Mardi 14 janvier 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Moratoire sur les fermetures de services et d'établissements de santé ou sur leur regroupement - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Annie David, présidente. - Je vous souhaite d'abord à toutes et tous une très bonne année, et fais le voeu que nous continuions nos travaux dans les meilleures conditions possibles.
Nous examinons à présent la proposition de loi instaurant un moratoire sur les fermetures de services et d'établissements de santé ou leur regroupement, rapportée par Mme Laurence Cohen et inscrite en séance publique le 22 janvier dans le cadre de l'espace réservé au groupe CRC.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Depuis une dizaine d'années, l'hôpital est miné par une succession de réformes désastreuses. Ne penser la sécurité ou la qualité qu'en termes de taille a entraîné une forte diminution du nombre des hôpitaux, notamment des maternités et des centres IVG, lourde de conséquences pour la santé publique.
Du milieu des années 1990 à celui des années 2000, il y a eu près de 1 200 recompositions hospitalières ; 83 000 lits d'hospitalisation complète ont été supprimés, soit 15 % des capacités installées ; 380 établissements ont été supprimés ou regroupés ; le nombre de lits a baissé plus fortement dans le secteur public que dans le privé. Toute fermeture de service entraîne souvent des fermetures en cascade, réduisant l'attractivité d'un établissement. Didier Ménard, médecin aux Francs-Moisins à Saint-Denis, a comparé ces fermetures d'hôpitaux au numerus clausus, politique de restriction de l'offre aux conséquences calamiteuses.
Aucune analyse sérieuse n'a été conduite sur le bien-fondé et les résultats de tels choix avant le rapport remis en 2012 par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) - qu'on ne peut guère soupçonner d'extrémisme. Celui-ci dresse à partir des travaux du géographe Emmanuel Vigneron un bilan négatif ou au mieux en demi-teinte de ce processus, évoquant « les inconvénients de la grande taille », des « déséconomies d'échelle » ou encore « l'introuvable effet de gamme ». Au-delà d'un certain seuil, la grande taille présenterait pour un hôpital plus d'inconvénients que d'avantages. Pour Françoise Nay, présidente de la coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité, ces restructurations n'entraînent non seulement aucune économie, mais sont des gouffres financiers, comme en témoigne l'hôpital du Sud Francilien.
Les services d'urgence, durement touchés par ces concentrations, doivent se battre pour placer leurs malades dans les services et finalement les héberger plus longtemps qu'ils ne devraient - un cercle vicieux que nous ont décrit Christophe Prudhomme et Patrick Pelloux, urgentistes. Ce dernier estime qu'il ne devrait pas y avoir, au même moment, plus de 5 % de fermetures de lits dans un établissement, ce qui semble juste.
La diminution du nombre de lits peut se justifier dans certaines spécialités par l'évolution des techniques médicales, mais non pour les services polyvalents de médecine ou de gériatrie. Le vieillissement de la population et le développement des polypathologies militent au contraire pour une prise en charge généraliste plus importante.
Les maternités sont un exemple emblématique. Leur nombre est passé de 1 369 en 1975 à 554 en 2008, alors même que le nombre de naissances augmentait. Simultanément, le nombre de lits d'obstétrique a été divisé par deux. Entre 1995 et 2005, 126 maternités ont été fermées. En outre, leur typologie a évolué : celles de niveau II ou III, plus techniques car disposant d'une unité de néonatologie et de réanimation néonatale, ont progressé, tandis que le nombre de maternités de niveau I passait de 415 à 263. Ces dernières ne rassemblent plus que 34 % des lits disponibles, contre 45 % de niveau II et 21 % de niveau III. Or les maternités de niveau II et III, qui technicisent l'accouchement pour nombre de femmes qui n'en ont pas besoin, coûtent plus cher. La fermeture des petites maternités est donc une aberration sanitaire et financière. Au lieu d'expérimenter des maisons de naissance, réinvestissons dans les maternités de niveau I.
Les difficultés auxquelles les organismes de tutelle acculent aujourd'hui la maternité des Lilas, des Bluets, de Marie-Galante ou de Dourdan sont l'expression de cette évolution négative qui pénalise les organismes soucieux d'une prise en charge plus humaine, à la suite du docteur Lamaze, promoteur de l'accouchement sans douleur dans les années 1950. En outre, comme le souligne Jean Vignes, de Sud Santé, derrière les fermetures de maternités se cachent celles des centres d'IVG. Elles sont souvent justifiées par des impératifs de sécurité, qui exigeraient le respect de seuils minimaux d'activité. Or de nombreuses études montrent que de tels seuils sont très difficiles à définir. L'Igas met en doute l'idée selon laquelle plus on soigne, meilleurs sont les résultats. Au reste, le volume minimal d'activité s'applique-t-il au service ou aux professionnels eux-mêmes ? Doit-il être comptabilisé intervention par intervention, par domaine pathologique ou par discipline ? L'expérience antérieure des professionnels est-elle prise en compte ?
Fixer des seuils, largement arbitraires, réduit l'accès aux soins des patients. Le temps d'accès à l'hôpital varie grandement selon les territoires. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le Gers et la Lozère, le temps de trajet médian dépasse 40 minutes ; en Corse, 31 % des femmes de 15 à 49 ans sont à plus de 45 minutes par la route d'une maternité, 7 % en Poitou-Charentes. Calculer un temps global n'est guère pertinent, et les calculs de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) souffrent de biais méthodologiques. Reste qu'au-delà d'une certaine distance ou temps d'accès - 45 minutes selon Emmanuel Vigneron -, les patients renoncent aux soins ou les retardent excessivement. Géographiquement, la France n'est pas les Pays-Bas : elle est plus vaste, plus diverse et plus montagneuse. Il faut réfléchir en termes de densité, de dispersion de la population, au plus proche du territoire : parce que les restructurations hospitalières ont fréquemment lieu dans les déserts médicaux, elles représentent une forme de double peine.
En outre, le sous-financement des hôpitaux résulte du paiement à l'activité, dont le principe est contraire à la notion de service public. La dette des hôpitaux est passée de 12 à 28 milliards d'euros entre 2005 et 2012. Bien sûr, cet endettement, correspond d'abord à un effort d'investissement mais il révèle un autofinancement insuffisant, partant un sous-financement chronique de l'activité. Chaque année, les fédérations hospitalières soulignent le décalage entre l'Ondam et l'évolution naturelle des charges, alors même que cette évolution dépend d'éléments peu maîtrisables.
L'application hâtive de la tarification à l'activité (T2A) à 100 % sur l'ensemble du champ MCO a été dramatique. En effet, la T2A entraîne une course à la production et une inflation des actes pratiqués ; elle accroît la concurrence entre établissements et participe à la marchandisation de la santé. Le calcul de « tarifs » fondés sur des coûts nationaux moyens crée des inégalités considérables entre les territoires. Au final, la T2A récompense les établissements situés dans des zones dynamiques et qui n'en ont pas besoin, et méconnaît la notion de qualité des soins. Au surplus, la durée moyenne de séjour hospitalier, à 5,7 jours, est particulièrement basse par rapport à la plupart des pays développés : 6,1 aux Pays-Bas, 7 en Espagne, 7,7 au Royaume-Uni et même 9,8 en Allemagne. Cet écart ne peut s'expliquer que par la pression financière de la T2A qui pousse les gestionnaires d'établissement à renvoyer les patients chez eux au plus vite.
La santé n'est pas une marchandise, ni l'hôpital une entreprise. Malheureusement, une idéologie de la concurrence s'est imposée. Comme nos rapporteurs de la Mecss l'ont noté, certaines expressions relevant plus du marketing que de la santé ont essaimé dans nos hôpitaux : « part de marché », « taux de fuite », « prestations de services », « producteur ou offreur de soins », multiplication des « indicateurs ». Comment peut-on parler de marché pour la santé ? Pour Didier Tabuteau, plutôt proche du gouvernement actuel, les nouveaux modes de management ont « donné une assise technocratique et d'apparence `scientifique' aux projets de réduction du champ des services publics » et ont « concrétisé les velléités néolibérales de contraction des interventions publiques ».
Didier Tabuteau rappelle les étapes de la profonde remise en cause de l'organisation du système hospitalier français depuis 2002 : développement d'une approche indifférenciée des hôpitaux et des cliniques privées dans la doctrine administrative, renoncement au service public sous couvert du droit de la concurrence, tarification à l'activité, convergence tarifaire, développement des PPP, concept d'hôpital-entreprise, remplacement du conseil d'administration par un conseil de surveillance (un terme tiré du code de commerce !), renforcement des prérogatives du directeur au détriment de la communauté hospitalière et des élus - le président de la République voulait alors doter l'hôpital d'un « véritable patron »...
L'idéologie de la concurrence est allée de pair avec le mirage de la contractualisation. Mais comment un établissement peut-il véritablement peser dans la négociation d'un supposé contrat lorsque l'ARS possède autant de moyens de pression sur les directeurs ? Les représentants de l'ordre des médecins nous l'ont dit : la technostructure a pris le pas sur la proximité, il faut revenir à du coopératif.
Ce gouvernement semblait conscient des conséquences de cette situation sur l'accès aux soins, mais si la convergence tarifaire a formellement disparu de la loi, elle a bien eu lieu en 2013. Les tarifs ont baissé de 0,84 % pour le secteur public et de 0,21 % dans le privé. De plus, 0,35 % de ces tarifs a été gelés en début d'année. Voilà l'étrangeté de la T2A : l'Ondam hospitalier progresse théoriquement de 2,6 % mais les tarifs baissent. Le ministère calcule en effet une augmentation moyenne au niveau national des volumes d'actes pratiqués : si l'établissement est en dessous de cette prévision strictement quantitative, ses ressources baissent, même s'il se situe dans une zone où l'offre de soins est insuffisante.
Le Gouvernement a certes décidé de décaler l'application de la T2A dans les ex-hôpitaux locaux, mais il faut aller plus loin. J'espère que la loi de santé publique, que nous attendons avec impatience, réintroduira le concept de service public hospitalier, supprimé par la loi HPST. A découper le service public en tranches, on finit par l'émietter. On nous annonce ainsi de grandes réformes. Un pacte de confiance est évoqué depuis de longs mois, mais rien ne change dans les services, sinon que les difficultés augmentent. Les personnels continuent de subir des conditions de travail souvent inacceptables, notamment dans les services d'urgence. Il faut préserver la notion d'équipe, si importante pour humaniser la prise en charge et améliorer sa qualité.
Dernier exemple caractéristique de la nécessité d'agir : le scandale de l'exercice libéral à l'hôpital. Alors que le temps consacré à cette activité ne devrait pas dépasser 20 % de la semaine, certains médecins touchent plus de 100 000 euros de rémunérations complémentaires par an, soit plus que leur seule rémunération hospitalière ! En outre, les temps d'attente sont très différents selon que vous acceptez un rendez-vous en secteur libéral ou non. Il faut mettre fin à ce système pervers.
Réfléchissons à un autre modèle et, pendant ce temps, décrétons un moratoire sur les fermetures d'établissements. Donnons-nous le temps de la réflexion pour revenir à un modèle hospitalier plus conforme à notre culture, à notre histoire et aux attentes des patients et de leurs familles. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, dont l'objet immédiat est nécessairement affecté par les contraintes législatives et le temps limité qui nous est imparti dans le cadre de niches réservées aux groupes. Nous proposons de n'autoriser la fermeture d'un hôpital, d'un service ou d'un regroupement qu'après avis favorable de son conseil de surveillance et de la conférence de territoire, sauf si une offre de santé au moins équivalente, en tiers payant et avec des tarifs opposables est garantie à la population concernée par l'éventuelle fermeture. La commission médicale d'établissement et le comité technique doivent également être consultés.
Nous entendons ainsi pallier par la concertation le manque criant de démocratie sanitaire. Les décisions contradictoires prises successivement par l'ARS sur le dossier de la reconstruction de la maternité des Lilas en témoignent. Naturellement, cette mesure ne s'applique pas en cas de risque grave et imminent pour la santé et la sécurité des personnels ou des usagers, formule usuelle du code de la santé publique. Mais attention : en privant sciemment les services de personnels ou de moyens, on empêche parfois leur bon fonctionnement, si bien que la fermeture deviendrait l'unique solution, au nom de la sécurité.
Il n'y a pas d'un côté les modernes qui voudraient faire évoluer l'hôpital et de l'autre, les ringards accrochés à un fonctionnement dépassé. Nous ne prônons pas le statu quo. Prenons le temps d'élaborer ensemble, avec tous les acteurs de la santé, un nouveau modèle. Cette proposition de loi fait application du principe de précaution : c'est une mesure de sauvegarde. Arrêtons de fermer des services ou des hôpitaux, le temps de repenser le système de santé de demain. Chacun d'entre nous s'est un jour mobilisé pour son hôpital et pour tel ou tel de ses services : il ne serait pas cohérent de ne pas en tirer les conséquences aujourd'hui en rejetant cette proposition de loi.
M. Jacky Le Menn. - La proposition de loi apporte une mauvaise réponse à de vrais problèmes. De plus, le rapport soulève des questions sans lien avec l'objet du texte, comme ce que vous présentez comme le sous-financement des hôpitaux ou les effets de la loi HPST - que vous critiquez en filigrane. Et vous concluez qu'il faut faire « autre chose » que de fermer des services : certes, mais quoi ?
Le Gouvernement, dont je vous concède que son approche n'est pas précipitée, a défini une stratégie nationale de santé. Ses lignes de force (territorialisation des soins, parcours de santé, ouverture de maisons de santé, renforcement des centres de santé...) dessinent un ensemble cohérent. Il s'agit également de prendre en compte les mutations technologiques : si les patients s'orientent par exemple plus volontiers vers l'angioplastie, qui a fait de grands progrès, nous devons en tenir compte dans l'organisation des services de chirurgie. Pourquoi raisonner comme s'il ne s'agissait que de fermer des services, et non de répartir plus efficacement les fonctions logistiques et administratives, comme le font par exemple les communautés hospitalières de territoire ?
La priorité est de répondre aux besoins des patients. Comme le disait le directeur de l'AP-HP lors de son audition, l'hôpital doit bouger, être vivant. Il ne s'agit pas de bouger pour bouger : les trois niveaux de maternité, par exemple, trouvent leur justification dans la sécurité des parturientes. Mais l'inertie joue contre notre système de soins. Cette proposition de loi propose d'attendre pour réfléchir : c'est le meilleur moyen de perturber les mutations en cours. Personne - les auditions l'ont révélé - ne souhaite de moratoire ! Les défenseurs des hôpitaux de proximité ont même récusé le terme.
La loi de santé publique, à la nécessité de laquelle nous nous attachons à fortement sensibiliser la ministre, abordera tous les aspects du problème. La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) rendra bientôt un rapport sur le rôle des ARS. Nous regrettons de n'avoir pu aborder les questions d'organisation dans le cadre de l'examen du PLFSS, faute de passage à la quatrième partie. En conclusion, nous voterons contre cette proposition de loi.
Mme Catherine Procaccia. - Nous autres élus locaux avons tous défendu des établissements situés sur nos territoires. La fermeture d'une maternité, par exemple, suscite bien sûr des inquiétudes. Mais il faut distinguer la défense de son territoire et le vote d'une proposition de loi d'application générale. Procédons plutôt au cas par cas : cette proposition est inadaptée.
Les raisons financières ne peuvent expliquer seules les écarts de durée d'hospitalisation selon les pays. Et si notre système sanitaire était tout simplement meilleur que ceux de nos voisins ? On démontrerait aisément que l'on soigne mieux en France qu'au Royaume-Uni. Lorsqu'un décès survient dans une maternité, la France entière réagit et s'émeut.
M. Alain Milon. - Je suis très surpris du réquisitoire que dresse notre rapporteure. Comme si rien n'avait été fait depuis les lois Debré. Comme si l'on avait systématiquement préservé les CHU et supprimé les hôpitaux locaux. Comme si aucune étude n'avait été menée. Tout cela est faux.
Il n'est jamais simple de fermer un hôpital, mais un taux de fuite élevé témoigne d'abord de la défiance des usagers vis-à-vis des soins rendus : vous vous trompez sur la proximité. L'Allemagne a plus de patients et moins d'hôpitaux que la France, et l'espérance de vie n'y est pourtant pas moins élevée, ni les soins rendus moins bons qu'en France. En tant que président de la Fédération hospitalière de Provence-Alpes-Côte d'azur, je connais bien la situation de l'hôpital de Briançon, qui est sous-utilisé la majeure partie de l'année.
Le rapport sur la T2A, que nous avons rendu avec Jacky Le Menn, a été approuvé par l'ensemble de notre commission. Nous ne recommandons pas de revenir à la dotation globale mais d'adapter la T2A qui a contribué à améliorer le financement des hôpitaux. Si l'endettement hospitalier progresse, c'est parce que beaucoup d'établissements ont investi, dans le cadre des différents plans nationaux. Les déficits sont chroniques, certes, mais en baisse. Nous avions d'ailleurs proposé que l'endettement lié à ces investissements soit repris par d'autres acteurs et distingué plus nettement du financement des soins.
Très surpris par cette façon de voir les choses, je voterai contre ce texte très idéologique.
Mme Colette Giudicelli. - Une fois n'est pas coutume, je ne suis pas tout à fait d'accord avec Alain Milon. Si, globalement, nos hôpitaux fonctionnent bien et sont bien équipés, c'est parce que nous avons drastiquement diminué leur nombre. Or, aller accoucher à 40 km de son domicile n'est pas une partie de plaisir, et le jeune qui, tombé de son scooter, se sera éclaté la rate, mourra avant d'arriver aux urgences les plus proches ! Depuis que certaines maternités ont été fermées car elles enregistraient moins de tant d'accouchements par an, combien de femmes n'ont-elles pas accouché dans le camion des pompiers !
Nous avons donc besoin d'hôpitaux de proximité. Ils n'auraient certes pas l'équipement des grands CHU, mais répondraient aux besoins de la population, dont une grande partie paie pour l'heure les très lourdes conséquences de décisions passées.
Mme Catherine Génisson. - Notre rapporteure, qui pose de vraies questions, a présenté une véritable intervention de politique générale en matière de santé. Je la rejoins sur l'urgence de revenir à la notion de service public hospitalier et de revoir la gouvernance du système, car la démocratie sanitaire est bien malmenée.
Selon toutes les personnes auditionnées, la qualité des soins doit primer toute autre exigence. Les représentants du conseil de l'ordre nous ont clairement dit qu'ils envoient leurs patients là où eux-mêmes se rendraient...
M. René-Paul Savary. - Très bien !
Mme Catherine Génisson. - Les hôpitaux de proximité ne sont pas les seuls en cause. Et il est vrai qu'au-delà des conséquences sanitaires, une fermeture emporte des conséquences économiques dont les élus ne peuvent se désintéresser.
Les fermetures de lits répondent à trois hypothèses : une restructuration hospitalière, une fermeture différée mais programmée - par exemple en été lorsque le personnel est moins nombreux -, et une urgence absolue. Dans les deux derniers cas, un moratoire s'impose moins qu'une amélioration de la démocratie sanitaire.
Le rôle des communautés hospitalières de territoire n'a guère été évoqué. Elles peuvent pourtant fournir des réponses pertinentes et qualitatives aux difficultés soulevées par les restructurations. Or elles sont demeurées des objets non identifiés.
Par ailleurs, bien que je préside une conférence de territoire, j'ignore toujours l'étendue de ses prérogatives face aux représentants de l'ARS ou du conseil de surveillance. De plus, ces communautés n'ont qu'un rôle consultatif.
L'article 2 du texte, en établissant les conditions de dérogation à l'article 1er, crée plus d'insécurité qu'il n'apporte de sécurité. Les limites des conditions d'application du texte sont difficiles à définir. Il faudrait une loi plus globale de santé publique.
M. Gérard Roche. - Ce texte apporte une solution globale, alors que chaque cas est particulier. Ce débat est à contre-courant, sinon d'arrière-garde. La priorité, c'est l'intérêt du patient.
L'année dernière, une centaine de manifestants ont protesté contre la fermeture d'une maternité en Haute Ardèche. Celle-ci n'avait pourtant ni service de chirurgie, ni banque de sang, ni unité de réanimation néonatale... A mon sens, il vaut mieux déplacer les gens pour les prendre en charge dans de bonnes conditions.
Quant aux autres spécialités, réfléchissons plutôt à la répartition des soins. Les traitements évoluent très rapidement : la coronarographie a par exemple remplacé la fibrinolyse dans le traitement de l'infarctus du myocarde. Nous avons besoin de plateaux techniques de pointe pour les urgences d'une part, et d'autre part d'un réseau de soins de proximité pour la prise en charge quotidienne. Les CHU pourraient conventionner davantage avec les autres hôpitaux de manière à améliorer la territorialisation des soins. En toute hypothèse, un moratoire semble mal indiqué en l'état actuel de la médecine française, l'une des plus prisées en Europe et dans le monde.
Mme Colette Giudicelli. - Et si vous avez un accident vasculaire cérébral, comment faites-vous pour aller à trente kilomètres de chez vous ?
M. Gérard Roche. - L'hospitalisation ne sécurise véritablement que si elle apporte une qualité technique.
Mme Catherine Deroche. - Tout à fait !
M. René-Paul Savary. - Dans ce domaine comme dans d'autres, la majorité a de grandes divergences... Votre proposition de loi donne une réponse simple à une question compliquée. Il faut de l'humilité. Dans ma région, j'ai vu défiler dans la rue contre la fermeture d'un service de chirurgie tous ceux qui ne seraient jamais allés s'y faire soigner... Or nous avons fait un groupement hospitalier qui apporte un service de qualité à un coût supportable pour notre société avec des fonctions supports partagées, de sorte que des personnels qualifiés viennent dans des zones périphériques, ce qui n'est pas toujours le cas si chacun reste chez soi...
Vous avez omis de traiter des recettes : l'hôpital est financé à crédit pour une bonne part. Vous n'avez parlé ni des parcours de soins, ni des réseaux, ni d'ouverture sur l'extérieur, ni du rôle des trente-cinq heures dans la tarification et l'organisation, ni du fait que les hôpitaux locaux comptent plus de lits d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) que de lits d'actifs. Je vous rejoins sur le point critique du numerus clausus. Soyons clairs : il faut former suffisamment de médecins pour tous les territoires.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Vous avez évoqué les dysfonctionnements des processus de fusion ; je m'inscris en faux. J'en ai supervisé une entre Cherbourg et Valognes, donc entre un hôpital urbain et un hôpital rural. S'il y avait eu un moratoire à ce moment-là, l'hôpital rural serait aujourd'hui fermé. C'est parce qu'il s'est spécialisé dans les consultations et les longs séjours qu'il existe encore aujourd'hui en parfaite complémentarité avec l'autre site.
Mme Isabelle Pasquet. - La loi HPST traite les hôpitaux comme s'ils étaient des entreprises, en fonction de la rentabilité, d'où la fermeture de services ou d'établissements de proximité. Nous n'en avons pas bien mesuré les conséquences sur le territoire. Certaines fusions fonctionnent. A Marseille, ville qui n'est pas dépourvue de services de pointe, les infirmiers de l'hôpital de la Timone se sont retrouvés en rupture de blouses pendant huit jours, parce que le service de nettoyage, privatisé, n'arrivait plus à suivre. Autre exemple : une personne qui se présente à l'hôpital, à 500 mètres de son domicile, pour des douleurs violentes causées par une hernie discale, mais qui est renvoyée chez elle, faute de lits.
M. Alain Milon. - Ce n'est pas vital ! Une hospitalisation ne se justifie pas nécessairement pour une hernie !
Mme Isabelle Pasquet. - Ce n'est pourtant pas un hôpital rural. Il faut que cela s'arrête ! Le moratoire est une façon de stopper ce processus en attendant la grande loi de santé publique promise. Le groupe CRC a beaucoup d'idées sur ce qu'elle pourrait être, mais il aurait été difficile d'en discuter dans le cadre d'une niche de quatre heures...
Mme Catherine Deroche. - Il ne faut pas essayer d'avoir des hôpitaux partout ; la qualité d'un acte dépend de la personne qui l'accomplit. L'acte qu'on fait le mieux est celui que l'on fait souvent. Mettons-nous à la place des patients : il y a des hôpitaux où nous ne voudrions pas être opérés ! Un plateau technique a besoin de professionnalisme, de technologies ; cela coûte cher. Le reste des hôpitaux conviennent pour le retour à la vie normale. Cessons ces défilés avec nos écharpes pour sauver des hôpitaux, c'est irresponsable. Ce que vous dites sur l'hôpital la Timone n'a aucun rapport. Il n'est pas menacé de fermeture...
Mme Isabelle Pasquet. - Il a été restructuré.
Mme Catherine Deroche. - Près de chez moi, à Saumur, un partenariat s'est organisé entre un hôpital public et une clinique privée ; le service rendu est meilleur et chacun est gagnant. Les médecins, de l'hôpital ou du privé, sont avant tout des médecins. Ce moratoire n'a pas de sens. Travaillons pour que le soin soit le meilleur par d'autres voies : le numerus clausus a été élargi, mais pas suffisamment ; l'exercice libéral dans le public doit être réglementé : quand on connaît les tarifs scandaleux de certains praticiens...
Mme Aline Archimbaud. - Je suis assez perplexe. Cette proposition de loi a le mérite de poser des questions urgentes : la présence médicale dans la proximité. Voilà un enjeu sanitaire et d'aménagement du territoire, même si la nature des soins devrait être définie. Si nous voulons mettre tous les territoires sur un pied d'égalité, il faut poser cette question. Comme à chaque fois que nous formulons des propositions, nous entendons parler d'une grande loi de santé publique, perpétuellement remise à l'année prochaine. Comment notre commission pourrait-elle faire passer ce message fort : la situation ne peut plus durer ! La proposition traite de questions importantes : elle fait un bilan et une remise à plat de la loi HPST. Lors de ma mission sur l'accès aux soins des plus démunis, j'ai mesuré les conséquences catastrophiques du paiement à l'acte, et j'ai fait, comme d'autres, des recommandations. Le tiers payant doit-être mis en place en 2017, nous dit la ministre ; c'est long. Et les dépassements d'honoraires ? Et la prévention ? Mon groupe se déterminera d'ici la discussion en séance. Mais il est très difficile de prendre position : comment obtenir qu'on avance réellement ? Nous n'avons aucune nouvelle de la grande loi qu'on nous promet.
M. Dominique Watrin. - La proposition de loi pose légitimement la question fondamentale de la gouvernance et de la démocratie sanitaire. Sans doute faudrait-il parler aussi de territorialisation, de parcours de soins, de complémentarité, voire de fusions bien négociées, d'adaptation de l'offre de soin, qui doit prendre en compte certaines particularités : dans nombre de communes de ma région, 30 % des gens ne sont pas motorisés. Où discute-t-on de cela ? L'ARS, avec une logique d'en-haut et ses impératifs comptables, impose tout. Nous lançons un cri d'alarme en direction de la ministre : depuis le changement de Gouvernement il y a deux ans et demi, rien ne change. La ministre a raison de vouloir construire des politiques territoriales de santé. Il faut s'y mettre ; pourquoi attendre une grande loi de santé publique ? Créons des endroits ouverts à la discussion, en commençant par des liens entre hospitalisation et offre de premier recours : on fera des économies intelligentes, mais pas des coupes sombres.
Mme Annie David, présidente. - Ce débat n'est pas un débat d'arrière-garde ; c'est un débat d'actualité. Il y a des problèmes d'accès aux soins un peu partout. Notre commission des affaires sociales est dans son rôle en demandant au Gouvernement d'apporter des réponses concrètes aux besoins des habitants des territoires désertés par la médecine de ville comme par la médecine hospitalière.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - On peut faire preuve d'humilité mais avoir une conviction chevillée au corps. Je ne sais pas si mon rapport est idéologique ; s'il est idéologique de défendre des valeurs, j'assume. Il y a des chemins différents pour parvenir aux ambitions que nous avons en commun ; la détermination est une qualité, non un défaut. Je suis d'accord pour élaborer une grande loi de santé publique, et je suis même prête s'il faut que quelqu'un soit missionné à gauche...
M. Jacky Le Menn. - Nous ne manquerons pas de volontaires !
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je ne crois pas qu'une loi puisse répondre à toutes les questions. Surtout dans ce domaine.
M. Jacky Le Menn. - La vôtre ne répond à aucune.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Nous ne pouvons pas élaborer une telle loi dans le cadre d'une niche. Entendons-nous sur le sens des mots : un moratoire n'arrête pas toutes les fermetures, n'empêche pas toutes les restructurations ni ne maintient les hôpitaux tels qu'ils sont. C'est la suspension d'un processus pour réfléchir le plus collectivement possible. Avec nos divergences, nous avons en commun ceci : nous voulons répondre aux besoins de santé des populations et pour cela nous appuyer sur la participation la plus large des personnels et des usagers. Cela n'existe pas aujourd'hui. Un moratoire n'est peut-être pas la panacée ; c'est en tout cas un outil pour dire que quelque chose ne va pas. Lorsque certaines personnes auditionnées étaient frileuses sur l'idée du moratoire, elles refusaient fusions et restructurations. Dans la proposition de loi, si un projet est validé par la communauté hospitalière, rien ne s'oppose à ce qu'il ait lieu. M. Milon se dit surpris par ce qu'il appelle mon réquisitoire contre l'absence d'évaluation ? Or ce n'est pas moi, c'est l'Igas, qui parle d'une faiblesse nationale en déplorant l'absence d'évaluation, notamment a posteriori. Personne, naturellement, ne souhaite une mauvaise qualité des soins ! Ce n'est pas moi, c'est un géographe, le professeur Vigneron qui, comme l'Igas, parle de gouffre financier, dans le cas notamment de l'hôpital Sud Francilien qui a défrayé la chronique. Il faut juger au cas par cas, bien évidemment, mais donnons-nous un outil pour le faire. Les maternités dangereuses existent ; mais dans ma région, la maternité Jean Rostand, de niveau I, a été fermée malgré un fonctionnement que personne ne remettait en cause : les femmes doivent maintenant s'adresser à une maternité de niveau III déshumanisée. Toutes ne le sont pas. Dans notre expérience d'élus, nous avons tous connu des mobilisations pour ce genre d'affaire.
Pourquoi ce moratoire ? Pour répondre à ce qui se passe à l'Hôtel-Dieu, où le personnel et les usagers ont beaucoup de propositions. On ne leur a pas demandé leur avis. La fermeture d'un service dépend du degré de mobilisation. C'est regrettable ! Nous souhaiterions une concertation avec les élus, mais pas seulement. Catherine Génisson a bien synthétisé notre démarche : maintenir le service public hospitalier et poser la question de la gouvernance et de la démocratie sanitaire. Dernière précision : je ne vante pas les expériences des pays voisins ; je cherchais simplement à comparer les durées d'hospitalisation françaises avec celles d'autres pays.
Mme Annie David, présidente. - J'entends parler certains d'hôpitaux où les gens ne voudraient pas se faire soigner. Il est grave de rester sur ce constat sans rien faire pour améliorer la situation.
M. Gérard Roche. - Je ne voulais pas dire que le débat n'était pas à sa place : le problème est bien là, mais je ne suis pas d'accord avec la solution proposée.
Mme Annie David, présidente. - En l'absence d'amendements, nous passons au vote sur le texte de la proposition de loi.
La commission n'adopte pas la proposition de loi.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne M. Claude Jeannerot en tant que rapporteur sur le projet de loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale.