Mercredi 13 novembre 2013
- Présidence de M. Serge Larcher, président de la délégation, et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -Questions diverses
M. Serge Larcher, président. - Mes chers Collègues, l'activité événementielle de cette rentrée parlementaire a été riche pour notre délégation avec, le 12 septembre, un colloque sur l'audace ultramarine en hexagone, en partenariat avec la Délégation interministérielle à l'égalité des chances des Français d'outre-mer ; les actes sont en cours d'impression et vous seront très prochainement adressés. Il y a également eu le 23 octobre l'hommage rendu à Aimé Césaire à l'occasion de la célébration du centenaire de sa naissance. Je tiens à souligner le succès de cette manifestation qui a réuni plus de 150 personnes dans les salons de Boffrand et a été honorée de la présence de Mme Christiane Taubira et M. Victorin Lurel. Demain 14 novembre, vous êtes tous conviés à un nouvel épisode des Mémoires croisées, dans le prolongement de la rencontre du 9 mai 2012. Cette manifestation, organisée en partenariat avec le Mémorial de Nantes, réunira plus d'une vingtaine d'intervenants sous la talentueuse orchestration de Mme Françoise Vergès.
Toujours sur le registre événementiel, j'ai été saisi d'une demande d'organisation d'un colloque sur le thème de l'autonomie locale par le Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe qui dépend de l'Université des Antilles et de la Guyane. Ce projet devrait pouvoir aboutir vers la mi-avril, après les élections municipales.
Concernant cette université, l'UAG, vous savez sans doute qu'elle est depuis plusieurs semaines en pleine ébullition et que les difficultés se sont accumulées au cours des dernières années. Au-delà des premières annonces gouvernementales, il va falloir démêler l'imbroglio auquel nous sommes parvenus localement et, avec notre collègue Jean-Étienne Antoinette, j'ai rencontré la présidente de la commission de la culture, Mme Marie-Christine Blandin, en vue de la création d'un groupe de travail commun, à l'instar de ce que nous avons fait avec la commission des affaires économiques avant l'été sur la question de la défiscalisation.
Il s'agirait une nouvelle fois d'un groupe de travail restreint, d'une douzaine de membres, comportant pour moitié des membres de la commission et de la délégation. Dans la mesure où nous n'avons pas de nouvelle réunion de la délégation programmée dans l'immédiat, je vous demande de bien vouloir me donner mandat pour établir, en accord avec la commission de la culture, la composition du groupe de travail dont je vous tiendrai informés. (L'assentiment unanime est recueilli).
Enfin, je vous signale une demande émise par la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale : celle-ci nous propose une audition conjointe pour entendre M. Patrick Lebreton présenter les conclusions du rapport qu'il doit remettre à la fin de ce mois au ministre des outre-mer. En effet, M. Lebreton a été nommé au mois d'avril dernier parlementaire en mission pour « identifier les moyens de mieux faire profiter les ultramarins des emplois créés dans leurs territoires d'origine ». Cette question est pour tous nos territoires et nos concitoyens de première importance ; nous pourrions tenir cette réunion conjointe au Sénat le mercredi 11 décembre. Cette audition vous sera prochainement confirmée.
Mme Catherine Tasca. - Concernant l'avenir de l'UAG, la séparation des différentes entités est-elle fortement probable ou subsiste-t-il une chance de préserver un schéma commun avec le renforcement de l'autonomie de chaque pôle ?
M. Serge Larcher, président. - Le protocole de fin de conflit conclu récemment en Guyane prévoit la création, pour ce département, d'une université de plein exercice. Il faut éviter la précipitation et organiser une concertation entre toutes les parties pour parvenir à sauvegarder notre université ; sans doute devrait-on s'inspirer du modèle de l'Université des West Indies qui réunit trois campus principaux situés à la Barbade, en Jamaïque et à Trinité et Tobago et qui est une institution très performante.
Mme Odette Herviaux. - Il est étonnant que les évolutions annoncées prennent la direction inverse des regroupements de pôles opérés dans l'hexagone.
Mme Catherine Tasca. - Sait-on ce qui résulte de la prospection pétrolière au large de la Guyane ?
M. Serge Larcher, président. - Après un premier forage prometteur qui nous avait été présenté en janvier dernier par M. Patrick Roméo, président de Shell France, les suivants ont été infructueux. Le cinquième et dernier forage exploratoire autorisé doit être effectué d'ici la fin du mois.
Mme Odette Herviaux. - Je souhaite vous informer qu'une mission sur la gouvernance des ports décentralisés m'a été confiée par le Gouvernement ; il s'agit de dresser un premier bilan des compétences transférées. Le périmètre de cette mission n'inclut pas les ports d'outre-mer pour lesquels nous n'avons pas le recul nécessaire car la réforme est trop récente.
M. Serge Larcher, président. - Les évolutions du régime fiscal applicable à l'investissement dans les outre-mer est un autre sujet d'actualité : cette question, sur laquelle notre groupe de travail commun avec la commission des affaires économiques avait formulé des préconisations précises, sera abordée lors de la discussion en séance publique de l'article 13 du projet de loi de finances. Si certaines modifications peuvent être accueillies favorablement, plusieurs sujets de préoccupation subsistent tels que la part obligatoire de 5 % de LBU dans les dossiers de financement ayant recours à la défiscalisation, qui risque de brider la production de logements sociaux, la référence au chiffre d'affaires du groupe pour la mise en oeuvre du nouveau crédit d'impôt, référence sujette à interprétation par l'administration fiscale, ou encore les modalités de pré-financement de ce crédit d'impôt et l'installation de la Banque publique d'investissement dans les outre-mer. Mais nous allons examiner tous ces aspects dans quelques instants lors de l'audition du ministre.
Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer
La délégation procède à l'audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, sur le projet de loi de finances pour 2014.
M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer. - Monsieur le Ministre, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour vous entendre sur votre budget et sur les nombreux dossiers cruciaux pour nos outre-mer. La commission des affaires économiques et la délégation à l'outre-mer ont collaboré et collaborent encore sur plusieurs d'entre eux.
Même si votre budget est en augmentation de 1 %, ce dont on peut se féliciter dans la conjoncture morose, les outre-mer contribueront également à l'effort de redressement des finances publiques. La défiscalisation est sauvegardée, la ligne budgétaire unique (LBU) sanctuarisée, le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) reconduit à l'identique, la TVA n'augmentera pas et le régime d'exonération de charges fait l'objet de recentrages dégageant une économie de 90 millions d'euros qui devrait faire l'objet d'un redéploiement dans le cadre de la future loi sur la compétitivité et l'emploi. Nous vous remercions de bien vouloir nous expliquer plus avant ces différents points.
Nous souhaiterions également aborder avec vous plusieurs dossiers européens aux enjeux déterminants pour nos économies ultramarines : l'octroi de mer, la pêche, la mise en oeuvre du nouveau cadre financier pluriannuel, le renouvellement du régime des aides d'État ou encore la fiscalité du rhum.
À l'approche de cette année charnière 2014, où en est la réforme des Programmes d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) ? Les premières annonces sur la diversification des agricultures ultramarines avaient suscité de vives inquiétudes et des appréhensions demeurent bien que le dialogue noué avec le commissaire européen Dacian Ciolos lors de son séjour à La Réunion ait apaisé les esprits.
Pouvez-vous nous informer également sur la mise en oeuvre des lois et décrets qui nous intéressent concernant tant la loi sur la régulation économique dans les outre-mer, que celle visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer et encore le décret règlementant les prix des carburants ?
Si le président Daniel Raoul en est d'accord et pour structurer le déroulement de notre réunion, je vous propose d'aborder dans un premier temps le projet de loi de finances et, notamment, la question du régime fiscal applicable à l'investissement dans nos outre-mer. Dans un deuxième temps, nous pourrons nous pencher sur les dossiers européens. Puis, en dernier lieu, faire un point sur la programmation législative pour les outre-mer au cours des prochains mois et sur l'application des mesures déjà adoptées.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Le menu est copieux. Je n'ajoute rien et cède la parole au ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Même si je redoute vos questions toujours précises et pointues, j'ai plaisir à exposer devant vous l'économie générale du budget de la mission outre-mer. Je n'ai pas à me plaindre des arbitrages rendus par le président de la République et le Premier ministre. Après le budget de combat de 2013, en croissance de 5 %, je vous présente aujourd'hui un budget de continuité dont les crédits de paiement ont augmenté de 1 %.
Nous consolidons les crédits alloués à toutes les grandes priorités. Nous avons sanctuarisé le logement dans le cadre de la LBU. Les autorisations d'engagement comme les crédits de paiement progressent. Les seconds, de 244 millions d'euros, enregistrent une croissance de 25 % par rapport à 2011, 15 % par rapport à 2012 et 8 % depuis 2013.
L'augmentation du budget consacré à la jeunesse et à l'emploi est du même ordre, soit 8 % avec des autorisations d'engagement qui s'établissent à 159 millions d'euros et des crédits de paiement de 151 millions d'euros. Nous poursuivons la montée en puissance du service militaire adapté (SMA).
En matière d'investissement public, nous avons obtenu une nouvelle enveloppe de 50 millions d'euros au titre du FEI. Le président de la République avait annoncé 500 millions sur cinq ans. Vous me direz que le compte n'y est pas. Nous accélèrerons l'an prochain afin que les crédits soient effectivement utilisés. Les autorisations d'engagement augmentent de 10 millions pour les contrats de plan État-régions par rapport à la programmation triennale, de manière à clore la génération de contrats en cours. Le taux d'exécution étant de 90 % il n'est pas nécessaire d'envisager un saut qualitatif. Nous augmentons également de 10 millions d'euros en crédits de paiement le troisième instrument financier, spécifique à la Polynésie française. Enfin, nous allouerons 20 millions en faveur de la construction d'écoles en Guyane et à Mayotte.
La rumeur voudrait que le Gouvernement soit hostile à l'entreprise. La rumeur est fausse. Nous avons demandé un reprofilage des hauts salaires. Cela représente 24 millions, qui seront redéployés en faveur des entreprises dans le cadre de la loi sur la compétitivité et l'emploi outre-mer. Nous avons décidé de stabiliser la compensation des exonérations à hauteur de 1,131 milliard d'euros. Il s'agit d'un véritable effort consenti par les outre-mer pour le rétablissement des comptes publics. Nous allons tripler le montant des autres aides aux entreprises : 25 millions en autorisations d'engagement et 16,5 millions en crédits de paiement. La réforme salariale épargne intégralement les bas salaires jusqu'à 1,4 smic et 1,6 Smic dans le secteur renforcé. Avec la mise en place du CICE, 93 % des établissements et 90 % des salariés ne seront pas affectés.
Les outre-mer bénéficieront en effet de 320 millions en crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), à mettre en regard de ces efforts. Les organisations patronales sont très critiques mais ont refusé, pour certaines d'entre elles, la discussion que je leur proposais. En métropole, le CICE est financé par l'augmentation de la TVA ; ce n'est pas le cas outre-mer où la TVA n'est pas modifiée. Nous n'avons pas supprimé les exonérations de cotisations patronales, nous les avons seulement réduites, sur les hauts salaires. Au niveau de 2,5 Smic, la contribution supplémentaire sera de 43 euros. Au total, ce sont 90 millions d'euros à terme qui seront demandés aux entreprises, dont 30 % redéployés en leur faveur, selon des modalités qu'il vous appartiendra de fixer lors de l'examen du projet de loi compétitivité et emploi.
Parallèlement, l'article 13 de la loi de finances préserve les défiscalisations et les aides à l'investissement. Au total, 2 milliards d'euros d'investissement sont maintenus, 1 milliard au moyen de dépenses fiscales directes, 1 milliard par effet de levier.
Nous aidons les entreprises et les chefs d'entreprise : nous avons besoin de bons managers ! Je me réjouis que nous ayons réussi à maintenir l'intensité de l'investissement et de l'intervention de l'État aux côtés du secteur privé.
Certains sénateurs, je songe au groupe de travail dont MM. Serge Larcher et Éric Doligé étaient rapporteurs et Mme Marie-Noëlle Lienemann présidente, qui ont proposé l'expérimentation d'un crédit d'impôt : le PLF reprend cette idée avec un crédit d'impôt obligatoire pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 20 millions d'euros, et un crédit d'impôt optionnel pour les autres. J'y suis favorable - le président de la BPI également, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un guichet ouvert et sous réserve d'une vérification du coût budgétaire. Nous pourrons transposer l'expérimentation aux collectivités à autonomie fiscale par le biais d'une convention, après délibération de l'assemblée territoriale ou vote d'une loi de pays. Des conventions signées dans les mêmes conditions seront nécessaires afin d'autoriser l'intervention de la BPI dans ces collectivités. Cela a inspiré quelque frayeur à certains, comme M. Patrick Ollier, qui a voté le budget de la mission mais s'est abstenu sur l'article 70 car il craint que l'expérimentation ne soit le prélude, après un bilan en 2015, à une disparition de la défiscalisation en 2016. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas s'interdire, compte tenu des pertes en ligne, d'envisager une substitution, si un autre système se révèle aussi efficace, avec moins de déperdition. Le moment venu, il vous appartiendra d'en décider. L'essentiel est de maintenir l'intensité d'aide au secteur privé et aux concessions de service public. Ne fétichisons pas la défiscalisation. Je vous invite toutefois à ne pas altérer l'équilibre issu de l'économie générale des articles 13 et 70.
L'État alloue 18 milliards d'euros au titre des politiques transversales en faveur de l'outre-mer. Même si cela correspond à une progression epsilonesque par rapport au budget de l'an dernier, l'effort est considérable en cette période de crise grave des finances publiques.
M. Daniel Raoul, président. - Si je comprends bien le théorème Lurel, 20 millions d'euros valent epsilon ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Non, bien au contraire ! J'ai même remercié publiquement mes collègues du Gouvernement qui ont bien compris la nécessité d'un effort envers l'outre-mer.
M. Éric Doligé. - Le niveau annoncé du budget ne garantit pas le résultat des politiques menées. Tout est dans la mise en oeuvre. Vous nous flattez en évoquant une coproduction législative mais la question est de savoir comment les choses se passent sur le terrain. C'est pourquoi nous ferons en temps utile des propositions d'amélioration. Voyez la LBU devenant obligatoire dans le schéma de financement de la construction de logements sociaux : elle a été fixée à 5 % à l'Assemblée nationale, nous souhaiterions descendre à 3 % pour éviter une remise en cause de l'élan favorable à la production de logements induit par la LODEOM. Vous invoquez l'objectif d'une meilleure visibilité de l'utilisation des crédits mais nous avons quelques inquiétudes sur l'efficacité de leur utilisation et sur l'attractivité des dispositifs.
Autre source d'inquiétude, l'exécution budgétaire : que vaut d'annoncer un montant de crédits en hausse si durant l'exercice, on fait des économies ?
Une autre difficulté concerne le plafonnement de l'avantage fiscal en faveur de l'investissement productif à 18 000 euros. Si le plafond applicable en outre-mer n'est pas plus attrayant que celui en vigueur en métropole, les investisseurs déserteront les territoires ultramarins.
La BPI constitue un autre sujet d'interrogation. Elle n'est encore en place nulle part outre-mer. Pouvez-vous nous préciser le calendrier de son installation effective dans les outre-mer ?
M. Serge Larcher, président. - Je voudrais revenir sur la question posée par mon collègue Doligé au sujet des 5 % de la LBU. Loin de moi l'idée de vouloir « casser » le budget du Gouvernement. Mais il faut reconnaître l'existence d'un problème, qui n'est pas évoqué dans les documents budgétaires, lié à la dette de l'État en matière de LBU. En Guyane, cette dette avoisine les 70 millions en crédit de paiement. Une fois celle-ci réglée, que restera-t-il pour le financement de la production nouvelle de logements sociaux ? N'y aura-t-il pas in fine un fléchissement important de cette production en 2014 ? Dès lors, ne serait-il pas de bonne politique d'accepter une baisse du taux requis de LBU à 3 % ?
M. Georges Patient. - Le problème des crédits de paiement en LBU est réel. En Guyane, selon les chiffres dont je dispose, il manquerait en effet 35 millions d'euros pour honorer les engagements de l'État auprès des bailleurs sociaux et des entreprises de BTP. La crise est profonde, les entreprises sont exsangues et menacent de mener des actions violentes. Les crédits de paiement pour 2014, inférieurs au montant de la dette de l'État, seront entièrement absorbés par le service de la dette. Il faudrait augmenter les crédits de 50 millions d'euros.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Monsieur Doligé, à l'origine, Bercy défendait l'idée d'une LBU à 20 %. À l'Assemblée nationale, certains voulaient 3 %, d'autres 10 %. Nous avons finalement obtenu 5% : c'est un bon compromis. Vous proposez 3 %, pourquoi pas ? Cependant, j'attire votre attention sur le fait qu'il n'existe pas de simulation chiffrée solide. Nous avons travaillé avec des approximations. À La Réunion, en pratique, la moyenne est de 10 %, et 7 % pour les opérateurs sociaux...
Nous avons tous voulu sanctuariser la LBU, il faut la consommer. Financer des montages au seul moyen de la défiscalisation, sans recours à la LBU, peut sembler séduisant. Cela poserait toutefois des problèmes de programmation. À démographie constante, pour répondre à la demande sociale, il faudrait construire 10 000 logements pour les cinq territoires (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion) sur les 10 ans qui viennent. Selon le sénateur Patient, les crédits actuels sont insuffisants pour la Guyane. Comment financerons-nous ces opérations ? Si nous ne mutualisons pas la LBU, Bercy ne reconduira pas les crédits. Je suis donc réservé vis-à-vis d'une baisse du taux de la LBU.
En ce qui concerne le plafond de 18 000 euros, nous l'avons arrêté avant de disposer du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) mais celui-ci l'a validé. Vous évoquez un déficit d'attractivité par rapport à d'autres dispositifs existants en métropole, tels le Malraux. En réalité, la cohabitation des régimes n'a jamais pénalisé l'outre-mer car, sur le long terme, le Malraux est peu intéressant. En tout état de cause, nous ferons une évaluation à mi-parcours et, s'il apparaissait que le plafond n'est pas adéquat, nous y réfléchirons. En attendant, nous restons attentifs.
La BPI existe en outre-mer même si elle n'est peut-être pas encore suffisamment opérationnelle. Deux directeurs interrégionaux ont été nommés, Mme Michèle Papalia pour les Antilles Guyane et M. Christian Quéré pour l'Océan Indien. Des comités régionaux d'engagement et d'orientation ont été constitués en conformité avec les dispositions de l'ordonnance du 22 août et du décret du 15 octobre 2013. La doctrine d'intervention est fixée. L'Agence française de développement (AFD) intervient pour le compte de la BPI Financements, comme elle le faisait naguère pour Oséo. J'ai demandé à M. Jean-Pierre Jouyet d'accélérer l'octroi des prêts. En ce qui concerne BPI Investissements, la Caisse des dépôts prend le relai. Les directeurs interrégionaux animeront les comités d'engagement que je viens d'évoquer, sauf à ce que les régions créent des fonds de garantie ou de capital risque, comme le FCPR à La Réunion. Une nouvelle doctrine de financement des hauts de bilan est à mettre au point avec la BPI. Je m'y emploie.
