Mardi 8 juillet 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -La réunion est ouverte à 17 heures.
Suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé - Audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale
Mme Annie David, présidente. - Notre réunion de cet après-midi sera consacrée à la présentation de l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission, sur les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé.
L'enquête a été confiée à la 6ème chambre de la Cour des comptes et va nous être présentée par son président, M. Antoine Durrleman. Il est accompagné de M. Serge Barichard, conseiller référendaire, rapporteur, et de M. Christian Babusiaux, président de chambre maintenu, contre-rapporteur.
Nous prolongerons cette présentation par un échange avec le directeur de la caisse nationale d'assurance maladie, M. Frédéric Van Roekeghem, et le directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Fatome. Je les remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation. Il sera très utile à la commission d'entendre leur point de vue sur les observations formulées par la Cour.
Cette enquête porte sur un des aspects essentiels du fonctionnement de notre système de santé, du moins dans sa dimension relative aux soins de ville.
Je ne peux m'empêcher de penser en cet instant à notre regretté collègue René Teulade, ancien ministre des affaires sociales, décédé en février dernier, qui rappelait régulièrement devant notre commission la difficulté de concilier l'exercice libéral des professions de santé et la prise en charge des soins dans le cadre d'un système d'assurance solidaire.
C'est bien là l'enjeu des conventions passées entre l'assurance maladie, les médecins et autres professionnels de santé libéraux.
Cette relation conventionnelle a, me semble-t-il, beaucoup évolué au cours des dernières années.
La fixation des tarifs n'est plus l'objet principal des négociations. Celles-ci intègrent de plus en plus d'autres préoccupations, comme la qualité de la prise en charge ou l'accès aux soins, préoccupations qui relèvent de la politique générale de santé. De ce fait, on peut se poser la question de l'articulation entre les relations conventionnelles, gérées par l'assurance maladie, et les orientations définies par le ministère de la santé.
Le sujet est donc complexe. Je souhaite que l'enquête de la Cour permette de nous éclairer et d'ouvrir un débat fructueux, avec l'assurance maladie, le ministère des affaires sociales et bien entendu notre commission.
Je vais tout d'abord demander au Président Durrleman de présenter le rapport de la Cour des comptes.
Je passerai ensuite la parole à Frédéric Van Roekeghem puis à Thomas Fatome pour qu'ils apportent leurs propres réflexions sur la question.
M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Madame la présidente, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu nous entendre pour cette présentation du travail effectué par la Cour. Il fait suite, le rapporteur général l'a rappelé, à une demande de votre part, formulée en décembre 2013, de procéder à une enquête portant sur les relations entre assurance maladie et professions libérales de santé dans le cadre de la politique conventionnelle. Vous aviez précisé que cette enquête devrait également s'intéresser au rôle des services de l'Etat dans l'initiation et la mise en oeuvre de cette politique conventionnelles.
Pour vous rendre compte de ce travail dont vous aviez demandé les conclusions pour la fin du premier semestre 2014, et échanger sur ses constats et ses propositions, je suis venu avec M. Serge Barichard, rapporteur, et M. Christian Babusiaux, président de chambre maintenu, qui en a assuré le contre-rapport.
Conformément au périmètre que nous avons défini d'un commun accord, notre travail a porté sur les thèmes suivants :
- le cadre des politiques conventionnelles, leurs caractéristiques et leurs évolutions depuis la réforme de 2004 ;
- l'impact des politiques conventionnelles sur les politiques de revenus des professions de santé ;
- les questions liées à l'accès aux soins de ville ;
- la place des politiques conventionnelles dans la régulation globale du système de santé.
Il n'a pas été procédé à une analyse exhaustive des 17 conventions et de tous les accords et avenants. Mais les professions les plus importantes, au regard de leurs effectifs et des coûts que leur activité représente pour l'assurance maladie, ont fait l'objet d'un approfondissement : les médecins, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes. Ces cinq professions génèrent 84 % de la consommation de soins et de biens médicaux telle que retracée par les comptes nationaux de la santé.
Notre enquête a donné lieu à de larges investigations et à des contacts nombreux, rappelés dans l'avertissement figurant en tête du rapport. Elle a bien évidemment mis fortement à contribution les services de M. Van Roeckeghem et de M. Fatome, dont je salue ici la présence, et d'autres administrations centrales. Nous avons par ailleurs consulté tous les principaux acteurs et notamment l'Union nationale des professions de santé (UNPS) ainsi que l'ensemble des syndicats représentatifs des professions retenues.
Je ne vais bien évidemment pas évoquer toutes les questions abordées dans le rapport. Notamment, dans la présentation du cadre conventionnel qu'il était nécessaire de faire, figurent nombre d'éléments que vous connaissez bien. Je vais, dans cette présentation liminaire, mettre l'accent sur quelques points saillants, en distinguant trois temps :
- les constats essentiels opérés par la Cour au regard des grands objectifs des politiques conventionnelles, ses avancées et ses limites telles que nous les percevons ;
- l'appréciation portée sur le fonctionnement pratique du cadre institutionnel imaginé en 2004, qui peut contribuer à éclairer les constats précédents ;
- les propositions de la Cour et les pistes envisageables pour gagner à la fois en efficience et en efficacité, ces pistes étant parfois tracées sous la forme de scénarios possibles, comme nous en avions convenu.
Au préalable, je voudrais dire que nous ne mésestimons ni la complexité du sujet, ni la lourdeur de la tâche de ceux qui ont à le gérer au quotidien ainsi que les difficultés concrètes auxquelles ils sont confrontés. Le propos de la Cour n'est pas de critiquer pour critiquer, mais, par son éclairage, de nourrir la réflexion et, ce faisant, de contribuer à la faire avancer.
Quels sont les principaux constatés opérés par la Cour au regard des objectifs des politiques conventionnelles ?
Depuis 2004, le champ et l'objet des négociations professionnelles, déjà larges, ont été étendus de façon significative. L'Etat s'en est progressivement remis aux politiques conventionnelles pour des sujets importants comme l'organisation du parcours de soins, les politiques de prévention et de santé publique, les besoins engendrés par le vieillissement de la population et les pathologies chroniques. L'Uncam a investi ces nouveaux champs en multipliant d'autant les thèmes de négociation, les outils et les incitations conventionnelles. Elle a engagé, avec les médecins et les pharmaciens, une diversification des modes de rémunération, conçue comme un support incitatif pour introduire des préoccupations de santé publique et pour promouvoir une gestion active des patientèles.
Toutefois, ces efforts importants, s'ils ont débouché sur des succès tactiques et des avancées avec certaines professions, n'ont pas apporté de réponses suffisantes à des questions qui sont au coeur du pacte conventionnel, visant à faire bénéficier tous les assurés d'un égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire et dans des conditions financières satisfaisantes. En outre, l'élargissement considérable du champ des politiques conventionnelles a engendré des dépenses nouvelles sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours, nous semble-t-il, à la hauteur des enjeux. La recherche de compromis différents suivant les professions s'est faite au détriment d'une prise en considération globale des besoins des patients et de leur évolution.
La diversification des modes de rémunération de certaines professions, sous la forme de rémunérations à la performance et au forfait, a été un axe fort des politiques conventionnelles récentes.
Pour les médecins, cette diversification a rapidement pris de l'importance : elle représentait en moyenne 12,3 % des revenus des généralistes en 2013. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) a été généralisée par la convention médicale de 2011, d'abord au bénéfice des médecins traitants, puis a été étendue aux cardiologues, aux gastro-entérologues et aux hépatologues. Si des progrès ont été observés sur la pratique clinique, les résultats sont plus contrastés pour la prévention. Aucune conséquence négative n'est attachée au non-respect des objectifs, et chaque indicateur est indépendant. Une solidarité entre les indicateurs avec des impacts positifs et négatifs sur la rémunération finale renforcerait le caractère incitatif du dispositif.
Les médecins bénéficient également de différentes rémunérations forfaitaires, inspirées du paiement à la capitation, au bénéfice du médecin traitant, assises sur la composition de leur patientèle. Les formules successives, jamais évaluées, tendent, en se sédimentant, à complexifier le système : source de dépenses nouvelles, ces forfaits devraient être assortis de contreparties claires et vérifiables, dans la mesure où ils s'ajoutent à la rémunération à l'acte.
Une rémunération à la performance a également été instituée au bénéfice des pharmaciens par la convention de 2012. En outre, un honoraire de dispensation des médicaments est en cours de mise en place. S'il doit en principe rester neutre sur les dépenses de l'assurance maladie par une réforme de la « marge dégressive lissée » dont les pharmaciens bénéficient sur les boîtes de médicaments, il reste en l'état corrélé pour sa quasi-totalité à la boîte vendue. Pourtant cette réforme aurait pu être l'occasion de déconnecter la rémunération du volume de vente et de construire une politique incitant à l'efficience des pratiques.
Médecins, chirurgiens-dentistes et auxiliaires médicaux bénéficient également de la prise en charge, par l'assurance maladie, d'une part significative de leurs cotisations sociales. Cette prise en charge, qui remonte aux années 60, a été progressivement étendue et constitue une contribution substantielle au revenu. Ces niches sociales coûteuses (2,2 milliards d'euros en 2013) représentent une part substantielle du revenu (près de 18 % pour un médecin généraliste, 10 à 11 % pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes, plus de 7 % pour les dentistes). Elles pourraient être plus fortement modulées en fonction des objectifs conventionnels propres à chaque profession.
Sur les rémunérations en général, nous faisons deux constats :
- premier constat : la connaissance des revenus des professions de santé reste trop peu précise et ne fait pas l'objet d'un suivi suffisant pour un pilotage éclairé de la politique tarifaire. Nous pensons qu'entre la Cnam, la Drees, l'administration fiscale et l'Insee, il y a matière à une collaboration plus active pour suivre l'évolution des revenus de façon plus robuste et plus régulière ;
- deuxième constat : les éléments disponibles permettent néanmoins de constater, nonobstant les écarts selon les sources, que de grandes disparités perdurent entre les revenus des différentes professions de santé, de même que, pour les médecins, entre les revenus des généralistes et des spécialistes et entre les différentes spécialités médicales. La politique conventionnelle menée depuis 2004 a en fait peu modifié la hiérarchie des rémunérations des médecins, malgré un discours récurrent sur la nécessité de revaloriser la position relative de la médecine générale et des spécialités cliniques. La volonté de valoriser le rôle du médecin traitant, affirmée dans la convention médicale de 2005, n'a pas débouché sur une modification de sa position relative.
Sur l'accès aux soins, nous faisons deux remarques principales, l'une touchant à la régulation des installations, l'autre à la question des dépassements de tarifs.
Les professions libérales de santé sont inégalement réparties sur le territoire au regard des besoins des populations. Les négociations conventionnelles n'ont que récemment intégré cette dimension géographique : si quelques tentatives antérieures ont concerné les médecins, c'est à partir de 2008 que des mesures visant à concilier le principe de la liberté d'installation avec la préservation d'un accès aux soins possible et équitable ont été instituées. L'impact demeure limité.
Pour les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes, des mesures incitatives ont été introduites pour les zones considérées comme sous-dotées, et des mesures restrictives pour les zones sur-dotées : dans ces zones, l'accès au conventionnement n'est devenu possible qu'en remplacement d'une cessation d'activité. Pour les médecins, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes, seules en revanche des incitations ont été mises en place. Enfin, pour les pharmaciens, malgré les intentions exprimées dans la convention de 2012, aucune mesure en vue de l'évolution du réseau des officines n'a été mise en oeuvre.
Au total, les actions entreprises pour optimiser la répartition des professionnels de santé libéraux apparaissent encore timides et ont un impact trop limité. Les leviers conventionnels utilisés n'ont pas permis d'atteindre l'objectif. Les pistes ouvertes en termes de conditionnalité du conventionnement demandent ainsi à être consolidées et approfondies, en permettant par la loi d'étendre cette orientation à toutes les professions dans les zones en surdensité.
Par ailleurs, les politiques conventionnelles n'ont pas jusque-là résolu la question des dépassements de tarifs pratiqués par certaines professions.
Les dépassements des médecins de secteur II représentent environ 2,4 milliards d'euros, le taux de dépassement s'établissant en moyenne à 56,3 % en 2013. Ils ont fortement augmenté sur le long terme, puisque le taux de dépassement moyen a doublé depuis 1990. Après plusieurs tentatives infructueuses, un nouveau dispositif, le contrat d'accès aux soins (CAS), a été mis en place par l'avenant n° 8 d'octobre 2012. Le CAS apparaît toutefois pour le moins peu contraignant, au regard des taux moyens de dépassement constatés. Il peut conduire à considérer comme normal un dépassement de 100 %. L'avenant prévoit également un dispositif de sanction des dépassements considérés comme excessifs. L'impact est pour l'instant limité. La procédure est lourde et restrictive. La fixation de la sanction maximale applicable par des commissions paritaires avec les syndicats professionnels en limite les effets potentiels.
La prise en charge des soins dentaires par l'assurance maladie obligatoire ne s'établissait plus qu'à 31,5 % en 2012 hors CMU-c. En effet, les soins conservateurs sont remboursés à 70 %, mais le prix des soins prothétiques, laissé libre en contrepartie d'une modération des tarifs des soins conservateurs, a très fortement augmenté. La part des dépassements s'élevait en 2012 à 53 % des honoraires totaux, soit 4,7 milliards d'euros. Bien que le constat du déséquilibre entre soins conservateurs et soins prothétiques soit ancien, les mesures conventionnelles récentes, et notamment la mise en place d'une classification commune des actes médicaux (CCAM) pour l'activité bucco-dentaire, restent insuffisantes pour y remédier. Dans la politique conventionnelle, ce secteur a été, de fait laissé en déshérence.
Quels sont les éléments pouvant contribuer à éclairer tout ou partie de ces constats ?
La nouvelle gouvernance issue de la loi de 2004 a, dans sa pratique, débouché sur un jeu d'acteurs brouillé.
Le cadre des négociations conventionnelles a été profondément redéfini par la loi de 2004. L'établissement des conventions avec les professions de santé relève de l'Uncam, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Le conseil de l'Uncam tient un rôle limité à la définition des orientations, le directeur général, également directeur général de la Cnam, étant chargé de conduire les négociations.
Les pouvoirs de régulation de l'Etat sont avant tout d'ordre financier : l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), voté par le Parlement, conditionne pour partie le contenu et le calendrier des négociations conventionnelles, en fonction des marges de manoeuvre financières à disposition du directeur général. L'Uncam a inscrit son action dans cette contrainte financière. Le taux de progression de l'Ondam est respecté depuis 2010 et les dépenses effectives sont mêmes inférieures à celles qui étaient prévues. Cependant, cet écart tient à d'autres postes que les professions libérales couvertes par la politique conventionnelle, en 2013 essentiellement aux indemnités journalières et au médicament. Le taux de progression de l'Ondam a par ailleurs jusqu'alors permis une augmentation continue des dépenses, nonobstant les déficits de l'assurance maladie.
Le Gouvernement dispose pour sa part de pouvoirs limités sur les accords conventionnels. Le coût des mesures négociées n'est plus un motif d'opposition du ministre depuis 2004. L'Etat n'a également plus la main en cas d'échec des négociations : une ordonnance du 21 avril 1996 avait prévu qu'en l'absence de convention les médecins seraient régis par un règlement conventionnel minimal, élaboré par le gouvernement et publié par arrêté ministériel ne prévoyant pas de revalorisation d'honoraires et réduisant les prises en charge de cotisations sociales par les caisses, permettant de garantir à la fois l'intérêt des patients et de l'assurance maladie. La loi de 2004 a supprimé ce dispositif et a prévu, pour toutes les professions, une procédure arbitrale.
L'assurance maladie bénéficie donc, selon les textes, d'une forte autonomie dans les négociations conventionnelles. Cependant, l'Etat n'a pas pour autant renoncé à être présent. Au regard des enjeux financiers et de la nécessité de réformer l'organisation des soins, les pouvoirs publics, qui conservent par ailleurs la responsabilité du pilotage du système hospitalier, sont amenés à peser sur les négociations, soit en prenant par la loi des dispositions de circonstance pour que les partenaires conventionnels agissent dans un sens déterminé, soit en fixant officieusement des objectifs aux négociations, soit encore en intervenant dans leur déroulement-même. A trop afficher dans les textes une délégation en réalité peu tenable, l'Etat s'est ainsi exposé au risque de devoir intervenir dans des conditions qui brouillent les responsabilités.
Par ailleurs, les deux nouveaux acteurs des politiques conventionnelles prévus par la loi de 2004 n'ont pas trouvé la place que cette réforme visait à leur donner pour le bon équilibre du système conventionnel: d'une part, l'UNPS, ne joue pas le rôle interprofessionnel que l'on pouvait en attendre ; d'autre part, l'association de l'Unocam aux négociations reste chaotique et elle s'est mise en retrait après la signature de plusieurs accords en 2012 et 2013, estimant qu'elle n'était pas mise en situation de jouer un rôle réel.. La nouvelle gouvernance prévue par la loi de 2004 n'a pas fonctionné, sauf pour ce qui concerne le rôle accru de la Cnam.
Le dispositif conventionnel est très éclaté, avec des négociations nombreuses et très séquencées.
Les conventions avec les principales professions sont régulièrement renégociées et font surtout l'objet de multiples avenants. Ainsi, la convention passée avec les médecins en 2005 a fait l'objet de 32 avenants Celle passée en 2011 en compte déjà 11. Les conventions passées en 2007 respectivement avec les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes comportent chacune cinq avenants Celle conclue avec les pharmaciens en 2012 en compte déjà cinq en mai 2014.
Cette succession incessante de textes s'explique notamment par la mise en oeuvre des multiples axes des politiques conventionnelles. Il en a résulté une inflation de négociations en raison d'un traitement très séquencé. Si la forte segmentation des négociations peut comporter des avantages en permettant une maturation des problématiques à des rythmes différents, elle présente également des inconvénients. Elle est susceptible de multiplier les avantages accordés sans contreparties suffisantes. En outre, elle nuit à la pérennité des dispositifs qui peuvent être rapidement modifiés voire remplacés sans avoir pu réellement être mis en oeuvre ou sans qu'un bilan en ait été établi.
