Mardi 12 novembre 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

Loi de finances pour 2014 - Mission « justice » - Audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des sceaux

Au cours d'une première réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des sceaux, sur le projet de loi de finances pour 2014 - mission « justice ».

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Madame la garde des sceaux, je vous souhaite, au nom de tous mes collègues, plus particulièrement encore cette année, la bienvenue. Les propos proférés à votre encontre sont une honte que nous sommes unanimes à dénoncer et que nous ne saurions tolérer. Je me fais le porte-parole de chacun ici en vous exprimant toute notre solidarité et notre amitié.

M. René Garrec. - Le terme « honteux » est même faible. Ces attitudes sont ignominieuses.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je salue, par ailleurs, la présence parmi nous de M. Edmond Hervé, en sa qualité de rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « justice ».

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre accueil chaleureux ainsi que chacun d'entre vous pour vos témoignages de solidarité. Ces attaques récentes blessent les valeurs que nous partageons.

Je me bornerai, dans mon exposé, à présenter les priorités de l'action du Gouvernement pour la justice et à souligner la cohérence qui les anime.

Le budget triennal de la justice articule chacune de ces priorités.

L'année 2013 a été destinée à la correction des injustices les plus flagrantes avec une attention toute particulière pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) fortement affaiblie par les efforts consentis entre 2008 et 2012. Elle a en effet perdu, au cours de cette période, 632 emplois, soit 8 % de son effectif, vu les crédits attribués au secteur associatif habilité baisser de 22 millions d'euros ainsi que le nombre de directions départementales passer de 100 à 53. Le budget pour 2013 a par conséquent prévu la création de 205 emplois en faveur de la PJJ. Le Gouvernement a par ailleurs mandaté à ma demande M. Jean-Pierre Michel pour procéder à un état des lieux de la PJJ.

Le budget 2014 sera, lui, plus particulièrement consacré aux services pénitentiaires. Comme prévu dans le cadre de la programmation triennale, il connaîtra une hausse de 1,7 %, alors même que le budget général de l'État diminuera en valeur. 590 emplois seront créés, dont 432 pour l'administration pénitentiaire.

Le ministère de la justice entend être cohérent et constant dans ses choix. Nous prévoyons donc des moyens adaptés aux réformes que nous conduisons.

Ainsi, nous prévoyons de créer 303 emplois de conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) pour répondre aux besoins créés par le projet de loi visant à prévenir la récidive et à renforcer l'individualisation des peines.

De la même manière, le projet de loi relatif au secret des sources et la loi aménageant le régime de l'hospitalisation d'office nécessitent la création de postes supplémentaires de juges des libertés et de la détention (JLD). La mise en place de la collégialité de l'instruction, la réforme de la justice commerciale et la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale appellent, elles aussi, des moyens supplémentaires inscrits dans ce projet de budget.

Notre action en matière pénitentiaire s'organise selon trois axes, le premier est l'extension du parc actuel de 57 000 à 63 500 places. 1 097 places en établissements pénitentiaires seront livrées cette année ainsi que 280 en semi-liberté. Le second axe est celui de la rénovation des établissements existants pour lesquels nous avons dégagé, comme à Fleury-Mérogis, aux Baumettes et à La Santé, les moyens nécessaires. Le dernier axe est celui de la sécurisation des prisons, dans le cadre d'une enveloppe globale de 33 millions d'euros : déploiement de deux nouvelles équipes cynotechniques, installation de filets de sécurité, de portiques à masse métallique et de portiques à ondes millimétriques. Compte tenu du coût de ces derniers (160 000 euros pièce), ceux-ci seront toutefois réservés aux maisons centrales et aux autres établissements sensibles.

Je propose que nous examinions les questions liées aux frais de justice et à l'aide juridique dans le cadre des échanges qui suivront cet exposé. J'insiste toutefois sur deux points s'agissant du budget de la justice judiciaire.

Tout d'abord, les crédits consacrés aux investissements immobiliers augmentent de 41 millions d'euros.

Par ailleurs, l'effort budgétaire en faveur de la politique d'aide aux victimes est poursuivi. Après trois années de baisse, il avait en effet progressé de 25,8 % à 12,8 millions d'euros en 2013. L'augmentation serait de 7 % l'année prochaine. Elle se traduirait notamment par la création de quinze nouveaux bureaux d'aide aux victimes (BAV) afin que, comme je m'y étais engagée, l'ensemble des tribunaux de grande instance en soient dotés. J'ai par ailleurs souhaité réactiver le conseil national d'aide aux victimes, en tenant compte de plusieurs de ses préconisations comme en matière d'ordonnances de protection, et proposer d'en modifier la composition. Enfin, plusieurs expérimentations relatives à l'aide aux victimes seront lancées dans une dizaine de TGI dans la perspective de la transposition de la directive européenne consacrée à ce sujet.

Le présent budget maintient l'effort consenti, les années précédentes, en matière indemnitaire. 7 millions d'euros seront reconduits pour les personnels pénitentiaires et 2 millions d'euros de primes seront versés dès cette année aux personnels des services judiciaires de catégorie C. Les mesures en faveur des greffiers devraient intervenir en 2015.

Enfin, l'année 2014 verra l'achèvement de la réflexion que j'ai engagée à travers quatre groupes de travail sur l'office du juge, le juge et la juridiction du XXIème siècle et la modernisation du ministère public. La restitution de leurs travaux aura lieu à la mi-janvier et associera les représentants de l'ensemble des juridictions.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je propose que nous débattions d'abord du programme « justice judiciaire ».

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis. - Merci, madame le garde des sceaux, pour votre exposé structuré et argumenté.

Nous pouvons nous réjouir que le budget de la justice soit préservé, dans un contexte budgétaire dont chacun connaît les contraintes, et que lui soit assurée une progression, même si celle-ci est certainement en deçà de ce que vous souhaitiez.

Je souhaiterais vous interroger sur trois problèmes de fond que votre budget ne peut, à lui seul, résoudre.

Tout d'abord, s'agissant de l'évolution des effectifs, votre ministère est actuellement confronté à des départs massifs à la retraite. Comment envisagez-vous de faire face à ce mouvement de fond ? Vous avez obtenu la création d'un nombre d'emplois non négligeable ce qui constitue un effort notable. Cela pourrait-il conduire à revoir le fonctionnement actuel de l'École nationale de la magistrature ?

Ensuite, ma deuxième question porte sur les frais de justice : comment se présente la fin de l'exercice budgétaire pour 2013 ? Quelle est la prévision possible pour les prochaines années, compte tenu des charges nouvelles qui ne sont pas maîtrisables par le juge comme, par exemple, la directive sur l'obligation de traduction en matière pénale ?

Enfin, quel financement envisagez-vous pour l'aide juridictionnelle ? Vous avez tenu votre promesse en supprimant la taxe de 35 euros, ce que nous ne pouvons qu'approuver. Mais cette suppression impose d'inventer un nouveau modèle de financement de l'aide juridictionnelle. Après l'avoir envisagé un temps, vous avez dû écarter la démodulation des barèmes d'indemnisation des avocats. Quel est aujourd'hui l'état de votre réflexion sur ce point ?

J'aurais également trois autres questions plus techniques. Où en est la révision des mesures de tutelles qui était une de nos préoccupations dans le cadre de l'exercice budgétaire précédent ? J'ai senti un vent d'optimisme sur cette question dans les juridictions que j'ai visitées. Vous avez réussi à opérer un redressement remarquable.

Ensuite, pouvez-vous nous parler de la réforme des budgets opérationnels de programme (BOP) qui était également une de nos préoccupations l'an dernier ?

Enfin, s'agissant de la politique indemnitaire, l'effort en faveur des catégories C était absolument indispensable. L'an dernier, vous avez également mené une politique en faveur des magistrats. Reste une catégorie de personnel qui demeure toujours dans l'attente : celle des greffes, pourtant indispensable au bon fonctionnement des juridictions. J'ai cru comprendre que rien ne serait possible en 2014. Pouvez-vous nous dire ce qu'il se passera au-delà ?

M. Edmond Hervé, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je vous remercie, monsieur le Président, de m'avoir invité. Je souhaite également remercier les services de la Chancellerie pour la densité des réponses à nos nombreuses questions.

Le budget de 2013 fut un budget de redressement et de correction. Celui de 2014 est un budget de transition, tout au moins nous l'espérons.

Je n'ai pas de questions précises à poser au garde des sceaux mais seulement des observations à formuler.

Tout d'abord, je formulerai deux voeux. Je souhaiterai, d'une part, bien que cela ne concerne pas uniquement votre ministère, qu'il y ait une certaine stabilité des responsables de l'administration centrale dont la durée moyenne, en poste, varie entre quinze et vingt-quatre mois. D'autre part, il est important, dans le cadre d'un prochain budget, d'adresser des signes forts en direction des greffiers. Dans l'immédiat, dans certaines villes, des avancées en leur faveur sont possibles, par l'intermédiaire d'une politique du logement. Certains ministères, dont le vôtre, disposent de terrains vacants. Je reste convaincu que l'utilisation de ces terrains faciliterait la mise en place de projets d'investissements pour le logement des greffiers.

Sur la question des frais de justice, la commission des finances, très attentive à cette question, a commandé deux enquêtes à la Cour des comptes, en 2005 et en 2013. À titre personnel, je considère que la croissance de certains frais de justice est inéluctable pour des questions d'égalité et de vérité. Par les décisions qu'il prend, le législateur est le premier responsable de l'augmentation des frais de justice. Je constate que vous conduisez un effort de plus en plus important sur leur gestion via notamment la tarification. Certains tarifs ont substantiellement diminué. L'appel à la concurrence est tout à fait positif, tout comme le recours à des rémunérations forfaitaires, de préférence à des rémunérations à l'acte, notamment pour des actes médicaux.

Deux mots sur l'administration pénitentiaire.

Vous avez renoué avec les principes de justice et de vérité. Il faut se garder des effets d'annonce dans ce domaine. Je pense aux 70 000 places promises à l'horizon 2018, transformées ensuite en 80 000 places pour 2017. Vous avez retenu un objectif raisonnable de 63 500 places pour la période 2013-2015 avec des constructions nouvelles, la fermeture d'établissements vétustes et des réhabilitations d'ampleur.

En outre, la lutte contre la récidive nécessite une nouvelle approche pénale. Je me félicite que celle-ci repose sur les conclusions des rapports de notre collègue député Dominique Raimbourg et de notre collègue Jean-René Lecerf sur l'administration pénitentiaire de 2012. Eu égard à la place qu'a tenue hier la question carcérale, il me semble important de parler du parcours carcéral qui est un temps hétérogène et difficile à manier, et qui regroupe des successions d'étapes qui pourraient être mises à profit pour le détenu. Il ne faut pas oublier la place de l'enseignement dans la prison. 25 % de la population pénale et 98 % des mineurs sont intéressés par l'école en prison. Il faut donc remercier et encourager le personnel enseignant qui exerce ses missions dans des conditions particulièrement difficiles.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, 205 postes équivalents temps plein ont été créés en 2013. J'attends avec impatience le rapport de notre collègue Jean-Pierre Michel sur cette question. Quand nous créons des postes, il est important de connaître leur affectation. Cette année, les nouveaux postes seront affectés à des institutions nouvellement créées. Je dois avouer que je n'avais pas pris la mesure des dégâts causés par la révision générale des politiques publiques. Certaines régions en ont beaucoup souffert mais ne vont pas pour autant bénéficier de la création de ces nouveaux postes. Sur les 632 emplois supprimés dans le cadre de la RGPP au niveau national, la région du grand ouest en a perdu 169 entre 2010 et 2013, soit un quart des suppressions totales.

Élément positif qu'il convient de souligner : vous avez, par une gestion rigoureuse et attentive, réduit le délai de paiement en faveur des familles d'accueil et du secteur associatif habilité. Les évolutions financières qui ont touché ce secteur risquent de ne pas leur permettre de renouveler leurs moyens de travail, ce qui pourrait d'être préjudiciable à l'exercice de leurs missions.

M. Patrice Gélard. - Comme vous, je regrette la faiblesse des moyens qui vous sont accordés. Cela fait dix-huit ans que je siège dans cette commission et que nous réclamons que le budget de la justice soit considéré comme un budget essentiel, ce qui n'est malheureusement pas le cas, quel que soit le Gouvernement.

Je souhaiterai vous interroger sur quatre sujets.

Tout d'abord, quelle est la conséquence de la suppression des avoués ?

Ensuite, sur la question de la formation, et notamment l'absence de l'échelonnement des promotions, on ne sait pas combien de postes seront ouverts au concours de magistrats, année après année, ce qui est à l'origine « d'effets d'accordéons » préjudiciables. Ainsi, certains étudiants de grande valeur peuvent être amenés à renoncer à ce concours. Une programmation pourrait être mise en place pour y remédier.

Par ailleurs, je constate la lenteur de la justice administrative, notamment pour les permis de construire ou le contentieux de l'urbanisme qui dure entre deux et six ans, ce qui est préjudiciable pour les municipalités et les citoyens.

Enfin, est-ce qu'une seule École nationale de la magistrature est suffisante ou ne faudrait-il pas en créer une deuxième afin d'éviter tout phénomène de caste ? Par ailleurs, s'il y avait deux écoles, ne pourrait-on pas envisager la mise en place de formation commune entre les magistrats et les avocats, comme c'est le cas en Allemagne ou au Japon ?

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis. - Lors de mes travaux en qualité de rapporteur pour avis du programme n°137 : « égalité entre les femmes et les hommes », mon attention a été appelée à de nombreuses reprises sur la question de la mauvaise appréhension et compréhension, par de nombreux magistrats, de la question des violences faites aux femmes et en particulier des violences conjugales. La mise en oeuvre de l'ordonnance de protection est très inégale selon les juridictions et paraît reposer essentiellement sur la sensibilisation de certains procureurs ou de certains chefs de juridiction à ces problématiques. La question de l'insuffisante formation des magistrats, d'une part, et de l'insuffisante circulation de l'information au sein de la juridiction (entre les juges aux affaires familiales, les parquets, le cas échéant les juges des enfants compétents pour prendre les mesures de protection nécessaires) est régulièrement posée. Que pourrait faire le ministère de la justice pour encourager la mise en oeuvre d'une véritable politique pénale nationale, à la hauteur des enjeux posés, en matière de violences conjugales ?

M. Philippe Kaltenbach. - Nous avons récemment présenté, Christophe Béchu et moi-même, un rapport d'information sur l'indemnisation des victimes, en formulant trente-et-une propositions que nous aurons le plaisir de vous présenter bientôt.

Je voudrais tout d'abord vous féliciter pour l'effort que vous menez depuis bientôt un an et demi pour renforcer les crédits en faveur de l'aide aux victimes et permettre le fonctionnement des bureaux d'aide aux victimes. Je souhaite attirer votre attention sur la nécessité de sanctuariser les moyens affectés à ceux-ci, qui représentent à l'heure actuelle 20 000 euros par bureau et par an.

Reprenant une demande formulée par plusieurs intervenants, je souhaiterais également insister sur l'intérêt de la présence d'un greffier dans ces bureaux pour renseigner les victimes, ne serait-ce que par la consultation de Cassiopée. Ce n'est cependant pas toujours le cas, faute d'effectifs suffisants.

Je ne peux enfin que constater le manque de personnel au sein des bureaux d'exécution des peines.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - Je résumerai la situation en disant qu'il y a des moyens limités et des besoins considérables. Dans ce cas, madame la ministre, ne faut-il pas établir des priorités ? Je pense à un exemple dans mon département : la reconstruction de la prison de Loos qui apparaît indispensable semble plus urgente que celle du palais de justice de Lille pour lequel aucune emprise foncière n'a été trouvée.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Je voudrais savoir où en est la réflexion de votre ministère, d'une part, sur l'aide juridictionnelle dont le coût ne cesse d'augmenter -nous sommes dans une époque qui aime plaider- et, d'autre part, sur le recours aux partenariats public-privé pour les bâtiments de la justice.

Mme Cécile Cukierman. - Le budget de la justice ne diminue pas, ce dont on ne peut que se réjouir même si les crédits alloués à la justice restent insuffisants. Je salue particulièrement la suppression de la taxe de 35 euros qui fut une demande récurrente lors des derniers exercices budgétaires. Il n'en demeure pas moins, comme certains de mes collègues l'ont souligné, que pourrait se poser un problème de financement des services de la justice. Comment faire pour que la facilitation de l'accès au juge par la fin du droit de timbre ne ferme pas d'un autre côté l'accès à la justice par défaut de financement ?

Mme Hélène Lipietz, rapporteuse pour avis. - En ma qualité de rapporteuse pour avis sur les crédits de l'immigration, je souhaiterais vous interroger sur les salles d'audience délocalisées : celle du Mesnil-Amelot, déjà en fonctionnement et celle de Roissy qui devrait ouvrir d'ici la fin de l'année. Souhaitez-vous pérenniser cette expérimentation voire la généraliser ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je remercie les sénateurs pour les questions difficiles qu'ils me posent.

Pour répondre à Mme Tasca, plus de 1 400 départs à la retraite sont prévus pour l'actuel quinquennat auxquels il faut ajouter les 358 postes vacants qui existent actuellement. Dans le même temps, les sollicitations pour des détachements de magistrats continuent. La consigne que j'ai adressée est claire : ne pénaliser aucun ressort dans la répartition des postes vacants, ou, en d'autres termes, établir « de la justice dans la justice ».

Le taux moyen de vacance est actuellement de 4,52 % et, sauf effort particulier en fonction des circonstances locales ou pour des postes sensibles comme ceux de juges des enfants ou en matière de santé publique, je veille à ce que la situation dans chaque ressort de cour d'appel ne s'éloigne pas de cette moyenne nationale.

Il ne s'agit certes pas de gérer perpétuellement la pénurie ! D'ailleurs, je pense qu'il faut mettre ce niveau de vacance de postes en regard avec les 250 magistrats détachés hors juridiction. En ce sens, une dépêche de la direction des services judiciaires a rappelé que chaque demande de détachement serait examinée de près sans droit automatique à son renouvellement. Il faut ainsi susciter le retour des magistrats.

Pour combler les vacances causées par les départs en retraite, il aurait fallu ouvrir, sous l'ancien quinquennat, chaque année 300 postes au concours de l'ENM. Or, seulement une centaine ou un peu plus étaient proposés. Cette année, près de 300 postes ont été ouverts lors du concours, presque 400 si l'on compte les intégrations directes, mais combien seront pourvus par le jury ? L'an passé, 64 postes ne l'avaient pas été à cause d'un problème qualitatif, le niveau des candidats n'étant pas jugé suffisant.

Je compte donc améliorer la campagne de sensibilisation. À l'ENM, s'est ainsi tenue une réunion regroupant l'ensemble des présidents d'universités et des doyens de facultés de droit pour qu'ils incitent leurs meilleurs étudiants à préparer ce concours. Par ailleurs, il existe des recrutements parallèles par la voie de la commission d'avancement composée des représentants des organisations syndicales et de l'administration, recrutements qui ne dépendent pas que du ministère.

En conclusion, je suis déterminée à relever le défi du recrutement rendu nécessaire par le départ en retraite des magistrats.

Sur la proposition du doyen Gélard de créer deux écoles de formation pour les magistrats et d'y associer la formation des avocats, je voudrais simplement souligner les difficultés actuelles pour le Conseil national des barreaux (CNB) pour imposer un examen national et regrouper les formations

M. Jean-Jacques Hyest. - Les examens ne se déroulent désormais plus au niveau de chaque barreau...

Mme Hélène Lipietz, rapporteuse pour avis. - ... mais au niveau interrégional.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - C'est exact.

Concernant les crédits des services de la justice, je voudrais insister sur le dégel des crédits destinés aux frais de justice et aux dépenses de fonctionnement. Je vous ferai d'ailleurs parvenir les chiffres exacts. Cette année, nous avons obtenu une hausse de 20 % des crédits en matière de frais de justice et une baisse de 7 % pour le fonctionnement au titre de la contribution à l'effort général de la réduction du déficit public.

Je pensais sincèrement que cette compensation rendrait indolore la baisse des crédits de fonctionnement pour les juridictions mais certaines difficultés ont été ressenties et nous ont été relayées. Je prendrai pour exemple les frais postaux qui représentent plus de 55 millions d'euros par an essentiellement à cause de l'obligation faite par le code de procédure civile d'adresser les convocations par lettre recommandée avec accusé de réception. D'ailleurs, 80 % de ces lettres ne sont pas retirées. Dans le cadre d'un futur projet de loi, j'envisage de solliciter du Parlement une habilitation à prendre une ordonnance pour autoriser les convocations par courrier électronique.

M. Pierre-Yves Collombat. - S'ils ne répondent pas aux lettres, que feront-ils à l'égard d'un courrier électronique ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Paradoxalement, on constate qu'il y a davantage de réponse aux lettres simples car elles ne nécessitent pas d'être retirées auprès du bureau de poste en cas d'absence du destinataire. En tout état de cause, pour adresser un courrier électronique, il faudra l'accord du justiciable puisqu'il devra fournir son adresse électronique. Les garanties nécessaires seront prévues pour ne pas fragiliser la validité des procédures.

J'en viens maintenant à la question de l'aide juridictionnelle et du conseil national pour l'aide juridictionnelle (CNAJ). Je ne voudrais pas qu'ici, au Parlement, comme à l'extérieur, on confonde, volontairement ou non, d'une part, la suppression du timbre de 35 euros et, d'autre part, la démodulation des unités de valeur (UV).

La suppression du timbre concerne les justiciables. Elle est la suppression d'une entrave réelle à l'accès à la justice. Une étude a montré que, pour certaines juridictions comme les prud'hommes, on constatait jusqu'à une baisse de 10 % du recours à la justice.

La démodulation consiste en l'harmonisation sur le territoire de la valeur de l'UVqui sert au calcul de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle.

Les deux opérations sont totalement déconnectées l'une de l'autre. Pour compenser la suppression du droit de timbre, j'ai d'abord cherché des ressources hors budget de l'État. Je n'y suis cependant pas parvenue dans le cadre du budget pour 2014. C'est pourquoi nous avons dû avoir recours à des ressources étatiques à hauteur de 60 millions d'euros.

S'agissant de la démodulation, il n'y a pas d'argument économique pour justifier les différences de valeur de l'UV sur le territoire. Nous sommes donc tombés d'accord avec le CNAJ, dans lequel siègent les avocats, pour convenir que la démodulation ne posait pas de problème en soi. Le problème est la valeur à retenir pour l'UV. On constate un écart, l'UV pouvant valoir de 22,50 euros à 25 euros selon les régions. Nous avions retenu une valeur intermédiaires : certains y gagnaient, d'autres y perdaient. L'idéal serait cependant d'harmoniser par le haut, en retenant 28 ou 30 euros, plutôt que 23 euros, d'autant plus que l'UV n'a pas été revalorisée depuis 2007. Cette revendication apparaît donc comme légitime.

De manière générale, se pose la question de la consolidation et de la pérennisation de l'aide juridictionnelle. De nombreux rapports ont traité de la question, en particulier le rapport de 2007 du sénateur du Luart. Une réforme est nécessaire. Plusieurs pistes sont à expertiser avec les professionnels. Il faudra procéder à des choix coûteux en temps, en efforts. Dans le cadre de la préparation du budget pour 2014, cette réflexion n'a pas abouti. Pour le budget 2015, j'ai confié une mission à M. Alain Carre-Pierrat, qui devrait rendre son rapport en deux étapes, en mars et en avril. Cette mission vise à recueillir l'avis d'un tiers afin de sortir du face à face entre les avocats et la chancellerie.

Vous m'interrogez sur la question des tutelles. Je tiens tout d'abord à saluer les efforts des juridictions qui sont parvenues à résorber tout le stock. Lorsque je suis arrivée à la Chancellerie, j'ai été saisie d'une demande de prolongation au-delà de 2013 des délais inscrits dans la loi, mais il est apparu que cela risquait d'introduire une année supplémentaire en stock. C'est pourquoi, les juridictions ont fourni un effort considérable en affectant des magistrats, des greffiers et des vacataires, sans pénaliser d'autres contentieux. Grâce à cette forte mobilisation des personnels, le stock sera de 1 à 2 % à la fin 2013.

Cela étant, il est nécessaire de prendre en compte, dans la réforme à venir, certaines difficultés qui sont apparues. Ainsi sera créée la faculté pour le juge de prononcer la révision de la mesure de tutelle au-delà de cinq ans et jusqu'à dix ans. En outre, il faudra procéder à des aménagements concernant l'élaboration du budget et le contrôle des comptes car le dispositif d'intervention de l'huissier ne donne pas entière satisfaction aujourd'hui.

M. Edmond Hervé, rapporteur spécial de la commission des finances. - Sera-t-il possible à vos services de nous communiquer le bilan des effets de la RGPP pour la protection judiciaire de la jeunesse car les chiffres que vous citez ne semblent pas correspondre à ceux dont je dispose ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Vous indiquiez une suppression de 162 postes pour la PJJ dans le grand ouest. Cela correspond aux chiffres dont je dispose également. Vous indiquiez une gestion modèle dans le grand ouest. Le prix de journée dans les centres éducatifs fermés y est-il plus bas ?

M. Edmond Hervé, rapporteur spécial pour la commission des finances. - Oui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Vous m'interrogiez sur le logement des greffiers. C'est la fondation d'Aguesseau qui gère l'immobilier. Jusqu'à présent, on privilégiait le logement des agents de l'administration pénitentiaire.

Vous évoquiez, madame Tasca, une injustice à réparer concernant l'indemnisation des greffiers. La réforme de leur statut et de leur grille indiciaire n'a pas abouti pour le moment, mais une façon de les aider à attendre est d'augmenter leurs effectifs. Un millier de greffiers sont actuellement en formation ; ils devraient arriver dans les juridictions entre avril et septembre 2014.

M. Kaltenbach évoquait le logiciel Cassiopée. Cela pose la question de l'insertion des bases informatiques dans le travail des juridictions afin de permettre une meilleure disponibilité des greffiers en leur facilitant l'accès aux informations.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je donne maintenant la parole aux rapporteurs pour avis sur les autres programmes de la mission justice, le programme administration pénitentiaire et le programme protection judiciaire de la jeunesse.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - Les travaux de la conférence de consensus ont mis au centre du débat les enjeux des prises en charge en milieu ouvert. Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale propose notamment l'instauration d'une peine de contrainte pénale, présentée comme une réponse pénale alternative à la prison et au sursis avec mise à l'épreuve. À cette fin, le projet de loi de finances annonce la création de 300 postes de conseillers d'insertion et de probation dès 2014.

Pouvez-vous préciser comment ces recrutements vont s'organiser ? Qu'en est-il des emplois administratifs support (le chiffre annoncé par la direction de l'administration pénitentiaire -DAP- de 100 emplois administratifs en soutien n'apparaît pas dans les documents budgétaires) ? De la capacité matérielle des SPIP, dont les crédits de fonctionnement restent inchangés, à accueillir ces personnels supplémentaires ? Comment ces derniers seront-ils formés, d'autant que les crédits consacrés à la formation tendent à diminuer ?

Par ailleurs, le métier de conseiller d'insertion et de probation évolue, les SPIP sont surchargés, et certaines missions de travail social pourtant essentielles à la réinsertion ne sont plus exercées. Comment mieux articuler les actions de l'administration pénitentiaire avec les différents acteurs sociaux - notamment les assistantes sociales de secteur, en particulier pour permettre aux détenus de bénéficier de leurs droits sociaux à la sortie de la détention ?

Dans un contexte de surpopulation carcérale et d'augmentation du nombre d'incidents en détention, je souhaiterais faire part de notre inquiétude à propos des relations fortement dégradées qui paraissent exister entre personnels de surveillance d'un côté et directeurs d'établissements de l'autre. L'autorité et les décisions des directeurs pénitentiaires sont régulièrement remises en cause, et il n'est pas rare, vraisemblablement, que ces derniers fassent même l'objet d'insultes de la part de certains représentants syndicaux. Face à cela, les directeurs pénitentiaires ont l'impression de ne pas être soutenus par la chancellerie.

Quelles mesures le ministère de la justice entend-il prendre pour conforter l'autorité des directeurs d'établissements ? Une solution pourrait-elle consister à déconcentrer au niveau des chefs d'établissements une partie du pouvoir de sanction disciplinaire à l'égard des personnels affectés dans l'établissement (par exemple pour les sanctions du premier groupe) ?

Le plan pour la sécurité des établissements pénitentiaires annoncé le 3 juin dernier prévoit notamment le déploiement de 18 portiques à ondes millimétriques dans l'ensemble des maisons centrales et quartiers maison centrale ainsi que dans 9 maisons d'arrêt - solution que j'ai à plusieurs reprises préconisée comme alternative aux fouilles corporelles : quel est le coût prévisionnel de ces portiques ? Vous avancez le montant de 160 000 euros pièce, mais les professionnels disent que l'augmentation de la demande devrait faire baisser les coûts. À quelle échéance seront-ils mis en service dans les établissements concernés ? Quelles maisons centrales seront équipées ?

De façon plus générale, les crédits annoncés (27 millions d'euros en autorisations d'engagement et 24 millions d'euros en crédits de paiement) seront-ils suffisants pour réaliser l'ensemble des mesures annoncées ?

J'ai notamment visité en 2013 les maisons d'arrêt de Dunkerque et d'Angers, où la vétusté des locaux soulève de nombreuses difficultés, notamment en termes sanitaires. Quels sont les projets du ministère de la justice à l'égard de ces deux établissements ?

De façon plus générale, il paraît difficile d'avoir une idée claire des réalisations à venir : le ministère de la justice a-t-il établi un programme des constructions et réhabilitations programmées, accompagné d'un calendrier indicatif de réalisation des travaux ?

De plus en plus, la carte des établissements pénitentiaires laisse apparaître l'image d'un parc « à deux vitesses » : compte tenu des rigidités budgétaires inhérentes au fonctionnement des établissements à gestion déléguée, les établissements en gestion publique apparaissent de plus en plus comme une « variable d'ajustement » budgétaire et se retrouvent confrontés à des difficultés de gestion croissantes, au point que certains se demandent s'il ne vaudrait pas mieux généraliser la gestion déléguée à l'ensemble des établissements !

Enfin, quel bilan peut être établi s'agissant de l'expérimentation de la décentralisation de la formation professionnelle dans les deux régions qui se sont portées candidates (Pays-de-la-Loire et Aquitaine) ? Le cas échéant, une généralisation de la régionalisation de la formation professionnelle des détenus ne pourrait-elle pas être envisagée avant le vote de la loi sur la mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi, dont le calendrier d'examen par le Parlement paraît pour l'instant incertain ?

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis.  - De 2002 à 2013, nous avons connu les centres éducatifs fermés (CEF), nous avons connu la loi de 2007 sur la protection de l'enfance et nous avons connu la réorganisation administrative et territoriale. Envisagez-vous de réformer en profondeur la protection judiciaire de la jeunesse, notamment en modifiant l'ordonnance de 1945 ?

Dans sa décision du 8 juillet 2011, à la suite d'une QPC, le Conseil constitutionnel a estimé que le juge des enfants ne pouvait pas, pour une même affaire, l'instruire puis présider le tribunal pour enfant chargé de la juger. La loi du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants a tiré les conséquences de cette décision en prévoyant que « le juge des enfants qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction ». Or, certains tribunaux ont fait de cette disposition une lecture littérale, le juge des enfants pouvant présider le tribunal dans une même affaire dès lors que l'ordonnance de renvoi a été signée par un autre magistrat. Des évolutions sont-elles envisagées pour sortir de cette situation insatisfaisante ?

Le budget de l'an dernier était en augmentation. Cette année, il baisse légèrement, même si 78 emplois devraient être créés, destinés notamment à deux nouveaux centres éducatifs fermés. L'objectif du doublement du nombre des CEF, annoncé par le président de la République, est-il toujours d'actualité ou bien comptez-vous, étant donnée la contrainte budgétaire, favoriser pour les années à venir les autres modes de prise en charge de la PJJ ?

Enfin, sur la période 2008-2012, les crédits de la PJJ ont connu une diminution de 16,7 %. Vous les avez stabilisés. Cependant, les crédits du secteur associatif habilité (SAH) ont baissé de 21,2 %. N'est-il pas dommageable que le SAH serve de variable d'ajustement budgétaire ?

Les arriérés de paiement de la PJJ envers ce secteur ont commencé à être résorbés en 2012. Le Gouvernement va-t-il, comme il s'y est engagé, poursuivre cet effort ?

Mme Cécile Cukierman- Nous ne pouvons que regretter la diminution des crédits dévolus à la protection judiciaire de la jeunesse.

Le budget est tourné vers les centres éducatifs fermés. C'est assez révélateur des difficultés que nous rencontrons à offrir à la jeunesse une réponse pénale différenciée.

Quant aux crédits de l'administration pénitentiaire, je tiens à rappeler que mille postes sont toujours vacants. Le Gouvernement annonce, certes, la création de postes pour les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), mais ils s'inscriront dans le cadre de la réforme pénale à venir. Qu'en est-il pour aujourd'hui ?

M. Pierre-Yves Collombat- Depuis quinze ans, nous assistons à une augmentation constante du taux d'incarcération. Or, nous le savons, la prison n'est pas forcément la réponse la plus adaptée pour lutter contre la récidive. Envisagez-vous de mener une politique de diminution des incarcérations et de développement des alternatives aux poursuites ?

Vos chiffres font état d'une diminution des incarcérations. N'est-ce pas le résultat du recours aux dispositifs de surveillance électronique ? Est-ce toujours l'outil le plus approprié ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Madame Bonnefoy, mon ministère, vous le savez, est très engagé sur la question des violences faites aux femmes. Dans notre budget, 1,4 millions d'euros lui sont consacrés. J'ai également donné des instructions par circulaires aux parquets pour que la médiation pénale ne soit pas utilisée dans ces cas-là.

Dans le projet de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes, actuellement en navette, nous généralisons l'utilisation du « téléphone grand danger ».

Concernant l'ordonnance de protection et ses disparités d'application d'une juridiction à l'autre, un rapport d'évaluation commun à l'inspection générale des services judiciaires et à l'inspection générale des affaires sociales a été rendu public en juin 2013. Les réflexions de cette mission ont inspiré certaines dispositions du projet de loi comme l'allongement de la durée de l'ordonnance de protection à six mois, contre quatre actuellement.

En amont de l'intervention du juge, il nous a semblé nécessaire de traiter la question de l'enregistrement des plaintes et des mains-courantes déposées par les victimes. Par circulaire, j'ai donné des instructions pour que ces plaintes soient systématiquement instruites.

Enfin, nous avons mis en place une formation à ces questions pour les magistrats, les avocats et les personnels sociaux notamment.

Concernant le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, il est effectivement en baisse de quatre millions d'euros. Cependant, il faut rappeler que l'an dernier 10 millions d'euros avaient été débloqués pour permettre d'assainir la situation, auxquels il faut ajouter cinq millions d'euros d'efforts de gestion fournis par le ministère. Grâce à ces efforts, les délais de paiement ont été ramenés à un mois. L'étau est desserré. Nous n'avons donc pas besoin de fournir le même effort budgétaire que l'an dernier. Mais, je suis d'accord avec vous. Nous ne devrions pas avoir à compter les deniers du budget de la justice quand est en cause la protection de la jeunesse...

Quant au budget de l'administration pénitentiaire, nous nous sommes engagés à créer 1 000 postes sur trois ans : 400 en 2014 puis 300 en 2015 et 300 en 2016. D'ailleurs, l'école nationale d'administration pénitentiaire ne pourrait en accueillir davantage puisque ses capacités de formation sont limitées à 400 places. En tout état de cause, 400 nouveaux emplois sont loin d'être négligeables pour un corps qui compte environ 4 000 membres.

Nous tenons également à rendre les peines plus efficaces, notamment grâce à la création de la contrainte pénale qui, je vous le rappelle, sera une véritable peine, et permettra au magistrat de prévoir une exécution en milieu ouvert. Nous attendons de cette mesure une diminution de la récidive.

Par ailleurs, j'ai installé à la chancellerie un groupe de travail sur les SPIP qui doit réfléchir, en particulier, à une diversification des profils recrutés. Actuellement, il s'agit principalement de juristes. Nous souhaiterions avoir d'anciens éducateurs par exemple. Nous travaillons également sur des référentiels métiers, des outils d'analyse...

Quant aux nouveaux portiques à ondes millimétriques dont nous allons équiper les maisons centrales et certaines maisons d'arrêt, j'espère que leur coût diminuera avec le nombre de commandes. Sur l'enveloppe de 33 millions d'euros prévue pour financer le renforcement de la sécurité dans les prisons, neuf millions ont déjà été dépensés pour ce projet en 2013. Il est donc bien lancé et se poursuivra en 2014.

M. Lecerf, vous m'avez signalé la situation dégradée des maisons d'arrêt de Dunkerque et Angers. Je vais regarder ces cas de plus près.

Je ne suis pas une adepte de la généralisation de la gestion déléguée. Il faut arriver à intégrer tous les paramètres dans le calcul des coûts unitaires pour pouvoir comparer gestion déléguée et gestion publique.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - On ne peut pas avoir des prisons qui cessent de payer leurs fournisseurs à partir du mois de septembre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je suis bien d'accord avec vous. Nous avons même eu le cas d'un établissement pénitentiaire qui a dû être mis sous tutelle parce qu'il avait consommé 75 % de son budget au milieu de l'année. La nouvelle directrice de l'administration pénitentiaire assure désormais une gestion rigoureuse du système.

Monsieur Détraigne, je pense vous avoir répondu ; je voudrais dire qu'en effet, les dépenses en matière d'aide juridictionnelle augmentent en raison aussi de règlements et de directives européennes nouvelles car il y a de nouveaux droits. Mme Tasca a parlé des conséquences de la directive « interprétation-traduction ». Nous avons élaboré une circulaire qui précise que ces dispositions ne s'appliquent que pour les procédures et les formalités les plus importantes, pour que ce ne soit pas automatique. On a estimé à 15 millions d'euros le surcoût dû à ces droits nouveaux, mais c'est une dépense qu'il faudra savoir contenir.

À propos des partenariats publics privés (PPP), j'observe que c'est l'État qui vit à crédit sur les générations suivantes. On peut concevoir des PPP dans le cas d'équipements qui produisent des ressources. Mais quand ce n'est pas le cas comme les prisons ou les tribunaux il vaut mieux les éviter, et tant qu'on pourra l'éviter, on le fera. Il existait cependant des PPP déjà très engagés à mon arrivée et le coût du dédit et du contentieux devait être pris en compte. Par ailleurs, en cas d'urgence, comme par exemple pour le tribunal de grande instance de Caen où il y avait de vrais problèmes de sécurité, il était nécessaire de recourir à cet instrument. Mais on a repris en maîtrise d'ouvrage public chaque fois que c'était possible, comme pour le TGI de Perpignan par exemple car je préfère cette formule, moins coûteuse pour l'État. Certes, les PPP sont plus simples car on lance l'investissement sans avoir à débourser un euro. Mais, après, cela grève les budgets ! On le voit bien pour les partenariats publics-privés pénitentiaires. À partir de 2016, ce sera tellement élevé qu'il n'y aura plus de marge pour investir.

M. Philippe Kaltenbach. - On tire une traite sur l'avenir.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Exactement.

En réponse à la question de Mme Lipietz, je rappelle qu'il y a deux catégories de salles d'audience délocalisées -j'éprouve la même gêne que vous à leur égard mais je suis en responsabilité et il faut assumer la continuité de l'État.

Il y a des salles comme le Mesnil-Amelot qui est la 3ème du genre, une à Marseille et l'autre à Coquelles dont le principe a été validé.

À propos de la ZAPI de Roissy-Charles-de-Gaulle, c'est une autre formule. J'en ai différé l'ouverture, initialement prévue en septembre-octobre de cette année. J'ai chargé M. Bacou et Mme de Guillenchmidt d'une mission pour vérifier la conformité de cette salle aux normes et valeurs européennes et nationales. Je devrais avoir le rapport fin novembre, et je le rendrai public.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis. - J'ai insisté sur la séparation nécessaire entre les fonctions d'instruction et de jugement, pour souligner qu'il arrivait qu'un magistrat ayant instruit une affaire fasse signer la décision de renvoi devant le tribunal pour enfant par un collègue.

Mme Hélène Lipietz, rapporteuse pour avis. - J'ai effectué plusieurs visites de prisons. À Auxerre, cette année, comme à Melun à la même époque, l'année dernière, la situation du budget de fonctionnement est critique. Il y a huit jours, à Auxerre, il ne restait plus que dix kits d'hygiène et s'il a plus de détenus d'ici la fin de l'année, les normes minimales fixées par les règles pénitentiaires européennes ne pourront pas être respectées. C'est le problème de la gestion différenciée des budgets au sein des prisons, certains étant alloués par le ministère, d'autres devant être alimentés par des fonds propres. Il y a un vrai problème de gestion des fins d'années budgétaires.

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis. - Vous n'avez pas évoqué la réforme des BOP des cours d'appels, mais si vous le faites en envoyant un document, cela me conviendra.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - En réponse à M. Alfonsi, c'est un sujet qui est sur la table. Nous travaillons à des modifications de l'ordonnance de 1945 pour remettre de la cohérence et de la simplification après les modifications apportées par les différentes réformes. Les solutions actuellement évoquées ne font pas consensus. On regarde actuellement ce qui est fait dans d'autres pays européens mais nous n'avons pas de réponse pour l'instant.

Pour les kits d'hygiène en détention, c'est une question d'organisation : ce problème doit remonter à la direction de l'administration pénitentiaire. Il faut qu'on améliore la remontée d'information. Comme souvent pour ces questions de logistique, les réponses pourraient être aisément apportées. Nous le faisons pour les juridictions, il faut que nous le fassions pour nos établissements pénitentiaires.

90 % de nos établissements pénitentiaires sont certifiés, ce qui est un honneur, mais nous sommes donc tenus de respecter les règles pénitentiaires européennes. Lorsqu'il y a un cas particulier, il ne faut pas hésiter à me faire remonter les difficultés rencontrées.

Depuis la loi Guigou du 15 juin 2000, les parlementaires peuvent accéder à tout moment aux établissements pénitentiaires. C'est une très bonne chose, et nous sommes intéressés par toutes les informations qui pourraient en remonter.

Pour les BOP, merci, madame Tasca de me permettre de vous répondre par écrit.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Madame la ministre, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre aux très nombreuses questions posées. Je pense que vous y avez vu une marque de l'intérêt que nous vous manifestons.

Loi de finances pour 2014 - Mission « Sécurité », mission « Immigration, asile et intégration » et mission « Administration générale et territoriale de l'État ») - Audition de M. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur

Puis la commission procède à l'audition de M. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, sur le projet de loi de finances pour 2014 - missions « Sécurités », « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Jean-Pierre Sueur, président. - M. le ministre, la commission des lois suit avec beaucoup de soin votre action et en l'espèce le budget du ministère de l'Intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. - Un budget c'est l'expression des priorités.

D'abord, les effectifs car ce ministère est avant tout un ministère d'hommes et de femmes. En 2014, tous les départs en retraite seront remplacés dans la police et la gendarmerie qui bénéficieront également de créations de poste : 243 pour la police et 162 pour la gendarmerie. Le rythme sera plus soutenu en 2015. Je sais l'impatience ressentie partout pour l'arrivée des effectifs, je connais les besoins criants que vous constatez ici et là. En ce début d'automne, nous sommes au point le plus bas de l'année pour les effectifs. La promotion des gardiens de la paix entrés à l'école en 2013 sera affectée dans les services en décembre. Une nouvelle incorporation de 1 000 élèves gardiens sera effective dès janvier prochain, après les entrées en école du mois de septembre. Les efforts sont nécessaires pour compenser les effets de la politique de suppression des emplois des années passées. En cinq ans, 13 700 postes de policiers et de gendarmes ont été supprimés. Ces créations d'emploi ne compenseront pas ces suppressions, mais il fallait arrêter l'hémorragie.

Les effectifs ne sont pas tout, il faut constamment travailler sur des réorganisations internes pour mieux utiliser nos ressources et nous attaquer à l'explosion des cambriolages, occuper le terrain, être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme, être présent dans les champs nouveaux comme celui de la cybercriminalité : redéploiements territoriaux police/gendarmerie, mutualisation avec la création d'un service unique des achats et des équipements, mutualisation en matière de police technique et scientifique, substitution des personnels actifs par des personnels administratifs sur les fonctions non opérationnelles.

En matière d'affectation du personnel, mes priorités sont claires : les zones de sécurité prioritaires et le renseignement intérieur.

L'administration centrale et territoriale verra ses effectifs diminuer en 2014 (550 départs à la retraite ne seront pas remplacés en préfectures et sous-préfectures et 87 en administration centrale). Il faut donc procéder à des évolutions de structure, c'est pourquoi j'ai confié aux préfets des régions Alsace et Lorraine une mission de rénovation de la carte des sous-préfectures -qui n'a pas évolué depuis 1926- dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin à l'échéance du 1er janvier 2015.

Mais l'évolution du réseau n'est pas son affaiblissement. Je suis attaché à la présence de l'État sur le territoire car on constate un sentiment d'abandon terrible dans certains territoires. Quand on est dans des difficultés, on se tourne vers l'État. C'est dans cette logique et pour répondre aux attentes de nos compatriotes que l'évolution du réseau pourra être posée : regroupement ou redécoupage d'arrondissements, création des maisons de l'État.

D'autres administrations de l'État ont perdu ces dernières années en puissance en raison de la réduction des effectifs et de la décentralisation. Cependant, il faut maintenir le réseau des sous-préfectures et des maisons de l'État là où cela s'impose.

Gérer un budget, c'est s'assurer que les moyens utilisés correspondent bien aux missions assumées. Pour cela, j'ai engagé d'autres réformes importantes pour l'administration : mise en place expérimentale de plateformes pour le traitement des demandes de naturalisation dans trois régions ; délivrance d'un nouveau permis de conduire FAETON qui allègera la tâche des préfectures ; régionalisation des plateformes CHORUS.

Tout doit contribuer à garantir l'efficacité de cette administration et au final, le service rendu aux administrés. Il faut améliorer l'accueil, notamment pour les étrangers.

En ce qui concerne la situation des personnels, les mesures indemnitaires catégorielles resteront à un niveau élevé en 2014, identique à 2013, aux alentours de 60 millions d'euros pour l'ensemble du ministère. En particulier, les gardiens de la paix et les sous-officiers de gendarmerie bénéficieront d'une nouvelle tranche du passage à la catégorie B en octobre 2014 après la première étape du 1er juillet 2013.

Les moyens de fonctionnement du ministère. Les services de gendarmerie et de police voient pour la première fois depuis 2007 leurs crédits progresser après la stabilisation de 2013, mais les besoins restent considérables que ce soit en matière immobilière, pour la gendarmerie surtout, que ce soit pour le parc automobile ou le fonctionnement courant des services. J'espère que les mesures de gel de début d'année ne viendront pas anéantir cet effort indispensable.

Parce que la sécurité est une priorité, qu'il faut avoir une vision dynamique de la loi de finances, le premier ministre a accepté de dégeler 111 millions d'euros en fin d'année 2013 au bénéfice des forces de l'ordre. J'ai aussi obtenu le dégel de 10 millions d'euros supplémentaires d'autorisations d'engagement pour lancer les opérations de maintenance urgente des logements les plus dégradés de la gendarmerie.