Sur les dettes, des réponses ont été apportées même si je crois comprendre que MM. Serge Larcher et Georges Patient les jugent insatisfaisantes. La dotation pour la Guyane au titre de la LBU en 2012 était de 16 millions, je l'ai portée à 20 millions et j'ai ouvert 6 millions de crédits supplémentaires pour les lignes tendues. Après deux augmentations en septembre et octobre, la dotation finale s'établit à 28 millions d'euros pour 2013.
Vous évoquez des impayés importants de l'État et m'avez remis, pour appuyer votre propos, un dossier réalisé par la fédération du BTP. Nous sommes d'accord sur le montant des factures payées. En revanche, les chiffres sur les factures en instruction et à venir ne sont pas attestés et leur montant reste, à ce stade, hypothétique, à vérifier.
M. Georges Patient. - Ce sont les chiffres de la DEAL.
M. Victorin Lurel, ministre. - Certains seulement !
A cette date, nous comptabilisons 17 M€ de factures en instance et un montant de factures à recevoir encore incertain. Cela ne fait pas nécessairement 35 millions. Mais quoiqu'il en soit, nous avons obtenu le « dégel » des crédits mis en réserve ce qui va permettre de débloquer des crédits dès Novembre.
Attention aux manipulations, comme en Guadeloupe, où le BTP a défilé dans les rues. On a manipulé et l'État et les entreprises. Une SEM, la Semsamar, a adressé des courriers à ses débiteurs annonçant qu'elle arrêtait ses paiements en raison des retards de l'État. Celui-ci a été brocardé dans un climat d'agitation sociale. Or, 80 millions de prêts ont été accordés à cette SEM par la CDC et la caisse d'épargne pour tenir compte des délais de paiement ! La même SEM tente aujourd'hui une manoeuvre identique en Guyane car elle a des ennuis avec la Mission interministérielle d'inspection du logement social (Milos) à propos de sursalaires payés à sa directrice. Celle-ci est gratifiée d'une rémunération très importante, comparable à celle de de dirigeants de groupes qui dégagent un chiffre d'affaires un peu supérieur... Avant de critiquer l'État, nous devons tous travailler à la moralisation de la vie économique outre-mer.
Pour 2014, les 32 millions inscrits en crédits de paiement pour 2014 sont à mon sens suffisants car ils correspondent à un doublement de la dotation 2012. Nous nous sommes donné les moyens de répondre aux urgences sociales et financières de la Guyane. Pour ce qui est de la fin de l'année 2013, je vous renvoie au projet de loi de finances rectificative, qui comprend 20 millions d'ouverture de crédits. Ainsi, en fin d'exécution, j'aviserai.
M. Serge Larcher, président. - Qu'en est-il du rapport commandé par le premier ministre à Mme Anne Bolliet sur la défiscalisation ? Nous souhaiterions en disposer.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - J'ignore si le Premier ministre a décidé de le publié et il a, quoi qu'il en soit, constitué une base de travail pour répondre aux interrogations de vos délégations et des organisations patronales, dont les affirmations ont été contredites par cette étude.
M. Daniel Raoul, président. - Juste une remarque à propos des SEM. Il serait opportun d'explorer la solution des sociétés publiques locales au sujet desquelles j'avais déposé dans le passé une proposition de loi, qui fut votée. Dans ces sociétés, les actionnaires et la gouvernance sont entièrement publics et contrôlés par les collectivités. Ce mode de fonctionnement évite certaines dérives, évoquées à l'instant à propos de l'outre-mer mais qui existent aussi en métropole.
M. Paul Vergès. - La teneur de votre intervention, Monsieur le Ministre, sera fidèlement rapportée à La Réunion où le débat sur les moyens budgétaires intéresse toutes les catégories sociales. A-t-on conscience de la gravité de la situation dans l'île ? Permettez-moi de vous communiquer quelques chiffres issus du document préparé par les services de l'État et de l'Insee à l'occasion de la visite de M. Chérèque. Il apparaît que 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 343 000 personnes ; 145 000 personnes sont inscrites à Pôle Emploi, soit près de 30 % de la population active, chiffre inimaginable en métropole, mais qui ne reflète pas le nombre réel de chômeurs - car nombre d'entre eux ne s'inscrivent plus. 43,3 % est le taux d'emploi de la population en âge de travailler, ce qui représente quelque 165 000 personnes sans emploi. Les mesures budgétaires feront-elles baisser le chômage ? La réponse est négative.
En outre, 74 % des ménages sont éligibles au logement social ; 20 à 25 000 demandes sont enregistrées, un quart seulement satisfaites chaque année. Aux problèmes de logement, de chômage et de grande pauvreté, s'ajoutent les inégalités sociales.
Je voudrais aborder ici une question tabou : celle de la rémunération majorée des fonctionnaires d'État en vigueur depuis 1946. Les salariés de certaines entreprises privées ont obtenu des avantages équivalents. Ainsi, la convention collective des banques assure une sur-rémunération de 30 % par rapport aux salariés de métropole ; dans les assurances, la majoration est de 42,5 % ; elle atteint 73 % pour les services de radio-télévision.
Pendant ce temps, la croissance démographique se poursuit. À la différence des Antilles, La Réunion n'a pas opéré sa transition démographique. Elle comptait 247 000 habitants en 1947, ils sont 850 000 aujourd'hui. Comment s'étonner des conséquences économiques ? L'agriculture aujourd'hui représente moins de 8 % du PIB, l'industrie un peu moins de 10 %. Les services absorbent l'essentiel de l'activité. La Réunion présente la structure économique de la Californie, sans la Silicon Valley, malheureusement. Comment, dans ces conditions, organiser un développement durable et productif ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Le Gouvernement n'ignore pas les difficultés de La Réunion, ni celles qui existent ailleurs en outre-mer. Les problèmes démographiques en particulier, que l'on rencontre aussi à Mayotte ou en Guyane, ont des conséquences sur le logement, la sécurité, la santé, la croissance.
La meilleure réponse réside dans l'activité, dans des grands chantiers créateurs d'emplois et de revenus. La nouvelle route du littoral en est un, financée à hauteur de 1 milliard d'euros par l'État.
Une autre réponse est celle de la politique nationale menée contre la précarité par le Premier ministre. Elle est expérimentée à La Réunion, qui est pionnière sur la garantie jeune. J'entends certains reprocher à l'État une inégalité de traitement avec la métropole au détriment de l'outre-mer. Le grief est infondé. La République fait son travail en outre-mer. Peut-être faut-il changer le modèle économique ? La départementalisation, que nous avons tous voulue, est un succès dans beaucoup de domaines mais pas dans celui de la lutte contre le chômage, aggravé par la situation démographique. Volontarisme économique, interventionnisme politique sont indispensables. La Réunion ne doit pas tout voir en noir, c'est l'une des régions les plus dynamiques de France, elle dispose par exemple d'une solide organisation coopérative mutualiste et solidaire. Un commissaire européen m'a d'ailleurs affirmé que La Réunion était exemplaire en Europe en matière de création d'entreprises et de longévité des entreprises.
Je suis fier de la politique mise en place en pleine crise économique. Lorsque j'étais dans l'opposition, j'entendais vanter le développement endogène. « Comptez sur vos propres forces », nous disait-on... J'aimerais pouvoir faire davantage mais, dans la conjoncture budgétaire actuelle, je crois que nous avons trouvé le moins mauvais équilibre.
Il convient d'être conscient que l'État ne peut pas tout. Est-ce à lui, par exemple, de créer une sur-rémunération de 200 euros dans le secteur privé ? Les patrons d'entreprises ne doivent-ils pas faire un effort également, y compris en matière de retraite complémentaire ? Je l'ai dit aux patrons du secteur agricole, qui l'ont mal pris. Le dialogue social peut être un facteur de productivité. Il y a de ce point de vue des formules innovantes à trouver...
M. Paul Vergès. - Je ne veux pas engager ici une polémique, mais peut-on sur un territoire aussi petit que le nôtre conserver deux modes de rémunération, quand la moitié de la population active ne touche que le Smic ? Il faut réunir tous les acteurs sociaux et trouver un consensus.
M. Jacques Cornano. - Je me réjouis de l'augmentation du budget de l'outre-mer qui a passé la barre symbolique des deux milliards d'euros et de l'effort maintenu du Gouvernement en faveur des territoires les plus touchés par le chômage. Je souhaite vous interroger sur un amendement adopté par la commission des finances à l'Assemblée nationale, qui impose aux cabinets de conseil de présenter à l'administration fiscale, avant de le commercialiser, tout nouveau schéma d'optimisation fiscale.
Cette obligation englobe-t-elle les autres intervenants du marché de la défiscalisation ? Ne va-t-elle pas freiner les investissements ultra-marins ? S'accompagnera-t-elle de la création d'un registre des « défiscaliseurs » ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Je ne peux répondre avec certitude à votre première question. Je pense qu'en l'état l'obligation déclarative s'impose aux seuls monteurs en défiscalisation.
La réforme de la défiscalisation emporte inéluctablement une réforme de ce métier. L'ancien gouvernement avait promis un décret sur le sujet mais ne l'a jamais publié. Nous améliorerons le texte et nous le publierons avec l'objectif de moraliser la profession sans entraver les investissements. Nous réfléchissons à un registre. L'Assemblée nationale a imaginé un système de garantie et de préfinancement. Le débat est en cours entre les banques et la direction du Trésor. D'autres chantiers seront ouverts sur la désintermédiation bancaire, le statut fiscal des collectivités, etc. Des groupes de travail seront mis en place pour approfondir certains sujets.
M. Serge Larcher, président. - La question de la moralisation a été en partie prise en compte dans le projet de loi de finances. C'est un objectif partagé par tous. Le rapport du groupe de travail sur les investissements outre-mer contient des propositions.
Venons-en aux dossiers européens.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - L'agenda est chargé ! Révision des politiques de cohésion, dont les enjeux sont lourds, préparation de la prochaine programmation, discussion des enveloppes financières 2014-2020, octroi de mer, notification des régimes d'aides d'État, fiscalité du rhum... Les débats progressent, vous y contribuez par vos travaux et résolutions. Sur la politique de cohésion, les règlements ne sont pas encore adoptés, mais nous avons obtenu de la Commission une réflexion sur une approche par filière, afin d'envisager des aides au fonctionnement en faveur des domaines d'activité exposés à une forte concurrence : filière bois, énergie, déchets, connexions transfrontalières, tourisme... À cet égard, la méthodologie des POSEI est intéressante.
La Commission n'accordera pas de dérogations permanentes au sens de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour compenser les handicaps structurels des outre-mer. Je ne peux du reste demander à Bruxelles ce qui n'existe pas à Paris. Si l'article 73 de la Constitution autorise une adaptation des lois dans les départements d'outre-mer, une telle adaptation a vocation à être temporaire. Le principe est celui de l'application de plein droit, à terme, des lois françaises aux territoires ultra-marins.
Nous poursuivons nos discussions avec la Commission et nous espérons obtenir des fonds d'amorçage en faveur de plusieurs filières.
Les enjeux de l'octroi de mer sont connus. À Mayotte, il sera appliqué le 1er janvier 2014. Ailleurs, après notification à Bruxelles d'une loi nationale de transposition, le nouveau régime entrera en vigueur le 1er juillet 2014. Le seuil d'assujettissement des entreprises est actuellement de 550 000 euros. Après une longue concertation avec les présidents de région, nous avons proposé à la Commission de le ramener à 300 000 euros.
Je rappelle que 85 % de notre PIB est réalisé dans les services. Or, seule la production matérielle subit l'octroi de mer, si bien que de grosses entreprises échappent à la taxe. À l'occasion du vote de la loi nationale, peut-être faudrait-il envisager d'assujettir les biens et services ?
M. Serge Larcher, président. - Une étude d'impact a-t-elle été effectuée ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Je vous renvoie au rapport Lengrand.
M. Serge Larcher, président. - L'extension de l'assiette pose la question de l'assujettissement des artisans et des petites entreprises.
M. Victorin Lurel, ministre. - Ceux qui ont un chiffre d'affaires de 300 000 euros ne sont pas légion... Environ 400 entreprises sont assujetties à l'octroi de mer, et 175 le paient, sur environ 40 000 entreprises en Guadeloupe et Martinique. Le produit représente entre 800 millions et 1 milliard d'euros, un prélèvement très productif, donc. J'ai suggéré aux présidents de région, qui fixent les taux, de consentir en contrepartie un effort sur les biens de première nécessité pour conforter le pouvoir d'achat : ils le peuvent, puisqu'ils reçoivent des recettes supplémentaires. Un taux zéro répercuté sur le consommateur final serait une bonne idée. Je n'ai pas encore de réponse. Je le regrette. Les monopoles gangrènent les économies ultramarines, une vraie concurrence est nécessaire, et une fiscalité appropriée.
Une quinzaine de régimes d'aides d'État doivent être re-notifiés, en procédure simplifiée pour le premier semestre 2014, puis dans une procédure plus formalisée pour le post 1er juillet 2014. Le travail est engagé.
Sur la fiscalité du rhum, je veux rester prudent mais j'avoue que je suis heureux car nous devrions obtenir un beau résultat : le gouvernement Fillon avait créé un régime d'aides illégal puisque non notifié à Bruxelles, en conséquence de quoi les autorités européennes demandaient aux distilleries ou à l'État le remboursement de 60 millions d'euros. Nous avons notifié ces aides a posteriori, prouvé qu'il n'y avait pas de surcompensation du surcoût, réussi finalement à ne pas payer d'arriérés, obtenu la rétroactivité du régime notifié et légal ; et, enfin, notifié un régime d'aides. Je crois que nous aurons gain de cause. C'est un beau résultat, que toutes les distilleries attendaient !
Les perspectives financières européennes n'ont pas été la catastrophe que l'on prédisait. Globalement, le niveau des fonds est supérieur à ce qu'il était dans la période 2007-2013 - même si Mayotte, qui aurait pu recueillir 400 millions, n'en obtient que 224, à quoi s'ajoutent cependant des fonds FEAMP, POSEI et FEADER, environ 110 millions de plus. Une clause de revoyure est prévue en 2016 : si la consommation des crédits est bonne, la Commission débloquera peut-être une rallonge. Sur la période à venir, 2014 à 2020, l'augmentation globale est de 12 %, les sommes progressent partout. Reste à en fixer la répartition entre les territoires.
M. Georges Patient. - Il est heureux que l'octroi de mer ait été reconduit. Il y a une particularité concernant la Guyane : en 2014, 33 % de l'octroi de mer sera prélevé pour le conseil général - ce qui prive les communes de 27 millions. Profitera-t-on des nouveaux développements pour rétrocéder cette somme aux communes ?
Sur la répartition des fonds européens, le conseil régional de Guyane a émis une protestation, car notre territoire a la plus forte progression démographique, le plus faible PIB et notre part devrait être bien supérieure à ce qu'elle est : nous attendions plutôt 700 que 440. Il faut absolument revoir la répartition. Pour la DGF, un critère de superficie s'applique, pourquoi pas pour les fonds européens ?
M. Serge Larcher, président. - Faites valoir les besoins de la Guyane, mais ne regardez pas ainsi dans l'assiette des voisins... En outre, la définition des critères relève de Bruxelles.
M. Georges Patient. - Je dis seulement qu'il faut appliquer des critères de PIB et de population.
M. Victorin Lurel, ministre. - C'est le Conseil européen qui fixe les critères. Sur la part départementale de l'octroi de mer, la décision n'est pas encore prise ; il nous reste encore quelques mois de concertation avant la transmission. En effet, 27 millions ont été prélevés sur la part des communes, au profit du département de la Guyane. Est-ce à l'État de compenser cela ? Je n'ai pas la solution... Sur la répartition des enveloppes de fonds européens, le conseil régional proteste et invoque l'évolution démographique à l'horizon 2020, mais aucun chiffre n'a encore été validé. La demande du conseil régional n'en sera pas moins examinée.
M. Serge Larcher, président. - Dans le domaine de l'agriculture, où en est la réflexion pour préparer la transition, puisque l'on sait par exemple que la production de sucre sera mise à mal lorsque les quotas sucriers prendront fin en 2017 ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Le commissaire européen M. Dacian Ciolos était à La Réunion, pour évoquer la répartition des financements POSEI entre les cultures de rente, banane et canne à sucre, et la diversification. Il y a là un sujet franco-français à examiner avec prudence et détermination, car il y va de l'autosatisfaction alimentaire et de la conquête du marché local. Même chose pour la pêche : comment utiliser les POSEI pour développer l'industrie halieutique ? Je n'ai pas de solution, mais la question est posée. Sur 280 millions, 129 sont prévus pour la banane, 75 pour la canne et autant pour la diversification. Le niveau des financements est maintenu et je précise que 6 millions seront affectés à Mayotte. Une réflexion est en tout cas nécessaire entre professionnels et élus sur les meilleurs modes de financement. Et la mesure décidée en Conseil interministériel de l'outre mer est maintenue, ce qui représente 35 millions d'euros consacrés à la diversification.
M. Serge Larcher, président. - Les grandes sont structurantes pour nos territoires. Les accords de libre-échange avec l'Amérique latine, surtout le Pérou et la Colombie, ont mis la production de la banane en difficulté. L'Europe a décidé des compensations pour maintenir à flot cette spéculation agricole. Après 2017, l'économie sucrière deviendra bien vulnérable. Les conditions actuelles vont être totalement bouleversées. Il faut préparer la transition dès maintenant.
M. Victorin Lurel, ministre. - C'est vrai. Sur la banane, le Premier ministre a dit que l'épandage aérien devrait s'arrêter d'ici deux ans, nous avons très peu de temps pour préparer la reconversion, mettre au point de nouvelles spéculations, de nouveaux itinéraires techniques et définir la taille optimale des exploitations agricoles. La fin des quotas créera une concurrence supplémentaire pour la production sucrière de La Réunion et de la Guadeloupe : déjà, en dépit des aides actuelles, le surcoût est de 100 euros la tonne de sucre par rapport au coût de production d'autres pays. Nous avons demandé une étude à un cabinet indépendant pour anticiper l'impact de la fin des quotas sucriers et les éventuelles pistes de réorientation. Depuis dix ans, des efforts de productivité considérable ont été réalisés, le prix à la tonne de sucre a été gelé : il en est résulté des efforts de productivité considérables consentis par les exploitants.
M. Serge Larcher, président. - Il y a beaucoup de petits planteurs.
M. Victorin Lurel, ministre. - La loi d'avenir sur l'agriculture qui sera présentée au Parlement en janvier prochain traitera de ces sujets. L'article 1er comprendra une définition de l'agriculture dans les territoires insulaires, car ceux-ci ont vocation à devenir des terres d'excellence biologique et environnementale. Il y a aussi le texte sur les retraites défendu par Marisol Touraine, qui prévoit une retraite à 75 % du Smic à taux plein, pour les petits exploitants agricoles et leurs salariés - la MSA n'existe pas outre-mer. C'est plutôt une bonne nouvelle, surtout si l'exigence de 17 années de cotisations est allégée - nous verrons.
M. Serge Larcher, président. - Reste le problème, pour les petites retraites agricoles, de la date de versement trop tardive, en milieu de mois.
M. Victorin Lurel, ministre. - Dans le passé, elles étaient versées tous les trois mois. Aujourd'hui elles sont mensualisées, mais je sais que la date de versement pose encore problème : cependant, nous devons aussi prendre en compte la trésorerie des caisses.
M. Paul Vergès. - Je rappelle que la canne à sucre n'est pas une plante annuelle, que sa durée de vie est de sept années. Les plantations et investissements d'aujourd'hui ont besoin de visibilité et les acteurs de l'activité sucrière aimeraient connaître les orientations du Gouvernement dans la perspective de l'échéance de 2017.
M. Victorin Lurel, ministre. - Dans la loi d'avenir pour l'agriculture, il y a également les groupements d'intérêt économique et environnemental, la transparence des coopératives, la préservation des terres agricoles, ou encore cette règle révolutionnaire, dont j'espère qu'elle ne sera pas censurée par le Conseil constitutionnel : la possibilité, pour deux tiers des héritiers d'une propriété agricole en indivision, d'imposer l'exploitation des terres, en fermage par exemple dans le cas de terres insuffisamment cultivées. Un nouveau contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et les collectivités renforcera les missions des chambres d'agriculture. A quoi s'ajoute une orientation de l'agriculture vers le modèle durable, le renforcement de la protection du foncier, des dispositions sur les produits locaux dans la restauration collective. Je veux mentionner la loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire outre-mer. Il y a 36 millions de repas à conquérir ! Les critères de performance tels que fraîcheur ou circuit court, appliqués aujourd'hui aux produits frais, seront étendus aux produits transformés issus de l'agriculture ou de la pêche.
Le texte habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances de codification, mais - c'est une originalité - cela ne se fera pas à droit constant. Les grandes lois agricoles votées depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les lois Pisani, Debré, celle du Gouvernement Jospin, sont faites pour un climat tempéré. Elles sont mal calibrées pour nos « pays sans hiver ». Les dispositions applicables outre-mer sont dispersées et méritent d'être ramassées dans un code spécifique à nos territoires. M. Dominique Bussereau et moi avions fait une tentative à ce sujet, hélas l'ordonnance n'a pas été publiée. Une nouvelle habilitation est nécessaire, pour reprendre le travail déjà commencé.
M. Serge Larcher, président. - Pourrez-vous nous communiquer le rapport d'expertise sur la canne à sucre ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Oui, lorsqu'il sera prêt. Il faut absolument anticiper la fin des quotas sucriers et prendre en compte ces nouvelles contraintes sur l'ensemble de la filière...
M. Serge Larcher, président. - S'il n'y a plus de rhum, il n'y a plus d'Antilles !
M. Victorin Lurel, ministre. - Non, vous connaissez noter détermination à préserver la canne et le rhum, j'ai notamment en tête le dossier Pécoul où notre objectif est de préserver les approvisionnements en eau et sécuriser le terroir AOC. Le foncier est limité aux Antilles, à La Réunion ; ce n'est pas le cas en Guyane, où une grande ambition agroalimentaire et agricole est possible si l'on trouve les bons vecteurs. Souvenez-vous de cette action menée par Pierre Mauroy, l'achat de 12 500 hectares en Guadeloupe, puis leur revente à des sociétaires collectivement propriétaires, qui étaient aussi des professionnels bien formés. La même chose est possible en Guyane, je souhaite que le Gouvernement s'engage dans cette voie, si les Guyanais veulent se transformer en agriculteurs - car faire venir des exploitants d'ailleurs poserait d'autres problèmes.
M. Serge Larcher, président. - Je voulais aussi aborder la programmation législative, les mesures d'application des lois récentes concernant les outre-mer ainsi que la réglementation de la fixation du prix des carburants. Comment prenez-vous en compte les préoccupations des pompistes ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Je revenais à peine de Guadeloupe où j'étais en voyage officiel, que les gérants de stations service ont annoncé des grèves et des actions pour la mi-décembre. Le Gouvernement a pourtant dit et répété qu'ils n'étaient pas inclus dans le périmètre du décret, réservé aux pétroliers, aux raffineurs, aux stockeurs. Les salariés des stations service veulent quand même débrayer.
Nous avons certes décidé de réduire la marge de ces monopoles, aujourd'hui 12 à 15 % après impôt, un niveau exorbitant... D'autant que dans ce régime de monopole et de prix administrés, le risque de faillite est nul, sauf mauvaise gestion caractérisée. Selon les conclusions de la dernière enquête que nous avons diligentée, l'activité est encore plus rentable que ce que nous pensions. Sara, filiale antillaise de Total, est l'unité la plus profitable du groupe. Or, l'État a dû lui faire un chèque en raison d'une menace de contentieux. Le décret de novembre 2010 n'a pas mis fin à l'ubris profitationnel ; le Premier ministre prendra donc un nouveau décret, afin de contenir les marges entre 8 et 10 %, niveau raisonnable puisque la Commission de régulation de l'énergie estime à 7 % leur niveau normal. On nous accuse d'être « contre les entreprises ». Nullement : nous sommes pour des profits raisonnables et la préservation du pouvoir d'achat.
Nous maintenons les marges des stations-service afin de préserver l'emploi. Le texte est en ce moment soumis à la consultation des cinq collectivités, à l'Autorité de la concurrence et au Conseil d'État. L'objectif est une publication du décret avant la fin de l'année, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2014.
Un mot des accords interprofessionnels, entre les pétroliers, les distributeurs, les locataires-gérants : ces derniers reçoivent des indemnités conséquentes de fin de contrat de gérance, mais les bases juridiques des contrats ne sont pas toujours solides, au point qu'on y a mis fin en Guadeloupe. À la Martinique, les salariés manifestent dans la rue, car leurs arriérés de salaire deviennent insupportables. Les patrons se rendent alors chez le préfet et disent qu'ils sont « d'accord pour payer, si l'État proroge de trois ans les accords interprofessionnels pétroliers » ! Nous avons refusé. Ils avaient signé, en Guadeloupe comme en Martinique ou à La Réunion, le RSTA (Revenu supplémentaire temporaire d'activité), avec 200 euros supplémentaires pour les bas salaires, et voilà qu'ils ont décidé, parce que « la conjoncture est mauvaise », de ne pas le payer. Les indemnités devraient être versées, en fin de contrat, aux locataires-gérants et à eux seuls. Or elles sont utilisées pour les propriétaires. Bref, nous demandons la lumière sur tous les aspects de cette question, nous voulons que l'opinion publique et le Parlement soient informés. Le pilonnage des lobbies, contre le décret, contre le ministre que je suis, contre le Gouvernement, est impressionnant ! « Si nous n'obtenons pas satisfaction, disent encore les propriétaires, nous reprenons la gestion directe des stations et nous licencions les pompistes », soit environ 1 000 personnes dans chacune des îles considérées. Le Gouvernement peut-il accepter un tel chantage ?
Le projet de loi compétitivité est en préparation. J'espère pouvoir le présenter très prochainement au Conseil des ministres. Il est encore temps de faire vos propositions. Il est difficile de changer de modèle sans changer de statut, compliqué de faire une révolution fiscale tout en restant dans le territoire douanier européen et le code général des impôts. Pour reprendre une idée de Michel Rocard, comment réformer sans dépenser ? Comment inventer du neuf, renouveler les zones franches d'activité, qui prennent fin en 2017, sachant que la Lodeom n'aura pas été très efficace ? Pour le secteur social et solidaire, nous réfléchissons aussi à la manière d'exploiter la culture mutualiste, créer des sociétés coopératives avec des gérants élus, renouveler les modes de gestion, instaurer des associations de consommateurs, instiller une concurrence de bon aloi. Il faudrait une vraie petite révolution, mais dans les temps actuels, comment la mener sans rien dépenser ? Peut-être en fonctionnant en dons et contre dons, sans échange monétaire ? Pardonnez-moi, je m'égare, je suis en train de rêver...
M. Serge Larcher, président. - Où en est la prospection en Guyane ? A-t-on trouvé du pétrole lors de la dernière campagne ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Non, elle n'a rien donné, un seul forage sur cinq ou six a été heureux, Shell confirme l'échec. La zone de forage devrait se déplacer vers l'Est.
M. Georges Patient. - De nouvelles demandes sont en attente, Shell, Total...
M. Victorin Lurel, ministre. - Nous resterons attentifs.
Mme Karine Claireaux. - Je veux attirer l'attention du ministre sur notre archipel « avec hiver ». Le développement économique est en berne, l'activité de pêche ne dépasse pas le minimum vital. Cela a-t-il un sens de demander encore des quotas aux Canadiens, quand on ne peut plus les exploiter ? Nous aurons besoin de défiscalisation pour le projet Grand port, si celui-ci aboutit ; et besoin d'accéder aux ressources du FEI. Il semble que la part des collectivités, dans les financements prévus par le contrat de développement, soit supérieure à celle de l'État. Qu'en est-il ? Notre petit archipel compte 2 500 foyers fiscaux. L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada risque de nuire à notre économie fragile.
Sur deux questions, nous allons avoir besoin de votre aide. D'abord, le plateau continental pourrait devenir une source de développement économique, si un accord était trouvé avec les Canadiens. Ensuite, deux permis d'exploitation pétrolière vont être déposés, portant sur la zone économique exclusive : la Drire Île-de-France va devoir donner une réponse, nous avons besoin du soutien du ministère dans ce parcours. Les deux ports, de Saint-Pierre et de Miquelon, sont des ports d'État. Il faut ensemble développer l'interface port-ville et les activités de pêche, de commerce, de plaisance - car nous avons une position stratégique qu'il convient d'exploiter.
M. Victorin Lurel, ministre. - Je vous suis tout acquis. Je sais vos attentes et vos déceptions. Je suis venu sur place, j'ai pris des engagements que je renouvelle. Concernant l'ordonnance pour le financement du Fonds national d'action social, le ministère des affaires sociales m'indique que 1 million d'euros seront consacrés aux actions envers les familles, les jeunes, les personnes âgées. L'ordonnance a reçu un avis favorable de la CNAF, nous attendons l'avis du Conseil territorial. Sur la revalorisation des retraites, l'arrêté sera pris dans quelques semaines, après l'avis de la Caisse de prévoyance sociale, et avec effet rétroactif à avril 2013. Pour rendre automatique la revalorisation, dans le cadre de la convergence nationale, l'article 34 de la loi sur les retraites prévoit une nouvelle habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance ; le travail a déjà été entrepris, il faudra environ six mois pour l'achever.
Sur l'extension des aides au logement qui figure à l'article 25 de la loi de régulation des activités économiques outre-mer, un avis a été rendu en mai dernier par le Conseil d'État, qui introduit un doute sur la compétence logement : il semble que la collectivité soit compétente, le Gouvernement a saisi à nouveau le Conseil d'État pour savoir à quelles conditions il peut financer le logement.
J'ai demandé que dans le contrat de développement, les priorités des communes soient prises en compte et non seulement celles du conseil territorial. Le président de la République lui-même a décidé de déposer un dossier à l'ONU sur le plateau continental. Néanmoins, l'affaire est délicate, et M. Laurent Fabius l'a souligné, il faudra être très mesuré pour que la France ne soit pas désavouée par les juges de la Commission des limites du plateau continental.
Enfin, un message à M. Georges Patient : les opérateurs doivent comprendre que les choses avancent, point n'est besoin de bloquer l'économie du pays, je le dis après ce qui s'est passé dans les universités. Le BTP menace à présent de défiler, je demande au secteur de n'en rien faire, nous comprenons les problèmes et travaillons à des solutions.
M. Serge Larcher, président. - Nous répondrons à vos sollicitations sur tous les dossiers, pour apporter notre contribution. Merci de toutes ces informations.