- Mardi 5 novembre 2013
- Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer (mission « Outre-mer)
- Loi de finances pour 2014 - Auditions de Mme Marylise Lebranchu, Ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, et Mme Anne-Marie Escoffier, Ministre déléguée chargée de la décentralisation (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et mission « Relations avec les collectivités territoriales »)
- Mercredi 6 novembre 2013
- Application de l'article 40 de la Constitution - Communication sur les suites de l'échange de vues entre une délégation de la commission des lois et MM. Philippe Marini, président et François Marc, rapporteur général de la commission des finances
- Introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire - Examen du rapport et du texte de la commission
- Réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 5 novembre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer (mission « Outre-mer)
Au cours d'une première réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, sur le projet de loi de finances pour 2014 - mission « Outre-mer ».
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes heureux de recevoir M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, dans ce contexte législatif chargé. Je salue mes collègues ici présents qui ont à coeur l'outre-mer.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Je suis très heureux d'être devant un tel auditoire dont l'expertise sur les problèmes qui se posent à l'outre-mer est reconnue.
Alors que le budget 2013 était un budget de combat qui marquait le retour de l'État dans les outre-mer, le projet de loi de finances pour l'année 2014, que j'ai l'honneur de vous présenter, inscrit les territoires ultramarins comme une priorité pour l'action du Gouvernement. Pour preuve, les crédits de la mission Outre-mer augmentent de 1 %, tandis que le budget global de l'État connaît, pour la première fois, une baisse. Le budget des outre-mer enregistre ainsi une progression de 20 millions d'euros par rapport à son niveau de 2013.
Ce budget assure la consolidation de l'ensemble des priorités engagées lors de l'alternance, et ce, dans quatre secteurs prioritaires.
Tout d'abord, le logement, qui bénéficie de la hausse des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique (LBU) pour s'élever à 244 millions d'euros, soit une progression enregistrée de l'ordre de 25 % depuis 2011, de 15 % depuis 2012 et de 8 % par rapport à 2013 et la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.
Ensuite, la jeunesse et l'emploi forment une seconde priorité, qui vont bénéficier de la poursuite de la montée en puissance du service militaire adapté (SMA), tant en matière de rémunérations, de fonctionnement que d'investissement pour s'élever à 159 millions d'euros en autorisation d'engagement et à 151 millions d'euros en crédits de paiement, soit une progression respective de 6 % et de 8 % par rapport à l'année passée.
Une troisième priorité est l'investissement public que renforce une nouvelle enveloppe de 50 millions d'euros au titre du fonds européen d'investissement, l'augmentation de 10 millions d'euros des autorisations de paiement au bénéfice des contrats de plan État-régions, qui sont en train de s'achever, par rapport aux dotations triennales, l'augmentation de 10 millions d'euros des crédits de paiement du troisième instrument financier pour la Polynésie française et, enfin, le maintien d'une capacité d'engagement de 20 millions d'euros pour les constructions scolaires en Guyane et à Mayotte.
Enfin, les entreprises représentent une priorité que le Gouvernement assume pleinement. Ainsi, le montant des compensations d'exonérations est maintenu à un niveau proche de celui de 2013 pour s'élever à 1 131 millions d'euros, soit une baisse de 24 millions d'euros sur une ligne budgétaire de plus d'un milliard d'euros qui a été préservée à 98 % par rapport à son niveau de 2013.
De façon concomitante, les autres aides aux entreprises, dont les crédits supplémentaires seront fléchés dans le cadre du prochain projet de loi sur la compétitivité outre-mer, enregistrent une remarquable progression, avec 25 millions d'euros d'autorisations de paiement et 16,5 millions d'euros de crédits de paiement, soit une hausse respective de 178 % et de 83 % par rapport à 2013.
Je m'arrête un instant sur ce sujet, car la réforme des barèmes d'exonérations s'inscrit dans un recentrage assumé de l'action de l'État qui encourage le recrutement par la baisse du coût du travail. En effet, l'ensemble des études conduites sur le coût du travail démontre que les réformes les moins défavorables à l'emploi sont celles qui préservent les bas salaires - c'est-à-dire ceux inférieurs à 1,4 SMIC ou, dans les secteurs considérés comme prioritaires, à 1,6 SMIC. En effet, 73 % des salariés ont un salaire égal ou inférieur à 1,6 SMIC. De fait, la situation de près de 93 % des établissements et de 90 % des salariés s'améliore ou demeure inchangée suite à cette réforme que renforce le crédit d'impôts compétitivité et emploi avec son apport supplémentaire de 320 millions d'euros en 2014.
Les hauts revenus seront-ils pénalisés ? Pour un salarié percevant deux fois et demi le SMIC, la hausse du coût du travail induite par la refonte des exonérations couplée au crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sera de 43 euros, soit une augmentation de 0,9 % ! Et ce sont près de 30 % des 90 millions d'euros, représentant une moindre dépense par rapport au prévisionnel de 2014, qui sont redéployés en faveur des entreprises ultramarines. Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement soutient les entreprises !
2014 est l'année de la cohérence fiscale, fixée comme objectif par le président de la République et mise en oeuvre par le Premier ministre, comme en témoigne l'article 13 du projet de loi de finance sur l'aide fiscale à l'investissement , qui permet d'investir près de deux milliards d'euros pour une dépense fiscale de plus d'un milliard d'euros. S'agit-il d'une réforme risquée ? Nous ne le pensons pas, car nous avons respecté trois principes : le refus du désengagement de l'État- aucun euro d'économie ne sera réalisé sur le dos des entreprises ultramarines -, la recherche d'une plus grande efficience dans l'allocation de la dépense publique et la conduite de la réforme en concertation avec les acteurs concernés.
Cette réforme s'accompagne d'un meilleur encadrement de la défiscalisation qui demeure inchangée pour les petites et moyennes entreprises, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 20 millions d'euros, les entreprises du secteur du logement social et dans les collectivités d'outre-mer à autonomie fiscale qu'il est de notre devoir de soutenir. Davantage, l'expérimentation d'un crédit d'impôt attractif, avec un taux de 38 % à l'impôt sur le revenu et de 35 % à l'impôt sur les sociétés - ce taux étant porté à 40 % pour le logement social - représente un avantage pour l'exploitant supérieur à celui de la défiscalisation.
Le projet de budget de mon ministère manifeste cette cohérence que l'on retrouve à l'échelle de l'État. L'effort budgétaire et financier de l'État pour les outre-mer est ainsi stable par rapport à celui de l'an passé, pour s'élever à 14,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 14,2 milliards d'euros en crédit de paiement. Les dépenses fiscales s'élèvent, quant à elles, à 3,98 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014, soit une progression de 1,9 % par rapport à la loi de finances intégrale pour 2013 et de 25 % par rapport au projet de loi de finances pour 2013, sous l'effet de la hausse de la défiscalisation au titre des investissements effectués dans le secteur du logement social.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je connais l'attention toute particulière que vous portez au processus de départementalisation de Mayotte. Vous avez accompli un travail considérable dans votre rapport présenté l'année passée pour définir les priorités de cette départementalisation et j'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, de souligner que je partageais largement votre avis.
En effet, deux ans et demi après le lancement officiel de la départementalisation, il est temps d'en dresser un bilan d'étape et d'envisager ses prochaines échéances. Beaucoup a déjà été accompli, particulièrement depuis ces dix-huit derniers mois, comme l'alignement sur les niveaux de métropole ou la montée en charge d'un certain nombre de prestations telles que le revenu de solidarité active, les allocations logements, le SMIC, la sur-rémunération des salaires des fonctionnaires. Nous avons également pris en compte les difficultés récurrentes qui se posent à Mayotte, comme l'immigration illégale, le manque de constructions scolaires, la situation des mineurs étrangers isolés et la coopération avec l'Union des Comores.
Nous avons aussi honoré les engagements jusqu'ici repoussés, en matière de transition fiscale notamment. À ce titre, nous pourrons compter sur la transformation de Mayotte en région ultra-périphérique (RUP) et les fonds européens qui compléteront les moyens financiers déjà mobilisés pour le développement du territoire. Mais une double critique se fait jour : pour ceux qui craignent que des changements trop brutaux ne déstabilisent un territoire aux équilibres fragiles et qui ne voient dans la départementalisation qu'une accumulation de contraintes nouvelles, nous allons trop vite tandis que pour d'autres, nous n'accordons que trop lentement des droits notamment sociaux.
Je reçois ces deux reproches comme une obligation pour le Gouvernement de donner plus de sens et de visibilité à l'action de l'État à Mayotte. Non pas que cette action en était jusqu'à présent dénuée, mais il nous paraît essentiel, à ce stade, de s'entendre sur un calendrier partagé. La feuille de route élaborée lors de la conclusion du pacte pour la départementalisation fixait des échéances parfois très lointaines - 25 ans pour certains droits que nous avons accordés en deux ans. C'est dans cet esprit que le Gouvernement, les élus et les représentants de la société civile doivent actualiser ensemble la feuille de route adossée à un calendrier plus réaliste. En ce sens, une clause de revoyure a été établie à mi-parcours pour que l'État, désormais représenté, en tant qu'autorité de gestion, par un nouveau secrétariat général aux affaires régionales, y évalue la consommation des crédits.
La départementalisation est aussi dénoncée par certains comme destructrice du tissu social mahorais et un facteur de déséquilibre en matière fiscale, s'agissant notamment du foncier et de la fiscalisation des indemnités d'éloignement. Il y a en ce moment une grève des fonctionnaires à Mayotte. Mais je tiens à vous dire que la fiscalité sera neutralisée pour les revenus perçus en 2013. Mais au-delà, il faut que chacun, dans le contexte difficile que traverse le pays, participe à l'effort commun.
A Mayotte, la fiscalité des ménages a été alignée sur le régime le plus favorable qui est celui de la Guyane, avec l'augmentation de l'indexation de 8 % cette année, soit de 40 % étalés sur quatre ans. Un abattement, correspondant à 40 % de l'impôt plafonné à 6 700 euros, sera également accordé, tandis que pour les autres collectivités ultramarines, l'abattement s'élève à 30 % et est plafonné à 6 200 euros.
A ceux qui reprochent que nous n'allons pas assez vite, je rappellerai que si nous avions appliqué le pacte initial de départementalisation signé en 2009, il eût fallu attendre 25 ans, au bas mot, pour que le salaire minimum se rapprochât du SMIC national alors que 18 mois auront suffi pour qu'il en atteigne 98 %. Et un effort exceptionnel a été consenti cette année pour le revenu de solidarité active (RSA), qui atteint désormais 50 % du niveau national, alors qu'un tel rattrapage était également prévu dans un horizon de vingt-cinq ans. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault envisage d'ailleurs d'atteindre la parité, voire l'égalité, en matière de RSA d'ici la fin du quinquennat.
Mais quel rythme imprimer à cette démarche ? Nous attendons des élus de Mayotte des propositions, qui feront l'objet de notre examen attentif, pour rénover le pacte de départementalisation.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je souhaitais vous remercier, monsieur le ministre, et saluer votre pugnacité car ce n'est pas une mince affaire, par les temps qui courent, que d'avoir un budget en augmentation ! Je souhaite ne pas empiéter sur ce que pourront dire mes collègues, rapporteurs ou représentants des collectivités ultramarines comme Mayotte, mais vous connaissez l'intérêt que porte notre commission aux relations avec les Comores et à la situation tragique des migrants clandestins qui passent, au péril de leur vie, le bras de mer qui sépare l'archipel de Mayotte. Notre commission y a d'ailleurs consacré une mission d'information. Trouverons-nous une solution à ce problème ? Il serait sans doute plus judicieux de transférer des policiers et des douaniers aux Comores pour gérer le flux de migrants, mais une telle démarche reste tributaire des relations diplomatiques. Je sais que nous partageons cette même préoccupation, monsieur le ministre.
M. Félix Desplan, rapporteur pour avis. - Je ne peux qu'être satisfait que le budget du ministère des outre-mer ait été non seulement préservé par rapport à son niveau de 2013, mais ait également augmenté de près de 10 millions d'euros ! Une telle augmentation tient compte de l'ampleur des tâches qu'il faut accomplir dans l'ensemble des outre-mer. Ma première question concerne le ministère de l'outre-mer et celui de la justice : nous sommes en effet inquiets de l'évolution de la situation des établissements pénitentiaires. Plusieurs rapports ont ainsi alerté l'opinion sur la situation catastrophique de la majorité des prisons en outre-mer. Quelles sont les actions que le Gouvernement entend engager pour redresser une situation si critique? Je viens en ce sens d'adresser une question écrite à Mme la garde des sceaux sur la situation carcérale en Guadeloupe, dans le contexte du meurtre d'un détenu survenu la semaine dernière au centre pénitentiaire de Baie-Mahault.
Ma deuxième question portera sur Mayotte : dans le cadre de la départementalisation, quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour améliorer les finances des collectivités territoriales - communes et départements -, la situation de l'éducation ou encore lutter contre l'immigration illégale ? A cet égard, l'envoi de douaniers ou de policiers aux Comores, qu'appelait de ses voeux le président Sueur, nous semble tributaire de l'état des relations diplomatiques avec Anjouan.
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis. - Vous avez évoqué le projet de loi de compétitivité emploi en outre-mer en cours d'élaboration. Nous disposons déjà d'un arsenal de mesures destinées à insuffler la croissance économique dans ces territoires, comme celles visant également à attraire l'investissement, la défiscalisation, le crédit d'impôt et tant d'autres. Ne pensez-vous pas que le moment soit venu de remettre à plat l'ensemble des dispositifs existants pour répondre efficacement aux besoins ?
Ma seconde question portera sur la Polynésie française. Lors de notre dernière audition de l'Institut d'émission d'outre-mer, nous avons appris que la Polynésie française, malgré son niveau d'endettement élevé, était de nouveau prisée par les investisseurs, ce dont on ne peut que se réjouir. Je souhaiterais savoir l'état du contentieux financier persistant entre les communes et la collectivité de la Polynésie française : pensez-vous que l'avance remboursable proposée par l'État de 42 millions d'euros à ce territoire puisse porter un terme à ce contentieux en respectant l'équité ?
Par ailleurs, je n'oublie pas la Nouvelle-Calédonie et la perspective, récemment rappelée par le Premier Ministre, d'un référendum d'autodétermination fixé avant 2018 par l'Accord de Nouméa, à moins que ne se dégage un consensus de l'ensemble des forces calédoniennes, une telle éventualité entraînant nécessairement une révision de la constitution. Vers quelle direction nous dirigeons-nous ? Allons-nous vers un ou des référendums ou nous acheminons-nous plutôt vers une solution consensuelle avec à la clé une révision de la constitution ?
Ma dernière question portera enfin sur Saint-Martin, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, puisque cette collectivité se trouvait dans votre circonscription législative : Saint-Martin, déjà en proie à d'énormes difficultés, se trouve dans une situation paradoxale avec une frontière qu'elle n'a pas le droit de contrôler et qui, de fait, s'apparente à une sorte de « passoire juridique ». Comment sortir Saint-Martin de telles difficultés ?
Juste un dernier point cependant : bien que parlementaire de l'opposition, je compte voter votre budget, monsieur le ministre, car vous vous êtes bien défendu dans les arbitrages budgétaires et je tenais à le souligner !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je tenais à remercier le ministre pour son exposé, mais aussi nos collègues de métropole dont l'intérêt pour nos collectivités territoriales françaises d'outre-mer est réel. L'augmentation du budget est en effet remarquable dans le contexte que nous connaissons, mais vous savez très bien que son niveau demeure insuffisant. Je partage d'ailleurs l'avis de notre collègue Christian Cointat quant à la nécessité d'envisager, de manière concertée, les raisons du retard accumulé par les outre-mer et les sources de leurs difficultés structurelles que de ponctuelles augmentations budgétaires ne peuvent aucunement résoudre.