La sécurité civile. Les efforts sont concentrés sur les moyens nationaux : 4 millions d'euros supplémentaires consacrés à la maintenance de la flotte de la sécurité civile ; les études pour le déménagement de la base de Marignane vers Nîmes-Garons ; la poursuite du déploiement d'ANTARÈS ; déploiement du nouveau système d'alerte et d'information des populations.

Immigration, asile et intégration. Les crédits 2014 pour l'asile constituent 85 % des crédits du programme « immigration et asile » et ils augmentent de 0,5 % par rapport à 2013.

Notre système d'asile implose : depuis 2007, la demande d'asile augmente en moyenne de 10 % par an. Avec probablement 68 000 demandes en fin d'année, ce chiffre aura doublé en 6 ans et, nous le savons, 80 % de ces demandes aboutiront à un rejet par l'OFPRA et la CNDA. Les problèmes, nous les connaissons : allongement des délais d'instruction, concentration des demandeurs d'asile dans certaines régions et villes, saturation des hébergements par les déboutés du droit d'asile.

Ce budget apporte des premières réponses d'urgence : dix emplois supplémentaires à l'OFPRA, le financement de deux mille nouvelles places en centres d'accueil des demandeurs d'asile et en ce qui concerne la gestion de l'ATA (allocation temporaire d'attente), déjà 7 millions de versements indus supprimés au second semestre 2013.

Mais au-delà c'est l'ensemble du système qu'il faut revoir. J'ai lancé en juillet une réflexion avec les collectivités locales, la CNDA, les administrations, le HCR et les associations du champ de l'asile. Deux parlementaires, Valérie Létard et Jean-Luc Touraine, me feront des propositions pour refonder la politique de l'asile. À ce stade, aucun scénario de réforme n'est arrêté, mais des sujets incontournables ont d'ores et déjà été identifiés par ces deux parlementaires : une réduction significative des délais pour parvenir à 9 mois en 2015, une détermination dès l'arrivée de l'éligibilité de la demande d'asile avec un traitement accéléré, une répartition plus directive des demandeurs d'asile sur le territoire, une territorialisation plus importante de toute la procédure, l'éloignement des déboutés du droit d'asile.

L'Allemagne est passée devant nous en termes de demandes d'asile.

Je veux trouver avec la représentation nationale un consensus. Il nous faut préserver ce droit constitutionnel, conventionnel, sacré mais à condition qu'il n'y ait pas de détournement.

Voilà les grandes lignes du budget 2014 du ministère de l'intérieur avec des priorités clairement financées : la sécurité intérieure, l'asile et la modernisation de l'action publique.

Mme Éliane Assassi, rapporteure pour avis. - Monsieur le ministre, merci pour ces informations. L'an passé, j'avais conclu mon rapport sur une note positive, car le budget pour 2013 marquait incontestablement une rupture par rapport aux années précédentes. Les personnes que j'avais alors entendues dans le cadre de la préparation de ce rapport espéraient beaucoup des nouvelles orientations annoncées par le Gouvernement, en particulier s'agissant de l'arrêt de l'application de la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, de la création des ZSP ou encore de l'attention portée à l'amélioration de la qualité des relations entre les citoyens et les forces de l'ordre.

Cette année, bien que je n'aie pas encore terminé mes auditions - mon rapport ne sera examiné en commission des lois que le 27 novembre -, je constate un changement de tonalité. En particulier, les policiers sont très inquiets face à l'annonce de la baisse de l'ISSP pour les élèves gardiens de la paix et les élèves gendarmes : cette diminution aura des répercussions sur le pouvoir d'achat de ces personnels. Plus largement, ils sont inquiets quant à l'évolution de leurs conditions de travail. Ils s'interrogent également sur les modalités selon lesquelles s'effectuera la mutualisation avec la gendarmerie, vécue par eux comme un risque de perte d'autonomie. J'aborderai ce point dans mon rapport, après avoir entendu également les représentants de la gendarmerie nationale.

Je vous poserai plusieurs questions.

Vous avez évoqué la création de 243 postes de fonctionnaires de police : où ces derniers seront-ils affectés ?

Avez-vous déjà dressé un premier bilan des ZSP ? Par ailleurs, je vous avais interrogé l'année dernière sur l'articulation entre les ZSP et les dispositifs de prévention de la délinquance : comment les choses ont-elles évolué de ce point de vue en 2013 ?

Enfin, les policiers nous disent que la politique du chiffre a été remplacée par une politique du résultat. Cette façon de voir les choses m'a quelque peu interpellée. Qu'en pensez-vous ?

Mme Hélène Lipietz, rapporteuse pour avis. - Mon rapport budgétaire sera examiné en commission des lois demain. J'aurai moi aussi plusieurs questions.

Tout d'abord, le budget des centres de rétention administrative (CRA) diminue, ce qui est inquiétant même si tous ne sont pas utilisés à leur pleine capacité. Un cahier des charges portant sur la qualité de l'accompagnement devait être élaboré : où en est-on ?

Les CRA sont sous-utilisés. Une solution alternative à la rétention ne pourrait-elle pas se trouver dans la généralisation des bracelets électroniques ? Une telle mesure ne coûterait-elle pas moins cher que l'entretien de CRA dont certains ne sont utilisés qu'à 40% ?

Par ailleurs, vous faites - avec raison - de l'intégration un des piliers du « vivre ensemble » et un préalable à l'accès à la nationalité. Pourtant, les crédits alloués à ces actions diminuent de 17% sur deux ans. Comment justifier une telle baisse du budget ?

L'OFII a des recettes propres qui sont de plus en plus plafonnées, alors même que cet organisme n'a pas la possibilité de limiter ses dépenses. Ses ressources sont plafonnées à 140 millions d'euros de recettes fiscales, conjuguées à une subvention pour charge de service public en baisse et des ressources supplémentaires assez volatiles en provenance des fonds européens. Ces paramètres ne risquent-ils pas de rendre difficile l'action de l'OFII pour les années à venir ? Envisagez-vous une véritable refonte du rôle de l'OFII, face, en particulier, aux enjeux de l'intégration et aux nouveaux titres de séjour pluriannuels que vous prévoyez de mettre en place ? Il en est de même, notamment, du contrat d'accueil et d'insertion qui devrait sans doute être plus en rapport avec les charges de l'OFII.

Vous avez lu comme moi le rapport de la Cour des comptes soulignant les mauvaises conditions - c'est un euphémisme - dans lesquelles les étrangers sont accueillis dans les préfectures lorsqu'ils sollicitent la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour. Je souligne d'ailleurs que ces conditions ne sont pas non plus convenables pour les fonctionnaires qui ont en charge ce secteur ô combien difficile. Qu'entendez-vous faire pour remédier à cette situation ?

Enfin, mon rapport évoquera la question des mineurs étrangers isolés, dont je sais qu'elle relève des ministères de la justice et des affaires sociales, et non de celui dont vous avez la charge. Mais que deviennent ces mineurs une fois devenus majeurs ? Souvent les départements les ont pris en charge, cela a représenté un coût financier important pour ces collectivités ; de leur côté, ces jeunes qui ont bénéficié de formations qualifiantes manifestent souvent une réelle volonté d'intégration. Qu'entendez-vous faire pour que ces dépenses engagées par les départements n'aient pas été faites en vain ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. - La sécurité civile représente un petit budget mais un grand sujet. Je souhaiterais tout d'abord attirer votre attention sur un point de méthode : les éléments concernant les moyens consacrés à la sécurité civile par les collectivités locales ne figurent plus dans le document de politique transversale pour 2014. C'est tout à fait regrettable.

J'ai assisté comme vous au congrès national des sapeurs-pompiers qui s'est tenu à Chambéry, au cours duquel il a beaucoup été question du référentiel commun entre les SDIS et les SAMU sur le secours à personne. Le président de la République vous a demandé de vous rapprocher de votre collègue Mme Marisol Touraine, ministre de la santé, pour trouver un apaisement à une situation actuelle quelque peu conflictuelle. Où en sont les choses sur ce point ?

J'évoquerai également la question de la coopération européenne en matière de lutte contre les feux de forêt : à un moment, on a créé le « FIRE 4 » ; une évolution était prévue, allant dans le sens d'une plus grande mutualisation des moyens. Comptez-vous donner une impulsion nouvelle à un tel renforcement de la coopération européenne ?

Enfin, j'ai récemment rendu visite au bataillon des marins pompiers de Marseille. L'État ne contribue pas de façon significative au budget de ce bataillon, contrairement à ce qui se passe à Paris. Le Premier ministre a pris des engagements récemment pour faire évoluer cet état de fait : qu'en est-il exactement ?

M. Jean-Pierre Sueur, président, rapporteur pour avis. - Je prendrai d'abord la parole en ma qualité de rapporteur des crédits consacrés à l'asile. Le projet de budget comporte de nombreux points positifs, en particulier s'agissant de la création de 2 000 places en CADA et des moyens plus importants alloués à l'OFPRA. Ces points positifs ont été soulignés par l'ensemble des personnes que j'ai reçues.

Je m'inquiète toutefois de la réduction à due concurrence des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence et à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Or, au vu des évolutions en cours en 2013 et celles qui s'annoncent en 2014, un dépassement des enveloppes prévues paraît inéluctable. Il y a là un risque de dérapage sur ces deux postes budgétaires.

Je salue par ailleurs le gros travail réalisé au sein de la CNDA, grâce notamment au soutien important que lui a apporté le Conseil d'État. Vous avez rappelé également les 10 nouveaux postes affectés à l'OFPRA. Ces efforts très substantiels visent à réduire les délais d'examen à 9 mois au total. Je constate également un certain rééquilibrage entre le nombre de décisions favorables rendues par l'OFPRA et celles rendues par la CNDA - ce qui paraît normal car la CNDA est une instance de recours. Toutefois, le directeur général de l'OFPRA, M. Pascal Brice, s'inquiète des perspectives de transposition de la directive « procédure », dont plusieurs mesures risquent de rendre le travail de l'OFPRA plus compliqué et d'obérer les efforts réalisés pour diminuer les délais de traitement. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, certaines associations soutiennent l'idée d'une fusion de l'OFII et de l'OFPRA. Je n'y suis pour ma part pas favorable, mais j'aurais souhaité recueillir votre sentiment sur cette question.

Enfin, quelles perspectives comptez-vous impulser au niveau européen s'agissant de l'accueil des réfugiés en provenance de Syrie : un million d'entre eux sont au Liban, 500 000 en Turquie... ? L'Europe devra prendra sa part dans la gestion de cette situation.

De même, nous sommes préoccupés par ce qui se passe à Lampedusa. Il faut que cessent enfin ces naufrages, ces corruptions, ces violations des droits humains ! Or cette question ne peut être traitée qu'au niveau européen.

Je souhaiterais vous entendre sur ces grandes questions, qui se posent d'ailleurs à l'ensemble des gouvernements de l'Union européenne.

J'interviendrai enfin au nom de notre collègue Gaëtan Gorce, rapporteur des crédits du programme « vie politique, cultuelle et associative », qui nous prie de bien vouloir excuser son absence aujourd'hui. Nous souhaiterions vous interroger sur une idée évoquée lors de l'examen du projet de loi sur la transparence dans la vie publique - au cours duquel le Sénat s'est illustré en nouvelle lecture par la clarté de ses positions, notamment en faveur de la publication des patrimoines des parlementaires - consistant à fusionner, à terme, la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avec la future Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Une telle fusion vous paraît-elle souhaitable et possible ? En ce qui me concerne, dans l'état actuel des choses, je n'y serais pas favorable car il me semble que cela serait source de confusion pour les citoyens.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. - Les personnels des sous-préfectures et des préfectures sont inquiets compte tenu des rumeurs relatives à des projets de suppression de sous-préfectures. Si ces rumeurs sont fondées, les suppressions sont-elles susceptibles de concerner aussi le milieu rural ? Par ailleurs, de nombreux maires de toutes tendances politiques m'ont fait part de l'importance que revêt à leurs yeux le sous-préfet, seul à représenter l'État en uniforme en zone rurale et péri-urbaine. En outre, lorsque les effectifs sont réduits au niveau départemental, les préfectures ont tendance à garder leurs personnels et à imputer la diminution sur les sous-préfectures. Enfin, concernant FAETON, pendant combien de temps en 2014 les permis de conduire provisoires pourront-ils être échangés, sachant que les préfectures craignent une surcharge de travail ?

M. Pierre-Yves Collombat. - La France a connu récemment une multiplication de phénomènes météorologiques catastrophiques, notamment des inondations. En revanche, cette année, elle a été relativement épargnée par les incendies de forêt...

M. Jean-Jacques Hyest. - On ne peut pas avoir en même temps la pluie et le feu !

M. Pierre-Yves Collombat. - ...Mais la masse de végétation combustible n'en est que plus considérable. Les crédits de la sécurité civile, qui ne sont qu'une faible part des dépenses de la Nation, diminuent. Comment envisagez-vous pour l'avenir, monsieur le Ministre, les modalités d'intervention et de répartition des tâches entre les SDIS, les SAMU et d'autres intervenants en matière de sécurité civile ? Quelle seront les orientations en matière d'hélicoptères et d'avions anti-incendies ?

M. Jean-Jacques Hyest. - L'accueil des étrangers en préfecture s'effectue parfois dans des conditions insupportables, tant pour les personnels que pour les personnes reçues, et malgré les efforts accomplis. Par ailleurs, la directive européenne relative au temps de travail menace de rendre impossible l'organisation du travail des pompiers. Sur un gros service, une mise en conformité représenterait un besoin de 160 ETPT supplémentaires ! Ce sera très coûteux et n'apportera pas grand-chose !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - Où en est-on du transfert des forces de police et de gendarmerie à l'administration pénitentiaire pour assurer les transfèrements et les défèrements des personnes détenues ?

M. Jean-Yves Leconte. - Concernant les visas, quel bilan peut-on faire du système de gestion conjointe ministère de l'intérieur / ministère des affaires étrangères ? Il semble y avoir une certaine méconnaissance mutuelle ! Par ailleurs, 5 millions d'euros sont prévus pour acheter des appareils de fabrication de visas biométriques : pourquoi les entreprises attributaires des marchés afférents n'assument-elles pas cette dépense ? En outre, pourquoi les appareils sont-ils différents dans chaque pays ? Concernant l'asile, il est nécessaire de préserver l'étanchéité avec la politique de l'immigration. Les prestations à destination des demandeurs d'asile sont dix fois plus coûteuses que les dépenses liées à l'OFPRA : des économies substantielles pourraient être faites en réduisant le délai d'examen des demandes. En revanche, les moyens dégagés pour 2014 suffiront-ils à l'application de la directive « procédures » ?

M. François-Noël Buffet. - Je souhaite d'abord vous remercier, monsieur le ministre, pour votre réponse à ma question orale de la semaine dernière. Quant à l'asile, il doit être traité, il est vrai, complètement à part de l'immigration. En revanche, le conseil d'administration de l'OFPRA ne devrait-il pas réinscrire certains pays sur la liste des pays d'origine sûrs ? Il y a là un moyen quasi immédiat de diminuer la pression migratoire très forte sur certains territoires.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis. - Ma question sera ponctuelle. Certains journaux ont évoqué le coût de la présence pendant cinq ans sur notre territoire de la famille Dibrani. Pour mettre fin aux allégations à ce sujet, vous serait-il possible de faire calculer ce coût  avec une marge d'erreur raisonnable ?

M. Manuel Valls, ministre. - Il y a certes du vague à l'âme et des interrogations dans les forces de l'ordre au sujet des suppressions de postes, des véhicules, du carburant, de l'état des locaux des commissariats ou des brigades de gendarmerie. Je dois rendre hommage aux forces de l'ordre qui travaillent dans des conditions difficiles, avec une mise en cause de l'autorité et des violences qui les concernent tout particulièrement, comme cela a été le cas il y a encore quelques jours à Marseille pour une policière de la BAC. D'où la nécessité de donner les moyens nécessaires, en termes de fonctionnement, d'équipement, d'hommes.

La priorité du Gouvernement est de préserver les moyens de fonctionnement, qui ont diminué de 18 % entre 2008 et 2012 et qui recommenceront à augmenter en 2014, et de respecter les engagements de l'État en matière de mesures catégorielles en faveur des personnels : le passage en catégorie B des gardiens de la paix et des sous-officiers de gendarmerie a été engagé en janvier 2013 et se poursuivra en 2014. Il a été décidé de conserver l'indemnité de sujétion spéciale de police (ISSP) pour les élèves policiers et gendarmes mais d'en abaisser le taux : les élèves qui entreront dans la police à compter du 1er janvier 2014 percevront l'ISSP au taux de 12 % pour les gardiens de la paix et les gendarmes et de 10 % pour les officiers et commissaires. Cette réforme constitue une contrepartie très limitée par rapport aux avancées très importantes pour la police et la gendarmerie. Elle n'a pas d'effet rétroactif et ne s'applique que sur une durée limitée : le temps de la formation. L'entrée en vigueur de la catégorie B sera avancée d'un mois par rapport au calendrier initialement prévu.

J'ai annoncé aux organisations syndicales plusieurs mesures d'accompagnement importantes : une réforme des frais de stage des élèves, la régularisation du dossier d'inversion de carrière des majors, le dégel des crédits de fonctionnement et d'équipement pour 111 millions d'euros à la fin de 2013. Le projet de budget 2014 prévoit que les policiers bénéficieront de 31 millions d'euros de mesures catégorielles, montant légèrement supérieur à celui de 2013. Les gendarmes vont bénéficier quant à eux de 20,5 millions d'euros. L'année 2014 sera ainsi de nouveau une année d'amélioration sensible de la condition statutaire et indemnitaire des policiers et des gendarmes. Par ailleurs, je veux vraiment améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population, même si, comme le montrent les enquêtes d'opinion, les forces de l'ordre sont très soutenues par la population : le matricule sera rétabli pour la police avant la fin de l'année, un nouveau code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie, le premier nouveau code depuis 1886, sera intégré, après avis du conseil d'État, au code de la sécurité intérieure pour une application au 1er janvier 2014 ; enfin des mesures expérimentales seront prises, en particulier dans les ZSP, telles que l'équipement en caméras portatives, qui permettront une amélioration de la relation police-population et une protection des policiers contre certaines accusations infondées, et permettront à la justice et à l'IGPN, que j'ai profondément réformée et que chaque citoyen peut désormais saisir, de faire leur travail.

Concernant les zones de sécurité prioritaires (ZSP), je vais annoncer une « vague » de créations plus réduite d'une vingtaine de zones, pour arriver à 80 ZSP au total. Sur la législature, une centaine de ZSP seront mises en place. Ces zones ont permis de revivifier le partenariat de sécurité entre les préfets, les parquets, les forces de l'ordre et les collectivités locales, en particulier en matière de prévention. Au-delà des actions dissuasives et répressives ciblées sur les trafics, les cambriolages ou encore les troubles sur la voie publique, une politique de coopération concrète s'engage sur ces territoires à partir de diagnostics ciblés et d'un suivi individualisé. D'autres acteurs comme les communes, les conseils généraux, les travailleurs sociaux, l'éducation nationale peuvent intervenir pour compléter la politique de sécurité. Ces ZSP donnent des résultats : en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et l'économie souterraine, le nombre total de personnes mises en cause a augmenté de 38 % dans les ZSP concernées. Dans les ZSP où ces options constituent une priorité, les nuisances et les incivilités ont également baissé de 11 %, les violences urbaines de 27 %, les cambriolages de 2,9 %. Il en ressort également des bonnes pratiques qui peuvent être diffusées sur le territoire dans la durée, avec la plus grande transparence possible pour les chiffres de la délinquance grâce à un outil totalement indépendant.

En réponse à Mme Lipietz, à propos des questions d'immigration, la généralisation des règlements intérieurs au sein des centres de rétention administrative (CRA) devrait en améliorer le fonctionnement. Nous avons besoin des CRA, qui ont actuellement un taux de présence de l'ordre de 60 %. Mme Lipietz a suggéré l'utilisation du bracelet électronique. Je ne suis pas hostile à l'idée mais il faut une loi pour développer les alternatives à la rétention, notamment l'assignation à résidence, qui est une de nos priorités. Il s'agit aussi de mesurer le coût que cela pourrait engendrer.

La circulaire du 28 novembre 2012 a permis des avancées sur la question du droit au séjour des mineurs isolés étrangers. Je souligne que ceux qui sont arrivés avant l'âge de seize ans obtiennent un titre de séjour à leur majorité. Cela concerne près de 94,6 % des mineurs. Ce pays reste donc un pays d'accueil. Cela montre que les parcours d'intégration spécifiques sont pris en compte. Pour ceux arrivés après seize ans, les préfets ont reçu pour instruction d'avoir la plus grande bienveillance au regard des parcours d'insertion.

Pour les crédits relatifs à l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII), j'aurai quelques remarques. Afin de mettre en cohérence les ressources de l'OFII avec ses compétences, les métiers de l'OFII pourraient évoluer dans les trois prochaines années. En premier lieu, face à la baisse de l'immigration du travail, l'OFII doit recentrer son action sur le champ de l'immigration professionnelle, en devenant le guichet unique à la disposition des entreprises qui souhaitent recruter des salariés étrangers. En deuxième lieu, si la visite médicale doit être maintenue pour des raisons de protection de santé publique, il me semble qu'en la matière, l'OFII supporte des charges indues. Chaque fois que ce sera possible, la visite médicale sera effectuée par les dispositifs de droit commun.

Enfin, après dix ans de mise en oeuvre du contrat d'accueil et d'insertion (CAI), la réforme en cours permettra de recentrer les dispositifs d'accueil autour de prestations plus adaptées aux besoins des migrants.

En 2014, l'OFFI bénéficiera d'un budget équilibré qui ne lui imposera pas de puiser dans son fonds de roulement.

Le ministère de l'intérieur devra, à l'avenir, assurer l'accueil des étrangers dans les cinq premières années d'arrivée sur le territoire, car c'est là que se jouent les parcours d'intégration et d'insertion.

Vous m'avez posé la question des conditions d'accueil des étrangers. C'est un vrai sujet. En Essonne, j'ai pu constater moi-même une dégradation de ces conditions d'accueil à la suite de la réforme opérée visant à ce que les titres de séjours ne soient plus délivrés au sein des commissariats. Le sujet n'est pas nouveau. Il faut y apporter une réponse forte. Le rapport du député Fekl a bien souligné les causes du problème : nous contraignons trois millions d'étrangers à cinq millions de passages annuels en préfectures. Les étrangers titulaires d'une carte de séjour temporaire sont contraints chaque année à trois ou quatre passages en préfecture. Cela pèse sur les étrangers, comme sur les agents et cela ne permet pas de lutter contre la fraude documentaire : 99 % de ces titres de séjour sont renouvelés. L'effort à accomplir repose sur deux axes. En premier lieu, les aménagements immobiliers : 82 préfectures et 34 sous-préfectures ont fait l'objet de travaux de plus ou moins grande envergure, à Annecy ou à Marseille, par exemple.

En second lieu, à la suite du rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), sur l'accueil des étrangers en préfecture, une mission d'appui des préfectures a été mise en place à la direction générale des étrangers en France (DGEF). De nombreux chantiers de modernisation sont en cours, pour faciliter les démarches des étrangers : généraliser les accueils sur rendez-vous, rendre les informations plus accessibles et développer les démarches à distance, généraliser la remise de titres sur convocation par sms, dématérialiser l'achat de timbres fiscaux à l'horizon 2014. Ces démarches doivent aussi concerner les pièces justificatives présentées par les étrangers. La solution durable passe par une diminution des passages en préfecture. J'espère présenter en 2014 le texte instituant un titre de séjour pluriannuel qui aidera à stabiliser la situation des étrangers et soulagera le travail des agents des préfectures.

À propos de la sécurité civile, j'avoue que je ne sais pas pourquoi le document de politique transversale est plus succinct que l'année dernière. Je vais me rapprocher des services de la direction du budget qui ont la main sur l'élaboration de ces documents.

