'amendement du rapporteur portant article additionnel après l'article 58 ter est le fruit des travaux que je mène avec Odette Herviaux. Loin d'être une strate supplémentaire, la charte régionale d'aménagement facilitera l'application parfois délicate de la loi Littoral. Il s'agit de laisser les élus locaux tenir la plume, avec l'État, le conseil régional, le conseil général et après avis des associations ; peut-être pourrions-nous ajouter les chambres consulaires et la section régionale de conchyliculture. Si le conseil régional ne souhaite pas s'en saisir, il pourra être remplacé par une structure ad hoc, présidée par un élu local.
L'amendement sur la densification des dents creuses est cohérent avec la loi de modernisation agricole : si l'on veut économiser l'espace agricole, densifions, de manière rationnelle et cohérente, des espaces qui sont perdus pour tout le monde !
M. Alain Fouché. - Ce texte enlève du pouvoir aux maires des petites communes, qui savent pourtant gérer l'urbanisme. Dans de nombreuses intercommunalités, deux communes ont à elles seules la majorité : on comprend l'inquiétude des huit ou dix autres ! Je préfère l'incitation à l'obligation.
Par ailleurs, je regrette que la publicité le long des routes soit interdite dans la ruralité, même pour mettre en valeur le patrimoine... Il faudra y revenir.
M. Robert Navarro. - J'estime beaucoup Jean-Luc Fichet, dont je salue le travail. L'intercommunalité est une réalité, nous en avons besoin. N'oublions pas que si le Sénat ne dégage pas une forte majorité autour d'une orientation claire, rien ne garantit que l'Assemblée nationale tienne compte de nos préoccupations. Le compromis proposé par le rapporteur est pertinent ; je demande à l'UMP de bien réfléchir. Pour que les élus locaux aillent d'eux-mêmes vers les PLUI, il faut à la fois une incitation financière et un système reposant sur le volontariat.
M. Raymond Vall, président. - Comme d'autres, je vis le désengagement de l'État sur le territoire. Nous avons trouvé un accord pour que l'intercommunalité prenne à sa charge le traitement de l'instruction des dossiers, mais le maire signe le permis de construire et conserve sa compétence de droit du sol - sans préjudice du contrôle de légalité opéré par les DDT. Le problème, c'est que ce texte impose aux communes un transfert qu'elles peuvent ne pas souhaiter. Tant que le SCoT n'est pas achevé, tant qu'il n'y a pas de vision partagée d'un projet de territoire, n'allons pas emprisonner les communes dans un PLUI ! Celui-ci doit résulter d'une démarche partagée autour d'un projet de territoire, pas d'une obligation légale ou d'une décision ministérielle.
M. Ronan Dantec. - Il faut rendre la participation au SCoT obligatoire.
M. Raymond Vall, président. - Encore une obligation ? Vous me faites penser à la mouche qui passe d'un pot de confiture à l'autre ! Pour les SCoT, la date butoir est fixée à 2017. Mais comment une commune peut-elle accepter que l'on préempte dès aujourd'hui son territoire, alors que le dossier du SCoT n'est même pas ouvert ?
M. Ronan Dantec. - Sur ce point, nous ne sommes pas en désaccord...
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - Je suis moi aussi maire d'une petite commune rurale, je partage vos préoccupations. Quant à Mme Duflot, elle a été adjointe au maire de Villeneuve-Saint-Georges, chargée de l'urbanisme. Vous reprochez à ce texte ses 360 pages ? Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, nous avons eu droit à 960 pages de réforme de l'urbanisme ! Ne vous en déplaise, je n'ai pas travaillé dans la douleur, mais au contraire, avec la satisfaction de faire oeuvre utile.
L'amendement que je propose sur le PLUI introduit une minorité de blocage : je donne aux maires le pouvoir de dire non au PLUI. Vous évoquez les craintes des maires ruraux, mais aucun de ceux que j'ai entendus n'était formellement opposé au PLUI. Ce qu'ils refusent, c'est le caractère obligatoire du transfert. L'ensemble des PLU ne seront pas transférés au 1er janvier 2017, mais au moment où s'engage la révision. Les maires ruraux aspirent au PLUI. Je vous propose une solution qui supprime le caractère contraignant du dispositif, tout en laissant aux récalcitrants la possibilité de changer d'avis. Les présidents d'EPCI souhaitent, eux, passer très vite aux PLUI - même ceux qui sont des maires ruraux.
Disparition des communes ? Perte de pouvoir des maires ? Allons ! Il y a peu, on prévoyait que le préfet imposerait les périmètres intercommunaux ! Il a fallu se battre pour l'empêcher. Nous respectons les maires des petites communes. Rien dans ce que je propose ne peut vous heurter, rien ne peut vous empêcher de voter cet amendement.
En ce qui concerne les zones de montagne, je propose de revenir au texte du gouvernement car la dérogation autorisant à construire sur les terrains en friche depuis plus de dix ans entraîne un effet de mitage.
Mme Hélène Masson-Maret. - Je n'y crois pas.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - Un propriétaire un peu malin peut laisser prospérer une friche en espérant obtenir à terme le droit d'y construire.
Mme Hélène Masson-Maret. - Laissons les maires décider !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - Ils auront très peu de marge de manoeuvre : pour interdire, il faut une réglementation.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 58
L'amendement rédactionnel n° DEVDUR.6 est adopté.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - L'amendement n° DEVDUR.7 précise que le délai d'un an, prévu pour engager les procédures de mise en compatibilité des PLU avec le SCoT ne commence à courir qu'à partir du moment où le SCoT est devenu exécutoire, et non à compter de son approbation.