A la suite des questions posées sur Mayotte par notre collègue Félix Desplan, je reviendrai sur la situation des collectivités mahoraises. Celles-ci ont, en effet, à peine une trentaine d'années d'existence, puisque nos premiers cantons datent de 1979 alors que les collectivités en métropole ont plus de deux siècles. Un tel décalage explique les problèmes qui se posent aux collectivités mahoraises en termes de maturité et d'expérience.
Monsieur le ministre, vous avez cité un grand nombre d'avancées significatives intervenues ces derniers mois. Je reviendrai, à ce titre, sur le projet d'agrandissement de la maison d'arrêt de Majicavo, dont plusieurs rapports avaient souligné par le passé les conditions indignes d'accueil de la population carcérale et qui sera prochainement le seul établissement carcéral outre-mer respectant les normes européennes en la matière.
Vous avez également rappelé la sur-rémunération de 40 %, sur une période de cinq ans, des fonctionnaires outre-mer, ainsi que l'avancée notable de la pérennisation de la dotation spéciale de construction et d'équipement des établissements scolaires, dont nous ne pouvons que nous féliciter. Pour autant, de nombreuses inquiétudes demeurent, à l'instar de la dotation mécanique, revue à la baisse, des fonds structurels européens qui s'avère dommageable pour l'ensemble des projets de développement de Mayotte, puisque seuls les grands projets, comme l'allongement de la piste d'aviation, devraient en être les bénéficiaires.
Vous avez insisté sur l'inquiétude que suscitait la capacité du département de Mayotte à consommer les crédits européens. À ce titre, la décision prise par le conseil général de confier la gestion de ces fonds à l'État mérite d'être rappelée.
Je reviendrai sur la grève générale des trois fonctions publiques qui paralyse l'île : de nombreux enfants ne peuvent aller à l'école et les tribunaux ont adopté une motion consistant à ne traiter que les affaires urgentes. Parmi les multiples revendications, deux me semblent devoir être soulignées : d'une part, l'incertitude que suscite la question de la sur-rémunération et, d'autre part, la fiscalisation de la prime d'éloignement des agents de l'État. Certes, l'égalité devant l'impôt doit être respectée. Néanmoins, les agents, signataires d'un contrat avant l'entrée en vigueur du nouveau dispositif fiscal prévue le 1er janvier 2014, revendiquent la non-rétroactivité de cette imposition. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre point de vue sur ces deux revendications ?
Enfin, dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la modernisation et le développement des outre-mer, tandis que le Sénat va bientôt débattre du projet de loi présenté par votre collègue Benoît Hamon, comptez-vous proposer une aide spécifique aux personnes publiques et privées qui vont engager des projets relevant de l'économie sociale et solidaire ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Sur Mayotte tout d'abord, une instruction a été donnée par la chancellerie au Parquet pour régler le problème de la reconnaissance abusive de paternité, qui représente plus de trois mille cas annuels. S'agissant de la lutte contre l'immigration illégale, l'effectif maximal du centre de rétention administrative a été fixé à 100 personnes, par un arrêté préfectoral du 20 décembre 2012. Le règlement intérieur de ce centre a également été modifié pour prévoir de meilleures conditions d'accueil des familles et surtout des enfants. L'article 27 de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer a habilité le gouvernement, dans un délai de dix-huit mois, à adapter à la situation mahoraise l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte. S'agissant des mineurs étrangers isolés, un groupe de travail spécifique, piloté par le directeur général des outre-mer, auparavant délégué général à l'outre-mer et associé au secrétariat permanent des mineurs étrangers isolés installé par le préfet de Mayotte, s'est réuni à deux reprises et devrait rendre avant la fin de cette année ses préconisations.
La coopération avec les Comores, dans la lutte contre les trafics et l'immigration clandestine, connaît actuellement une pause. Des actions conjointes n'ont pas été prévues par la déclaration franco-comorienne signée à Paris, le 21 juin 2013. Certains Comoriens souhaitent la fermeture du territoire comorien, ce qui nous entraverait les opérations de reconduite à la frontière.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - A qui appartiennent les avions qui assurent les opérations de reconduite à la frontière ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Ces reconduites étaient d'abord assurées par le transport maritime auquel a été ajouté le transport aérien, après un accident mortel survenu à un migrant clandestin. Dans ce cadre, un marché a été passé avec une entreprise comorienne.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Mais les Comores viennent de s'opposer à ce qu'une compagnie mahoraise puisse obtenir des escales sur leur territoire et notre Gouvernement, en réaction, ne souhaite plus travailler avec la compagnie comorienne qui est chargée de cette mission de reconduite à la frontière.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les Comores s'opposent-elles réellement à l'envoi d'un groupe de dix douaniers et gendarmes pour bloquer le trafic illégal ? C'est une question de souveraineté, et le gouvernement comorien ne le souhaite pas, c'est bien cela ?
M. Victorin Lurel, ministre. - La souveraineté est une question sensible, à l'instar de la délivrance des visas que le Gouvernement a assouplie en concertation avec les élus. Ainsi, les conditions d'obtention des visas sanitaires ont récemment évolué, avec la baisse à un demi-SMIC journalier, contre un SMIC journalier actuellement, comme justificatif de ressources, l'abaissement à 24 heures du délai de délivrance et la meilleure motivation de leur refus. La délivrance des visas de circulation pourrait également être à l'avenir simplifiée, en concertation avec Moroni qui pourrait nous fournir une liste de personnes susceptibles d'en être bénéficiaires.
Par ailleurs, le groupe de travail sur l'humanisation des conditions de vie des étrangers à Mayotte devrait rendre ses conclusions d'ici la fin de cette année. Les aides en nature aux demandeurs d'asile ont, quant à elles, bénéficié cette année d'un apport de 450 000 euros, via notamment l'accroissement des subventions octroyées à l'association « Solidarité Mayotte ». L'installation d'une antenne de l'office français de l'immigration et de l'intégration à Mayotte nous paraît cependant nécessaire et une expertise est actuellement conduite pour en définir les missions et en préciser les moyens.
Je partage le constat du sénateur Desplan sur la situation des prisons outre-mer. Le Gouvernement a érigé comme priorité la poursuite des travaux de reconstruction et d'extension en Martinique, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. D'autres mesures sont également reconnues comme prioritaires : le développement des aménagements de peine, via la diffusion du bracelet électronique, l'amélioration des conditions de vie des détenus et d'accueil des familles, la lutte contre l'illettrisme et le recours au travail en détention. Le Gouvernement a l'ambition d'aller plus loin comme en témoigne le groupe de travail constitué à l'initiative de Mme la garde des sceaux et composé de onze parlementaires qui a vocation à débattre de l'ensemble des problématiques du secteur carcéral en outre-mer. Ce groupe de travail, qui devrait encore se réunir à deux reprises, devrait rendre un rapport courant mai 2014.
Voilà des années qu'une politique immobilière carcérale est attendue outre-mer ! Or, le Gouvernement a décidé, sur la période triennale 2013-2015, de financer les opérations prêtes à être lancées, comme la rénovation du Camp-Est en Nouvelle-Calédonie, la construction du centre pénitentiaire de Papeari en Polynésie française livrable fin 2016, la reconstruction de la prison de Majicavo à Mayotte et l'extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique dont la livraison est prévue fin 2015. D'autres projets seront examinés dans le cadre de la prochaine programmation triennale 2016-2018 comme la reconstruction de la maison d'arrêt de Basse-Terre, l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault, la restructuration du centre pénitentiaire de Faa'a, en Polynésie française, la seconde extension du centre de Remire-Montjoly en Guyane et la construction d'un centre de courtes peines à Koné en Nouvelle-Calédonie.
En Guadeloupe, le centre pénitentiaire de Saint-Martin, promis depuis au moins une décennie, pose également un problème récurrent et l'ensemble des programmes, comme à Basse-Terre où l'actuelle prison avait été qualifiée de « honte pour la République », est en cours de finalisation.
S'agissant de l'aménagement des peines et du développement d'alternatives à l'incarcération, le déficit est réel, en raison du faible nombre d'associations susceptibles d'accueillir des peines d'intérêt général et de l'absence de centre de semi-liberté. Un nouveau marché doit d'ailleurs être lancé, début 2014, pour intégrer l'ensemble des réseaux d'opérateurs chargés d'assurer la surveillance des personnes disposant d'un bracelet électronique.
En ce qui concerne l'amélioration des conditions de vie des détenus et l'accueil des familles, la presque totalité des établissements pénitentiaires d'outre-mer ne dispose pas de parloirs familiaux. Les nouveaux établissements en cours de construction, à Papeari ou à Majicavo, en seront, quant à eux, pourvus. Sur la période 2013-2015, plusieurs établissements devraient faire l'objet d'études de faisabilité et d'aménagements spécifiques destinés à la surveillance électronique, comme ceux de Baie-Mahault en Guadeloupe, du Port à La Réunion, de Remire-Montjoly en Guyane, de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, de Faa'a en Polynésie française et de Ducos en Martinique.
Le travail des détenus, souvent limité aux activités du service général, peine à se développer. Aussi, plusieurs ateliers sont en cours de création, comme au centre pénitentiaire du Port, à Baie-Mahault, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie. L'alphabétisation et l'éducation des détenus sont aussi considérées comme prioritaires par l'État qui en a la compétence.
M. Félix Desplan, rapporteur pour avis. - La reconstruction et l'extension des centres pénitentiaires de la Guadeloupe me paraissent poser un problème de méthode. On évoque la reconstruction de la prison de Basse-Terre, sans avoir assuré au préalable l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault ni construit une prison à Saint-Martin susceptible d'accueillir les prisonniers qui en sont originaires et qui se trouvent actuellement en Guadeloupe. Que fera-t-on des prisonniers qui se trouvent à Basse-Terre ? Ne devrait-on pas plutôt débuter par l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Une solution simple avait, en son temps, été annoncée avec fracas par le secrétaire d'État à l'immobilier de la justice, M. Pierre Bédier : la fermeture pure et simple de Basse-Terre et la reconstruction, dans la commune voisine de Gourbeyre, d'un nouvel établissement pénitentiaire. Ce projet a été abandonné et les prisonniers sont toujours accueillis dans cette prison-couvent qui date, rappelons-le, de 1672 ! Je pense qu'on commencera d'abord par Baie-Mahault.
S'agissant de la question sur les finances des collectivités territoriales de Mayotte, je tiens à rappeler que la situation financière du Département de Mayotte demeure fragile. Les communes de Mayotte connaissent, elles aussi, de réelles difficultés puisqu'elles ne bénéficient pas de l'autonomie fiscale et elles éprouvent à leur tour les retombées des difficultés de la collectivité départementale. A la demande des élus, le code général des impôts sera appliqué à Mayotte dès le 1er janvier 2014. L'ordonnance fiscale, prise le 20 septembre dernier, prend ainsi en compte les spécificités territoriales de Mayotte et lui applique le régime fiscal le plus favorable, à savoir le régime de la Guyane avec des abattements de taxe foncière, de taxe d'habitation, d'impôts sur le revenu de l'ordre de 40 % et une taxe sur les salaires de 2 %. Cette ordonnance prévoit également un régime transitoire pour la régularisation de la situation des occupants sans titre avec, à terme, je l'espère avant la fin de l'année, la création d'un établissement public foncier d'État. Mais cette ordonnance n'aborde pas les mesures de compensation de la départementalisation qui sont, quant à elles, présentées à l'article 29 du projet de loi de finances initial pour 2014. En revanche, elle garantit aux communes les mêmes ressources qu'en 2012 et permet de pallier aux incertitudes quant au rendement de la fiscalité locale.
Mais un tel dispositif n'est pas sans poser problème, du fait de la limitation des ressources de ces communes à laquelle il conduit. En effet, l'excédent des recettes des communes sera reversé au Département, ce qui lui confère une plus grande part de ressources fiscales dynamiques, à l'instar des nouvelles ressources perçues au titre de l'octroi de mer. En 2014, les taux votés par les communes seront encadrés et tiendront compte du potentiel propre à chacune d'elles, et la liberté de taux, ainsi que l'usage du levier fiscal, leur seront reconnus dès 2015. Il faut ouvrir des perspectives, et la question du retour à la normalité comptable, budgétaire et fiscale du fonctionnement de ces collectivités est posée. Nous sommes d'accord sur le principe ; reste à trouver le véhicule idoine pour y parvenir.
Certains pourront certes critiquer la rapidité avec laquelle toute cette démarche a été conduite, mais je pense que nous avons bien amorcé à Mayotte la convergence avec la métropole qu'il aura fallu attendre près de soixante-cinq ans dans mon propre département ! J'ai rappelé aux élus de Mayotte qu'il fallait se concerter sur un projet de société et éviter la précipitation, faute de quoi une surenchère à visée électoraliste, exigeant l'égalisation à marche forcée, risquait de se faire jour. Afin d'éviter une telle réduction du débat public, je ne peux qu'inciter les élus Mahorais à s'associer au Gouvernement pour résoudre les problèmes sociétaux auxquels la départementalisation risque de se heurter.
S'agissant de la question du développement économique et social de l'outre-mer, j'ai reçu une autre feuille de route sur les thématiques de la compétitivité et de l'emploi, afin de convertir en normes les différents rapports parlementaires et en particulier ceux relatifs à la politique économique européenne, l'application de la loi pour le développement économique des outre-mer et de l'échéance qui frappe les zones franches d'activité en 2017. Mais comment réformer sans dépenser, compte tenu de la situation économique de la France ? C'est possible, à la condition de remettre à plat l'ensemble des dispositifs, mais encore faut-il avoir le courage politique de le faire.
Certaines solutions ont été esquissées pour s'émanciper, fût-ce provisoirement, des contraintes générées par le statut de région ultra-périphérique tout en restant dans l'Europe ? Sur les carburants par exemple, dans un secteur monopolistique contrôlé par l'État, comment dégager des marges de 10 à 15 % ? Ce n'est pas tant la compétitivité que la faiblesse de la fiscalité des régions qui explique le niveau de prix analogues entre la métropole et l'outre-mer. Le manque d'insertion économique dans les zones de voisinage immédiat est une difficulté indéniable pour les collectivités ultramarines. Il faut sortir d'un tel isolement. En ce sens, dans ma feuille de route figure l'actualisation des lois organiques relatives aux trois territoires que sont Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Une mission est actuellement en cours pour redéfinir les dotations générales de décentralisation de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy qui est en contentieux avec l'État depuis 2008. Saint-Martin, quant à elle, pâtit de difficultés structurelles depuis l'obtention de son autonomie en 2007 et la passation de la convention avec l'État qui ne lui a pas octroyé les moyens techniques et humains d'assurer le recouvrement fiscal. Cette collectivité a d'ailleurs tout récemment voté une mesure fiscale dont la presse s'est faite l'écho, en imposant tous ses habitants à hauteur de cent euros, quelque soient leur situation ! Saint-Martin est donc loin d'être un paradis fiscal, avec une frontière fictive avec la partie hollandaise de l'île. Il faut réfléchir aux modalités de remise à parité de la partie française avec cette dernière qui est un pays et territoire d'outre-mer, au sens européen, à très large autonomie. Il faut trouver les dispositifs nécessaires pour assurer un juste équilibre entre les deux parties de l'île. En ce sens, l'approvisionnement en carburants peut constituer un début. Lorsque l'autonomie a été accordée en 2007 à Saint-Martin, j'étais alors président du conseil régional et siégeais en commission mixte paritaire au Parlement sur ce texte. Je me souviens de la dotation alors concédée à titre exceptionnel de dix-huit mois de recettes fiscales prélevées sur la région, octroi de mer compris, pour aider Saint-Martin. Au terme de ces dix-huit mois, le ministre d'alors, M. Yves Jégo a prorogé, de manière unilatérale, ce dispositif sur une même période, ce qui fut censuré, à la demande du groupe socialiste, par le Conseil constitutionnel. Depuis lors, il manque chaque année au budget de Saint-Martin quelque quatorze millions d'euros. L'absence de compensation, à laquelle s'ajoute le manque de recouvrement fiscal, alimente un déficit structurel.