Au congrès des sapeurs-pompiers, en présence du président de la République et du ministre de l'intérieur, le rôle prépondérant du référentiel SAMU-SDIS pour le secours à personne a été souligné. Je rappelle le rôle extrêmement important des SDIS qui agissent en complémentarité avec les autres acteurs du secours, tout particulièrement les SAMU. Il est important de vérifier aussi que les mécanismes de compensation entre hôpitaux et SDIS fonctionnent. Je connais beaucoup de départements dans lesquels cela fonctionne, y compris dans des salles opérationnelles communes, alors que dans d'autres, cela ne fonctionne pas. Cette mutualisation doit permettre de répondre à l'engagement du président de la République d'une intervention en trente minutes après l'appel aux secours. Dans la suite de ces engagements pris à Chambéry par le Chef de l'État, je viens de signer avec ma collègue Marisol Touraine une lettre de mission demandant aux deux inspections de l'IGA et de l'IGAS d'évaluer le référentiel commun d'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente. La question du financement y sera abordée, la situation des collectivités territoriales, ainsi que celle des centres hospitaliers également. Des doublons ou des concurrences entre services ne doivent pas diminuer l'efficacité des secours.

À propos du rôle de l'Union européenne en matière de sécurité civile, on progresse dans ce domaine. J'ai assisté à deux exercices majeurs financés par l'Union européenne : l'un s'est tenu à Lyon, il simulait une attaque chimique dans le métro ; l'autre s'est tenu en Estrémadure, simulant un problème survenu sur une centrale nucléaire. Ce sont des opérations financées par l'Union européenne qui permettent de réfléchir à un système d'entraide de sécurité civile, pas seulement à l'échelle de l'Union européenne d'ailleurs, car le Maroc, est concerné : avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, nous avons une entraide et des formations communes. Je pense aussi à l'entraide opérationnelle : cet été, une partie de la flotte française de Canadair est venue en aide au Portugal qui a affronté des feux de forêts dramatiques.

Le mécanisme européen de protection civile a été un immense progrès, la commission européenne le refond actuellement autour de quatre axes : la prévention, la préparation, - L'Europe va se doter d'un centre de crise ouvert 24h sur 24 -, la réponse opérationnelle, et les relations avec les pays tiers, je viens de l'évoquer. À mon sens, c'est un sujet majeur pour l'Europe, qui doit jouer ici pleinement son rôle.

Pour le financement du bataillon des marins-pompiers, le Premier ministre s'en charge actuellement, en lien avec la mairie de Marseille. La demande d'une participation de l'État n'est pas illégitime, mais il est nécessaire de trouver un accord global. La conférence des financeurs s'est réunie le 5 novembre dernier à la préfecture de région. Elle a rassemblé tous les financeurs : l'État, la communauté urbaine, la ville de Marseille, le conseil général. La ville de Marseille a demandé 10 millions d'euros, une expertise est en cours et un amendement sera déposé sur le projet de loi de finances pour 2014, le cas échéant.

Je vais répondre au président Hyest sur la question du temps de travail. Vous avez rappelé que la France a été mise en demeure par la commission européenne de mettre en conformité le décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels avec la directive du 4 novembre 2003 sur le temps de travail. Un décret modificatif a été élaboré, mais il faut être prudent en effet : il est hors de question de remettre en cause le modèle français de sécurité civile qui repose sur le volontariat : le président de la République l'a très clairement souligné lors de son discours à Chambéry.

Des concertations ont été menées avec les employeurs locaux et les partenaires sociaux ; l'avis des différentes instances, la conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNIS), le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), a été recueilli et a conduit à la demande des élus, à ce que l'entrée en vigueur du passage à 1128 heures semestrielles s'effectue au 1er janvier 2014 pour les sapeurs-pompiers professionnels non logés. Pour les sapeurs-pompiers professionnels logés, la réforme s'appliquera à compter du 1er juillet 2016. Le Conseil d'État examine actuellement le projet de décret.

Cette mise en conformité a un impact sur l'organisation des services et des cycles de travail. La Direction générale de la sécurité civile intervient en appui des SDIS concernés pour les accompagner dans leur réflexion et la mise en oeuvre de cette réforme. Nous défendons ce modèle français qui associe professionnels et volontaires. La France préconise que la future directive européenne portant sur la santé et la sécurité des travailleurs exclut expressément de son champ d'application les activités volontaires exercées dans le domaine de la protection civile. J'ai bon espoir que ce combat aboutisse.

En réponse au président Sueur sur la question relative à l'allocation temporaire d'attente (ATA), je voudrais souligner qu'en 2013, nous avons réévalué les montants nécessaires afin de sortir de l'insincérité budgétaire. 50 millions d'euros supplémentaires ont été prévus au budget. Nous avons fait de même sur l'hébergement d'urgence avec 45 millions d'euros supplémentaires. En 2013, les crédits finalement consommés seront pratiquement ceux qui avaient été votés en loi de finances initiale, sans doute un peu au-dessus, certes, dans la mesure où la demande d'asile a augmenté de 10 % alors que le budget avait été construit sur une hypothèse d'augmentation des demandes de 4 %. Nous tirons en 2014 les bénéfices du suivi des recommandations de la mission des inspections. Nous avons supprimé les versements indus d'ATA, qui permettront d'économiser près de 13 millions d'euros en année pleine. Cela permettra de faire une économie de 5 millions d'euros sur le projet de loi de finances pour 2013. Pour l'hébergement d'urgence, la tension sur les crédits reste très importante, comme vous l'avez parfaitement souligné. Mais nous avons ouvert deux mille places supplémentaires en CADA pour 2013, mille places supplémentaires seront ouvertes en avril et mille autres encore le seront en décembre. Cela doit soulager l'hébergement d'urgence, mais là encore, la principale inconnue c'est l'évolution des demandes en 2014. S'il y a un dérapage, il y aura un abondement comme lors des années précédentes. Il a été fortement réduit puisqu'il a été de 90 millions d'euros en 2012, mais de 15 millions d'euros en 2013.

Pour l'OFPRA, la directive « procédure » aura un impact très important sur notre système d'asile en raison des nouvelles modalités imposées, notamment pour le déroulement de l'entretien personnel, avec la présence d'un conseil lors de cet entretien, la possibilité d'émettre des commentaires, l'accès à son dossier avant la prise de décision, l'introduction d'un délai de 6 mois encadrant l'instruction de la demande d'asile. L'impact sur les délais d'examen est difficile à évaluer - cela va dépendre du nombre de demandes d'asile - mais cela va diminuer la productivité de l'OFPRA. Il faudra réformer en profondeur notre système d'asile. Dans le cadre de la concertation, un atelier était spécifiquement consacré à l'évaluation et à la mise en oeuvre des procédures au regard de la nouvelle directive. Cela rend d'autant plus pertinente la réorganisation de l'OPRA à laquelle le nouveau directeur général, M. Pascal Brice, s'est attelé depuis un an. Cela rend d'autant plus légitimes les demandes de moyens qu'il formule.

Enfin, je voudrais insister sur un sujet essentiel. Nous avons un hiatus entre ce qui se fait au niveau des instances de l'Union européenne et ce qui se passe dans les pays européens. L'UE veut améliorer, conforter le droit d'asile. La France en est d'accord mais il faut trouver une solution à la mise en cause de ce droit à des fins d'immigration. Cela nécessite une autre organisation. Sinon il y aura un hiatus entre les principes rappelés par l'Union européenne, et auxquels nous adhérons, et la réalité du terrain. Nous n'y arriverons pas et c'est l'asile même qui risque d'être rejeté par nos compatriotes.

Vous avez évoqué la possibilité de fusionner l'OFII et l'OFPRA : je pense qu'il faut être prudent en la matière, car ce sont deux établissements publics aux missions et aux attributions très différentes. La concertation évoquera un certain nombre pistes. Au plan du diagnostic, une multitude d'acteurs agissent en matière d'asile : cette complexité est un facteur de confusion au plan local, il faut arriver à une meilleure articulation et mutualisation des moyens. L'OFPRA a déjà pris des initiatives en la matière en menant des missions dites « foraines » en Lorraine et dans le Rhône. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué les problèmes à Oullins : la question de l'hébergement des 300 demandeurs d'asile albanais s'est posée car la question a été prise en charge par l'OFPRA. En attendant l'examen de leurs demandes d'asile, il faut les loger.

M. Jean-Pierre Sueur, président, rapporteur pour avis. - En effet, pouvoir agir dans les régions est pour l'OFRPRA une voie d'avenir, comme nous l'a rappelé M. Brice.

M. Manuel Valls, ministre. - Vous avez évoqué la question des réfugiés syriens. Vous avez parfaitement décrit la situation. Le président de la République a évoqué, il y a quelques semaines, l'accueil de 500 réfugiés supplémentaires, en lien avec le HCR. J'ai rencontré Antonio Guterres. Nous le ferons soit au titre de la réinstallation, soit au titre de l'aide humanitaire. L'accueil de ces réfugiés est un devoir pour notre pays. Nous avons déjà accueilli 3 700 réfugiés syriens sur le territoire. Mais au regard du nombre très important de réfugiés dans certains pays, en Jordanie, au Liban, en Turquie, la solution doit nécessairement être une solution politique en Syrie permettant un retour des réfugiés au pays. Sinon, cela risque d'entraîner des difficultés supplémentaires. Chaque pays de l'Union européenne doit aussi participer à l'effort général.

À propos de la liste des pays d'origine sûrs, la réflexion sur une évolution des modalités d'établissement de cette liste doit s'intégrer dans la réflexion générale sur le dispositif d'asile. Pour ce qui est des pays européens, et plus particulièrement le Kosovo et l'Albanie qui veulent des partenariats avec l'Union européenne sur les visas, il est nécessaire d'établir des critères juridiques plus sûrs afin d'éviter une nouvelle annulation par le Conseil d'État.

M. Alfonsi m'interroge sur les conditions d'accueil de la famille Dibrani. Le sujet a beaucoup défrayé la chronique, j'ai fait moi-même l'objet de mises en cause tout à fait scandaleuses : entendre parler de « rafle » est insupportable. Je ne souhaite donc pas m'appesantir trop longuement sur le sujet. En deux mots : cette famille a été hébergée en CADA lors de l'examen de sa demande comme le prévoient les lois de la République ; elle aurait dû les quitter, de même que le territoire, une fois déboutée du droit d'asile, ainsi que le prévoient les mêmes lois de la République. Je note à ce propos que cette famille a refusé par deux fois des montants conséquents qui lui ont été proposés au titre de l'aide au retour.

La réforme de l'asile ne sera pas complète si elle ne traite pas la question de l'éloignement des déboutés. C'est une question centrale qu'on ne peut éluder, même si je reconnais que le sujet des reconduites à la frontière est particulièrement difficile.

M. Jean-Pierre Sueur, président, rapporteur pour avis. - Selon les associations, seuls 10 % des déboutés quitteraient effectivement le territoire. Confirmez-vous cette estimation ?

M. Manuel Valls, ministre. - Je ne confirmerai aucun chiffre, mais en tout état de cause c'est un chiffre très bas. Sur le cas de la famille Dibrani, je vous renvoie au rapport de l'Inspection générale de l'administration : quatre autres familles kosovares, qui avaient montré leurs efforts d'intégration, ont été régularisées. Des déboutés du droit d'asile peuvent donc être régularisés.

Mme Esther Benbassa. - Quid de la sanctuarisation de l'école?

M. Manuel Valls, ministre. - À la demande du Président de la République, j'ai publié une circulaire rappelant les principes en la matière : pas d'intervention dans l'enceinte scolaire ou à l'occasion de transports scolaires.

En l'espèce, je me permets de rappeler qu'il n'y a pas eu de « rafle » comme l'ont affirmé certains. Les « rafles » ont été utilisées à un moment bien précis de notre histoire. Nous ne sommes pas sous le gouvernement de Vichy !

Par ailleurs, il n'y a eu aucune intervention des forces de l'ordre dans le bus scolaire comme le montre le rapport de l'Inspection générale de l'administration.

Pour répondre à M. Leconte, l'octroi des demandes individuelles de visa relève du ministère de l'intérieur. Le pilotage de la politique générale est partagé entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'intérieur. Cela fonctionne bien mais il nous faut travailler sur des publics nouveaux : étudiants, hommes d'affaires et touristes.

Sachez que 15 millions d'euros seront débloqués d'ici à 2017 pour améliorer le système d'information visas.

Concernant la fusion de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP), sur laquelle vous m'avez interrogé, je tiens à faire remarquer que ces deux entités ont des missions bien distinctes : la Haute autorité aura la charge des vérification des déclarations patrimoniales et des déclarations d'intérêts des élus et de certains responsables publics, tandis que la CNCCFP procède à un contrôle du respect par chaque parti politique et chaque candidat des règles de financement de la vie publique. Une fusion risquerait d'entraîner une confusion.

En ce qui concerne les sous-préfectures, M. Courtois, le ministère de l'intérieur a élaboré une typologie des arrondissements afin que les missions des sous-préfectures puissent s'adapter à la diversité des territoires autour d'un socle d'attributions communes. Selon les orientations arrêtées par le CIMAP du 17 juillet dernier, il s'agit de maintenir la continuité de la présence de l'État au niveau infradépartemental, mais de manière pragmatique avec le regroupement des services publics au sein des maisons de l'État de façon à permettre une mutualisation des moyens.

Le sous-préfet doit, au niveau du territoire, à travers l'uniforme, incarner l'État. Comme me le disait une députée de Guadeloupe, le sous-préfet est celui qui tend la main - et physiquement même ! Nous devons porter une attention particulière à la gestion des ressources humaines dans les administrations territoriales afin de ne pas mettre en cause l'exercice de missions fondamentales.

Vous m'avez également interrogé sur le système FAETON. Les permis de conduire transitoires F9 produits entre le 19 janvier 2013 et le 15 septembre 2013 seront repris en priorité à partir de 2014. Les conducteurs titulaires de ces permis se sont vus remettre un courrier leur signifiant le caractère temporaire de ces titres. Le processus de reprise de ces 1,6 millions de titres sera industrialisé grâce à la numérisation des pièces constitutives de dossier par le centre technique de numérisation afin de dégager les préfectures de cette tâche. Dès que le processus sera lancé, les usagers seront invités à se présenter en préfecture pour remettre les éléments nécessaires à la fabrication des nouveaux titres plastifiés - photo et signature. On pourra alors procéder à la vérification de ces éléments, notamment au regard des recommandations de lutte contre la fraude. En cas de surcharge des préfectures, il pourra être fait appel à des renforts de vacataires.

Je veux être complet sur la question soulevée par M. Pierre-Yves Collombat. Vous avez bien raison de rappeler que l'été 2013 a été favorable et que l'été 2014 risque de ne pas être aussi clément. Nous devons donc faire preuve de prudence concernant l'affectation des moyens de lutte contre les feux de forêt. La mission principale de la flotte TRACKER est l'attaque des feux naissants dans le cadre du « guet aérien ». Cette stratégie a prouvé son efficacité. Le rapport de mars 2012 du groupe de travail sur le renouvellement de la flotte TRACKER a préconisé qu'il soit remplacé par des AIR TRACTOR qui disposent d'une capacité comparable, d'environ trois tonnes, et d'un bon dispositif de largage. Mais leur vitesse est moins bonne et il demeure une incertitude sur leur utilisation par vent fort. C'est pourquoi une évaluation a été entreprise durant la saison feux 2013. Nous sommes en train de procéder à l'analyse des résultats. En tout cas, nous sommes tenus par l'obligation de pourvoir à la rénovation, l'entretien voire, au besoin, à l'acquisition d'autres moyens. Je pense au CANADAIR ou au DASH, pour un coût plus élevé, ou encore à l'AIR TRACTOR s'il s'avère satisfaisant. La nouvelle base de Nîmes Garons sera un élément important de notre organisation.

Enfin, M. Jean-René Lecerf m'a interrogé sur les transfèrements. Je vous rappelle que les principes et les modalités du transfert au ministère de la justice de l'extraction et du transfèrement des détenus ont été arrêtés en septembre 2010. Le calendrier de la réforme prévoyait une mise en oeuvre sur trois ans avec pour compensation des transferts d'emplois à hauteur de 800 ETP au total.

Si les transferts de missions et d'effectifs ont bien été effectués en 2011 et 2012 de la police et de la gendarmerie vers l'administration pénitentiaire, la mise en oeuvre de la dernière tranche du transfert en 2013 était suspendue dans l'attente du rapport de plusieurs inspections sur le bilan des deux premières années. Ce rapport a été remis à la fin du mois d'octobre de l'année dernière. Il conclut à la nécessité de réenclencher le transfert dans les régions où police et gendarmerie continuent d'assurer les transfèrements. Le ministère de l'intérieur est très favorable à confier cette mission au ministère de la Justice afin d'avoir un traitement harmonisé sur l'ensemble du territoire et concentrer les efforts de la police et de la gendarmerie sur les missions de voie publique. Les deux ministères sont d'accord pour cadencer la reprise de la mission par l'administration pénitentiaire sur la période 2015-2019. Néanmoins se pose la question du volume des effectifs à transférer, que j'espère voire trancher d'ici la fin de l'année.

Mme Assassi évoquait le moral des forces de l'ordre. C'est en effet un sujet ancien, mais auquel nous sommes toujours attentifs.

Mme Esther Benbassa. - Je souhaiterais répondre à M. le ministre en commençant par rappeler l'étymologie du mot « rafle », qui n'existe pas seulement depuis la Seconde guerre mondiale, mais vient de l'allemand « raffen » qui signifie « emporter rapidement ». Je veux également vous lire la définition qu'en donne le Larousse : « opération policière exécutée à l'improviste dans un lieu suspect, en vue d'appréhender les personnes qui s'y trouvent et de vérifier leur identité ».

Je ne suis pas la première à avoir utilisé ce mot. M. Bernard Roman l'a fait avant moi.

Les personnes qui ont connu les rafles racontent comment elles étaient effectuées dans les écoles. Ce mot a été utilisé également pendant la guerre d'Algérie. Il ne renvoie donc pas seulement à la Rafle du Vel'd'hiv.

J'assume donc tout à fait l'usage de ce mot. Si cela vous a vexé, j'en suis désolée, mais la façon dont cette jeune fille a été appréhendée ressemble beaucoup à ce qui se passait lorsqu'on allait appréhender les enfants dans les écoles.

M. Jean-Pierre Sueur, président, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je souhaite m'exprimer sur ce point puisqu'un sujet grave a été abordé. Je suis en désaccord avec Mme Benbassa en l'occurrence et je veux en indiquer les raisons.

Les dictionnaires peuvent renvoyer à quantité de définition, mais si les mots ont un sens, ils ont aussi une histoire. J'ai fondé avec Mme Simone Veil et la fille de Jean Zay le Centre d'étude et de recherche sur les camps d'internement du Loiret pour garder la mémoire de ce qui s'est passé à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. Le mot « rafle » a pris cette signification et porte cette part douloureuse de notre histoire.

On peut avoir tous les débats avec le Gouvernement, mais il est important de ne pas utiliser n'importe quel mot. C'est pourquoi, j'exprime ma solidarité avec le ministre de l'intérieur auquel on ne peut appliquer ce mot lorsqu'il met en oeuvre les lois de la République.

Les mots ont un sens, ils ont un poids, ils ont également une histoire.

Mercredi 13 novembre 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président, puis de M. Patrice Gélard, vice-président -

Nomination de rapporteurs

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous devons nommer un rapporteur sur la proposition de loi n° 81 présentée par Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille tendant à créer des sociétés d'économie mixte contrat. J'ai reçu la candidature de Jacques Mézard.

M. Patrice Gélard. - Le groupe UMP a déposé une proposition identique.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y en a une autre de Daniel Raoul. Ces propositions pourraient, en conséquence, faire l'objet d'un rapport commun par M. Mézard car il semble que les forces de l'esprit se rejoignent.

M. Jacques Mézard est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 81 présentée par MM. Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille et les membres du groupe UDI-UC, tendant à créer des sociétés d'économie mixte contrat, ainsi que des propositions identiques.

M. Jean-Yves Leconte est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 818 présentée par M. Pierre Hérisson et plusieurs de ses collègues, visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage.

M. Antoine Lefèvre est nommé rapporteur de la proposition de loi, présentée par M. del Picchia, tendant à autoriser le vote par Internet pour les Français établis hors de France pour l'élection des représentants au Parlement européen.

Renforcer la lutte contre la contrefaçon - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de M. Michel Delebarre et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 866 (2012-2013), présentée par M. Richard Yung et plusieurs de ses collègues, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (procédure accélérée).

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le texte que nous abordons maintenant concerne des milliers d'emplois.

EXAMEN DU RAPPORT

M. Michel Delebarre, rapporteur. - Je tiens à saluer Richard Yung et Laurent Béteille, qui ont mené au nom de notre commission des travaux d'information en 2010 et 2011, afin d'évaluer la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Laurent Béteille avait ensuite déposé une proposition de loi, dont Richard Yung avait été nommé rapporteur et que notre commission avait adoptée en juillet 2011. Devant être inscrite à l'ordre du jour à l'automne 2011, elle fut finalement retirée. Notre collègue Yung, qui préside depuis cette année le Comité national anti-contrefaçon, a déposé une nouvelle proposition de loi en septembre dernier, avec le soutien du Gouvernement, en particulier de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, particulièrement attachée à la lutte contre le fléau de la contrefaçon. Moi aussi, contrefacteur d'un jour, je reprends la responsabilité d'une initiative préparée par d'autres...

La contrefaçon est aujourd'hui un fléau protéiforme. Ce fléau économique, pour nos entreprises et nos emplois, pour le savoir-faire français, coûte environ 35 000 emplois par an à la France. Selon l'OCDE, son impact financier mondial s'élèverait à 250 milliards de dollars. Certains avancent même le chiffre de 1 000 milliards. En tout cas, son effet est lourd et massif.

La contrefaçon s'est nettement amplifiée et internationalisée ces dernières années, avec le développement du commerce mondial, en particulier avec les pays émergents. Je ne veux citer aucun pays, mais la plupart des pays d'origine des marchandises contrefaisantes seraient à l'est de la France, plus ou moins loin. Ces flux internationaux de contrefaçon semblent de plus en plus en lien avec des organisations criminelles transnationales, qui trouvent là un trafic bien plus rentable et bien moins risqué pénalement et financièrement que le trafic de drogue par exemple. La contrefaçon pose aujourd'hui un problème de criminalité organisée.

Les marchandises concernées se sont considérablement diversifiées. Autrefois tolérée, car abordée à travers le seul prisme des produits de luxe, la contrefaçon porte aujourd'hui d'abord sur des pièces détachées automobiles, des médicaments, des produits cosmétiques, des éléments de construction pour le bâtiment ou encore des jouets. Elle représente désormais une menace pour la sécurité et la santé des consommateurs. De fausses plaquettes de frein peuvent provoquer un accident, un faux médicament peut être un remède pire que le mal.

Cette proposition de loi rend notre législation plus efficace dans la lutte contre la contrefaçon, qui s'effectue largement par l'action civile des entreprises lésées, qui cherchent à obtenir réparation, la voie pénale étant moins souvent employée. L'action des services des douanes, qui s'exerce dans un cadre communautaire précis, est primordiale. La proposition de loi adapte donc les mécanismes civils existant dans le code de la propriété intellectuelle et renforce les moyens d'action et de contrôle des douanes. Elle comporte aussi quelques dispositions pénales.

Cette proposition de loi ne constitue pas une vaste réforme de la législation, déjà opérée par la loi du 29 octobre 2007. Elle apporte une série d'adaptations et d'ajustements au regard de la pratique constatée, ainsi qu'une mise en cohérence des dispositifs régissant la protection des différentes catégories de droit de propriété intellectuelle : le droit d'auteur et les droits voisins, pour la propriété littéraire et artistique, et les droits en matière de dessins et modèles, de brevets, de marques, d'obtentions végétales et d'indications géographiques pour la propriété industrielle. Le texte reprend entièrement celui de la proposition de loi de Laurent Béteille que notre commission avait adoptée en juillet 2011, avec quelques ajouts.