L'amendement n° DEVDUR.7 est adopté.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - L'amendement n° DEVDUR.12 impose la végétalisation des aires de stationnement construites après le 1er juillet 2014.
M. Raymond Vall, président. - Je regrette que l'on ne cible pas davantage la grande distribution.
L'amendement n° DEVDUR.12 est rejeté.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - L'amendement n° DEVDUR.8 généralise l'interdiction de délivrer une autorisation d'exploitation commerciale ou cinématographique en l'absence de SCoT.
L'amendement n° DEVDUR.8 est rejeté.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis. - L'amendement n° DEVDUR.3 permet à un établissement public porteur de SCoT d'exprimer un avis sur les dérogations susceptibles d'être accordées en matière d'ouverture à l'urbanisation ou d'exploitation commerciale.
M. Gérard Cornu. - Gagnons du temps : nous ne voulons pas de ce texte, notre groupe votera donc par principe contre tous les amendements.
M. Hervé Maurey. - Sans compter que ces amendements vont dans un sens qui ne nous convient pas. J'ai toujours été contre le renforcement des SCoT, même quand j'étais dans la majorité. Je n'ai d'ailleurs pas voté la loi Grenelle II, pourtant portée par Jean-Louis Borloo - preuve que je suis un homme libre !
M. Charles Revet. - Un SCoT n'est pas un super-PLU.
L'amendement n° DEVDUR.3 est rejeté, ainsi que les amendements n° DEVDUR.1 et DEVDUR.4.
Article 58 ter
L'amendement n° DEVDUR.5 est rejeté
Articles additionnels après l'article 58 ter
Mme Odette Herviaux. - Je souhaiterais que nous examinions tout de même les deux amendements relatifs à la loi Littoral, qui répondent à une demande unanime des communes littorales. C'est au législateur de faire la loi et non au juge administratif.
M. Charles Revet. - Aux termes de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, adoptée en 2010, un schéma du littoral, déterminant les zones à protéger, devait être établi dans un délai d'un an ; cela n'a jamais été fait. J'ai eu beau poser maintes fois la question, je n'ai jamais obtenu de réponse. Résultat, les surfaces réservées à la pêche ont été réduites de moitié, une bonne partie de l'aquaculture a disparu. Il faut se pencher sur ce sujet.
Mme Odette Herviaux. - L'amendement n° DEVDUR.10 reprend une proposition que je fais avec Jean Bizet. Les maires sont désabusés ; trente ans après son adoption, la loi Littoral n'est toujours pas bien appliquée. L'objectif de préservation a toujours primé sur celui de développement équilibré des territoires. Qui plus est, l'application sur le terrain varie en fonction de l'interprétation des juridictions administratives... Avec cette charte régionale d'aménagement, nous revenons à l'esprit initial de la loi. L'avis obligatoire du Conseil national de la mer et du littoral garantira une cohérence à l'échelle nationale. Cet outil, facultatif, uniquement consacré à l'interprétation de la loi Littoral, a enfin le mérite de responsabiliser les élus locaux, qui sont très remontés contre l'inapplicabilité de la loi.
M. Jean Bizet. - Je n'ai pas un mot à ajouter.
L'amendement n° DEVDUR.10 est adopté, ainsi que l'amendement de coordination n° DEVDUR.11 et l'amendement n° DEVDUR.13.
Article 62
L'amendement n° DEVDUR.9 est rejeté.
Article 63
L'amendement n° DEVDUR.2 est rejeté.
Article 66
L'amendement n° DEVDUR.14 est rejeté.
Article 67
L'amendement n° DEVDUR.15 est rejeté.
Article 82
L'amendement n° DEVDUR.16 est rejeté.
Article additionnel après l'article 84
L'amendement n° DEVDUR.17 est rejeté.
M. Raymond Vall, président. - La commission s'est exprimée avec sincérité et franchise ; le désaccord reste flagrant.
Mercredi 9 octobre 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Enjeux du quatrième paquet ferroviaire - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Raymond Vall, président. - Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne relative au quatrième paquet ferroviaire européen, proposée par Roland Ries, et dont Jean-Jacques Filleul est rapporteur pour notre commission.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Le 17 juillet dernier, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution sur les enjeux du quatrième paquet ferroviaire. Comme vous le savez, depuis 1992, l'Assemblée nationale et le Sénat donnent un avis, à travers les propositions de résolution européenne prévues à l'article 88-4 de la Constitution, sur les projets ou propositions d'actes européens qui leur sont transmis. Au bout d'un mois, la proposition de résolution de la commission des affaires européennes devient la position du Sénat, sauf si la commission au fond s'en saisit et parvient à un accord pour la modifier. Je remercie la commission des affaires européennes d'avoir attendu le 12 septembre pour enregistrer le dépôt de sa proposition de résolution, afin de nous laisser la possibilité de nous en saisir dans des conditions raisonnables.
La Commission européenne a présenté le 30 janvier dernier six propositions législatives qui composent le quatrième paquet ferroviaire. Ces six propositions législatives interviennent après la libéralisation du fret ferroviaire, international puis national, ainsi que celle du transport international de voyageurs. Répondant à la volonté de la Commission de lever les dernières entraves à la concurrence, elles couvrent trois thématiques. La sécurité et l'interopérabilité du système ferroviaire, d'abord : les règles sont harmonisées afin de réduire les coûts administratifs des entreprises ferroviaires et de faciliter l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché. Ce volet est composé de propositions de refonte des directives « Sécurité » et « Interopérabilité », ainsi que du règlement relatif à l'Agence ferroviaire européenne.
Le deuxième volet concerne la gouvernance des systèmes ferroviaires. La Commission entend renforcer l'indépendance du gestionnaire d'infrastructures à l'égard des opérateurs de transport, en particulier l'opérateur historique, en modifiant la directive 2012-34 établissant un espace ferroviaire unique européen. La Commission élargit notamment les missions obligatoirement exercées de façon indépendante par le gestionnaire d'infrastructures, afin d'éviter qu'il ne délègue une part trop importante de ses missions aux opérateurs de transport. La constitution de toute nouvelle entreprise verticalement intégrée, rassemblant en son sein le gestionnaire d'infrastructures et l'opérateur historique de transport, est également interdite. Seules les sociétés de ce type déjà constituées à la date d'entrée en vigueur du quatrième paquet pourront continuer à exister, à la condition de respecter des règles d'indépendance très strictes - par exemple, interdiction leur est faite d'être regroupées géographiquement dans les mêmes locaux...
Dernier volet du quatrième paquet ferroviaire : l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs. En matière de transport conventionné sous contrat, la proposition de modification du règlement n° 1370-2007 encadre la définition des obligations de service public par les autorités compétentes, ainsi que la généralisation de l'ouverture à la concurrence comme mode d'attribution des contrats de service public. En matière de transport non conventionné, la proposition de modification de la directive 2012-34 libéralise le transport national de voyageurs, dès lors que ce dernier n'est pas susceptible de porter atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public.
A ce stade, ce ne sont que des propositions de la Commission européenne. Elles restent débattues au sein du Conseil et du Parlement européen, où leur examen en commission devrait intervenir le 26 novembre. Personne ne peut préjuger de ce qu'il adviendra de ces textes et il revient à chaque acteur de faire valoir ses positions.
Simultanément, un projet de loi de réforme ferroviaire, dont l'objectif est de réunir à nouveau Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF au sein d'une même entité, devrait être bientôt présenté en Conseil des ministres.
Dans ce contexte, la proposition de résolution de Roland Ries affirme opportunément un certain nombre de principes fondamentaux pour notre système ferroviaire : elle rappelle d'abord que la concurrence n'est pas une fin en soi, et qu'elle n'a de sens que si elle est régulée, compte tenu des particularités du système ferroviaire ; elle affirme ensuite notre attachement au libre choix par les autorités organisatrices du mode d'attribution des obligations de service public ; elle pose le principe d'une péréquation entre lignes rentables et lignes déficitaires ; elle prévoit les modalités de reprise du personnel dans des conditions identiques en cas de délégation du service public ; elle adhère enfin au principe d'une répartition claire des tâches entre le gestionnaire d'infrastructures et les opérateurs ferroviaires, tout en déplorant les contraintes excessives applicables aux entreprises verticalement intégrées.
Cette proposition est satisfaisante, car elle souligne nombre d'exigences auxquelles nous ne saurions renoncer.
Après avoir rencontré les syndicats et consulté les services du ministère, je vous propose plusieurs amendements afin de la préciser et de la compléter, mais sans revenir sur sa philosophie. Ainsi, en aucun cas l'objectif d'ouverture à la concurrence ne devrait conduire à un affaiblissement des exigences de sécurité du système ferroviaire.
M. Charles Revet. - Naturellement !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Les récents événements ont tristement rappelé l'importance de cette exigence. J'ai aussi souhaité signaler la nécessité de prendre le temps nécessaire pour la mise en place de ces réformes, compte tenu de la préparation qu'elles exigent, sur le plan social en particulier. La précipitation ne peut que conduire à l'apparition des mêmes difficultés que celles qui ont été constatées au moment de la libéralisation du fret. J'ai enfin voulu préciser l'importance de laisser aux autorités compétentes la liberté de déterminer les contours des obligations de service public, compte tenu des velléités d'encadrement fortes de cet exercice par la Commission.
Ce faisant, j'ai repris certaines des propositions contenues dans les amendements que vous aviez déposés sur ce texte. Notre position aura d'autant plus de force que nous serons réunis sur les grandes lignes directrices que je viens de vous exposer.
M. Roland Ries, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Je partage l'analyse de votre rapporteur, mais les amendements proposés par M. Nègre dénatureraient mon texte. Inscrite dans les textes européens, la concurrence est, à terme, inévitable. Au fond, nous nous opposons sur la force de la régulation à laquelle il convient de la soumettre. Vous estimez que la concurrence doit porter sur les éléments les plus rentables du système ferroviaire, les autres relevant du service public. Je pense au contraire que les lignes rentables doivent aider à équilibrer celles qui ne le sont pas - nous ne raisonnons pas sur le même périmètre.
Second point de divergence : la gouvernance du système. Nous pensons qu'on ne saurait séparer radicalement l'opérateur historique du gestionnaire d'infrastructures et défendons le principe d'une structure verticalement intégrée, selon le jargon bruxellois - une holding, en somme. Frédéric Cuvillier a reconnu que la SNCF n'était pas n'importe quel opérateur : elle fait partie de notre patrimoine. En outre, le transfert de personnels vers le gestionnaire d'infrastructures doit être strictement encadré, leurs statuts maintenus et leurs avantages acquis protégés.
M. Louis Nègre. - Le cadre de cette discussion a été posé par les remarquables rapports de Jean-Jacques Filleul et Roland Ries. Le problème est loin d'être simple, mais nos différences sont essentiellement de nature philosophique, ce qui le simplifie dans une certaine mesure. Nous pouvons néanmoins cheminer les uns vers les autres sur un certain nombre de points.
La préparation du quatrième paquet ferroviaire a été agitée. Le commissaire Siim Kallas a déclaré avoir subi des pressions, ce qui est assez rare pour être signalé. Ce paquet se compose d'un ensemble de textes approuvés par le collège des commissaires, de nature technique, d'une part, et relatifs à la gouvernance des systèmes, d'autre part. Sur le plan technique, des progrès essentiels ont été accomplis. Un compromis a été trouvé sur l'Agence ferroviaire européenne et, en attendant de consacrer sa prééminence, sur l'articulation de son travail avec celui des agences de sécurité nationales. Enfin, l'Europe a finalement accepté l'existence d'entreprises verticalement intégrées. En somme, la Commission européenne a cheminé vers les positions française et allemande.
Nous divergeons sur les conditions posées à l'indépendance du gestionnaire d'infrastructures. La Commission européenne souhaite lui conférer une forme juridique distincte, assurer une autonomie participative et financière - les dividendes ne pouvant être versés qu'à son propriétaire ultime, c'est-à-dire à l'État -, bref édifier une muraille de Chine entre celui-ci et les entreprises ferroviaires.
Voyez l'Allemagne : elle s'est débrouillée pour que son gestionnaire d'infrastructures, DB Netz, finance la Deutsche Bahn nationale, qui n'en est pas séparée par une muraille de Chine, en lui transférant des recettes provenant des redevances d'accès aux voies exigées à ses concurrents... La ficelle est grosse. Nous défendons à l'inverse une totale étanchéité et une pleine autonomie du gestionnaire d'infrastructures, ainsi que l'incompatibilité entre les fonctions dirigeantes des différentes entités afin de prévenir les conflits d'intérêts.
L'article 7 quater décrit les limitations au droit d'accès aux infrastructures des entreprises ferroviaires faisant partie d'une entreprise verticale intégrée si l'étanchéité n'est pas effective. Si le quatrième paquet ferroviaire passe avant notre réforme ferroviaire...
M. Michel Teston. - Il faut la voter !
M. Louis Nègre. - Si nous ne convergeons pas sur le principe de la muraille de Chine, je ne pourrai pas la voter. Nous pouvons toutefois nous retrouver sur un certain nombre de points. La sécurité du système d'abord. Nous y sommes tous attachés. Le Royaume-Uni avait dans un premier temps confié ses infrastructures à des fonds de pension soucieux de récupérer leur argent : le manque d'entretien a provoqué des morts ! La conséquence du libéralisme total, c'est la catastrophe. Avec pragmatisme, l'État britannique a ensuite récupéré les infrastructures - un État stratège, voilà ce que nous défendons, car les infrastructures ferroviaires font partie de notre patrimoine.
Mme Évelyne Didier. - Enfin ! Magnifique !
M. Rémy Pointereau. - C'est gaulliste !
M. Louis Nègre. - La refondation totale du système opérée par les Britanniques les place aujourd'hui au niveau de sécurité le plus élevé en Europe. En quinze ans, ils sont passés d'un extrême à l'autre. Voyez ce à quoi a conduit le monopole chez nous : à Brétigny, il manquait des boulons ! Comment appelez-vous cela ?
Mme Évelyne Didier. - Un défaut d'entretien, certes, mais à qui la faute ?
M. Louis Nègre. - Au monopole !
Mme Évelyne Didier. - Un raccourci spécieux !
M. Louis Nègre. - Avons-nous atteint le niveau de sécurité maximal en régime de monopole ?
Nous pourrions nous retrouver ensuite sur le principe d'une concurrence régulée. Il n'est pas question de faire comme le Royaume-Uni dans les années 1980. Une concurrence régulée certes, à condition que la régulation n'étouffe pas la concurrence ! La SNCF, qui fait partie du patrimoine national, est une entreprise prestigieuse, reconnue à l'étranger. Nous voulons avant tout sauver le soldat SNCF. Or sans concurrence régulée, elle s'endort, rien ne la stimule. Il faut donner du temps au temps, entend-on souvent. Mais le premier paquet ferroviaire a été adopté en 1991 et depuis, nous faisons tout pour bloquer l'ouverture à la concurrence.
La philosophie que vous défendez a trois conséquences négatives : politique d'abord, puisque le Parlement européen soutiendra sans doute la proposition de la Commission européenne. Nous aurions intérêt à ne pas nous éloigner de l'Europe, et à ne pas nous comporter en mauvais élève. Juridique ensuite, car la Cour de justice ne manquera pas de condamner la SNCF et la Deutsche Bahn. Économique enfin, parce que des entreprises non stimulées sont des entreprises moins compétitives. Notre activité de fret s'effondre - et s'effondrait dès avant l'arrivée d'entreprises concurrentes - alors qu'elle progresse là où la concurrence a été instaurée.
M. Ronan Dantec. - Parce que la concurrence est faussée !
M. Louis Nègre. - Mais non. À nouveau, nous poursuivons tous le même but : sauver le ferroviaire français. Comme Deng Xiaoping, il m'importe peu que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu'il attrape des souris. Je veux que la SNCF acquière des parts de marché et cesse de se faire tailler des croupières par nos amis allemands !
M. Michel Teston. - Au risque de choquer les libéraux, je crois que l'adoption du quatrième paquet ferroviaire par la Commission européenne et le Parlement européen n'est ni nécessaire ni opportune. Là où la concurrence a été instaurée, dans le fret ferroviaire par exemple, l'activité n'a nullement progressé : en Allemagne, elle s'est stabilisée ; en France, le fret ferroviaire de proximité a été quasiment abandonné. Par surcroît, aucun bilan précis des conséquences des trois premiers paquets ferroviaires n'a été établi à ce jour.
Mme Évelyne Didier. - Exactement !
M. Michel Teston. - Il ne faut toutefois pas se faire d'illusions : le quatrième paquet ferroviaire sera adopté après les élections européennes. Dans ce contexte, la proposition de résolution européenne de Roland Ries témoigne avec force d'une volonté d'encadrer l'ouverture à la concurrence du ferroviaire, afin que ni les usagers, ni les contribuables, ni les personnels ne soient lésés. Je vous renvoie à la théorie des marchés contestables, qui s'applique bien plus efficacement au secteur ferroviaire que celle de la concurrence pure et parfaite.
Les propositions d'encadrement de la concurrence figurent dans le rapport de Roland Ries : laisser aux États-membres la liberté d'opter ou non pour une structure verticalement intégrée, sous réserve que les sillons soient attribués de manière impartiale ; affirmer le principe de réversibilité de ce choix ; maintenir l'étanchéité des flux financier du gestionnaire d'infrastructures à destination des opérateurs de transport, sans interdire les mouvements de cheminots ; autoriser le ministre des transports à superviser le fonctionnement du gestionnaire d'infrastructures et des opérateurs, quel que soit le mode d'organisation retenu.
Chaque État membre devrait en outre avoir la faculté d'ouvrir un marché de délégation de service public, incluant réseaux rentables et déficitaires - ce qui n'est pas possible dans le schéma retenu à Bruxelles. Sixième proposition : autoriser les États membres à organiser des enchères pour l'ouverture d'une ligne commerciale à la concurrence, et des enchères négatives pour les réseaux dont le maintien est motivé par des nécessités de service public. Enfin, maintenir la faculté ouverte aux autorités organisatrices d'organiser les transports ferroviaires en régie et imposer systématiquement la reprise du personnel en fonction des entreprises non retenues au terme des procédures de délégation de service public.
Les dispositions complémentaires de notre rapporteur sont bienvenues : elles mettent l'accent sur la sécurité, sur le volet social, et sur la liberté laissée aux autorités nationales de fixer des obligations de service public, en vertu du principe essentiel de subsidiarité. Il propose en outre d'affirmer la place du wagon isolé dans le système ferroviaire. Mireille Schurch et moi-même avons jadis envisagé de faire reconnaître par l'Europe que le wagon isolé était une mission d'intérêt général, ce qui le rendrait éligible à des financements publics.
Si la Commission européenne et le Parlement européen persistent dans leur volonté d'adopter le quatrième paquet ferroviaire, la proposition de résolution européenne de Roland Ries telle qu'amendée par Jean-Jacques Filleul fera valoir l'absolue nécessité d'encadrer fortement l'ouverture à la concurrence : si elle advient, l'encadrer est le seul moyen de nous prémunir des excès de l'ultralibéralisme.
M. Charles Revet. - L'objectif d'une résolution européenne est de faire l'état des lieux sur une question, des problèmes qu'elle pose et des solutions qu'il convient d'y apporter. Ce quatrième paquet sera vraisemblablement adopté : quelle est alors notre responsabilité ? Par-dessus tout : renforcer la SNCF pour qu'elle continue d'assurer ses missions. Ménager la chèvre et le chou n'est pas une solution. Souvenez-vous des rapports de l'école polytechnique fédérale de Lausanne et de la Cour des comptes. Hors TGV, plus aucun train n'arrive à l'heure, le réseau n'est plus en état et nos matériels vieillissent. Si nous choisissons de faire le dos rond, le jour où le quatrième paquet nous sera pour ainsi dire imposé, nous ne serons pas prêts !
En l'état, nous ne voterons pas cette résolution. Nous partageons l'objectif de faciliter la circulation et de développer notre système ferroviaire. Le fret ferroviaire ne s'est pas développé, rappelle le paragraphe 15 de la résolution : ancien rapporteur du projet de loi relatif aux grands ports, je suis bien placé pour le savoir. Tout est fait pour freiner son essor. Au-delà du vote que nous allons émettre sur cette résolution, regardons plus sérieusement, à partir notamment du rapport de la Cour des comptes, quel est l'état de la situation. Allons véritablement au fond des choses pour diagnostiquer les faiblesses de la SNCF et y apporter des remèdes.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je suis venu en RER B : après quelques semaines d'amélioration, il semble victime d'une nouvelle rechute...