Sur le crédit d'impôt, le dispositif demeure attractif et fera l'objet d'une évaluation courant 2016, lors de la préparation de la loi de finances initiale pour 2017. Si l'on peut toutefois éviter l'évaporation fiscale et la perte pour la collectivité de quelque trois cent millions d'euros, il faudra alors proposer d'autres solutions.
S'agissant de la Polynésie française, j'estime que la confiance est de retour, notamment parmi les investisseurs. Nous considérons que le plan de redressement proposé par le président Gaston Flosse va dans le bon sens à condition de s'assurer de sa bonne mise en oeuvre. Le Premier ministre vient d'ailleurs d'accorder le versement d'une avance de trésorerie de 41,9 millions d'euros à rembourser sur deux ans, dans le cadre d'une convention avec la Polynésie française, qui devrait figurer dans le prochain collectif budgétaire.
En Nouvelle-Calédonie, l'Accord de Nouméa, dont le contenu est constitutionnalisé, fournit la feuille de route suivie par l'État. Nous demeurons cependant ouverts à d'éventuelles concertations susceptibles d'être conduites à partir des élections de mai 2014.
Hors de l'espace Schengen, la libéralisation de la délivrance des visas a eu lieu dans la Caraïbe, dont se sont occupés, en leur temps, M. Novelli et Mme Penchard, à l'exception de trois pays qu'étaient Haïti, Saint-Domingue et la Jamaïque. Plus récemment, nous avons libéralisé la délivrance de visas touristiques pour l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud à destination des « Iles Vanilles » qui rassemblent notamment La Réunion, afin de capter les flux touristiques en provenance de ces importants pays.
Mesdames et messieurs les sénateurs, il est vrai que le budget, en termes relatifs, s'avère satisfaisant, mais nous savons qu'il reste un long chemin à parcourir. Je suis convaincu que la remise à plat, appelée de ses voeux par le sénateur Cointat, des dispositifs actuellement en vigueur nous permettrait de sortir des schémas pérennes qui n'ont pas jusqu'à présent permis de répondre durablement aux enjeux des outre-mer.
La dotation spéciale de construction et d'équipement des établissements scolaires à Mayotte devrait s'élever à 10 millions d'euros.
En ce qui concerne la grève dans les trois fonctions publiques au motif de la sur-rémunération des agents territoriaux, les syndicats se sont étonnés - et la presse s'est faite l'écho de cet étonnement - que le décret ne mentionnait pas la fonction publique territoriale parmi les bénéficiaires de ce dispositif. Il incombe aux collectivités elles-mêmes de prendre une délibération en ce sens, mais l'extension de la sur-rémunération aux agents de la fonction publique territoriale entraînerait pour Mayotte un coût de neuf à dix millions d'euros en fin d'année, si la décision est prise en prenant en compte la rétroactivité demandée. Dans les autres outre-mer, ce sont bien les collectivités qui payent cette sur-rémunération de l'ordre de 40 %, puisqu'elles assurent les recrutements.
Lorsque cette sur-rémunération a été instituée, un grand nombre de collectivités locales a refusé de la prendre en charge. Elle a ainsi été imposée, au-delà des textes réglementaires, par le Conseil d'État, pour l'ensemble des agents, y compris les contractuels de droit public. J'ai demandé aux services d'étudier la licéité d'un décret imposant une dépense supplémentaire aux collectivités territoriales ; cette démarche me paraissant, à première vue, constituer un sérieux accroc au principe de libre administration des collectivités territoriales.
La revendication de l'exemption fiscale de la prime d'éloignement, évoquée comme une sorte de contrat moral me paraît contestable, car cette prime est imposée dans l'ensemble des outre-mer. Et cette prime d'éloignement n'est pas le seul facteur de l'attractivité territoriale de Mayotte !
Si les dispositifs d'aide publique visés par le projet de loi actuellement défendu par M. Hamon seront applicables en outre-mer, la prochaine loi compétitivité que nous préparons devrait comporter un volet spécifiquement consacré à l'économie sociale et solidaire. En ce sens, dans le budget de la mission outre-mer, nous soutiendrons toutes les initiatives en faveur des centrales d'achat, les groupements d'achats de détaillants, les plateformes logistiques communes, la création de sociétés civiles d'intérêt collectif auxquelles les collectivités et les consommateurs peuvent être adhérents. Les actions de groupe en matière de santé ou d'environnement devraient également devenir applicables, comme l'a souhaité le président de la République qui a saisi Mme Marisol Touraine de cette question. Nous aurons l'occasion de vous revoir, à l'occasion de l'élaboration de ce projet de loi sur la compétitivité autour de problématiques précises comme l'aide à la personne, les filières d'approvisionnement ou encore la logistique.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous avez évoqué la question sensible de la coopération avec les Comores ainsi que la rencontre entre le président de la République et son homologue comorien du 21 juin dernier qui répondait à un double objectif : renouer le dialogue entre la France et l'archipel, interrompu depuis ces deux dernières années, et aboutir à la conclusion de cinq accords bilatéraux. L'évocation de ces accords bilatéraux par la déclaration finale diffusée au terme de cette rencontre n'a malheureusement pas été suivie d'effets. Certes, une nouvelle ambassadrice à la coopération dans l'Océan indien vient d'être nommée, ce qui ne peut qu'augurer du réchauffement des relations entre nos deux pays. Mais la France, principal bailleur de fonds des Comores, doit exiger des contreparties sans pour autant verser dans l'ingérence.
En outre, sur la question de la grève générale qui se déroule à Mayotte, le contrat moral invoqué par les grévistes ne repose sur aucun fondement juridique ; le principal motif de cette grève me paraissant plutôt résider dans le refus de la rétroactivité en matière fiscale.
M. Victorin Lurel, ministre. - Monsieur le sénateur, j'ai du mal à croire que, dans cette affaire, la loi des parties puisse supplanter la loi votée par le Parlement et que cette notion de « contrat moral » puisse s'imposer au détriment du statut général de la fonction publique revu en 1983, 1984 et 1986. Si les conditions de rémunération ont très partiellement contribué à l'attractivité du territoire de Mayotte, la solution proposée par le Gouvernement pour cette année est équilibrée, dans un contexte où chaque Français doit consentir à des efforts. Il importe de garder une vision objective de la réalité, et je ne comprends pas l'actuelle montée aux extrêmes constatables notamment dans ce dossier. S'il faut accepter le dialogue, il faut également respecter l'ordre public et assurer les conditions normales de la vie de nos compatriotes à Mayotte. Des instructions ont été données en ce sens, avec le souci de demeurer bienveillant, compréhensif, mais ferme.
On ne renonce pas aux accords avec les Comores et nous savons que la perspective de coopération a été bien accueillie par Anjouan. Mais tout ne doit pas être assujetti aux vicissitudes d'ordre politique perceptibles localement. D'ailleurs, la feuille de route assignée à la nouvelle ambassadrice régionale mentionne l'urgence de contribuer au réchauffement des relations entre les deux pays. Sur les 75 millions d'euros que coûtent les dispositifs de lutte contre l'immigration clandestine, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, et moi-même sommes d'accord pour prélever 20 millions d'euros destinés au financement de la coopération avec Anjouan, tout en poursuivant la réforme de la délivrance des visas.
M. Félix Desplan, rapporteur pour avis. - Un premier plan anti-séisme a permis de mettre aux normes certaines écoles ici ou là, notamment eu Guadeloupe, mais nous sommes encore loin du compte ! Puisque la Guadeloupe est exposée au risque d'un grand séisme, je considère que la responsabilité des maires pourrait être engagée, faute de la mise aux normes des établissements scolaires. C'est pourquoi, monsieur le ministre, l'État compte abonder un nouveau plan séisme destiné à augmenter sensiblement le nombre d'établissements scolaires qui soient aux normes antisismiques ?
M. Victorin Lurel, ministre. - A cet égard, mon budget contient une ligne spécifique, de l'ordre de 3 à 4 millions d'euros, à laquelle peuvent s'ajouter les financements concédés au titre du fonds Barnier. Sur la base des estimations faites par le plan-séisme en 2006, il faudrait près d'un millénaire pour assurer la mise aux normes de l'ensemble des bâtiments menacés ! Nous avons décidé d'amplifier la mise aux normes des écoles, de l'ensemble des bâtiments publics et des logements sociaux. D'ailleurs, toute rénovation urbaine, comme à Pointe-à-Pitre, se doit de respecter les normes antisismiques. Mais le problème réside dans l'accélération de cette mise aux normes qui implique cependant le soutien des collectivités locales à hauteur de 20 %, dans un contexte budgétaire difficile. Je dois d'ailleurs consulter mon collègue, M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, compétent également en la matière, pour optimiser les dispositifs existants.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je voulais vous remercier, monsieur le ministre, pour la précision des réponses apportées.
Loi de finances pour 2014 - Auditions de Mme Marylise Lebranchu, Ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, et Mme Anne-Marie Escoffier, Ministre déléguée chargée de la décentralisation (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et mission « Relations avec les collectivités territoriales »)
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, et Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation, sur le projet de loi de finances pour 2014 - mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous auditionnons Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique et Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation, sur les missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2014 - missions respectivement rapportées par Jacqueline Gourault et Bernard Saugey.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Quelques éléments de contexte pour présenter les moyens budgétaires consacrés cette année à la modernisation de l'action publique : le vote définitif, la semaine dernière, du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances pour simplifier les relations entre l'administration et les usagers ; la préparation du prochain comité interministériel de la modernisation de l'action publique, fixé courant décembre ; la mission confiée à Alain Lambert et Martin Malvy, qui ont rencontré le président de la République et le Premier ministre et qui devront, en particulier, examiner de près les relations de dépense publique entre l'État et les collectivités territoriales. Plusieurs grands chantiers sont en cours : l'évaluation des aides aux entreprises, confiée à Jean-Jack Queyranne, Jean-Philippe Demaël et Philippe Jurgensen, étant considéré qu'elles contribuent à la réduction du déficit pour 1,4 milliard dès 2014 ; l'évaluation confiée à Bernard Fragonard sur l'architecture de la politique familiale, laquelle contribue pour 1,2 milliard dès 2014 ; l'évaluation sur l'apprentissage, dont la contribution sera fixée une fois les arbitrages rendus sur la réforme en cours dans le cadre de la loi Sapin ; enfin, les chantiers transversaux de la modernisation de l'action publique : la nouvelle politique d'achat public devrait dégager environ 2 milliards d'économies d'ici 2015 sur le périmètre de l'État et de ses établissements publics - et nous pourrions aller au-delà, en maintenant notre exigence sur le rapport qualité-prix des achats.
Sur le plan budgétaire, ce projet de loi de finances (PLF) met en cohérence la maquette budgétaire avec les missions du secrétariat général à la modernisation de l'action publique : le regroupement des crédits de l'ensemble des services en charge de cette modernisation en rend l'usage plus lisible, c'est en soi un gage de modernisation.
Côté fonction publique, ce PLF poursuit la stabilisation des effectifs tout en continuant de créer des postes dans les secteurs prioritaires fixés par le président de la République l'an passé ; pour parvenir à 60 000 créations de postes dans l'enseignement et 5 000 dans la sécurité et la justice sur le quinquennat 2012-2017, ce projet de loi de finances crée 9 984 postes dans l'enseignement - 8 804 à l'Éducation nationale, 180 pour l'enseignement agricole, dont 30 rémunérés hors titre 2 et créés dans les établissements d'enseignement technique agricole, 1 000 postes dans les universités - qui s'ajoutent aux 6 838 postes créés dès la rentrée de 2012 grâce au collectif budgétaire d'alors, et ce PLF crée également 405 postes pour la sécurité et 590 postes pour la justice. Les postes supplémentaires pour la police et la gendarmerie nationale en majorité renforceront les effectifs dans les « zones de sécurité prioritaires » - et le ministre de l'intérieur a dit, aujourd'hui même, que 110 millions de crédits de gestion supplémentaires seront répartis sur l'ensemble du territoire.
Au total, la masse salariale de l'État est stabilisée : hors pension, elle augmenterait de 0,2 % par rapport à 2012, soit 0,1 % par an. Ce résultat tient à la stabilisation du point d'indice et à la maîtrise des mesures catégorielles, lesquelles s'élèveront à 267 millions l'an prochain - contre 310 millions l'an passé et 550 millions par an entre 2008 et 2012 - et que nous ciblerons en priorité sur la mise en oeuvre d'une grille revalorisée pour les fonctionnaires de catégorie C.
L'article 67 rattaché abroge le jour de carence dans la fonction publique qui, en un an d'existence, n'a pas démontré d'effet positif : le nombre de congés maladie est resté quasi stable à l'État, plus des deux tiers des agents qui ont été concernés n'ont eu qu'un arrêt maladie dans l'année ; les arrêts de courte durée sont restés stables : la proportion d'agents en arrêt court est passé de 1,2 % à 1 % dans la fonction publique d'État, de 0,8 à 0,7 % dans la fonction publique hospitalière et elle est restée à 1,1 % dans la fonction publique territoriale ; qui plus est, on observe une légère augmentation de la durée des congés.
Pour mieux lutter contre les arrêts abusifs, nous avons décidé de renforcer les contrôles des arrêts maladie : en généralisant le contrôle par les caisses primaires d'assurance maladie, dans les mêmes conditions que pour le privé - avec des contrôles des arrêts de moins de six mois, des arrêts répétitifs et des horaires de sortie ; ensuite, en contrôlant systématiquement l'obligation de transmettre, dans les 48 heures, les certificats médicaux ouvrant droit aux congés maladie ; enfin, nous proposerons qu'une retenue sur salaire soit effectuée lorsque l'arrêt maladie n'est pas justifié - nous trouverons un véhicule législatif pour ce faire, étant donné que ce n'est pas possible en loi de finances.
L'abrogation du jour de carence représente une dépense de moins de 0,1 % de la masse salariale et elle évitera le paiement de 8 à 12 euros par agent et par mois pour convertir le « risque carence » dans la fonction publique de l'État, où ce risque n'est pas couvert par la prévoyance.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Les crédits de l'action 2 du programme 148, consacrés à l'action sociale interministérielle, diminuent de presque 9,5 % : la troisième tranche du barème du chèque emploi service universel (CESU) garde d'enfant sera-t-elle effectivement supprimée ? Qu'en sera-t-il de l'aide à l'installation des personnels ?
Des programmes ministériels de modernisation et de simplification (PMMS) doivent permettre de respecter les schémas d'emplois : quel sort réserveront-ils aux secteurs définis comme prioritaires par le chef de l'État ? J'ai, une fois encore, demandé à vos services une ventilation des suppressions d'emplois entre administrations centrales et services déconcentrés : je déplore de ne l'avoir pas obtenue, comme chaque année.
Où en est, ensuite, la réforme des écoles de service public ?
Quid, enfin, de la réforme du régime indemnitaire annoncée le 7 février dernier ?
