- Jeudi 10 avril 2014
- Nomination de rapporteurs
- Questions diverses
- Transports - Le dumping social dans les transports européens : rapport et proposition de résolution de M. Éric Bocquet
- Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude
Jeudi 10 avril 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président -La réunion est ouverte à 10 heures
Nomination de rapporteurs
Nous devons d'abord procéder à la nomination de rapporteurs pour plusieurs textes :
- une proposition de règlement qui définit de nouvelles règles pour la promotion de produits agroalimentaires sur le marché intérieur et dans les pays tiers. La procédure législative est assez avancée. Gérard César m'a indiqué qu'il pourrait se charger de faire un point sur ce sujet important pour notre agriculture ;
- la Commission européenne a présenté, début mars, une communication sur l'avenir des politiques européennes en matière de liberté, de justice et de sécurité, à l'issue du programme de Stockholm qui s'achève en 2014. Sophie Joissains est prête à rapporter sur ce dossier.
- Je vous propose de retenir la candidature de Françoise Boog pour la proposition de directive qui tend à réduire la consommation de sacs en plastique.
- Je propose de désigner Bernadette Bourzai, qui suit les questions relatives aux politiques européennes de l'énergie, sur la taxation de l'énergie
- Jean Bizet a demandé que soit retirée de la procédure écrite une proposition de directive qui fixe des règles pour protéger le secret des affaires. Sophie Joissains serait candidate pour être rapporteur sur ce texte.
S'il n'y a pas d'opposition, je vous propose de retenir ces candidatures.
Questions diverses
M. Simon Sutour, président. - J'ai été saisi d'une procédure d'urgence s'appliquant à une proposition d'aide financière à l'Ukraine qui nous est soumise au titre de l'article 88-4 de la Constitution. On nous demande de lever la réserve d'examen parlementaire et avant de le faire, je souhaitais avoir votre accord. Ce texte, déposé à la Présidence du Sénat lundi dernier, devrait être présenté le 14 avril devant les ministres à Bruxelles, soit lundi prochain.
Vous connaissez tous la situation de l'Ukraine. Sur le plan financier, le pays est dans une grande difficulté. Le FMI, les États-Unis et l'Union européenne se sont engagés à aider financièrement l'Ukraine et la proposition de décision qui nous est soumise participe de cette aide. Elle vise à apporter une assistance macro-financière d'un montant d'un milliard de dollars à l'Ukraine sous la forme d'un prêt à moyen terme.
Son versement serait conditionné à l'approbation finale par le FMI de son propre plan d'assistance macro-financière compris entre 14 et 18 milliards de dollars prévue fin avril et à la mise en oeuvre par l'Ukraine de réformes structurelles inscrites dans un protocole d'accord avec l'Union européenne.
En résumé, nous sommes dans une procédure d'urgence, qui vise à apporter une aide urgente à l'Ukraine. C'est la raison pour laquelle, je vous propose de lever la réserve du Sénat sur ce texte.
M. Gérard César. - Est-ce qu'un milliard de dollars sera suffisant pour permettre à l'Ukraine de faire face ?
M. Simon Sutour, président. - C'est un début ! Je rappelle que l'Union européenne, indépendamment du FMI, s'est engagée à apporter jusqu'à 11 milliards d'euros à l'Ukraine, soit environ 15 milliards de dollars. Il s'agit ici de mettre en oeuvre le premier volet de l'aide financière européenne, c'est pour cela que je vous demande si vous êtes d'accord pour lever la réserve d'examen du Sénat.
À l'unanimité, la commission décide la levée de la réserve d'examen parlementaire du Sénat.
Transports - Le dumping social dans les transports européens : rapport et proposition de résolution de M. Éric Bocquet
M. Simon Sutour, président. - Nous allons maintenant entendre notre collègue Eric Bocquet qui va nous présenter son rapport d'information sur le dumping social dans les transports. Ce rapport est accompagné d'une proposition de résolution que nous examinerons ensuite. L'ensemble vous a été adressé.
Je rappelle qu'Eric Bocquet avait réalisé un important travail sur le détachement des travailleurs. Il nous avait présenté un rapport d'information, en avril 2013, sur ce sujet. Son rapport soulignait que les principes clairs établis par une directive de 1996 étaient contredits par la pratique et l'émergence progressive d'un salarié à bas coût, au risque de créer des tensions sur le marché du travail.
Il avait établi le constat que l'absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996 constituait une des raisons principales de cette explosion de la fraude au détachement. Sur sa proposition, nous avions adopté une résolution qui a été votée par le Sénat, le 16 octobre 2013, après un débat en séance publique.
Ce faisant le Sénat avait fait oeuvre utile puisque peu de temps après la presse s'est fait largement l'écho des détournements de la procédure de détachement que le rapport d'Eric Bocquet avait parfaitement analysés.
Les négociations entre le Parlement européen et le Conseil sur un nouveau dispositif devraient en définitive aboutir à un renforcement des contrôles opérés par les États membres même si la France avait plaidé pour un dispositif plus ambitieux.
Eric Bocquet a souhaité poursuivre son travail en examinant la question du dumping social dans les transports. Je sais qu'il a procédé à plus de vingt cinq auditions et effectué des déplacements sur le terrain.
M. Éric Bocquet. - L'action de la Commission européenne dans le domaine des transports s'est traduite, ces dernières années, par une volonté effrénée de poursuivre la libéralisation de la plupart des secteurs. Elle a ainsi présenté successivement un quatrième paquet ferroviaire, un projet de d'ouverture des règles du cabotage routier, une proposition de réforme des services portuaires et une nouvelle étape dans le programme Ciel unique. Cet objectif affiché d'une poursuite de la dérégulation n'a pas eu pour corollaire une réflexion sur le statut des travailleurs mobiles qui participent pourtant au bon fonctionnement des transports européens.
Cette dimension sociale était déjà relativement absente des premiers textes de libéralisation des secteurs routier, aérien et maritime au début des années quatre-vingt-dix. Une telle faiblesse des dispositifs communautaires a pu contribuer à faire émerger des pratiques de dumping social, favorisant une concurrence déloyale entre opérateurs. Les transports européens peuvent même apparaître comme un véritable laboratoire en matière d'optimisation sociale et de fraude : recours à de faux indépendants, contrats de travail établis dans des pays dits à bas coûts, sociétés boîtes aux lettres etc. L'absence de lieu de travail fixe et la relative imprécision des normes européennes a longtemps favorisé ces pratiques.
C'est dans ce contexte que j'ai souhaité effectuer un état des lieux des normes européennes et de leur application dans trois secteurs : le transport routier de marchandises, le transport aérien et le transport maritime.
Abordons tout d'abord le cas du secteur du transport routier de marchandises. Notre collègue Fabienne Keller avait déjà constaté dans son rapport sur les mégacamions les écarts de rémunérations et de conditions de travail au sein de l'Union européenne. L'élargissement de l'Union européenne a contribué à dresser une nouvelle carte du transport routier marquée par une prédominance des entreprises des pays d'Europe centrale et orientale. La Pologne possède ainsi le premier pavillon routier en Europe. La part de marché européen du pavillon français évaluée à 50 % en 1999 a été ramenée à 10 %, dix ans plus tard, 21 000 emplois étant supprimés dans l'intervalle. La fin du secteur français du transport routier de marchandises à l'international est, dans ces conditions, actée par nombre d'opérateurs.
Cette évolution n'est pas sans incidence sur les marchés nationaux. À l'issue d'une livraison internationale, un transporteur est en effet autorisé par le droit de l'Union à effectuer trois opérations de fret en sept jours sur le territoire où il vient de livrer. C'est ce qu'on appelle le cabotage, décrit par deux schémas pages 10 et 11 du rapport. Des bourses de fret accessibles en ligne permettent ainsi aux transporteurs de ne pas rentrer « à vide » et de réduire ainsi leurs coûts.
Reste à savoir quel droit s'applique au cours de ces opérations de cabotage, les transporteurs étrangers venant directement concurrencer les locaux. En théorie, le noyau dur - salaire, temps de travail, congé - prévu par la directive détachement de travailleurs devrait s'appliquer. Je dis en théorie car cette référence à la directive n'est placée que dans un considérant du règlement de 2009 qui encadre le cabotage. Et certains États, dont la France, ne l'ont pas transposé, arguant logiquement de la difficulté à contrôler des opérations qui restent d'une durée limitée.
Il n'empêche qu'aujourd'hui notre pays est vingt fois plus caboté qu'il ne cabote. Les opérations de cabotage représenteraient ainsi 10 % des transports intérieurs de marchandises contre 2 % en moyenne de l'Union européenne. Le cabotage est ainsi très prégnant dans les zones transfrontalières, en particulier à proximité de l'Espagne et de la Belgique. On assiste en outre à l'émergence de ce que l'on appelle le grand cabotage. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser son trajet de retour via les bourses de fret et effectuer trois opérations de cabotages en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de revenir sur ses pas, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un pays voisin.
Cette concurrence au sein même des marchés nationaux n'est pas sans conséquence sur les petites entreprises, fragilisées, mais aussi sur les grands groupes, tentés par une réduction des coûts. Ceux qui ont développé des filières en Roumanie ou en Pologne tendent à faire venir sur leurs bases françaises les chauffeurs de ces pays, en principe pour des opérations internationales. En jouant avec les règles du cabotage, ces chauffeurs restent un mois en France, rémunérés aux conditions du pays d'envoi. Au risque que ces entreprises soient condamnées in fine pour prêt de main d'oeuvre et délit de marchandage.
Dans ces conditions, toute libéralisation du régime actuel de cabotage, envisagée un temps par la Commission européenne, apparaît dangereuse, tant elle exacerberait la concurrence. Je note d'ailleurs que l'IRU, le syndicat patronal international du secteur, s'y oppose comme la plupart des États européens d'ailleurs, même à l'Est.
Le seul moyen de réduire le dumping consiste me semble-t-il en l'application du noyau dur de la directive sur le détachement des travailleurs. Celle-ci n'est cependant possible que si des contrôles adaptés sont institués. La mise en place du tachygraphe dit « intelligent » qui permet la géolocalisation des véhicules devrait faciliter la mise en oeuvre de ceux-ci. Il facilitera également le contrôle de temps de conduite et devrait permettre de juguler un certain nombre de fraudes observés sur les dispositifs antérieurs, analogiques ou numériques. Reste que si les nouveaux véhicules doivent être équipés dès 2018 de ce nouvel instrument, le règlement publié en début d'année prévoit une mise aux normes étalée sur 15 ans pour le parc existant. Les États membres ont, de leur côté, 15 ans pour mettre à niveau leurs logiciels de contrôle. L'efficacité des contrôles passe pourtant par une généralisation du nouveau dispositif et des logiciels de contrôle adéquats dès 2018.
Par ailleurs, le droit de l'Union européenne ne prévoit aucune norme destinée à encadrer l'utilisation des véhicules utilitaires légers - les VUL de moins de 3,5 tonnes - qu'il s'agisse du cabotage, du tachygraphe ou du temps de travail. Seul le droit français est précis sur ce thème. Il n'est donc pas étonnant de voir un certain nombre de livraisons effectuées par ces véhicules venus d'autres États membres, créant notamment les conditions d'une concurrence déloyale avec les camions de plus de 3,5 tonnes.
En ce qui concerne le transport aérien, nous avons tous en mémoire le récent jugement du Tribunal d'Aix-en-Provence condamnant Ryanair à requalifier ses contrats de travail irlandais en contrat de droit français pour ses salariés affectés à la base de Marseille. Le juge s'est appuyé dans sa décision sur la notion française de base d'exploitation, prévue par un décret de 2006. Aux termes de celui-ci, les personnels navigants des compagnies aériennes sont rattachés au régime de sécurité sociale et au droit du travail de l'État au sein duquel se trouve le lieu où ils prennent et terminent leur service. Cette notion renvoie à celle de base d'affectation reconnue par le droit de l'Union européenne en matière de sécurité sociale mais aussi à la convention dite de Rome I, transposée en 2008 dans la norme communautaire. Celle-ci garantit l'applicabilité de la loi de l'État dans lequel le salarié exerce ses activités professionnelles plutôt que celle de l'État du siège de l'employeur.
L'émergence de la notion de base d'exploitation donne aujourd'hui lieu à deux types de fraude, dans un contexte de montée en puissance des compagnies low cost. La mise en avant d'une fausse base et le recours aux faux indépendants. La compagnie Air Hermès née de la scission d'Air Méditerranée affecte tous ses personnels navigants à Athènes alors même qu'ils effectuent leur service depuis l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle. CityJet, filiale d'Air France jusqu'en mars 2014, ne déclare pas en France, quant à elle, la totalité des personnels navigants prenant leur service depuis Roissy. Le recours aux faux indépendants constitue, quant à lui, une spécialité de Ryanair, mais qui tend à s'étendre à d'autres compagnies. Je décris la procédure utilisée pages 39 et 40 du rapport. 70 % des pilotes et 60 % des personnels navigants commerciaux seraient ainsi recrutés par la compagnie irlandaise sous ce statut et payés à l'heure de vol, ce qui n'inclut donc pas le temps de service. Rappelons que cette même compagnie a reçu 791 millions d'euros de subventions publiques en 2011 de la part d'États membres souhaitant maintenir l'activité de leurs aéroports régionaux. Le dumping social bénéficie du concours financier du contribuable. Il me semble donc urgent de réfléchir au niveau européen à la mise en place d'un véritable statut de l'indépendant. Le comité du dialogue social européen pour l'aviation civile travaille sur ce sujet et devrait rendre ses conclusions à la fin de l'année. Il est nécessaire d'appuyer une telle démarche.
A ces contournements des règles s'ajoute dans le transport aérien des doutes sur la portée des mesures présentées par la Commission européenne. Adoptées au terme de la procédure de comitologie, les règles européennes en matière de temps de travail des personnels navigants ont suscité un débat vif entre les représentants de la profession d'un côté et ceux de l'Agence européenne pour la sécurité aérienne - l'AESA - de l'autre. L'enjeu était notamment la question des lieux de repos hebdomadaire et la prise en compte des temps de réserve. La solution adoptée semble avoir mécontenté l'ensemble des organisations professionnelles. Les standards retenus sont pour certains inférieurs à ceux mis en place aux États-Unis. Pire, certaines dispositions pourraient faciliter la mise en place de véritables bases flottantes, à rebours de l'idée communément admise de base d'exploitation. La position de l'AESA et donc de la Commission européenne est à de fait sujette à caution. Rappelons que l'AESA a été critiquée par la Cour des comptes européenne en 2012 pour ne pas avoir mis en place de dispositif destiné à prévenir les conflits d'intérêts. Par ailleurs, un ancien commissaire européen est aujourd'hui membre du conseil de surveillance de Ryanair.
Les projets de libéralisation des services aéroportuaires de la Commission européenne, regroupés au sein du dispositif Ciel unique +, suscitent également des interrogations. L'ouverture à la concurrence de l'ensemble des services d'appui, à l'image de la météorologie, comme l'objectif affiché de baisse des redevances aéroportuaires ne sont pas étayés par une étude d'impact conséquente, destinée à prouver les avantages d'une telle réforme. Celle-ci est contestée par l'Allemagne et la France. Il me semble qu'il convient de s'associer à cette opposition et demander à la Commission européenne de mieux évaluer les incidences, à la fois financières et sociales, de son paquet.
Venons-en enfin au secteur du transport maritime. Celui-ci est sans doute le plus libéralisé au monde. La concurrence entre les États pour maintenir la compétitivité de leurs flottes, induite en partie par la multiplication des pavillons de complaisance, a longtemps primé sur les conditions de travail à bord. Ce qui s'est traduit notamment au sein de l'Union européenne par une multiplicité de statuts pour les gens de mer et de nombreuses dérogations aux droits reconnus à l'ensemble des travailleurs. L'adoption de la Convention maritime internationale en 2006, entrée en vigueur le 20 août 2013, semble néanmoins enclencher aujourd'hui un mouvement vertueux dans le domaine social.
La dégradation des conditions de travail et l'accroissement de la concurrence déloyale au sein du secteur du transport maritime ont en effet conduit les représentants des États, des armateurs et des gens de mer à élaborer cette convention, dans le cadre de l'Organisation internationale du Travail (OIT). L'objectif affiché consiste en la mise en place de normes sociales internationales minimales destinées à garantir une concurrence loyale. L'introduction d'une certification sociale des navires par l'État du pavillon et d'un mécanisme de contrôle des navires par l'État du port doit permettre sa mise en oeuvre effective. La principale nouveauté consiste en la mensualisation du paiement des salaires, qui doit être au moins équivalent au minimum établi par l'OIT. Celle-ci a fixé le minimum accordé aux matelots qualifiés à 585 dollars mensuels (426 euros) pour l'année 2014. Cette convention a été transposée dans le droit de l'Union européenne par quatre directives adoptées entre 2009 et 2013.
Les gens de mer font par ailleurs l'objet ces dernières années d'un alignement progressif de leurs conditions de travail sur la norme européenne admise pour l'ensemble des salariés. Cette mise à niveau est en partie motivée par le souhait de répondre à la crise des vocations qui touche ce secteur.
La question du droit du travail applicable aux gens de mer employés à bord d'un navire d'un État membre de l'Union européenne est en principe traitée par un règlement concernant l'application du principe de la libre-circulation des services au transport maritime à l'intérieur des États membres. Ce cabotage maritime s'applique aux armateurs communautaires exploitant des navires immatriculés dans un État membre et battant pavillon de cet État membre. Toutes les questions relatives à l'équipage relèvent de la responsabilité de l'État dans lequel le navire est immatriculé, soit l'État du pavillon Le règlement prévoit néanmoins une exception visant le cabotage avec les îles. Toutes les questions relatives à l'équipage relèvent de la responsabilité de l'État dans lequel le navire effectue un service de transport maritime, soit l'État d'accueil.
Le développement du système low cost dans le transport aérien au début des années 2000 a cependant été largement été anticipé au sein du secteur de la marine marchande. Le faible encadrement de la liberté de pavillon dans un contexte économique difficile a eu pour conséquence la recherche d'une immatriculation à bas coût et d'une affiliation aux normes sociales les moins exigeantes. Le recours aux pavillons de complaisance ou à des pavillons de second registre, désormais utilisés par certains États membres de l'Union européenne dont la France, ainsi qu'aux sociétés de fourniture de main-d'oeuvre ou sociétés de manning contribue à généraliser ce dumping social.
S'il est incontestable que les pavillons de second registre, qui prévoient des exemptions de charges sociales ou la limitation du droit de l'État du pavillon à quelques membres d'équipages, permettent de stabiliser en volume la flotte européenne, ce système peut venir créer des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur. Je pense par exemple à la navigation au sein des eaux territoriales françaises et notamment le cabotage avec les îles. Corsica Ferries, qui a perçu 147 millions d'euros de subventions publiques depuis 2001 via l'aide sociale, navigue ainsi avec un pavillon bis italien. La compagnie contourne par ailleurs les règles européennes en rémunérant des marins roumains aux conditions de leurs pays. Le pavillon maltais est de son côté considéré comme un pavillon de complaisance. L'immatriculation de sa flotte à Malte a d'ailleurs permis à Irish Ferries de licencier ses marins irlandais pour ses marins irlandais en 2005 et recruter en lieu et place des marins issus des pays baltes.
En ce qui concerne les sociétés de manning, je relève que les dispositions les concernant prévues dans la Convention maritime internationale n'ont pas été transposées dans le droit de l'Union, sans doute à la demande de certains États fournisseurs de main d'oeuvre. 75 % des marins employés sur des navires de l'Union européenne sont pourtant issus des pays tiers. Le cas décrit dans le rapport où des marins malgaches employés sur un navire français touchent 210 euros par mois est assez symptomatique des pratiques constatées dans ce secteur. Il me semble urgent de mettre en place une certification européenne de ces agences, à l'instar de ce que l'Union a déjà créé pour vérifier la formation des marins des États tiers employés sur ses navires.
La priorité de la Commission européenne semble aujourd'hui aller vers une libéralisation de l'accès aux services portuaires. Sans remettre en cause le statut des dockers, la Commission souhaite ouvrir à la concurrence la plupart des services nautiques - pilotage, dragage, remorquage - et encadrer l'autonomie des gestionnaires de ports en matière de fixation de redevance. Là encore on peut s'étonner d'une remise en cause d'un système pourtant mis en oeuvre dans la plupart des pays du monde. Les services nautiques constituent avant tout une mission de service public et participent directement à la sécurité des ports. Rappelons par ailleurs que la politique tarifaire des ports est aussi conditionnée par leur rôle d'aménageur du territoire, alors que la Commission européenne ne l'envisage avant tout que comme un frein à la compétitivité. Il y a lieu, dans ces conditions, de s'interroger, avec le gouvernement sur l'opportunité d'une telle réforme, qui suscite également des réserves au sein du Parlement européen et du Comité économique et social européen.
Pour conclure mon propos, je souhaitais rappeler que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne tend depuis 2011 à garantir une meilleure protection aux travailleurs mobiles. Cette jurisprudence s'appuie sur la transposition dans le droit européen de la Convention dite de Rome I. Dans la lignée du renforcement des normes européennes en matière de détachement des travailleurs, il convient désormais de codifier cet acquis, de développer les moyens de contrôle en précisant certains textes existants et de veiller à mieux évaluer les conséquences sociales des textes visant à créer un marché unique des transports. C'est le sens de la proposition de résolution que je vous propose de voter.
M. Simon Sutour, président. - Je remercie le rapporteur pour ce travail important, qui s'inscrit dans la lignée des travaux de notre commission sur le détachement des travailleurs. Je pense à votre rapport publié l'an dernier sur le projet de directive d'exécution qui visait à mieux combattre les phénomènes de fraude. Je rappelle également le carton jaune adressé au projet de règlement dit Monti II dans le cadre de la procédure de subsidiarité en octobre 2012. Le texte de la Commission européenne attentait aux droits de ces salariés et créait, dans le même temps, des distorsions de résolution.
M. André Gattolin. - Je souhaitais féliciter le rapporteur pour le rapport important et étayé qu'il vient de présenter. Je m'interroge sur le tachygraphe « intelligent » et sur sa mise en place échelonnée sur 15 ans. Cela m'apparaît surréel tant cela laisse des marges de manoeuvre et renforce le recours à la fraude. Quels étaient les États favorables à un tel report ? Dans le même ordre d'idées, on ne peut que légitimement s'étonner de l'absence de normes européennes encadrant l'activité des véhicules utilitaires légers de moins de 3,5 tonnes.
Mme Colette Mélot. - Je tenais également à saluer le travail de notre collègue sur un sujet qui suscite nombre d'interrogations. Nous devons tout mettre en oeuvre pour que l'Union européenne puisse répondre précisément aux problèmes rencontrées. Les règles de cabotage sont effectivement assez imprécises et la protection des travailleurs mobiles demeure insuffisante en général. Il est en outre indispensable que les États ne subventionnent plus des compagnies qui ne respectent pas les règles. Il reste en somme beaucoup de travail à faire, quel que soit le secteur.
Je souhaite bien évidemment que nous allions le plus loin dans ce domaine. Peut-on espérer que les intentions exprimées dans la proposition de résolution ne soient pas que des voeux pieux ?
M. Michel Billout. - Je tiens aussi à féliciter le rapporteur. Il touche à un sujet important en matière de droit social. A quelques semaines des élections européennes, l'Union européenne donne plus l'impression d'encourager le dumping social que de protéger ses citoyens. Les frontières de l'Union européenne sont dans ce domaine largement dépassées, comme en témoigne le recours à des marins malgaches, moins coûteux in fine que leurs homologues roumains.
Il est important que nous puissions adopter cette proposition de résolution aujourd'hui, au moment où nous libéralisons complètement le secteur du transport ferroviaire. Ce document est en effet utile pour anticiper les conséquences sociales de cette dérégulation.
M. Jean Bizet. - Je voudrais saluer au préalable le travail du rapporteur. Je ne me prononcerai pas sur le rapport en lui-même mais sur la proposition de résolution. Je suis en effet très réservé sur la partie concernant le transport routier de marchandises. Deux points attirent mon attention. Le premier vise l'interdiction d'effectuer des livraisons internationales sur les trajets de retour. Mes objections sont de nature économique, ces retours à vide coûtent aux entreprises, et écologique. Le deuxième point concerne les véhicules utilitaires légers. Vouloir leur imposer de nouvelles règles fragiliserait leur modèle économique. Je suis de façon générale assez sceptique sur l'application des normes relatives au détachement des travailleurs aux opérations de cabotage. La priorité me semblerait être plutôt de renforcer la compétitivité de nos entreprises de transport routier. Dans ces conditions, je m'opposerai à l'adoption de cette proposition de résolution.
M. Éric Bocquet. - Je ne pourrais dire précisément quels sont les États qui se sont montrés favorables à l'étalement sur 15 ans de la mise en place du tachygraphe « intelligent ». L'argument financier n'est pas recevable puisque ce dispositif coûte entre 1 000 et 2 000 € ce qui reste assez faible au regard du prix d'achat d'un camion. Je relève par ailleurs que les organisations patronales sont-elles mêmes favorables à une mise aux normes accélérée.
Je tiens à rappeler que la France a fait figure de pionnière en matière de détachement des travailleurs. C'est elle qui a mis en place la première le formulaire de détachement, principe qui a ensuite été étendu à toute l'Union européenne. Nous devons donc continuer à être force de proposition en la matière. Les discussions entourant le projet de directive d'exécution destinée à garantir une meilleure application de la directive n° 96/71 relative au détachement des travailleurs traduisent une prise de conscience au sein de l'Union européenne. Les choses s'accélèrent et nous ne pouvons rester inertes. La mise en place d'une nouvelle Commission européenne permettra d'engager de nouvelles discussions.
M. Simon Sutour, président. - Je relève les objections de notre collègue Jean Bizet. Est-il possible d'amender le texte afin de tenir compte de son avis et permettre ainsi l'adoption de cette proposition de résolution et sa transmission à la commission des affaires sociales.
M. Éric Bocquet. - Je retire effectivement de la proposition de résolution les deux points qui posent problème.
M. Jean Bizet. - Dans ces conditions, le groupe UMP s'abstiendra.
Mme Françoise Boog. - Une solution de compromis ne passe-t-elle pas par la limitation des opérations de cabotage à une seule livraison au sein des États tiers et non trois ?
M. Éric Bocquet. - Revenir sur ce nombre de trois risque d'être difficile.
*
À l'issue de ce débat, la commission a adopté la proposition de résolution suivante, le groupe UMP s'abstenant :
La réunion est levée à 10 h 55
- Présidence de M. Richard Yung, secrétaire, et de M. Philippe Marini, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 16 h 15
Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude
Au cours d'une seconde séance l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude, conjointement avec la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - La commission des finances et la commission des affaires européennes poursuivent leur cycle d'auditions des membres de la Commission européenne sortante ; il s'agit d'un bon moment pour dresser le bilan des actions conduites, comme cela a été le cas avec Joaquin Almunia sur la politique de la concurrence et le sera en juin 2014 avec Michel Barnier sur le marché intérieur et les services financiers. Aujourd'hui, nous sommes au coeur des préoccupations les plus sensibles et les plus concrètes de nos commissions respectives, puisque nous avons le plaisir de recevoir Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude. Algirdas Semeta fut tout au long de son mandat un commissaire extrêmement attentif aux travaux des Assemblées parlementaires : comme nous l'avions constaté lorsqu'il nous avait reçus à Bruxelles lors de notre séminaire de travail en 2011, la Commission européenne lit attentivement les rapports de notre commission des finances.
Vous pouvez vous prévaloir de l'un des très rares succès européens du moment, le bouclage de la négociation sur la directive Épargne, après six ans de discussion et en dépit du handicap structurel que représente la règle de l'unanimité. Vous avez aussi fait évoluer Eurostat, devenu, si je puis dire grâce à la crise, un véritable outil de connaissance mutuelle des comptes publics des différents États, et une autorité susceptible d'exercer sa vigilance et d'exprimer une « jurisprudence » en la matière, conformément aux voeux que notre commission avait émis.
Vous pourrez vous exprimer sur de nombreux sujets. La commission des finances a notamment tenu hier, le 9 avril 2014, une audition sur la concurrence fiscale. Notre attention a également été appelée sur la pratique des rulings par certains pays européens, consistant à donner une appréciation a priori sur des situations fiscales individuelles. Comment ces pratiques se combinent-elles avec les règles relatives aux aides d'État ? Des procédures sont-elles en cours, notamment avec des États ou territoires tels que l'Irlande, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas ou encore Gibraltar ? Ce sujet est également important dans le cadre de nos relations avec la Suisse.
M. Richard Yung, secrétaire de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis que nos deux commissions puissent rencontrer des commissaires européens et vous prie d'excuser l'absence du président de la commission des affaires européennes Simon Sutour, qui a été dans l'obligation de rejoindre son département. J'évoquerai quelques sujets complémentaires : l'avancée du projet de taxe sur les transactions financières, en coopération renforcée ; l'échange automatique d'informations en matière fiscale, avec des pays tiers mais aussi entre les États membres de l'Union eux-mêmes ; la taxation de l'énergie, dossier suivi par notre collègue Bernadette Bourzai et pour lequel vous avez proposé de réformer la directive de 2003. Que devient le projet d'une assiette consolidée pour l'impôt sur les sociétés, où l'on ne constate pas de progrès ? Enfin, qu'adviendra-t-il de l'octroi de mer, dont le statut devrait être brièvement prolongé après son échéance prévue le 1er juillet 2014 ?
M. Algirdas Semeta, commissaire européen chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude. - Je remercie le Sénat français de m'avoir invité à ce moment si important pour la politique européenne, quelques semaines avant les élections pour le Parlement européen. La fiscalité est depuis ces dernières années au coeur de l'agenda politique européen, ce qui a permis de relancer les progrès et le consensus - chose que l'on n'aurait pu imaginer il y a encore quelques années. Je ne prétends pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ; la règle de l'unanimité ralentit les progrès. Mais chacun sait qu'une approche isolationniste serait une menace pour notre souveraineté fiscale. Nous partageons les mêmes objectifs - une croissance économique plus forte - et nous devons donc partager la même approche. Il faut donc une plus grande coordination fiscale, et même une plus grande harmonisation fiscale dans certains domaines.
Quels ont été les progrès réalisés ? Quels obstacles restent à surmonter ? L'amélioration de notre compétitivité appelle la construction d'un environnement plus favorable aux affaires en Europe : personne ne doute que les investisseurs ont besoin de plus de stabilité et de sécurité juridique, de moins d'obstacles administratifs et de coûts de mise en conformité. L'amélioration de l'environnement fiscal a donc été l'une de mes priorités absolues. Dans certains secteurs, comme la TVA, l'harmonisation fiscale est la meilleure façon d'y parvenir, car elle évite les distorsions entre les entreprises et entre les États membres. Depuis 2010, nous avons fait beaucoup pour créer un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace. Notre nouveau système électronique de facturation de la TVA peut permettre aux entreprises d'économiser 18 milliards d'euros par an ; la déclaration standard de TVA que je propose éliminera un obstacle majeur au commerce transfrontalier ; à partir de 2015, les services électroniques, de diffusion et de télécommunications bénéficieront d'un « mini-guichet » unique ; d'ici la fin de son mandat, la Commission adoptera un livre blanc sur la mise en place, à terme, d'un régime de TVA définitif et harmonisé. La situation actuelle est source de complications administratives pour les entreprises, tandis que la prolifération d'exemptions et de taux réduits différents d'un État membre à l'autre compromet les recettes fiscales dans leur ensemble. La disparité et la complexité des règles de TVA représentent un véritable cauchemar pour les entreprises. Les États devraient trouver d'autres moyens que la réduction des taux de TVA - dont l'efficacité est douteuse - pour poursuivre leurs importants objectifs sociaux.
La proposition d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS) peut également être un instrument clé pour la compétitivité. Elle réduirait les coûts des PME et leur permettrait de voir au-delà de leur marché domestique. Les efforts conjoints de la France et de l'Allemagne sont à cet égard exemplaires, et pourraient préfigurer un accord en vue d'une directive européenne.
La taxe sur les transactions financières (TTF) pourrait elle aussi contribuer à un environnement plus stable ; elle pourrait remédier à l'éclatement des règles nationales et répondre aux attentes des citoyens en faveur d'une plus taxation plus juste.
Bien sûr, l'ACCIS, la TTF mais aussi la proposition de directive sur la taxation des émissions de CO2 au sein de l'Union européenne n'ont pas encore fait l'objet d'un accord, et je ne suis pas optimiste au point de croire que ce sera le cas d'ici la fin de mon mandat. Mais je compte sur l'implication des États membres pour réaliser des progrès, et particulièrement sur la France, qui a toujours joué un rôle persuasif et décisif dans le domaine de la fiscalité.
La règle de l'unanimité en matière de fiscalité fait que les décisions sont prises au rythme de celui qui avance le plus lentement. Il faut se demander si cela est tenable à l'avenir, dans un contexte d'intégration économique de plus en plus poussée. Nous avons vu avec la coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières qu'il existe des moyens, pour les États membres les plus ambitieux, de contourner cet obstacle et de réaliser des progrès. Il me semble qu'il est important de mettre en cohérence la politique fiscale et l'Union monétaire : les progrès de l'une doivent accompagner les approfondissements de l'autre, afin d'éviter une intégration « à la carte ».
La lutte contre les barrières fiscales afin de faciliter le commerce constitue une part essentielle de la politique fiscale de l'Union européenne. Mais nous ne perdons pas de vue la fonction plus traditionnelle de l'impôt : produire des recettes. En cette période de budgets contraints, les États membres doivent compter sur la solidarité de leurs partenaires, au sein de l'Union européenne comme au niveau international, pour collecter l'impôt à son juste niveau.
Les règles de coopération administrative ont été considérablement modernisées au cours des dernières années afin d'assurer une taxation juste et efficace. Pourtant, des milliards d'euros sont perdus chaque année du fait de l'évasion fiscale, mais aussi du fait de la concurrence fiscale qui génère des tensions entre les États membres. L'Union européenne est à l'origine des progrès très importants qui ont eu lieu dans ce domaine, et je remercie la France pour le soutien constant qu'elle a apporté à nos efforts. Notre ambitieux plan d'action contre la fraude et l'évasion fiscales prouve que l'Union européenne peut continuer à donner le ton au niveau mondial en matière de bonne gouvernance fiscale. Cela nous a permis de pousser les avancées internationales en la matière, et nous assistons maintenant, grâce au travail de l'OCDE, à un véritable bouleversement de l'environnement fiscal mondial. En février 2014, les ministres des finances du G20 ont approuvé un nouveau standard d'échange automatique d'informations qui devrait mener à une transparence sans précédent au niveau mondial. Au niveau européen, après des années de négociations et grâce à nos amis luxembourgeois et autrichiens, la directive épargne révisée a finalement été adoptée. Je remercie la France pour l'impulsion qu'elle a donnée sur ces dossiers.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, nous avons préparé le terrain pour le projet de l'OCDE « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS), qui vise à établir un lien plus fort entre le lieu de taxation et le lieu de production.
Il reste des choses à faire, et j'espère que nous pourrons parvenir à un accord sur les points suivants dans les prochains mois : premièrement, la révision de la directive sur la coopération administrative qui vise à généraliser l'échange automatique d'informations à tous les types de revenus, en cohérence avec le standard global de l'OCDE ; deuxièmement, la révision de la directive mère-fille, qui vise à combler les failles permettant la « double non-imposition » des bénéfices ; troisièmement, la taxation de l'économie numérique afin de garantir aux Etats des recettes justes et pérennes. La France a déjà conduit d'importantes analyses sur ce sujet, et déjà proposé des réponses. J'ai donc rassemblé un groupe d'experts de haut niveau, qui présentera cet été un rapport servant de base aux initiatives futures de la Commission européenne pour que les sociétés numériques prospèrent en Europe tout en payant leur juste part de l'impôt.
Enfin, la Commission européenne continuera à utiliser tous les instruments à sa disposition - règles relatives aux aides d'État et codes de conduite - afin que les États se comportent loyalement les uns avec les autres. Alors que l'Union essaie de relancer sa croissance et sa compétitivité dans un effort collectif, il n'est pas acceptable qu'un État membre porte atteinte à la capacité d'un autre État membre à collecter l'impôt par des pratiques fiscales agressives. Le caractère équitable de la concurrence fiscale est l'un des sujets centraux des prochaines années. La concurrence entre l'Union et le reste du monde doit se fonder sur nos mérites et non sur des régimes fiscaux déloyaux.
L'accord ACCIS sera un pas important dans la lutte contre l'érosion des bases fiscales au niveau de l'Union européenne. Dans le plan d'action que j'ai présenté en 2012, il était rappelé que les États membres devaient davantage utiliser les outils à leur disposition au sein de l'Union pour combattre la concurrence fiscale. Il nous faut également des outils communs avec nos partenaires internationaux pour que les entreprises des pays tiers ne puissent utiliser les failles de notre système fiscal. La Commission européenne poursuit ainsi ses négociations avec la Suisse, le Lichtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin sur l'échange automatique d'informations. J'espère que la négociation aboutira avant la fin de cette année. Notre dialogue progresse également sur la question de l'impôt sur les sociétés avec la Suisse, qui s'est engagée à supprimer certains régimes nocifs à la fois au niveau fédéral et au niveau cantonal.
Tout le travail que nous accomplissons à l'échelle de l'Union européenne doit être soutenu par des mesures complémentaires au niveau national, qui demeurent indispensables. La fiscalité constitue ainsi un élément crucial du semestre européen, qui ouvre la voie à des progrès plus rapides que ceux que permet la procédure habituelle. Des réformes positives ont d'ores et déjà été lancées dans plusieurs États membres. La France lance actuellement un important programme de réformes en faveur de la croissance et de la compétitivité qui vont dans la bonne direction, et dont nous nous réjouissons de voir bientôt les détails précisés dans le programme national de réforme (PNR). Bien sûr, la réforme fiscale ne se fera pas en un jour ; mais le semestre européen est un instrument précieux et innovant à cet égard.
À l'avenir, il faudra poursuivre et renforcer la coopération entre les États membres. L'examen réciproque, l'assistance mutuelle et l'échange des meilleures pratiques amélioreront la qualité et la stabilité des systèmes fiscaux, pour le plus grand bénéfice de la croissance, de l'emploi et de l'investissement dans la perspective de la stratégie « Europe 2020 ». Le chemin sera long, mais nous avons fait les premiers pas. Avançons maintenant vers l'avenir.
M. François Marc, rapporteur général. - La règle de l'unanimité suscite des inquiétudes sur le cheminement très long qu'elle implique pour les prises de décision : les recommandations du Conseil aux États membres dans le cadre du semestre européen pourraient-elles être un moyen de la contourner, et de promouvoir ainsi une harmonisation plus souple ?
Sous la pression de certains pays, d'importants progrès sur la directive épargne ont été réalisés ces dernières années ; après l'accord du 24 mars 2014 sur la révision de la directive, quelles seront les étapes jusqu'à l'entrée en vigueur ? Est-il réaliste d'espérer un accord sur la directive sur la coopération administrative d'ici fin 2014, comme annoncé récemment ? Au total, quand l'échange automatique d'informations entrera-t-il en vigueur dans l'Union européenne ? Ne peut-on pas craindre que la norme américaine FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) et la norme internationale de l'OCDE soient appliquées avant la norme européenne, ce qui nous placerait dans une situation de suivisme tout à fait regrettable ? Au fond, la voie bilatérale classique en matière d'échange automatique n'est-elle pas finalement la meilleure ?
L'ACCIS est en négociation depuis près de quinze ans : le projet d'assiette commune d'impôt sur les sociétés est-il définitivement abandonné ? A-t-il encore un sens, compte tenu du lancement du projet BEPS par l'OCDE ?
Enfin, parviendrons-nous à mettre en place une taxe sur les transactions financières ambitieuse couvrant le maximum de produits ? Est-il raisonnable de vouloir taxer les obligations souveraines ? La coopération renforcée à onze États membres dans ce domaine ne risque-t-elle pas de provoquer un déplacement massif de capitaux vers la place de Londres ?
M. Algirdas Semeta. - La règle de l'unanimité est très préoccupante ; je souhaite à titre personnel qu'elle soit sur la table lors de la prochaine révision du traité, puisqu'il est nécessaire d'en passer par là. Vous avez raison, les recommandations du Conseil dans le cadre du semestre européen sont un excellent outil pour assurer une meilleure convergence fiscale ; presque chaque État membre a ainsi reçu des recommandations spécifiques sur la base de nos propositions. Il s'agit de soft law, mais il est essentiel que les États membres l'appliquent, et la Commission y sera très attentive.
En ce qui concerne la directive épargne, les États membres sont parvenus à un accord. Nous devons maintenant utiliser la directive sur la coopération administrative pour aligner notre système d'échange automatique d'informations sur le standard global qu'est en train d'élaborer l'OCDE. Nous travaillons pour l'instant en parallèle, et comptons adopter la directive révisée immédiatement après le standard de l'OCDE, dont les détails devraient être connus en septembre 2014. La mise en oeuvre se fera par une transposition relevant de la responsabilité des États membres, qui estiment que l'échange automatique d'informations sera complètement opérationnel en 2017. La France fait partie des pays les plus avancés, mais tous les États sont impliqués et il ne devrait pas y avoir de problèmes. Nous devons veiller à ce que les États-Unis accordent aux États membres de l'Union européenne une réciprocité absolue et le même niveau de détail des informations échangées. Au total, nous devrions continuer à être meneurs sur le sujet.
Vous avez mentionné les quinze années de négociation de l'ACCIS ; mais la proposition a été formellement déposée en 2011, il y a seulement trois ans. J'aimerais voir des progrès rapides sur le sujet, mais les États membres estiment qu'il leur faut du temps eu égard à la complexité du sujet. Un point positif : le Président de la République française et le Président du Conseil italien estiment tous les deux qu'il s'agit d'une question prioritaire pour l'Union. Nous pouvons espérer aller jusqu'au Conseil ECOFIN, mais la suite se fera probablement sur la base d'une coopération renforcée, car il est difficile d'imaginer que le Royaume-Uni puisse s'associer à cette initiative.
Nous soutenons les progrès de l'OCDE sur le projet BEPS. On ne peut imaginer que le projet ACCIS puisse en lui-même servir de base au projet BEPS, mais nous travaillons toutefois sur une meilleure prise en compte des actifs immatériels, sur les dispositifs anti-abus, sur la question de l'établissement stable, sur les pratiques fiscales nuisibles. Le calendrier est serré, mais l'OCDE s'est engagée à livrer des documents en septembre 2014, puis le reste en 2015.
Comme je l'ai dit ce matin au Medef, il ne faut pas craindre que la taxe sur les transactions financières provoque un transfert d'activité hors de la zone : en fait, les grands centres financiers dans le monde pratiquent déjà une forme de taxe sur les transactions financières, comme en Grande-Bretagne (le stamp duty), en Suisse, à Hong-Kong, à Singapour ou à Taïwan. Nous envisageons bien sûr la création de zones tampons pour garantir que les transactions ne soient pas déplacées vers des pays qui n'auraient pas ce type d'impôts. Je me félicite des échanges réguliers entre les ministres de l'ECOFIN qui représentent les onze États membres engagés sur ce sujet ; cela laisse augurer un accord dans un futur proche sur une telle taxe, qui a le soutien des deux tiers des citoyens européens. Or c'est le rôle des dirigeants politiques d'être à l'écoute des citoyens.
M. Albéric de Montgolfier. - L'année dernière, la Commission a évalué à 32 milliards d'euros les pertes de TVA pour la France, dues notamment à la fraude ; en réponse à l'une de mes questions, le ministre du budget a rabaissé ce chiffre à environ 10 milliards d'euros. Comment la Commission est-elle parvenue à ce chiffre, et quelles en sont les principales explications ?
Vous nous aviez dit il y a trois ans à Bruxelles qu'une procédure d'enquête avait été lancée par la Commission au sujet d'un régime de défiscalisation français dans l'immobilier - le régime Périssol, me semble-t-il. La Commission se demandait si le fait de réserver ces régimes aux Français était contraire au principe de mouvement des capitaux. Où en est cette procédure ? Qu'en est-il des nouveaux régimes de défiscalisation immobilière ?
M. Philippe Dallier. - Ma question concerne la TVA sur le commerce en ligne. Nous nous sommes rendus avec Albéric de Montgolfier à l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle afin de regarder de près comment les paquets arrivant de pays extra-communautaires étaient contrôlés, et notamment si la valeur déclarée était correcte. Dans l'immense majorité des cas, la valeur déclarée est fausse, ce qui constitue une première forme de fraude. Par ailleurs, nous avons cherché à savoir quelles garanties pouvait avoir l'État sur le reversement de la TVA collectée par des sites de vente en ligne hors de France, qui lui échappe souvent. Serait-il possible d'envisager que la TVA soit prélevée directement, au moment où l'achat en ligne est conclu, plutôt que reversée a posteriori avec les risques qui ont été mentionnés ?
M. Richard Yung, secrétaire de la commission des affaires européennes. - Je ne crois pas que la fiscalité fasse partie des négociations commerciales actuelles entre les États-Unis et l'Union européenne. L'un des experts présent à la table ronde d'hier sur la concurrence fiscale a souligné un point frappant : les États-Unis encouragent leurs grandes entreprises comme Yahoo ou Google à s'installer fiscalement en Irlande ou encore aux Pays-Bas, où les taux sont très faibles, et à réinvestir ensuite leurs profits plutôt que de les rapatrier ; ils leur appliquent alors une franchise fiscale qui constitue une forme de dumping fiscal. La Commission ne devrait-elle pas se saisir de cette question ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - La presse a annoncé que la Commission européenne lançait des enquêtes pour de possibles infractions aux règle sur les aides d'État, à propos de régimes fiscaux faussant la concurrence, de rulings ou de lettres de confort adressées par des administrations fiscales à des entreprises. Cinq territoires sont concernés : l'Irlande, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas et Gibraltar. Pourriez-vous nous en dire plus sur les procédures en cours ?
Ma deuxième question porte sur la TVA, dont nous n'oublions pas qu'il est l'un des impôts les plus productifs. La TVA sur les services électroniques devrait entrer dans une phase de transition à partir du 1er janvier 2015, date à laquelle elle sera recouvrée au taux de l'État de résidence du consommateur final, mais dont les recettes, perçues au moyen du « guichet unique », seront partagées avec l'État membre du siège du prestataire jusqu'au 1er janvier 2019. Que répondez-vous aux inquiétudes - qui ne semblent pas totalement théoriques - sur le respect du délai imparti, notamment par le Luxembourg, pour qui les recettes représentent 700 millions d'euros par an ? La date du 1er janvier 2015 sera-t-elle tenue, et selon quelles modalités ?
Enfin, le groupe de réflexion ad hoc sur la fiscalité du numérique a-t-il été créé pour noyer le poisson ou doit-on y voir une intention réelle de s'attaquer à ce problème ?
M. Algirdas Semeta. - En ce qui concerne la TVA, les écarts ou pertes sont estimés à 193 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne. Ces pertes ne résultent sans doute pas toutes de fraudes, il peut également s'agir de faillites ou d'autres facteurs. Mais la fraude en est une cause majeure. Un effort est donc nécessaire, et même si des avancées sont possibles au niveau de l'Union européenne, c'est aux États membres de réaliser l'essentiel de cet effort. Certains États membres ont pris en ce sens des mesures efficaces : le Portugal, par exemple, a complétement réformé et informatisé son système de collecte de TVA, de manière à rendre immédiatement disponibles les données de chaque opérateur. Il est ainsi possible d'en faire un audit automatique. Il y a donc au moins un bon élève parmi les États européens, dont l'exemple pourrait être utile aux autres. Une évolution est également possible au niveau de l'Union, notamment par l'extension du mécanisme de réaction rapide et du système d'auto-liquidation, efficace contre le phénomène proprement européen qu'est la fraude « carrousel ».
J'en viens à votre question spécifique touchant le commerce électronique et la TVA. Comme je l'ai dit, nous travaillons à élaborer un régime de TVA définitif, qui porte notamment sur la manière dont la TVA devra être payée. Nous allons par ailleurs publier un livre blanc sur le sujet. Il se produit parfois des ruptures de la chaîne de paiement. On y remédiera, je le répète, par l'instauration d'un régime de TVA définitif. L'enjeu porte sur 900 milliards d'euros de recettes fiscales pour les États membres : nous n'avons tout simplement pas le droit à l'erreur dans nos propositions.
Le « mini-guichet » unique entrera bien en vigueur, comme prévu, en janvier 2015. Il ne me semble pas qu'une période de transition ait été prévue. Le Luxembourg se prépare activement à cette évolution afin de ne pas perdre de recettes.
Pour ce qui est des rulings, nous nous efforçons d'utiliser tous les instruments de lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales à notre disposition afin de garantir le respect des règles de concurrence. Je travaille en bonne intelligence avec mon collègue Joaquin Almunia. Il a demandé les informations concernant les règles fiscales en vigueur dans chacun des pays et territoires que vous avez cités ; n'ayant pas reçu suffisamment d'informations du Luxembourg, il a posé ces questions une nouvelle fois. Nous en sommes encore à l'étape préliminaire de la procédure d'infraction ; nous recueillons toutes les informations possibles en la matière. Nos experts vont évaluer les règlementations fiscales spécifiques à chaque pays, et des décisions seront prises sur la base de ces évaluations. Nous analysons également le problème des « patent boxes », ces régimes fiscaux favorables pour les droits de propriété intellectuelle, au regard des règles sur les aides d'État. Comme vous le voyez, la commission a commencé à passer en revue toutes les questions fiscales, en s'appuyant sur tous les instruments à sa disposition.
Sur le problème de l'économie numérique, oui, nous sommes très sérieux ; nous disposons pour cela d'un groupe d'experts de haut niveau, où la France est représentée par Pierre Collin. J'en attends des recommandations très constructives, sur la base desquelles nous ferons des propositions.
Cela m'amène à la question de M. Yung. En effet, aux États-Unis, les bénéfices non rapatriés ne sont pas soumis à l'impôt. Nous ne pouvons pas changer les lois américaines, pas plus que les Américains ne peuvent changer les nôtres ; mais il s'agit bien d'une sorte de subvention indirecte pour les entreprises à chercher des investissements hors des États-Unis pour éviter d'être imposées aux États-Unis. Un autre problème majeur tient à la difficulté de contrôler les accords sur l'imposition entre les pays membres de l'Union et des pays tiers ; certains de ces accords permettent aux dividendes d'échapper à l'impôt. Le règlement de ce type de problèmes fait partie du travail de l'Union européenne et de celui de l'OCDE.
Vous avez abordé la question de l'allégement d'impôt français en faveur de l'investissement immobilier. Il s'agit en fait des investissements immobiliers de résidents français dont le traitement fiscal serait différent de celui appliqué aux non-résidents français, ou d'investissements faits par des Français hors de France. Le traitement fiscal est donc différent selon que l'on est en France ou ailleurs. Selon la Commission européenne, il s'agit là d'une violation des règles du traité concernant la libre circulation des capitaux. C'est pourquoi nous avons décidé de lancer une procédure d'infraction à ce sujet, qui en est actuellement au stade de la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Vous avez également soulevé le problème de l'octroi de mer. Le régime actuel est en vigueur jusqu'au 1er juillet 2014, et la Commission a proposé de le prolonger temporairement jusqu'au 1er janvier 2015. Le Conseil a été saisi de cette proposition et doit prendre une décision. De nombreux produits sont couverts par ce régime, qui comprend de nombreux taux ; il convient de distinguer entre les produits pour lesquels ce régime est justifié, et ceux pour lesquels il ne l'est pas. Nous devons donc collecter un grand nombre d'informations afin de décider s'il est opportun de proroger cette dérogation à titre transitoire ou non.
M. Jean-Claude Frécon. - Vous avez parlé d'un livre blanc concernant le régime de TVA définitif. Pouvez-vous nous préciser la date de sa publication ?
M. Algirdas emeta. - Nous sommes dans une phase transitoire qui dure depuis plus de vingt ans. Notre intention est de publier ce livre blanc avant l'été, et au plus tard en septembre ou octobre 2014.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Merci pour cette audition très intéressante, sur des sujets structurels que nous continuerons à suivre. Je me félicite de la coopération fructueuse entre la France et la Commission.
M. Algirdas Semeta. - Nous nous réjouissons par avance de futures coopérations entre la Commission européenne et le Sénat. La discussion avec les parlementaires nationaux, issus de la chambre haute comme de la chambre basse, est très importante, et toujours d'un grand intérêt pour comprendre les véritables préoccupations des États membres.
La réunion est levée à 17 h 30.