À la lecture de la proposition de résolution, je ne peux m'empêcher de nous voir comme d'irréductibles Gaulois : notre modèle est formidable, nous ne voulons pas le faire évoluer... C'est risqué. Soyons lucides, admettons que notre système n'a que trop tardé à évoluer. Cette proposition de résolution anticipe sur les débats que nous aurons dans le cadre de la réforme ferroviaire. Elle semble même en dresser le cahier des charges, précis jusqu'à la mobilité des personnels... Je doute que cela soit vraiment productif.
Nous commettons une erreur d'analyse si nous contestons les objectifs défendus par l'Union européenne, plutôt que de discuter ses modalités d'application. Les Allemands, bons élèves, ne s'y sont pas trompés. Arrêtons de mener des guerres picrocholines sur les objectifs généraux de la réforme : le système actuel n'est optimal pour personne, et nous avons besoin de la concurrence. Soyons moins frileux. Nous devons convaincre la Commission européenne de prendre en compte la spécificité française et nous n'y arriverons pas en nous opposant frontalement. Montrons-nous ouverts à la réforme, puis négocions finement ses modalités d'application au lieu d'écrire noir sur blanc que la SNCF sera la seule en mesure de répondre à l'ouverture à la concurrence.
Tout relier sur la gouvernance au projet de loi fantôme est cousu de fil blanc. Nourrissons le débat plutôt que d'adopter un texte qui pourrait être pris pour une provocation. Ce n'est pas un service à rendre aux cheminots, qui doivent être accompagnés dans une situation difficile vers une SNCF plus à même d'affronter la concurrence.
Mme Évelyne Didier. - Pour ma part, je suis fière d'être française, et de l'héritage en infrastructures de notre pays. Présenter la France comme un mauvais élève est dévalorisant, je ne l'accepte pas. Les infrastructures sont des outils au service du pays, des gens, des entreprises. Voilà la différence philosophique entre nous. Notre position n'est pas jusqu'au-boutiste ; elle se borne à reprendre celle du Comité économique et social européen. Nous ne sommes pas seuls, ni outrageusement révolutionnaires.
L'Allemagne se débrouillerait mieux que nous en contournant les règles pour les tourner à son avantage ? Pourquoi valoriser ce modèle-là ? Pourquoi avoir honte de défendre des infrastructures au service du pays, qui souffrent d'abord de la concurrence déloyale d'un transport routier qui, lui, ne paie pas les routes. Tant qu'on ne dit pas cela, tout est biaisé ! Les enjeux de ce quatrième paquet ferroviaire, ce sont les parts de marché respectives des différents opérateurs, et non l'intérêt du pays. S'il est adopté, il sera inutile d'aborder le transport ferroviaire lors de la conférence environnementale en septembre 2014 !
M. Ronan Dantec. - Usons de logique pour démonter les sophismes. La concurrence entre le rail et la route est faussée, puisque cette dernière ne paie pas ses externalités. Cela devrait déplaire à des libéraux assumés ! L'écotaxe sur les poids lourds en Allemagne a rapporté 25 milliards d'euros. Je regrette à cet égard - et c'est une pierre dans le jardin socialiste - que mon amendement favorisant la mise en place d'une vraie écotaxe ait été retoqué. On est resté au milieu du gué, et c'est dommage.
Nous manquons de sillons ferroviaires. Dès lors, les trains n'arrivent pas dans des temps raisonnables et la route conquiert des parts de marché. Un État qui investit massivement dans une infrastructure, doit s'assurer qu'un exploitant l'utilise. Les autres problèmes sont secondaires. La vraie question est celle-ci : le choix de préférer le transport routier est-il raisonnable ? Je partage la position du rapporteur et de Roland Ries.
M. Francis Grignon. - La sécurité implique une indépendance totale de Réseau ferré de France (RFF) avec une intégration complète de la direction de la circulation ferroviaire et de SNCF Infra. Tant que la SNCF garde la main, cela ne marche pas.
M. Charles Revet. - En effet.
M. Francis Grignon. - L'usager des trains express régionaux (TER) paie 30 % ; le reste est assumé par le contribuable : cela ne peut pas durer. D'autres pays ont montré que cela pouvait être 30 % moins cher, pour peu qu'il y ait de la concurrence. Pour y parvenir, il faut respecter le personnel - sous peine de bloquer le pays - et assurer la pérennité de l'opérateur.
Les deux sujets de fond sont les suivants : nous pâtissons de cet héritage de Vichy chargeant le ministre des transports de définir par décret les conditions de travail des cheminots. Or il faut les faire coïncider avec le code du travail. Le statut, quant à lui, doit être conservé pour les personnels qui en bénéficient, mais ne doit pas perdurer car la différence de coûts atteint 12 %. En Allemagne, Keolis, qui n'y est pas soumis, taille ainsi des croupières à la Deutsche Bahn. Tant que cela n'est pas résolu, le reste n'est que bavardage.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-17 ajoute à l'alinéa 15 les mots « sans méconnaître les difficultés propres au fret ferroviaire en France, parmi lesquelles les insuffisances de l'offre de wagon isolé. » Ne pas suffisamment développer cette offre a été une grave erreur.
M. Rémy Pointereau. - Nous souscrivons à cet amendement. La SNCF sait faire des trains complets de céréales, par exemple, mais il est difficile de travailler sous le mode du wagon isolé.
L'amendement n° COM-17 est adopté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° COM-8 présenté par Louis Nègre, qui affirme que l'ouverture à la concurrence dans le fret en France a produit des effets intéressants, dont la mise en évidence de l'impréparation de la SNCF et ses difficultés à gérer le trafic des wagons isolés. Cela me semble difficile de dire pareille chose, alors qu'elle a fait reculer la part modale du train dans le fret.
M. Charles Revet. - Ce n'est pas la concurrence qui est responsable de cela, c'est la situation dans laquelle se trouvait la SNCF.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je ne nie pas la part des opérateurs de fret, notamment concernant le wagon isolé. Mais ce texte ne pas être intégré dans la résolution.
M. Louis Nègre. - Le fret ferroviaire s'effondre avant l'arrivée de la concurrence. On assiste en France à un découplage entre fret ferroviaire et PIB, qu'on ne retrouve pas dans d'autres pays européens. Relisons le rapport d'information sénatorial rédigé sous la direction de Francis Grignon, et auquel j'ai participé : le fret ne fonctionne pas en France à cause de l'insuffisance de services afférents.
M. Francis Grignon. - Le problème est que la SNCF n'était pas directement représentée lors de la négociation. Pourquoi ne pas dire que la concurrence « a mis en évidence quelques failles dans notre organisation ferroviaire » ?
M. Raymond Vall, président. - Le libellé de cet amendement donne des arguments aux adversaires de notre pays. Ne condamnons pas la SNCF.
M. Michel Teston. - Lorsque j'ai participé aux travaux du rapport Grignon, Mireille Schurch et moi-même avions une position différente quant aux sources de ces problèmes.
M. Vincent Capo-Canellas. - La formulation de l'amendement est un peu vive, mais c'est qu'elle vient remplacer un jugement négatif sur l'ouverture du fret ferroviaire à la concurrence. L'idéal serait de l'enlever ou de le rédiger autrement.
M. Jean-Jacques Filleul. - Mon amendement n° COM-17, adopté précédemment, tient compte des difficultés spécifiques de la France en ce qui concerne le fret.
L'amendement n° COM-8 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-9 présenté par Louis Nègre supprime l'alinéa 16. Je n'en vois pas la raison.
M. Louis Nègre. - M. Capo-Canellas l'a bien expliqué, une opposition frontale nous ferait aller droit dans le mur. Négocions, sinon, nous reculerons en rase campagne.
M. Roland Ries. - Nous sommes là au coeur du débat : pour notre part, nous considérons que le rail n'est pas le lieu d'une concurrence pure et parfaite, mais d'une concurrence contestable.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - La rédaction de l'alinéa est euro-compatible.
L'amendement n° COM-9 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-18 rappelle que l'ouverture à la concurrence « ne doit en aucun cas se traduire par un affaiblissement des exigences de sécurité. »
M. Raymond Vall, président. - On peut se rejoindre sur ce point, je pense.
M. Vincent Capo-Canellas. - Il vaut mieux qu'il fasse beau, c'est sûr !
L'amendement n° COM-18 est adopté.
Alinéas 17 et 21
L'amendement rédactionnel n° COM-16 est adopté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-19 que je présente ajoute l'idée d'un calendrier raisonnable pour l'entrée en vigueur du quatrième paquet ferroviaire, afin de laisser le temps au volet social d'être mis en place. Il faut respecter les personnels.
M. Francis Grignon. - Démarrons tout de suite ! Il faut trois ans pour s'y préparer.
Mme Évelyne Didier. - Je salue les préoccupations de cet amendement, mais, en désaccord avec ce quatrième paquet, je m'abstiendrai.
L'amendement n° COM-19 est adopté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-1 d'Evelyne Didier et des membres du groupe CRC s'oppose à toute ouverture à la concurrence : j'y suis défavorable. Une telle position est contreproductive. Il est plus raisonnable de travailler sur un modèle de concurrence régulée, qui réserve une certaine marge de manoeuvre.
L'amendement n° COM-1 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° COM-10 présenté par Louis Nègre qui instaure une séparation stricte, trop libérale, entre lignes rentables et lignes déficitaires, ce qui est contraire à notre conception de l'aménagement du territoire et du service public.
L'amendement n° COM-10 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-20 apporte une précision sur la responsabilité des autorités compétentes pour la définition des obligations de service public.
M. Louis Nègre. - Il y a là une différence philosophique entre vous et nous.
L'amendement n° COM-20 est adopté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-25 reprend des préoccupations d'Evelyne Didier pour inviter « les autorités européennes à fixer des objectifs clairs d'amélioration de l'accessibilité des personnes handicapées et à mettre en oeuvre une évaluation régulière de la qualité de service des prestations de transport ferroviaire » ; il supprime également le mot « néanmoins » à l'alinéa 15.
M. Louis Nègre. - Nous sommes d'accord pour ce qui concerne l'alinéa 14.
L'amendement n° COM-25 est adopté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-2 présenté par Evelyne Didier et les membres du groupe CRC est satisfait par mes amendements n° COM-20 et n° COM-25. Avis défavorable.
L'amendement n° COM-2 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - L'amendement n° COM-11 présenté par Louis Nègre, qui supprime l'alinéa 20, est contraire à la position que nous défendons.
L'amendement n° COM-11 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je comprends le souci exprimé par l'amendement n° COM-3 d'Evelyne Didier et des membres du groupe CRC ; mais il ne peut pas être adopté en l'état. La rédaction actuelle de l'alinéa 22 convient au cadre de cette résolution.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement ne fait pourtant que reprendre les mots du Comité économique et social européen !
L'amendement n° COM-3 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° COM-12 de Louis Nègre. On ne peut pas accepter que l'alinéa soit ainsi tronqué. Il faut tenir compte des statuts des personnels.
M. Louis Nègre. - Je rappelle sur ce sujet les explications de Francis Grignon.
L'amendement n° COM-12 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-21 supprime la fin de la phrase après « déficitaires » ; il n'est pas opportun de préciser les modalités de la péréquation entre lignes rentables et déficitaires. La mise en oeuvre du dispositif d'enchères pourrait par exemple poser des difficultés pour déterminer a priori les lignes rentables et les lignes non-rentables.
M. Louis Nègre. - Nous sommes d'accord pour évaluer les lignes afin de déterminer celle qui sont déficitaires. Mais pour quoi faire ? Actuellement, le déficit est couvert par le contribuable ; or il existe d'autres solutions, comme de remplacer la ligne par une liaison par autocar. Mélanger lignes rentables et non rentables évite de traiter les problèmes au fond. C'est du bonneteau !
M. Roland Ries. - Il y a un désaccord entre nous sur ce point : il faut ouvrir à la concurrence des réseaux cohérents, faits de lignes bénéficiaires et déficitaires, globalement. La solution apportée à une ligne non rentable relève d'un autre débat. Louis Nègre veut construire une muraille de Chine entre les lignes qui font gagner de l'argent aux opérateurs et les autres ; or les unes peuvent compenser les autres.
Mme Évelyne Didier. - Je ne parlerai pas de muraille, mais de fossé. Vous voulez réserver les bénéfices au privé et les déficits au public ! C'est la cohérence du réseau qui fait sa richesse. Si une ligne est nécessaire à l'aménagement du territoire, il faut la conserver dans un réseau cohérent.
M. Francis Grignon. - Pas à n'importe quel prix. Le faire avec 70% de financement public est excessif.
Mme Évelyne Didier. - Pourquoi laisser les bénéfices au privé ?
M. Raymond Vall, président. - Nous sommes tous d'accord pour une régulation sans préjudice des solutions choisies ultérieurement. Maintenir le texte tel qu'il est ne laisse même pas l'espoir d'avoir des autocars ! Ne proposons pas nous-même des solutions radicales.
M. Rémy Pointereau. - Il faut une péréquation. Il est inadmissible que la liaison entre les gares de Vierzon et de Montluçon soit assurée par autocar. La ligne Paris-Lyon est excédentaire et compense des lignes déficitaires.
M. Louis Nègre. - Pour ma part, je veux faire apparaître clairement ce qui est déficitaire et ce qui ne l'est pas.
L'amendement n° COM-21 est adopté.
L'amendement n° COM-13 présenté par Louis Nègre devient sans objet.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement de Louis Nègre n° COM-14. La proposition de confier à la Commission européenne des pouvoirs exorbitants sur les entreprises verticalement intégrées sans passer par une juridiction est contraire à l'esprit et à la pratique de l'Union européenne.
L'amendement n° COM-14 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis évidemment défavorable à l'amendement n° COM-15 de Louis Nègre qui supprime l'alinéa 26.
L'amendement n° COM-15 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-22 supprime la fin de la phrase après le mot « ferroviaire », redondante.
L'amendement n° COM-22 est adopté
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Mon amendement n° COM-23 précise l'interdiction des subventions du gestionnaire de l'infrastructure vers un opérateur de transport, quel qu'il soit, et modifie en conséquence les alinéas suivants.
L'amendement n° COM-23 est adopté
L'amendement n° COM-4 présenté par Louis Nègre devient sans objet.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° COM-5 de Louis Nègre, qui supprime l'alinéa 30. Ce dernier ne s'oppose pas à l'adoption de règles de déontologie, mais énonce simplement que celles-ci ne doivent pas être réservées aux EVI.
L'amendement n° COM-5 est rejeté.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Le ministre des transports ayant un rôle de stratège, mon amendement n° COM-24, supprime l'alinéa 31, qui lui donne une fonction de surveillance, laquelle sera assumée par l'Agence ferroviaire européenne et les agences de sécurité nationales.
M. Louis Nègre. - Nous allons finir par tomber d'accord.
M. Francis Grignon. - Il faut être moins dirigiste.
M. Roland Ries. - Il faut pourtant être cohérent avec l'idée de l'État stratège.
Mme Évelyne Didier. - Tout à fait !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Ce n'est pas son rôle de surveiller.
M. Michel Teston. - Dans la future réforme ferroviaire, il devrait y avoir un conseil de surveillance chargé de veiller au fonctionnement général du système ferroviaire.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Ce qui me gêne, c'est ce mot de surveillance, qui n'est pas adéquat pour définir le rôle de l'État stratège.
M. Roland Ries. - Disons « suivre », dans ce cas.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Suivre me paraît bien. Je rectifie mon amendement en conséquence.
M. Raymond Vall, président. - C'est moins fort que surveiller.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - C'est plus adéquat que cette surveillance caporaliste.
Mme Évelyne Didier. - Je m'abstiendrai.
L'amendement n° COM-24 rectifié est adopté.
L'amendement n° COM-6 rectifié présenté par Louis Nègre devient sans objet.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° COM-7 de Louis Nègre qui supprime l'alinéa 33.
L'amendement n° COM-7 est rejeté.
La résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.