M. Patrice Gélard. - Le ministère de la justice est depuis trop longtemps maltraité par les finances publiques, les postes manquent dans les établissements pénitentiaires, aux greffes, parmi les magistrats, d'autant que les départs en retraite y sont en nombre important : combien de créations leur réservez-vous ? Ne croyez-vous pas qu'un rééquilibrage est possible avec l'éducation nationale ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - S'y ajoute le fait que nombre de postes vacants ne sont pas pourvus...
Mme Catherine Troendlé. - Je crois que les forces de sécurité sont en nombre insuffisant pour faire face à la situation d'insécurité majeure dans laquelle se trouvent nos concitoyens : les effectifs augmentent, mais pas suffisamment. Ensuite, dès lors que les médecins ne précisent généralement pas d'heures de sortie sur l'arrêt maladie, le contrôle en sera particulièrement difficile : comment comptez-vous faire pour rendre le contrôle effectif ?
M. Michel Mercier. - Des efforts sont effectués pour la justice : avec 330 postes aux concours, nous sommes quasiment au plafond des créations possibles. Cependant, il faut compter avec le travail effectué par les retraités : ce travail est bienvenu, puisque c'est grâce à lui que des tribunaux peuvent continuer à fonctionner ; mais la faculté pour les retraités de s'arrêter quasiment sans préavis, rend la gestion des effectifs particulièrement difficile : comment améliorer ce système ?
Je crois, ensuite, que vous avez raison sur le jour de carence : il n'a pas eu tous les effets escomptés parce qu'il a été compensé par les assurances, au moins dans la fonction publique territoriale - c'est le cas dans ma commune, où les fonctionnaires sont couverts par une mutuelle qui leur garantit leur salaire, ce qui fait perdre toute efficacité au jour de carence pour diminuer le recours aux arrêts maladie.
Bernard Pêcheur, dans le rapport qu'il vient de remettre au Premier ministre, suggère bien des pistes de réforme et en particulier celle de supprimer les catégories A, B et C de fonctionnaires, en les remplaçant par des « niveaux de fonctions » pour caractériser les différents corps ou cadre d'emploi. C'est intéressant, mais ce qu'on voit pour le moment, c'est que l'État crée surtout des emplois de catégorie C, c'est-à-dire ceux que les collectivités locales doivent financer : madame la ministre, quel est l'impact de vos créations d'emplois sur les finances des collectivités locales ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Question ardue...
M. Michel Mercier. - Si la ministre ne le sait pas, au moins son administration dispose d'éléments : nous avons besoin de plus de transparence !
Enfin, madame la ministre, j'espère que vous ferez voter votre loi sur les métropoles avant la fin de l'année, car dans le Rhône, nous avons besoin de savoir comment vous découperez les circonscriptions électorales !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Je partage votre avis, madame Gourault : l'action sociale des fonctionnaires est un véritable sujet, que l'opinion ne perçoit pas bien, étant donné que toute action sociale pour les fonctionnaires lui paraît trop facilement comme un privilège. La troisième tranche du Cesu sera maintenue si les crédits du programme 148 ne font pas l'objet de gel ni de réserves. Quant à l'aide à l'installation des fonctionnaires, les crédits devraient suffire aux demandes en 2014.
Hors ministères prioritaires, nous décidons d'abaisser le nombre de postes - il y aura, l'an prochain, 14 000 suppressions de postes - en fonction d'un ensemble de critères issus, notamment, de l'évaluation des politiques publiques, qui permet de redessiner des missions. L'ensemble est assez complexe ; voyez la diminution du nombre de commissions : l'économie représente seulement 1,6 million d'euros, mais libère un temps important de travail que les fonctionnaires peuvent effectuer à d'autres tâches.
La suppression de postes peut être importante, c'est le cas par exemple au ministère de l'écologie : nous avons entendu les fortes critiques, en particulier pour les fonctions support, par exemple « les emplois de permis de construire ». Le Premier ministre l'a reconnu : c'est bien à l'échelon départemental que les effectifs font le plus défaut ; c'est pourquoi j'ai demandé un rééquilibrage avec l'échelon central. Au titre de la RGPP, les suppressions de postes se sont faites principalement en fonction de l'âge, au moment du départ à la retraite ; ce critère, entre autres choses, a eu pour résultat d'affaiblir des départements qui, parce qu'ils étaient très demandés, avaient aussi des agents plus âgés en moyenne, qui ont donc été plus nombreux à partir en retraite. Nous avons défini d'autres critères, le Premier ministre nous a donné une feuille de route, en nous demandant notamment de maintenir les effectifs au plus près de la population, pour recevoir les publics. Quant à la cartographie précise des suppressions, je l'ai demandée également, madame Gourault, sans succès à ce jour.
Pour la modernisation des écoles de service public, le contrôle général économique et financier (CGEFi) poursuit son travail en mettant l'accent sur les mutualisations entre les écoles actuelles : je visite systématiquement les IRA et recueille tous les avis, je crois que nous devons aller vers une grande école du service public qui associe l'ENA, les IRA et l'INET.
Sur la réforme du régime indemnitaire, on constate une faible application de la prime à la performance. Nous avons proposé une refonte avec trois piliers : une indemnité de fonction, une indemnité liée à l'expertise et une autre liée à l'engagement professionnel. Le débat est ouvert, le Conseil supérieur de la fonction publique examine demain notre projet, vous serez bien sûr destinataires de nos échanges. La notion d'engagement professionnel doit être adaptée pour certains cadres, je pense par exemple aux magistrats, pour lesquels le nombre de dossiers traités n'est certainement pas le critère pertinent. Les syndicats sont d'accord dans leur majorité, le débat se poursuit, nous devons trouver les solutions les plus adéquates à notre situation collective.
Bernard Pêcheur a remis avant-hier son rapport au Premier ministre sur la fonction publique. Je crois qu'il démontre bien que le statut de la fonction publique, loin d'être un frein à la réforme, a montré ses facultés d'adaptation, sa souplesse, mais aussi ses avantages pour reconnaître les particularités de l'exercice des missions de service public. Nous allons donc proposer un nouveau statut, conforté, pour le premier semestre 2014. Faut-il conserver les quelque 1700 régimes indemnitaires particuliers ? Je ne le crois pas... Cependant, notre idée n'est pas d'écraser les différences : nous voulons plutôt une gradation dans la fonction publique, selon les responsabilités et les fonctions - en retrouvant ce que nous avons perdu à mesure des réformes successives qui ont conduit à ce que le haut de telle échelle dépasse le bas de celle qui est censée se trouver au-dessus... Bernard Pêcheur nous suggère de remplacer les trois catégories actuelles par six « niveaux » : cela n'engage que lui, notre rôle, c'est de lancer puis de conduire ce grand chantier - et je souhaite bon courage aux services, ainsi qu'à mes successeurs, car une telle réforme est nécessairement longue. Quant à la réforme indemnitaire pour la catégorie C, à laquelle nous consacrerons 446 millions l'an prochain, je suis convaincue qu'elle est nécessaire et juste : plus d'1,6 million d'agents plafonnent à l'équivalent du Smic, il faut agir - du reste, peu de maires s'en sont plaints.
Sur la justice, je partage le constat de Michel Mercier : effectivement, le système actuel rend particulièrement ardue la gestion des effectifs, en particulier le délai de six mois de vacance de poste ; la réforme est difficile mais, j'en suis d'accord avec vous, ce n'est pas une raison de s'en dispenser. Dans la magistrature, nous avons pu ajuster grâce à des concours exceptionnels ouverts à des avocats ou à des professeurs de droit, dans des conditions très encadrées par le conseil supérieur de la magistrature.
M. Michel Mercier. - Se pose alors le problème du jury.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - C'est vrai.
Mme Catherine Troendlé. - Comment comptez-vous rendre effectif le contrôle sur les arrêts maladie ?
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Les crédits à la formation augmentent de 3 % et les syndicats n'ont fait aucune observation : vous obtenez un satisfecit en la matière.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Je m'en réjouis, parce que nous comptons bien sur la formation pour faciliter la mobilité professionnelle et améliorer les carrières. Nous avons d'ores et déjà identifié des problèmes : des fonctionnaires passent des diplômes au titre de la formation continue, mais ces diplômes n'ont parfois rien à voir avec le métier qu'ils exercent, c'est dommage ; le niveau du diplôme requis pour présenter les concours doit être réexaminé : on exige une licence pour présenter l'ENA aussi bien que le concours d'infirmier, c'est un peu décalé avec les réalités ; des seniors partent prématurément en retraite parce qu'ils ne tiennent pas le coup : la formation continue doit pouvoir les aider à progresser dans leur carrière.
M. Patrice Gélard. - Madame la ministre, il faudrait convaincre votre collègue de l'enseignement supérieur et de la recherche, d'accepter enfin que l'université valorise les acquis professionnels : nous sommes encore très loin du compte !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - C'est vrai et Geneviève Fioraso partage cet avis ; pour avancer, nous comptons en particulier sur le rôle de chef de file confié à la région.
S'agissant des forces de sécurité, les 405 créations de postes sont à comparer aux quelque 10 000 suppressions effectuées par le gouvernement précédent. Nous sommes liés par les capacités des écoles de formation, car les métiers concernés exigent de passer par une école professionnelle.
Enfin, le contrôle des arrêts maladie doit être modernisé, nous avons commencé à y travailler ; je crois que les organisations syndicales y sont également prêtes, eu égard à l'image de la fonction publique dans l'opinion.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous passons aux relations avec les collectivités territoriales.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée, chargée de la décentralisation. - À travers les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », le Gouvernement entend aider les départements à financer les allocations individuelles de solidarité - allocation personnalisée d'autonomie (APA), prestation compensatoire du handicap (PCH) et revenu de solidarité active (RSA) -, à permettre aux collectivités territoriales de surmonter les difficultés liées aux emprunts toxiques ou encore à celles qui sont apparues après la suppression de la taxe professionnelle (TP) et son remplacement par la cotisation économique territoriale (CET), tout en faisant participer les collectivités à l'effort global pour le redressement des comptes publics de la Nation. Cet effort représentera cette année 1,5 milliard d'euros, soit 0,69 % des recettes réelles de fonctionnement des collectivités. Nous le compenserons en renforçant les dispositifs de péréquation verticale et horizontale. En outre, les régions bénéficieront, en remplacement d'une dotation peu dynamique, de frais de gestion, plus dynamiques. Enfin, nous proposons d'ajuster le taux du FCTVA au relèvement de la TVA.
Parmi les articles rattachés à la mission, l'article 72 propose de répartir la baisse de la DGF entre les différents niveaux de collectivités territoriales et tend à accroître la péréquation verticale. Au terme d'un long travail avec le Comité des finances locales, nous sommes parvenus à un consensus pour que chaque niveau de collectivités participe à l'effort de redressement de façon proportionnelle à ses recettes réelles de fonctionnement, sans disparité entre ces niveaux, comme j'ai pu le lire ici ou là. À cette aune, et conformément au Pacte de confiance et de responsabilité signé le 16 juillet dernier, le bloc communal contribuera pour 840 millions (soit 56 % de la baisse de 1,5 milliard d'euros), les départements pour 476 millions (32 %) et les régions pour 148 millions (12 %). La répartition à l'intérieur de chaque catégorie se fera sur la base des dépenses réelles de fonctionnement : à l'intérieur du bloc communal, les communes contribueront pour 70 % et les intercommunalité pour 30 %. Pour les départements, une péréquation particulière tiendra compte de leurs difficultés spécifiques, nous y travaillons avec l'Assemblée des départements de France (ADF). La péréquation verticale progressera, conformément au Pacte, ainsi qu'au souhait du Comité des finances locales : + 60 millions pour la dotation de solidarité urbaine (DSU), + 39 millions pour la dotation de solidarité rurale (DSR), + 10 millions pour la dotation nationale de péréquation et + 10 millions pour les dotations de péréquations départementales (dotation de fonctionnement minimale et dotation de péréquation urbaine).
L'article 73 modifie les critères de prélèvement et de reversement au titre du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) et du fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) : nous tenons les engagements du Pacte de confiance et de responsabilité et nous suivons les recommandations du Comité des finances locales. Ainsi, le FPIC augmentera, comme prévu, de 360 à 570 millions, et le FSRIF de 230 à 250 millions. Ces deux dispositifs de péréquation respecteront des critères plus complets, conformément aux souhaits du Comité des finances locales : pour le FPIC, sera renforcé le critère du revenu par habitant et celui de l'effort fiscal, pour mieux tenir compte des ressources fiscales des collectivités ; pour le FSRIF, est introduit le critère du revenu par habitant, à hauteur de 20 %, et il est proposé de relever les plafonds applicables au prélèvement, pour faire davantage contribuer les collectivités les plus aisées.
Enfin, l'article 74 pérennise la dotation spéciale de construction et d'équipement des établissements scolaires à Mayotte, à hauteur de 10 millions d'euros, tout en modifiant les modalités de sa gestion : elle relèvera désormais du ministère des outre-mer et sera gérée, non plus par le syndicat mixte d'investissement et d'aménagement de Mayotte (SMIAM) auquel elle est versée, mais selon une procédure comparable à celle de la dotation d'équipement des territoires ruraux.
M. Patrice Gélard. - Notre rapporteur pour avis Bernard Saugey m'a chargé de vous poser quatre questions.
Le PLF 2014 confirme l'association des collectivités territoriales à l'effort de redressement des finances publiques. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 prévoyait une diminution de 1,5 milliard d'euros des dotations de l'État en faveur des collectivités territoriales, en 2014 et 2015. Finalement, le PLF 2014, à la suite du pacte de confiance et de responsabilité signé le 16 juillet dernier, fixe à 3 milliards d'euros la baisse des dotations de l'État en faveur des collectivités territoriales. Que se passera-t-il au-delà de 2015 ?
Le projet de loi de modernisation de l'action publique locale
et d'affirmation des métropoles, actuellement en discussion au
Parlement, prévoit la création de onze métropoles
- sans compter celles de Paris, Lyon et Marseille - et abaisse le
seuil de création des communautés urbaines. Quelles en seront les
conséquences pour les dotations dont bénéficient les EPCI
à fiscalité propre dans le cadre de la baisse des dotations aux
collectivités territoriales ?
La proposition de loi créant le conseil national d'évaluation des normes a été adoptée par le Sénat le 7 octobre dernier et la loi promulguée le 17 octobre. Quel est le calendrier de création de cette nouvelle instance très attendue par les élus locaux ?
L'article 66 du PLF 2014 supprime l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), à compter du 1er janvier prochain. Cette suppression n'a fait l'objet, à notre connaissance, d'aucune concertation. Si le département, reconnu comme chef de file en matière de solidarité des territoires, pourra assurer cette mission, il est nécessaire de prévoir une période transitoire : pourquoi ne pas avoir reporté d'un an la fin de l'ATESAT pour laisser aux collectivités le temps de s'organiser ?
J'ajouterai une question à titre personnel : comment s'assurer que les collectivités qui reçoivent de l'aide pour redresser leurs finances, consacrent bien les sommes reçues à cette fin ? Quel contrôle existe-t-il ?
M. Jean-René Lecerf. - Les départements, qui abordent ces jours-ci leur débat d'orientation budgétaire, s'interrogent sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) : faut-il qu'ils en augmentent les taux ? Cette augmentation interviendra-t-elle de manière automatique, sauf délibération contraire ? Si elle paraît valoir pour deux ans, que se passera-t-il au-delà, c'est-à-dire à partir de 2016 ?
M. Jacques Mézard. - Je crois qu'il n'est jamais de bon exemple que les élèves vertueux paient pour ceux qui ont laissé filer leurs comptes, que nous devons y regarder à deux fois avant de nous engager sur cette voie... Vous nous dites que la cotisation foncière des entreprises (CFE) évoluera pour compenser la suppression de la TP : qu'en sera-t-il plus précisément ?