Le troisième point, en lien direct avec le second, c'est le retard constaté dans l'émergence des approches interprofessionnelles
Il aura fallu en effet attendre dix ans, après la loi de 2002 qui en prévoyait la conclusion, pour qu'un premier accord-cadre interprofessionnel (ACIP) voie le jour. Encore cet accord, conclu en mai 2012 entre l'Uncam et l'UNPS, reste-t-il très pauvre dans son contenu. Il expose essentiellement des déclarations d'intention.
La loi de 2004 a prévu un autre mode de contractualisation interprofessionnelle à géométrie variable sous la forme d'accords conventionnels interprofessionnels (ACI) intéressant plusieurs professions désireuses de renforcer la coordination des soins. Cette possibilité, plus souple, n'a pas été utilisée au cours des dix dernières années. Ni l'Uncam ni les principaux syndicats représentatifs n'ont été porteurs, préférant rester dans le cadre de colloques singuliers.
La frilosité des politiques conventionnelles à cet égard n'a pas conduit l'Etat à une réorientation d'ensemble mais au lancement, depuis 2008 d'une série d'expérimentations sur de nouveaux modes de rémunérations en équipe. De son côté, la Cnam a également lancé des expérimentations sur des programmes d'accompagnement du retour à domicile après hospitalisation (les Prado). Le principe d'expérimentation est pertinent mais les conditions dans lesquelles elles ont été lancées sont à l'origine d'une situation compliquée et la rationalisation de ces expériences reste à conduire.
Des négociations interprofessionnelles sont certes en cours pour définir un dispositif pérenne de rémunération d'équipe, mais dans des conditions difficiles faute que les différentes conventions par profession se soient d'emblée inscrites dans une perspective d'ensemble.
Quelles sont les pistes que la Cour soumet à votre réflexion ?
Tout d'abord, développer l'interprofessionnel et recentrer l'activité conventionnelle sur les enjeux essentiels.
Des négociations trop exclusivement en « tuyaux d'orgues » ont fait obstacle à une meilleure organisation des soins de proximité, à la redéfinition de certaines fonctions pour répondre à l'évolution des besoins des patients, et à une articulation des prises en charge entre la ville et l'hôpital. La structuration des soins de premier recours implique, à l'avenir, un changement de modèle, consistant à renverser la perspective conventionnelle en faisant des approches interprofessionnelles le cadre premier des négociations dont les résultats formeraient ensuite l'armature commune des différentes conventions par profession de manière à permettre une approche plus coordonnée des soins de ville.
En outre, l'activité conventionnelle devrait être recentrée sur les enjeux essentiels - politique de rémunération contrainte et équilibrée, accès aux soins préservé et organisé, maîtrise médicalisée des dépenses - et ne s'étendre à d'autres sujets que dans la mesure où cette ossature est affermie. Ce recentrage devrait prendre place dans le cadre de négociations moins nombreuses, permettant une plus grande stabilité des textes et facilitant la mise en place d'un suivi plus exigeant, ainsi que d'une évaluation systématique de l'impact des mesures prises.
Mettre en place, ensuite, un suivi et une coordination plus exigeants en clarifiant les responsabilités
Les directions ministérielles relevant du ministère chargé de la santé ont une approche trop peu coordonnée des politiques conventionnelles. L'unité de vues n'est pas assurée entre les services de l'Etat et l'assurance maladie. Le manque de cohérence et de coordination se répercute au niveau territorial : il existe de nombreux points de recoupement entre l'action des ARS et les politiques conventionnelles. C'est notamment le cas en matière de répartition géographique de l'offre. De même, il n'existe pas pour l'essentiel d'articulation entre d'une part les actions de santé publique et de gestion du risque développées via les politiques conventionnelles, et d'autre part celles initiées par les ARS.
La régulation devrait porter de façon coordonnée sur tous les leviers détenus par l'Etat et par l'assurance maladie, concernant notamment l'organisation de l'offre, les tarifications en ville et à l'hôpital, et la politique du médicament. Seuls un pilotage plus intégré et une meilleure articulation permettront de dépasser les clivages traditionnels, de dégager les gains d'efficience nécessaires et de mieux répondre aux besoins des patients.
Une plus grande convergence des acteurs doit être recherchée au niveau national, en s'appuyant - c'est ce que nous proposons - dans un premier temps de façon pragmatique sur les outils existants. Ainsi, les missions de ce qui est aujourd'hui le comité national de pilotage (CNP) des ARS devraient être renforcées et étendues aux orientations et au suivi des politiques conventionnelles. Le contrat passé entre l'Etat et l'Uncam devrait constituer un vecteur essentiel de la coordination entre l'Etat et l'assurance maladie et de la définition des objectifs fixés à la politique conventionnelle, au besoin en modifiant les textes en ce sens.
Enfin, il importe que le Parlement, appelé à voter l'Ondam mais qui ne dispose aujourd'hui que d'informations réduites sur les politiques conventionnelles, soit à même de développer son contrôle sur ces politiques publiques qui sont une composante majeure des dépenses d'assurance maladie. Lors de la présentation du PLFSS, la réalisation des Ondam précédents doit être mieux documentée. Le sous-objectif des soins de ville devrait être assorti d'un développement faisant le point sur les politiques conventionnelles, globalement et profession par profession, en termes d'engagements pris, de coûts pour la collectivité et de résultats.
Troisième orientation suggérée par la Cour : mieux affirmer la place des organismes complémentaires
La clarté et l'efficacité du système supposent de mieux les associer. Il n'apparaît pas souhaitable que ceux-ci soient utilisés comme de simples opérateurs financiers permettant de solvabiliser les accords passés entre l'Uncam et les professions de santé, en raison du risque d'inflation des coûts que cela représente. L'amélioration des conditions d'accès aux soins suppose une véritable coopération des régimes de base et complémentaires. Une application stricte de la loi de 2004 qui prévoit un examen conjoint annuel, entre l'Uncam et l'Unocam, des programmes de négociation serait déjà de nature à renforcer cette coordination. La concertation obligatoire pourrait être élargie à l'ouverture de toute négociation, et en constituer un préalable nécessaire. Il pourrait également être prévu que le comité national de pilotage puisse entendre 1'Unocam et ses composantes sur les thèmes qui les concernent plus particulièrement.
Enfin, quatrième proposition, étudier la possibilité de laisser sous conditions une marge de manoeuvre aux acteurs territoriaux.
Le maintien d'une politique conventionnelle nationale apparaît nécessaire pour un traitement global et équitable de l'accès aux soins et des conditions de leur prise en charge collective. La possibilité d'adapter les politiques conventionnelles aux spécificités régionales, dans des conditions limitatives préfixées et/ou dans le cadre d'enveloppes fermées, pourrait néanmoins être ménagée, sous réserve de la clarification et du recentrage que j'ai évoqués. Ce schéma d'adaptation régionale des politiques conventionnelles pourrait dans un premier temps faire l'objet d'une expérimentation.
Madame la présidente, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs les sénateurs, la politique conventionnelle a été omniprésente et incessante. Elle n'a cependant pas réglé des problèmes répertoriés de longue date. Les questions soulevées sont stratégiques, qu'il s'agisse de l'organisation des soins de proximité et du développement des approches interprofessionnelles, du lien avec l'hôpital, ou de la question de l'accès aux soins sur les plans géographique et financier. Elles doivent être traitées, à la fois dans l'intérêt des patients et en intégrant la préoccupation essentielle d'un retour à l'équilibre de l'assurance maladie, donc avec le souci de rechercher des gains majeurs d'efficience.
Je vous remercie de votre attention. Nous restons bien évidemment disponibles pour échanger et répondre à vos questions.
Mme Annie David. - , présidente. - Merci, Monsieur le Président, je me réjouis que cette enquête vous ait également apporté satisfaction et ses résultats, notamment sur l'Ondam, vont susciter toute l'attention de notre commission. Je passe la parole à M. Van Roekeghem.
M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. - La Cour n'a pas failli à sa réputation en analysant avec attention les politiques conventionnelles. Je tiens à souligner le contexte dans lequel ces conventions sont mises en oeuvre : un monde réel qui a évolué depuis l'application de la loi de 2004 et dans lequel la comparaison avec les autres pays européens est nécessaire et. Il nous faut ainsi conduire une analyse positive des progrès accomplis par notre pays que relèvent notamment les dernières publications de l'OCDE en matière de dépenses de médicaments et de développement de l'usage des génériques.
La réforme de 1995 avait donné lieu à de très fortes turbulences avec la communauté médicale qui rechignait à s'engager sur des objectifs chiffrés. Nous partons d'une augmentation annuelle de l'ordre de 6 % des dépenses au début des années 2000 et des règlements arbitraux dans lesquels l'Etat avait consenti à augmenter le tarif de la consultation plutôt que de faire preuve de fermeté vis-à-vis des professionnels de santé.
C'est pourquoi la loi de 2004 a eu pour objectif de renforcer les politiques conventionnelles en confiant à l'assureur public des pouvoirs de négociation qui ont été assumés afin d'obtenir un meilleur réalignement de la politique de santé publique sur de nouvelles priorités. S'agissant de cette gouvernance, on ne peut ignorer le constat dressé par M. Antoine Durrleman selon lequel la caisse nationale d'assurance maladie a pris toute sa place, avec les autres régimes.
S'agissant de la situation des partenaires sociaux, je serai en revanche plus dubitatif sur l'analyse qui a été faite. Le secteur II a été mis en place du temps de l'ancienne gouvernance. La gouvernance actuelle ne permettrait pas à l'Etat de demander une évolution ne suscitant pas l'accord des partenaires sociaux.
Le constat est exact sur l'élargissement des politiques conventionnelles. La stratégie qui consisterait à limiter les conventions à la seule rémunération ne me paraît pas pertinente. Il me paraît impossible de ne pas associer les professionnels de santé, d'une manière ou d'une autre, à l'évolution des politiques publiques, surtout sanitaires.
Dans ce cadre, il faut rappeler certains acquis. Premièrement, force est constater une diminution des écarts dans le comportement des prescripteurs. Cette évolution n'est pas suffisante puisque subsiste encore une différence de volume de l'ordre de 30 à 40 % en matière de prescription d'antibiotiques avec nos voisins allemands. Les volumes de prescription de certaines classes de médicaments thérapeutiques nous paraissent ainsi insuffisamment maîtrisés et la prescription de médicaments génériques insuffisante.
Le médecin traitant a été mis en place, mais le rôle des médecins spécialistes et cliniques n'a pas été bien précisé. Nous avons réconcilié les médecins avec une politique de maîtrise médicalisée, et non pas comptable, des soins, et nous sommes allés jusqu'à mettre en place des rémunérations individualisées sur des objectifs quantifiés, ce qui témoigne du chemin parcouru.
L'analyse de la Cour sur la question des rémunérations doit être tempérée. La rémunération sur objectif est effectivement une incitation au progrès jusqu'à un certain niveau, mais une fois celui-ci atteint, tout recul entraîne une baisse. Introduire une pénalisation en cas de non-réalisation des objectifs, ce que préconise la Cour, constituerait un point particulièrement sensible dans la négociation. Celle-ci oblige à passer des compromis avec les professionnels. C'est pourquoi on ne peut concevoir la politique conventionnelle indépendamment du cadre réglementaire et législatif : le vrai sujet de gouvernance, comme l'avait rappelé un ancien Président de la République, réside dans l'équilibre entre la loi et le contrat, entre ce qu'on impose et ce qu'on négocie. De ce point de vue, rappelons que la convention n'est qu'une délégation du pouvoir réglementaire, conformément à l'article 21 de la Constitution, à l'assurance maladie et qu'elle peut, à ce titre, évoluer.
La montée en puissance des nouveaux modes de rémunération, qui représentent 12 % des rémunérations de la médecine générale, n'a pas entraîné la diminution de la valeur de l'acte. Mais si la Cour juge qu'il aurait dû en être ainsi, il est tout à fait loisible au Parlement d'envisager cette mesure.
Pour la première fois, un conventionnement régulé a été instauré géographiquement. Si une mesure de ce type avait été mise en oeuvre il y a près de vingt ans, l'évolution de notre système de santé eût été différente. Cette démarche est donc tardive et ses résultats sont encore insuffisants. Encore fallait-il l'engager ! Rappelons-nous ce qui s'est passé lorsque le précédent gouvernement a souhaité élargir la disposition législative que nous avions négociée avec les syndicats d'infirmiers à l'ensemble des professionnels de santé, et l'arrêt du Conseil d'Etat qui a annulé les fruits de notre négociation avec les kinésithérapeutes suite à la déclaration de la ministre devant le Parlement selon laquelle il n'y aurait pas de mesure désincitative. Le conseil de l'Uncam va se prononcer et nous comptons solliciter le Parlement pour que ces mesures soient rétablies. Car il nous semble nécessaire qu'un accord négocié avec les syndicats des masseurs kinésithérapeutes et de sages-femmes puisse être mis en oeuvre, surtout si celui-ci participe au rééquilibrage des installations dans notre pays.
La politique conventionnelle a également permis une plus forte informatisation des professionnels de santé ainsi que la mise en place d'accords prix-volumes qui ne recueillent pas l'approbation de la Cour des comptes, mais dont je considère qu'ils sont parmi les plus importants signés avec les professionnels de la biologie, alors qu'est prônée la bonne utilisation des ressources collectives.
Il faut se méfier de conclusions hâtives dans un domaine aussi complexe que celui de la santé qui présente des implications politiques extrêmement fortes. L'Etat est d'ailleurs très présent dans les négociations conventionnelles. Considérer que la loi d'août 2004 a affaibli les partenaires sociaux et l'Etat résulte d'une lecture très juridique qui ne résiste pas à l'épreuve des faits. En matière de santé publique, il me paraît clair que si l'Etat ne souhaite pas qu'un accord soit trouvé, il dispose des moyens pour faire entendre sa voix.
L'Etat pèse ainsi dans les négociations. On ne peut empêcher les ministres de faire de la politique, c'est bien là leur vocation, comme en témoigne la lettre de la ministre de la santé qui proposait un cadrage des négociations au conseil de l'Uncam sur l'avenant n° 8 relatif aux dépassements d'honoraires.
La question du déconventionnement se situe ainsi aux confins de la politique et conduit les ministres à intervenir. Il y a cependant des règles, comme celle qui veut qu'un accord négocié par le directeur général de la Cnam et non conforme aux orientations fixées par l'Uncam peut être annulé par le Conseil d'Etat.
Je rejoins l'analyse de la Cour sur certains sujets, mais l'équilibre entre les possibilités de réforme, en matière de revenus des professionnels notamment, et le respect de l'Ondam ne me paraît pas avoir été suffisamment abordé. En effet, l'Ondam est respecté pour les soins de ville depuis 2009 et dans sa globalité depuis 2010. Si nous n'avions pas maîtrisé les conséquences financières des négociations conventionnelles, nous n'aurions pu sous-exécuter l'Ondam au niveau qui a été constaté.
Il est vrai que la première remarque de la Cour sur la place des négociations interprofessionnelles semble assez justifiée. Celles-ci sont néanmoins complexes à envisager car les professionnels libéraux craignent de se voir imposer des règles qui auraient été discutées au niveau interprofessionnel, et le dosage entre négociations professionnelles et interprofessionnelles demeure très délicat. Certains professionnels redoutent aussi qu'une négociation interprofessionnelle soit le cadre de stratégies d'encerclement par d'autres professions. Ainsi, les médecins généralistes ou spécialistes peuvent craindre d'être débordés par les professions paramédicales dans un combat qui peut aller au-delà du caractère professionnel pour devenir politique et s'inscrire dans la durée. On ne peut ignorer cette réalité.
De ce point de vue, considérer uniquement la dimension interprofessionnelle dans les soins de ville sans s'intéresser à leurs liens avec l'hôpital me semble une lacune importante de l'analyse. Car l'un des leviers du développement de la coordination de la médecine de ville réside dans les relations avec l'hôpital, comme l'analyse d'ailleurs l'OCDE.
Les négociations interprofessionnelles s'avèrent complexes à organiser : la base juridique nouvelle offerte sous la forme d'un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) implique la pérennisation des négociations des nouveaux modes de rémunération qui concerne près d'une quarantaine d'organisations représentatives, ce qui n'est jamais très simple.
Les nouveaux modes de rémunération, et notamment le paiement à la capitation progressivement mis en oeuvre au niveau du médecin traitant, avec 40 euros pour les médecins traitants au titre du suivi des affections de longue durée (ALD), puis, plus récemment, pour l'ensemble des patients, ont été revendiquées depuis longtemps par les syndicats de médecine générale. Ils ont été encouragés par des études économiques qui considèrent qu'une part de capitation dans la rémunération des professionnels de santé est susceptible de rendre ceux-ci moins enclins à multiplier des actes et des prescriptions. La démarche s'inscrit dans cette stratégie. Dans un tel contexte, il n'y a, effectivement, pas eu de contreparties claires ni vérifiables ; la seule obligation du médecin traitant réside dans l'élaboration de protocoles de soins pour les patients en ALD moyennant une rémunération forfaitaire. Au niveau macroéconomique, cette évolution s'est substituée à une augmentation du tarif des actes. L'analyse de la Cour des comptes, selon laquelle la situation du médecin généraliste n'a pas assez progressé dans la hiérarchie des rémunérations des médecins, combinée au développement de formes de rémunération de substitution, se heurte à la maîtrise de l'Ondam, sauf à considérer que tous les autres médecins doivent être rétrogradés dans cette hiérarchie.
Pour fixer quelques ordres de grandeur, de 2002 à 2012, l'évolution des honoraires et celle des revenus des médecins généralistes a progressé de 2,1 % en termes nominaux par an, tandis que le produit intérieur brut par habitant progressait quant à lui de l'ordre de 2,2 %. Durant cette période, les recettes n'ont pas été au rendez-vous et nous avons essayé de juguler les déficits et de respecter l'Ondam.
Les modulations des avantages conventionnels consacrés aux médecins et aux professionnels qui respectent les tarifs opposables ont évolué. L'assiette des prises en charge de cotisations sociales exclut tous les dépassements d'honoraires. Pour les chirurgiens-dentistes, nous avons divisé par deux la participation au financement des cotisations sociales, afin de permettre une augmentation des tarifs opposables des soins conservateurs. Je tenais à souligner ce point qui n'était pas mentionné dans le rapport de la Cour des comptes. Ce sujet est complexe et l'objectif central de la convention, comme le soulignait le Président Durrleman, consiste à maintenir, sur le long terme, une opposabilité tarifaire, à la condition de piloter ces tarifs de manière efficiente. Aujourd'hui, force est de constater que la liberté tarifaire octroyée aux médecins de secteur II depuis plus de trente ans leur permet d'obtenir des revenus de 30 % en moyenne plus élevés que ceux de leurs confrères de secteur I. Nous rejoignons de ce point de vue l'opinion de la Cour selon laquelle l'encadrement tarifaire du secteur II a été pris en charge trop tardivement.
L'évolution des revenus est difficile à appréhender. Sa connaissance est insuffisante et implique que soit pris en compte les bénéfices des sociétés d'exercice libéral, et ce notamment pour les radiologues. Seul le ministère des finances dispose de ces informations et leur évaluation demeure complexe puisqu'une partie des charges salariales des SEL peut aussi concerner les salariés de ces structures. Nous ne disposons donc pas d'une appréciation suffisamment fine des revenus des professionnels, du fait de la complexité des montages désormais autorisés pour l'exercice de ces professions de santé.
On ne peut nier que les revenus des médecins généralistes n'ont pas connu de progression fulgurante. De très nombreux pays sont également confrontés à l'échec de la maîtrise des revenus pour certaines spécialités, notamment médicotechniques, du fait de la multiplication de ces actes. Lorsque les IRM sont prescrits abondamment, et le nombre croissant de machines commandé par les ARS suite à l'impulsion du précédent Plan cancer y contribue, cela se traduit par une augmentation des ressources des professionnels concernés et implique le pilotage adapté des tarifs.
Les dépassements d'honoraires sont également un sujet complexe. On observe une dérive tarifaire par spécialité et entre professionnels en fonction de leur implantation géographique. Se limiter à l'analyse des dépassements excessifs, au motif que la procédure de sanction est lourde et peu efficace, ne me paraît pas pertinent. Il faut raisonner par rapport à la moyenne même si la sanction sur les pointes me paraît évidemment nécessaire.
Nous rencontrons une difficulté avec les syndicats de médecins sur ce point. Malgré les engagements souscrits en matière de lutte contre les dépassements dans le cadre de l'avenant n° 8, certains d'entre eux, à l'instar de MG France, ne souhaitent pas voter dans les commissions paritaires. L'assurance maladie, dont les représentants votent quant à eux à l'unanimité, quel que soit leur statut d'origine, s'attend en vain à obtenir le soutien des médecins attachés aux tarifs opposables. Il y a une réelle réticence de certains syndicats à soutenir les accords signés. Je n'exclus pas qu'au cas de blocage de toute décision en matière de sanctions des professionnels en dépassement excessif, du fait de la parité des votes, le conseil de l'Uncam puisse demander au Parlement de se prononcer.
S'agissant de la répartition des professionnels de santé, nous sommes partis également bien tard. Pour les infirmières, les écarts de densité selon les départements varient de 1 à 9. Certes, nous sommes en train de les réduire, mais notre démarche est fort tardive ! Nous avons d'ailleurs échangé avec la Cour sur ce point.
Bien que la nouvelle gouvernance ait clarifié certains points en la matière, la Cour souligne que l'extension du champ des conventions pose la question de la coordination entre la politique de la santé publique, adossée sur la stratégie nationale de la santé, et les conventions qui doivent s'intégrer dans cette politique définie par l'Etat.
Concernant les relations avec les ARS, des progrès pourraient être réalisés en matière de coordination au sein du ministère de la santé afin de mieux utiliser les compétences qu'il compte en son sein. S'agissant du zonage établi par les ARS sur la base d'arrêtés ministériels, des conventionnements sélectifs ont été mis en place suite au travail de la Cnam et une réflexion a été conduite pour renforcer le caractère interprofessionnel des zonages. Si celui-ci avait été précédemment réalisé, la question du conventionnement sélectif ne se poserait pas. En pratique, il importe de prendre les décisions au bon moment quitte à abaisser le niveau d'ambition.
Le bon usage des ressources entre les établissements des soins et la médecine de villes demeure perfectible. La médecine de ville doit être réorganisée pour permettre à notre pays de combler son retard en matière de durée moyenne de séjour à l'hôpital, en prenant les bonnes décisions et en allant jusqu'à prendre en compte son financement dans la détermination des tarifs hospitaliers. Une telle démarche n'incombe pas à l'assurance maladie.
Sur le conseil national de pilotage (CNP) des ARS et le rôle des partenaires sociaux, l'objectif est relativement clair : la perspective de piloter davantage les décisions de l'assurance maladie par le biais du CNP ne suscite pas l'adhésion du conseil de direction de l'Uncam mais on ne peut nier que le contrat Etat-Uncam qui fixe la politique de gestion du risque est insuffisamment opérationnel dans sa rédaction actuelle. Afin d'optimiser l'usage des ressources disponibles, peut-être tentera-t-on de passer à une étape plus opérationnelle sur une durée plus courte.
Le Parlement avait souhaité que les annexes aux propositions annuelles de l'assurance maladie soient complétées par la présentation des principaux accords intervenus. La Cnam n'émet aucune objection sur la recommandation de la Cour d'étoffer cette annexe.
M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La matière que nous examinons, c'est celle du dialogue social qui est au coeur de l'actualité et il faut trouver des accords et des compromis pour faire avancer le système. Le Gouvernement et notre ministre sont particulièrement attachés à ce dialogue social et à ce dialogue conventionnel entre l'assurance maladie et les représentants des partenaires sociaux médicaux ou paramédicaux que sont les syndicats représentatifs.
Les négociations conventionnelles me paraissent avoir enregistré quatre résultats positifs depuis ces dix dernières années. L'Ondam, pour la médecine de ville et de manière générale, a été de mieux en mieux tenu : d'autres facteurs expliquent certes les bons résultats enregistrés notamment en 2013, mais la qualité continue du dialogue entre les équipes de la sécurité sociale et de l'assurance maladie a permis, ces dernières années, d'identifier les provisions pour revalorisation et de suivre leur exécution en fonction du cadrage retenu.
Pour le passé, le respect de l'Ondam a pu être mis à mal par un défaut de pilotage de la rémunération de certaines professions médicales. Derrière les négociations conventionnelles se trouvent cependant des baisses tarifaires de certaines spécialités qui ont une influence directe sur la fixation annuelle de l'Ondam.
S'agissant de la diversification des rémunérations et de la rémunération par objectif, faire signer l'ensemble des médecins sur des objectifs de santé publique et accorder une rémunération individuelle à la performance et une rémunération forfaitaire supérieures à 10 % du revenu des praticiens pouvait sembler, il y a une dizaine d'années, illusoire. Force est de constater qu'il existe désormais une base sur laquelle nous pouvons envisager avec le médecin traitant la rémunération sur objectif, même si l'usage de cette base doit être optimisé, comme le souligne la Cour des comptes.
Plusieurs avancées ont également été réalisées sur la démographie médicale allant dans le sens d'une régulation démographique qui demeure une question extrêmement sensible.
Enfin, je partage l'opinion des deux précédents intervenants sur la question des rémunérations et la nécessité de renforcer notre capacité collective à comprendre les phénomènes qui les sous-tendent. Certes, la nécessaire remontée de données fiscales, qui induit un décalage allant jusqu'à deux ans, obère notre compréhension et notre capacité de conseil auprès de l'exécutif, mais cette situation demeure complexe et résulte des faiblesses structurelles des systèmes d'information existants.
Nous travaillons actuellement sur plusieurs thématiques. Premièrement, le rôle de l'Etat : je ne partage pas le constat d'un affaiblissement de l'Etat ou du brouillage de son rôle puisque si l'Etat venait à reprendre la main sur le contenu des conventions, il déresponsabiliserait immédiatement les partenaires conventionnels. Certes, l'équilibre obtenu en 2004 visait à responsabiliser, en première ligne, les négociateurs, mais la pression politique s'exerçant sur le ministère lors des négociations conventionnelles demeure extrêmement forte. Cependant, comme l'a rappelé la ministre de la santé, il y a une unicité de la politique de santé au service de laquelle les politiques conventionnelles s'exercent. Une disposition du prochain projet de loi santé devrait conférer une base légale à la pratique, rappelée précédemment, permettant au Gouvernement de fixer des orientations et un cadre à la négociation conventionnelle, à l'instar de ce qui s'est produit pour l'avenant n° 8 et pour la convention sur les soins de proximité.
Deuxièmement, la volonté du Gouvernement d'avancer de manière probante sur la mise en oeuvre de l'article 45 de la LFSS pour 2013, relatif à la valorisation de la coordination des soins par la politique conventionnelle, a répondu pleinement aux attentes de la Cour. La ministre a récemment rappelé sa volonté que la négociation actuellement en cours puisse aboutir et permettre d'entériner l'évolution de l'organisation du système de soins évoquée par le rapport.
Troisièmement, les partenaires conventionnels nationaux devraient fixer un cadre permettant de donner une dimension régionale à la politique conventionnelle. Cette évolution pourrait optimiser, sur des questions comme le zonage ou l'aide à l'installation, l'adaptation des différents dispositifs aux spécificités des territoires.
Enfin, s'agissant des soins dentaires, de nouveau évoqués par la Cour des comptes, l'investissement limité de l'assurance maladie obligatoire risque de perdurer compte tenu des contraintes générales pesant sur l'Ondam. Mais le Gouvernement souhaite reprendre dans le projet de loi de santé publique la disposition relative au tarif social dentaire qui figurait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et qui concernait les bénéficiaires de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé éligibles à la CMU-c. Cette disposition devrait ainsi permettre de fixer un tarif limite pour un certain nombre de prestations, dont les prestations dentaires.
En outre, s'agissant des expérimentations des nouveaux modes de rémunération évoquées par le Président Durrleman, celles-ci ont été très précisément évaluées par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de manière indépendante. Ces démarches présentent un début d'effet sur la stabilisation de l'offre de soins dans les territoires concernés ainsi que sur la qualité des prises en charge et des prescriptions par l'hôpital. Ces signaux encourageants nous conduisent à proposer la généralisation de ces nouveaux modes de rémunération dans le cadre des négociations sur les soins de proximité.
Mme Annie David. - , présidente. - Merci pour cette présentation et vos réactions immédiates. La santé est en effet un sujet complexe et il importe que l'ensemble des acteurs, qui sont nombreux, soient alignés sur un même objectif qui doit innerver toute négociation. L'objectif d'assurer à chacun un accès aux soins, quel que soit son lieu de résidence, me paraît plus important que la seule recherche d'une diminution générale des coûts. Certaines questions, comme l'aide à l'installation et ses conséquences sur les rémunérations, seront notamment abordées lors de l'examen du PLFSS. Je donne la parole à notre collègue M. Yves Daudigny, rapporteur général.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - En étudiant la question des relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professionnels de santé dix ans après la loi de réforme de la sécurité sociale de 2004, le rapport de la Cour des comptes offre un panorama complet et détaillé des enjeux auxquels fait face notre système de protection maladie.
Le choix de trouver des solutions négociées aux grandes questions que sont l'accès aux soins, la maîtrise du volume d'acte, la qualité du parcours de soins et la rémunération des professionnels, et ce même en temps de crise, caractérise notre système. Contrairement à d'autres pays, nous avons pu éviter de prendre des mesures soudaines et drastiques donc les effets à long terme sur les dépenses de santé s'avère incertains.
La négociation conventionnelle est donc l'instrument par lequel la pérennité de notre couverture maladie et la qualité des soins peuvent être assurées. La Cour s'est interrogée sur l'efficacité de l'instrument et sur le rapport entre celle-ci et son coût. Tout en partageant l'objectif poursuivi par plusieurs des mesures adoptées dans le cadre des négociations, la Cour s'interroge sur leur cohérence et sur leur niveau d'exigence. On peut de ce point de vue noter une différence d'appréciation entre le Cour et la Cnam sur les rémunérations sur objectifs de santé publique dont l'annexe 3 du rapport charges et produits 2015 de la caisse dresse un bilan.
Si je résume bien, la Cour estime qu'une plus forte implication des financeurs (Uncam, Unocam) et de l'Etat en tant que décideur peut renforcer la cohérence des actions menées et aboutir à la mise en place de contreparties plus efficaces pour la rémunération des professionnels et la gestion du risque. Je serais peut-être un peu plus prudent sur la capacité à imposer rapidement aux professionnels de santé des mesures beaucoup plus contraignantes. Certes les mentalités évoluent vers une plus grande acceptation du rôle de l'assurance maladie, mais l'équilibre des négociations est complexe et on sait qu'il faut d'abord éviter les ruptures. C'est cette considération qui me semble expliquer les négociations profession par profession, dont la Cour souligne cependant à juste titre qu'elles entrainent une fragmentation des mesures prises. Il est incontestable qu'il faut mener des négociations interprofessionnelles, le récent rapport de nos collègues Génisson et Milon sur les coopérations entre professionnels de santé a justement insisté sur ce point.
Je partage l'essentiel des recommandations formulées par la Cour ainsi que celles qui sont en filigrane dans le rapport et s'adresse parfois directement au législateur, comme la mise en cohérence des dispositions légales relatives aux négociations conventionnelles.
Je pense également que le constat sévère sur l'accès aux soins et sur les effets des négociations sur les revenus des professionnels appelle des mesures de rééquilibrage.
Ces questions cependant aboutissent à un problème de fond, celui de la légitimité des acteurs conventionnels. Plus particulièrement, la négociation conventionnelle fixe de manière croissante les objectifs de santé publique et de qualité des soins, tâche dont on peut penser qu'elle incombe à l'Etat. Faut-il donc que celui-ci soit directement présent à la table des négociations ? Ceci mettrait fin aux stratégies de contournement ou d'influence auxquels l'Etat doit se livrer pour participer aux débats et que relève la Cour.
La gouvernance du système de santé est un sujet sur lequel nous nous sommes penchés dans le cadre de la Mecss avec le rapport sur les ARS de nos collègues Le Menn et Milon. Une plus forte implication du ministre et la définition d'enveloppes régionales permettant l'adaptation des politiques de santé aux besoins locaux me paraissent être de bonnes mesures.
Je prolonge donc ma question sur la place de l'Etat dans les négociations conventionnelles par une autre question : la loi sur la stratégie nationale de santé doit-elle être le véhicule d'une réforme de la gouvernance du système de santé ?
M. René-Paul Savary. - Je tenais à vous remercier, madame la présidente, d'avoir organisé cette audition qui permet d'obtenir plusieurs éclairages complémentaires sur l'avenir du secteur de la santé. Il me semble que le poids des ARS n'a pas encore été évalué à sa juste valeur et la place de chaque acteur dans les négociations demande à être précisée. Cette nécessaire clarification doit être conduite alors qu'une réforme territoriale est en cours d'élaboration. Comment vont évoluer les plans de santé régionaux si les régions sont fusionnées et des populations, qui ont des thématiques de santé différentes, sont regroupées ? Les accès aux soins de premier recours et les parcours de santé sont radicalement différents d'une région à l'autre. Ne faut-il pas profiter de cette réforme pour redéfinir le rôle de chacun des acteurs ?
S'agissant du mode de rémunération, il faut distinguer la médecine rémunérée à l'acte, qui en produit généralement trop, et la médecine salariée, qui n'en produit pas assez. Les évolutions intervenues tendant à compléter une rémunération à l'acte par la prise en charge de la prévention, de l'informatisation et d'actions sanitaires dans des domaines bien précis, me semblent se situer dans une juste voie. Sans doute faudra-t-il améliorer les critères retenus, mais il importe de privilégier une démarche positive, de préférence aux pénalisations que semble préconiser la Cour. Il faut ainsi encourager les praticiens à faire évoluer leurs pratiques. Ces nouvelles formes de rémunération sont la contrepartie d'une absence de revalorisation des actes depuis au moins trois ans. L'acte médical doit être revalorisé puisqu'il induit la lourde responsabilité du praticien, dont les longues études ne sont pas toujours estimées comme il le faudrait.
J'en viens à présent à la onzième recommandation de la Cour en matière d'installation des médecins généralistes qui me paraît intéressante. L'organisation des soins de premier recours par bassin est désormais connue et un nombre optimal de médecins conventionnés en secteur I pour ces zones devrait être défini. Un tel quota permettrait de réguler efficacement les installations. Cette démarche doit cependant être fondée sur la concertation plutôt que sur la coercition et impliquer les organisations syndicales. Les leviers conventionnels peuvent ensuite conduire à moduler les avantages, mais il vaut mieux favoriser l'approche du terrain et agir sur le long terme dès la formation des étudiants à l'université.
Mme Annie David, présidente. - Je souscris, mon cher collègue, à votre idée d'un quota de conventions par secteur au-delà duquel toute installation devrait se faire sans conventionnement.
M. Jacky Le Menn. - Le rapport de la Cour des comptes est mesuré et contient des propositions pertinentes qui permettent d'ouvrir le débat. Le domaine est complexe et il faut faire preuve de mesure dans l'approche d'une politique qui repose sur la négociation. La mise en place d'un pilotage plus intégré permettant à l'Etat de valider les orientations stratégiques des politiques conventionnelles, d'en suivre l'exécution et de mieux articuler les actions des différents acteurs, comme la Cour le préconise, me paraît aller de soi dans le cadre de la politique publique de santé. Il est normal que l'Etat puisse fixer les orientations des discussions conventionnelles. Que l'Etat n'ait plus de capacité de prendre la main lors des négociations me paraît insensé, car il importe d'assurer la continuité des politiques publiques. Au coeur de ces pilotages, la dimension économique ne doit pas être occultée et l'Ondam obéit à un principe de réalité qui rend son respect nécessaire. A ce titre, le Parlement doit prendre ses responsabilités en se prononçant sur les sous-objectifs qui composent l'Ondam.
La Cour reprend certaines des préconisations que nous avions émises, avec mon collègue Alain Milon, dans notre dernier rapport sur les ARS, s'agissant notamment de l'expérimentation Celle-ci devrait permettre d'exploiter au mieux la capacité des agences à adapter la déclinaison des politiques de santé publique aux besoins exprimés par nos concitoyens. Il vaut mieux procéder par petites touches plutôt que de prétendre tout réformer !
Mme Annie David. - , présidente. - Je souhaiterai obtenir plus d'information sur l'efficacité des différents types de rémunérations dont il a été question dans vos exposés. Leurs coûts pour la sécurité sociale et leur efficience ont-ils été évalués. A-t-on estimé le nombre de personnes ayant pu avoir accès aux soins grâce à elles. Les propositions que vous faites, en matière de dépassement d'honoraires, me paraissent aller dans le bon sens tant certaines situations peuvent friser l'illégalité. Le reste à charge, qui concerne à la fois le dentaire et l'optique, est parfois source de discriminations à l'embauche qui frappent les plus démunis, faute d'un accès aux soins. Le lieu d'installation doit aussi être pris en compte et le coût pour notre protection sociale d'une aide doit ainsi être estimé, surtout lorsqu'il s'agit de soutenir l'implantation de jeunes médecins dans des territoires présentant une sous-densité médicale.
M. Antoine Durrleman. - S'agissant de la gouvernance globale du système, l'Etat nous paraît absent juridiquement et présent pratiquement. Le cadre de la loi de 2004 confère à l'Etat sa juste place et le contrat qui lie ce dernier à l'Uncam gagnerait à être précisé afin de clarifier le rôle de celui-ci dans le cadrage d'un type de négociation particulier. Mais, comme rappelait M. Fatome, l'Etat ne dispose pas aujourd'hui de la capacité juridique à agir en ce sens. Ceci aurait pour vertu d'assurer la réalisation des objectifs de la loi de 2004.
En outre, la régulation de la relation des soins de ville avec le monde hospitalier pourrait être assurée par le conseil national de pilotage des ARS, ce qui permettrait d'utiliser un outil présidé par l'exécutif et d'aboutir à une forme de pilotage plus unifié.
L'ensemble de ces mesures redonnerait son plein sens au dispositif de la loi de 2004, sans conduire à une remise à plat du système et dans une démarche pragmatique et concrète.
La place des assurances complémentaires fait aussi débat. Il ne s'agit pas de retirer à l'assurance maladie son rôle premier, mais dans un certain nombre de domaines, comme l'optique, celle-ci est un partenaire faible par rapport à d'autres acteurs. Aujourd'hui, nos concitoyens éprouvent de plus en plus de difficultés devant le niveau élevé des assurances complémentaires, du fait notamment de l'absence de régulation de certains secteurs et du comportement propre à certaines d'entre elles face aux effets de concurrence. La volonté de captation de parts de marché renchérit leurs frais de gestion et se répercute, in fine, sur leur tarification. La présence de ces complémentaires nous parait légitime dans certaines discussions conventionnelles. C'est pourquoi la Cour émet une sorte d'étonnement poli à constater que la disposition législative du code de la sécurité sociale prévoyant l'existence d'un point annuel entre l'Uncam et l'Unocam sur les négociations conventionnelles n'a pas encore trouvé à s'appliquer. Cette disposition avait pourtant été votée par le Parlement !
S'agissant des rémunérations et de l'évolution différentielle des professions qui en découle, toute une série de mesures ont concerné les médecins généralistes. En revanche, la Cour constate un phénomène d'échappement sur les dépassements d'honoraires pratiqués par les médecins du secteur II qui ont été gagnants par rapport à leurs confrères du secteur I, en matière notamment de taux d'évolution. In fine, l'assurance maladie, par le biais de l'avenant n° 8, est amenée à consentir à la pérennisation des dépassements. Des incitatifs puissants, parmi lesquels la possibilité pour certains médecins en secteur I, de rejoindre le secteur II, ont dû être mis en place. Les 16 000 signataires de cet avenant ont, dans leur grande majorité, bénéficié d'un effet d'aubaine. Telle une sorte de prime à la signature, l'assurance maladie a accepté de prendre en charge une partie des cotisations sociales des médecins de secteur II, certes sur la partie opposable de leurs honoraires. Jusqu'à maintenant, les avantages sociaux étaient associés, précisément, aux honoraires conventionnels. Ils sont désormais étendus aux médecins du secteur II qui sont bénéficiaires, par ailleurs, des marges procurés par les dépassements qu'ils pratiquent.
Enfin, l'usage des conventions demeure à géométrie variable comme en témoigne l'évolution des accords prix-volumes qui ne reposent pas sur un avenant conventionnel, mais sur un protocole d'accord signé entre les syndicats de biologistes et l'assurance maladie qui relève d'une procédure contractuelle. D'un côté se trouvent donc une convention qui se pérennise et se statufie depuis 1994, et de l'autre un protocole qui ne s'inscrit pas du tout dans le cadre conventionnel. Une telle situation ne peut que soulever nos interrogations.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Le rôle des complémentaires n'a pas en effet été abordé. S'agissant des soins dentaires, les décisions passées ont conduit à abandonner le financement de leur prise en charge aux organismes complémentaires. Dans l'optique, la France, avec près de 11 000 professionnels, est l'un des pays les plus dotés et la capacité de régulation tarifaire des organismes complémentaires est à améliorer. Mais un conflit demeure entre l'intégration de l'Unocam dans un système de conventionnement collectif, précédemment inscrite dans le programme de la Mutualité française, et le souhait, clairement énoncé par un certain nombre de complémentaires, de développer des réseaux individuels via la contractualisation.
Le secteur dentaire me paraît l'une des priorités sanitaires qu'il importe de réguler dès à présent. Certes, l'actuel Ondam ne permet pas d'obtenir de marges de manoeuvre suffisantes. D'ailleurs, l'assurance maladie préfère revaloriser un peu moins les rémunérations et prendre des mesures pour les assurés. La situation du secteur dentaire ne peut demeurer en l'état et la Cnam vient d'engager une négociation avec les centres de santé. Car le statu quo ne manquera pas d'induire de grandes difficultés pour les dentistes de province, qui ne pourront plus parvenir à l'équilibre financier et seront dissuadés de s'installer. Parallèlement, la progression des spécialités, comme l'orthodontie et les soins prothétiques, se fera au détriment des soins conservateurs considérés comme non rentables. En ce sens, la question de l'équilibre entre la revalorisation des tarifs opposables et le maintien des tarifs du secteur II se pose : l'évolution du revenu des professionnels, au regard de celle des revenus généraux, a-t-elle été suffisante ? Pour y répondre, la Cour se trouve dans une situation difficile puisque, d'un côté, elle a pour responsabilité la maîtrise des comptes publics et, de l'autre, il lui faut garantir la soutenabilité à moyen terme de notre système de protection sociale. Or, celui-ci est considéré, par les autres pays, comme favorisant l'accès aux soins de manière relativement aisée. Ce ne sont donc pas les moyens mis en oeuvre par l'assurance maladie et sa tentative de maintenir le coût opposable des soins qui permettent de résoudre, à terme, les problèmes que ne manquera pas d'induire le secteur dentaire. Les décisions sur cette question incombent au politique.
Sur l'avenant n° 8, l'enjeu est de proposer un cadre différent de l'impasse stratégique dans laquelle nous nous trouvons avec la dualité entre les secteurs I et II. De ce point de vue, les décisions qui vont être prises, en matière de couverture des complémentaires et d'évolution triennale de ce système, représentent un enjeu majeur. Laisser la situation telle qu'elle est actuellement, avec ce morcellement entre deux secteurs, ne me paraît pas pertinent. Il faut à l'inverse évoluer.
Je rappellerai que lorsque les médecins du secteur II respectent les tarifs opposables de la CMU-c, ils bénéficient des tarifs du secteur I. S'il s'agit de bouger les lignes, encore faut-il savoir vers quel système il nous faut évoluer. De ce point de vue, les complémentaires s'avèrent des acteurs importants, mais je ne pense pas que la liberté tarifaire et les réseaux individuels vont régler les problèmes. D'ailleurs, un amendement au PLFSS rectificatif sur la prise en charge des contrats d'accès aux soins s'est inscrit en ce sens.
Sur la biologie, depuis plusieurs années, les conventions ne peuvent fixer les tarifs car une disposition législative est intervenue et a confié, de façon unilatérale, cette responsabilité à l'assurance maladie. L'Uncam ne peut donc plus convenir d'un accord prix-volume dans la convention puisque la loi ne le permet plus ! Nous ne pouvons que baisser unilatéralement les tarifs et nous l'avons fait à hauteur de 700 millions d'euros. Cependant, il importe d'envisager les mesures prises dans une perspective de moyen terme et la situation du secteur dentaire témoigne aujourd'hui du caractère pernicieux des mesures de court-terme.
Le monde de la santé est passé d'un contexte de croissance et d'investissement, au début des années 2000, à celui marqué par le resserrement de la gouvernance financière et la réduction de la croissance nominale du pays, ce qui le place dans une situation de relative incertitude. Au coeur des politiques publiques se pose aujourd'hui la question des moyens de concilier le retour de la croissance avec la maîtrise de l'usage des deniers publics. C'est pourquoi, après une baisse tarifaire ininterrompue pendant sept années, la Cnam a estimé raisonnable de proposer aux acteurs, en commençant par ceux de la biologie médicale, un cadre différent leur permettant de participer à la bonne utilisation des ressources et de ne plus être incités à une course aux volumes inutile, tout en veillant à conserver leurs marges afin de remédier à l'absence de visibilité susceptible de bloquer les investissements. Cet enjeu est majeur, mais la connaissance des événements survenus ces vingt dernières années me paraît utile pour restaurer la croissance et la conférence actuellement en cours sur la mise en oeuvre du pacte de responsabilités me paraît aller dans le bon sens. Il importe avant tout de déployer une vision de long terme et la pluri-annualité, appelée de ses voeux par la Cour des comptes sur un certain nombre de sujets, me semble être prise en compte par les politiques de santé. L'engagement de la Cnam, soutenu par les deux ministres en charge de la sécurité sociale, à cette pluri-annualité, témoignait enfin de notre respect des lois et de l'avis du Parlement.
M. Thomas Fatome. - Dans le cadre de la future loi de santé publique, il n'est pas question d'aller vers un grand soir de la gouvernance. Je crois que la ministre souhaite plutôt privilégier la mise en oeuvre de mesures favorisant l'accès aux soins et la prévention ainsi que la mobilisation de l'ensemble des acteurs, ARS comprises, dans l'optimisation des ressources disponibles pour maîtriser les dépenses de santé. Certaines évolutions, comme la clarification du rôle de l'Etat et la régionalisation des négociations incombant aux ARS ou encore clarification du contrat entre l'Etat et l'Uncam visant un meilleur cadrage des actions partagées, font l'objet de toute notre attention.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour vos présentations et vos réponses complètes. Je ne vais pas relancer le débat sur l'Ondam car nous aurons l'opportunité de le faire en séance publique, d'ici quelques jours !
La commission désigne Yves Daudigny rapporteur sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé.
La réunion est levée à 19 h 32
Mercredi 9 juillet 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -La réunion est ouverte à 10 h 05.
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 - Examen du rapport
Mme Annie David, présidente. - Nous allons entendre notre rapporteur général sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, adopté hier à l'Assemblée nationale par un vote solennel.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - C'est la seconde fois depuis 1996 que le Parlement examine une loi de financement rectificative. Il l'avait fait une première fois en 2011. A la différence des lois de financement initiales, un projet rectificatif ne comporte que deux parties, recettes et dépenses, et non quatre. Il contient des articles obligatoires, dont l'article liminaire sur le solde des administrations publiques, la révision des prévisions de recettes et le tableau d'équilibre ainsi que la révision des objectifs de dépenses des différentes branches. L'Assemblée nationale a complété les seize articles initiaux par cinq articles additionnels.
Ce texte ne saurait être considéré isolément : les dépenses de sécurité sociale représentant 44 % des dépenses publiques, elles font partie intégrante de la stratégie globale de redressement de notre économie. Ce texte intervient alors que la croissance est atone, le chômage dramatiquement élevé et les comptes publics structurellement déséquilibrés.
Le projet de loi traduit les engagements pris par le Président de la République dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Le mot d'ordre est la confiance : travailler ensemble, conjuguer les efforts pour trouver un nouvel élan et redonner des perspectives à notre économie et à notre société. Je suis frappé par la morosité, et même par le fatalisme un peu complaisant que je constate souvent.
Huit millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Cela pèse sur l'avenir des jeunes et des enfants, et sur notre cohésion sociale. Soutenir le pouvoir d'achat, développer l'emploi, c'est lutter contre cette tendance. La consommation des ménages sera soutenue par l'engagement de ne plus augmenter les prélèvements des classes moyennes, de contribuer au pouvoir d'achat des bas salaires et d'accroître la solidarité envers les plus fragiles. Les minima sociaux ne sont pas concernés par le gel de prestations : dans le cadre du plan pauvreté, l'allocation de soutien familial et le complément familial ont été revalorisés le 1er avril, comme l'allocation de rentrée scolaire en 2012. Les prestations familiales sont recentrées sur les plus modestes et sur les familles monoparentales. Le coup de pouce aux prestations relevant du minimum vieillesse est maintenu. Le RSA sera, comme en 2013, revalorisé de 2 % au 1er septembre prochain, avec l'objectif de l'augmenter de 10 % sur 5 ans. Le plafond de ressources de la couverture maladie universelle complémentaire a été revalorisé le 1er juillet 2013 pour inclure 300 000 nouveaux bénéficiaires, de même que celui de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, pour 250 000 bénéficiaires supplémentaires. L'effort envers les plus fragiles n'est pas seulement préservé, il est accru.
L'article 1er introduit via la baisse des cotisations salariales une progressivité des prélèvements salariaux et redonne du salaire net aux salariés et aux fonctionnaires dont le revenu est proche du Smic. Il prévoit une exonération de cotisations salariales pour les salaires entre 1 et 1,3 Smic, soit un supplément net d'au moins 520 euros par an. Cet effort de 2,5 milliards d'euros en faveur du pouvoir d'achat se combine avec l'aménagement du barème de l'impôt sur le revenu dans le collectif budgétaire.
Le pacte soutient l'investissement des entreprises et améliore leur compétitivité à l'exportation grâce à une amplification de la réduction dégressive des cotisations patronales sur les salaires entre 1 et 1,6 Smic, afin de parvenir à un « zéro charges Urssaf » sur le salaire minimum au 1er janvier 2015. Le pacte instaure également un taux réduit de cotisations familiales sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic. Il prévoit enfin de réduire les cotisations familiales sur les bas revenus des travailleurs indépendants. S'y ajoutera à partir de 2016 l'extension du taux réduit de cotisations familiales à l'ensemble des salaires inférieurs à 3,5 Smic. L'allègement des charges des entreprises passe aussi par la suppression progressive, d'ici à 2017, de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), une première étape étant franchie en 2015 avec un abattement d'assiette à hauteur de 3,25 millions d'euros de chiffre d'affaires. Au total, les articles 2 et 3 représentent un effort de 6,5 milliards d'euros en 2015.
A cet article 2, je vous proposerai un amendement relatif aux particuliers employeurs. Ce régime a été réformé : l'abattement de 15 points sur les cotisations patronales a été supprimé le 1er janvier 2012, puis le forfait au 1er janvier 2013, cette seconde mesure représentant une hausse de cotisations de 12 % pour les ménages concernés. La réduction de cotisations de 75 centimes par heure déclarée n'a pas suffi à enrayer la chute du nombre d'heures déclarées, qui a baissé de 7 % en 2013, soit une perte de 16 000 équivalents temps plein, faisant suite à une première baisse de 12 000 ETP en 2012. La suppression du forfait améliorait les droits sociaux des intéressés, c'était une bonne mesure mais, cumulée aux précédentes, elle s'est traduite, sinon par une perte d'emplois, du moins par une perte d'emplois déclarés ou une sous-déclaration des heures. Ce secteur se caractérise par une élasticité très forte entre le coût de l'emploi et sa déclaration - le régime avait, du reste, été conçu pour favoriser l'emploi déclaré.
Le montant de la réduction de cotisations est fixé par décret. Le Gouvernement avait fait des annonces mais elles ne sont pas encore concrétisées. Je vous proposerai donc de doubler le montant de la réduction, pour la porter à 1,5 euro dès le 1er septembre prochain, afin de reconquérir de l'emploi déclaré - donc des cotisations - pour un coût que j'estime à 120 millions d'euros en année pleine. L'application dès la rentrée scolaire enverrait un signal aux ménages avant la réception de leur avis d'imposition...
L'Assemblée nationale a inclus dans la négociation annuelle de branche un suivi de l'impact, sur l'emploi et sur les salaires, de tous les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient les entreprises. Elle a confirmé le principe de l'autonomie de gestion du régime social des indépendants (RSI) afin de garantir que l'intégration financière de ses branches à la Cnam et à la Cnav se passe dans les meilleures conditions d'indépendance de gestion, comme cela a été le cas pour la Mutualité sociale agricole. Elle a souhaité sortir dès 2015 l'ensemble des coopératives agricoles du champ de la C3S. A l'initiative de sa commission des finances, l'Assemblée a demandé un rapport sur les conséquences pour le RSI de la suppression de la C3S et de l'intégration des indépendants au régime général. Je vous proposerai d'en retravailler l'intitulé : les conséquences financières ne pèseront pas, dans la configuration retenue, sur le RSI mais bien sur le régime général, et il s'agit nullement d'intégrer les indépendants au régime général mais d'intégrer financièrement les différentes branches du RSI avec celles du régime général.
L'Assemblée nationale a enfin réaffirmé le principe de compensation financière à la sécurité sociale des pertes de recettes induites par ce projet de loi : cette compensation annuelle, qui interviendra dès 2015, est garantie par le code de la sécurité sociale. C'est donc sur le budget de l'Etat qu'elle pèsera.
Quant à la trajectoire de redressement des finances publiques, le pacte prévoit une réduction ambitieuse de notre déficit, avec un plan d'économies de 50 milliards d'euros. J'insiste sur ce point, il ne s'agit pas de 50 milliards d'économies sur nos dépenses actuelles, mais de 50 milliards de moins que l'évolution spontanée de la dépense. Si nous restions sur la même trajectoire tendancielle, nous dépenserions 120 milliards de plus sur les trois prochaines années. Le pacte de responsabilité consiste à ne dépenser « que » 70 milliards supplémentaires.
Notre système de protection sociale prendra sa part, soit 21 milliards d'euros, à hauteur de son poids dans les dépenses publiques. L'augmentation de la dépense n'est pas une garantie de qualité du service rendu : il s'agit de réformer sans le dégrader, afin de préserver la pérennité de notre système. Il n'est ni juste ni solidaire de reporter sur les générations à venir le poids de nos remboursements de médicaments, de nos séjours hospitaliers ou de nos indemnités journalières.
L'avenir du système dépend du redressement de ses équilibres financiers. La loi de programmation en cours prévoyait le retour à l'équilibre des comptes sociaux, toutes administrations de sécurité sociale confondues, en 2014. Nous avons consenti pour cela un effort de maîtrise des dépenses et de remise à niveau des recettes. Or, si les objectifs de dépenses ont été tenus, notamment l'Ondam, pour la quatrième année consécutive, les recettes, en raison d'une croissance faible, n'ont pas été au rendez-vous et les déficits sociaux s'élèveront cette année à 12,5 milliards d'euros.
Le projet de loi dégrade par conséquent la prévision de solde des régimes obligatoires de base, 10,1 milliards d'euros contre 9,8 prévus en loi de financement initiale. Ce solde résulte de 1,7 milliard d'euros de moindres recettes et 1,4 milliard de moindres dépenses, essentiellement en raison du rebasage de l'Ondam. En dépit de ces ajustements, les dépenses des régimes obligatoires de base devraient progresser de 7,8 milliards d'euros entre 2013 et 2014. Il n'y a pas de baisse des dépenses, mais une progression moins dynamique que prévu.
Le texte contient des mesures destinées à corriger l'équilibre des comptes sociaux, telles que la rectification du montant de l'Ondam. La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait le gel des pensions de retraite de base et de l'allocation de logement familiale, qui devaient être revalorisées au 1er octobre prochain. L'Assemblée nationale a supprimé le gel de l'allocation de logement familiale, comme elle l'avait déjà fait pour l'aide personnalisée au logement et l'allocation de logement sociale lors de l'examen du collectif budgétaire. Elle a en revanche adopté le gel des pensions de base supérieures à 1 200 euros bruts par mois. Le montant des économies réalisées représenterait en année pleine près d'un milliard d'euros, soit en moyenne onze euros par mois et par retraité. Près de la moitié des retraités, soit 6,5 millions de personnes, ne seront pas concernés par ce gel, leur pension étant inférieure à 1 200 euros bruts par mois. C'était la moins mauvaise des solutions, par rapport à des coupes dans les prestations. Les 935 millions d'euros de gel des pensions en 2015 sont à comparer avec les 2,5 milliards de pouvoir d'achat rendus aux actifs les plus modestes. Une lecture complète implique de prendre en compte les mesures fiscales inscrites dans le collectif budgétaire en faveur des plus modestes.
J'en viens aux articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale. Issu d'un amendement du Gouvernement, l'article 9 bis élargit le champ de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) en autorisant l'usage de médicaments hors de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) dès lors qu'il n'existe pas de spécialité possédant la même substance active, le même dosage et la même forme pharmaceutique. Les articles 9 ter à 9 sexies comportent diverses mesures relatives aux complémentaires santé. Il s'agit notamment d'étendre l'aide à la complémentaire santé (ACS) aux contrats collectifs à adhésion facultative ; d'autoriser les bénéficiaires potentiels de l'ACS à résilier par anticipation leur contrat actuel au bénéfice d'un contrat éligible à l'ACS ; de préciser les critères d'éligibilité à l'ACS en excluant les contrats qui opéreraient une sélection sur l'âge des assurés ; enfin de moduler les plafonds de prise en charge des dépassements d'honoraires par les contrats complémentaires dits « responsables » en fonction de l'adhésion du médecin à un contrat d'accès aux soins, par lequel il s'engage à modérer ses dépassements (l'entrée en vigueur du nouveau dispositif étant reportée au 1er avril 2015).
Pour l'essentiel, les mesures inscrites dans ce texte sont connues et discutées depuis plus de six mois. Le temps est venu de les concrétiser et de les traduire dans le droit.
M. Jean-Noël Cardoux. - Nous nous interrogeons sur l'opportunité de ce texte : du recours exceptionnel à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale, on pouvait attendre des mesures exceptionnelles. Or, sur la partie recettes, la plupart sont d'application au 1er janvier 2015. Il aurait donc suffi d'en débattre à l'automne.
Rien dans ce texte n'indique comment seront financées les réductions de charges, auxquelles s'ajoutent 5 milliards d'euros de manque à gagner résultant de la suppression de la C3S. Pourquoi ce texte maintenant, sinon, une fois de plus, pour une opération d'affichage ?
La réduction de charges va dans le bon sens, mais reste extrêmement timide, alors que nous l'attendons depuis les premières déclarations du Président de la République sur le choc de compétitivité, il y a un an. Il faudrait aller plus loin pour réellement provoquer ce choc. Pourquoi ne pas appliquer immédiatement l'exonération des charges sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic ? On parle de 2016 ou 2017. C'est toujours « plus tard »... Le seuil de 1,6 Smic correspond à des entreprises qui ne sont pas délocalisables, comme la grande distribution ou La Poste, mais les start-up et les entreprises innovantes, en lutte dans la compétition internationale, versent des rémunérations supérieures et ne bénéficieront donc pas de l'exonération existante, pas plus que du CICE. Il est temps de leur donner des moyens. Si l'extension de l'exonération est repoussée à 2017, quel héritage pour le prochain gouvernement !
Nous sommes très favorables à l'amendement du rapporteur général sur la franchise à 1,50 euro pour l'intervention des salariés à domicile, mais pourquoi ne pas aller jusqu'à 2 euros, voire reprendre l'amendement que nous avions proposé il y a deux ans, ouvrant la possibilité de revenir au calcul au forfait ?
Avec des recettes en baisse du fait des difficultés économiques, nous devrons un jour ou l'autre réfléchir à un autre mode de financement : la TVA anti-délocalisation, parfaitement ciblée. Les ministres des finances de la zone euro ont récemment débattu des charges trop élevées dans certains pays, dont la France, et ont évoqué cette TVA comme l'un des remèdes possibles.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je ne conteste pas la suppression de la C3S ; elle contribuait cependant au financement du RSI pour 2 milliards environ. Comment ces sommes seront-elles compensées ? La contribution répondait à une exigence légitime de solidarité entre entreprises.
Voilà deux ans que j'alerte le Gouvernement sur les dispositions de la loi de finances pour 2012 relatives aux emplois de services : hélas, à présent, 16 000 emplois ont été perdus. Je plaidais pour un maintien du forfait mais en le relevant à 1,3 Smic afin d'assurer la protection sociale du plus grand nombre de salariés. Lorsqu'une niche fiscale crée de l'emploi, il n'est pas idiot de la maintenir. L'amendement du rapporteur général me convient pleinement. J'avais pour ma part pensé à une réduction de 2 euros.
En tant que rapporteur de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), je rappelle que les allègements portant sur ces cotisations ont été supprimés en 2011. Faire de nouveau entrer ces cotisations dans le champ des allégements constitue donc un retour en arrière. La ministre nous a dit que la baisse de ces cotisations porterait sur leur partie mutualisée, ce qui m'inquiète doublement : les cotisations AT-MP sont sujettes, pour cette partie mutualisée, à trois composantes correspondant aux accidents de trajet, qui sont en augmentation, aux reversements à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail, enfin à la contribution aux fonds amiante.
La Cour des comptes avait refusé il y a deux ans de certifier les comptes de la branche AT-MP ; et avait estimé impossible de le faire, l'an dernier. Elle les certifie cette année avec cinq réserves. Cela signifie que des mesures ont été prises pour redresser les comptes de cette branche, censée être équilibrée par les seules cotisations patronales. Les entreprises se sont entendues sur la possibilité d'ajuster les cotisations en fonction de leur taille. Catherine Deroche et moi-même avions souhaité, dans notre rapport sur la branche AT-MP l'an dernier, une augmentation des cotisations de 1 %. Ce projet annule l'acquis de l'année dernière et risque de replonger la branche AT-MP dans les difficultés budgétaires. Les allègements de cotisations bénéficieront à des entreprises dont on sait qu'elles préfèrent que leurs salariés se déclarent en maladie plutôt qu'en accident du travail. Je doute fortement du bien-fondé de cette mesure à 100 millions d'euros, dont on nous dit qu'ils seront compensés par l'Etat. La gestion vertueuse, c'est l'équilibre de la branche par ses propres cotisations. Elle a du reste toujours une dette de 2 milliards, qu'elle devra rembourser à l'Acoss.
M. Dominique Watrin. - Nous contestons que le pacte de responsabilité comporte un effort en faveur du pouvoir d'achat des ménages modestes, il est au contraire grevé par les augmentations de la TVA. Quant aux cotisations sociales, elles représentent du salaire différé, mutualisé. La manière la plus simple d'améliorer le pouvoir d'achat, c'est d'augmenter les salaires.
Nous doutons de l'efficacité des exonérations massives de cotisations patronales. Les mesures de ce projet s'ajoutent aux 20 milliards d'euros de baisse du coût du travail liée au CICE et sont dans la continuité des politiques menées depuis vingt ans, à la suite des allègements Fillon. Il nous manque encore une évaluation de leur efficacité : quel est au juste leur coût pour l'Etat et la sécurité sociale ? Les estimations courantes font apparaître des subventionnements exorbitants, de l'ordre de 75 000 euros par emploi et par an pour les allègements Fillon, jusqu'à 130 000 euros pour le CICE. Cet argent pourrait être bien mieux utilisé. Le ministère des finances lui-même confirme que les dispositions du pacte de responsabilité détruiront plus d'emplois qu'elles n'en créeront.
Le gel des retraites supérieures à 1 200 euros affectera des millions de Français modestes. Il est injuste et contre-productif : ce sera moins de consommation, moins d'activité économique et, à terme, moins de rentrées fiscales et sociales. Le chien se mord la queue.
La réduction de 800 millions d'euros des dépenses d'assurance maladie par rapport au projet de loi de financement initial au titre du respect de l'Ondam 2014 se fera sentir dans notre système de santé, il accroîtra les difficultés financières des hôpitaux et le sentiment d'injustice des retraités.
Trop de mesures de ce projet de loi font la part belle aux demandes du Medef : la suppression de la C3S d'ici 2017 est un cadeau d'1 milliard d'euros aux grandes entreprises, auquel s'ajoutent 4,5 milliards de nouveaux allègements. On atteindra à terme 9 milliards, ce qui nous inquiète beaucoup. Qui financera à terme la branche famille ? La Cour des comptes s'était prononcée pour le maintien du financement par les employeurs. Je rappelle que sur 55 milliards d'euros de prestations versées, un quart est consacré à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et aux gardes d'enfants, autrement dit bénéficie directement aux entreprises.
Ces mesures, injustes et inefficaces, ne contribueront pas à la compétitivité : nous démontrerons en séance que les cotisations familiales patronales ne représentent que 1 % des coûts de production et sont donc minimes par rapport aux charges du capital, intérêts financiers ou dividendes.
Nous constatons depuis vingt ans la précarisation du travail et la stagnation des salaires, qui nuisent au financement de la sécurité sociale. Nous proposerons donc l'alternative d'une revalorisation salariale.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Nous soutiendrons l'amendement du rapporteur général en faveur des particuliers employeurs. Espérons qu'il suffise pour arrêter l'hémorragie d'emplois.
Ce texte ne traite que des recettes et de leur réduction en 2015, il ne donne aucune indication précise sur les économies, sinon sur le gel des pensions de retraite, qui dégagera 1 milliard d'euros. Qu'est-ce, par rapport aux 9 milliards de réduction des cotisations ? Comment seront-ils compensés ? Comment voter ce texte, alors que ces éléments essentiels à l'équilibre budgétaire nous manquent et que nous n'avons qu'un vague engagement de compensation par l'Etat ? Comment celle-ci se fera-t-elle : par des économies que l'on ne veut pas avouer aujourd'hui, ou par l'impôt, c'est-à dire par la CSG ou la TVA ? Cette hypocrisie insupportable nous met dans l'impossibilité de voter ce texte. Quant à la suppression de la C3S, comment sera-t-elle compensée, en particulier dans le financement du RSI ? Voilà les questions, monsieur le rapporteur général, que vous pourrez transmettre au Gouvernement, s'il considère que le Parlement sert encore à quelque chose et s'il veut qu'il y ait ici un débat.
M. Louis Pinton. - Une question de forme : dans la partie de votre intervention consacrée aux particuliers employeurs, vous avez fait état d'« une élasticité très forte » entre le coût de l'emploi et sa déclaration. Pourquoi ne pas parler plutôt d'une « relation très forte » ?
Mme Colette Giudicelli. - Le RSA sera revalorisé de 2 % par an pendant cinq ans. Il est facile de faire ce genre de propositions, surtout lorsque d'autres les payent, comme les conseils généraux. La réduction drastique des dotations d'Etat a fait de nos budgets un casse-tête ; les départements ont de plus en plus de mal à assumer les charges du RSA, dont l'organisation doit être revue, y compris la récupération des indus, très compliquée.
Mme Aline Archimbaud. - Ce texte comporte des engagements positifs à l'article 1er. Nous regrettons qu'il donne aux entreprises un chèque en blanc, sans aucune condition ni garantie de résultat. Aucun des amendements des députés visant à conditionner les allègements aux efforts des entreprises pour améliorer la situation de l'emploi n'a été retenu. Toute idée de contrepartie a été écartée. Nous nous trouvons ainsi devant un texte très déséquilibré et craignons que ces allègements soient financés par des coupes dans des budgets utiles, comme ceux de la santé publique.
Le redressement des finances publiques est un objectif important. Nous avions fait en ce sens des propositions porteuses d'économies colossales, en vue de politiques réelles de prévention, d'accès aux soins, de santé environnementale. Il n'y en a pas trace dans ce texte. L'épidémie de diabète coûte 17 milliards par an et est en partie liée à un mode de vie : la prévention serait fort utile. Le Gouvernement n'a pris aucun engagement sur le dispositif modeste de bonus malus que nous proposons pour lutter contre l'augmentation des particules fines dans l'air, or les maladies pulmonaires et cardio-vasculaires coûtent, selon l'estimation du Commissariat général au développement durable, entre 20 et 30 milliards par an.
M. Bruno Gilles. - L'article 9 bis élargit le champ de la recommandation temporaire d'utilisation RTU. Aux questions du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Gérard Bapt, la ministre a répondu en citant l'exemple de deux médicaments traitant la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), l'un bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché, l'autre non mais dix fois moins cher. Cela signifie-t-il que le coût devient un critère explicite d'octroi d'une RTU ? Ne risque-t-on pas d'ouvrir la porte aux dérives, comme celle du Médiator, et de généraliser l'utilisation de médicaments à d'autres fins que celles prévues par l'AMM ?
M. Ronan Kerdraon. - Le projet de loi de finances rectificatives élargit les exonérations au titre du versement transport. A Saint-Brieuc, par exemple, le manque à gagner sera de 1,4 millions d'euros, soit 10 % du produit de ce versement. Je déposerai un amendement pour réserver les exonérations aux entreprises bénéficiant d'un agrément d'entreprise solidaire d'utilité sociale, pour éviter les dérives et les contentieux. Il ne faut pas étrangler davantage les collectivités territoriales.
Mme Laurence Cohen. - Le rapporteur général a indiqué que 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Ne faudrait-il pas préciser qu'il s'agit essentiellement de femmes, 53 % selon les données de l'Observatoire des inégalités ? Il faut sortir de l'invisibilité.
Je ne partage pas votre point de vue sur l'Ondam. Les établissements publics de santé manquent cruellement de moyens et de personnel. Leur situation est catastrophique. Les sacrifices financiers pèsent d'abord sur eux. La hausse de l'Ondam de 2,4 % est insuffisante. Les EPS doivent en outre supporter la revalorisation du Smic et des rémunérations des catégories C, annoncées début 2014, à la différence des établissements privés, qui bénéficieront de la réduction des charges sur les bas salaires éligibles au Cice.
Mme Catherine Deroche. - Je partage l'avis de M. Godefroy sur la branche AT-MP, une branche où la discussion paritaire est vivante. La réforme de son mode de financement a été approuvée à l'unanimité. Et les résultats sont là ! Les comptes n'avaient pas été certifiés en raison d'un défaut de provision pour contentieux en cours, mais la situation s'est améliorée. L'Etat participe au déséquilibre en ne respectant pas ses engagements sur le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante : il faut que la part de l'Etat, 30 %, soit maintenue.
Quant aux particuliers employeurs, la responsabilité est partagée entre la droite et la gauche. Pour éviter les abus et des effets d'aubaine, il suffirait de dresser la liste des domaines où un allègement de charges est pertinent. Je suis hostile au forfait, il pénalise les salariés : le paiement des cotisations au réel est plus juste.
Mme Catherine Génisson. - L'hôpital public est en grande difficulté. Les conditions de travail sont très dures, même si le personnel fait son maximum. Notre exigence quant à la qualité des soins doit être maintenue. Cela ne sera possible qu'au prix d'une réorganisation du système de santé. L'Ondam hospitalier est difficile à respecter. Dans le même temps, la réalisation est inférieure à la prévision pour la médecine de ville. Celle-ci doit assumer son rôle. Il n'est pas normal que l'hôpital soit toujours en première ligne. Les économies ne sont pas tout. Il faut développer une approche qualitative et réorganiser notre système de santé.
M. René-Paul Savary. - Merci, monsieur le rapporteur général, d'avoir fait un rapprochement avec le projet de loi de finances rectificative et d'avoir rappelé qu'il n'y a pas de véritables économies mais un rythme moindre de progression des dépenses. Reste la question fondamentale : comment financerons-nous les mesures ? Le flou règne... On ne voit pas où seront dégagées des économies, sauf sur les personnes âgées, à hauteur d'1 milliard d'euros, sans compter la Casa (645 millions d'euros) qui alimente les caisses de l'Etat et ne finance pas le plan sur l'autonomie. C'est la double peine ! Je soutiens votre amendement pour les employeurs à domicile. Les personnes âgées bénéficieront au moins de cela... La droite et la gauche ont pris des mauvaises mesures, avec notamment la suppression du forfait. Avançons franchement : pourquoi une réduction de cotisation de 1,5 euro et non de 2 ? L'Etat y gagnerait car le taux de déclaration des emplois augmenterait, donc les recettes fiscales. De plus le contrat de travail avec une durée minimum de 24 heures n'est pas adapté à tous les particuliers employeurs.
L'article sur la RTU s'apparente à un cavalier législatif. Il faut une étude d'impact, d'autant qu'il y a des risques de dérives. Il serait sage de reporter cette mesure. Je proposerai un amendement de suppression de cet article qui n'a pas à figurer dans une loi de financement rectificative.
Je m'associe aux propos de ma collègue sur le RSA. C'est la double peine pour les départements : le nombre des bénéficiaires augmente tandis que les dotations de l'Etat diminuent. L'Association des départements de France propose une recentralisation. Pourquoi ne pas créer au sein de notre commission un groupe de travail afin de faire rapidement des propositions au Gouvernement ?
M. Jacky Le Menn. - M. Cardoux a dit que ce texte comportait de bonnes mesures mais trop timides ; le groupe CRC crie à la catastrophe... La position du Gouvernement est équilibrée. Il faut voir la cohérence de l'ensemble, loi de finances rectificative et loi de financement rectificative réunies. Les dépenses sociales représentent 44 % des dépenses publiques. Il ne s'agit pas d'en faire table rase mais de réduire leur rythme de progression : 70 milliards d'euros contre 120 en tendance spontanée, ce n'est pas rien. Hypocrisie ? Telle n'est pas notre approche. Nous préférons annoncer l'objectif à atteindre, même s'il est ambitieux. Les propositions concernant le soutien aux ménages sont précises. Là encore, certains souhaiteraient des mesures plus marquées, tandis que d'autres déplorent leur ampleur : tout est affaire de dosage ! Ce sont les entreprises qui créent les emplois. L'objectif principal est la réduction du chômage. Le Gouvernement est parvenu à un équilibre. Des choix seront faits : réorganisation du système, stratégie nationale de santé, future loi de santé publique. Il faut préserver les soins de premiers recours, mais des mesures sont à prendre. L'Ondam est revu à la baisse, mais les économies portent essentiellement sur la médecine de ville.
Mme Annie David, présidente. - Je précise à nos collègues que rien ne concerne le RSA dans le présent texte. Je ne suis pas opposée à la création d'un groupe de travail sur ce sujet, mais ce n'est pas celui du jour. De même le versement transport relève du projet de loi de finances rectificative.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je défends ce texte avec raison et avec conviction. M. Cardoux estime qu'il va dans le bon sens mais déplore l'absence de mesures exceptionnelles ou exaltantes. Je ne suis pas d'accord. Le Gouvernement veut redonner du souffle à notre économie, la rendre plus compétitive, réduire le chômage tout en préservant notre système social. Assortir le pacte de responsabilité d'un pacte de solidarité vis-à-vis de nos compatriotes en situation précaire, n'est-ce pas une tâche exaltante ? Ce texte constitue le maillon d'une chaîne, depuis le CICE jusqu'au projet de loi de finances à venir. Tout n'est pas parfait pour autant, je l'admets aussi.
Les compensations aux entreprises ne sont pas des « cadeaux » au Medef ou aux patrons. Notre souci est de redonner de l'oxygène à nos entreprises qui souffrent de la concurrence internationale, à nos PME et à nos artisans. Les entreprises du BTP ont évité jusqu'à maintenant les plans sociaux mais sont en difficulté et risquent de devoir licencier. Aidons-les ! Les députés ont adopté un amendement qui répond à certaines inquiétudes en prévoyant que les effets des exonérations de cotisations devront être analysés lors des négociations annuelles de branche. Certes, nous manquons d'éclairage sur la manière dont les compensations seront financées. Nos questions sont restées sans réponse à cet égard, nous en saurons plus à l'automne, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. Il ne s'agira sans doute pas de nouvelles mesures fiscales mais d'une tuyauterie complexe entre l'Etat et la sécurité sociale - reste à savoir comment elle sera alimentée.
Le Gouvernement a décidé de supprimer la C3S pour alléger les charges des entreprises. La compensation sera assurée par le régime général. L'indépendance du régime des indépendants (RSI) a été réaffirmée par un amendement des députés. Quant à moi, je souhaite modifier l'intitulé du rapport demandé par les députés.
Le texte prévoit l'intégration dans le champ des allègements généraux des cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, dans la limite de la cotisation minimale commune à toutes les entreprises, selon un taux commun à la branche, soit 1 % sur les 2,4 % du taux net moyen au niveau national.
Je suis en désaccord avec M. Watrin. Les allègements de cotisations compensés n'ont pas de conséquence sur le niveau des prestations. On ne peut donc les considérer comme une perte de revenus pour les salariés. En outre, des mesures en faveur du pouvoir d'achat ont été décidées. Certes la hausse de la TVA pèse proportionnellement davantage sur les ménages aux situations les plus précaires, qui dépensent l'essentiel de leur revenu - en produits de première nécessité, cependant, auxquels s'applique un taux réduit. J'ajoute que ce sont les ménages aux revenus les plus élevés qui contribuent le plus aux recettes de TVA. Ces éléments m'ont conduit à revoir mon jugement sur le caractère antisocial de la TVA. De plus 1,7 million de familles modestes bénéficieront d'un allègement de leur impôt sur le revenu, 500 euros en moyenne par an, ce qui n'est pas négligeable.
Certains trouvent que l'Ondam n'est pas suffisant ; toutefois les dépenses de santé augmentent.
Mme Laurence Cohen. - C'est normal.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je rappelle qu'après rebasage, les dépenses sous Ondam augmentent de 4,6 milliards d'euros entre 2013 et 2014. L'articulation entre la médecine de ville et l'hôpital constitue un sujet fondamental que nous devrons traiter dans la loi de santé publique. Madame Cohen, la sous-exécution de l'Ondam depuis deux ans a concerné davantage la médecine de ville que les établissements publics. Les établissements privés ont dû restituer une partie du CICE tandis que le public bénéficie d'autres sources de rémunération, comme le complément au forfait jour. Le Gouvernement a également pris en compte la spécificité des établissements publics lorsqu'il a renoncé à la convergence tarifaire.
Mon amendement réduit les cotisations des employeurs à domicile de 1,5 euro par heure travaillée, au lieu de 75 centimes aujourd'hui : 2 euros représenteraient un abattement de 16 %, alors que l'abattement de cotisations patronales était de 15 points à l'origine. J'ai proposé 1,5 euro, mesure centriste...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Très bien !
M. Louis Pinton. - Mesure centrale !
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Mais son application serait en revanche immédiate. Il faut donner un signal. Le forfait n'est pas une bonne solution...
Mme Muguette Dini. - C'est vrai !
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Monsieur Pinton, l'élasticité enregistre la corrélation entre deux variables. C'est un terme utile et à la mode, comme la gouvernance ou l'efficience...
M. Bruno Gilles. - Il ne faut pas que le vocabulaire dissimule la pensée !
M. Louis Pinton. - Talleyrand demandait à ses collaborateurs s'ils l'avaient compris. Si ceux-ci répondaient « oui », il estimait s'être mal exprimé...
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Le texte ne traite pas du RSA. J'ai fait mention de sa revalorisation pour replacer les présentes mesures dans un ensemble.
Madame Archimbaud, vous avez parlé de « chèque en blanc » donné au patronat : non, nous rétablissons une relation de confiance. Je note votre souci du redressement des comptes publics. Il est insupportable de reporter sur les générations futures le financement de nos dépenses de santé. En Allemagne, la sécurité sociale est à l'équilibre. Quant aux dispositions sur la santé environnementale, elles relèvent du texte sur la santé publique.
S'agissant de l'article 9 bis sur les recommandations temporaires d'utilisation (RTU), je rappelle que la loi du 29 décembre 2011, à la suite de l'affaire Médiator, a interdit les prescriptions des médicaments en dehors du cadre défini par les AMM. Des dérogations étaient prévues en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée. Dans deux arrêts de 2012 et 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a autorisé la prescription hors AMM pour d'autres pathologies même si une alternative existe, dès lors que celle-ci ne possède pas la même substance active, le même dosage et la même forme pharmaceutique. Le Lucentis, du laboratoire Novartis, traite la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DLMA), pour un coût de 900 euros par mois. L'Avastin est un anticancéreux, fabriqué par le laboratoire Roche, qui coûte 30 à 50 euros par mois. Les études montrent qu'il peut être substitué au Lucentis, mais le laboratoire Roche n'a pas demandé d'AMM. Pourquoi ? C'est que Roche et Novartis ont des liens capitalistiques ; de plus, les deux possèdent des parts dans la société californienne qui a travaillé à l'autorisation thérapeutique du médicament le plus cher, et Roche perçoit des royalties sur les ventes de celui-ci... Les deux laboratoires ont été condamnés en Italie. Le texte tire les leçons des arrêts de la Cour de justice et met fin à une situation scandaleuse. Reste la question de la sécurité des patients. Celle-ci est garantie par le fait que le dispositif sera placé sous le contrôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui élabore les RTU.
Madame Cohen, je ne vois pas d'obstacle à mentionner dans mon rapport la forte proportion de femmes parmi les personnes en situation de pauvreté.
Mme Laurence Cohen. - Mes remarques n'avaient rien de polémique.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je n'y ai pas vu de polémique.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Mon amendement n° 1 concerne 1a réduction de cotisation de 1,5 euro pour les particuliers employeurs.
Mme Annie David, présidente. - A l'unanimité. C'est assez rare pour être signalé.
M. Jean-François Husson. - Encore plus rare lorsqu'il s'agit d'adopter et non de rejeter une proposition !
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - L'amendement n° 2 modifie l'intitulé du rapport demandé par les députés au Gouvernement à l'article 3. Je proposerai que le rapport concerne l'impact de « l'intégration financière » du RSI au régime général, et non de l'intégration de ses ressortissants, qui n'est pas envisagée.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je m'abstiendrai. Pourquoi relancer une idée ressentie comme une provocation par les intéressés ? Le RSI est né en 1946 lorsque les professions indépendantes ont refusé de rejoindre le régime général. Ce régime se redresse. L'idée d'une intégration financière au régime général risque d'être mal perçue ; M. Cardoux et moi nous avions estimé qu'elle n'était pas possible en l'état.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Il s'agit de préciser que le rapport dressera le bilan de l'intégration financière, qui est par ailleurs prévue par l'article 3 du texte, et non d'une fusion des régimes qui n'a pas lieu d'être. Mon amendement va dans votre sens.
Mme Annie David, présidente. - C'est vrai.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je suis d'accord avec M. Godefroy. Qui dit intégration financière dit intégration. Le régime des RSI se redresse. Ne rouvrons pas une querelle inutile. Pourquoi ne pas supprimer l'alinéa 51 ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Vous pourrez déposer un amendement de séance.
M. René-Paul Savary. - L'exposé des motifs de l'article 3 se réfère au régime des exploitants agricoles, dont la branche maladie est intégrée financièrement au régime général.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Chaque régime a sa logique.
Mme Annie David, présidente. - Il faudrait revoir alors l'article 3. Nous en discuterons en séance.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je m'abstiens sur le texte. Même s'il comporte de nombreuses avancées, je regrette le manque d'explications au sujet de la branche AT-MP.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2014.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014- Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission procède à la désignation des candidats appelés à faire partie d'une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.
Elle désigne en tant que membres titulaires : Mme Annie David, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Jean-Pierre Caffet, Jean-Noël Cardoux, Mme Isabelle Debré et M. Gérard Roche, et en tant que membres suppléants : Mmes Jacqueline Alquier, Aline Archimbaud, M. Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche, MM. Georges Labazée, Jacky Le Menn et René-Paul Savary.
Mme Annie David, présidente. - La CMP se réunira si nécessaire le jeudi 17 juillet à 17 heures à l'Assemblée nationale.
La réunion est levée à 12 h 05.
Mercredi 9 juillet 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -La réunion est ouverte à 15 h 10.
Audition de M. François Bourdillon, candidat pressenti pour le poste de directeur général de l'Institut de veille sanitaire
Mme Annie David, présidente. - L'article L. 1451-1 du code de la santé publique prévoit l'audition préalable par les commissions concernées des présidents ou directeurs pressentis, pour une dizaine d'agence sanitaires, avant leur nomination ou leur reconduction. C'est pourquoi nous recevons le docteur François Bourdillon, auquel le Gouvernement souhaite confier la direction générale de l'Institut de veille sanitaire (InVS), en remplacement de Mme Françoise Weber, qui était en fonction depuis 2007 et qui a été nommée directrice générale adjointe de la santé il y a quelques semaines. Cette procédure d'audition est bien distincte de celle prévue par l'article 13 de la Constitution, qui est assortie d'un vote.
L'InVS, établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé, a été créé en 1998. Ses missions ont été progressivement renforcées pour prendre en compte les crises sanitaires récentes et les risques émergents. L'InVS exerce une fonction de surveillance, de vigilance et d'alerte dans tous les domaines de la santé publique, qu'il s'agisse des maladies chroniques, des maladies infectieuses, y compris celles véhiculées depuis d'autres pays, des risques d'origine professionnelle ou des effets de l'environnement sur la santé. L'InVS s'appuie sur ses propres services au niveau national, mais dispose également d'un réseau régional, avec 17 cellules interrégionales d'épidémiologie localisées au sein des agences régionales de santé (ARS), dont deux outre-mer. Il emploie un peu plus de 400 personnes. Son budget s'élève à 62 millions d'euros provenant essentiellement des crédits budgétaires de la mission « santé ». Ces moyens peuvent susciter des interrogations, compte tenu des l'ampleur des missions confiées à l'Institut. Lors de l'examen du budget, nous dénonçons régulièrement la difficulté, dans de telles conditions, de hiérarchiser les priorités, par exemple dans le choix des études épidémiologiques qui engagent nécessairement des moyens importants.
Présentant les orientations du futur projet de loi de santé publique le 19 juin, la ministre des affaires sociales et de la santé a jugé que les moyens et les efforts de nos structures administratives relatives à la santé étaient trop dispersés. Elle a souhaité la création d'un institut pour la prévention, la veille et l'intervention en santé publique, qui disposerait d'une taille critique suffisante. Cette perspective concernerait au premier chef l'InVS, qui pourrait ainsi être regroupé avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) et l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).
Le docteur Bourdillon est actuellement praticien hospitalier, chef du pôle santé publique, évaluation et produits de santé, au sein du groupe hospitalier universitaire La Pitié-Salpêtrière. Je le remercie de nous avoir fait parvenir, outre sa biographie, une déclaration publique d'intérêts. Il va nous présenter son parcours professionnel puis la façon dont il aborde la fonction que le Gouvernement souhaite lui confier.
M. François Bourdillon, candidat pressenti pour le poste de directeur général de l'Institut national de veille sanitaire. - Je suis pressenti par la ministre de la santé pour être directeur général de l'InVS. J'ai 60 ans, je suis médecin de santé publique, à la Pitié-Salpêtrière comme vous l'avez signalé. Le pôle que je dirige compte 180 personnes et regroupe les deux pharmacies de l'établissement, le département de statistique, santé publique et information médicale, la pharmacologie clinique, la recherche clinique et des activités comme l'addictologie ou les soins aux personnes sourdes.
Je suis président de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, président de la commission prévention du Haut Conseil de la santé publique et vice-président du Conseil national du sida. C'est par le sida que je suis entré en santé publique à la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque j'ai fait de la recherche en épidémiologie pour ensuite travailler à la direction des hôpitaux, devenue direction générale de l'offre de soins et qui travaillait à adapter les hôpitaux aux soins des personnes infectées par le VIH. A l'époque, il a fallu mettre en place des indicateurs pour mesurer l'ampleur de l'épidémie, puis construire la recherche clinique, créer des cohortes, renforcer le personnel disponible.
Ce fut une grande réussite et quand j'ai ensuite dirigé le bureau pathologies et organisation des soins, j'ai utilisé les mêmes outils pour faire évoluer notre système de santé. A la fin des années 2000, j'ai été nommé conseiller technique du ministre de la santé en charge des plans de santé publique : j'ai élaboré des plans à moyen terme et ma démarche s'est voulue holistique afin d'intégrer dans chacun de ces plans la prévention, le dépistage, l'offre de soins, la recherche clinique, la gouvernance et même la solidarité. C'est ainsi qu'est né le premier plan Alzheimer, ainsi que ceux sur les maladies rares, le diabète, les maladies cardio-vasculaires.
A l'issue de cette période, je suis retourné à la Pitié-Salpêtrière et j'ai enseigné à Pierre-et-Marie-Curie, mais aussi à l'IEP de Paris. Je suis coordinateur des risques liés aux soins : je travaille sur les logiques de qualité et les gestions de risques et dirige les investigations sur tous les évènements médicaux et chirurgicaux graves qui peuvent survenir dans un établissement afin que ces erreurs ne se reproduisent plus.
J'ai été pendant six ans président de la Société française de santé publique : j'ai ainsi fait connaissance de tous les acteurs de la santé publique de France et de Navarre. J'ai eu un engagement associatif très fort avec Médecins sans frontières dont j'ai été vice-président et où je me suis occupé de la gestion de crise. Dans les années 2000, j'ai été nommé comme personnalité qualifiée au conseil d'administration de l'Inpes et j'ai conservé une activité clinique sur le VIH. Je serai contraint désormais d'abandonner la consultation du mardi soir... Enfin, je vous ai adressé ma déclaration publique d'intérêts car je suis très attentif aux possibles conflits d'intérêt qui sont nombreux en santé publique.
L'InVS me semble être, de toutes les agences du secteur, la plus belle et la plus professionnelle, la plus rigoureuse scientifiquement. En outre, l'Institut a réussi sa mutation, dans le champ de la surveillance. Traditionnellement, il travaille sur les maladies infectieuses, mais doit aussi prendre en compte les maladies chroniques et les risques environnementaux et ceux liés au travail. L'InVS ne pouvant pas tout faire, il s'appuie sur 300 partenaires avec lesquels il a signé des conventions afin de disposer d'une photographie de l'état de la santé en France.
Il a relevé divers défis. Nous vivons dans un monde très mondialisé, les populations se déplacent : voyez l'épidémie de chikungunya, les pandémies... Du fait de ses contacts réguliers avec l'OMS et avec le Center for Disease Control and Prevention, (CDC), l'InVS est au plus près des alertes. L'Institut a intégré le défi des mutations environnementales, comme l'apparition du moustique tigre, mais aussi les pratiques agricoles et industrielles - pesticides, polluants, dioxine, chlordécone aux Antilles. Enfin, il prend en compte les facteurs sociaux et démographiques, les changements de comportement, le vieillissement de la population, ou encore la nutrition, en grande partie responsable de l'épidémie de surpoids et d'obésité.
L'Institut devra faire face à l'enjeu de la surveillance, car il existe beaucoup d'études épidémiologiques, mais tout n'est pas mesurable. Dans une période de contrainte budgétaire, il faut fixer des priorités... et ne pas se tromper. Nous avons donc besoin de nous appuyer sur de nombreux experts, tout en restant tête de réseau, et en associant les services de recherche, les hôpitaux.
La régionalisation est également un enjeu pour l'InVS, en tenant compte de la fusion des régions voulue par le président de la République. L'InVS travaille avec dix-sept cellules régionales et interrégionales d'épidémiologie placées sous la double tutelle des ARS et de l'Institut. Il faudra trouver la ligne de partage entre les deux. Les alertes de premier niveau, à mon sens, relèvent des ARS, les méthodes d'expertise devant être définies par l'Institut.
Nous devrons travailler en étroite collaboration avec la direction générale de la santé : j'ai vécu en 1998 l'externalisation de l'expertise en matière de sécurité sanitaire. Pour pouvoir piloter, il faut rapprocher l'expertise et réduire le nombre des agences qui forment aujourd'hui un millefeuille.
Mme la ministre de la santé a évoqué le 19 juin la création d'un institut de prévention, de veille et d'intervention en santé publique, à partir du regroupement de l'InVS, de l'Inpes et de l'Eprus, au nom de l'efficience mais aussi dans une logique internationale. Car la tendance et au regroupement de ces fonctions, comme aux États-Unis, au Québec, en Suède. Cette logique est portée par l'International association of national public health institutes (Ianphi) qui privilégie ces stratégies sur la base d'un large éventail de compétences et d'expériences. L'Ianphi promeut une stratégie fondée sur le plus large éventail de compétences et le continuum depuis la production de connaissance jusqu'à l'action : ainsi pour l'épidémie de chikungunya, il faut veiller pour détecter les premiers cas, puis mobiliser l'offre de soins, communiquer et informer la population, mobiliser les entomologistes pour lutter contre les vecteurs. Les mêmes besoins se font sentir face à une épidémie de méningite. Ce modèle peut également servir pour les maladies chroniques, pour le dépistage du cancer, la santé environnementale ou la santé au travail.
Comme je serai probablement le préfigurateur de ce futur institut, je privilégierai le dialogue, la concertation et la logique de co-construction entre les divers acteurs concernés.
Pour toutes ces raisons, je suis candidat à la fonction de directeur général de l'InVS.
M. Georges Labazée. - Comment concevez-vous les relations entre l'InVS, rattaché au ministère de la santé, et la direction de l'alimentation du ministère de l'agriculture ? Lors d'un grave incident récent, celui de la viande de cheval il y a dix-huit mois, le ministère de l'agriculture a pris le dossier en main et n'a pas vraiment associé à ses travaux l'InVS, si bien que l'on ne sait toujours pas exactement ce qui s'est passé.
M. Jean-Claude Leroy. - L'année dernière, j'avais souhaité le rapprochement entre l'InVS et l'Inpes et je me félicite que vous soyez le préfigurateur de ce futur institut. Comment allez-vous surmonter les rigidités et les spécificités de chaque agence, pour mener à bien ce projet ?
M. Hervé Poher. - Je ne suis pas aussi optimiste que mon voisin : cette fusion risque d'aboutir à une usine à gaz. Les regroupements au nom de l'efficacité donnent souvent naissance à des organismes tentaculaires, et l'on finit par créer des sous-organismes, pour constater finalement que c'était aussi bien avant. J'aimerais aussi être certain que la fusion vise uniquement le bien public, non un objectif financier de réduction des crédits.
Vous avez parlé plusieurs fois d'environnement. Or, c'est dans le Nord-Pas-de-Calais qu'ont été lancés les premiers programmes régionaux de santé. Je me suis toujours demandé pourquoi l'espérance de vie dans ma région était nettement inférieure à la moyenne nationale. Régulièrement, on m'a répondu : excès de bière et de frites. C'est simpliste : je suis intimement persuadé que d'autres raisons expliquent notre taux de morbidité, comme les perchlorates dont j'ai eu à connaître la présence en tant que président de l'agence de l'eau. Je gère également des espaces naturels sensibles qui sont d'anciennes friches industrielles. Le Nord-Pas-de-Calais est une grande région agricole et j'ai reproché aux agriculteurs d'utiliser des produits, certes interdits depuis vingt ans, mais que l'on retrouve dans l'eau aujourd'hui. Je suis persuadé que l'état de l'environnement est un déterminant important de la santé dans notre territoire, mais c'est un sujet difficile à aborder.
Mme Catherine Deroche. - Ne peut-on mutualiser les moyens affectés aux diverses agences, tout en définissant clairement les missions des unes et des autres ? Je suis favorable au rapprochement annoncé car l'InVS, l'Inpes et l'Eprus participent tous les trois à la veille sanitaire. Par ailleurs, nous venons de rédiger le rapport du comité de suivi sur l'amiante : ce problème est loin d'être derrière nous, notamment pour le désamiantage.
M. René-Paul Savary. - Je n'ai pas bien compris la double tutelle que vous avez évoquée entre les ARS et l'InVS. Autre question, quels sont les budgets des trois organismes appelés à fusionner ?
M. François Bourdillon. - Pour les risques, les agences sont spécialisées : l'affaire de la viande de cheval relevait de la fraude, l'InVS n'était pas concernée alors que l'Anses l'était. Le partage des tâches est simple. L'InVS mesure les conséquences sur la santé alors que l'Anses travaille sur la toxicologie, sur les effets de seuil. Mme la ministre a annoncé l'étiquetage nutritionnel : l'Anses va valider le système et l'InVS mesurera les évolutions du surpoids et de l'obésité.
Le regroupement entre l'InVS et l'Inpes n'a pas démarré, mais cette annonce était attendue depuis longtemps. Ce regroupement n'est pas une fusion, c'est une co-construction, un lien qui se construira dans la confiance. La mesure des comportements de santé relève de l'épidémiologie et a toute sa place à l'InVS tandis que les campagnes grand public et la science du comportement sont du ressort de l'Inpes. Il va donc falloir identifier les forces et les faiblesses des uns et des autres pour créer des synergies. J'y travaillerai afin que tous, au sein des agences, adhèrent au projet, qui ne sera pas imposé d'en haut. Un nouveau contrat d'objectifs et de performances devra être conclu. Je demanderai probablement une aide de l'Igas pour disposer d'une préfiguration sur le champ administratif et financier.
Les trois agences disposent d'un budget de 220 millions d'euros. L'Eprus dispose de 89 millions, dont 80 de produits pharmaceutiques (réserves stratégiques, vaccins, masques, antibiotiques, antidotes). Quarante personnes travaillent dans cet établissement qui stocke les réserves et qui peut agir 24 heures sur 24, en France mais aussi à l'étranger : depuis 2007, l'Eprus a effectué 40 missions dans le reste du monde, de Fukushima à la Côte-d'Ivoire ou la Libye. La péremption des stocks coûte extrêmement cher mais l'Eprus fait tester par un laboratoire national les principes actifs des produits pour prolonger leur durée d'emploi lorsque cela est possible, éventuellement les remettre dans le circuit général afin qu'ils ne soient pas perdus.
L'InVS comprend 430 personnes : la moitié du budget de 63 millions est affecté au personnel et l'autre au financement des partenaires. L'institut a par exemple versé 300 000 euros à l'université Pierre-et-Marie-Curie qui anime le réseau de médecins généralistes Sentinelles. Enfin, 130 personnes travaillent à l'Inpes, dont le budget se monte à 73 millions. Les principales dépenses, 68 millions, concernent les programmes et la communication, la masse salariale étant seulement de 11 millions. Le regroupement de ces agences produirait-il une usine à gaz ? Je ne le crois pas : nous copions ce que font les Américains et les Canadiens. En outre, la proximité des équipes sera utile.
Dans le domaine de l'environnement, on ne sait pas tout. Ainsi en est-il des particules fines ou des perturbateurs endocriniens. Je trouve très intéressante l'étude Esteban de l'InVS : sur un échantillon représentatif de 5 000 personnes, cette étude va mesurer très régulièrement par des coupes transversales l'imprégnation dans le sang des substances que l'on trouve dans l'environnement. Ce type d'enquête n'apporte pas de solution aux problèmes que peuvent poser, par exemple, les pesticides du vignoble bordelais épandus à proximité des écoles. La surveillance sera donc être nécessaire.
Le problème de l'amiante est loin d'être derrière nous : beaucoup de bâtiments en contiennent encore. Le mésothéliome, principale pathologie de l'amiante, fait maintenant l'objet d'une déclaration obligatoire, ce qui permettra d'en mesurer le développement. Nous intégrerons les mésothéliomes non professionnels. Nous avons besoin de surveillance mais aussi de recherche : le rapprochement des institutions a du sens.
M. René-Paul Savary. - Y a-t-il un effet dose, comme pour le tabac ?
M. François Bourdillon. - Tout à fait, mais la taille des fibres influe également sur les pathologies. La durée et le volume ont tous deux leur importance. Pour le tabac, la durée d'exposition est plus importante que le volume : il est plus grave de fumer pendant vingt ans cinq cigarettes par jour que de fumer pendant cinq ans un paquet par jour. En revanche, les perturbateurs endocriniens ont une forte toxicité même à très faible dose.
M. Hervé Poher. - Vous a-t-on assuré que vous garderiez les mêmes moyens humains et financiers en cas de regroupement ?
M. François Bourdillon. - Les négociations n'ont pas encore atteint ce niveau de détail.
Mme Annie David, présidente. - Le regroupement n'aura de sens que s'il ne se traduit pas par des coupes budgétaires.
Mme Catherine Deroche. - Un mot des messages de santé publique diffusés par l'Inpes : le rapport que j'ai co-signé avec M. Daudigny sur la fiscalité comportementale soulignait l'absence d'évaluation de l'efficacité des messages.
Mme Annie David, présidente. - Certaines familles modestes qui n'ont pas les moyens d'acheter cinq fruits et légumes par jour peuvent considérer ces messages comme provocateurs ou culpabilisateurs. Il serait bon de se pencher sur leur contenu.
M. François Bourdillon. - J'y serai attentif.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour cette présentation.
La réunion est levée à 16 heures.
Jeudi 10 juillet 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Conférence sociale 2014 - Audition de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social
Mme Annie David, présidente. - Nous accueillons M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, sur les conclusions de la grande conférence sociale de 2014.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social. - J'ai souhaité venir vous présenter le bilan de la conférence sociale, qui s'est tenue lundi et mardi, ainsi que la feuille de route présentée hier en conseil des ministres. Pour commencer, je vous livre en primeur le résumé de la rencontre à huis clos, lundi, entre les syndicats et le Président de la République. Comme l'a expliqué le Président de la République, le dialogue social n'est pas le consensus mais la recherche du compromis social. Celui-ci est possible sur la base du respect et de l'engagement réciproque. Il s'inscrit dans la durée. Depuis deux ans, plusieurs accords interprofessionnels ont été transposés dans la loi, comme celui créant le compte personnel de formation qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015.
Plusieurs constats sont partagés. La croissance est nécessaire et suppose la confiance. La perte de compétitivité de notre économie depuis 10 ans s'est traduite par une hausse des prélèvements. Pour y remédier il est indispensable de baisser les charges. Le soutien à la croissance et à l'investissement en Europe est insuffisant et le taux de chômage des jeunes est élevé. La France connaît des difficultés qui lui sont propres. Notre taux de chômage des jeunes, même s'il a baissé de 0,5 %, reste, à 23 %, inacceptable, bien qu'il soit inférieur à la moyenne de l'OCDE. Le chômage de longue durée est préoccupant : on compte deux millions de personnes inscrites depuis plus d'un an, et un million depuis plus de deux ans En outre, chacun vante les mérites de l'apprentissage, mais le nombre des apprentis a baissé de 8 % l'an dernier. Les blocages sont divers et pas seulement d'ordre financier. Seuls 4 % des entreprises ont recours à des alternants. De plus, la France a pris du retard en matière d'investissement humain et public. Il faut poursuivre le dialogue social.
Plusieurs pistes se dégagent à l'issue de la conférence sociale. Tout d'abord, il convient de renforcer le dialogue social en Europe. La France propose, soutenue par plusieurs partenaires, la création d'un Eurogroupe social, pendant de l'Eurogroupe financier. J'ai réuni le comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales pour réfléchir à son plan de travail annuel, en lien avec les experts et les partenaires sociaux. Il conviendra de tenir des réunions tripartites sociales en amont des réunions du Conseil européen.
Pour consolider notre démocratie sociale il faut mettre en place, avant la fin de l'année, le fonds paritaire de financement des organisations syndicales et patronales. Nous lancerons des négociations à l'automne pour améliorer le dialogue social dans les entreprises. Un groupe de travail se réunira à l'automne. Je présenterai un document d'orientation dès la fin du mois après consultation des syndicats. Tous les salariés doivent être représentés. Pourquoi, par exemple, ne pas donner voix délibérative aux administrateurs représentant les salariés dans les entreprises de plus de 1 000 salariés ? Il faut également faciliter l'exercice des fonctions syndicales ou celles des représentants du personnel.
Une négociation interprofessionnelle sera lancée sur le chômage de longue durée. Le comité de suivi du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) deviendra un comité de suivi et d'évaluation de l'ensemble des aides publiques. Présidé par le Premier ministre, il sera animé par France Stratégie, l'ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective. À la rentrée, je réunirai les organisations professionnelles d'employeurs et de salariés des 50 plus grandes branches, représentant plus de 75 % des salariés, pour faire le point sur les négociations liées au pacte de responsabilité. Des accords de branche ont déjà été signés, comme dans la métallurgie, mais en nombre limité. Il faut mettre en lumière les bonnes pratiques et favoriser leur diffusion. En outre, le nombre de branches doit être rationalisé. Il y en a trop en France : il faut couper les branches mortes !
Conformément aux souhaits exprimés par Louis Gallois et le réseau Alerte, nous pérenniserons la garantie jeunes, qui concerne aujourd'hui 4 000 jeunes, et l'étendrons avec l'objectif que 50 000 jeunes puissent en bénéficier en 2015 et 100 000 en 2017. La France sera le premier pays européen à la mettre en oeuvre. Grâce au suivi très fin réalisé par les missions locales, ce dispositif vise à assurer la continuité entre la formation initiale, la formation professionnelle, l'insertion, la lutte contre le décrochage scolaire et la lutte contre les discriminations de toutes natures.
Nous n'avons pas voulu définir un énième plan pour l'emploi des seniors, qui sont davantage victimes d'exclusion du monde du travail. Ils quittent parfois le marché du travail grâce à une rupture conventionnelle qui leur permet de s'inscrire à Pôle emploi. Les seniors qui ne sont pas pris en charge individuellement dès leur inscription au chômage deviennent souvent des chômeurs de longue durée. Aussi, 80 000 seniors sans emploi feront l'objet d'un suivi renforcé par 1 000 conseillers spécialisés de Pôle emploi. Pas moins de 80 000 contrats initiative emploi (CIE) leur seront dédiés en 2015. Une négociation interprofessionnelle pourra s'ouvrir sur le sujet des demandeurs d'emploi de longue durée, comme l'a demandé le réseau Alerte.
L'apprentissage stagne : 417 000 jeunes sont concernés, loin de l'objectif de 500 000 réaffirmé par les gouvernements successifs. Il faut lever les blocages, qu'ils soient psychologique ou financiers. Une étude de la Dares et de France Stratégie, Les métiers en 2022, montre que les métiers qui seront créateurs d'emploi à cet horizon sont ceux qui n'ont pas recours à l'apprentissage, comme les services à la personne. Nous n'atteindrons pas l'objectif de 500 000 si ces métiers ne s'ouvrent pas à l'apprentissage. En outre, 100 millions d'euros seront consacrés à renforcer la mobilité des apprentis et augmenter les capacités d'hébergement. Sans moyen de transport entre l'entreprise et le centre de formation d'apprentis (CFA), les choses sont difficiles ! Pour l'hébergement, 100 millions d'euros, issus du programme des investissements d'avenir, seront consacrés à la rénovation des CFA. En outre, une aide spécifique de 200 millions d'euros sera inscrite dans le projet de loi de finances rectificative : un amendement du Gouvernement créera une prime de 1000 euros pour l'embauche d'un premier apprenti ...
Mme Catherine Procaccia. - En somme, vous restaurez un dispositif que vous avez supprimé !
M. François Rebsamen, ministre. - Pas tout à fait. Il ne s'agira que du premier apprenti, dans les branches où un accord de branche aura été signé. Nous avions recentré le dispositif précédent sur les entreprises de moins de onze salariés. De plus, nous ouvrirons la fonction publique d'État, très en retard, à l'apprentissage. Il convient de dépoussiérer des décrets parfois très anciens qui interdisaient le recours à l'apprentissage en raison de la présence de machines-outils dangereuses, mais celles-ci, à l'image des massicoteuses, ont souvent disparu... Notre objectif est de parvenir à 10 000 apprentis dans la fonction publique d'Etat en 2015, contre 700 aujourd'hui.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour cette présentation complète de votre feuille de route.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je salue votre initiative : nous apprécions que, à peine la conférence sociale achevée, vous soyez venus devant notre commission pour en exposer les grandes lignes. Je partage également l'idée selon laquelle le dialogue social n'est pas le consensus mais la recherche du compromis. Après avoir discuté, il faut trancher. Si le Gouvernement s'engage dans cette voie, nous ne pouvons que l'approuver. Sinon, à force de tourner en rond, on finit par reculer.
Vous avez raison de mettre l'accent sur l'apprentissage. Les engagements financiers du Gouvernement vont dans le bon sens et c'est à juste titre que vous restaurez certaines mesures que votre prédécesseur avait malencontreusement supprimées ! Le développement de l'apprentissage se heurte à l'extrême complexité de la procédure de conclusion du contrat, du suivi et à la multiplication des contrôles. Les artisans s'en plaignent. Les litiges sont nombreux et les familles très sensibilisées. Le second frein, difficile à lever, est inscrit dans les mentalités. L'éducation nationale continue de considérer l'apprentissage comme une voie de garage. On s'acharne à orienter les enfants vers des études longues, même lorsque l'apprentissage est plus adapté.
M. Jacky Le Menn. - Je suis, pour une fois, d'accord avec Jean-Noël Cardoux ! Au-delà de postures parfois théâtrales, les conférences sociales donnent corps au dialogue social. Le dialogue social, c'est la recherche du compromis, dans l'écoute et le respect, ce qui n'exclut pas les désaccords. Les compromis peuvent s'accompagner d'évaluation et d'éventuels retours en arrière en fonction des résultats.
L'accent doit être mis sur l'apprentissage. Notre retard s'explique par des causes culturelles. L'apprentissage est perçu dans le monde enseignant, comme dans la population, comme moins prestigieux que l'enseignement général. Or, l'intelligence de la main est essentielle. Le jeune interne devient un brillant chirurgien grâce à ce qui est en réalité un apprentissage, même s'il n'en porte pas le nom. N'établissons pas de clivage entre une filière prestigieuse et une autre qui le serait moins. Il faut saisir l'occasion des conférences sociales pour tenter de modifier les perceptions.
Pour la première fois le thème de la santé au travail a été abordé. Quelles seront les suites en la matière ?
Mme Catherine Procaccia. - Les gouvernements de droite comme de gauche ont défini des plans en faveur de l'emploi des seniors. Malheureusement, quoi que l'on fasse, la situation ne s'arrange pas. En quoi consistera le meilleur accompagnement par Pôle emploi évoqué par le Premier ministre ? Alors que l'on manque de chauffeurs d'autobus, Pôle emploi refuse d'ouvrir ces formations aux quadragénaires ou aux quinquagénaires. Pourquoi n'arrivons-nous pas, en France, à développer l'emploi des seniors quand nos voisins y parviennent ?
La conférence sociale a-t-elle abouti à des avancées sur le temps partiel et le plancher hebdomadaire de 24 heures de travail ?
Mme Isabelle Debré. - Depuis le début de l'année, le nombre d'apprentis a chuté de 14 %. Il y a un an, le Gouvernement a supprimé la prime de 1 000 euros pour les entreprises de plus de 10 salariés. Vous la rétablissez sous réserve d'un accord de branche. Est-ce conforme à votre volonté de simplification ?
En outre, lorsque l'apprentissage est terminé, l'apprenti n'est pas tenu de rester dans l'entreprise qui a investi pour le former. Ne faudrait-il pas instaurer un système à l'image de celui qui existe pour les étudiants de certaines grandes écoles, comme Polytechnique, obligeant l'apprenti à rester un certain temps dans l'entreprise une fois sa formation achevée ? Un autre frein concerne l'orientation. L'éducation nationale est-elle la mieux placée pour connaître l'entreprise ? Ne faut-il pas développer les partenariats entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère du travail ?
Mme Michelle Meunier. - Comment travaillerez-vous avec l'Éducation nationale ? Je salue la création d'un observatoire de suivi des aides publiques, ainsi que la création d'un observatoire des rémunérations. La question de l'égalité entre les hommes et les femmes n'a pas été oubliée, ce qui me rassure.
Mme Gisèle Printz. - On déplore souvent que 150 000 jeunes décrochent chaque année sans diplôme du système scolaire. Mais ont-ils jamais accroché ? Est-ce une bonne chose de les pousser longtemps au sein de la filière générale ?
M. Dominique Watrin. - Où en est la mise en oeuvre du seuil de 24 heures pour les contrats à temps partiel ? Le rapport Cotis montrait que le salaire moyen stagnait à cause du développement du temps partiel et des emplois précaires, entraînant une hausse des inégalités. J'ai été rapporteur d'une mission sur l'aide à domicile : 550 000 salariés touchent en moyenne 830 euros par mois. On ne peut pas se contenter de la proposition, formulée lors de la négociation de branche, fixant un seuil de 16 heures hebdomadaires.
Nous n'avons pas d'a priori idéologique sur l'apprentissage. Mais les apprentis dans la fonction publique risquent de remplacer des emplois de fonctionnaires.
M. François Rebsamen, ministre. - Non !
M. Dominique Watrin. - Ce tour de passe-passe atténuerait les effets de la révision générale des politiques publiques...
Je salue l'annonce d'Assises de l'investissement. Tous les outils, publics comme privés, doivent être mobilisés. Bien des emplois sont menacés ou ne sont pas créés faute de crédit bancaire.
On souhaite diriger l'épargne salariale vers l'investissement productif. Or, avec l'explosion des dividendes, la capacité d'autofinancement des entreprises a chuté, entraînant une baisse de l'investissement. Pourquoi ne pas mettre en place une modulation de l'impôt sur les sociétés en fonction des dividendes pour stimuler l'investissement productif ?
Mme Annie David, présidente. - Je n'ai aucun a priori contre l'apprentissage. J'ai été à la commission de la culture rapporteure pour avis sur l'enseignement technique et l'apprentissage ; je suis favorable à l'apprentissage, mais pas à n'importe quelles conditions, car dans certains CFA les apprentis travaillent dans des conditions archaïques voire dangereuses.
Les mesures proposées pour l'emploi des seniors vont dans le bon sens. Que deviendra l'allocation transitoire de solidarité (ATS) qui a remplacé l'allocation équivalent retraite (AER) ? Beaucoup de seniors au chômage et en fin de droit ne peuvent réclamer leur pension. Ils touchent l'ATS et sont dans une situation précaire.
Pourquoi voulez-vous diminuer le nombre de branches ?
M. François Rebsamen, ministre. - Pour simplifier ! Même la CGT est d'accord...
Mme Annie David, présidente. - Je suis plus inquiète lorsque vous annoncez vouloir développer le dialogue social dans l'entreprise. Est-ce un nouveau moyen de faciliter la conclusion d'accords moins avantageux que ceux négociés au sein de la branche ou dérogeant au code du travail ?
M. François Rebsamen, ministre. - L'apprentissage se heurte à certains freins spécifiques à notre pays. M. Cardoux évoque avec raison la complexité du contrat, du suivi, du contrôle. Toutefois, comme il s'agit de jeunes de 16 ans, certaines garanties ne sont pas superflues. Par exemple, nous avons mené une campagne de prévention contre les chutes de grande hauteur dans le métier de couvreur. Faut-il autoriser les apprentis couvreurs à monter sur les toits ? Oui, faute de quoi ils n'apprendront pas le métier, mais pas dès leur entrée en apprentissage. L'accent doit être mis sur les maîtres d'apprentissage et leur formation. Il faut valoriser leur rôle comme dans les autres pays. Des mesures simples peuvent y contribuer dans la fonction publique. De même, beaucoup de jeunes apprentis abandonnent en cours de formation, mais les employeurs se voient contraints de les payer jusqu'au terme de leur contrat. Là encore, il est facile de donner de la souplesse. N'oublions pas toutefois que 70 % des apprentis restent dans l'entreprise une fois leur formation achevée. D'ailleurs, dans les TPE, ils reprennent souvent, à terme, l'entreprise.
Le ministre de l'éducation nationale a présidé, lors de la conférence sociale, une table ronde sur les jeunes et l'apprentissage. Le Gouvernement a fixé un objectif de 60 000 apprentis dans l'éducation nationale. Un effort sera réalisé pour favoriser la connaissance du monde de l'entreprise dès la troisième. L'étude Pisa montre que les jeunes Français sont ceux qui connaissent le moins le monde de la finance. C'est regrettable. L'apprentissage est souvent perçu comme une voie de garage, une punition en cas d'échec en voie générale. Pourtant l'apprentissage est aussi une voie d'excellence. Hier, je clôturais l'assemblée générale de la fédération Syntec : elle compte 14 000 apprentis, la plupart d'entre eux ont bac plus quatre !
Les aides, comme la prime de 1 000 euros ou le crédit d'impôt de 1 600 euros, ont été resserrées, sous conditions, au profit des entreprises qui recourent le plus à l'apprentissage, soit les entités employant moins de 11 salariés. Le nouveau dispositif prévoit le versement d'une prime de 1 000 euros pour le premier apprenti sous réserve de la conclusion d'un accord de branche. Il y en aura, Madame Debré ! Soyons optimistes. Des négociations sont ouvertes dans les cinquante plus grandes branches. Dans la métallurgie, qui concerne 1,6 million de salariés, les choses sont très avancées.
Mme Isabelle Debré. - Rendez-vous dans un an !
M. François Rebsamen, ministre. - On compte environ 750 branches mais le dialogue social est inexistant dans 600 d'entre elles : c'est pourquoi nous voulons les supprimer. Peut-être parviendrons-nous à terme à 100 branches.
On connait les freins à l'apprentissage ; beaucoup reste à faire dans les CFA. L'an prochain, le transfert d'une part de la taxe d'apprentissage aux régions leur donnera des moyens d'action supplémentaires : 57 millions d'euros en 2015, 160 en 2016. La collecte de la taxe d'apprentissage donnait lieu à beaucoup de fuites, dues à des collecteurs non agréés. Sur ce point, des poursuites ont été engagées. Une réunion sur l'apprentissage, présidée par le Président de la République, sera organisée à la rentrée pour lever tous les freins. Mais dès maintenant, l'enveloppe de 200 millions d'euros est mobilisable. Nous lançons une campagne pour inciter les entreprises à embaucher des apprentis. Parfois certains jeunes doivent écrire à plus de 50 entreprises pour simplement obtenir une réponse !
Mme Catherine Procaccia. - Qu'en est-il du CV anonyme ?
M. François Rebsamen, ministre. - Nous continuons à financer les développeurs de l'apprentissage, créés par la majorité précédente, dont le rôle est de contacter les entreprises et de les inciter à embaucher des apprentis. Selon les études des chambres consulaires, leur action est utile. Nous nommons dans les régions des ambassadeurs de l'apprentissage, issus du monde de l'entreprise. Le nombre d'apprentis a baissé de 14 % sur les quatre premiers mois de l'année, mais les chiffres s'améliorent à la rentrée de septembre. La baisse n'est pas due simplement à la suppression de la prime. Les emplois d'avenir font de la concurrence à l'apprentissage. Sans doute le vocabulaire n'est-il pas sans conséquence, les familles préférant un « emploi » à un « contrat »...
Mme Catherine Procaccia. - Il faut les rebaptiser « contrats d'avenir » !
Mme Gisèle Printz. - Beaucoup de jeunes rencontrent des difficultés à trouver un stage en entreprise et ne peuvent valider leur diplôme. Que faire ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous avez voté récemment une loi sur ce sujet...
Mme Catherine Procaccia. - Mais nous n'avons pas voté l'obligation pour les établissements d'enseignement de fournir un stage !
M. François Rebsamen, ministre. - L'éducation nationale créera des « pôles de stages et de périodes de formation en milieu professionnel » regroupant les stages offerts par les entreprises dans un bassin d'emploi. De grandes entreprises, comme Capgemini, déplorent la fin des stages de plus de six mois. Etaient-ils pour autant, sur un plan pédagogique, absolument indispensables ? Il fallait mettre un terme aux abus.
J'ai réuni les partenaires sociaux pour faire le point sur le deuxième plan sur la santé au travail et au travail. Nous préparons le troisième plan qui mettra l'accent sur la qualité du travail et au travail.
Madame Procaccia, l'accompagnement personnalisé n'est pas la panacée, mais aux Pays-Bas le taux de chômage des seniors est faible grâce à lui. En Autriche, l'État prend en charge, à hauteur de 80 %, six mois de salaires sans condition. Au bout des six mois, les seniors restent dans l'entreprise... Mais nous n'avons pas les moyens pour faire de même. De plus, certains nous accuseraient d'être à la solde du patronat !
Vous m'avez posé une question sur le temps partiel. Cette loi est pleinement justifiée, mais nous allons présenter un amendement pour éviter tout contentieux, sans toutefois rigidifier la vie économique.
Nous allons transformer le comité de suivi du CICE, à la demande des syndicats, en un observatoire des aides publiques, pour vérifier notamment que les emplois ont bien été créés en contrepartie des aides perçues. La Cour des comptes indique qu'il y a beaucoup de gaspillages, mais elle ne considère que les aspects budgétaires : l'observatoire permettra d'apprécier l'impact économique du dispositif.
L'observatoire des rémunérations s'attachera tout particulièrement - je sais que vous y êtes attachés - à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui rentre peu à peu dans les esprits. Il faut bien commencer par là...
Mme Annie David, présidente. - Et les 24 heures ?
M. François Rebsamen, ministre. - Nous ne reviendrons pas sur les 24 heures hebdomadaires pour le temps partiel : nous voulons cependant sécuriser les contrats existants inférieurs à 24 heures. La loi a permis de grandes avancées dans de nombreux secteurs où des accords ont été conclus ; dans certaines branches, on n'est pas payé au Smic ! C'est bien pour cela qu'il faut en couper certaines, qui ne négocient rien du tout, mais où de vieux accords subsistent.
Monsieur Watrin, l'apprentissage dans la fonction publique n'a pas pour objet de compenser la diminution des effectifs : dans certains ministères ils diminuent, j'en conviens, mais dans d'autres ils augmentent sensiblement, comme à la justice, l'intérieur ou l'éducation nationale. D'un autre côté, certains demandeurs d'emploi ne répondent même pas aux offres d'emploi, et ne se présentent pas à leurs convocations, ce qui nuit à ceux qui cherchent vraiment des emplois.
L'épargne salariale ? L'UMP a créé le forfait social, et l'a porté de 0 à 8 %. Les socialistes l'ont porté à 20 % ! Maintenant, le dispositif est stabilisé. J'ai réuni, pour la première fois, le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas) il y a quelques jours. Cela dit, il est possible de trouver d'autres formes d'épargne salariale, selon la conférence sociale. De nouveaux produits d'épargne salariale, affectés par exemple plus particulièrement au financement des PME et garantis sur la durée, pourraient bénéficier de taux modulés. Nous vérifions si c'est juridiquement possible.
Contrairement à ce que tout le monde croit, la CGPME ne veut surtout pas qu'on efface le seuil de 50 salariés : car en deçà, on n'est pas obligé de faire de l'épargne salariale !
La modulation de l'IS ? Je n'ai pas eu gain de cause, mais j'y arriverai peut-être un jour...
Le dialogue social dans l'entreprise ? Gérard Larcher, alors ministre du travail, avait eu une heureuse initiative : toute disposition législative en matière sociale doit être précédée d'une consultation des partenaires sociaux. C'est pourquoi j'ai rencontré l'ensemble des organisations syndicales, et je leur ai demandé de mener une réflexion pour savoir si l'existence de seuils était un frein au développement des entreprises et de l'emploi. Passer le seuil de 50 employés, ce n'est pas seulement l'obligation de créer un comité d'entreprise, mais aussi 34 nouvelles obligations, et des heures de réunion, ce qui fait hésiter beaucoup de chefs d'entreprise. Le sujet est sur la table, mais ce n'est pas moi qui l'y ai mis ; c'est pour cela que j'ai parlé d'engagements réciproques : une modification des seuils ne peut se faire au détriment de la représentation des salariés. Les organisations syndicales sont d'accord pour en débattre sans tabou : on verra ce qu'il en sortira.
Mme Annie David, présidente. - Et pour les seniors en fin de droit ?
M. François Rebsamen, ministre. - Grâce à vous, nous avions obtenu une reprise d'une partie de l'allocation équivalent retraite (AER), qui avait été supprimée, à travers l'allocation transitoire ce solidarité (ATS). Ce n'était pas suffisant, mais c'était tout de même une avancée...Pas loin de 180 000 personnes ont pu partir en retraite grâce au décret du 2 juillet 2012 sur les carrières longues.
L'allocation de solidarité spécifique (ASS) a progressé de manière inquiétante, avec 480 000 bénéficiaires aujourd'hui ... Ce problème, signalé par le réseau Alerte, sera pris en compte, je l'espère, lorsque nous examinerons le cas des demandeurs d'emploi de longue durée, voire de très longue durée.
Mme Isabelle Debré. - En France, on parle d'obligation, de répression, de pénalisation ; l'exemple autrichien nous montre qu'il est possible d'agir autrement ! Souvenez-vous de la contribution Delalande ; l'idée était généreuse : une entreprise licenciant un employé de plus de 50 ans devait verser une soulte à l'État. Résultat, plus personne n'était embauché à 49 ans ! Pourquoi ne parvenons nous pas à privilégier des mesures incitatives ?
Que ce soit la droite ou la gauche, les règles du jeu changent tout le temps ; les chefs d'entreprise n'ont plus confiance. Notre pays a besoin de stabilité : elle n'existe pas, comme le montre l'exemple de l'apprentissage, où l'on supprime une prime pour la rétablir peu après !
Vous avez dit que 70 % des apprentis restaient dans l'entreprise : pourquoi ne pas donner confiance aux entrepreneurs en leur disant que les apprentis devront rester pendant une période déterminée ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous créez une obligation !
Mme Isabelle Debré. - Vis-à-vis des jeunes, pas des entreprises ! On le fait pour les étudiants des grandes écoles, pourquoi pas pour les apprentis ?
Mme Anne Emery-Dumas. - Vous n'avez pas évoqué les contrats de génération, dont nous attendions beaucoup pour lutter contre le chômage des jeunes et des seniors. L'outil ne prend pas : allez-vous l'améliorer ?
M. Rebsamen, ministre. - Tout le monde souhaite plus de stabilité : cette évidence progresse. Rétablir la stabilité, c'est rétablir la confiance, et rentrer dans un cercle vertueux. Pour cela, il faut éviter de multiplier les lois, sauf si elles entérinent un accord entre partenaires sociaux ; c'est ce qui s'est passé avec la loi du 5 mars, qui a mis en place le CDI en apprentissage : le lien créé garantit à l'employeur qu'il gardera l'apprenti embauché.
Le contrat de génération ? Vous êtes sévère, mais vous n'avez pas totalement tort : il n'est pas absurde de modifier un dispositif qui n'atteint pas ses objectifs. Nous avons eu entre 27 000 et 29 000 demandes d'aide : ce n'est pas rien. Le seuil a été modifié, mais dans beaucoup de PME, il n'y a plus de seniors en poste... C'est pourquoi la prime sera doublée, de 4 000 à 8 000 euros, pour l'embauche conjointe d'un jeune et d'un senior. Mon objectif pour 2015 est de conclure 40 000 contrats ; ce n'est pas la révolution, mais c'est déjà quelque chose.
Je suis toujours frappé de la méconnaissance, sur le terrain, des textes en vigueur. Certains chefs d'entreprises doutent, de bonne foi, de la pérennité du dispositif du CICE, alors que l'engagement du Gouvernement est clair. En outre, certaines organisations patronales véhiculent inquiétudes et angoisses, notamment sur le compte personnel de prévention de la pénibilité. Il suffit pourtant de lire les textes ! Il y a donc un gros travail d'explication à accomplir auprès de la société civile.
La réunion est levée à 11h10.