La proposition de loi prévoit de renforcer la spécialisation du TGI de Paris en matière de propriété intellectuelle, en lui confiant à titre exclusif le contentieux des indications géographiques. Il faut préférer à cette disposition injustifiée le renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle et de contrefaçon. Depuis 2009, le TGI de Paris est seul compétent en matière de brevets, tandis qu'un nombre limité de TGI sont compétents pour le contentieux des autres droits de propriété industrielle.

Le texte améliore les dédommagements civils. Depuis la loi de 2007, pour fixer le montant des dommages et intérêts, le juge doit considérer les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte. La proposition de loi, plus précise, indique que le juge prend en compte distinctement ces trois critères et ajoute que les bénéfices réalisés par le contrefacteur peuvent comprendre les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels qu'il a retirées de la contrefaçon.

Si le juge estime que les sommes qui en découlent ne réparent pas l'intégralité du préjudice subi par la partie lésée, il peut ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par l'atteinte aux droits au profit de la partie lésée, de façon à éviter que la faute reste lucrative.

Ajoutée au troisième chef de préjudice qui va déjà au-delà du strict droit de la réparation, mais qui existe depuis 2007, cette disposition s'apparente à des dommages et intérêts punitifs, notion américaine qui consiste à fixer un montant de dommages et intérêts supérieur au préjudice réellement subi par la personne lésée, dans le but de punir le responsable du préjudice. Serait alors à craindre l'extension d'un tel mécanisme en droit français de la responsabilité. Même les représentants des entreprises y sont hostiles. Je vous proposerai de clarifier une rédaction dont la portée juridique paraît bien incertaine. Il est déjà possible de prendre en compte les bénéfices réalisés par le contrefacteur pour évaluer le préjudice, de façon à ce que la faute ne soit pas lucrative. Sur ce point, il faut aussi distinguer bénéfices et chiffre d'affaires.

Alain Anziani et Laurent Béteille, dans leur rapport d'information de 2009 sur la responsabilité civile, avaient envisagé des dommages et intérêts punitifs d'un montant limité afin de mieux sanctionner la faute lucrative dans certains contentieux spécialisés. La contrefaçon en fait partie, car le contrefacteur, même sanctionné civilement au versement de dommages et intérêts, peut tout de même retirer un bénéfice de la contrefaçon. Les dommages et intérêts punitifs apporteraient cependant un grand bouleversement à notre droit civil. En matière de faute lucrative, il serait envisageable d'explorer la voie de l'amende civile pour récupérer l'éventuel chiffre d'affaires indu, mais au bénéfice du Trésor public, la partie lésée ayant de toute façon obtenu réparation par le montant normal des dommages et intérêts destinés à réparer intégralement, mais uniquement, le préjudice subi. Cela mériterait toutefois un examen plus approfondi.

Différentes procédures prévues par le code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon sont améliorées : droit à l'information, droit de la preuve, procédure de saisie-contrefaçon. Ces dispositions n'appellent pas d'observations significatives.

Les moyens d'action des douanes sont renforcés. La proposition de loi harmonise la procédure de retenue douanière pour les différents droits de propriété intellectuelle, en conformité avec le droit communautaire. Elle autorise plus largement les douanes à mener des opérations d'infiltration en matière de contrefaçon, et facilite la constatation de l'infraction de contrefaçon, en permettant aux douanes de solliciter un vendeur, selon la technique dite du « coup d'achat » ; ces deux dispositifs comportent une exonération de responsabilité pénale pour les agents des douanes.

L'accès des douanes à l'ensemble des locaux, qui n'existe que pour la Poste, est étendu à l'ensemble des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Le texte permet aussi aux douanes d'accéder aux locaux à usage d'habitation qui sont à l'intérieur de locaux professionnels, avec l'autorisation de l'occupant. Sans autorisation, il faudra comme aujourd'hui solliciter une autorisation du juge des libertés et de la détention.

L'article 13 prévoit le transfert aux douanes, par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, de toutes leurs données relatives à l'identification des expéditeurs, des destinataires et des marchandises transportées dans les colis. Cette obligation existe en droit communautaire, pour le contrôle des colis de provenance extracommunautaire. Là, tous les colis seraient visés. Les douanes souhaitent des traitements automatisés de ces données, à partir de critères de risque, pour cibler leurs contrôles. Elles invoquent le développement du commerce électronique, à partir de l'étranger notamment, et le fait que des marchandises illicites peuvent se glisser discrètement dans la myriade des colis transportés. J'ai demandé au Gouvernement de poursuivre un dialogue technique avec les expressistes. Ces derniers sont, contrairement à la Poste, très hostiles à cette nouvelle obligation, qui représenterait un coût et pourrait créer selon eux des distorsions de concurrence avec les autres États de l'Union européenne.

Se pose aussi la question de l'atteinte à la vie privée et aux données personnelles et de sa proportionnalité à l'objectif de contrôle poursuivi, ce dans le contexte particulier du secret des correspondances. Le Conseil constitutionnel est très sensible à ces questions, comme l'a montré sa décision sur les fichiers d'identité biométriques. J'attends une appréciation de la CNIL. À ce stade, je propose d'adopter cette disposition en l'état, sachant que le dispositif a été encadré par les garde-fous habituels en matière de fichiers. Au vu de mes auditions, c'est dans la proposition de loi le second sujet le plus controversé, avec la question des dommages et intérêts punitifs.

Les délais de prescription en matière de propriété intellectuelle sont alignés sur le délai de droit commun de cinq ans, fixé en 2008. La proposition de loi étend les effets de la réforme de la prescription en matière civile, initiée par le président Jean-Jacques Hyest.

Enfin, des dispositions éparses de modeste importance, notamment en matière pénale, figuraient déjà dans le texte de 2011. Il est prévu d'aggraver les sanctions pénales encourues en matière de contrefaçon lorsque celle-ci porte sur des produits présentant un danger sur la santé ou la sécurité : on passerait de trois à cinq ans de prison et de 300 000 à 500 000 euros d'amende.

Nous nous plaçons dans la continuité de nos propres pas, ainsi je vous proposerai un nombre limité d'amendements. Nous devons être cohérents avec ce que nous avons déjà adopté en 2011. Le Gouvernement présentera quelques amendements, assez volumineux, visant à tirer les conséquences de l'adoption de textes européens récents : le nouveau règlement du 12 juin 2013 concernant le contrôle par les douanes du respect des droits de propriété intellectuelle, et sans doute les textes relatifs à la juridiction unifiée du brevet, adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée. Sous réserve des amendements que nous allons examiner, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi particulièrement bienvenue, qui n'a que trop attendu d'être examinée par le Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Tel Mercure, vous nous annoncez des amendements volumineux du Gouvernement. Il serait judicieux qu'il nous en donne connaissance à temps.

M. François Pillet. - Cette proposition et les amendements du rapporteur mettent en valeur la cohérence du travail du Sénat, qui doit être saluée.

J'apprécie sa remarque sur la spécialisation du TGI de Paris, dont l'on a tendance à croire qu'il peut résoudre tous les problèmes spécifiques : il ne s'agit pas d'une affaire de compétence géographique, mais de compétence des magistrats. Le tribunal de Paris a des chambres très pointues, comme celle sur la presse ; toutefois, la chambre spécialisée en matière fiscale fait-elle mieux la jurisprudence que le TGI de Tulle ? Je ne vois pas bien ce qui justifierait une compétence particulière sur les indications géographiques.

Nous avons tort de recréer ce qui existe déjà. En précisant, on complexifie. Protéger les victimes par une saisie préalable du chiffre d'affaires dû à la contrefaçon est sans doute une excellente idée certes, mais je m'interroge sur l'intérêt de préciser ce mécanisme, alors que nous disposons de la saisie conservatoire. Ne rajoutons pas du droit au droit - saisie sur saisie ne vaut. Il y a des textes généraux, que les magistrats peuvent appliquer. Je conserve un souvenir peu glorieux de certains textes que nous avons pu adopter malgré l'existence de dispositions antérieures, sur les manèges dangereux ou sur les chiens dangereux.

Enfin, nous ne devons pas, pour lutter contre certaines déviances, heurter des droits fondamentaux, qui sont prioritaires, s'agissant notamment des prérogatives des douanes.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je remercie Richard Yung et Michel Delebarre. Ce texte très attendu par les entreprises met en valeur le travail de la Haute assemblée, ce qui doit nous rassembler pour lutter contre ce fléau. Nous soutiendrons ce rapport.

M. Alain Anziani. - Le travail du rapporteur est remarquable. Avec Laurent Béteille, nous avions introduit les notions anglo-saxonnes de faute lucrative et de dommages et intérêts punitifs parce que, malgré les dispositions civiles et pénales, le contrefacteur s'enrichit toujours.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Avec cynisme, des contrefacteurs considèrent que les amendes seront très inférieures à leur enrichissement.

M. François Pillet. - Il faut en rester au strict préjudice. La pénalité doit revenir dans les poches de l'État : on ne va pas enrichir la victime d'un préjudice subi par l'État.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - Nous définissons trois catégories de domaines où le juge peut prendre position, mais il est de sa responsabilité de punir de façon significative le contrefacteur. Ce n'est pas à l'occasion de ce texte particulier que nous devons trancher le débat sur les dommages et intérêts punitifs. Notre idée, si nous prenions une décision, serait que l'amende aille au Trésor public. Cette question mérite un débat plus large.

Pour répondre à M. Pillet, la saisie conservatoire est la procédure la plus souvent appliquée. Nous n'avons pas fait référence au chiffre d'affaires, pour éviter les inconvénients décrits par M. Pillet.

EXAMEN DES ARTICLES

Division additionnelle avant le chapitre Ier

Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 3 indique que la reproduction par un agriculteur de semences de ferme pour les besoins de son exploitation agricole ne constitue pas une contrefaçon. C'est un amendement fondamental : il faut limiter la protection des brevets pour tout ce qui concerne le vivant et la chaîne alimentaire.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - Il me semble que cette question a été tranchée avec la loi du 8 décembre 2011 sur les obtentions végétales, sur laquelle je propose de ne pas revenir. Nous pourrons avoir ce débat à l'occasion du projet de loi sur l'avenir de l'agriculture.

Mme Hélène Lipietz. - Je maintiens notre amendement.

M. Jean-Jacques Hyest. - Nous y sommes opposés.

L'amendement n° 3 est rejeté.

Article additionnel avant le chapitre Ier

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Même vote pour l'amendement n° 4 ?

M. Jean-Jacques Hyest. - Cet amendement est dangereux. Prenons l'exemple de l'obtention des rosiers. Si elle n'est pas protégée, que feront les rosiéristes ?

Mme Hélène Lipietz- Je reprendrai l'écriture de cet amendement.

L'amendement n° 4 est retiré.

Article 1er

L'amendement n° 5 est adopté.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 6 supprime la spécialisation exclusive du TGI de Paris en matière d'indications géographiques.

M. Jean-Jacques Hyest. - Nous avons prévu des spécialisations partielles. En spécialisant trop, on risque de centraliser. Il est nécessaire d'avoir à traiter un nombre minimum d'affaires, de manière à avoir une compétence permanente.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - Une dizaine de tribunaux sont compétents en matière de propriété intellectuelle.

L'amendement n° 6 est adopté.

Article 2

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 7 modifie le mode de fixation des dommages et intérêts en matière de contrefaçon, dans le sens que j'ai indiqué dans mon intervention.

L'amendement n° 7 est adopté, ainsi que l'amendement n° 8.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 1 du Gouvernement est satisfait par l'amendement n° 7 que nous venons d'adopter.

L'amendement n° 1 est satisfait.

Article 4

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 9 ouvre la possibilité de saisir le juge à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon pour demander des mesures d'instruction. C'est du bon sens.

M. Jean-Jacques Hyest. - « Agir en contrefaçon », ce n'est pas très joli.

M. Michel Delebarre, rapporteur. - C'est dans le code...

L'amendement n° 9 est adopté.

Article 5

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 10, qui précise la portée de la mainlevée en matière de saisie-contrefaçon, doit être rectifié : le dernier alinéa concerné n'est pas l'alinéa 12, mais l'alinéa 13.

L'amendement n° 10 est adopté.

Article 6

M. Michel Delebarre, rapporteur. - Je retire l'amendement n° 11, qui prenait en compte les critères fixés par l'arrêt Nokia de la Cour de justice de l'Union européenne pour encadrer le contrôle des marchandises en transbordement sur le territoire de l'Union. Le Gouvernement essaie en effet d'obtenir une modification de ces règles au niveau européen.

L'amendement n° 11 est retiré.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 15

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 12 précise le texte au bénéfice des douanes. Je vous propose de le rectifier, sur la suggestion du Gouvernement : « usage privatif » est en effet préférable à « usage d'habitation », trop restrictif.

L'amendement n° 12 ainsi rectifié est adopté.

Article additionnel après l'article 16

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 13 crée une obligation de formation continue pour la profession de conseil en propriété intellectuelle.

L'amendement n° 13 est adopté.

Article 20

M. Michel Delebarre, rapporteur. - L'amendement n° 14 ajuste les dispositions relatives à l'application de la loi dans les collectivités d'outre-mer.

L'amendement n° 14 est adopté.

Mme Hélène Lipietz. - Je m'abstiendrai sur l'ensemble.

L'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Division(s) additionnelle(s) avant chapitre 1er

Mme LIPIETZ

3

Droits de propriété intellectuelle attachés aux semences de ferme

Rejeté

Article(s) additionnel(s) avant chapitre 1er

Mme LIPIETZ

4

Rémunération des droits de propriété intellectuelle attachés à la sélection des animaux et végétaux à des fins agricoles

Retiré

Article 1er
Clarification de la spécialisation du TGI de Paris en matière de brevets
et spécialisation exclusive en matière d'indications géographiques

M. DELEBARRE, rapporteur

5

Précision rédactionnelle

Adopté

M. DELEBARRE, rapporteur

6

Suppression de la spécialisation exclusive du tribunal de grande instance de Paris en matière d'indications géographiques

Adopté

CHAPITRE II
Dispositions relatives à l'amélioration des dédommagements civils

Article 2
Amélioration des dédommagements civils en cas de contrefaçon

M. DELEBARRE, rapporteur

7

Suppression de la confiscation des recettes tirées de la contrefaçon en matière de propriété industrielle

Adopté

M. DELEBARRE, rapporteur

8

Cohérence avec le droit en vigueur

Adopté

Le Gouvernement

1

Confiscation des recettes tirées
de la contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique

Satisfait ou sans objet

CHAPITRE IV
Dispositions relatives au droit de la preuve

Article 4
Harmonisation de la procédure de saisie-contrefaçon et des procédures connexes
pour tous les droits de propriété intellectuelle

M. DELEBARRE, rapporteur

9

Ouverture à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon de la possibilité de demander des mesures d'instruction

Adopté

Article 5
Remplacement de l'annulation de la saisie-contrefaçon par la mainlevée
en l'absence d'action civile ou pénale du saisissant

M. DELEBARRE, rapporteur

10

Clarification des effets de la mainlevée prononcée par le juge dans le cas d'une saisie-contrefaçon

Adopté

CHAPITRE V
Renforcement des moyens d'action des douanes

Article 6
Clarification du régime des utilisations interdites des droits de propriété intellectuelle
à défaut de consentement de leur titulaire

M. DELEBARRE, rapporteur

11

Mise en conformité du droit français avec la jurisprudence « Nokia » de la Cour de justice de l'Union européenne

Retiré

Le Gouvernement

2

Cohérence rédactionnelle

Adopté

Article 15
Accès des douanes aux locaux d'habitation attenant à des locaux professionnels à des fins de contrôle

M. DELEBARRE, rapporteur

12 rect.

Clarification rédactionnelle

Adopté

CHAPITRE VI
Dispositions diverses

Article(s) additionnel(s) après Article 16

M. DELEBARRE, rapporteur

13

Obligation de formation continue pour la profession de conseil en propriété industrielle

Adopté

CHAPITRE VII
Dispositions finales

Article 20
Application de la proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie

M. DELEBARRE, rapporteur

14

Clarification et correction
d'erreurs de références

Adopté

Loi de finances pour 2014 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis

Puis la commission examine le rapport pour avis de M. Michel Delebarre sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Pouvoirs publics »).

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis. - Notre commission présente depuis deux ans un avis sur la mission « Pouvoirs publics », qui regroupe les crédits de la présidence de la République, des assemblées parlementaires, des chaînes parlementaires, du Conseil Constitutionnel, de la Haute Cour et de la Cour de justice de la République. Elle ne comporte pas de programmes, mais assure, comme le précise le Conseil Constitutionnel, « la sauvegarde du principe d'autonomie des pouvoirs publics concernés, lequel relève du respect de la séparation des pouvoirs. »

À l'exception de la chaîne Public Sénat, toutes les dotations sont diminuées ou reconduites en euros courants. Celle de la présidence de la République sera de 101 660 000 euros (- 2 %), se rapprochant ainsi de l'objectif de moins de 100 millions en 2015. Ses effectifs ont diminué de 17 % en quatre ans et elle a fait une meilleure application des règles de la commande publique. Elle a même vendu, pour la première fois, 1 200 bouteilles de sa cave à vin.

Reconduites en euros courants, les dotations de l'Assemblée nationale (517 890 000 euros) et du Sénat (323 584 600 euros) ne couvrent pas leurs dépenses, ce qui les contraindra à des prélèvements sur leurs ressources propres. Les deux chambres compenseront toutefois la hausse de leurs dépenses d'investissement par des économies de fonctionnement.

La dotation de la Chaîne parlementaire augmente de 2,06 % avec 35 210 162 euros en raison de la hausse de 4 % de celle de Public Sénat, portée à 18 569 000 euros, celle de LCP-AN étant reconduite à 16 641 162 euros. Il ne s'agit pas de moyens supplémentaires, mais d'une redéfinition du rapport de la chaîne à l'institution, avec la revalorisation des loyers pour les locaux qu'elle occupe au Palais du Luxembourg, et la suppression des mises à disposition gratuite de fonctionnaires.

Les crédits du Conseil constitutionnel, à 10 776 000 euros, baissent de 1,03 %, malgré la poursuite du chantier de rénovation des locaux et le triplement de l'activité depuis la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La dotation de la Cour de justice de la République (866 600 euros) diminue de 6 %, grâce notamment à la renégociation de son bail locatif, que nous avions souhaitée dans les rapports précédents. Il n'y a pas de crédits pour la Haute Cour, en l'absence de réunion prévisible, ni pour les indemnités des représentants français au Parlement européen, directement prises en charge par ce dernier, rendant d'ailleurs cette dotation inutile.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 10 décembre 2009 ont mis en place à compter du 1er mars 2010 la QPC, définie ainsi par l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » Entre la première décision rendue le 28 mai 2010 et le 19 juillet 2013, 332 décisions issues d'une QPC ont été rendues, soit cinq fois plus que les 67 décisions résultant d'une saisine a priori du Conseil. Si l'on exclut les deux premières années que l'engouement pour la nouvelle procédure rend non représentatives, le Conseil rend 70 à 80 décisions par an, dans un délai de deux mois et trois semaines - donc inférieur au délai de trois mois prévu par la loi organique - grâce à la limitation des plaidoiries à quinze minutes, au refus systématique des reports d'audience, etc. Sur 1 684 QPC soulevées devant les juridictions 20 % (soit 348) ont été renvoyées au Conseil, grâce à un filtre efficace sans constituer un obstacle insurmontable. Parmi ces QPC, 55 % ont donné lieu à une déclaration de conformité totale, 13 % à une conformité avec réserve d'interprétation, 17 % à une non-conformité totale et 9 % à une non-conformité partielle, les 6 % restant correspondant à des non-lieux à statuer.

Le nombre important de décisions n'a pas entraîné d'insécurité juridique particulière : les non-conformités demeure limitées (49 sur 332), et pour la moitié d'entre elles (23), le Conseil a usé de la faculté de moduler dans le temps les effets de sa décision, conformément à l'article 62 : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Le Parlement a ainsi eu à se prononcer en matière de garde à vue sur les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale, censurés mais avec une modulation dans le temps de onze mois de l'application de cette décision. Le décalage a été d'un an et demi pour l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire, qui fixait la composition du tribunal pour enfants et portait atteinte au principe d'impartialité des juridictions. Il a été de quatorze mois pour l'article 800-2 du code de procédure pénale, relatif aux frais irrépétibles, qui portait atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal.

Ce délai est sécurisant, même s'il conduit souvent le Parlement à légiférer dans des délais restreints. En effet, ce décalage n'est pas possible, en raison des principes de non-rétroactivité de la loi pénale plus dure et de rétroactivité de la loi pénale plus douce, lorsque le Conseil traite de la définition des infractions, comme lors de la censure de l'article 222-33 du code pénal définissant le délit de harcèlement sexuel, après laquelle le législateur a dû adopter rapidement la loi du 6 août 2012.

L'activité du Conseil constitutionnel a triplé depuis 2010, tandis que sa dotation diminue chaque année depuis 2008 avec une baisse totale de 13,2 %. Il conviendrait sans doute, pour les exercices suivants, que ce budget puisse être pérennisé.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie pour votre présentation du budget d'institutions de la République qui ne sont pas quantité négligeable, comme pour votre approche thématique.

M. Jean-Jacques Hyest. - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Cette analyse de la QPC pourra être utile. Avec votre sens politique aigu, vous aurez relevé que, nonobstant une activité en hausse, le Conseil constitutionnel réalise des économies : cela ne manquera pas de susciter son intérêt pour les travaux du Sénat et notamment pour le résultat des commissions mixtes paritaires...

M. Jean-Jacques Hyest. - Ce sujet, toujours passionnant, aura bénéficié de l'analyse du rapporteur. Il est de tradition de voter ces crédits : nous n'allons pas nous ridiculiser en refusant de voter ceux de l'Élysée parce que nous n'aimons pas le président... Nous constatons d'ailleurs qu'ils s'améliorent depuis plusieurs années - un député s'occupe de ces questions avec persévérance.

La pratique du Conseil constitutionnel n'est malheureusement pas toujours suivie par la Cour de cassation, qui réclame une application immédiate de ses décisions, comme pour la garde à vue. Son interprétation des principes constitutionnels bloque parfois des QPC de manière préoccupante. J'avais d'ailleurs pris une initiative sur ce thème ; il sera peut-être temps de la reprendre.

M. Alain Richard. - Il serait utile de dresser un tableau des QPC afin de dégager un critère jurisprudentiel selon lequel le Conseil accorde ou non un délai. Ce serait une boussole utile. Le budget de la plupart de ces institutions est stable en euros courants depuis plusieurs années, ce qui signifie une baisse de trois ou quatre fois l'inflation annuelle. Il serait judicieux de savoir quelles dépenses ont été réduites. Celles de personnel ? C'est ce qui est le plus facile pour des institutions indépendantes du pouvoir exécutif, qui comptent très peu de fonctionnaires permanents et peuvent jouer sur les contractuels. Ont-elles diminué le montant unitaire des contrats ? Ont-elles remplacé des temps pleins par des temps partiels ? Ou bien ont-elles renoncé à des missions, ce qui n'est pas forcément illégitime ? Le Conseil constitutionnel étant soumis à une saisonnalité, il s'appuie sur les vacations de fonctionnaires d'autres administrations - c'est pourquoi nous avons buté sur la vérification des signatures pour les pétitions référendaires.

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis. - Autre point : ses dépenses diminuent si l'un de ses membres ne siège plus.

Mme Hélène Lipietz. - Y a-t-il baisse de la rémunération des anciens présidents de la République qui ne siègent pas ?

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis. - Le coût des membres du conseil était de 1 889 653 euros en 2009, de 1 948 000 en 2013 et de 1 888 000 en 2014, principalement du fait de la suppression d'une partie des frais relatifs aux membres de droit qui ne siègent pas.

M. Patrice Gélard. - C'est une diminution partielle. Il faudra un jour sortir de l'anomalie que constitue le fait que les anciens présidents de la République siègent au Conseil constitutionnel. Par trois fois, j'ai déposé des propositions de loi constitutionnelle en ce sens...

M. Jean-Jacques Hyest. - On nous avait même reproché de l'avoir votée en 2008 !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il faut persévérer !

M. Patrice Gélard. - Je déplore également que le Conseil constitutionnel ne dote pas ses membres de conseillers référendaires. La seule aide dont ils disposent est son secrétariat général, qui n'est pas un organe neutre.

M. Alain Richard. - Comment cela ?

M. Patrice Gélard. - Il a la vision du Conseil d'État !

M. Alain Richard. - Comme tout bon juriste...

M. Patrice Gélard. - Il faudrait combler certaines lacunes : comme nous l'avions proposé à l'époque, les QPC devraient pouvoir être déposées directement par des membres du Parlement, selon la technique des soixante signatures, par exemple, pour limiter des excès ; le filtre de la Cour mériterait qu'on l'examine, contrairement à celui du Conseil d'État. Je déplore que nous ayons trois juges suprêmes, en particulier pour l'interprétation des traités : réserver le contrôle de conventionalité et de constitutionnalité au Conseil constitutionnel préserverait l'unité de notre droit. Cela fera l'objet d'une ou plusieurs propositions de loi constitutionnelle.

M. Hugues Portelli. - Jamais votées...

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je ne saurais trop vous encourager à en déposer!

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la mission « Pouvoirs publics ».

Exercice du droit d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants - Examen du rapport et du texte proposé de la commission

La commission examine le rapport de M. Jean-Yves Leconte et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 118 (2013-2014), transposant la directive 2013/1/UE du Conseil du 20 décembre 2012 modifiant la directive 93/109/CE en ce qui concerne certaines modalités de l'exercice du droit d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants (procédure accélérée).

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Les citoyens européens peuvent participer aux élections européennes et municipales depuis le traité de Maastricht, ce que la directive du 6 décembre 1993, transposée par la loi du 5 février 1994, a concrétisé pour les élections européennes. Le rapporteur de cette loi, notre ancien collègue Pierre Fauchon, y voyait la première consécration d'un droit de vote à des non-nationaux sur le territoire français et la première manifestation tangible de la citoyenneté de l'Union instituée par le traité.

À l'origine, le traité de Rome prévoyait une « procédure uniforme » pour les élections européennes au suffrage universel direct depuis l'acte de 1976, mais elles ne sont encore régies que par un socle minimal de règles communes : durée du mandat, caractéristiques du vote et, depuis 2002, scrutin proportionnel. Les autres règles relèvent de la législation des État membres : jour du scrutin, nombre maximal de tours, fixation du nombre et des limites des circonscriptions, financement de la campagne électorale, âge minimal pour voter ou déposer sa candidature, définition du corps électoral - contrairement aux Polonais ou aux Français, les Britanniques résidant dans un pays non membre de l'Union n'ont ainsi pas le droit de vote.

Chez nous, les candidats non Français doivent déposer une « attestation des autorités compétentes de l'État dont il a la nationalité certifiant qu'il n'est pas déchu du droit d'éligibilité dans cet État ou qu'une telle déchéance n'est pas connue desdites autorités. » La France fait une application rigoureuse de la directive, ce qui aboutit à des situations aberrantes dans lesquelles la France exige du candidat une attestation de son État, alors que, dans ce pays, c'est la collectivité territoriale qui est compétente pour l'établissement des listes électorales. Si, en 2009, 15 candidats non européens se sont présentés sans encombre, un certain nombre en 2004 se sont vu refuser la candidature à cause de justificatifs jugés insuffisants.

Partant de ce constat, la directive du 20 décembre 2012 facilite l'exercice du droit d'éligibilité. Le délai pour la transposer s'achève au 28 janvier 2014 ; trois États (Pays-Bas, Irlande, Finlande) s'en sont déjà acquittés. Le projet de loi dont l'objet se limite à cette transposition remplace l'attestation par une déclaration sur l'honneur, met en place une procédure d'échanges d'informations entre l'État de résidence et l'État d'origine, qui doit répondre dans le délai de cinq jours ouvrables, et prévoit deux mesures de conséquence : le candidat peut être écarté avant l'élection par le ministre de l'intérieur s'il est inéligible et remplacé par les autres candidats de la liste si le délai limite de dépôt des candidatures n'est pas expiré ; après l'élection, le candidat est déchu de son mandat par décret. Par coordination, le projet de loi avance d'une semaine le délai de dépôt des candidatures et allonge de deux jours celui de remise du récépissé définitif de dépôt.

L'Assemblée nationale a adopté ce texte à l'unanimité le 31 octobre 2013, avec deux modifications adoptées en commission à l'initiative du rapporteur, Pascal Popelin. Ce texte rapproche à bon droit les formalités requises pour les élections européennes et municipales. Compte tenu de la date prévue des prochaines élections européennes auxquelles ces modifications s'appliqueront, l'adoption conforme du texte me semble souhaitable.

M. Alain Richard. - Je suis tout prêt à suivre le rapporteur. Toutefois, si une inéligibilité est constatée juste avant les élections, la désignation du remplaçant dans des délais très courts par l'ensemble de la liste me semble difficile. La tête de liste ne devrait-elle pas plutôt s'en charger ?

M. Philippe Bas. - Absolument !

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Le texte reprend la formule applicable en cas de décès d'un candidat avant la clôture du dépôt des candidatures. Votre observation est judicieuse. J'attire votre attention que si vous portez cet amendement en séance et qu'il est adopté, le texte ne sera pas adopté conforme, ce qui occasionnerait une commission mixte paritaire.

Le projet de loi est adopté sans modification.

Loi de finances pour 2014 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Bernard Saugey sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Relations avec les collectivités territoriales »).

M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis. - La mission « Relations avec les collectivités territoriales », dotée de 2,64 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 2,59 milliards d'euros en crédits de paiement, ne représente que 2,6 % des 100,7 milliards d'euros de transferts financiers de l'État en faveur des collectivités territoriales, qui comprennent également les autres concours inclus dans l'enveloppe normée, ceux qui ne le sont pas, les dégrèvements et compensations ainsi que les transferts de fiscalité. Cela mériterait un effort de clarification.

Après trois années de gel en valeur de ces concours financiers, les prélèvements sur recettes dont les collectivités territoriales bénéficient devraient diminuer de 1,5 milliards d'euros en 2014 puis de 1,5 milliard d'euros supplémentaires en 2015.

Le Pacte de confiance et de responsabilité, signé par l'État et les associations nationales d'élus, définit les conditions d'association des collectivités à cet effort de redressement des finances publiques à la suite des travaux lancés par le Premier ministre en mars dernier et confiés au Comité des finances locales. La baisse des dotations budgétaires de l'État est concentrée sur la dotation générale de fonctionnement (- 3,4 %), mais répartie entre les trois niveaux de collectivités au prorata de leurs recettes totales : 840 millions d'euros pour le bloc communal qui supporterait 56 % de cette baisse, 476 millions d'euros pour les départements, soit une baisse de 32 % de leurs dotations et 184 millions d'euros pour les régions correspondant à une baisse de 12 % de leurs dotations. Cette diminution est cependant compensée en partie : les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties perçue par départements, EPCI et communes, soit 827 millions d'euros actuellement retenus par l'État, seraient transférés aux départements pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH), le revenu de solidarité active (RSA), selon des critères de répartition qui seront précisés par un groupe de travail entre l'État et l'Assemblée des départements de France. Les régions verraient également leur autonomie fiscale renforcée dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage avec 901 millions de recettes supplémentaires. La péréquation verticale serait renforcée en faveur du bloc communal avec 109 millions d'euros supplémentaires : 60 millions d'euros pour la dotation de solidarité urbaine, soit une hausse de 4 % par rapport à 2013, 39 millions d'euros pour la dotation de solidarité rurale correspondant à une hausse de 4 % et 10 millions d'euros pour la dotation nationale de péréquation, soit une hausse de 1,3 %. Le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) passerait de 360 millions à 570 millions d'euros et le Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) de 230 millions à 250 millions d'euros. La péréquation des départements augmenterait également de 10 millions d'euros.

Le fonds de soutien relatif aux emprunts structurés devrait permettre aux collectivités territoriales de refinancer une partie de l'indemnité de remboursement anticipé des emprunts sensibles, ou financer, pour une durée limitée, une partie des intérêts. Il serait abondé de 100 millions d'euros par an pendant quinze ans maximum, non par les collectivités mais, pour moitié, par des ressources fiscales assises sur le secteur bancaire et, pour moitié, par une contribution de l'État.

Les difficultés d'accès au financement des collectivités sont en voie d'être résolues grâce à l'Agence France locale. Mise en place le 22 octobre 2013 à l'initiative d'onze collectivités territoriales et de plusieurs associations nationales d'élus, elle proposera des crédits de long terme à taux fixe ou à taux variable, ou même à court terme ; les premières émissions devraient être lancées au dernier trimestre 2014.

Félicitons-nous de l'adoption de la proposition de loi de Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur qui vise à créer le Conseil national d'évaluation des normes à la compétence et au pouvoir plus importants que l'actuelle commission consultative d'évaluation des normes. Selon Anne-Marie Escoffier, cette nouvelle instance devrait être mise en place le 1er janvier 2014.

Enfin, le droit européen de la concurrence a fortement modifié le champ de l'intervention de l'ingénierie publique et les modalités d'intervention des services de l'État dans le cadre de l'Assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT). La révision générale des politiques publiques (RGPP) a également recentré ces missions autour d'un pôle d'expertise plutôt que sur un rôle de prestataire de services. Le projet de loi de finances pour 2014 propose que l'ATESAT disparaisse le 1er janvier 2014. Il ne me semble pas que cette disparition ait fait l'objet d'une concertation... Bien que le département soit chef-de-file en matière de solidarités territoriales, ce niveau n'apparaît pas toujours adapté et son rôle est parfois perçu comme une tutelle par les autres collectivités. Or, les intercommunalités ont également mis en place des dispositifs d'aide aux communes les plus faibles. Il me semble donc préférable de laisser à chaque territoire le soin de choisir le dispositif le plus pertinent et de faire confiance à l'intelligence territoriale.

M. René Vandierendonck. - Tout à fait !

M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis. - Le report d'une année de la disparition de l'ATESAT donnerait aux collectivités le temps de s'adapter aux nouvelles règles et aux départements et EPCI les moyens de répondre à la demande.

Après ces observations, je m'en remets à la sagesse de votre commission pour définir l'avis que je présenterai en séance publique.

M. Pierre-Yves Collombat. - Comme l'a rappelé notre rapporteur, l'essentiel des concours financiers de l'Etat en faveur des collectivités territoriales se situe en dehors de ce programme microscopique. Ce budget est conforme à une tendance de fond ; il l'accentue même puisque la dotation globale de fonctionnement (DGF) baisse pour la première fois. De quel pacte de confiance parlons-nous ? Les collectivités, qui ne sont pour rien dans la dégradation des finances publiques, devraient plutôt participer au redressement de la France en tant que moteurs du développement économique local, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui traverse aujourd'hui une période délicate.

Le renforcement de la péréquation, tant horizontale que verticale, semble être une façon délicate de piocher dans les budgets des collectivités. Le fond de péréquation intercommunale n'est pas une mauvaise idée, mais son montant est trop faible : pas même un milliard d'euros, pas même 1 % des recettes du bloc communal. Reste un problème de fond : des coefficients logarithmiques défavorisent les petites communes : l'habitant d'une commune de 500 habitants compte deux fois moins que celui d'une commune de plus de 200 000 habitants. De même, est-il normal que des départements ruraux comme les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes, qui ne sont pas riches, soient contributeurs nets aux fonds de péréquation départemental des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ?

Même si quelques collectivités se sont permis certaines facilités, les banquiers ont leur responsabilité dans le poids des emprunts toxiques dans les budgets locaux ! En contrepartie d'une aide, l'article 60 du projet de loi de finances interdit aux collectivités d'attaquer les banquiers, que le gouvernement semble décidément beaucoup aimer - il n'y a qu'à voir comment ils ont été traités lors des débats sur la loi bancaire. S'il y a motif à incrimination pénale, pourquoi l'empêcher ? Parce que l'État est garant de Dexia, qui est mouillée jusqu'au cou ?

Voilà des lustres que nous déplorons la disparition de l'ATESAT. Versons une larme... Quant aux départements, une rustine ne compensera pas les effets conjugués de la suppression de la taxe professionnelle durant la précédente législature et de l'augmentation continue de leurs dépenses sociales, notamment celle du RSA. La reprise économique de fin d'année ne suffira pas à y faire face.

Bref, si je reconnais la qualité du rapport, je ne peux approuver les mesures qu'il présente. Je suis d'accord sur le fond, mais pas sur la forme.

M. Hugues Portelli. - Lors du débat sur le projet de loi de modernisation de l'action publique locale et d'affirmation des métropoles, un fonds de péréquation des départements d'Ile-de-France, qui ne profitait presque exclusivement qu'à un seul département, était prévu par le texte initial. Nous l'avons supprimé mais il risque de revenir sous une autre forme à l'occasion de la loi de finances. Est-ce exact ?

M. Jean-René Lecerf. - Les départements bénéficieront de 827 millions d'euros supplémentaires liés aux frais de gestion de la taxe foncière mais devront participer à hauteur de 476 millions au milliard et demi d'économies. Si cette participation devait être multipliée par deux, puisque l'on parle de 3 milliards d'euros d'économies en deux ans, ils payeraient plus qu'ils n'obtiennent de la contribution nouvelle qui leur est accordée. On reprendrait ainsi d'une main ce que l'on donne de l'autre.

Trop de péréquation horizontale risque de tuer la péréquation horizontale. L'augmentation des droits de mutation à titre onéreux des DMTO sera en grande partie versée à un fonds de péréquation. Quel sera l'intérêt d'un département débiteur d'augmenter le taux des DMTO ? Aucun, à moins que le Gouvernement n'exige une augmentation générale.

M. Alain Richard. - Le comité des finances locales s'est réuni hier : la réduction de 1,5 milliard d'euros a fait l'objet de longs débats qui ont tenu compte des difficultés particulières des départements, d'où une baisse de l'enveloppe proportionnellement moins importante pour eux que pour les autres niveaux de collectivités territoriales. La logique voudrait qu'il en aille de même l'année prochaine, à moins que, d'ici là, des faits nouveaux n'interviennent.

Les prélèvements en faveur de la péréquation horizontale devraient augmenter de 40 % et toucheraient les collectivités en-dessous du potentiel fiscal moyen, ce qui n'est pas satisfaisant. L'Assemblée nationale a décidé de ne prélever que celles qui se trouvent à au moins 100 % du potentiel financier agrégé, au lieu des 90 % aujourd'hui en vigueur, ce qui semble judicieux. Toutefois, 40 % des contributeurs vont disparaitre. Ainsi, ceux qui restent devraient alors verser des contributions supérieures de 50 % de leurs contributions actuelles. Comme le Sénat ne va pas voter les recettes de ce projet de loi de finances, sa contribution au débat sera égale à zéro. Nous devrons faire passer nos idées par d'autres voies auprès des députés.

Une réunion interministérielle a eu lieu hier soir sur les DMTO : il semble que le prélèvement de 0,35 % serait appliqué sur tous les DMTO, qu'ils aient été augmentés ou non 0,7 %.

M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis. - Notre collègue Richard vient de répondre en grande partie à nos interrogations.

Je comprends les remarques de M. Collombat : quels que soient les gouvernements, les débats se ressemblent, mais la situation se dégrade indéniablement.

Rien n'était prévu initialement dans le projet de loi de finances pour 2014 pour créer le fonds de péréquation pour les départements en Île-de-France, monsieur Portelli. Un amendement du Gouvernement a cependant été adopté par l'Assemblée nationale.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux relations avec les collectivités territoriales et le compte d'avances aux collectivités territoriales par le projet de loi de finances pour 2014.

Loi de finances pour 2014 - Mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » programme « Fonction publique » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de Mme Jacqueline Gourault sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » programme « Fonction publique »).

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis des crédits affectés au programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - L'année 2013 a marqué une pause législative. En 2014, nous devrions être saisis du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, adopté par le conseil des ministres du 17 juillet. En outre, le 4 novembre, M. Bernard Pêcheur, président de section au Conseil d'État, a remis au Premier ministre ses conclusions sur l'architecture statutaire, les dispositifs de rémunération et les modalités de gestion des agents des trois fonctions publiques.

Globalement, les effectifs de l'État se stabilisent : le plafond des autorisations d'emplois est fixé à 1 894 253 équivalent temps plein travaillé (ETPT) soit une diminution de 0,46 % par rapport à 2013.

Le schéma d'emplois est conforme à l'engagement du président de la République de créer 60 000 emplois dans l'enseignement et 5 000 emplois dans les deux secteurs de la sécurité et de la justice sur la durée du quinquennat, soit 8 954 emplois supplémentaires dans l'enseignement, 405 emplois pour la police et la gendarmerie et 590 emplois pour la justice.

En contrepartie, 13 123 ETPT sont supprimés dans d'autres ministères (- 2,3 %) comme ceux de l'égalité des territoires et du logement, de la défense, des affaires sociales et la santé. L'impact des suppressions d'emplois devrait être amorti grâce à la modernisation de l'État : les programmes ministériels de modernisation et de simplification (PMMS) devront fixer les réformes nécessaires pour respecter les schémas d'emplois.

Malgré nos demandes répétées, les systèmes d'information de l'État ne ventilent toujours pas l'évolution des emplois entre administrations centrales et services déconcentrés. Ils ne permettent donc pas une pleine information du Parlement. La ministre chargée de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, l'a reconnu devant nous la semaine dernière.

Le plafond des autorisations d'emplois pour les opérateurs de l'État est fixé à 391 770 emplois. Ces schémas intègrent les 2 000 créations d'emplois à Pôle Emploi accordées au printemps 2013, les 1 000 nouveaux emplois créés dans les universités et la suppression de 1 229 emplois pour les autres opérateurs.

Le nombre d'agents de droit local que peuvent recruter à durée indéterminée les établissements et organismes de diffusion culturelle et de recherche à l'étranger dépendant du ministère des affaires étrangères est limité à 3 564 ETP, soit une diminution de 1 %.

Le nombre d'emplois des autorités publiques indépendantes diminue de 20 ETPT, soit un poste pour l'agence française de lutte contre le dopage, dix-sept pour la haute autorité de santé et cinq pour le médiateur national de l'énergie.

L'article 67 abroge le jour de carence instauré le 1er janvier 2012 dans la fonction publique, qui n'aurait « pas eu les effets escomptés et n'a pas permis de réduire significativement l'absentéisme ». Cette disposition a été adoptée hier en séance à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement préfère accroître les contrôles des arrêts maladie sur le modèle des dispositifs du régime général, qui lui apparaissent plus efficaces pour lutter contre les arrêts maladie abusifs.

Le programme 148 regroupe les crédits de formation et d'action sociale interministérielles qui constituent un socle commun pour diversifier et professionnaliser le recrutement des agents publics et accompagner les personnels dans les mutations de la fonction publique. Ces deux actions sont dotées d'une enveloppe globale de 200 849 459 euros en AE, en baisse de 5,78 %, et d'un crédit de 206 290 265 euros en CP, en diminution de 4,96 %.

Les crédits de formation, qui augmentent de 2,97 % en AE et CP, financent notamment les allocations pour la diversité dans la fonction publique à hauteur de 3 417 537 euros. Les classes préparatoires intégrées (CPI) connaissent un grand succès : le nombre de dossiers augmente (1 627 dossiers recevables), le taux d'évaporation est assez faible (6,7 %) et l'essaimage des CPI au sein des écoles de service public et l'amélioration des procédures d'accompagnement et d'aide aux inscrits se poursuivent. La prise en charge financière des élèves, cependant, est encore relativement faible au regard de leur niveau de revenus et de leur origine géographique souvent éloignée de la localisation de l'école. En 2013, une 28ème classe a été ouverte à l'école nationale des techniciens de l'équipement.

Les crédits consacrés à l'action sociale interministérielle subiront une diminution de 10,91 % en AE et de 9,47 % en CP. Le gouvernement souhaite néanmoins maintenir les principales prestations à un niveau significatif pour leurs bénéficiaires prioritaires en réduisant celles qui ont un faible impact social. Ces prestations complètent l'action sociale de chaque ministère dont le montant consolidé s'élève à 560 millions par an.

Les cinq prestations gérées par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) concernent les aides aux familles et le logement. Ainsi en est-il des prestations individuelles destinées à améliorer le pouvoir d'achat des bénéficiaires (chèques-vacances, allocation pour la garde d'enfant, - chèque emploi-service universel-CESU -, aide au maintien à domicile pour les pensionnés civils de l'État) mais aussi des prestations collectives (réservation de places en crèche et de logements sociaux, mise aux normes sanitaires des restaurants inter-administratifs dans le cadre du plan pluriannuel 2007-2015).

Le Gouvernement propose deux modifications substantielles : jusqu'à présent, le CESU-garde d'enfant était attribué sous condition de ressources et il comprenait trois tranches d'aide en fonction du revenu fiscal et du nombre de parts (655 euros, 385 euros et 220 euros annuels). En 2012, 201 200 dossiers ont été déposés pour environ 186 400 ouvertures de droits et pour un montant moyen de 309,84 euros. Le gouvernement a décidé qu'à partir du 1er janvier, la tranche à 220 euros serait supprimée. Parallèlement, le montant de l'aide accordée aux parents isolés sera majoré de 20 %. A la diminution du barème d'ensemble, le ministère a préféré supprimer une tranche qui bénéficiait aux plus hauts revenus au regard de la modicité du montant de la prestation servie. En outre, les deux dispositifs 0/3 ans et 3/6 ans seront fusionnés en une prestation unique « 0/6 ans » à compter du 1er janvier.

L'aide à l'installation des personnels (AIP) de l'État, qui permet de faciliter l'accès au logement locatif des personnels intégrant la fonction publique de l'État (premier mois de loyer, frais d'agence, dépôt de garantie et frais de déménagement) sera hélas supprimée en 2014. La dépense, en 2012, s'est élevée à 4,9 millions pour 5 700 bénéficiaires.

Une dotation de 500 000 euros en AE et CP met en place les deux dispositifs d'accès au logement temporaire décidés en 2013 : l'accès à un logement ou à un hébergement temporaire pour les agents subitement frappés par des circonstances familiales, financières, professionnelles ou pour ceux qui ont un besoin provisoire sans être confrontés à une situation d'urgence sociale.

La nouvelle aide aux pensionnés faiblement dépendants, gérée par la CNAV, bénéficie aux pensionnés civils et ouvriers retraités de l'État de plus de 55 ans n'entrant pas dans le champ des allocataires de l'allocation personnalisée d'autonomie. Elle est versée sous condition de ressources. La dotation de 10 millions en AE et CP versée à la CNAV en 2012 permet de couvrir les dépenses pour 2013 et 2014. En conséquence, aucun crédit n'est inscrit dans ce budget. Cette prestation devrait bénéficier à 1 200 pensionnés en 2013 et 2 400 en 2014 pour des montants respectifs de 2,45 millions et 4,9 millions.

Bénéficiant, sous conditions, à l'ensemble des agents actifs et retraités de l'État, le chèque-vacances repose aujourd'hui sur une épargne de l'agent, abondée d'une participation de l'État de 10 à 30 % selon le revenu fiscal de référence. En 2012, 122 000 agents en ont bénéficié pour une dépense totale de 34,3 millions. L'année prochaine, une tranche de bonification de 35 % pour les agents de moins de 30 ans sera créée.

En dépit de mes réserves sur la suppression de la journée de carence, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme fonction publique.

M. Jean-Jacques Hyest. - Je suis favorable aux mesures de rationalisation des effectifs, surtout lorsque ceux-ci ont été transférés aux collectivités. Il aurait fallu moduler les créations de postes dans l'éducation nationale, car l'augmentation de 60 000 postes ne correspond sans doute pas à un besoin réel. La situation des enseignants aurait pu être améliorée plutôt que d'en augmenter le nombre.

Je ne peux me satisfaire de la suppression de la journée de carence : cette mesure est injuste vis-à-vis des salariés du privé et il faut lutter contre l'absentéisme dans certaines administrations qui n'est pas justifié par la pénibilité du travail.

Le précédent gouvernement était plus attentif à l'action sociale que ne l'est celui-ci. Je regrette ainsi la suppression de l'AIP pour les jeunes fonctionnaires qui ont le malheur d'être mutés en Île-de-France. Voyez ces jeunes policiers qui vivent à sept ou huit dans un même logement dans des conditions souvent indignes ! C'est inacceptable.

Pour ces deux motifs, je ne voterai pas les crédits de ce programme.

M. Christophe Béchu. - Je suis en total accord avec M. Hyest. Le gouvernement commet une faute en supprimant le jour de carence. Il accroît les écarts entre public et privé et cette mesure va coûter cher aux collectivités. Ainsi, dans ma collectivité, après l'instauration du jour de carence, le nombre d'arrêt de travail d'une journée a diminué de 41 %, soit 172 000 euros de gagnés sur 100 millions de masse salariale. Cela peut sembler négligeable, mais cette somme permet d'améliorer les conditions matérielles de certaines catégories de personnel. Je voterai donc contre ces crédits.

Mme Hélène Lipietz. - C'est bien joli de taper sans cesse sur les fonctionnaires, mais nous devrions comparer les revenus des fonctionnaires avec ceux du secteur privé. Quand je suis passé du public au privé, j'ai gagné beaucoup plus d'argent.

Des budgets seront-ils alloués pour améliorer la prévention en matière de santé dans la fonction publique d'État ?

Mme Cécile Cukierman. - Je me félicite de la suppression de la journée de carence, même si j'aurais préféré qu'elle disparaisse aussi dans le privé. D'ailleurs, certaines conventions collectives le prévoient.

Plus que l'absentéisme, on pourrait s'interroger sur le déroulé des carrières, les conditions de travail et la reconnaissance de la fonction publique d'État. Dans l'ensemble, les fonctionnaires remplissent bien leurs missions.

Je regrette l'absence de toute médecine du travail pour la fonction publique d'État, même si cela à un coût. Les collectivités le savent bien, qui ont dû payer sans compensation de l'État, lors du transfert des personnels TOS.

Pour les gardes d'enfants, il ne faudrait pas opposer les fonctionnaires de la catégorie A à ceux de la catégorie C ; je regrette la suppression de l'allocation pour les hauts revenus : 220 euros, c'est un tiers d'une semaine en colonie de vacances. Quel que soit le niveau de revenu des parents, la qualité de la garde doit être assurée et le cumul des suppressions va finir par peser lourd.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Avec la suppression de la journée de carence, on ne montre pas du doigt les fonctionnaires, bien au contraire, Madame Lipietz. Lors de son audition, Mme la ministre a donné des chiffres : le nombre de congés maladie est resté quasi-stable à l'État, plus des deux-tiers des agents concernés n'ont eu qu'un arrêt maladie dans l'année, les arrêts de courte durée sont restés stables, la proportion d'agents en arrêt court est passée de 1,2 à 1 % dans la fonction publique d'État, de 0,8 à 0,7 % dans la fonction publique hospitalière et elle est restée à 1,1 % dans la fonction publique territoriale. M. Béchu, quant à lui, a donné d'autres chiffres assez significatifs, eux aussi.

Mme la ministre a dit qu'elle allait renforcer les contrôles mais elle s'est montrée assez évasive sur les moyens supplémentaires qu'elle leur affecterait.

M. Jean-Jacques Hyest. - Il serait possible de passer des conventions avec les caisses primaires d'assurance maladie, mais cela aurait un coût.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Tout à fait.

Il est vrai, madame Cukierman, que le cumul des suppressions des aides finit par affecter le pouvoir d'achat des fonctionnaires les mieux payés.

La prévention sort du cadre de mon programme, mais un accord portant sur la santé et la sécurité au travail a été signé par sept des huit organisations syndicales représentatives dans la fonction publique le 20 novembre 2009. Cet accord entre dans les faits progressivement.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés au programme « Fonction publique » par le projet de loi de finances pour 2014.

Loi de finances pour 2014 - Mission « Immigration, asile et intégration », Crédits « Asile » - Examen du rapport pour avis

- Présidence de M. Patrice Gélard, vice-président -

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Sueur sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Immigration, asile et intégration », crédits « Asile »).

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis sur les crédits « Asile ». - Notre commission a choisi depuis l'année dernière d'établir un rapport sur l'asile distinct de celui sur l'immigration qui sera présenté par Mme Lipietz. Le droit à l'asile est reconnu par la Constitution et par la convention de Genève dont la France est signataire.

Ce budget, dont nous avons parlé hier avec M. le ministre Valls, me convient, car il augmente de 0,6 %. Il est demandé à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de réduire les délais de traitement des dossiers car jusqu'à présent, le système était embolisé. Les crédits de l'OFPRA augmentent de 5,9 %, ce qui va permettre l'embauche de dix officiers de protection supplémentaires et de réduire la rotation élevée des personnels au sein de cet organisme. Sous l'autorité de son directeur, M. Pascal Brice, l'OFPRA se réforme et se déplace dans les régions, ce qui en renforce l'efficacité.

Les crédits de la CNDA, qui figurent dans la mission « Conseil et contrôle de l'État », vont augmenter de 3 %. D'après les personnes que nous avons entendues, les moyens alloués à l'OFPRA et à la CNDA devraient leur permettre de remplir leurs objectifs. Aujourd'hui, le délai de traitement d'un dossier par l'OFPRA est de 173 jours. Le but est de parvenir à 132 jours en 2014 et à 90 jours en 2015. Pour la CNDA, l'objectif est de passer de sept mois et huit jours en 2013 à six mois et demi en 2014 et à six mois en 2015.

Un travail considérable a été fait par l'OFPRA et la CNDA pour harmoniser leurs jurisprudences et mettre fin à une aberration : jusqu'à présent, il y avait plus de personnes qui obtenaient l'asile par la CNDA, qui est une instance de recours, que par l'OFPRA. Heureusement, les choses évoluent depuis six mois.

Le régime d'aide juridictionnelle devant la CNDA a été modifié par le décret du 20 juin 2013 qui a doublé le montant de l'aide juridictionnelle, la faisant passer de huit à seize unités de valeur, soit plus de 360 euros, ce qui est incontestablement positif.

Deuxième point positif de ce budget : la création de 2 000 places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) qui n'accueillent aujourd'hui que 37 % des demandeurs d'asile en procédure. En outre, beaucoup de déboutés restent en CADA, ce qui est problématique. M. le ministre nous a confirmé hier que seuls 10 % des déboutés du droit d'asile quittaient notre territoire. Les procédures doivent donc être respectueuses des droits, mais également rapides. L'hébergement en CADA est moins coûteux que l'hébergement d'urgence auquel il faut ajouter l'allocation temporaire d'attente (ATA) versée à ceux qui ne sont pas en CADA. Les personnes hébergées en CADA font l'objet d'un meilleur accompagnement lors de la procédure d'une demande d'asile et ont davantage de chance de bénéficier d'une protection internationale. La mise en oeuvre du plan de création de 4 000 places en CADA d'ici 2015 est donc en cours.

J'en arrive aux points plus délicats : l'augmentation de la subvention de l'OFPRA et la création de places en CADA sont compensées par une moindre dotation pour l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et par une réduction des crédits de l'ATA. Les dix associations que nous avons reçues estiment que le dispositif sera embolisé car la création des 1 000 dernières places en CADA n'est prévue qu'en fin d'année alors que la réduction du nombre de places d'hébergement d'urgence sera effective dès le début de 2014. De plus, comme l'augmentation des demandes d'asile s'accélère à nouveau (+ 10,8 % en 2013), il est probable que les crédits pour l'hébergement d'urgence et l'ATA se révèlent en cours d'année insuffisants, ce qui fut le cas cette année.

L'inscription sur la liste des pays d'origine sûrs du Bengladesh et de l'Arménie en décembre 2011 a entraîné une baisse respective de 71 % et de 42 % des flux en provenance de ces pays. Le retrait du Bangladesh de cette liste à la suite d'une décision du Conseil d'État du 4 mars 2013 a, depuis, suscité une reprise des demandes d'asile par des personnes originaires de ce pays.

En outre, se pose la question des délais non comptabilisés de la durée de traitement de la demande d'asile, en particulier l'attente des demandeurs d'asile avant même qu'ils aient pu déposer leur demande.

Ce budget est de transition : nous attendons le rapport de Mme Valérie Létard et de M. Jean-Louis Touraine qui nous proposera une réforme du dispositif de l'asile. Il faudra procéder à diverses modifications, tout en sachant qu'il en va de l'honneur de la France de respecter le droit d'asile.

La mise en oeuvre du paquet « Asile » adopté par le Parlement européen n'ira pas sans difficultés. Celui-ci comprend, outre les directives « qualification » et « accueil », une directive « procédure » destinée à encadrer les délais d'examen des demandes d'asile, à garantir la présence d'une tierce personne lors des entretiens à l'OFPRA, à prévoir l'enregistrement de ceux-ci, à doter les personnes vulnérables d'un statut spécifique et à améliorer l'information délivrée aux demandeurs d'asile. Il est à craindre que ces mesures freinent les progrès des personnels de l'OFPRA - dont je salue le directeur général, Pascal Brice - pour réduire les délais de traitement des dossiers. Nous attendons beaucoup des propositions de Jean-Louis Touraine et Valérie Létard sur ce point.

La coopération européenne est le principal défi que nous aurons à relever. Nous ne devons pas compter sur la diminution du nombre de réfugiés dans les années à venir. La guerre en Syrie en a produit un million au Liban, 500 000 en Turquie, de nombreux autres en Jordanie, et certains frappent aux portes de l'Europe et de la France. De même, Lampedusa est un problème européen : nous ne pouvons le laisser sans solution. Nous devrons travailler de concert, sans angélisme, sur la maîtrise de nos frontières, l'établissement de règles claires, la convergence des critères d'asile dans tous les pays membres, ainsi que la lutte contre un trafic qui trouve son origine notamment dans l'instabilité de la Libye.

En dépit des réserves que j'ai émises, les avancées du présent budget justifient un avis favorable sur les crédits consacrés à l'asile par le projet de loi de finances pour 2014.

M. Jean-Jacques Hyest. - La diminution des délais de traitement des dossiers est capitale. S'ils sont courts, on peut espérer que les déboutés retournent chez eux. C'est plus difficile lorsque les délais s'allongent. Je salue l'effort qui consiste à doter l'OFPRA de dix officiers de protection supplémentaires, mais je doute que cela change quoi que ce soit.

Les places en CADA seront augmentées - non pas au 1er janvier, mais progressivement - et l'aide à l'hébergement d'urgence diminuée à due proportion. Or depuis dix ans et à de très rares exceptions, les crédits consommés au titre de l'hébergement d'urgence et de l'aide temporaire d'attente ont toujours été bien supérieurs aux prévisions, et parfois dans des proportions de un à deux.

Nous avons déjà connu des pics de demandes d'asile, liés aux événements internationaux, et il est à l'honneur de la France d'avoir toujours su y faire face. Mais pour que nous continuions à répondre à ces défis, tous les États membres de l'Union européenne doivent jouer le jeu. Or ce n'est pas le cas, et certains se débarrassent littéralement des demandeurs d'asile.

Nous nous abstiendrons sur ces crédits.

Mme Hélène Lipietz. - La convergence des taux d'admission au statut de réfugié par l'OFPRA et la CNDA par l'harmonisation de leurs jurisprudences ne m'enthousiasme guère. D'une part, la présence d'un avocat devant la CNDA est fondamentale : le demandeur d'asile a besoin d'un tiers pour formuler son histoire. La dénomination d'officier de protection est d'ailleurs souvent mal comprise des demandeurs d'asile. D'autre part, la préparation des demandeurs d'asile avant de rencontrer l'officier de protection est fondamentale.

Je me réjouis que les places en CADA augmentent. France Terre d'asile avait en effet démontré que la probabilité d'acceptation d'un dossier était cinq fois plus élevée lorsque le demandeur était hébergé en CADA, donc préparé aux exigences du pays dans lequel il sollicite l'asile. Il y avait là une source majeure d'injustice.

Le retour chez elles des personnes déboutées continue de poser problème. Nous devrions faire le compte de ceux qui rentrent chez eux après avoir été hébergés en CADA. Ces centres enferment les demandeurs d'asile dans une sorte de bulle. Leur travail devrait consister à préparer davantage les personnes hébergées à l'idée d'un retour dans leur pays.

En effet, le nombre de réfugiés est élevé et le restera. N'oublions pas non plus les réfugiés climatiques.

M. Jean-Jacques Hyest. - Ils ne relèvent pas de la convention de Genève.

Mme Hélène Lipietz. - Certes, mais je ne serais pas étonnée de voir augmenter le nombre de demandeurs d'asile en provenance des Philippines, même s'ils ne relèvent pas de la convention.

M. Jean-Jacques Hyest. - A ce compte, le Bangladesh aura bientôt de nombreux réfugiés climatiques !

Mme Hélène Lipietz. - Oui, ainsi que certaines îles du Pacifique.

M. Jean-Yves Leconte. - Il faudrait peut-être inventer de nouveaux instruments pour ces nouveaux réfugiés, auxquels la convention de Genève ne s'applique pas. Mais à force de tout mélanger, on risque d'affaiblir le principe de la protection pour motif politique.

La vitesse de traitement des dossiers est un élément fondamental. C'est d'abord une exigence économique, puisque nous dépensons 450 millions d'euros de prestations aux demandeurs d'asile : réduire d'un mois le délai de traitement des dossiers économiserait une somme supérieure au budget de l'OFPRA. Pour que toutes les demandes légitimes soient accordées le plus vite possible, il faut qu'elles aboutissent devant l'OFPRA. Le fait d'introduire un tiers dans la procédure de première instance augmentera certainement le taux d'admission au statut de réfugié. C'est aussi une exigence humanitaire : on ne peut décemment laisser traîner les demandes quatre ans. C'est nécessaire pour garantir l'étanchéité entre immigration et demande de protection politique.

La directive « procédure » renforcera l'OFPRA, mais elle limitera assurément sa productivité, déjà remarquable au regard de celle des autres pays. Je doute que les modifications qu'elle introduit aient été prises en compte pour donner à l'OFPRA les moyens d'accomplir ses missions en 2015.

Nous savons que certaines régions reçoivent plus de demandeurs que d'autres : il faudrait veiller à réduire ces asymétries. Il faudrait également instaurer un point d'orientation unique de traitement des procédures prioritaires : l'OFPRA, plutôt que les préfectures. Cela requiert des moyens supplémentaires. Bref les orientations qui nous sont présentées sont bonnes mais je doute qu'elles prennent la pleine mesure des modifications apportées par le paquet « asile ».

Reste que le poids des demandes d'asile est inégalement réparti entre les États membres. Certains font mieux en prestation, d'autres en traitement, d'autres encore, aux frontières de l'Union européenne, n'ont pas les moyens de traiter toutes les demandes qui leur parviennent. La Bulgarie a par exemple plus de 7 000 réfugiés, soit quinze fois plus que nous.

Mme Catherine Tasca. - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de son analyse, qui ne pèche ni par excès de sévérité ni par excès d'optimisme.

Ces questions sont durablement installées sur notre continent. L'amélioration des procédures est un premier pas indispensable. Je salue l'évolution opérée par l'OFPRA, sous l'impulsion de son nouveau directeur, M. Brice. Le rapprochement avec la CNDA, en rupture avec les pratiques antérieures, ne peut avoir que des effets positifs. La création de places en CADA est une autre avancée majeure ; ce n'est évidemment pas l'idéal, mais c'est là que la puissance publique exerce le mieux son rôle de protection. Les autres formes d'hébergement sont coûteuses et n'offrent pas les mêmes garanties.

Bref, nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais des efforts considérables sont consentis. Je voterai par conséquent ces crédits.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Les effectifs de l'OFPRA ont augmenté de 7 emplois en 2012, de 10 en 2013 puis de 10 en 2014. L'essentiel réside toutefois dans la politique du nouveau directeur général, qui s'efforce de freiner leur trop rapide rotation. En 2013 par exemple, 40 officiers de protection ont quitté l'OFPRA et 50 l'ont rejoint.

M. Jean-Jacques Hyest. - Combien sont-ils au total ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Ils étaient 162 en 2012, donc 172 en 2013.

M. Jean-Jacques Hyest. - C'est énorme.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Dix nouveaux officiers ont intégré l'Office cette année. M. Brice s'est employé à stabiliser les effectifs.

Le rapprochement de l'OFPRA et de la CNDA prend la forme d'un partage d'informations sur les pays d'origine et de missions communes sur place, mais chaque institution reste souveraine dans l'appréciation des situations individuelles. Leur indépendance n'est pas menacée.

Je partage le sentiment de M. Leconte sur les difficultés posées par la mise en oeuvre des directives européennes. Celles-ci sont utiles pour mieux protéger les personnes, mais leur application a un coût.

Je remercie Catherine Tasca pour son appréciation. Ma philosophie générale est en effet de refuser l'angélisme tout comme le déni de réalité. Le monde est ce qu'il est, et il faudra faire face à toutes les demandes d'asile à venir. Nous devons nous y préparer au mieux.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'asile par le projet de loi de finances pour 2014.

Loi de finances pour 2014 - Mission « Immigration, asile et intégration », programme « Immigration » - Examen du rapport pour avis

La commission examine ensuite le rapport pour avis de Mme Hélène Lipietz sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Immigration, asile et intégration », programme « Immigration »).

Mme Hélène Lipietz, rapporteuse pour avis. - Les crédits « Circulation des étrangers et politique des visas », « Lutte contre l'immigration irrégulière », « Intégration et accès à la nationalité française » s'élèvent à 149,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 161,1 millions d'euros en crédits de paiement. Ils représentent un quart du budget de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Les principes ayant guidé l'élaboration du budget de la mission pour 2014 sont les mêmes que l'année précédente. La légère augmentation des crédits liés à l'asile est compensée par une diminution des actions de lutte contre l'immigration irrégulière et par une diminution de ceux dédiés à l'intégration des étrangers et à l'accès à la nationalité française.

Je remarque toutefois que seule la baisse conjoncturelle des placements en rétention administrative d'étrangers a rendu soutenable la baisse des crédits consacrés au fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA), décidée par le projet de loi de finances pour 2013. En effet, les économies de gestion annoncées n'ont pas été au rendez-vous. Cette baisse résultait de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 qui, en s'alignant sur l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne, a déclaré le placement en garde à vue d'un étranger au seul motif d'un séjour irrégulier contraire à la directive « Retour ». Or, la garde à vue était la procédure utilisée pour décider de placer ou non l'étranger en rétention administrative.

Depuis le budget 2013, les crédits dédiés au fonctionnement hôtelier des CRA sont en baisse, dans l'attente de l'élaboration de cahiers des charges nationaux - en matière de maintenance, de nettoyage des locaux ou de restauration - et d'opérations de mutualisation avec d'autres services. Contrairement à ce qu'estime le ministre de l'Intérieur, cela ne relève pas des seuls règlements intérieurs des CRA. En se mettant en grève, les personnels de ces centres ont déjà tenté d'alerter sur leur situation. Mais cette démarche n'a pas été suivie d'effets en 2013 et le projet annuel de performance souligne d'ailleurs qu'il est difficile d'évaluer précisément les dépenses de fonctionnement pour 2014.

Les économies qui devaient découler de cette rationalisation des dépenses et qui justifiaient la diminution du budget alloué au fonctionnement hôtelier des CRA en 2013 ne seront sans doute pas davantage réalisées en 2014. Par conséquent, les moyens accordés ne semblent pas en adéquation avec les dépenses engagées.

La rationalisation de la gestion des CRA pourrait conduire à suspendre des travaux ou à fermer certains centres. Leur taux d'occupation, évalué à 52,5 % pour le premier semestre 2012, a finalement été de 43 % sur l'année - en contradiction avec les chiffres annoncés par le ministre hier.

Cela étant dit, je me réjouis de la reconstruction du CRA de Mayotte, dont la mission parlementaire présidée par M. Sueur avait dénoncé l'état scandaleux.

Enfin, je voulais rappeler que Mme Eliane Assassi et M. François-Noël Buffet ont été chargés d'une mission d'information relative aux centres de rétention administrative.

Les ressources de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) s'élèvent à 178,7 millions d'euros en 2012. Elles sont constituées d'une subvention de l'État pour charges de service public et, à hauteur de 83 %, de ressources propres. Ces dernières sont essentiellement constituées par les droits acquittés par les étrangers pour disposer d'un titre de séjour ou pour le faire renouveler. En somme, les étrangers payent pour leur propre intégration. Dans son rapport annuel pour 2013, la Cour des comptes relève que « les droits pratiqués en France en 2012 sont relativement élevés, au regard de ceux d'autres pays européens », malgré leur baisse dans le précédent budget. Par surcroît, les mineurs étrangers payent une taxe pour obtenir leur titre d'identité, alors que les mineurs français obtiennent leur carte d'identité gratuitement. L'Europe demande pourtant qu'un même traitement soit appliqué aux mineurs, étrangers ou non.

L'essentiel des dépenses de l'OFII est constitué de dépenses d'intervention. Leur montant n'a pratiquement pas évolué depuis 2011, malgré la réduction drastique de l'aide au retour. Luc Derepas, directeur général des étrangers en France, a indiqué qu'à la suite de la forte réduction des aides accordées depuis le 1er février 2013 - diminuées de 300 à 50 euros par adulte et de 100 à 30 euros par enfant -, le nombre de demandeurs roumains et bulgares, qui représentaient près de 80 % des demandeurs, a été divisé par sept ou huit. Au surplus, cette aide ne peut désormais être accordée qu'une seule fois. Notez toutefois que les Bulgares et les Roumains sont des citoyens européens de plein exercice.

La principale dépense de l'OFII est consacrée au contrat d'accueil et d'insertion (CAI). Les signataires du contrat suivent des formations et bénéficient d'un apprentissage du français. La principale piste de réforme de l'action de l'Ofii passe par redéfinition de ce CAI : la masse d'information est en effet trop grande et délivrée en très peu de temps à un public ne maîtrisant pas, ou mal, la langue française. Le CAI pourrait, dans le cadre de la création d'un titre pluriannuel de séjour, se dérouler pendant toute sa durée de validité. Il est en outre nécessaire de mieux définir les projets d'aide à l'insertion dans les pays d'accueil. Le directeur général de l'OFII nous a confirmé que si de nombreux projets répondaient à de vrais besoins et généraient des emplois locaux, d'autres n'étaient pas adaptés.

Le mode de financement de l'OFII demeure en suspens. Le plafonnement des taxes affectées à l'OFII accroît le sentiment que les étrangers financent leur propre intégration. La Cour des comptes en a critiqué la pertinence.

La politique de naturalisation a fait l'objet d'une réforme nationale. Celle-ci semble avoir porté ses fruits : les disparités territoriales se sont estompées.

Dans son récent rapport thématique, la Cour des comptes constate que le parcours des demandeurs de titres de séjour est difficile, et que les conditions d'accueil dans certaines préfectures « ne sont pas toujours convenables ». Cette analyse rejoint celle de notre collègue député Matthias Fekl, qui, dans son rapport consacré à la sécurisation des parcours des étrangers en France, parle de conditions d'accueil « indignes ». Le ministre a reconnu hier qu'il fallait - chiffre incroyable - un minimum de trois passages en préfectures pour un simple renouvellement de titre de séjour, automatique dans plus de 9 cas sur 10... Les personnels de préfecture subissent l'agacement légitime des usagers. La délivrance de titres de séjour pluriannuels est une façon de remédier à ces dysfonctionnements.

Les salles d'audience délocalisées n'ont pas convaincu. Les économies réalisées sont maigres, et en rendant la justice à proximité d'un lieu de rétention, on accrédite l'idée que les étrangers ne sont pas des justiciables comme les autres. Les magistrats du tribunal de grande instance de Meaux nous ont indiqué que la seule amélioration tangible de la création du CRA du Mesnil-Amelot était de créer une salle dédiée aux étrangers retenus.

Enfin, un mot sur les mineurs étrangers. La Croix rouge estime que 1 000 à 1 500 mineurs isolés ne sont pas connus par leurs services, car prisonniers d'une filière et utilisés dans la confection ou dans des réseaux de prostitution. Certes, ils ne relèvent pas de la politique d'immigration, mais ils présentent un coût pour le budget des collectivités territoriales ou de l'aide sociale à l'enfance. Un protocole d'accord signé avec l'Association des départements de France permet de les redistribuer géographiquement afin que leur prise en charge ne pèse pas sur les mêmes départements. Leur prise en charge par l'État continue de poser problème.

Ces mineurs sont très désireux de s'intégrer : cela devrait être reconnu à leur majorité. Le ministre a indiqué que la majorité d'entre eux, entrée en France avant 16 ans, obtenait un titre de séjour à leur majorité. Mais ceux entrés après leurs 16 ans ne font pas moins d'efforts d'intégration. Je rappelle que, cette année, trois des meilleurs ouvriers de France sont des jeunes majeurs arrivés en France après 16 ans et qu'ils n'ont toujours pas de papiers.

Sous la réserve que j'ai faite à propos du budget des CRA, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'immigration et à l'intégration de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2014.

Mme Catherine Tasca. - Je remercie notre rapporteure, pour la présentation très complète qu'elle nous a faite d'un problème qui présente une rare difficulté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'immigration par le projet de loi de finances pour 2014.

Parquet européen - Communication

La commission entend ensuite la communication de Mlle Sophie Joissains sur l'avis motivé adopté par le Sénat à l'initiative de la Commission européenne sur le « Parquet européen », résolution du Sénat n° 26 (2013-2014).

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Mlle Joissains étant souffrante, nous reportons sa communication sur la création d'un Parquet européen. Cependant, comme nous auditionnerons demain Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust conjointement avec la commission des affaires européennes, je donne la parole à son président M. Sutour.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Je ne vais pas me prononcer sur le fond de la question du Parquet européen ; Mlle Joissains, rapporteure de la commission des affaires européennes sur cet avis motivé, adopté par le Sénat, s'en chargera : nous défendons un parquet européen collégial, de manière à éviter la création d'un procureur trop puissant, sans lien avec les juridictions nationales.

Depuis le Traité de Lisbonne nous avons la possibilité d'examiner les textes de la Commission européenne au regard du principe de subsidiarité. Depuis deux ans, un groupe de travail informel de la commission des affaires européennes se réunit deux fois par mois pour examiner tous les textes en provenance de la Commission. Voilà la seconde fois que nous avons voté un avis motivé ; le premier portait, en 2012, sur le droit de grève des travailleurs détachés - c'était prémonitoire. Le tiers des parlements devaient aller dans notre sens pour amener la Commission à revoir sa copie. Avec le principe de subsidiarité, le Traité de Lisbonne nous avons le pouvoir d'adresser un carton jaune, orange ou rouge à la Commission. Chaque parlement dispose de deux voix : quand il est bicaméral, chaque chambre a la sienne. En 2012, l'Assemblée nationale n'avait pas voté d'avis motivé. La Commission a tellement bien revu sa copie qu'elle a retiré le texte.

Notre avis motivé sur le parquet européen est devenu définitif le 28 octobre. Il nous fallait 14 voix pour atteindre la majorité qualifiée en matière de Justice et inciter Mme Reding à revoir sa proposition de directive, nous en avons obtenu 18. Je regrette toutefois que l'Assemblée, contrairement au Sénat, n'ait pas donné d'avis motivé. Il y a eu beaucoup de fébrilité au niveau de la Commission, qui a exercé des pressions déplacées. Le collège des commissaires doit se réunir bientôt. Que le texte soit maintenu, modifié ou retiré, son avis devra être motivé.

La proposition de Mlle Joissains se situait dans la droite ligne d'un rapport que notre commission avait adopté à l'unanimité et qui avait fait l'objet d'une communication ici.

L'avis motivé est voté. Nous connaîtrons la réaction de la Commission dans les semaines qui viennent.

M. Alain Richard. - Si les négociations de coalition au Luxembourg aboutissent, la formation politique dont Mme Reding est issue ne fera bientôt plus partie de l'exécutif.

Jeudi 14 novembre 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

Audition de Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust

La commission procède à l'audition, en commun avec la commission des affaires européennes, de Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Nous accueillons aujourd'hui Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust, venue depuis La Haye, où la Commission des affaires européennes s'était rendue il y a quelques années. Le Sénat a toujours défendu l'idée d'un espace judiciaire européen qui lutte notamment contre la criminalité transfrontalière et repose sur une collaboration efficace entre systèmes judiciaires avec notamment la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, le mandat d'arrêt européen, le système ECRIS, les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen (RJE). Le rôle d'Eurojust s'est progressivement renforcé, avec 1 400 demandes d'assistance chaque année.

La commission souhaite aligner le statut d'Eurojust sur celui des agences européennes ; qu'en pensez-vous ? Nous sommes favorables à un parquet européen collégial dont la compétence s'étende dès que possible à l'ensemble de la criminalité transfrontalière, et non à un procureur à l'anglo-saxonne qui ne s'occupe que de fraudes au budget européen ; c'est pourquoi nous avons participé au carton jaune adressé à la Commission européenne par certaines chambres des parlements nationaux - avec des positions très différentes il est vrai, puisque seuls les Tchèques sont pleinement d'accord avec nous. Nous attendons la réponse de la Commission, qui pourrait s'orienter vers une coopération renforcée. Comment concevez-vous l'articulation entre Eurojust et le futur parquet européen ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je me réjouis de votre présence, en un moment où nous réfléchissons sur le droit européen, et notamment sur le parquet européen. Un procureur tout-puissant mais isolé pourrait être inefficace et mal compris ; mais un parquet ne doit pas être non plus une assemblée parlementaire débattant indéfiniment. Il nous faudra trouver un chemin où la pluralité aille de pair avec l'efficacité. Bien des sujets appellent aujourd'hui une coopération européenne, comme l'immigration - que faire à Lampedusa? - ou les agissements de la NSA, qui nécessitent une réflexion sur le renseignement et la protection des libertés.

Mme Michèle Coninsx. - C'est un honneur pour moi de venir vous parler d'Eurojust, dont je fais partie depuis le tout premier jour, il y a onze ans, et dont je suis la présidente depuis un an et demi, après en avoir été la vice-présidente pendant quatre ans. Ce qui passait pour de la science-fiction est devenu une réalité. Eurojust est l'unité de coopération judiciaire par excellence, unique en son genre : il n'y a pas d'Arabjust, d'Asiajust, d'Africajust. Nous organisons des réunions de coordination, nous établissons des centres de coordination opérationnelle, nous assurons les fonctions de soutien opérationnel, financier ou technique aux équipes communes d'enquête, nous sommes partenaire du RJE et d'Europol et produisons des outils tels que le Terrorism Conviction Monitor (TCM), le Maritime Piracy Judicial Monitor ou nos deux rapports stratégiques sur la traite des êtres humains et le trafic de stupéfiants, deux domaines prioritaires pour le Conseil. Nous coordonnons 31 systèmes légaux dans 28 pays - avec des différences énormes entre système anglo-saxon et continental qui expliquent que l'harmonisation ne soit pas toujours facile - dans 24 langues, même si notre langue de travail est l'anglais.

L'immigration illégale est notre quotidien. Ainsi, en 2012, la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille nous a demandé de mettre en place une coordination avec la Belgique, puis avec le Royaume-Uni. Chaque jour, des immigrants allaient de la Grèce ou de la Turquie au Royaume-Uni en passant par la France et la Belgique : 4 000 personnes par an étaient transférées dans des conditions inhumaines et contre des sommes considérables. Nous avons mis en place une équipe commune d'enquête au début de 2013, puis en février un centre de coordination opérationnelle qui consiste à réunir dans une salle de conférence des représentants de chaque pays le jour de l'opération, pour que le juge dirigeant l'équipe puisse suivre les mouvements en temps réel. Le bilan est éloquent : 35 personnes arrêtées, 40 perquisitions, deux mandats d'arrêt européens exécutés. S'il avait fallu utiliser des commissions rogatoires, il aurait été impossible de traiter efficacement ce problème transfrontalier, comme peut l'être aussi le terrorisme. En consultant notre rapport annuel 2012 présenté à la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite Libe, du Parlement européen le 29 mai 2013, vous apprendrez que nous avons traité 1 533 cas, que nous avons été liés à une soixantaine d'équipes communes d'enquête, toujours plus nombreuses, peut-être parce que nous leur apportons un soutien administratif depuis cinq ans. Nous avons facilité 250 mandats d'arrêt européens, bien plus efficace que l'extradition : la France a mis onze ans à obtenir l'extradition d'un terroriste bien connu de tous qui se trouvait au Royaume-Uni, alors que dans le cadre de l'attaque terroriste de Londres en 2005, le mandat d'arrêt européen a été émis en dix jours. Entre le TGV et l'omnibus, je préfère le TGV ! Depuis onze ans, cela fonctionne bien. Nous sommes confrontés à des phénomènes tels que le terrorisme avec le 11 septembre, les effets du Printemps arabe ou la recrudescence de la criminalité due à la crise financière. Or le budget d'Eurojust sera stable pour les sept ans à venir ; cela exige de nous d'être efficaces.

Eurojust comporte une task force consacrée à son avenir. Nous réfléchissons aux évolutions fondées sur les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, mais aussi au développement du comité permanent de sécurité intérieure (COSI) et du forum consultatif des procureurs généraux, ainsi qu'à la coopération avec Europol, Frontex, et le collège européen de police (Cepol). Le 14 et 15 octobre, nous avons organisé une conférence sur notre avenir, réunissant 150 personnes représentant les États membres et les différentes institutions ; il y a lieu de se poser des questions lorsqu'on lit les propositions de la Commission sur Eurojust - qui déterminent une liste que j'espère ne pas être limitative - ou sur le parquet européen. Il ne faudrait pas enlever des possibilités aux praticiens, qui doivent, sans perdre de temps aux tâches administratives, se consacrer à 100% aux tâches horizontales ou policy tasks ayant un impact sur le travail opérationnel. La coopération avec Europol va de soi, comme avec le RJE ; il faut éviter la compétition au bénéfice de la complémentarité. L'évaluation par le Parlement européen, pour lequel nous produisons un rapport annuel suivant des objectifs qu'il fixe, prend la forme d'une présentation orale chaque année. L'évaluation par les parlements nationaux est, elle aussi, essentielle. La Commission nous évalue aussi ; il faudrait préciser selon quels objectifs. Les capacités d'Eurojust en matière de conflit de juridiction doivent être augmentées. Les recommandations doivent être appliquées. Un trafic de cocaïne mêlant la Belgique mais aussi la mafia italienne avait ainsi fait l'objet de trois réunions où il avait été décidé de remonter aux têtes pensantes ; cela n'a pas empêché la douane de saisir la marchandise. Prévoyons une obligation plus forte que la recommandation ou l'amical agreement, et donnons le droit à Eurojust de déclencher des enquêtes.

Les liens avec le futur parquet européen proposé sont en principe étroits, du moins tels que l'article 86 les prévoit. Nous nous sommes penchés sur la manière dont Eurojust pourrait être une plus-value pour le parquet européen, même si nous poursuivons un objectif très différent : faciliter la coopération horizontale, améliorer la confiance sans s'immiscer dans les décisions des États membres. Après les 18 voix pour le carton jaune, c'est à la Commission de réagir. Nous avons eu l'occasion auparavant d'avertir cette dernière sur le caractère déséquilibré de ce qu'elle prévoit : une tête, le parquet, et vingt-huit jambes, les États membres ; il faut entre ces deux extrêmes un corps qui pourrait être Eurojust. C'est particulièrement vrai dans un contexte de coopération renforcée. Notre souci le plus grand est la possibilité d'un accord prévoyant qu'Eurojust fournirait au futur parquet un soutien administratif, qui pourrait nous empêcher d'assurer nos missions. Il faut bien écouter les parlements nationaux sur ce sujet. L'article 86 décrit les rapports d'Eurojust avec Europol, mais pas avec l'Office européen de lutte antifraude (Olaf), qui sont difficiles.

M. Simon Sutour, président. - En écoutant votre exposé, que je compare avec celui de votre prédécesseur que j'avais pu écouter, j'observe des progrès très sensibles. Votre point de vue correspond largement, me semble-t-il, aux préoccupations que nous avons exprimées dans notre avis motivé. Il faut en effet consulter les parties concernées : parlements nationaux comme Parlement européen. Le traité de Lisbonne, si vilipendé, a beaucoup d'aspects positifs, comme cette procédure du carton jaune, orange et rouge, ou la plus grande participation du Parlement européen dans l'adoption des perspectives financières 2014-2020. Montesquieu disait qu'il ne fallait toucher à la loi que d'une main tremblante ; c'est vrai aussi du carton jaune. Il faut cependant parfois s'en servir d'une main ferme, et c'est ce que nous avons fait.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous réussissez pragmatiquement, dans votre souci d'efficacité, à lutter contre la traite des êtres humains et le trafic de drogue, malgré les différences considérables entre procédures, en établissant une stratégie que je partage, car elle va à la source des trafics et remonte jusqu'aux décideurs. C'est peut-être une leçon, selon laquelle les coopérations pragmatiques seraient plus efficaces que les systèmes complexes. Je suis très admiratif ! Comment y parvenez-vous ?

J'ai compris - éclairez-moi si je me trompe - que vous craigniez qu'Eurojust perde en efficacité s'il devenait le service d'un parquet mal défini ou omnipotent. L'articulation entre les deux est donc une vraie question. J'ai bien perçu la nécessité d'un corps entre une tête et dix-huit jambes ; mais comment concevoir un parquet qui soit pluriel sans être une machinerie trop complexe ?

Mme Michèle Coninsx. - Il n'y a pas de formule magique ; nous nous mettons autour de la table et comprenons qu'il faut s'attaquer à la totalité des aspects d'une activité criminelle : chacun à un rôle à jouer dans des stratégies définies au cas par cas. C'est là sans doute notre vraie plus-value. Vous avez bien traduit ma préoccupation : il ne faut pas perturber un dispositif qui fonctionne ou du moins il faut établir un nouveau dispositif clair. Le parquet européen est un objectif noble, mais il faut l'intégrer dans un paysage existant. Il ne faut pas réinventer la poudre.

Mme Esther Benbassa. - Avez-vous des chiffres, des résultats sur la traite des êtres humains ? Parvenez-vous à circonscrire les réseaux de proxénètes ? Comment procédez-vous à cet égard ? A Paris, seuls douze policiers s'y consacrent, et 25 pour toute la France. Ils n'y arrivent pas.

Mme Michèle Coninsx. - Notre rapport stratégique sur la traite des êtres humains, fondé sur une trentaine d'actions d'Eurojust, qui ne peuvent avoir lieu que sur la requête d'un pays membre, ne reflète qu'une partie de la réalité. La Commission, en se penchant sur sa directive sur le sujet, avait constaté l'absence de chiffres, à laquelle on peut remédier en incitant les États à davantage faire appel à nous pour ce domaine, transfrontalier s'il en est. Nous avons établi un plan d'action sur cinq ans, avec notamment la promotion d'une approche multidisciplinaire telle que la pratiquent les Pays-Bas, incluant inspection du travail, sanctions administratives, etc. Nous avons organisé en mars de l'année dernière, sous la présidence danoise une conférence sur le sujet.

M. André Gattolin. - Vous recommandez, pour lutter contre le trafic de drogue, de remonter aux sources. La justice et la police, mises sous pression, sont souvent amenées à montrer des résultats à court terme. J'ai une voix dissidente sur le parquet européen : je suis favorable à un renforcement du parquet européen, dont les compétences doivent être bien distinguées des parquets nationaux. Je suis favorable à la collégialité, comme mes collègues et un procureur central, quasi-fédéral me gêne. Mais je crains que la collégialité n'induise en réalité une représentation nationale qui paralyse tout.

L'indépendance de la justice est réelle, mais les juges qui lancent des enquêtes transnationales reviennent tôt ou tard dans le giron de leur juridiction nationale. Ne craignez-vous pas que les intérêts nationaux puissent l'emporter sur l'intérêt général européen ?

Mme Michèle Coninsx. - Comme vous, j'estime que la confiance est le mot-clé. En matière de terrorisme, c'est le cas, alors que c'était inimaginable il y a onze ans.

Le nombre de requêtes traitées par Eurojust s'accroît d'année en année, ce qui prouve que la confiance est une réalité. Les juges d'instruction se déplacent et nous sollicitent de plus en plus. L'intérêt national peut être compatible avec l'intérêt général. Pour le terrorisme, nous privilégions le long terme et le travail au niveau national ne suffit pas.

M. André Gattolin. - Eurojust intervient-elle en matière de drogue ? La pression médiatique nationale n'entrave-t-elle pas la coopération européenne ? Travaillez-vous dans d'autres domaines où le long terme serait préféré à l'immédiateté ?

Mme Michèle Coninsx. - La piraterie maritime nous préoccupe depuis trois ou quatre ans. Tous les six mois, nous rassemblons les représentants de neuf pays de l'Union européenne et de pays tiers qui ont de l'expérience en la matière. Nos bateaux sont pris en otage dans des circonstances inacceptables et inhumaines. La piraterie maritime a un impact énorme sur l'économie et sur les victimes. Pour contrer ce phénomène, nous avons développé la coopération judiciaire internationale, ce qui était compliqué puisque chaque pays avait sa propre législation. Nous avons désormais une vision beaucoup plus précise sur les règles de droit et les bonnes pratiques. Très prochainement, une coopération opérationnelle sera mise en oeuvre à la demande d'un pays qui a arrêté deux pirates.

Comment évaluer la plus-value d'Eurojust en matière de terrorisme ? Un exemple : en août 2005, nous avons surveillé un réseau terroriste entre la France et la Belgique. Nous avons suivi les mouvements de ce groupe de recrutement pendant trois mois. En novembre, une femme terroriste est partie en Irak pour s'y suicider et son mari voulait suivre la même voie. Il a été neutralisé par les Américains et, grâce à notre réseau de renseignements, nous avons eu une vision exacte de ce mouvement djihadiste. C'est d'ailleurs au même phénomène que nous assistons actuellement, avec des individus qui partent en Syrie et qui reviennent en Europe. Ainsi, grâce à Eurojust, nous avons neutralisé un réseau qui aurait continué à recruter et dont certains membres, de retour d'Irak, auraient commis des attentats en France ou en Belgique.

Après les attentats de Madrid de mars 2004, nous nous attendions à ce que l'Espagne nous sollicite. À notre grand regret, ce ne fut pas le cas. En revanche, la Belgique nous a saisis, car certains membres du réseau se trouvaient dans ce pays, comme en France et en Italie. Nous avons assuré la coordination sur la base de la demande belge et nous avons sécurisé les enquêtes dans différents pays, ce qui a permis d'aboutir à des condamnations.

La décision-cadre de 2005 a obligé les États-membres à désigner des correspondants nationaux en matière de terrorisme. C'est sur cette base que nous avons obtenu plus d'informations et que nous avons pu être plus proactifs.

Chaque année, nous organisons avec les 28 correspondants nationaux des réunions stratégiques en matière de terrorisme.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous avez évoqué vos relations avec Frontex. Récemment, un journal français titrait : « L'Europe se barricade ». Un mur est en cours de construction entre la Bulgarie et la Turquie, mur qui d'ailleurs n'est pas continu, si bien que l'on peut passer très facilement la frontière à certains endroits. La Grèce, quant à elle, n'a pas les moyens de maîtriser l'immigration.

Nous devons à la fois maîtriser l'immigration en Europe, mais aussi respecter le droit d'asile. Quelle est la place d'Eurojust en matière de police de l'immigration ?

En matière de renseignement, tout le monde semble espionner tout le monde. Dans les pays d'Europe, des règles sont nécessaires. En France, nous avons la CNIL, mais en Europe, il existe également une instance de coopération. Le renseignement est nécessaire dans de nombreux domaines, ce qui implique une réelle coopération entre pays européens, mais aussi un code de bonne conduite. Ce concept est-il pertinent ? Peut-on imaginer une déontologie et des règles du renseignement qui puissent s'appliquer sans contrôles ? Un État acceptera-t-il qu'on contrôle ses services de renseignements ? Nous sommes devant la quadrature du cercle : nécessité du renseignement, respect des libertés et de la vie privée, nécessité d'établir des règles et donc des contrôles.

Mme Michèle Coninsx. - Ce débat n'a pas eu lieu au sein d'Eurojust. Vous devrez donc vous contenter de mon avis personnel. Le 18 décembre, nous allons signer un mémorandum avec Frontex afin de pouvoir échanger des informations stratégiques et techniques pour disposer d'informations plus précises sur la façon dont les Européens, notamment les jeunes, voyagent en Europe et dans le reste du monde. Une réunion a déjà eu lieu avec Frontex qui a décrit les tendances et les modes opératoires. Il est indispensable que ces échanges se multiplient.

Pour assurer la coopération judiciaire européenne, tous les acteurs compétents doivent être impliqués. C'est pourquoi nous invitons Frontex à travailler avec nous, comme c'est déjà le cas avec Europol.

Nous devons trouver le juste milieu entre les services de renseignements, la police et la justice, mais ce débat n'est pas nouveau. En matière de terrorisme, la justice criminelle est indispensable : les délits, quels qu'ils soient, doivent être punis par les tribunaux. Les États-Unis ne partagent pas notre approche sur bien des points.

Nous devrons avoir un débat au sein de l'Union pour parvenir au plus juste équilibre. La police doit travailler sur la base des renseignements qui lui sont fournis. En Belgique, un accord de coopération a été conclu entre les renseignements et le parquet fédéral qui donne de bons résultats. En Allemagne, les choses sont plus compliquées, du fait des seize Länder. Pendant des années, tous les services ont fait leur travail, mais pas de façon structurée ni coordonnée. Une fois cette étape achevée, le dialogue européen est nécessaire pour harmoniser les pratiques et définir la notion de renseignement. Lors d'une réunion stratégique en matière de terrorisme, j'ai demandé aux participants de définir la notion d'« intelligence security » ce qui a suscité un vaste débat. En 2005, lors de l'affaire terroriste dont je vous ai parlé, nous avons pris le risque de réunir la police, la justice, les services de renseignements américains et britanniques afin de sauver des vies humaines. Grâce à cette coopération, un procès et des condamnations ont été possibles.

Je suis persuadée qu'il faut mettre tout le monde autour d'une table pour obtenir des résultats concrets.

M. Simon Sutour, président. - Merci de vous être déplacée jusqu'à nous. Peut-être la prochaine fois nous déplacerons-nous jusqu'à vous.

Je regrette que nos collègues ne soient pas plus sensibilisés aux enjeux européens. Les propositions de résolutions que nous votons ne sont pas des textes qui s'imposent à l'Europe mais des recommandations à notre gouvernement qui n'est qu'un des 28 gouvernements de l'Union. Pour exercer une influence, nous nous devons d'être vivilants.

Mme Michèle Coninsx. - Merci de m'avoir reçu. Je vous invite à rendre visite à Eurojust.