Je vous trouve bien silencieuse, ensuite, sur la péréquation horizontale : quelles sont vos intentions précises ? L'an passé, le vote du Sénat sur les recettes nous a empêché de nous prononcer sur les dépenses et nous avons dû assister, impuissants, aux errements de l'Assemblée nationale qui a accepté de sérieuses entorses aux principes que vous affichiez : qu'en sera-t-il cette année ? Allez-vous contrer les desideratas de quelques départements ? Comment éviter l'arbitraire ? Nous avons particulièrement mal vécu ce qui s'est passé cette année, même si vous avez pris quelques mesures compensatrices : nous devons y voir plus clair cette année !
M. Michel Mercier. - Je comprends parfaitement que l'État puisse baisser ses dotations aux collectivités territoriales, au nom de l'effort général pour l'assainissement des finances publiques. Encore faut-il conduire les réformes de structures pour accompagner cette baisse qui, elles, sont indispensables : si vous vous contentez de baisser les moyens sans rien changer des obligations ni des missions, vous ne faites que creuser nos déficits et charger la fiscalité locale ! Et ce que je constate, c'est que vous ne proposez aucun changement : ni grand, ni maintenant !
J'aimerais bien que vous m'expliquiez, ensuite, ce qu'il en est des DMTO. Le président de l'ADF m'a d'abord annoncé que mon département disposerait de 39 millions d'euros supplémentaires, issus d'une augmentation - obligatoire - des DMTO ; puis, dans un second courrier - il m'écrit souvent, ces temps-ci ! -, il s'est ravisé, en évoquant des discussions avec le Gouvernement, dont tout le monde sait qu'il s'agit de négociations internes à la majorité. Alors qu'en est-il ? L'augmentation sera-t-elle facultative, ou bien obligatoire ? À quel taux ?
Je crois, également, qu'on ne peut continuer la péréquation des ressources sans tenir compte des dépenses. Dans mon département, les dépenses mensuelles de RSA sont passées, en dix-huit mois, de 13 à 18 millions d'euros. On en reçoit la facture qui, de la taille d'un bristol, ne comporte aucune justification, ni détail. Cependant, le Rhône paie davantage au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) que les Hauts-de-Seine : pourquoi ? Je l'ai signalé l'an passé, Bercy fait la sourde oreille, quel que soit le gouvernement : c'est une constante ! Nous recevons 20 millions de péréquation sur les droits de mutation : pourquoi pas ? Les Alpes-Maritimes reçoivent 300 millions d'euros là où nous recevons 200 millions, alors que ce département contribue moins que le mien : pourquoi ? Nous avons besoin d'explications ! Quant à l'ATESAT, notre préfet l'a déjà supprimée : j'espère qu'il en obtiendra une décoration. Ce sera cela, votre seul « vrai changement »...
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Notre rapporteur Bernard Saugey souligne que le département, comme chef de file, va pouvoir faire face à la suppression de l'ATESAT, mais pourquoi ne pas laisser les communes et les intercommunalités s'organiser comme elles l'entendent et exercer cette compétence ? Je sais que certains départements ont créé des agences, mais d'autres n'en ont pas tandis que des intercommunalités en disposent. Pourquoi, dans ces conditions, figer les choses et confier cette compétence supplémentaire aux seuls départements, alors qu'ils ont déjà tant à faire ? Le bloc communal est tout à fait à même de s'organiser sur cette question, y compris en regroupant plusieurs intercommunalités là où ce serait nécessaire. Au lieu de quoi, vous les faites dépendre de la collectivité départementale...
M. Thani Mohamed Soilihi. - L'article 74 constitue une avancée pour l'éducation des Mahorais. Les écoles de Mayotte se voient attribuer une dotation spéciale, qui sera attribuée non plus au SMIAM, mais aux opérations elles-mêmes, ce qui est une bonne chose. Vous l'avez constaté par vous-même, madame la ministre, en venant récemment à Mayotte : les besoins sont criants, même si l'une des principales sources de difficultés est bien l'immigration clandestine, ce qui oblige à se poser la question de savoir pour qui nous allons construire ces nouvelles écoles...
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - J'entends votre remarque sur l'ATESAT, madame Gourault. Je la trouve d'autant plus pertinente que vous vous placez dans la perspective d'un échelon administratif en moins. Cependant, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), que l'ADF propose de mobiliser, disposent d'une ingénierie importante et, dans le cadre du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et promotion de l'égalité des territoires, l'État pourra servir de garant du schéma d'amélioration de l'accessibilité des services au public sur le territoire départemental. De plus, la mise à disposition de personnels sera possible. Dans ces conditions, je crois que cette solution ne bloque rien. Les collectivités territoriales devront continuer à travailler ensemble sur ces compétences : la conférence territoriale de l'action publique en sera le lieu tout désigné.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Pourquoi ne pas changer le statut des CAUE ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - C'est l'idée.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Actuellement, ils sont l'instrument du département : c'est verrouillé !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Je crois plutôt que l'action publique est une, et que nous devons y faire travailler ensemble les différents échelons. Du reste, certains départements n'ont pas de CAUE, ni d'agence publique. On avait aussi proposé la création de groupements d'intérêt public mais cela pose des problèmes pour les personnels. On a encore évoqué l'installation d'établissements publics. Nous devons creuser chacune des pistes, et en débattre.
L'article 74 relatif à la construction d'écoles à Mayotte répond au sens de la justice : les besoins, comme vous le dites, sont criants, et nous devons agir. Le syndicat mixte doit répondre rapidement à cette demande et je crois que nous serons entendus. La question de l'immigration illégale à Mayotte est effectivement incontournable ; avant le déplacement que le ministre de l'intérieur compte faire sur l'île l'année prochaine, le Premier ministre a prévu une réunion interministérielle pour examiner toutes les pistes et les cartes qui sont entre nos mains, y compris celles qui passent par la négociation avec les Comores. Je peux vous assurer, monsieur le sénateur, que votre préoccupation sera prise en compte. J'ai effectivement constaté à Mayotte, en rencontrant les ONG, combien était importante l'immigration d'enfants seuls, qui sont laissés à eux-mêmes et à la charge de la collectivité. Le ministre de l'intérieur s'en rendra compte également sur le terrain lors de son prochain déplacement.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - L'effort, je l'ai dit, se porte à 3 milliards sur 2014-2015, c'est très important. Vous me demandez ce qu'il en sera en 2016 si nous revenons à meilleure fortune : bien malin qui pourrait dire la conjoncture d'alors et je crois raisonnable de ne pas s'engager sur ce terrain.
La création des onze métropoles aura-t-elle des conséquences financières sur les dotations ? Probablement, mais elles n'entreront en ligne de compte qu'en 2015 : c'est pourquoi il n'en est pas fait mention dans ce PLF.
Quel est le calendrier du conseil national d'évaluation des normes ? Il est le plus serré possible, pour une mise en place dès le 1er janvier prochain, avec un programme très chargé dont nous attendons des économies de l'ordre de 1,8 milliard d'euros...
Les dépenses doivent-elles être prises en compte dans la péréquation horizontale ? C'est tout à fait notre objectif, nous avançons dans ce sens.
Nous voulons que les départements bénéficient de ressources suffisantes et stables. Nous prenons deux mesures fortes pour les y aider :
- le fonds de gestion de 827 millions d'euros, que ce PLF répartira. Nous y avons travaillé avec l'ADF et les commissions des finances des deux assemblées, avec l'objectif de parvenir à un équilibre afin que les départements ruraux n'y perdent pas. Nous avons introduit les critères du revenu par habitant et du reste à charge ;
- seconde mesure compensatoire, la faculté donnée pour deux années au département de faire passer de 3,8 % à 4,5 % le taux de DMTO.
Avec ces deux outils, les besoins seront couverts et l'équilibre entre les territoires ruraux et les territoires urbains sera respecté, c'est notre double objectif.
S'agissant des emprunts toxiques, nous avons fait un long travail pour analyser les situations des collectivités territoriales. Nous proposons, à titre préventif, que les collectivités ne puissent plus emprunter à taux variable. Pour aider celles dont la situation est difficile, nous mettons en place un fonds de 100 millions annuels, ouvert à toutes les collectivités concernées. Elles y contribueront autant que les banques : c'est le point le plus novateur de l'accord passé. Nous prévoyons d'installer un comité d'orientation pour examiner les demandes au cas par cas.
Sur les conséquences de la suppression de la TP et la correction de la CFE, un problème se pose effectivement. Le Gouvernement notifie le barème pour les PME et, en l'absence de délibération, le barème de 2013 sera reconduit, sauf pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 000 euros, auquel cas le nouveau barème est plafonné.
S'agissant du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), une hausse est effectivement prévue, en tenant compte du revenu par habitant et avec l'objectif d'effacer les disparités entre collectivités. Pour le fonds de gestion de 827 millions d'euros dont bénéficieront les départements, nous n'avons pas retenu le critère du potentiel fiscal tel que proposé par l'ADF. Nous avons préféré examiner les choses de plus près : l'IGA y a travaillé et nous rend compte demain de ses conclusions, nous y reviendrons au cours du débat parlementaire.
Vous réclamez des réformes, monsieur Mercier. C'est précisément l'objet du projet de loi de modernisation de l'action publique locale et d'affirmation des métropoles, qui vise à clarifier les compétences et rationaliser l'action publique locale. Nous comptons également sur le bon sens des élus locaux : tout ce qui est redondant n'a plus de sens, nous devons travailler collectivement à la complémentarité des interventions.
M. Michel Mercier. - Cela revient à nous demander d'augmenter la taxe foncière parce que, dans les faits, vous n'allez rien laisser aux collectivités !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Tout dépendra de la situation précise des collectivités concernées. Les départements ont besoin de 7 à 8 milliards d'euros pour le financement des allocations individuelles de solidarité. Nos mesures compensatoires couvrent l'intégralité de ces besoins. La part qui revient aux départements leur est très favorable par rapport au régime précédent, nous le vérifierons à l'expérience.
M. Michel Mercier. - Vous répondez pour les collectivités dans leur ensemble, mais vous savez bien qu'elles sont toutes différentes et que certaines y perdent beaucoup ! Le département du Rhône est systématiquement maltraité, par les gouvernements successifs, les chiffres le démontrent d'année en année. Nous recevons moins de dotations que les Hauts-de-Seine, alors que nous sommes loin d'être aussi riches ! Pendant ce temps, notre dépense de RSA progresse de 40 millions d'euros. Les chiffres sont publics, venez donc voir ce qu'il en est : au total, il nous manque 80 millions d'euros ! Madame la ministre, toutes les pilules ne passent pas : nous sommes plutôt des bons élèves pour la réforme, mais le Gouvernement s'acharne contre nous ! Ce n'est pas la première fois que j'entends des propos rassurants mais, dans les faits, rien ne suit, c'est intolérable !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Je vous propose que nous examinions ensemble les chiffres et vous constaterez que vous n'êtes pas si mal traités...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Rendez-vous est pris !
M. Michel Mercier. - Ce ne sera pas le premier, ni le dernier d'ailleurs, mais qui ne servira à rien...
M. Jacques Mézard. - Vous nous dites que la création des métropoles et l'abaissement du seuil de création des communautés urbaines seront sans conséquence jusqu'en 2015. C'est donc après cette date que les communautés d'agglomération commenceront à y perdre. Or, si nous sommes parvenus à un accord au Sénat, c'est à la stricte condition que les nouvelles communautés urbaines n'enlèveront rien aux communautés d'agglomération : nous avons été on ne peut plus explicites sur ce point. Si, une fois de plus, le Gouvernement revient sur sa parole, nous en tirerons toutes les conséquences...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ce point est, effectivement, de la plus haute importance. Nous sommes parvenus à un accord en première lecture après une longue discussion et c'est un amendement dont l'objet était précisément de garantir les communautés d'agglomération, qui a emporté le soutien de la Haute Assemblée. L'enveloppe des communautés urbaines étant constante, on peut y ajouter de nouvelles communautés qu'à la condition d'y apporter également les dotations auxquelles elles ont droit : le Gouvernement doit impérativement soutenir le Sénat sur ce point en CMP. Nous avons bataillé pour que les métropoles ne s'opposent pas au reste des intercommunalités, le Gouvernement nous a suivi en acceptant notre amendement : il doit maintenir son soutien. Ou bien nous aurons contre nous toutes les communautés de communes et les communautés d'agglomération.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Le Gouvernement n'a pas d'autre intention : il travaille dans ce sens.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ce qui implique une disposition particulière dans le PLF 2015 : on comprend que la question ne se pose pas cette année, mais elle sera impérative l'an prochain.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Je réitère notre engagement pour l'an prochain. Nous travaillons sur trois outils : la péréquation, la révision de la DGF et la révision des bases locatives d'habitation. Un groupe de travail a été installé sur cette dernière révision, sa méthode sera comparable à ce qui s'est fait sur les bases locatives professionnelles, avec un échantillonnage, et un objectif d'opérationnalité en 2018.
Mes services se tiennent à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Madame la ministre, nous vous remercions de vos réponses.
Mercredi 6 novembre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Application de l'article 40 de la Constitution - Communication sur les suites de l'échange de vues entre une délégation de la commission des lois et MM. Philippe Marini, président et François Marc, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le 23 octobre dernier, nous avons tenu, à la demande de Pierre-Yves Collombat, une réunion sur l'application de l'article 40 avec le président de la commission des finances, Philippe Marini, et le rapporteur général du budget, François Marc, à laquelle ont assisté nos collègues Esther Benbassa, Pierre-Yves Collombat, Christian Favier, Patrice Gélard, Virginie Klès et René Vandierendonck.
Nous sommes convenus que nous adresserions un courrier au président du Conseil constitutionnel afin qu'il précise la position de son institution sur deux questions :
- est-il légitime d'opposer l'article 40 à un amendement qui tend à procéder à un transfert de charges entre deux collectivités, alors qu'il n'y a pas de création de charges nouvelles, mais juste une nouvelle répartition de celles-ci ?
- comment concilier le respect de l'article 40 avec d'autres exigences constitutionnelles ? Lors de l'examen de la loi pénitentiaire, un amendement qui prévoyait le défraiement d'un interprète pour les détenus étrangers s'était vu opposer l'article 40 alors qu'il était nécessaire pour satisfaire l'exigence du respect des droits de la défense.
Je tiens à cet égard à votre disposition un dossier complet d'exemples précis sur des amendements pour lesquels une difficulté d'application de l'article 40 a été signalée.
Lors de la même réunion, nous nous sommes entendus avec la commission des finances sur deux procédures rappelées dans la note qui vous a été remise.
Chaque sénateur devrait avoir la possibilité de consulter les services de cette commission préalablement au dépôt d'un amendement si sa recevabilité financière ne lui semble pas assurée.
Par ailleurs, tout sénateur devrait pouvoir faire valoir ses arguments auprès du président de la commission des finances s'il le souhaite, pour peu que les délais le permettent, sur les amendements frappés d'irrecevabilité ou susceptibles de l'être.
L'application de ces principes au sein de notre commission pourrait nous amener à distinguer deux cas.
Au stade de l'établissement du texte de la commission, il me serait possible de solliciter l'avis du président de la commission des finances, à la demande expresse d'un d'entre vous, s'il y avait un doute sur la recevabilité d'un amendement afin d'éviter que l'irrecevabilité soit ultérieurement soulevée en séance publique. Une telle consultation serait facultative et l'avis rendu serait seulement indicatif.
Pour les amendements extérieurs frappés d'irrecevabilité ou susceptibles de l'être par le président de la commission des finances, l'auteur pourrait obtenir, lorsque les délais le permettent, que les raisons lui en soient expliquées et que soit examinée la possibilité d'une rédaction compatible avec l'article 40.
M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le président, je vous donne acte de la fidélité de votre compte rendu. Mais le problème demeure car les conclusions que nous avons tirées ne règlent pas grand-chose...
Mes interrogations sur l'application de l'article 40 n'ont rien d'un combat personnel, il s'agit d'un problème de fond. À l'origine, cet article n'était censé que régler les rapports entre le Parlement et le Gouvernement. Il s'impose aujourd'hui à la répartition des compétences entre les collectivités. Conçu pour éviter les déficits, il est devenu le moteur de la chasse aux charges : ce glissement de finalité constitue un abus de pouvoir contre le Parlement.
J'ajoute que les procédures proposées ne vont pas plus loin qu'un droit de demander une autorisation au président de la commission des finances...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Non, le droit d'amendement des parlementaires reste entier sous la contrainte de l'article 40.
M. Pierre-Yves Collombat. - La condition « si les délais le permettent » annule toutes les avancées : notre rythme de travail nous permettra rarement de nous entretenir préalablement avec la commission des finances.
J'ai une question : l'avis du président de cette commission sera-t-il seulement consultatif ? Qui décidera ? Il est important que ce soit le président de la commission compétente au fond car ainsi nous pourrons en débattre ensemble.
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce qui est compliqué concernant l'article 40, c'est la question des collectivités locales. La plupart des amendements pour lesquels l'application de l'article 40 est contestée concernent les finances des collectivités locales.
Il faut reconnaître que les interprétations sont assez stables dans le temps et qu'il existe des manières de présenter des amendements afin de contourner l'irrecevabilité.
Depuis que la commission élabore un texte qui est ensuite débattu en séance, la question s'est posée d'une manière un peu nouvelle. Je vous renvoie au Règlement du Sénat : une commission peut saisir le président de la commission des finances, mais ce n'est pas une obligation, c'est un pouvoir propre du président de la commission qui n'a d'aillleurs pas à solliciter l'avis préalable de l'auteur de l'amendement. Il m'est arrivé, lorsque j'étais président de la commission des lois, de dire qu'un amendement était contraire à l'article 40 de la Constitution après avoir consulté mon homologue des finances, afin d'éviter que le texte de la commission ne comporte des dispositions contraires à l'article 40. Il s'agissait de cas évidents, il n'y a donc pas eu de contestation.
Mme Hélène Lipietz. - Si un amendement est frappé de l'article 40, un groupe peut-il contester devant le Conseil constitutionnel lors d'un recours contre le texte adopté le fait qu'un amendement n'ait pas été examiné ? Qui juge de la pertinence de l'interprétation du président de la commission des finances ?
Mme Catherine Tasca. - La note me laisse un peu sur ma faim. Je pensais que cette rencontre était organisée en raison d'une divergence entre notre commission et la commission des finances sur l'interprétation de l'article 40 de la Constitution. Cela ne ressort pas dans la note, qui a cependant le mérite de clarifier les bonnes pratiques. Le problème de fond de l'interprétation n'est pas abordé. Je souhaiterais disposer du dossier qui recense les cas litigieux pour me forger une opinion. Nous pourrions alors en reparler, si nous constatons des situations dans lesquelles il existe vraiment des divergences d'appréciation entre nos deux commissions.
M. André Reichardt. - Je suis d'accord avec Mme Tasca. Sur cette base, je m'interroge sur la deuxième partie du premier point de la note. J'ai le souvenir qu'un de mes amendements n'a même pas été intégré dans la liasse de la commission après avoir été déclaré contraire à l'article 40. Est-ce donc une nouveauté ce qui est proposé ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le Président, je souhaiterais que vous posiez en Conférence des Présidents la question d'une réflexion et d'une éventuelle modification de la rédaction du Règlement du Sénat. Il en va de notre droit d'amendement !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pour répondre à Madame Lipietz, je vous indique que tout auteur d'un recours devant le Conseil Constitutionnel est libre d'invoquer les arguments qu'il souhaite, donc celui que vous avez évoqué.
M. Pierre-Yves Collombat. - Un parlementaire ne peut pas faire un recours à titre personnel !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je faisais référence au recours qui est ouvert à soixante parlementaires. S'ils souhaitent exposer dans leur saisine que l'article 40 a été invoqué à tort, ils le peuvent.
Concernant les observations de Madame Tasca, je vous précise que le document préparé par les services de la commission va vous être distribué pendant la séance, ce matin.
Enfin, pour faire suite à la proposition de Monsieur Collombat, je serais plus assuré pour intervenir en Conférence des Présidents si une proposition de résolution tendant à modifier le Règlement était rédigée par certains d'entre vous. La commission des lois pourrait même l'inscrire à son ordre du jour, puis proposer son inscription à l'ordre du jour du Sénat. Il faudrait pour cela parvenir à un accord sur la rédaction.
M. Jean-Jacques Hyest. - Vous aurez alors une décision du Conseil constitutionnel !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il a également été acté que, pour les amendements présentés en commission comme en séance, chacun peut avoir une expertise préalable de la commission des finances sur la recevabilité de l'amendement dont il est l'auteur.
Concernant les amendements présentés au stade de la commission, le président de la commission saisie au fond peut déclarer l'irrecevabilité au titre de l'article 40, sans débat. Je précise que j'utilise cette faculté avec beaucoup de parcimonie. Cette position du président de la commission ne préjuge en rien de la décision de la commission des finances.
Dès lors qu'un amendement de séance est jugé irrecevable ou susceptible de l'être, son auteur pourrait exposer ses arguments auprès du président de la commission des finances, afin d'obtenir des explications de la part de celle-ci. Cette possibilité est difficile à réaliser quand le délai-limite de dépôt des amendements est fixé très peu de temps avant la réunion d'examen, mais ce cas est relativement rare.
En conclusion, nous avons donc cette note qui engage la commission des finances sur un certain nombre de points, et un courrier adressé au Conseil constitutionnel pour deux cas d'interprétation. Il est enfin possible de faire une proposition de résolution afin de modifier les conditions d'application de l'article 40 dans le Règlement du Sénat. Le cas échéant, je m'engage à l'inscrire dès que possible à l'ordre du jour de la commission.
Introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 355 (2011-2012), présentée par M. Jean-Pierre Leleux et plusieurs de ses collègues, visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Mes chers collègues, je serai un peu longue pour présenter mon rapport, car j'ai souhaité reprendre tous les griefs qui avaient été exposés contre une proposition de loi semblable, précédemment déposée devant l'Assemblée nationale.
La baisse continue du nombre de blessés et de tués dans les accidents de la circulation résulte de plusieurs initiatives prises depuis les années 1970. Une mesure n'a pourtant jamais été prise, même si le comité interministériel de la sécurité routière l'a recommandé dès 1974 : l'apprentissage des gestes de premiers secours par les conducteurs. Les automobilistes, témoins d'un accident de la circulation, ont en effet un rôle essentiel car les premières minutes sont vitales.
En l'état actuel du droit, la connaissance des gestes de premiers secours n'est ni enseignée ni sanctionnée lors de l'examen du permis de conduire, même professionnel. Face à ce constat, la présente proposition de loi vise à instaurer une troisième épreuve au permis de conduire, sanctionnant une formation aux « notions élémentaires de premiers secours » définie par le texte comme étant l'apprentissage de cinq gestes fondamentaux.
Cette proposition de loi se justifie pleinement mais les modalités pratiques posent des difficultés : je vais vous proposer de modifier le dispositif proposé, tout en en conservant l'esprit.
Cette proposition de loi se justifie, d'une part, en raison du rôle essentiel des automobilistes ; d'autre part, parce qu'aujourd'hui, le niveau de formation aux gestes de premiers secours est encore insuffisant.
Lors d'un accident de la route, la survie des blessés les plus gravement atteints est liée à leur prise en charge précoce par les services de secours. L'Organisation mondiale de la santé remarque ainsi que « même les systèmes de secours les plus sophistiqués et les mieux équipés ne peuvent pas grand-chose si les témoins sont incapables d'analyser le degré de gravité de la situation, n'appellent pas à l'aide et ne pratiquent pas les soins de base avant que les services de secours n'arrivent sur place ».
Plus de 50 % des victimes de la route succombent en effet dans les premières minutes suivant l'accident. Les services de secours interviennent en France en moyenne en moins de dix minutes pour les accidents de la circulation ; en milieu rural, les délais d'intervention sont souvent plus longs. La rapidité de la prise en charge des victimes dépend donc beaucoup de la réaction des témoins.
Le lien entre témoins de l'accident et services de secours est donc essentiel. Or, l'état de panique que peut engendrer la survenance d'un accident conduit certains témoins à oublier les gestes essentiels consistant à alerter les secours ou à protéger le lieu de l'accident. Cette carence a des effets directs sur la survie des blessés ; elle crée aussi un sentiment d'impuissance et de frustration chez les témoins.
En France, le niveau de formation aux premiers secours est faible ; il n'y a par ailleurs aucune exigence d'une attestation de premiers secours préalablement au passage du permis de conduire. Il existe bien une attestation de sécurité routière à présenter avant le passage du permis de conduire ; mais elle pose plus de difficultés qu'elle n'en résout : les connaissances dispensées sont souvent lointaines, car elles remontent au collège, et la présentation de cette attestation entraîne parfois des situations difficiles pour les candidats qui ne la retrouvent pas.
Il n'existe qu'un dispositif général obligatoire de formation aux gestes de premiers secours : celui qui est organisé au bénéfice des élèves du premier et du second degré par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile. Ces dispositions imposent de former les élèves à l'attestation de prévention et Secours civique de niveau 1 (PSC1). Cependant, seuls 20% des élèves de troisième sont formés chaque année. C'est insuffisant.
Lors de la Journée défense et citoyenneté, la question des gestes de premiers secours est abordée mais la durée consacrée, environ une heure, est également insuffisante.
Dans le cadre du permis de conduire, aucune connaissance des gestes de secourisme n'est exigée, même pour les permis de conduire professionnels. Il existe bien un référentiel, à destination des enseignants à la conduite : ce « cahier des charges » impose aux enseignants d'apprendre aux candidats un certain nombre de comportements et de réflexes à avoir en cas d'accident de la circulation. Mais aucune question n'est posée à l'examen théorique ou pratique.
Pour les permis de conduire poids lourds et de transport de personnes, des connaissances théoriques sont dispensées en matière de conduite à tenir en cas d'accident, pendant la formation initiale et professionnelle, mais toujours sans sanction.
Dans certains cas cependant, des obligations en matière de formation aux premiers secours sont parfois imposées : pour les conducteurs de taxi par exemple, un arrêté du 3 mars 2009 impose de fournir, lors de l'inscription à l'examen du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi, l'attestation d'obtention de l'unité d'enseignement « prévention et secours civiques de niveau 1 », qui doit avoir été délivrée au moins depuis deux années.
Face à ce constat, de nombreuses initiatives parlementaires ont tenté de conforter l'état du droit existant.
La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a ainsi créé une obligation de sensibilisation des candidats aux permis de conduire à la formation aux premiers secours. Toutefois, en l'absence de décret d'application, cette obligation est restée lettre morte.
Plusieurs propositions de loi ont été déposées afin d'imposer une formation pratique aux gestes de premiers secours lors du passage du permis de conduire. Certaines, comme celle que notre collègue, le président Jean-Pierre Sueur a déposée le 2 août 2007, ont eu pour objet d'intégrer une formation obligatoire aux premiers secours dans l'examen du permis de conduire de transport de personnes. D'autres propositions de loi ont eu pour objet d'instaurer cette obligation de formation pratique dans les épreuves du permis de conduire B.
La dernière en date a été déposée à l'Assemblée nationale par M. Bernard Gérard et plusieurs de ses collègues, le 23 août 2012. Elle a toutefois été rejetée le 11 octobre 2012.
J'observe pourtant que dans de nombreux pays européens, une formation en matière de secourisme est un préalable obligatoire à l'obtention du permis de conduire. Cependant, ces formations ne sont jamais sanctionnées par un contrôle de connaissance intervenant à l'occasion du passage du permis de conduire. Il est simplement imposé aux candidats au permis de conduire de suivre une formation aux premiers secours, d'une durée variable. En Allemagne ou en Autriche par exemple, cette durée de formation est de six ou sept heures.
La proposition de loi qui vous est soumise est composée d'un article unique. Elle ne vise pas à créer une formation pratique aux gestes de premiers secours dans le cadre de la préparation au permis de conduire, mais une troisième épreuve au permis de conduire, sanctionnant la connaissance des gestes de premiers secours, qui s'ajoutera à l'épreuve pratique et à l'épreuve théorique actuelles.
Le contenu de cette épreuve est précisé : il s'agit de sanctionner la connaissance de cinq gestes, soit, alerter les secours, baliser les lieux de l'accident, ventiler la victime, c'est-à-dire procéder à la respiration artificielle, comprimer, c'est-à-dire appuyer sur une plaie ouverte afin de stopper une hémorragie et enfin, sauvegarder la vie des blessés.
En l'état, cette proposition de loi pose plusieurs difficultés pratiques. En premier lieu, la création de ce dispositif entraîne nécessairement un surcoût, même faible, qui pèsera in fine sur les candidats au permis de conduire. Il semble, en effet, difficile d'imposer une charge aux enseignants d'auto-écoles sans que ceux-ci ne répercutent ce coût sur la formation dispensée. Si les candidats se forment auprès d'associations agréées, la formation leur sera également facturée. Or, le coût de la formation au permis de conduire est évalué en France à près de 1500 euros, ce qui reste très élevé.
En second lieu, si la formation ne s'effectue pas au sein de l'auto-école, mais par le biais d'une association de secourisme, un nombre important de moniteurs de secourisme sera nécessaire pour former les candidats aux permis de conduire. Or, au regard des 900 000 candidats annuels au permis de conduire, imposer une formation supplémentaire entraînerait un allongement très important des délais pour pouvoir passer le permis de conduire, et saturerait les associations et les structures capables de délivrer cette formation. La tendance actuelle est déjà celle d'un allongement des délais pour passer le permis de conduire : de 86 jours d'attente en moyenne en 2012, le délai est d'environ 90 à 95 jours pour l'année 2013. Or le permis conditionne souvent l'accès à un emploi.
Enfin, le contenu de la formation aux premiers secours proposée pose en lui-même des difficultés. Les « cinq gestes qui sauvent » ont pu faire consensus au moment du lancement de ce programme dans les années 1970 mais ce n'est plus le cas aujourd'hui : ventiler, c'est à dire pratiquer la respiration artificielle sur les blessés, est contesté lorsque l'arrêt cardiaque est consécutif à un accident de la route. Les personnes entendues, pompiers, SAMU, etc. par votre rapporteur ont été unanimes sur ce sujet.
J'observe enfin que les pays qui ont instauré une obligation de formation aux premiers secours n'imposent pas un examen spécifique.
Votre rapporteur estime donc que les connaissances acquises ne peuvent pas être sanctionnées par le passage d'une épreuve, au même titre que l'épreuve théorique ou pratique. Plus simplement, il pourrait être imposé aux auto-écoles d'apprendre aux candidats des comportements simples, à observer en cas d'accident de la circulation. Nombre de conducteurs méconnaissent des règles a priori élémentaires : seules 55 % des personnes interrogées lors d'une enquête de la Croix Rouge, menée en 2013, indiquent que leur premier geste serait d'avertir les secours. En ce qui concerne la protection des lieux de l'accident, 50 % des personnes interrogées ne savent pas correctement placer un triangle de signalisation.
Ces gestes apparemment anodins que sont l'alerte, la protection des blessés et du lieu d'accident sont pourtant bien des gestes de premiers secours à part entière. Apprendre aux candidats les règles essentielles en ce qui concerne l'alerte, la protection des véhicules pour éviter le sur-accident, et, le cas échéant, leur expliquer les gestes très simples pouvant être effectués et ceux ne devant pas l'être (déplacer sans précaution un blessé, etc.) permettrait d'augmenter fortement les chances de survie des blessés. De telles mesures n'impliqueraient pas l'apprentissage de gestes très techniques et n'imposeraient ni formation théorique lourde, ni examen spécifique.
Dès lors, je vous propose de reformuler l'article unique de cette proposition de loi afin de créer non une épreuve, mais une obligation de vérification par les examinateurs que les candidats au permis de conduire maîtrisent des gestes très simples que sont alerter les secours, baliser et sécuriser la zone et le cas échéant, procéder aux gestes de secours les plus simples, dans le cadre des épreuves actuelles du permis de conduire.
Une telle solution présente l'avantage de ne pas entraîner de surcoût pour les élèves comme pour les enseignants à la conduite. La formation à ces notions s'effectuerait dans le cadre des cours théoriques, et serait sanctionnée à l'examen par un nombre défini de questions, portant spécifiquement sur les gestes à effectuer. La direction générale de la sécurité routière est en train de mettre à jour une modification des diapositives : on pourrait donc très bien introduire des questions portant sur les gestes de secours. De même, lors de l'examen pratique, une mise en situation pourrait être incluse, sans entraîner une modification profonde du déroulement de l'examen.
Les moniteurs d'auto-écoles pourraient se former à ces questions dans le cadre de la formation professionnelle continue. Le caractère relativement simple des notions devant être expliquées aux candidats ne devrait pas nécessiter une formation très complexe ou trop onéreuse. Lors du renouvellement de l'agrément préfectoral permettant l'exploitation d'un établissement d'enseignement de la conduite de véhicules à moteur, qui a lieu tous les cinq ans, il pourrait être ainsi exigé qu'un des enseignants à la conduite de l'auto-école ait suivi une formation lui permettant de dispenser ces informations spécifiques.
Enfin, je voudrais répondre dès à présent à l'objection essentielle qui ne manquera pas d'être formulée, selon laquelle cette proposition de loi est de la compétence du pouvoir réglementaire. Ce motif a conduit au rejet de la proposition de loi présentée par notre collègue Bernard Gérard à l'Assemblée nationale.
La définition des épreuves du permis de conduire est en effet du domaine du pouvoir réglementaire : c'est même un arrêté qui fixe le contenu des épreuves.
Toutefois, le Conseil constitutionnel admet depuis sa décision du 30 juillet 1982 « Blocage des prix et des revenus » que la loi peut empiéter sur le domaine du règlement, sans être inconstitutionnelle. Cette situation est toutefois considérée comme étant une malfaçon. Mais il arrive pourtant que le législateur le fasse en toute connaissance de cause, en raison du caractère très politique ou très symbolique de la disposition.
Ainsi, par exemple, la durée d'assurance requise pour pouvoir bénéficier d'une pension à taux plein est en principe de la compétence du règlement. Elle a été fixée par un décret du 27 août 1993 relatif aux pensions de retraite à taux plein, mais dans le cadre du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, que le Sénat a examiné ces derniers jours, le Gouvernement a fait le choix de définir cette durée à l'article 2 de la loi. Ce choix se justifie par la portée de cette disposition et par la nécessité d'un débat sur la question.
Sans présenter une telle portée, le principe général de formation aux notions élémentaires de premiers secours à l'occasion du permis de conduire pourrait être intégré dans la partie législative du code de la route, compétence étant laissée au pouvoir réglementaire pour définir le contenu de cette obligation.
Dans d'autres domaines, ayant trait eux-aussi à la sécurité des personnes, la loi est intervenue pour faire respecter une obligation essentielle de sécurité : l'obligation d'équiper les logements d'un détecteur de fumées, les obligations en matière de sécurisation des piscines privées par exemple.
Il y a donc plusieurs précédents, et la présente proposition de loi s'inscrit dans la même logique : imposer une obligation dans la loi, afin de sauver des vies.
J'estime donc qu'il est nécessaire de simplifier le cadre proposé, mais je pense qu'il est indispensable de le maintenir dans la loi, au regard aussi de la carence manifeste du pouvoir réglementaire sur cette question.
M. Patrice Gélard. - J'ai la plus grande sympathie à l'égard des auteurs de cette proposition de loi. Mais je pense que le véhicule retenu est inapproprié pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, les dispositions de cette proposition de loi relèvent du domaine réglementaire et non de celui de la loi. Je suis très attaché au respect des articles 34 et 37 de la Constitution.
Ensuite, d'autres moyens auraient pu être utilisés pour débattre de cette question : par exemple, les questions orales avec débat ou les questions cribles thématiques auraient permis d'interroger le Gouvernement.
Enfin, il me semble qu'il ne revient pas aux auto-écoles de poursuivre cette mission. C'est aux écoles en général de sensibiliser, dès le plus jeune âge, les enfants aux premiers secours. En outre, je me méfie des actes inconsidérés que peuvent prodiguer certaines personnes qui auraient reçu des simulacres de formation.
Je crains que cette proposition de loi soit uniquement motivée par le lobby des auto-écoles.
Mme Esther Benbassa. - Quel serait leur intérêt ?
M. Patrice Gélard. - Certains directeurs d'auto-écoles m'ont confié qu'une telle proposition de loi leur permettrait d'augmenter leur charge obligatoire d'enseignement et, par conséquent, le coût demandé aux familles.
Je ne voterai pas contre cette proposition de loi, car on ne peut pas s'opposer à toute volonté d'améliorer la formation aux premiers secours, mais je m'abstiendrai.
M. Yves Détraigne. - Ce texte est bien intentionné, mais s'il ne fait que reprendre des dispositions trop peu appliquées, pourquoi serait-il, lui, davantage mis en oeuvre que les règles actuelles ? Ensuite, je crois que l'apprentissage du secourisme pourrait parfaitement s'inscrire dans le temps périscolaire : son organisation n'est pas du domaine législatif, mais on peut toujours encourager à aller dans ce sens...
M. René Vandierendonck. - J'ai bien connu des militants bénévoles qui ont été à la base de ce mouvement pour l'éducation à la protection civile et à la sécurité routière. Les parlementaires du Nord ont du reste toujours soutenu les propositions de loi qui voulaient aller plus loin - et qui ont toutes échoué, pour les raisons que le ministère de l'intérieur ne manquera pas de nous opposer aujourd'hui. On nous dira que le référentiel d'évaluation des auto-écoles sera modifié, que les vidéos d'enseignement seront complétées, qu'on montrera ici ou là quelques gestes de secourisme... en un mot, rien qui soit à la hauteur de l'enjeu ! Je ne crois pas que l'argument juridique du domaine de la loi suffise, nous avons besoin d'avancer : il faut former les collégiens au secourisme, avec une sanction éventuelle lors du brevet des collèges, et prévoir un examen des connaissances lors du permis de conduire ; je voterai cette proposition de loi.
M. Jean-Pierre Vial. - Je crois cependant que si la matière est réglementaire et que des mesures existent mais qu'elles ne sont pas appliquées, il faut commencer par les appliquer : nous nous plaignons suffisamment de trop légiférer déjà, gardons-nous de vouloir le faire en plus dans le domaine du règlement ! J'ai eu l'occasion d'assister à des stages de secourisme : j'y ai entendu des jeunes gens dire que ces stages ont changé leur perception de la conduite, ce n'est pas le moindre des résultats. L'enjeu est essentiel, mais ce qu'il faut commencer par faire, c'est mieux utiliser les outils dont nous disposons.
M. Jean-René Lecerf. - Je pense précisément l'inverse. Je connais le sujet depuis longtemps. Nous n'aurions pas à en débattre aujourd'hui si l'administration avait pris, conformément à la loi du 12 juin 2003, le décret en Conseil d'Etat pour une formation aux premiers secours dans le cadre du permis de conduire. Mais nous nous heurtons, depuis dix ans, à la mauvaise volonté de la bureaucratie, qui a pourtant compétence liée en la matière : son inaction est un déni de la volonté du législateur !
On nous oppose que le créneau serait mal choisi : faudrait-il faire une énième commission sur le sujet - pour l'enterrer, comme le disait déjà Georges Clemenceau ? La formation aux premiers secours pourrait sauver 250 vies par an : les Français le comprennent bien, qui soutiennent à 98 % le principe d'une telle formation au passage du permis de conduire - et ils accepteront le surcoût de 25 euros, dérisoire face à la vie humaine et bien moindre, soit dit en passant, que le coût des stages pour récupérer des points sur son permis...
Le respect du domaine réglementaire empêcherait le législateur de vouloir sauver des vies humaines ? Je ne le crois pas, car le législateur a précisément pour fonction de s'occuper de l'essentiel : nous y sommes assurément, qu'y a-t-il de plus essentiel que la vie humaine ?
La formation aux premiers secours et à la sécurité civile incomberait à l'école ? Les instructions ont été prises de longue date, mais l'Éducation nationale ne fait rien ou presque, faute d'enseignants pour s'en charger. A ce compte, on risque d'attendre bien longtemps pour que la situation change...
M. Patrice Gélard. - Très longtemps !
M. Jean-René Lecerf. - Peut-être le texte va-t-il trop loin, en prévoyant que la formation comporte la « ventilation », le cas échéant, des personnes accidentées - mais il faut alors en débattre et, en tout état de cause, le Parlement doit se prononcer : nous ferons oeuvre utile au service de la sécurité de nos concitoyens.
M. Félix Desplan. - Ce texte relève du bon sens, mais il faut prendre les plus grandes précautions en matière de premiers secours, car les accidents ne se ressemblent pas et dans certains cas, il ne faut surtout pas manipuler les blessés. C'est pourquoi je crois nécessaire de limiter strictement le champ d'intervention de la formation aux premiers secours : alerter, baliser, ventiler, pourquoi pas, mais l'expression « sauvegarder la vie du blessé » ne va pas sans poser de problème. Ce texte devra donc être précisé.
Mme Virginie Klès. - Jean-René Lecerf et René Vandierendonck l'ont dit, la formation à la sécurité civile dépasse largement la question du permis de conduire. Les lycées sont censés former les jeunes, ils ne le font pas ; des initiatives existent, elles sont toutes intéressantes - je pense par exemple à ce que fait le SDIS de mon département. Je crois que nous devons développer la culture de la sécurité civile dans tous les domaines : nous économiserons des vies humaines, mais également des ressources financières - dans bien des cas, l'intervention des pompiers, qui a un coût, pourrait être évitée si nos concitoyens étaient mieux formés à quelques gestes simples de premier secours.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je voterai ce texte tel qu'amendé par notre rapporteur. Je connais le sujet pour avoir déposé moi aussi une proposition de loi il y a quelques années, après un drame qui était survenu dans mon département : un jeune cycliste renversé par un bus était mort après que le chauffeur du bus avait déplacé son véhicule pour dégager l'accidenté - et la justice délibère encore aujourd'hui pour savoir la cause précise du décès. On s'est aperçu après-coup que le chauffeur n'avait reçu aucune formation aux premiers secours, ce qui heurte le bon sens. On avait opposé à ma proposition de loi son caractère réglementaire. J'ai posé par la suite plusieurs questions écrites et orales - où l'on m'a fait cette réponse absurde que la formation des chauffeurs, qui relève de l'échelon européen, comptait déjà seize modules indispensables et qu'on ne pourrait en ajouter un sur le secourisme sans en enlever un autre... comme si les premiers secours n'étaient pas une priorité en cas d'accident ! Je mesure donc bien le décalage qu'il y a entre les drames, l'urgence devant l'absurde qui coûte des vies humaines, et la lourdeur, la réticence de l'administration à changer certaines règles. C'est bien pourquoi nous devons débattre en séance publique sur ce texte : il est nécessaire et urgent d'avancer!
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Des questions orales ne suffiront effectivement pas, puisque l'obligation posée par la loi du 12 juin 2003 est restée sans suite...
La partie législative du code de la route ne concerne que les sanctions, notre dispositif ne le déséquilibrera donc pas. Cette disposition présente en outre l'avantage d'inclure l'obligation de formation pour tous les professionnels de la route, puisqu'ils doivent passer au préalable le permis B.
Les établissements scolaires doivent effectivement, depuis 2004, dispenser une formation aux premiers secours mais ils ne le font pas suffisamment, faute de formateurs pour les enseignants et faute de disponibilité des enseignants : 20% seulement des collégiens recevraient une formation. Le temps périscolaire est-il propice à une telle formation ? N'oublions pas qu'il concerne essentiellement l'école primaire : c'est un peu loin du permis de conduire - à Paris par exemple, on le passe à 28 ans en moyenne...
Il est certain que les gestes mal effectués peuvent parfois handicaper davantage : c'est pourquoi, plutôt que de parler des « cinq gestes qui sauvent », je crois préférable de se focaliser sur l'alerte - nature de l'accident, qui prévenir ? - et sur la sécurisation de la victime. En tout état de cause, notre objectif est bien de sauver des vies humaines.
L'amendement unique est adopté.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme TROENDLÉ, rapporteur |
1 |
Réécriture de l'article |
Adopté |
Réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine enfin le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 13 (2013-2014), présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous examinons le rapport de M. Pierre-Yves Collombat sur la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), créée en 2004, a été révisée à plusieurs reprises. Je dois avouer qu'à l'occasion de ce texte, j'ai eu quelques états d'âme, tant les griefs que je tenais souvent des principes, de la théorie, ont été mis à mal par ce que m'en ont dit les praticiens, qui se sont avérés bien plus attachés à cette procédure - même lorsqu'ils l'avaient critiquée en 2004 - que je ne me l'étais figuré.
La CRPC a donc été fortement critiquée par des magistrats, des avocats et des parlementaires - dont j'étais - parce qu'elle heurtait frontalement notre conception du procès équitable. De fait, elle apparaissait d'emblée comme une importation de la common law anglo-saxonne : la négociation sur la culpabilité et sur la peine s'opposait au primat que nous accordons à la présomption d'innocence et à la sanction comme fonction régalienne. Aux États-Unis, le juge, même au pénal, est une sorte d'arbitre tout au long du procès, lequel donne lieu à un marchandage y compris de la part du ministère public ; la fonction du juge, c'est d'abord de constater l'accord ou le désaccord entre les parties et le ministère public - qui doivent s'entendre sur la peine, laquelle est calculée selon une classification des plus strictes...
M. Jean-Jacques Hyest. - Sans aucune individualisation.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Parallèlement, les procès débouchent sur des peines très lourdes, ce qui constitue une forte incitation au plaider-coupable. Dès lors, 95 % des procès pénaux suivent cette procédure, ce qui évite l'aléa des jurys populaires.
Ce système auquel emprunte la CRPC était donc apparu très différent, sinon contraire aux principes de notre procès pénal. Dès lors, la proposition de loi que j'ai l'honneur de rapporter a précisément pour objet de restreindre de manière très importante l'utilisation de la CRPC.
Cependant, grâce aux auditions, j'ai découvert que les praticiens du droit sont favorables à cette procédure, y compris certains de ceux qui étaient vent debout contre elle à ses débuts. Pourquoi ? La principale raison me semble d'ordre pratique : la CRPC a été cantonnée à un champ d'application bien circonscrit, celui de délits mineurs, simples à qualifier et où les faits désignent les auteurs, un contentieux de masse sans problème de culpabilité - l'exemple typique étant l'alcool au volant. Sur ce champ bien déterminé, les caractéristiques de la CRPC apparaissent conformes à notre conception du procès équitable.
J'en ai pris acte, et me suis alors trouvé face à un dilemme : ou bien j'acceptais la proposition de loi telle quelle, mais elle impose des conditions si drastiques - en particulier l'obligation pour le procureur d'être présent lors de l'homologation - que la CRPC disparaît de nos tribunaux. Faute d'un dispositif de substitution, c'est alors tout un pan de ce contentieux de masse qu'il faudrait reprendre en procédure classique. Ou bien je chercherais à améliorer ce texte et, à travers lui, la CRPC en entendant ce que m'en avaient dit les praticiens : c'est ce que j'ai choisi de faire, avec l'accord de M. Mézard.
Premier aménagement à la CRPC, je vous proposerai que le juge, lors de l'homologation de la procédure, puisse diminuer la peine d'un tiers : cette souplesse rétablira sa marge d'appréciation, donc renforcera l'intérêt qu'il pourra y trouver, sans altérer l'équilibre de la procédure puisque le juge ne pourra pas proposer d'augmenter la peine et puisque, s'il estime qu'elle est farfelue, il pourra toujours, comme aujourd'hui, refuser d'homologuer.
Second aménagement, pour garantir le consentement libre et éclairé du prévenu, je vous proposerai de supprimer toute trace de « pression » qui peut exister sur lui dans la procédure actuelle pour qu'il accepte la CRPC. Le prévenu reçoit aujourd'hui deux convocations en même temps : l'une pour rencontrer le procureur en vue d'une CRPC, l'autre pour passer devant le tribunal en audience correctionnelle ordinaire. Je vous proposerai en conséquence que la convocation devienne caduque si le prévenu n'accepte pas les termes de la CRPC ou si le juge refuse l'homologation mais pas si le prévenu ne s'est pas rendu à l'entretien avec le procureur de la République. Par ailleurs, je vous proposerai de supprimer la possibilité de mettre en oeuvre une CRPC à la suite d'un défèrement, cette procédure étant insatisfaisante du fait que les prévenus n'ont guère le temps d'y organiser leur défense - ce qui explique que bien des tribunaux y ont déjà renoncé.
Enfin, pour mieux prendre en compte la victime, je vous proposerai qu'elle puisse faire parvenir ses observations au procureur dans la première phase de la procédure, c'est-à-dire avant que celui-ci ne propose une peine au prévenu. Il me semble effectivement que la victime peut porter à la connaissance du procureur certains éléments d'appréciation, au-delà de ceux de l'enquête de police.
Voilà pour les principales modifications que je vous proposerai sur la CRPC. Je me suis éloigné du texte initial, tout comme de mon idée première de la CRPC : c'est l'un des charmes de la fonction de rapporteur !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci d'avoir fait ainsi preuve de ductilité et de souplesse - nous ne doutions pas que vous en possédiez !
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce texte m'a d'abord rajeuni, car j'y ai trouvé les mêmes arguments que ceux utilisés en 2004 contre la CRPC... c'est-à-dire avant même que le Conseil constitutionnel ne valide cette nouvelle procédure, qui est donc conforme à nos libertés publiques. Je me suis également étonné qu'avant de vouloir supprimer une procédure, on ne l'évalue pas ; notre rapporteur l'a fait, même rapidement, et il démontre l'utilité de l'exercice : les praticiens, même ceux qui étaient contre, considèrent la CRPC comme utile, en particulier pour évacuer le contentieux de masse où la culpabilité souffre d'autant moins de contestation qu'elle est d'emblée reconnue par le prévenu - je crois du reste que la reconnaissance de culpabilité et la présomption d'innocence ne représentent pas des notions contradictoires.
J'examinerai de plus près vos amendements, nous devons être très prudents sur ces matières. La prise en compte des victimes est une bonne chose, par exemple, mais gardons-nous de trop compliquer la procédure, car les complexités que nous introduisons peuvent devenir des sources de nullités - et d'enrichissements pour certains - au détriment de la justice.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La CRPC représente 13% du contentieux au pénal et porte uniquement sur des affaires simples, c'est bien pourquoi elle a trouvé sa place...
M. Jean-Jacques Hyest. - Même imparfaite, elle reste préférable à la sanction administrative...
Mme Virginie Klès. - Je salue la sagesse de mes collègues Mézard et Collombat, qui nous proposent une évolution souhaitable de la CRPC : nous voterons cette proposition de loi.
M. Thani Mohamed Soilihi. - J'étais au départ méfiant contre ce « plaider coupable » à la française qui tordait nos principes du procès équitable, mais j'ai constaté, comme notre rapporteur, que cette procédure s'est avérée utile à l'usage. Je voterai ce texte, en félicitant notre rapporteur pour ses apports décisifs.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je le voterai également. Je trouve particulièrement bienvenu de renforcer les pouvoirs du juge, nous allons en reparler dans un autre cadre, plus large, mais aussi de faire une plus grande place aux victimes, en donnant ainsi une suite pratique et très rapide au travail de nos collègues Christophe Béchu et Philippe Kaltenbach sur ce sujet.
Nous passons à l'examen des articles.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cet article revient sur la réforme de 2011 qui a étendu la CRPC à tous les délits. Il en exclut également les cas de récidive légale. Cela empêcherait quasiment tout recours à la CRPC. Aussi, par l'amendement n° 3, je vous propose de supprimer cet article.
L'amendement n° 3 est adopté, l'article 1er est supprimé.
Article additionnel après l'article 1er
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Avec l'amendement n° 6, je vous propose que la CRPC ne puisse pas être mise en oeuvre à la suite d'un défèrement, car cette procédure de « CRPC défèrement » exerce une sorte de pression sur le prévenu - à tel point que bien des tribunaux y ont renoncé.
L'amendement n° 6 est adopté, il devient article additionnel
Article 2
L'amendement rédactionnel n° 4 est adopté.
L'article 2, ainsi modifié, est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Avec l'amendement n° 5, je vous propose que le juge, lors de l'homologation, puisse diminuer du tiers le quantum de la peine : cet aménagement redonne de l'intérêt au travail du juge, sans remettre en cause l'accord passé par le procureur, et il n'enlève rien à la possibilité pour le juge de ne pas homologuer, s'il estime l'accord insatisfaisant.
M.
Jean-Jacques Hyest. - Je reste sceptique. Que se passera-t-il
dans les cas,
- qui ne sont pas d'école -, où le
juge ne s'entend pas avec le procureur ? Le juge pourrait abaisser la
peine, mais pas la renforcer : que devra-t-il faire s'il trouve que cette
peine n'est pas assez sévère ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il n'homologuera pas. La possibilité de diminuer la peine enrichira la phase d'homologation : le juge pourra faire autre chose que simplement enregistrer l'accord, ou le refuser en bloc. La CRPC d'ailleurs fonctionne déjà grâce à une entente tacite entre le parquet et le siège.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je suis également réservé, car les mésententes entre le siège et le parquet risquent de trouver là une brèche pour compliquer la procédure.
Mme Catherine Tasca. - Je le suis également, car cette diminution de peine par le juge remet en cause l'esprit même de la CRPC, tel qu'il peut être vécu par le prévenu. Dans cette procédure, le procureur vérifie la culpabilité et il s'accorde sur une peine avec le prévenu : en principe, le condamné adhère à cette sanction ; dès lors, pourquoi le juge pourrait-il revenir sur cet accord ? Cela me semble affaiblir la portée de la décision et le contrat que la CRPC constitue entre le condamné et la justice. Cette souplesse valoriserait la fonction du juge ? Je crois que la possibilité de refuser l'homologation valorise déjà bien son rôle.
M. Jean-Pierre Vial. - Qu'en disent les praticiens eux-mêmes ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La CRPC ne constitue pas un contrat.
M. Jean-Jacques Hyest. - Nous ne sommes pas aux États-Unis...
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Exactement. Je crois que cette souplesse donne plus de place au juge, sans remettre en cause le travail du procureur ; en cas de conflit entre le siège et le parquet, il me semble que cette souplesse éloigne le refus d'homologation : c'est parce qu'il aura une marge d'appréciation que le juge choisira plus facilement d'homologuer, plutôt que refuser en bloc. Quant aux praticiens, je crois savoir qu'ils en sont plutôt d'accord : l'idée, en tout cas, ne révolte pas la Chancellerie...
M. René Garrec. - Je suis gêné par ce pouvoir d'appréciation du juge qui ne pourrait que diminuer la peine. Le juge, avec le refus d'homologation, peut déjà faire recommencer le débat, mais là, vous lui donnez un nouveau pouvoir d'appréciation, qui altère l'esprit de la CRPC et qui me paraît compliquer les relations du procureur de la République avec le prévenu.
M. Jean-Jacques Hyest. - L'article 3 de ce texte est par ailleurs très mal rédigé... C'est une raison pour voter votre amendement, même s'il ne me satisfait pas... Je vais m'abstenir.
Mme Hélène Lipietz. - Sait-on combien de CRPC ne sont pas homologuées et dans quelle proportion les refus ouvrent sur des peines plus sévères ou moins sévères que celles prévues initialement ? Il me semble qu'en décidant d'homologuer ou pas, le juge participe de la politique pénale : ce rôle me paraît satisfaisant - et plus clair, en tout cas, que ce nouveau pouvoir d'appréciation...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si nous n'adoptons pas cet amendement, l'article 3 sera inchangé. Je vous propose, en conséquence, de voter cet amendement par parties, en séparant la dernière phrase.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - En réponse à Mme Lipietz, je voudrais préciser que l'homologation est refusée dans environ 15 % des cas.
Vous m'avez interrogé sur le quantum des peines. L'expérience montre qu'elles sont moins sévères en CRPC qu'à l'occasion d'un procès.
L'amendement que je vous propose vise à supprimer ce qui est encore parfois contesté dans la CRPC en rendant au juge une certaine marge de manoeuvre. Je m'en remets toutefois à la sagesse de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Mes chers collègues, je vous propose que nous procédions à un vote par parties sur l'amendement en nous prononçant d'abord sur l'ensemble du dispositif, à l'exception de la dernière phrase, puis sur celle-ci.
S'étant prononcée en faveur de la première partie de l'amendement mais contre sa dernière phrase, la commission adopte l'amendement n° 5 ainsi modifié.
Article additionnel après l'article 3
M. Philippe Kaltenbach. - L'amendement n° 1 que je vous propose, comme celui, identique, de Christophe Béchu, vise à traduire, une semaine après la présentation du rapport que nous avons conduit ensemble, l'une des trente-et-une propositions que nous avions formulées. Il s'agit de mieux garantir la présence de la victime au cours d'une CRPC.
En effet, les procédures rapides de jugement présentent un inconvénient : elles écartent la victime du procès pénal. Celle-ci, lors d'une CRPC, est seulement présente lors du jugement d'homologation, alors que l'essentiel se sera déroulé avant. Ceux que nous avons entendus lors de nos auditions ont estimé que ce n'était pas suffisant.
Je vous propose par conséquent de reconnaître à la victime le droit d'être entendue à sa demande par le procureur de la République. Ce dernier resterait toutefois libre de procéder à cette audition en présence ou non de l'auteur des faits. En outre, la victime ne participerait bien entendu pas à la négociation entre le parquet et le prévenu.
Il me semble que cet amendement constituerait une amélioration notable de la situation des victimes. Il leur est plus favorable que celui du rapporteur qui se limite à leur reconnaître le droit de formuler des observations auprès du procureur, ce qu'elles peuvent d'ores et déjà faire.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Mon objectif n'est pas de répondre aux demandes des associations de victimes, mais que la CRPC soit équitable pour tout le monde et qu'elle rende la justice.
Toutefois, force est de constater qu'un problème existe. Il faut que la victime soit entendue dès le début de la procédure, ne serait-ce que pour permettre au procureur d'avoir une idée précise des faits reprochés et du type de peines appropriées. Par exemple, en cas d'appels téléphoniques malveillants, la victime pourrait dire au procureur si ces appels continuent ou non depuis que l'auteur a été identifié.
Les procureurs travaillent souvent sur la seule base de procès-verbaux de police qui ne mentionnent pas la victime, cette dernière ne pouvant s'exprimer en tant que telle. La possibilité pour la victime de s'exprimer permettrait ainsi une meilleure appréciation des faits.
Dans la formulation de l'amendement de nos collègues, on passe à une logique caractérisée par l'omniprésence de la victime alors que le juge n'est pas présent pendant la première phase. Au tribunal, c'est autre chose : le juge peut jouer son rôle de médiation. Bien que les objectifs soient identiques, je préfèrerais que la commission adopte mon amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pour résumer, nous sommes face à une alternative :
- d'une part, les amendements de nos collègues M. Philippe Kaltenbach et M. Christophe Béchu permettent à la victime d'être entendue à sa demande par le procureur avant que ce dernier ne prononce la peine encourue ;
- d'autre part, l'amendement du rapporteur autoriserait la victime à adresser ses observations au procureur.
Les amendements vont dans le même sens mais les modalités sont différentes. Le rapporteur craint que la proposition de nos collègues entraîne de fait un pseudo-procès, ce que ceux-ci réfutent. Si les amendements de MM. Kaltenbach et Béchu sont adoptés, celui de notre rapporteur tombe.
M. Patrice Gélard. - Disposant de la délégation de vote de M. Béchu, je voterai en son nom en faveur de son amendement. Pour ma part, je voterai pour celui du rapporteur.
M. Yves Détraigne. - Dans le cadre de la procédure de CRPC actuelle, la victime peut-elle écrire au procureur ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Oui, mais elle ne le fait pas toujours.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je suis favorable à l'amendement du rapporteur. En amont, il y a une procédure d'enquête conduite par le parquet au cours de laquelle le procureur peut s'entretenir avec la victime. Il ne faut pas aboutir à une dénaturation du dispositif de la CRPC.
Mme Hélène Lipietz. - Je suis également favorable à l'amendement de notre rapporteur. Les victimes peuvent déjà intervenir, au cours de la procédure pénale, par la remise d'observations, comme, par exemple, lors de la modification de l'exécution de la peine.
En cas de classement sans suite, les victimes ne sont pas entendues alors qu'elles peuvent mal vivre cette situation. Il est important de permettre aux victimes de s'exprimer tout en ne leur donnant pas une place ne correspondant pas à notre tradition pénale. L'amendement de notre rapporteur me paraît plus conforme à celle-ci.
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce qui me gêne dans les amendements de MM. Kaltenbach et Béchu, c'est l'impression que la victime puisse se prononcer sur le quantum de la peine. L'objet de la CRPC est une reconnaissance de la culpabilité. Je préfère la formule du rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Dans les amendements de nos collègues, la victime est entendue mais le procureur reste maître du choix de la peine.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
L'amendement n° 6 est adopté. En conséquence, l'amendement n° 2 devient sans objet.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement n° 7 propose de limiter la validité de la convocation au tribunal correctionnel aux seuls cas dans lesquels la personne, convoquée devant le procureur pour recevoir une proposition de peine, ne s'est pas présentée.
Dans ce cas en effet, la double convocation évite de devoir rechercher à nouveau la personne pour l'informer qu'elle fera l'objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, selon les procédures traditionnelles. Elle évite également un jugement par défaut dans le cas où la personne ne peut être contactée.
Par ailleurs, conformément à la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, il faut prévoir un délai suffisant -dix jours minimum- entre la date de comparution devant le procureur de la république et celle de l'éventuelle audience devant le tribunal correctionnel afin de permettre à l'intéressé de préparer sa défense.
L'amendement n° 7 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :