Mardi 2 décembre 2014
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Nouvelle organisation territoriale de la République - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République.
La réunion est ouverte à 15 heures.
M. Hervé Maurey, président. - Nous examinons le rapport pour avis sur le projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit NOTRE, que nous avons confié à Rémy Pointereau. Celui-ci étant toutefois empêché cette semaine, il a demandé à notre nouveau collègue Michel Vaspart de le remplacer.
Il n'est évidemment pas nécessaire d'insister sur l'importance de ce texte pour l'ensemble des collectivités territoriales et les territoires que nous représentons.
Plusieurs articles interviennent dans des champs concernant directement notre commission - aménagement du territoire, accès aux services publics, transports, mobilité, déchets, fracture numérique... Il est donc important que notre commission puisse lui imprimer sa marque. Les amendements que nous adopterons en seront un premier signe. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai demandé à avoir un temps de parole spécifique, en tant que président de notre commission, dans la discussion générale qui aura lieu le mardi 16 décembre après-midi.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis - Je vous présente ce rapport au nom de notre collègue Rémy Pointereau, qui ne peut être présent cette semaine et vous prie de l'excuser. Les propos que je tiendrai ici sont donc les siens, même si je les exprime à la première personne.
La présentation de ce projet de loi n'est d'ailleurs pas trop difficile puisque, comme l'a très justement résumé Jean-Pierre Raffarin au cours de son audition, « nous connaissons tous le sujet ; il s'agit maintenant d'arbitrer. C'est le gros avantage du Sénat : nous n'avons pas à chercher les compétences ailleurs. » Je m'en tiendrai donc à quelques remarques d'ordre général, avant de vous présenter plus en détail les articles soumis à l'avis de notre commission.
Tout d'abord, sur la forme. Cette réforme territoriale est menée dans un désordre et une confusion absolus ! Les élus des zones rurales ne comprennent pas l'enchaînement des lois relatives à l'organisation de la République - mais les communes urbaines le comprennent-elles mieux ? Il aurait sans doute été préférable de réfléchir à une loi-cadre, déclinée ensuite dans d'autres textes. Or l'approche qui a été retenue est celle d'une fragmentation entre la loi du 27 janvier 2014 qui crée les métropoles, le projet de loi sur la délimitation des régions dont l'adoption définitive est imminente et le présent texte sur l'organisation territoriale de la République.
La première erreur, nous la connaissons, a été de faire des redécoupages avant de réfléchir à la répartition des compétences ! En effet, il ne s'agit pas simplement de redessiner une carte ! La réforme n'est pas faite pour les élus, mais pour les citoyens, pour l'amélioration de leur cadre de vie. Le but ultime est de faire en sorte que le service qui leur est rendu soit de meilleure qualité et coûte moins cher. Sur ce point, la question du regroupement des régions touche finalement peu les élus de terrain. En revanche, l'évolution des conseils généraux est un vrai sujet, car ce sont bien les premiers partenaires des élus au quotidien.
Les élus locaux se font également du souci s'agissant des ressources financières. Il est vrai que les communes rurales sont habituées à la disette, compte tenu de la faiblesse de leur base fiscale et de l'absence de cotisation foncière des entreprises sur leurs territoires. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut se satisfaire de l'absence d'étude des impacts financiers de ce projet de loi ! Une telle évaluation faisait également défaut à la loi du 27 janvier 2014, muette sur les nouveaux coûts supportés par les intercommunalités.
Il aurait donc fallu définir, dès le départ, les ressources et les compétences des régions avant de les fusionner. Comment évoquer en effet la puissance financière des régions si elles n'ont pas de ressources ? La fusion de deux régions n'augmente pas leurs moyens !
J'en viens maintenant aux remarques de fond, puisque l'objectif est de clarifier les compétences pour renforcer l'efficacité de chaque collectivité, en mettant notamment fin à la clause de compétence générale. Encore faut-il définir les missions avant de décliner les compétences ! Le Gouvernement a fait le pari aveugle de renforcer les régions et de confier l'exercice des compétences de proximité aux intercommunalités, avant d'envisager un temps, la suppression des départements à horizon 2020.
En ce qui me concerne, j'estime que cette solution ne correspond pas à la réalité des besoins ressentis sur le terrain. Des missions précises se dessinent : la commune est la base de la démocratie de proximité et du renforcement du lien social ; le département est le gestionnaire de proximité qui garantit la couverture en services publics ; la région est l'échelon de la stratégie qui veille à l'accessibilité du territoire en grandes infrastructures.
Il faut veiller à bien garder à l'esprit cette logique, car elle correspond à la manière dont s'expriment les besoins. Les revirements successifs du Gouvernement ne sont pas de nature à clarifier les choses. Ainsi, on envisage à présent de confier la distribution de l'électricité et de l'eau potable, effectuée par les syndicats, aux départements qu'on voulait supprimer il y a peu ! Il faut bien dire que les conseils généraux sont les principaux perdants du projet de loi. Le département perd beaucoup de compétences, ce qui peut avoir pour effet pervers de faire apparaître une forme de concurrence avec les syndicats. Je pense d'ailleurs que la tendance à venir est la constitution de grands syndicats départementaux pour la gestion de l'eau ou des déchets.
D'une façon générale, il ressort bien, de l'ensemble des débats et auditions sur ce texte, que les conseils généraux souhaiteraient conserver certaines compétences que les régions ne semblent d'ailleurs pas demander. Et les régions, elle, aspirent à certaines compétences d'État, qu'il ne veut pas leur déléguer. Nous sommes ici un certain nombre de sénateurs à avoir imaginé que les régions et les départements puissent fonctionner comme les communes et les communautés de communes. Nous aurions ainsi deux couples où l'instance inférieure, douée de compétence générale, mutualiserait dans l'instance supérieure ce qu'elle ne peut faire seule. Une élection des conseillers régionaux au second degré, comme autrefois, ferait de la région une communauté de départements, ce qui éviterait les doublons.
Ces réflexions m'amènent logiquement à aborder la question du bloc communal. Je partage la vision d'une République au plus près du terrain. La seule réponse à la complexité croissante de notre société, c'est la proximité. Il faut que les compétences de proximité restent au bloc local. Il est essentiel de remettre la commune au coeur du dispositif. Le citoyen comprend ce qui se passe dans la commune : elle constitue la base de la République, il n'est pas possible de s'en passer. Je me méfie de l'administration parisienne, qui envisage, tous gouvernements confondus, de faire élire les présidents de communautés de communes au suffrage universel et à terme, de supprimer les maires.
Faire le pari de la commune ne freine en rien la mutualisation. Nous la pratiquons d'ailleurs depuis longtemps aves les déchetteries, les équipements sportifs et dans bien d'autres domaines ! Qu'est-ce d'autre qu'une communauté de communes ? Il y a bien mutualisation, mais les décisions sont prises autour de la table : le maire reste le médiateur de la complexité générale.
Il faut donc faire attention à ne pas renforcer excessivement les intercommunalités. En zone rurale, les élus locaux ont du mal à les appréhender. En zone périurbaine, elles ne sont parfois que des décompressions des budgets des villes-centre. Et leur domination politique sur les communes périphériques est une réalité. N'oublions pas que les élus locaux éprouvent toujours une sorte de rejet du pouvoir politique dominant !
Je regarde également d'un mauvais oeil le système qui consiste à répartir les dotations en fonction du degré de mutualisation. La mutualisation doit rester libre pour s'adapter au territoire.
L'intercommunalité n'est pas la réponse à tout. Associer 20 ou 25 communes pauvres ne fait pas une intercommunalité riche. Je ne crois pas aux fusions arbitraires. Le seuil des 20 000 habitants, prévu par le projet de loi, soulève une profonde inquiétude chez les élus ruraux. Dans ces territoires, il est en effet difficile d'atteindre un ensemble de cette taille, sauf à ignorer les distances et les coûts induits. En zone urbaine en revanche, 20 000 habitants, c'est peu. Nous devons sortir d'une logique purement quantitative et privilégier l'humain en adoptant une logique qualitative ! Faisons confiance à l'intelligence collective des élus locaux pour placer le curseur au bon endroit. Pourquoi ne pas laisser chaque département, par le biais de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), décider du niveau pertinent du seuil en fonction des réalités territoriales ?
J'en ai terminé avec ces considérations générales qui expliquent ma position sur chacun des sujets précis dont notre commission s'est saisie sur ce projet de loi. Pour rappel, celui-ci comporte 36 articles divisés en six titres. Le titre Ier, qui comporte les articles 1 à 13, a trait au renforcement des compétences régionales et à l'évolution de la carte des régions. Le titre II, avec les articles 14 à 23, porte sur les questions relatives aux communes et à l'intercommunalité. Le titre III, qui contient les articles 24 à 29, traite des enjeux d'accessibilité et de solidarité territoriale. Le titre IV, avec les articles 30 à 34, vise à améliorer la transparence et la responsabilité financières des collectivités territoriales. Le titre V, avec les articles 35 et 36, regroupe les dispositions relatives aux agents. Enfin, le titre VI rassemble les dispositions transitoires et finales dans un unique article 37.
J'entre à présent dans le détail des onze articles dont notre commission s'est saisie pour avis.
L'article 5 crée un plan régional de prévention et de gestion des déchets. Vous le savez, trois schémas coexistent aujourd'hui : les plan régionaux de gestion des déchets dangereux, les plans départementaux de gestion de déchets non dangereux, et les plans départementaux de gestion des déchets du bâtiment. L'objectif de l'article est de simplifier cette planification en rassemblant ces trois plans en un seul, au niveau régional. L'idée est de mieux prendre en compte les évolutions démographiques, techniques, et les objectifs de valorisation. Je crois que cet article participe d'une rationalisation nécessaire de la planification en matière de gestion des déchets et je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable à son adoption.
L'article 6 crée un schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire, qui a vocation à absorber les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie, les schémas régionaux de l'intermodalité et les plans régionaux de prévention et de gestion des déchets. Le SRADDT est donc conçu pour devenir le document essentiel de planification des orientations stratégiques des régions en matière d'aménagement du territoire, de mobilité et de lutte contre le dérèglement climatique.
Là encore, la volonté de rationalisation de la planification est louable ; pour autant, un point mérite notre attention. Le gouvernement souhaite que ces nouveaux schémas aient une valeur prescriptive à l'égard des documents d'urbanisme (SCoT, PLU) élaborés par les communes ou leurs groupements. À l'heure où nous réfléchissons tous aux moyens de réduire le nombre de normes afin de simplifier la vie des collectivités, des entreprises et des citoyens, le principe de subsidiarité devrait prévaloir dans le cadre de cette réforme territoriale. Il n'est pas souhaitable que ces schémas régionaux puissent imposer des règles territorialisées aux échelons inférieurs. Sans aller jusqu'à parler de tutelle, je crois toutefois qu'il s'agit d'une atteinte contreproductive à la libre administration des collectivités. Sans modifier l'équilibre du schéma, qui me semble être un outil rationnel de planification, je vous proposerai donc de supprimer ce caractère prescriptif.
L'article 7 prévoit l'entrée en vigueur du nouveau schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire : ces schémas pourront être mis en place à l'expiration des précédents schémas régionaux, ce qui laisse un délai aux collectivités pour s'adapter. L'article prévoit aussi, comme c'est malheureusement de plus en plus souvent l'usage, une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance dans un délai de 18 mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi, pour préciser le contenu du nouveau schéma. Je vous proposerai de supprimer cette habilitation. Les modalités d'élaboration et le contenu du schéma sont précisés dans le projet de loi : cette habilitation ne se justifie pas.
L'article 8 octroie aux régions la responsabilité de l'ensemble des services de transport routier non urbain, y compris les transports scolaires. Or, il s'agit d'une compétence de proximité, qui ne sera à mon sens pas mieux gérée à l'échelon régional, en particulier si les régions sont élargies ! Leur transfert pourrait même engendrer des surcoûts de gestion. Je vous propose donc un amendement de suppression de l'article, afin que les départements puissent continuer à gérer ces services de transport routier comme aujourd'hui, qu'il s'agisse des services réguliers ou à la demande.
L'article 9 transfère la voirie départementale aux régions. Dans la même logique, je vous proposerai un amendement de suppression. La gestion des routes nécessite d'être effectuée au plus près du terrain, afin de permettre une certaine réactivité face aux accidents ou intempéries. Dans ce cadre, il ne me paraît pas raisonnable de transférer cette compétence aux régions, qui doivent rester des collectivités territoriales à dimension stratégique et non opérationnelle. Je rappelle en outre que les départements ont développé une réelle expertise dans ce domaine depuis le début des années 1980 ; il serait dommage de s'en priver.
L'article 10 ouvre une possibilité pérenne de transférer, au cas par cas, les aérodromes pour lesquels il est plus approprié de confier la compétence aux collectivités territoriales intéressées. La logique est radicalement différente de celle retenue en 2004, où le transfert de 150 aérodromes était une opération ponctuelle et unilatérale de l'État. Il s'agit désormais de reconnaître aux collectivités un droit permanent, à partir du moment où l'aéroport n'est plus d'intérêt national ou nécessaire à des besoins militaires, à bénéficier du transfert, sur la base du volontariat. Je suis favorable à cette disposition, qui aura pour effet de décentraliser un nombre limité d'aéroports. Cela donnera surtout une cohérence d'ensemble aux aéroports restant de la compétence de l'État, c'est-à-dire ceux qui jouent un rôle structurant ou stratégique.
L'article 11 met en place une procédure de transfert des ports relevant du département aux autres échelons, à savoir la région et le bloc communal. Environ 270 ports sont a priori concernés par cette opération. La procédure sera conduite sous l'égide du préfet de région, qui tranchera in fine entre les candidatures concurrentes, si la concertation prévue n'a pas abouti. Je suis favorable à cette disposition, en phase avec les conclusions du rapport remis l'été dernier par notre collègue Odette Herviaux au ministre Frédéric Cuvillier, sur la décentralisation portuaire. Les ports sont des noeuds économiques stratégiques, qui nécessitent des compétences très larges, afin d'exploiter au mieux leur hinterland. Je vous propose simplement de supprimer le caractère automatique du transfert à la région au 31 mars 2016, afin de laisser davantage de temps à la concertation, en particulier pour les petits ports de plaisance qui représentent beaucoup de charges d'entretien et qui ne susciteront pas forcément de candidature spontanée.
L'article 14 propose d'accroître la taille minimale des EPCI à fiscalité propre en relevant le seuil de 5 000 à 20 000 habitants. Je viens de vous exposer ma position sur ce sujet. Je vous propose donc logiquement d'adopter un amendement qui conserve le seuil actuel des 5 000 habitants, laissant à la CDCI le choix de l'augmenter en fonction des réalités du département concerné. Cet article a également pour objectif de réduire le nombre des structures syndicales intervenant dans les domaines de l'eau potable, de l'assainissement, des déchets, du gaz, de l'électricité et des transports. Je vous proposerai un amendement pour préciser que l'objectif n'est pas tellement d'éviter les double-emplois, mais plutôt de viser la rationalisation des compétences et des périmètres, afin d'éviter une stérile mise en concurrence des EPCI à fiscalité propre et des grands syndicats.
L'article 25 relance la dynamique des schémas d'amélioration de l'accessibilité des services au public sur le territoire départemental. Je n'y suis pas hostile, mais j'espère simplement qu'ils connaîtront un meilleur succès que ceux initialement prévus par la loi d'aménagement du territoire du 4 février 1995, qui étaient restés lettre morte. Il est vrai qu'il faut continuer à mobiliser les acteurs pour lutter contre l'éloignement préoccupant de certains services publics et privés en zone rurale.
L'article 26 propose une nouvelle mouture des « maisons de services au public » en mettant l'accent sur la mutualisation des services publics et privés. Il s'agit pour l'essentiel d'adapter le droit aux faits, et j'y suis favorable. En effet, ces espaces connaissent depuis quelques années une hybridation croissante entre public et privé. Ils présentent des statuts et des formes d'organisation variés, selon les contextes locaux, et peuvent être portés aussi bien par une personne publique que par une association loi 1901 ou une entreprise commerciale. Il est donc nécessaire de prévoir un cadre juridique souple qui puisse s'adapter à l'ensemble de ces situations. Je me méfie en revanche de l'objectif annoncé par le Gouvernement d'atteindre 1 000 maisons de service au public à horizon 2017, ce qui reviendrait à doubler leur nombre. En dépit de la création annoncée d'un fonds pour les financer, alimenté par les opérateurs, je n'ai aucun doute sur le fait que cette dynamique contribuera inéluctablement à augmenter la charge pesant sur les collectivités locales.
Enfin, l'article 27 clarifie la gouvernance et la répartition des compétences d'aménagement numérique : il est désormais précisé qu'un groupement de collectivités doit avoir bénéficié d'un transfert préalable de compétence de ses membres pour établir et exploiter des réseaux de communications électroniques. Cet article facilite en outre la participation financière des collectivités à un projet numérique porté par un syndicat mixte, en leur permettant le versement de fonds de concours pouvant être inscrits dans la section d'investissement de leur propre budget - et non en section de fonctionnement, comme c'est actuellement le cas. Je vous propose un amendement étendant cette possibilité à l'ensemble des groupements de collectivités, et non aux seuls syndicats mixtes, afin de sécuriser certains montages existants ; je vous propose également de rallonger de dix à trente ans la fenêtre durant laquelle il est possible de recourir à ce dispositif.
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que la décentralisation n'est pas une politique comme une autre. Quand nous sommes dans les territoires, nous voyons la situation des PME, des artisans, des agriculteurs. Or plus leur douleur est grande, moins elle est entendue. A Paris, les gens n'en ont pas conscience. Le véritable succès de la décentralisation, c'est d'avoir apporté la République au plus près du terrain. En s'éloignant de cet esprit, on se rapproche du populisme.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. - Je ne vois pas vraiment de désaccord entre les amendements présentés et ce que sera sans doute le rapport de la commission des lois.
L'évolution du projet de loi qui visait à supprimer progressivement les départements n'est plus à l'ordre du jour, si j'en crois les derniers propos tenus par le Premier ministre. Par conséquent, tous les transferts de compétences initialement prévus du département vers la région, par exemple les collèges et les routes, doivent être oubliés.
Il importe en revanche que les régions aient des compétences stratégiques. C'est la raison pour laquelle je suis favorable au regroupement des schémas, à l'instar de ce qui est prévu en matière de déchets. Il faut qu'un niveau de collectivité se charge d'assurer la cohérence d'ensemble. Certaines choses sont impossibles à gérer si l'on reste au niveau du département. On ne va pas construire une usine de déchets à Paris, même si l'on aimerait parfois que la capitale contribue davantage aux dépenses.
Un seul sujet me pose problème dans le rapport qui vient d'être présenté : à quoi servirait un schéma régional qui ne serait pas prescriptif ? Si j'ai bien compris les propos du rapporteur, sa critique vaut uniquement en matière d'urbanisme : il est favorable à un schéma prescriptif dans les autres domaines. C'est un point important, car on a multiplié les plans et les schémas sur de nombreux sujets : aménagement du territoire, mobilité, lutte contre le réchauffement climatique... il faut bien rationaliser. Simplement, la question se pose sur le caractère prescriptif du SRADT à l'égard des documents d'urbanisme, SCoT et PLU. En Ile-de-France, notre schéma est prescriptif, il est même approuvé par décret ! La rédaction de l'article 6 est sans doute maladroite, mais il faudra bien réfléchir à ce sujet.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - Je précise que Rémy Pointereau entend supprimer le caractère prescriptif dans tous les domaines, et pas uniquement en matière d'urbanisme. En ce qui me concerne, je pense que l'on a dans notre pays un enchevêtrement de documents, qui dépendent tous les uns des autres, et qui bloquent nos projets. Plus nous multiplierons les dispositions prescriptives, plus le problème se posera. À l'heure de la simplification, cette démarche n'est pas très cohérente ! Sur mon territoire, nous venons d'approuver un SCoT et on est en train d'élaborer une charte de parc naturel régional (PNR) : il va donc falloir revoir le SCoT pour assurer sa compatibilité. On gaspille de l'argent public alors même que l'on a de moins en moins de moyens dans les collectivités locales. Attention à ne pas ajouter de nouvelles normes prescriptives : on a besoin de libérer, et non de contraindre à outrance !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. - Mais il n'y aura plus qu'un seul schéma, c'est quand même un avantage !
M. Hervé Maurey, président. - Mon sentiment est qu'il y a deux grandes difficultés dans ce projet de loi. La première concerne le seuil des intercommunalités, uniformément fixé à vingt mille habitants : je crois que l'on est tous d'accord pour dire que ce n'est pas satisfaisant. La seconde porte sur le SRADT prescriptif, et je rejoins les propos du rapporteur. Autant il est intelligent de fusionner les trois schémas relatifs aux déchets en un seul, autant l'idée d'un SRADT qui s'imposerait aux SCoT et aux PLU me paraît hérétique. Je suis l'un des rares à ne pas avoir voté le Grenelle de l'environnement, précisément à cause des SCoT prescriptifs. Je trouvais déjà qu'il s'agissait d'une contrainte trop forte. Et là, on décide d'ajouter un niveau supplémentaire qui irait s'imposer aux documents d'urbanisme. C'est beaucoup trop contraignant !
Éventuellement, comme le suggère Jean-Jacques Hyest, on pourrait peut-être différencier ce qui relève de l'urbanisme du reste, car l'urbanisme n'est vraiment pas une compétence de la région. Cela mérite réflexion !
Pas plus tard que la semaine dernière, Ségolène Royal nous a elle-même confirmé que l'on faisait beaucoup trop de schémas dans notre pays. Elle nous a d'ailleurs demandé de l'aider à enrayer cette tendance. J'invite nos collègues de l'opposition à écouter ces sages propos !
Enfin, pourquoi examine-t-on aujourd'hui un texte qui vide les départements de leurs compétences ? On ne comprend plus très bien.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. - Ce projet de loi a été déposé il y a un certain temps déjà, mais ce n'est plus la volonté du Premier Ministre !
M. Hervé Maurey, président. - Tout cela n'est pas très cohérent. On ne sait plus quels sont réellement les projets du Gouvernement en la matière. On entend désormais qu'il est question de maintenir les départements uniquement dans les territoires ruraux. Mais qu'est-ce qu'un département rural ? J'aimerais le savoir. On est dans le flou !
M. Louis Nègre. - Le projet de loi pose un problème de méthodologie, qu'a soulevé le rapporteur. On a l'impression de mettre la charrue avant les boeufs. On a défini les périmètres des régions avant de savoir ce qu'elles étaient. On le découvre petit à petit. Deux questions sont posées, celle des compétences et celle du financement de ces compétences. Nous avons défini de « grandes régions » - je le mets entre guillemets car en fait le périmètre a été variable en fonction des personnalités politiques sur place. Nous en définissons maintenant les compétences, la question du financement restant encore assez floue. J'espère que nous aurons des réponses.
On ne peut que se féliciter du passage de trois schémas à un schéma. Ségolène Royal l'a évoqué lors de son audition l'autre jour. Mais le caractère prescriptif pose problème. Poussé à l'extrême, il devient une tutelle. Soit on supprime ce caractère prescriptif, comme le propose le rapporteur, soit on autorise ce caractère prescriptif, mais à condition que le schéma soit un document consensuel élaboré après une discussion commune des collectivités concernées. Je suis très réservé sur la prescriptivité s'il n'y a pas de co-élaboration des documents.
Les transports routiers et la voirie sont deux points d'achoppement. Qui va s'occuper de tel ou tel virage sur une voie départementale au chef-lieu de région ? Personne. Les départements s'en occupent bien, il faut leur laisser cette compétence. C'est pareil pour les transports scolaires. Donner cette compétence aux régions risquerait de laisser des élèves au bord de la route...
Sur le seuil de 20 000 habitants, le Gouvernement a évolué, semble-t-il, ce qui est positif, compte tenu des réalités du terrain.
Mme Évelyne Didier. - Notre commission est saisie pour avis sur quelques articles et j'ai l'impression d'entendre un débat de commission saisie au fond. Sur les plans régionaux, celui qui concerne les déchets en particulier, il faudra bien dimensionner les outils et limiter les investissements multiples, qui nuisent aux investissements publics comme privés. Les grands équipements, les centres de tri par exemple, pourraient être gérés au niveau régional. Mais il faudra veiller à ce que la région récupère le savoir-faire et les compétences des départements, qui s'étaient saisis du sujet, peut-être par des transferts de personnels. Notre groupe avait déposé une proposition de loi qui prenait en compte les bassins de vie, pour dépasser les frontières administratives.
Ne soyons pas naïfs. Cette massification et régionalisation mettra sur le même plan les déchets ménagers, industriels et du bâtiment. Avec le développement du déchet comme ressource, nous avons tendance à nous tourner vers le privé. Il faudra veiller au maintien de la compétence de salubrité publique des communes. À défaut, les zones non rentables seront délaissées, et nous aurons des zones blanches en matière de déchets, comme il en existe dans le domaine numérique.
Sur la voirie et les transports, il y a quand même une cohérence du Gouvernement, qui s'attache à déshabiller les départements de toutes leurs compétences, mis à part le social. On a en effet réalisé que les intercommunalités ne sont pas en mesure de l'assumer, sauf quelques agglomérations. Le renforcement des intercommunalités et des régions est cohérent, et je vous invite à lire l'étude d'impact annexée au projet de loi, qui est très révélatrice des objectifs que le Gouvernement poursuit avec ce texte.
M. Hervé Maurey, président. - Nous n'avons jusqu'à présent parlé que des articles dont nous sommes saisis...
M. Jean-Jacques Filleul. - Dans son intervention, Rémy Pointereau parle de désordre et de confusion, ce que je trouve un peu sévère. Il s'agit tout de même d'un problème un peu compliqué. Les régions ont été regroupées en treize grandes régions, et les Français en ont l'air satisfaits, puisque d'après un sondage, 53 % d'entre eux sont favorables au nouveau découpage. Si ce projet de loi était étudié sans que ce découpage ait eu lieu, on se poserait les mêmes questions. Il faut que le Sénat fasse preuve de sagesse, comme il a l'habitude de le faire. Je ne partage pas l'avis du rapporteur. Le débat est de toute façon difficile. Il y a eu des modifications, des évolutions, ce qui est positif. Cela ne signifie pas que le débat est anarchique, ou qu'il faille le caricaturer. La région existe. Les départements vont jouer leur rôle. Le bloc communal aussi. Il joue déjà un rôle important, et il continuera de le faire, ce qui est souhaitable. L'arrivée des intercommunalités a été une grande révolution territoriale. Lorsqu'on est regroupé, on fait mieux les choses que quand on est seul. J'aime bien le fait qu'il y ait un seul schéma régional, et qu'il soit prescriptif. J'ai été maire pendant trente-et-un ans, et président de communauté de communes. Lorsqu'on fait les plans locaux d'urbanisme et le schéma de cohérence territoriale, il faut avoir une vision territoriale plus large que celle de la commune.
Le problème du seuil des 20 000 habitants est réglé aujourd'hui. Il faut agir en fonction des réalités locales, que connaissent bien les femmes et les hommes présents sur les territoires. Le débat ne sera pas trop dur sur ce point.
Je suis favorable au transfert de la compétence « transports » à la région, mais ce n'est pas le cas de tous mes collègues. Il y a un vrai débat sur ce sujet. Il faut là aussi une vision plus large pour les transports, et en même temps, trouver une solution pour les transports scolaires, ce qui devrait être le cas lors des débats. Puisque les départements continuent d'exister, ils doivent garder ce rôle.
En ce qui concerne la voirie, le débat est difficile. La plupart de nos collègues considèrent qu'elle doit rester aux départements. Peut-être que les anciennes voies nationales qui avaient été transférées aux départements pourraient revenir aux régions.
Ce sont des sujets complexes. Je suis fier que ce débat ait lieu. Quand nous aurons terminé ces deux lois, nous aurons réussi une réforme qui n'ira pas à l'encontre de l'intérêt des territoires.
M. Hervé Maurey, président. - Je n'ai pas compris la position du Gouvernement sur le seuil de 20 000 habitants, qui est la clé de ce texte...
M. Jean-Jacques Filleul. - Il faut plus de souplesse.
M. Hervé Maurey, président. - Qu'est-ce que cela veut dire, concrètement ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Que les territoires décideront.
Mme Nicole Bonnefoy. - Nous ne partageons pas l'esprit général du rapport présenté. Ce projet de loi s'inscrit dans un triptyque, après la loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (MAPAM) et la loi sur la délimitation des régions. Il vise à clarifier les compétences de chaque collectivité pour moderniser le cadre de l'action publique territoriale. C'est un texte qui tend à spécialiser chaque échelon sur des compétences définies, en supprimant la clause générale de compétence pour optimiser la mise en oeuvre des politiques publiques dans les territoires et engendrer des efforts propres à mettre un terme à la dispersion des subventions publiques. Ce sont des dispositions attendues par de nombreux acteurs, les acteurs économiques et les citoyens, qui demandent plus de lisibilité, d'efficacité et de rationalisation dans l'emploi des fonds publics. Cet effort de clarification se traduit notamment dans l'élaboration de schémas de planification stratégique à l'échelle régionale, au premier rang desquels, le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire. Nous trouvons cet outil pertinent, comme le rapporteur de la commission des lois. L'élaboration d'un SRADDT intégrateur, prévue aux articles 5 et 6, qui se substituera aux divers schémas existants, est une avancée notoire dans la mise en oeuvre d'une véritable stratégie d'aménagement durable du territoire, en fixant un certain nombre d'objectifs partagés en matière de densité, de logement social et très social, de performance énergétique, de préservation des terres agricoles, d'urbanisme commercial, etc. Il apportera de la clarté tout en préservant la concertation, et fera de la région l'échelon qui impulse et coordonne la définition de ces objectifs avec les autres collectivités concernées. Nous saluons le caractère prescriptif donné au schéma, contrairement à vous. Le groupe socialiste entend même en faire un levier de prise en compte des problématiques propres aux territoires très ruraux en proposant, par voie d'amendement, l'intégration d'un volet spécifique relatif à leur désenclavement et à l'amélioration de l'offre de services publics.
Par ailleurs, le texte a le mérite de laisser de la souplesse pour la répartition de l'exercice des compétences. L'article 8 prévoit ainsi que l'organisation des transports scolaires pourra être déléguée par les régions aux départements.
Les schémas départementaux d'accessibilité aux services publics et les maisons de services publics prévus aux articles 25 et 26 seront des outils efficaces pour renforcer l'offre de services dans les zones qui présentent un déficit d'accessibilité. Ils rendent possible la définition d'obligations de service public, ce qui est important, la contribution des opérateurs pour mutualiser les financements et la possibilité de recourir aux moyens du privé pour combler les retards de dessertes accumulés dans certains territoires.
Nous soutiendrons donc ce texte, qui va dans le bon sens.
M. Gérard Miquel. - L'histoire se répète. Si, dans nos formations politiques respectives, nous avions été capables d'avoir une position commune claire sur ces sujets, nous n'en serions pas là. Louis Nègre dit qu'on fait passer la charrue avant les boeufs. Je disais la même chose au moment de la réforme territoriale de Nicolas Sarkozy. Et souvenez-vous de la loi Raffarin : son objectif était de renforcer les régions, et elle a finalement renforcé les départements ! Je compte beaucoup sur la sagesse du Sénat, qui va adopter un texte d'équilibre. Je me réjouis de ce qui a été fait sur les régions, qui seront plus grandes. Dans ce contexte, le Premier ministre a réfléchi - c'est la preuve qu'il n'est pas fermé - et il a pensé garder les départements pour assurer la solidarité sociale et territoriale, dans la mesure où ils en auront les moyens, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Sur le seuil d'intercommunalité, je suis persuadé que nous trouverons une solution car la situation diffère si l'on est maire d'une grande agglomération ou d'une petite commune rurale. J'ai dans mon département des zones avec sept habitants au km2: le seuil de 20 000 habitants ne peut y être atteint, sauf à regrouper 80 à 100 communes dans une même communauté de communes !
Le renforcement de la compétence économique des régions est une évidence. Pour les transports scolaires, même si elles les récupèrent, elles les délégueront aux départements. C'est une compétence de proximité.
La voirie doit rester départementale. J'irai plus loin, en proposant à mes élus de constituer un syndicat mixte gérant les voiries départementale et communale, pour mutualiser les moyens. Nous avons besoin de faire de l'optimisation, de la mutualisation, et de la péréquation.
La réduction du nombre de structures, de syndicats en particulier, est une nécessité. Dans mon département, il y a une trentaine de syndicats d'eau. Ce n'est plus possible. Mais ce n'est pas facile. Pour y arriver, il faut donner un peu de pouvoir au préfet. J'ai créé une communauté de communes, à laquelle une commune ne voulait pas adhérer. Le préfet l'a forcée, elle nous remercie aujourd'hui.
En ce qui concerne les déchets, mon département est à la limite extrême d'une région. J'ai un schéma départemental et un gros syndicat départemental, que je préside. Je coopère fortement avec les départements voisins, dont l'un appartient à la région Aquitaine, un autre à la région Auvergne, et un à la région Limousin. Nous avons des coopérations renforcées. Que va-t-il se passer si j'ai un schéma purement régional ? Il faut préserver ces coopérations. Je préférerais que l'on affirme que pour les déchets ménagers, la région coordonne les plans départementaux au niveau régional ou interrégional. Je présenterai des amendements en ce sens.
M. Jean-François Longeot. - Quel est l'objectif de cette réforme ? On a conçu un emballage, les treize régions, et aujourd'hui on se rend compte qu'il est vide, et on se demande ce qu'on met dedans. Ce n'est pas grave qu'il soit vide, car on arrivera bien à trouver des compétences. La difficulté, on l'entend bien lorsque notre collègue évoque la question des syndicats d'eau, mais cela concerne aussi les syndicats d'électricité, qui font bien leur travail. Aujourd'hui, on ne sait pas comment on va financer tout ça, donc on va chercher des financements dans des structures qui ont fait leurs preuves, pour essayer d'alimenter les budgets nouveaux des départements ou des régions. Mais on aura perdu la technicité des syndicats d'énergie et le principe de l'affectation des crédits sur l'énergie.
On a gardé les départements parce qu'on ne savait pas où on allait mettre l'action sociale. On a oublié de fixer un plafond pour les élus. La question est de savoir comment on fait des économies, et où. Ce seuil de 20 000 habitants est stupide, pourquoi pas 19 612 ou 21 416 ? Un regroupement de communes, ce sont des affinités, la volonté de certains territoires de travailler ensemble, ce n'est pas une addition. Le groupe socialiste dit que le problème est réglé. Comme le président, je ne suis pas encore rassuré. La disposition figure toujours. Le Premier ministre a été prudent. Je ne suis pas rassuré si l'on laisse cette question à la commission départementale de coopération intercommunale. J'ai énormément souffert dans ma commission départementale : la discussion a duré deux ans, sur une enclave d'une commune de 120 habitants par rapport à une autre de 125 habitants. Tout le monde s'est battu, personne n'a voulu de la proposition de regroupement. Aujourd'hui, si on les y oblige, ce sera difficile... Il faut faire confiance aux élus et les laisser gérer leurs territoires.
M. Jacques Cornano. - À l'article 8, pour les départements d'outre-mer, un amendement sera présenté pour permettre à ces régions d'évoquer le lien avec les EPCI concernés. Le schéma des transports doit prendre en compte le caractère insulaire, qui n'est pas évoqué lorsqu'on parle de continuité territoriale.
M. Benoît Huré. - Je vais peut-être avoir une approche dissonante. Quand on veut réformer un pays, il faut écouter les concitoyens. Ils ont peur de la mondialisation. Comment l'action publique s'organise-t-elle pour les protéger ? Il faut des réponses de proximité. Avec le développement des technologies, d'Internet, des TGV, des autoroutes, les régions n'ont plus d'utilité. Il faudrait plutôt un État stratège avec des déclinaisons territoriales sur des grands espaces, et qui soit suffisamment fort à Bruxelles. D'expérience, je redoute qu'un Premier ministre ou un président de la République aille négocier à Bruxelles accompagné de douze barons locaux...
Les communes exercent bien leurs compétences de proximité, avec les départements. Il faudrait rendre un peu de pouvoir aux préfets de département.
La Champagne-Ardenne et la Picardie ont construit un pôle de compétitivité sur les agro-ressources, la chimie verte, qui se substituera demain à la pétrochimie. Ce projet a été fait avec la Wallonie. Dans le domaine de l'industrie, la Champagne-Ardenne a construit un pôle de compétitivité avec la Lorraine, aussi avec la Wallonie, ainsi qu'avec la région de Brême, en Allemagne. Si l'on se met dans des carcans artificiels - les entités régionales -, cela va être un peu compliqué. Il ne faut pas se faire d'illusions sur la compétence économique des régions. A chaque fois qu'il y a un problème économique ou industriel, les régions ne les régleront pas, sans une implication forte de l'État. L'économie de proximité, les PME en particulier, ont besoin d'interlocuteurs de proximité.
Je ne crois pas à la péréquation entre collectivités. La seule péréquation est celle qui vient de l'État. Lorsqu'il y a une péréquation entre collectivités, c'est que l'État s'en est mêlé.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - Je vais vous donner mon impression. Je reste sur ma faim, car la population attendait une réforme de fond, et nous allons garder l'ensemble de nos strates. Certes, on essaie de répartir les compétences, ce qui est déjà bien. Mais il y avait une autre attente des élus locaux, que nous avons pu constater lors de notre campagne électorale, qui est celle d'une simplification des structures de gestion du territoire de la République. Cela fait 22 ans que je suis maire, j'ai exercé deux mandats au conseil général, et j'ai été chef d'entreprise auparavant. Nous sommes dans un pays bloqué, à tous les niveaux. Lorsque des artisans veulent recruter des apprentis, ils ne peuvent rien faire. Les collectivités territoriales ne peuvent rien faire. Regardez le temps qu'il faut pour faire avancer des dossiers un peu complexes. C'est terrible. Et il y a un tas de structures qui ont un petit pouvoir sur tous ces projets. S'ajoutent à cela les services déconcentrés de l'État, à l'échelle départementale et régionale, qui peuvent avoir une interprétation différente les uns des autres. La réforme Sarkozy-Fillon a été balayée d'un revers de main. Je m'attendais aujourd'hui à une autre réforme. Or, on a l'impression de mettre un emplâtre sur une jambe de bois, ce qui me pose un problème de fond.
J'ai une réserve sur les transports. Je suis persuadé que le transport scolaire doit rester une compétence de proximité. Mais si l'on sépare le rail et la route, cela crée une concurrence stupide entre les deux modes, alors que nous voulons développer le fer. Dans mon département, le même trajet coûte deux à trois euros en autocar, sept euros en train. Il y aurait plus de cohérence si tous les transports étaient gérés par la même collectivité. En même temps, il est difficile de dissocier les transports en général et les transports scolaires. C'est donc une question difficile.
Je ne reviens pas sur les syndicats. Il faut que nous soyons raisonnables les uns et les autres, afin de remettre de l'ordre dans les structures. Il y a trop de gens qui ont une petite bribe de pouvoir et peuvent bloquer nos projets à un moment ou à un autre.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous découvrons des amendements conséquents, je demande dix minutes de suspension de séance.
M. Hervé Maurey, président. - Accordé.
La séance est suspendue dix minutes.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire ne sauraient avoir un caractère prescriptif à l'égard des documents d'urbanisme, comme le gouvernement le propose à l'alinéa 26 de l'article 6. Une réflexion est en cours sur les moyens de réduire la quantité de normes : le principe de subsidiarité devrait prévaloir. Sans modifier l'équilibre du schéma, qui pourra constituer un outil rationnel de planification, l'amendement n° 1 vise donc à supprimer l'obligation de « compatibilité », au bénéfice d'une seule « prise en compte ».
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous sommes contre la suppression du caractère prescriptif.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'article 7 prévoit une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Cette habilitation ne semble pas pertinente. Les modalités d'élaboration et le contenu du schéma sont d'ores et déjà précisés dans le projet de loi. L'amendement n° 2 supprime cette habilitation non justifiée.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 3 supprime l'article 8 du projet de loi qui transfère aux régions la gestion du transport scolaire et des transports routiers et non urbains.
M. Jérôme Bignon. - Je suis embarrassé par cet amendement. Il faudrait plutôt imaginer des règles de délégation pour les transports scolaires.
M. Jean-Jacques Filleul. - C'est pour cette raison que nous voterons contre.
L'amendement n° 3 n'est pas adopté.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 4 vise à supprimer le transfert de la voirie départementale aux régions.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous y sommes favorables.
M. Jean-Claude Leroy. - Je suis favorable à cet amendement, qui va dans le bon sens, mais j'aurais une petite nuance à ajouter. On aurait peut-être pu conférer aux anciennes routes nationales transférées le caractère de routes d'intérêt régional. Elles sont en effet souvent gérées par plusieurs départements. La maîtrise d'ouvrage pourrait être laissée aux départements, tout en autorisant une participation de la région. Nous déposerons certainement un amendement à cet effet.
L'amendement n° 4 est adopté à l'unanimité.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 5 vise à assouplir la procédure de transfert des ports. Il supprime le caractère automatique du transfert à la région en l'absence d'autre candidature au 31 mars 2016. Le risque d'imposer systématiquement un transfert à une collectivité qui n'en voudrait pas existe, par exemple pour les petits ports de plaisance, dont les charges d'entretien risquent d'effrayer certaines communes ou intercommunalités. Il ne faudrait pas pour autant que la région en soit systématiquement l'attributaire, car il ne lui appartient pas de gérer les petites infrastructures de proximité.
L'amendement n° 5 est adopté à l'unanimité.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 6 supprime la hausse du seuil minimal de constitution d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), que le présent article relève de 5 000 à 20 000 habitants. Il propose de laisser la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) décider de l'opportunité de relever ou non ce seuil, en fonction des réalités du département.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 7 supprime la notion de double emploi entre les syndicats mixtes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Il privilégie un objectif de rationalisation des compétences et des périmètres, qui ne suggère pas une concurrence stérile entre les EPCI à fiscalité propre et des grands syndicats.
L'amendement n° 7 est adopté à l'unanimité.
M. Michel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 8 étend à l'ensemble des collectivités territoriales et à leurs groupements la possibilité de recevoir des fonds de concours des autres collectivités ou groupements concernés par un projet d'aménagement numérique. Cette possibilité n'est prévue que pour les syndicats mixtes par le présent projet de loi. Enfin, la durée maximale de versement des fonds de concours est relevée de dix à trente ans, s'agissant d'investissements lourds à amortir sur de longues périodes.
M. Jean-Jacques Filleul. - Sur cet amendement, nous adoptons une position de sagesse. Nous le comprenons, mais nous aimerions un débat en séance à ce sujet, donc nous nous abstenons.
L'amendement n° 8 est adopté.
Directive Paquet « déchets » - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 80 (2014-2015) présentée par MM. Michel Delebarre et Claude Kern, au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition de directive Paquet « déchets ».
Mme Annick Billon, rapporteure. - J'ai l'honneur de vous présenter mon premier rapport sur une proposition de résolution européenne (PPRE), déposée par nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern, relative au paquet déchets, présenté par la Commission européenne le 2 juillet dernier.
Cette révision globale des politiques des déchets au niveau européen s'inscrit dans un paquet économie circulaire. Selon la Commission, le passage à l'économie circulaire créera 2 millions d'emplois d'ici à 2030. Le paquet déchets est censé, pour sa part, permettre aux entreprises d'économiser 55 milliards d'euros, tout en créant 526 000 emplois. Il faut toutefois rester prudents : les bénéfices attendus par la Commission du projet de directive ne semblent pas reposer sur une véritable étude d'impact approfondie.
Le projet de directive modifie la législation européenne existante en matière de déchets, et en particulier la directive cadre de 2008 qui a fixé la hiérarchie des modes de traitement : la prévention, puis le réemploi, le recyclage, la valorisation, et enfin l'élimination. La directive de 2008 a également fixé un objectif de réemploi et de recyclage de 50 % des déchets ménagers d'ici à 2020.
Le nouveau texte déposé par la Commission vise les déchets municipaux, définis comme comprenant les ordures ménagères, les encombrants des ménages, les déchets de jardin et ceux issus de l'entretien des espaces verts publics, enfin, les déchets des artisans et des commerçants assimilés aux ordures ménagères. Cela correspond globalement à la définition des déchets ménagers dans notre droit interne.
De nouveaux objectifs ambitieux sont fixés par la Commission : 70 % de réemploi et de recyclage à l'horizon 2030 ; l'interdiction de la mise en décharge des déchets recyclables (plastiques, métaux, verre, papier et carton, déchets biodégradables) à partir de 2025 ; l'interdiction de toute mise en décharge des déchets autres que résiduels à l'horizon 2030. A ces objectifs contraignants, la Commission ajoute, à titre indicatif, une cible de réduction de 30 % du gaspillage alimentaire à l'horizon 2025.
La proposition de directive fixe aussi un objectif d'harmonisation des définitions et des méthodes de calcul des statistiques déchets en Europe. Elle prévoit également un système d'alerte précoce de la Commission, visant à détecter les insuffisances des États membres et à y remédier avant les échéances fixées par le texte : concrètement la Commission pourrait présenter à l'État concerné des recommandations, qu'il devra intégrer dans un plan de mise en conformité.
Sur le sujet des filières de responsabilité élargie des producteurs, qui transfèrent aux industriels la responsabilité financière voire opérationnelle de gestion de leurs déchets, la proposition de directive prévoit la mise en place d'exigences minimales. Dernière mesure importante : les États membres devront prévoir une collecte séparée des biodéchets d'ici à 2025.
La commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution déposée par Michel Delebarre et Claude Kern, qui dresse un bilan plutôt positif bien que contrasté.
Cette proposition de résolution européenne salue l'ambition des objectifs fixés par la directive, et l'intégration du texte dans une logique d'économie circulaire. Pour autant, Michel Delebarre et Claude Kern estiment que les objectifs fixés en matière de recyclage et de mise en décharge risquent d'être un peu trop ambitieux au regard des performances constatées actuellement au sein de l'Union. A cet égard, l'harmonisation des statistiques déchets en Europe est un sujet crucial. Ainsi l'Allemagne et l'Autriche ont éliminé statistiquement la mise en décharge des déchets municipaux. Toutefois, si l'on regarde de plus près, on constate que ce n'est qu'au prix d'un artifice de calcul : les déchets faisant l'objet d'un prétraitement en centre de tri sortent de la catégorie déchets municipaux et sont considérés comme déchets industriels. Certains sont ensuite bien mis en décharge, mais n'apparaissent plus dans les comptes des déchets municipaux. L'objectif zéro déchet en décharge n'est donc pas réellement atteint. S'appuyer sur l'exemple allemand pour promouvoir l'interdiction de mise en décharge des déchets municipaux à l'horizon 2030 n'est donc pas judicieux. De la même manière, pour les États entrés dans l'Union européenne en 2004 et 2007, et qui placent encore plus de 70 % de leurs déchets en décharge, les objectifs de la Commission sont largement inadaptés.
La proposition de résolution de nos collègues insiste sur la nécessité de fixer des objectifs différenciés selon les États membres, pour mieux tenir compte des réalités à l'entrée en vigueur de la directive, avec une réévaluation des objectifs dans cinq ans.
Elle déplore l'obligation de mise en place d'une collecte séparée des biodéchets, c'est-à-dire des déchets organiques et des déchets verts, qui représentent environ un tiers des déchets contenus dans une poubelle. La collecte séparée implique de nouveaux coûts extrêmement élevés : la proposition de résolution estime que la collecte et la valorisation des biodéchets coûteraient 400 euros par tonne pour les collectivités.
MM. Delebarre et Kern s'interrogent également sur l'adéquation de la filière industrielle de tri et de recyclage européenne aux objectifs fixés. Les filières semblent à l'heure actuelle sous-dimensionnées. En France, les 250 centres de recyclage des matières plastiques se limitent au traitement des flaconnages. Ils ne peuvent généralement pas prendre en charge les barquettes et les films plastiques. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a souligné la nécessité de leur modernisation, qui soulève la question du financement...
Concernant l'objectif zéro déchet en décharge en 2030, la résolution rappelle qu'un tiers de la poubelle moyenne n'est pas recyclable. Ses auteurs estiment que la directive n'insiste pas assez sur la valorisation énergétique.
Enfin, la proposition de résolution regrette que le recyclage ne soit envisagé qu'en fin de vie des produits, au moment de la mise en décharge. Aucun objectif contraignant n'est imposé aux producteurs ou aux importateurs de biens. Il serait intéressant de les inciter à concevoir ou à vendre des produits éco-responsables. Les auteurs de la résolution proposent, d'une part, une obligation d'incorporation de 50 % de matières recyclées dans les biens mis sur le marché, d'autre part, la mise en place d'une taxe frappant tous les produits non recyclables vendus sur le marché européen.
Nous devons nous féliciter que le projet de directive fixe de nouveaux objectifs ambitieux à horizon 2030. Ces objectifs sont d'ailleurs en ligne avec ceux envisagés par la France dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte.
Pour autant, l'harmonisation des méthodes de calcul des performances de recyclage est un enjeu crucial, et je partage la position de nos collègues de la commission des affaires européennes. En ce qui concerne l'objectif de 50 % de valorisation matière d'ici à 2020, il existe douze méthodes de calcul prévues par la directive cadre de 2008... Pour la France, en fonction de la méthode de calcul retenue, le recyclage atteint entre 35 et 62 %. Le classement des performances européennes est largement faussé. Les chiffres ciblés par la Commission, notamment l'objectif de 70 % de recyclage à l'horizon 2030, sont probablement disproportionnés. C'est pourquoi je souscris pleinement à l'idée d'une approche différenciée selon les États, avec par exemple un objectif chiffré commun mais des échéances ajustées selon les situations initiales.
En outre, le chiffre de 70 % est probablement un peu trop élevé pour la France. D'après les évaluations fournies par le ministère de l'écologie, il vaudrait mieux viser 60 à 65 % de recyclage d'ici à 2030. Comme seulement deux tiers de la poubelle d'ordures ménagères moyenne sont recyclables, cela signifie en réalité viser une valorisation de presque 100 % du gisement.
Autre point à noter, cette proposition de directive européenne ne prend pas suffisamment en compte les compétences des collectivités territoriales. C'est une tendance assez globale en matière de politique des déchets...Autant il semble essentiel de fixer aux collectivités une obligation de résultat, avec des objectifs ambitieux en termes de valorisation, pour engager la transition vers une économie circulaire, autant il est inacceptable de leur fixer une obligation de moyens, en leur imposant tel ou tel mode de valorisation plutôt qu'un autre. Les choix des collectivités sont fonction des installations déjà existantes sur leur territoire et de leurs spécificités démographiques et urbanistiques. Une planification verticale, ne tenant pas compte du terrain, et effectuée sans aucun calcul des performances économiques comparatives des différentes solutions de traitement, ne pourra jamais être adaptée à la diversité des réalités.
À ce titre, l'obligation de collecte séparée des biodéchets à compter de 2025 a particulièrement retenu mon attention. Il est intéressant de fixer des objectifs en termes d'amélioration de la valorisation organique. Le maintien de flux de déchets organiques en décharges conduit à une production de méthane qui, s'il n'est pas capté, contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre. Mais imposer la généralisation de la collecte séparée n'est pas judicieux et n'est pas adapté à certains territoires. En milieu urbain avec habitat collectif, cela conduirait à collecter un gisement extrêmement faible, d'une mauvaise qualité et pour un coût élevé. En milieu rural, la collecte séparée peut se justifier. Mais là encore, d'autres solutions existent également. Certaines collectivités, comme c'est le cas en Vendée, encouragent le compostage individuel. Le compostage collectif en point d'apport volontaire est également une piste intéressante.
Une généralisation à tout le pays de la collecte séparée aurait un coût non négligeable. Selon l'association Amorce, le surcoût d'une collecte séparée pour les collectivités locales serait de l'ordre de 800 millions d'euros, soit environ 13 euros par habitant. Le coût de la gestion des déchets ménagers pour les collectivités étant d'environ 8 milliards d'euros par an, cela représenterait une augmentation de 10 % du coût de la gestion des déchets ménagers.
De plus, généraliser la collecte séparée des biodéchets signifie condamner les installations de tri mécano-biologique (les TMB) qui permettent le prétraitement des ordures ménagères en séparant les déchets organiques du reste des ordures. Ils sont généralement associés à une filière de valorisation biologique par compostage ou méthanisation. Il y a 60 TMB en France. Ces structures - il en existe dans mon département - restent pertinentes dans de nombreux cas. La qualité du produit sortant du TMB est garantie par le respect d'une norme, norme qui est la même que celle pour le compost issu d'une collecte séparée. Soyons vigilants sur cette obligation de collecte séparée ! Ma position rejoint là aussi celle de nos collègues des affaires européennes.
Nous pouvons enfin nous féliciter que la directive définisse les grands principes s'appliquant aux filières REP : la transparence financière, l'autocontrôle, l'obligation de dialogue, au sein des filières et avec les autorités, et la fixation de sanctions pour les producteurs de déchets qui ne remplissent pas leurs obligations.
Je vous proposerai deux amendements. Le premier invite la Commission européenne à donner une définition harmonisée de la notion de « déchet recyclable ». La directive prévoit une interdiction de la mise en décharge des déchets recyclables à l'échéance de 2025, mais il n'y a pas de définition partagée à ce jour. Il est important d'éviter une application à géométrie variable. Nous pourrions considérer comme déchets recyclables les déchets collectés en vue d'être valorisés, notamment au travers des filières REP. Mon second amendement porte sur la référence à une taxe frappant tous les produits non recyclables vendus sur le marché européen et à l'obligation d'incorporation de 50 % de matières recyclées dans les biens mis sur le marché. Il est important de responsabiliser davantage les acteurs économiques et d'encourager l'écoconception des produits. Pour autant, il est préférable pour cela de recourir à des dispositifs incitatifs, plutôt que d'alourdir la fiscalité pour les ménages ou les normes pour les entreprises.
Je vous propose, en conclusion, d'adopter la proposition de résolution de Michel Delebarre et Claude Kern, qui traduit à la fois l'approbation de l'ambition et des objectifs fixés par la Commission européenne, mais aussi une certaine inquiétude quant à la prise en compte des collectivités.
M. Claude Kern, auteur de la PPRE. - Je remercie Mme Billon pour son étude attentive de notre proposition de résolution. Nous partageons les mêmes interrogations, notamment sur le caractère trop ambitieux des objectifs. L'adéquation de la filière industrielle de tri et de recyclage n'est pas assurée car nos 250 centres de recyclage ne prennent pas en charge les barquettes ni les films plastiques. Il est difficile de généraliser les consignes de tri. La collecte séparée aurait un coût supplémentaire très élevé pour les collectivités territoriales. En outre, les TMB commencent à se développer. Ne négligeons pas cette filière. Si nous devons favoriser la valorisation matière des poubelles, n'oublions pas la valorisation énergétique car un tiers de déchets n'est pas recyclable. Nous renforcerions aussi notre indépendance énergétique. Les amendements de la rapporteure nous satisfont.
M. Gérard Miquel. - Je salue le travail de notre rapporteure. Je me réjouis que les objectifs européens soient ambitieux. Dans les prochaines décennies nous ne considérerons plus les déchets comme aujourd'hui mais comme une ressource secondaire. Nous devons valoriser tant les déchets recyclables, que les produits fermentescibles, susceptibles d'être utilisés pour produire du méthane ou du compost, ou ceux destinés à être transformés en combustible. Cependant une période transitoire est nécessaire pour faire évoluer nos installations. Les TMB fonctionnent : il est inutile d'en construire d'autres. Les incinérateurs devront être revus pour pouvoir prendre en charge des produits à fort pouvoir calorifique (PCI). La mise en décharge disparaîtra à terme. Les mesures proposées vont dans le bon sens. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'une forte disparité prévaut entre les pays, et même, en France, entre les différents territoires. Beaucoup de travail reste à faire pour accroître encore le recyclage. Je suis favorable aux amendements déposés. Je ne suis pas favorable toutefois à la suppression de la taxe sur les produits non recyclables. Il serait bon que ceux qui produisent ces déchets qui encombrent nos poubelles cotisent. Leur incinération ou leur transport en décharge est coûteux, de l'ordre de 120 à 150 euros la tonne. Dans de nombreux départements on a distribué des composteurs individuels. Il faut aussi mettre en place la collecte sélective auprès des professionnels, comme les cantines, les restaurateurs, les hôpitaux, etc. Les quantités de produits fermentescibles à collecter sont importantes. C'est pourquoi nous avons besoin de plus de temps pour adapter notre système de collecte et nos outils industriels, mais il faut garder des objectifs ambitieux...
M. Hervé Maurey, président. - Encore faut-il avoir les moyens de les tenir, sinon, comme dans d'autres domaines, ils resteront lettre morte.
M. Gérard Miquel. - Certains les ont atteints ! Tout est affaire de volonté politique.
Mme Évelyne Didier. - Je salue le travail des auteurs de la résolution et de notre rapporteure. La hiérarchie des objectifs est importante. La démarche doit concerner tous les territoires ; il s'agit d'une question de salubrité publique et d'un service de première nécessité.
Il conviendrait de créer une catégorie intermédiaire en distinguant la valorisation énergétique de la valorisation matière, et en la plaçant juste avant la mise en décharge et l'incinération. L'objectif premier doit être en effet de favoriser l'éco-conception pour diminuer le volume des déchets produits et brûlés. La politique des déchets ne doit pas se réduire à une politique énergétique.
Je partage le point de vue de Gérard Miquel : les objectifs doivent être ambitieux. Il était indispensable de souligner les difficultés liées aux statistiques. Nous passions pour de mauvais élèves alors que ce n'est pas le cas ! J'ai apprécié la distinction entre collecte à la source et collecte séparée. L'idée qui consiste à couvrir les territoires rentables est dangereuse. Je souscris au caractère non lucratif des REP. La lutte contre le gaspillage est indispensable. Une Europe à géométrie variable, pourquoi pas ! Mais il faudra fixer un point de convergence.
Nous regrettons l'absence de référence au principe de proximité ; j'ai d'ailleurs déposé un amendement à l'alinéa 5 pour introduire la notion.
Il n'est pas normal que les producteurs qui ne font pas l'effort de développer des produits non recyclables ne soient pas taxés. Toutefois, une taxe généralisée sur les produits non recyclables s'apparente à une hausse de la TVA, impôt injuste envers les plus modestes. Nous y sommes hostiles.
Enfin je m'étonne des propos de certains membres de la commission des affaires européennes qui considéraient que nous devions nous borner à entériner cette proposition de résolution européenne sans l'amender...
M. Hervé Maurey, président. - Je partage votre étonnement !
Mme Évelyne Didier. - Mes propos ne visaient pas Monsieur Kern.
M. Charles Revet. - Je salue à mon tour le travail de notre rapporteure. Il faut fixer des objectifs ambitieux : il devrait être possible de tout recycler ou réutiliser. Il y a quelques jours, nous avons inauguré une unité de compost et de méthanisation en Seine-Maritime où nous disposons déjà d'une unité de production de plastique d'origine végétale, en attendant l'installation prochaine d'une nouvelle unité à Lillebonne. J'invite d'ailleurs notre commission à se rendre sur place pour étudier son fonctionnement.
Pendant longtemps, la présence de matière plastique dans les déchets a bloqué le développement du compostage. En Seine-Maritime, grand département producteur de lin, il suffisait de la présence d'un simple fil en plastique pour que les ballots de filasse soient rejetés par les transformateurs. Les plastiques d'origine végétale, eux, sont dégradables en quelques mois...
Mme Chantal Jouanno. - À condition qu'ils soient mis en compost !
M. Charles Revet. - Que dit la proposition de résolution européenne à ce sujet ?
Mme Chantal Jouanno. - Je salue le travail des auteurs de la résolution et de notre rapporteure.
Il est nécessaire d'harmoniser les méthodes de calcul, non seulement au sein de l'Union, mais aussi en France. En fonction des sources, les données varient du tout au tout. J'ai été présidente de l'Ademe : les chiffres n'étaient jamais les mêmes d'une source à l'autre ! Il y a avait de quoi s'arracher les cheveux...
Il faut aussi tenir compte du coût de la collecte séparée. L'imposer ou non devrait relever du libre choix des différents pays ou des collectivités territoriales. Je partage aussi votre point de vue sur la valorisation des déchets d'origine industrielle ; le chantier est énorme. Je partage vos objectifs en matière de financement et l'objectif d'incorporation des matières recyclées. L'idée d'une taxe ne me déplait pas.
En revanche, l'exposé des motifs me laisse sceptique. Les études d'impact ont été validées par le comité de la Commission et elles sont souvent plus sérieuses que celles de notre gouvernement...Il ne faut pas, en outre, fonder notre opposition uniquement sur le cas de l'Allemagne ; d'autres pays sont performants. Il serait préférable de reconnaître que nous avons des difficultés à atteindre l'objectif de zéro déchets en décharge plutôt que de donner l'impression, par une rédaction maladroite, de le contester. Est-il également opportun de rétablir la valorisation énergétique dans la proposition de résolution européenne ? Je suis réservée. Il est également regrettable que l'essentiel de nos produits issus de la valorisation organique partent à l'étranger. L'enjeu est de constituer des stocks stratégiques de proximité, sinon nous souffrirons rapidement d'un manque de ressources. Or la directive est muette sur ce point.
- Présidence de M. Charles Revet, vice-président -
Mme Annick Billon, rapporteure. - J'ai effectivement écarté l'idée d'une taxe sur les produits non recyclables ; il faudrait en outre réunir l'unanimité des pays membres de l'UE, ce qui semble utopique.
Nous sommes tous favorables à des objectifs ambitieux. Toutefois, pour savoir s'ils sont réalistes, il faut se pencher sur la question des statistiques. Certains pays ont des statistiques très flatteuses, mais elles sont faussées.
Je suis d'accord avec M. Miquel, il n'est pas nécessaire de construire davantage de TMB. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille les condamner, il s'agit parfois de la seule solution pour traiter les déchets à proximité. Il est rassurant que le produit sortant des TMB doive respecter les mêmes normes que celles valables pour le compost issu d'une collecte séparée. Je ne suis pas non plus favorable à de nouveaux incinérateurs. Nous souhaitons tous la fin des décharges à terme.
Madame Didier, votre souhait de revoir la place de la valorisation énergétique dans la hiérarchie est déjà exaucé car les objectifs fixés par la directive sont d'abord de diminuer la production de déchets, puis de les recycler et de les valoriser, et enfin de les éliminer.
Enfin, comme vous, Madame Jouanno, je souhaite une harmonisation des chiffres, en Europe comme en France.
M. Claude Kern, auteur de la PPRE. - Nous avions exclu les produits alimentaires du champ de la taxe pour éviter de trop peser sur les ménages modestes. Il est juste qu'un produit importé respecte les mêmes normes que les produits européens. Les plastiques d'origine végétale étaient conçus pour se dégrader en quelques mois, mais les premières constatations ne sont pas probantes.
Il faudrait harmoniser aussi la définition des déchets. Ainsi, les sous-produits de filtrage et lavage des fumées (REFIOMS) sont considérés en Allemagne comme un produit, utilisé comme ciment, avec de très bons résultats, alors qu'en France ils sont considérés comme un déchet et nous les enfouissons.
Nous souscrivons évidemment à l'objectif de zéro déchets recyclables en décharges. La directive visait les déchets municipaux ; or les déchets ménagers comportent une part importante de déchets non recyclables.
En ce qui concerne la valorisation énergétique, nous avons ciblé les installations qui ont des rendements supérieurs à 60 % pour leur fixer un objectif de 70 % en 2030.
M. Pierre Médevielle. - Les REFIOMS ont une forte teneur en métaux lourds. Leur utilisation parait problématique...
M. Claude Kern, auteur de la PPRE. - En effet ! Il existe un contrôle. Quand le taux de métaux lourds est trop élevé, ils sont refusés.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement n° 1 inscrit formellement le principe de proximité dans la proposition de résolution européenne. Il est important d'assurer une gestion des déchets aussi proche que possible de leur point de production afin de favoriser le développement d'une économie circulaire territorialisée.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Avis favorable. L'encouragement au développement d'une économie circulaire est conforme aux objectifs définis par la loi de juillet 1992 relative à l'élimination des déchets, qui entendait favoriser la gestion de proximité des déchets, pour diminuer leur transport et créer des emplois non délocalisables.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement n° 2 supprime l'alinéa 14 qui va à l'encontre de la hiérarchie vertueuse définie par les textes européens pour la gestion des déchets. Placer la valorisation énergétique au même plan que la valorisation matière est difficilement compatible avec la finalité de la politique des déchets qui est leur réduction.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Avis défavorable. Les auteurs de la PPRE n'ont pas entendu faire de la de valorisation énergétique un objectif en soi de la politique des déchets. Ils souhaitent simplement l'encourager.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
Mme Annick Billon, rapporteure. - L'amendement n° 4 insère un alinéa après l'alinéa 22 pour inviter la Commission européenne à définir la notion de déchet recyclable, afin de garantir une application harmonisée de l'interdiction de mise en décharge à horizon 2025. Pourraient, par exemple, être considérés comme des déchets recyclables les déchets collectés en vue d'être valorisés, notamment au travers des filières REP.
Mme Annick Billon, rapporteure. - L'amendement n° 5 supprime la fin de l'alinéa 28. L'obligation d'incorporation de 50 % de matières recyclées serait particulièrement difficile à contrôler. Pour certains produits qui se recyclent très bien, comme l'acier, il faudrait créer un système très lourd de traçabilité, tandis que, pour d'autres produits, cette obligation serait quasiment impossible à remplir. De plus, si une taxe européenne sur les produits non recyclables a le mérite de frapper également les produits importés, sa mise en oeuvre nécessiterait l'unanimité des États membres, piste inenvisageable à ce jour. En outre, cette taxe s'apparenterait, en pratique, à une taxe sur la consommation ou à une hausse de TVA. Privilégions les dispositifs incitatifs pour responsabiliser davantage les acteurs économiques.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement n° 3 est identique.
M. Jean-Jacques Filleul. - Ces amendements suppriment l'objectif d'incorporation de 50 % de matière recyclée dans les biens mis sur le marché et la taxe sur les produits non recyclables. Les objectifs fixés sont sans doute ambitieux. Nous aurions aimé avoir un éclairage du gouvernement...
Mme Évelyne Didier. - Il est peu probable que le débat ait lieu en séance.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous nous abstenons.
Mme Chantal Jouanno. - Je m'abstiens : il m'est impossible d'arbitrer entre deux membres de mon groupe...
Les amendements identiques n° 5 et n° 3 sont adoptés.
La commission adopte la proposition de résolution ainsi modifiée.
La réunion est levée à 17h25
Mercredi 3 décembre 2014
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Audition de Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, Commissaire générale à l'égalité des territoires (CGET)
La commission entend Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, Commissaire générale à l'égalité des territoires (CGET).
La réunion est ouverte à 9h30.
M. Hervé Maurey, président. - Madame la Commissaire générale, nous sommes très heureux de vous accueillir devant notre commission renouvelée. C'est la première fois que vous venez au Sénat depuis votre prise de fonctions le 1er juin dernier. Nous avions déjà reçu Éric Delzant l'année dernière, qui nous avait exposé la préfiguration du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Vous comprenez donc que nous sommes impatients de vous entendre.
Vous le savez, les problématiques d'aménagement du territoire sont tout à fait essentielles pour le Sénat et c'est notre commission du développement durable et de l'aménagement du territoire qui a pour mission d'en suivre la conception et la mise en oeuvre.
Or notre commission est déçue, nous l'avons dit la semaine dernière à la ministre Sylvia Pinel, de constater que l'aménagement du territoire est le parent pauvre de l'action publique. Je dénonce ce phénomène de longue date, tous gouvernements confondus : cela ne date pas de l'alternance de 2012 ! Au contraire, j'avais espéré que ce Gouvernement en ferait une préoccupation forte. Malheureusement, les évolutions sont surtout d'ordre sémantique - l'égalité des territoires au lieu de l'aménagement du territoire. Mais c'est sur le terrain que des changements sont attendus !
Les problèmes sont bien connus : la disparition des services publics, la désertification médicale, la difficulté à désenclaver certains territoires, sans parler de la couverture numérique et en téléphonie mobile.
Quelle est votre feuille de route aujourd'hui, madame la Commissaire générale ? Quelles sont vos priorités ? Sur quoi allez-vous porter vos efforts et avec quels moyens ? On nous parle d'un Comité interministériel de l'égalité des territoires au début de l'année prochaine : cela serait le premier depuis le début du quinquennat. Sa tenue est-elle confirmée ? Quel sera son ordre du jour ?
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, commissaire générale à l'égalité des territoires. - Je vous remercie de m'accueillir. L'égalité des territoires est un vaste projet, déjà dans les termes employés : nous le mesurons chaque jour ! Le CGET a pris souche le 1er juin dernier, à l'issue de son décret constitutif publié fin mars et de son arrêté organisation sorti le 31 mai. Il regroupe trois structures administratives qui traitaient auparavant des enjeux territoriaux : la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), le secrétariat général du comité interministériel des villes (SGCIV) et l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé).
Cette opération a connu une nouvelle étape ce 1er décembre, avec le déménagement des trois sites sur un site unique en Seine-Saint-Denis. Cela change la réalité quotidienne des 300 personnes qui sont désormais regroupées dans une tour jouxtant la grande tour Pleyel. En dehors du personnel déconcentré de l'ex-Datar, qui n'a pas vocation à nous rejoindre sur le nouveau site, il reste encore une douzaine d'agents de l'ancienne ACSé à rapatrier : ils assurent encore pendant un an la jonction, dans la mesure où nous n'avons pas été capables de basculer dans les délais impartis sur le système Chorus.
Le CGET comporte trois directions : une direction de la ville et de la cohésion urbaine, une direction des stratégies territoriales et une direction du développement des capacités des territoires. Il assure trois missions transversales : une mission « contractualisation et partenariats territoriaux », dont la responsable est Caroline Larmagnac, assise à mes côtés, en charge notamment des contrats de plan État-régions (CPER) ; une mission « affaires européennes », pour la gestion des fonds européens, et une mission de coordination de l'action interministérielle et sectorielle.
La direction des stratégies territoriales est au croisement de l'ensemble des réflexions en lien avec les territoires, qu'il s'agisse des quartiers prioritaires de la ville ou des territoires ruraux en difficulté. Bien que les problématiques soient différentes, on doit pouvoir user des mêmes observations et des mêmes outils dans un grand nombre de cas. Les enjeux de service publics, de proximité, d'adaptation, de mutualisation, de couverture numérique, se posent de manière différente selon la densité des territoires, mais doivent être appréhendés de manière analogue pour faire progresser nos interlocuteurs.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, les termes sont sensibles : l'égalité des territoires a une forte connotation politique, mais n'en est pas moins complexe. Elle renvoie à une analyse des inégalités, de leurs facteurs et des effets des politiques publiques, qui peuvent les compenser ou parfois les accentuer. Pour cette raison, le CGET a trois grandes responsabilités.
La première est de devenir le référent de l'observation de l'inégalité sur les territoires. Les décideurs n'ont pas nécessairement une vision croisée des effets des politiques publiques sur les territoires. Nous devons donc conforter le capital de connaissances et d'observations de l'ex-Datar et de l'ex-CIV pour produire ces analyses.
La deuxième consiste à faire en sorte que l'État soit un acteur reconnu et compris par les collectivités territoriales, qui s'articule correctement avec elles sur le terrain. Il s'agit de développer ensemble des études, de procéder à une co-évaluation des dispositifs, comme les CPER ou les fonds structurels.
Enfin, la troisième est de conforter notre rôle interministériel. Nous sommes certes rattachés au Premier ministre, mais cette dimension ne va pas de soi pour nos interlocuteurs dans l'administration centrale ou locale. Nous devons faire en sorte que nos alertes sur l'impact territorial des politiques publiques soient prises en compte. Cela implique d'être vigilants en permanence et de construire une légitimité.
Nous sommes directement en charge d'un certain nombre de politiques, lorsque la prise en charge de droit commun ne suffit pas à résoudre certains problèmes spécifiques. Nous veillons à ce que les crédits spécifiques n'entraînent pas d'effet d'éviction des crédits de droit commun, toujours dans une logique interministérielle. C'est notamment le cas de la politique de la ville, du développement des maisons de services au public, et d'un certain nombre de dispositifs d'aménagement du territoire.
Enfin, deux fonctions jouent un rôle essentiel dans cette dimension interministérielle. Il s'agit, d'une part, de la coordination des CPER : certes, nous portons les fonds directs du FNADT, mais ils sont marginaux par rapport aux contributions des différents ministères et des collectivités, mises en commun au service des priorités que sont l'emploi, l'innovation, la croissance durable et intelligente. Il s'agit, d'autre part, des fonds structurels européens dont nous assurons également la coordination. Deux décisions sensibles ont été prises pour nos régions : au moins 10 % de nos fonds FEDER et FSE iront au développement urbain et plus de 20 % de la dotation française du FSE seront consacrés aux jeunes et à la politique inclusive de l'emploi. Ces décisions témoignent d'une volonté d'aller au plus près des territoires.
M. Hervé Maurey, président. - Que pouvez-vous nous dire sur le comité interministériel à l'égalité des territoires ?
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, commissaire générale à l'égalité des territoires. - Je vous confirme que ce comité se réunira en début d'année prochaine. L'ordre du jour n'est pas encore défini, mais il devrait être resserré autour de cinq à dix grandes actions, en lien en particulier avec les priorités identifiées au cours des Assises des ruralités.
M. Jean-Jacques Filleul. - Prenez-vous part à la réflexion sur les projets qui vont être proposés par le Gouvernement, dans le cadre du plan d'investissement de 315 milliards d'euros annoncé par Jean-Claude Juncker ? Où en est le recentrage de la prime d'aménagement du territoire (PAT) sur les PME ? Quel est l'avenir des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ?
En ce qui concerne les pôles d'excellence rurale (PER), beaucoup de membres de la commission ont fait valoir leur utilité au cours du débat budgétaire. La ministre Sylvia Pinel nous a annoncé qu'il n'y aurait pas de troisième génération de PER et que la logique contractuelle serait favorisée. Quelle est votre analyse de ce dispositif ?
Je salue la belle initiative lancée pour la revitalisation des centre-bourgs. J'ai trois lauréats dans mon département d'Indre-et-Loire et je m'en félicite : les maires ne s'y attendaient pas et ils ont été très contents ! Cependant, beaucoup d'autres aimeraient bien en profiter. Quel est l'avenir de ces crédits ?
Le débat sur les inégalités est complexe : il ne faut pas confondre uniformité et égalité des territoires. Le rapport d'Alain Bertrand a mis en évidence un phénomène d' « hyper-ruralité ». Comment prenez-vous cette analyse en compte ?
M. Alain Fouché. - Vous avez évoqué les maisons de services publics. À une époque, on avait envisagé des maisons de l'emploi : cela n'a pas fonctionné, le dispositif a été retiré. En Poitou-Charentes, j'ai suivi la mise en place d'une maison de services publics près de Poitiers il y a trois ou quatre ans. Cela avait été très difficile car le préfet ne voulait pas en entendre parler. Maintenant, on décide de renforcer cette politique. Quels moyens financiers lui sont adossés ? Pour l'instant, le financement provient du pays, de la région, du département et un peu de l'Europe.
Comment s'articule l'égalité des territoires avec la fusion des régions ? Le Poitou-Charentes fusionne avec le Limousin et l'Aquitaine. Actuellement nous avons trois rectorats et trois cours d'appel, mais que va-t-il se passer ensuite ? Les habitants de Poitiers s'inquiètent sur la valeur de leur ville et l'évolution de l'immobilier. Comment comptez-vous assurer l'égalité des territoires dans ce cadre ?
M. Benoît Huré. - Je suis très préoccupé par l'aménagement du territoire, c'est même cela qui m'a poussé à m'engager dans la vie publique. Nous entendons aujourd'hui un discours qui n'a pas été tenu depuis fort longtemps : je souhaite que votre capacité à gérer l'interministériel soit forte ! Je vais même à rêver que vous puissiez connaître un jour le succès de l'un de vos prédécesseurs chargé d'aménagement du territoire, qui était tout simplement un « Premier Ministre bis ». Aujourd'hui, il n'y a pas besoin de chercher loin pour découvrir des fractures territoriales, en milieu rural comme à l'intérieur des villes.
Votre volonté de travailler de façon différenciée d'un espace à l'autre du territoire me convient très bien. D'autant plus que les grandes régions n'apporteront rien en matière d'aménagement du territoire, au contraire. Les inégalités territoriales ne font que s'accroître. Je ne crois pas à la solidarité horizontale entre régions. Je crois davantage à la solidarité verticale organisée par l'État. Je suis donc rassuré par la volonté de mener une politique presque régalienne en ce sens.
J'ai également entendu que vous souhaitez mobiliser les moyens financiers de manière globale, en intégrant notamment les fonds européens dans la transversalité de vos approches. Je voudrais m'assurer que l'on se situe bien dans une approche « coûts humains » adaptée à chacun des territoires : il faut trouver le bon niveau de collectivité pour mener chaque projet. Au final, quelles seront vos marges de manoeuvre financières ?
Mme Évelyne Didier. - Diriez-vous que la nouvelle configuration du CGET correspond à la mutation qui est en train de se produire à travers les différents textes dont nous sommes saisis, notamment la loi sur la délimitation des régions qui vient d'être adoptée et le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ? Estimez-vous que vous êtes d'abord un outil au service de l'État et des ministères, ou plutôt un outil au service des territoires ?
Enfin, on sait que certains territoires sont plus égaux que d'autres. Certains élus sont particulièrement bien informés des différends fonds et dispositifs qui existent, et des manières d'obtenir des subventions. L'égalité des territoires doit aussi passer par une égale information de l'ensemble des élus, si petits soient-ils. Certains dossiers de qualité n'ont pas pu aboutir faute d'appuis politiques ou de soutien par les services des ministères. C'est l'un des aspects de l'inégalité des territoires !
M. Louis Nègre. - De quels moyens financiers disposez-vous ? C'est un sujet délicat par les temps qui courent. Il serait intéressant de voir si la mutualisation des services vous permet de dégager davantage de marges de manoeuvre.
J'aurais également souhaité avoir quelques exemples d'actions sur les territoires. Vous vous occupez, je crois, de politique de la ville. Je ne suis pas satisfait des résultats dans ma commune. Elle a été sortie des dispositifs car considérée comme trop riche. Je vous invite à venir voir la prétendue « grande richesse » de mon centre-ville !
Par ailleurs, quelles sont vos relations avec la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU) ?
Autre question : que pensez-vous du rapport de la Cour des comptes sur la grande vitesse ferroviaire ? Il y est écrit que « les Français, dans leur ensemble, souhaitent la poursuite de l'agrandissement du réseau, au motif que la grande vitesse ferroviaire contribuerait à l'égalité entre les territoires et favoriserait le développement économique desdits territoires ». Partagez-vous la même analyse sur le TGV ?
Enfin, quelles conséquences de la fusion des régions sur l'aménagement du territoire ? Cela vous paraît-il aller dans le bon sens, d'un point de vue technique et non politique ?
M. Hervé Maurey, président. - Sur la question de la politique de la ville, il y a eu un changement par rapport aux zones éligibles à la dotation de solidarité urbaine. Le dispositif mis en place va à l'encontre de la mixité. On considère aujourd'hui le revenu moyen d'un quartier. Au-dessus d'un chiffre établi par les pouvoirs publics, on est privé du bénéfice de cette politique. Dans ma ville, deux quartiers bénéficiaient jusqu'à présent de ces dispositifs. Dans l'un d'eux, certaines personnes sont en grande difficulté, mais il y a aussi des gens qui sont au-dessus du seuil défini : cela a fait basculer ce quartier en dehors des bénéfices de la politique de la ville.
Mme Annick Billon. - Nous avons pu constater que vos missions sont extrêmement larges : aménagement du territoire, cohésion sociale, égalité des territoires, assises de la ruralité. Ces sujets balaient des compétences qui vont de l'urbanisme à l'emploi. Comme pour les subventions et les recherches de fonds, n'y aura-t-il pas une difficulté à savoir qui fait quoi et quels sont les objectifs de votre structure ? Avez-vous des objectifs en termes d'emploi, d'infrastructures ? Y a-t-il eu un état des lieux actuel sur les besoins des différents territoires ? Des zones ressortent-elles comme prioritaires ?
Vous avez évoqué l'action que vous pouvez avoir au niveau du gouvernement. Votre mission est transversale et concerne un certain nombre de ministères. Quels seront vos outils pour peser sur ces ministères ?
Les territoires ont souvent des difficultés à accéder à des aides, faute de connaissance.
M. Gérard Miquel. - Je vous remercie pour votre présentation. Vous avez une lourde charge. J'ai été très favorable au regroupement des trois structures ; la coordination permettra un travail plus rationnel.
Nous assistons depuis plusieurs années à une dégradation de l'égalité des territoires. Nous avons appliqué une politique très libérale dans certains domaines. Dans nos territoires ruraux, de grandes entreprises de service public desservaient tous les secteurs, jusqu'aux plus reculés. Téléphone, SNCF, la Poste : tout ceci fonctionnait bien. Rentabilité oblige, les choses se sont considérablement dégradées, parfois avec la contribution du législateur. Nous avons voté un texte qui oblige les opérateurs numériques à desservir les grandes agglomérations et laissant le reste des collectivités se débrouiller, sans moyens correspondants. Quelles sont vos relations avec les grands opérateurs d'aménagement du territoire ?
Mon département est très mal desservi au niveau ferroviaire. La ligne Paris-Toulouse, autrefois la plus belle, voit circuler des trains complètement dégradés. Elle a été abandonnée pour le tout TGV. Avez-vous, avec ces opérateurs de services au public, des relations vous permettant d'étudier comment réorienter certaines de leurs politiques ? La proximité est indispensable. Les réponses apportées ne peuvent être les mêmes partout.
Mme Nicole Bonnefoy. - Quels ont été les critères retenus dans le cadre de l'appel à projets centres-bourgs ?
M. Jérôme Bignon. - Je souhaiterais saluer le titre que vous portez et vous dire mon admiration pour l'ambition de cette mission. Certains d'entre nous reviennent de campagnes électorales. Nous sommes rentrés avec un certain effarement sur les inégalités des territoires. Je suis élu depuis trente-quatre ans : j'ai vu les inégalités s'accroître pour la ruralité.
Prenons l'exemple du haut débit. On encourage à faire de la télémédecine mais on n'a pas le débit suffisant pour le faire. On dit aux gens de venir en ville, où les services sont concentrés, mais il n'existe pas de transports collectifs pour y venir. Quand on regarde les budgets, la péréquation fiscale s'exerce de façon insupportable pour les communes rurales. Dans mon département, il y a 782 communes, dont 761 de moins de 3 500 habitants et 500 de moins de 500 habitants. Nous connaissons toutes les désertifications : médicale, scolaire, services publics et privés. L'habitat est insalubre dans beaucoup d'endroits. Les populations n'ont accès qu'à des bouts de culture. Le sentiment d'abandon n'est pas un vain mot.
C'est pour cette raison que je salue votre nouvelle responsabilité. J'espère que vous aurez les moyens de cette ambition. Je formule donc des voeux de réussite parce qu'il y a là un vrai et magnifique enjeu.
M. Hervé Maurey, président. - Je m'associe aux voeux de Jérôme Bignon, d'autant plus que je partage son constat. La campagne électorale a conforté ce que j'ai toujours exprimé lors de mon précédent mandat sur le mal-être grandissant des territoires qui ont le sentiment, malheureusement pas infondé, d'être abandonnés. La mise en place des rythmes scolaires n'a fait que creuser les inégalités, entre des territoires qui peuvent faire correctement les choses et ceux qui ne pourront pas. Je l'avais d'ailleurs dit à Cécile Duflot. Non seulement l'égalité des territoires n'a pas progressé depuis la mise en place du gouvernement, mais elle a même fortement régressé, notamment sur ce dossier des rythmes scolaires.
M. Jacques Cornano. - Concernant les missions des trois directions d'administration centrale, et notamment la direction de la ville et de la cohésion urbaine, qui conçoit la politique au niveau national et l'animation de son application dans les régions et départements, j'aurais souhaité qu'on prenne en compte le caractère archipélagique de certaines régions d'outre-mer. Je pense notamment à une action mise en place à Pointe-à-Pitre et les Abymes en Guadeloupe. À Marie-Galante, quand nous avons souhaité mettre en place cette politique, cela n'a pas été possible. Quand on parle de réduction des inégalités territoriales, pensons au caractère archipélagique insulaire.
Mme Nelly Tocqueville. - Je suis très intéressée par les propositions que vous faites, notamment sur l'intérêt qu'il y a à regrouper ces trois structures. Je suis maire d'une commune de 800 habitants. Je suis un peu inquiète quant au tableau désespérant que l'on dresse de la ruralité et de l'hyper-ruralité. Certes, il y des difficultés ; il y a aussi beaucoup de vitalité et d'initiatives intéressantes, qui pourraient quelquefois inspirer des territoires plus urbains. En Seine-Maritime, nous avons plus de 700 communes dont la majorité est rurale. Il serait souhaitable que les élus de ces communes rurales soient informés des possibilités qui leur sont offertes de bénéficier d'aides financières ou stratégiques pour améliorer leur aménagement et répondre aux besoins de leurs habitants.
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, commissaire générale à l'égalité des territoires. - Nous sommes tous convaincus que la tâche est passionnante et difficile. Je ne voudrais pas me payer de mots auprès de vous qui voyez la réalité tous les jours. Il nous faudra sans doute à la fois faire du cousu-main et choisir les axes prioritaires qui pourront progressivement faire basculer les choses.
Les enjeux sont lourds. Nous avons un rôle à assumer en interministériel. Il nous faut continuer de construire et améliorer notre capital d'analyse et donner les arguments permettant de réorienter le cas échéant des politiques. Il a été parfois reproché à la DATAR de mettre à disposition des éléments, sans dire ou conseiller. Je souhaiterais que nous soyons en mesure de prendre des positions cibles sur certains sujets afin de faire avancer nos interlocuteurs ministériels. L'enjeu est aussi, dans une République décentralisée, de conseiller les collectivités impliquées, à tous les niveaux. Ce sujet renvoie à notre capacité de partager l'information et l'ingénierie. L'ingénierie est un gros dossier que nous amorçons maintenant. Les nouvelles technologies nous permettent d'envisager ce chantier plus simplement qu'avant, avec la couverture numérique nécessaire. Cela nous facilite le partage. Il nous faut avoir du contenu et de la compétence dans l'observation, le conseil et l'ingénierie pour plus influer sur l'orientation des politiques publiques.
Concernant les grandes régions, la DATAR avait porté une réflexion sur ce sujet. Dans le débat européen, cette question était apparue assez pertinente. Ces grandes régions impliquent une réflexion sur l'organisation territoriale de l'État. Je participe au groupe de travail entre les directeurs de cabinet et les secrétaires généraux des ministères pour avancer dans cette réflexion, dont je pense pour ma part qu'elle a besoin d'être en lien avec les travaux en cours notamment dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Il faut que l'État s'adapte. Il n'y a pas nécessairement volonté de regrouper toutes les académies au niveau des grandes régions. Ces questions sont aujourd'hui ouvertes. Le maillage du réseau de représentation de l'État doit s'adapter, sans pour autant s'uniformiser. De la même manière, l'État doit jouer son rôle de conseil et d'ingénierie. Le CGET a sa part dans la réflexion, en lien avec les associations d'élus, et d'autres comme la FNAU. Nous sommes partie prenante de ces associations, qu'il faut essayer de faire évoluer. Nous devons éviter d'avoir des tuyaux d'orgue et favoriser les ponts nécessaires.
Sur le fonds Juncker, nous avons participé à la réflexion et nous avons identifié des projets de grande taille, comme le port de Calais ou le numérique. L'Allemagne n'a pas contribué à cette réflexion. Dans la démarche, il s'agissait d'indiquer les projets attendus afin de déterminer les principes à décliner ensuite. La liste de projets n'est qu'indicative.
Par rapport aux grands opérateurs, dès lors qu'ils sont porteurs de services publics dans les territoires, nous sommes souvent en convention avec eux pour identifier et assurer la prise en compte des territoires. Sur la SNCF, le sujet des trains d'équilibre du territoire est majeur. La convention a été prolongée d'un an, la commission Duron s'y attelle. Nous contribuons à cette réflexion afin de maintenir l'engagement de l'État et de la SNCF sur ces trains, qui nous paraissent permettre un équilibre.
Concernant les propos de la Cour des comptes, nous sommes dans une contrainte de gestion et de coût de ces investissements. Les coûts de gestion sont peut-être supérieurs à ce qu'on avait envisagé. Chaque fois que des choix locaux sont faits, la question est posée de la prise en charge par les régions du coût de gestion des transports correspondants. Ce partage mérite d'être élucidé dans la mesure où il est encore confus. Il faudra peut-être remettre en cause certaines lignes LGV quand elles ne sont pas compatibles avec des arrêts fréquents en termes de coûts de gestion.
Sur la Poste, il y a beaucoup de réflexion actuellement compte tenu des évolutions lourdes du courrier, qui modifient l'ensemble du modèle économique de la Poste. Le CGET est très soucieux de ses engagements sur les territoires. Les maisons de service au public sont un enjeu. La Poste nous a proposé d'aller plus loin dans le portage des nouvelles maisons de service au public. Le réseau postal local est bien implanté avec 17 000 points de contact. Nous avons tout intérêt à confirmer ces points locaux par une meilleure mutualisation en diversifiant privé et public. J'ai rendu visite cet été aux grands directeurs d'opérateurs sociaux : Pôle Emploi, CNAM, CNAF, MSA. Tous sont très convaincus que les contraintes existent, mais que le numérique introduit des changements profonds : on ne recouvre pas ses droits de la même manière, du fait d'un effet générationnel progressif. Certaines populations, qui ne font pas partie de ces générations ou qui n'ont pas accès au numérique, doivent pouvoir accéder à un réseau mutualisé entre opérateurs avec ces maisons de services au public portées par les collectivités locales.
Les opérateurs sont rentrés dans cette réflexion collective. La Poste doit nous garantir la couverture numérique de ces sites. Il s'agit de permettre un accès à l'ensemble des informations sur les droits sociaux, l'accompagnement, le téléchargement de dossiers, voire l'organisation de rendez-vous. Dix millions d'euros de crédits sont prévus dans le triennal 2015-2017 pour ces maisons de service au public, dites de « nouvelle génération ». Nous avons d'ores et déjà conventionné avec la Caisse des dépôts pour assurer le pilotage et l'animation de ce réseau et effectuer un reporting approfondi des différentes maisons. Un travail plus outillé est ainsi engagé pour construire la cohérence et l'image de ce réseau et pour pouvoir en même temps en assurer un suivi précis.
Sur la question des opérateurs numériques, nous sommes aussi très présents, en lien avec le cabinet de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. Nous sommes vigilants car l'accord sur le téléphone fixe est fragile : nous devons être sûrs que les engagements des opérateurs privés seront tenus pour ne pas étendre le champ des responsabilités publiques, déjà lourd. Le « plan numérique » est engagé dans environ soixante-dix départements. Une quinzaine sont encore en attente et nous souhaitons appuyer la réflexion et la stratégie numérique de ceux qui ne seraient pas encore prêts pour tenir le cap de 2022, prévu en matière d'infrastructures numériques. Concernant les zones blanches et grises de téléphonie mobile, il faut là aussi combiner les outils. De meilleurs échanges sont nécessaires en la matière : certaines collectivités répugnent parfois à appuyer des logiques d'antennes et nous pouvons les aider dans cette compréhension.
Pour en venir sur un autre sujet sur lequel vous m'avez interrogée, nous sommes heureux de la bonne compréhension du dispositif de revitalisation des centres-bourgs. Il est financé, pour 2014, à hauteur de 15 millions d'euros de notre côté, à hauteur de 15 millions d'euros par des aides à la pierre et à hauteur de 200 millions d'euros par l'Agence nationale de l'habitat, car l'enjeu concernait vraiment la réhabilitation de l'habitat ancien. Nous pensons que c'est une bonne opération mais nous n'avons pas de crédits pour le reconduire dans les années à venir. Les assises de la ruralité nous ont incités à trouver des solutions pour y remédier, peut-être en croisant là encore des co-financements, mais sans doute avec des critères un peu différents, c'est-à-dire pas forcément uniquement liés à la réhabilitation de l'habitat ancien. Nous souhaitons aussi que ceux qui n'auraient pas été retenus pour bénéficier de ce dispositif soient accompagnés.
Vous m'avez interrogée sur la prime d'aménagement du territoire (PAT) et sur les petites et moyennes entreprises (PME). C'est un dispositif nouveau, puisqu'il est entré en vigueur lors de la dernière commission interministérielle d'aide à la localisation des activités (CIALA). De fait, cette nouvelle « PAT Industrie et Services » oriente davantage vers les PME : les aides sont modulées différemment. J'ajoute que les flux sont similaires en 2013 et 2014.
Concernant les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), là aussi, les ministres sont déterminés à relancer un nouvel appel d'offres mais il n'y a pas de crédits fléchés aujourd'hui sur ce dispositif. Nous devons trouver les moyens de conserver cette mobilisation intelligente, qui conduit à développer les outils locaux en lien avec les formations, les universités, pour s'appuyer sur la vitalité existante, comme vous l'avez dit.
Mme Caroline Larmagnac. - Les engagements pris sur les pôles d'excellence rurale ont été tenus et le sont toujours puisque tous les projets sélectionnés lors des vagues successives de labellisations sont financés. Dans le budget 2015, nous avons prévu 27 millions d'euros de crédits de paiement pour finir de financer les investissements qui sont prévus dans les projets lauréats. Il n'est en revanche pas envisagé de lancer une nouvelle vague de labellisation de pôles d'excellence rurale, d'abord parce que nous n'avons pas les crédits nécessaires et ensuite parce qu'aujourd'hui, les orientations ont un peu évolué. L'enjeu très fort de revitalisation des centres-bourgs est peut-être prioritaire par exemple.
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy. commissaire générale à l'égalité des territoires. - Toute la difficulté de la fonction c'est de ne pas reproduire un schéma régalien. Notre responsabilité est de faire que la dynamique de réflexion et d'ingénierie soit partagée entre l'Etat et les collectivités. Sur le bon niveau de collectivité, vous avez sans doute plus de clés que moi. Nous avons en revanche oeuvré pour l'intercommunalité et les EPCI. Nous avons répondu de manière théorique, puis pratique : passer de deux mille à mille EPCI en France est une ambition qui nous paraît raisonnable. Cela peut se concevoir en deux temps. Dans un premier temps, si l'on regarde les bassins de vie définis par l'Insee, liés à des équipements, on trouve une « nucléarité » correspondant à cette notion. On sait en revanche que ce n'est pas adapté aux « territoires vécus ». Il faut donc un outil de simulation partagé, tenant compte des trajets domicile-travail et des ruptures existantes. Nous pensons que cette donne est accessible. En théorie, il y a des limites liées au nombre de communes qui pourraient intégrer un EPCI, autour de 120, mais nous devons aussi tenir compte de modalités intermédiaires, comme le fonctionnement des conseils d'intercommunalité. Il y a des exceptions, dans des territoires montagneux par exemple, mais cela ne doit pas conduire à dire qu'il faut forcément rester au seuil de 5 000.
M. Hervé Maurey, président. - Vous avez bien fait, madame la commissaire générale, de ne pas tenir ces propos dans votre introduction car les questions auraient été plus nombreuses et peut-être formulées sur un ton moins consensuel.
Le constat est fait depuis longtemps : j'ai donc du mal à comprendre que l'on continue à se livrer à un certain nombre de concertations, si ce n'est pour gagner du temps. Pourquoi la ministre en charge du numérique lance-t-elle une concertation sur le numérique alors que tout le monde sait très bien quels sont les besoins ? Pourquoi lance-t-on des assises de la ruralité alors qu'il y en a déjà eu un certain nombre ? Pourquoi faire un rapport sur la téléphonie mobile alors qu'on connaît très bien la situation ?
Deuxième remarque, vous avez largement évoqué les problèmes budgétaires pour justifier le fait que les dispositifs que sont les pôles d'excellence rurale, les pôles de compétitivité ou encore les grappes d'entreprises ne soient pas reconduits. Je suis pourtant convaincu que certaines mesures qui ne coûtent pas un centime pourraient être prises en matière d'égalité des territoires : cela s'appelle la régulation, et elle nécessite un peu de courage politique. Il est ainsi possible de faire de la régulation en matière de couverture numérique des territoires. Les gouvernements successifs, quel que soit leur bord, ont laissé les opérateurs faire ce qu'ils voulaient, sans leur imposer la moindre obligation d'aménagement du territoire. C'est exactement la même chose sur les problèmes de désertification médicale : cela ne coûterait pas un sou de réguler l'installation des médecins ; au contraire, cela rapporterait de l'argent, dans la mesure où il y aurait un peu moins de médecins dans les zones surdotées, contraints à facturer plus d'actes que ceux qui sont strictement nécessaires. Je suis convaincu qu'en matière d'aménagement du territoire, on a plus besoin de courage que d'argent.
Vous évoquiez la téléphonie mobile. Aujourd'hui, certains territoires sont dans des situations sans aucun espoir. C'est le cas dans mon département, qui est un des rares territoires où le Conseil général a refusé de signer la convention de résorption des zones blanches. Certains territoires n'ont donc aujourd'hui aucune perspective en matière de téléphonie mobile : l'État ne s'en occupe plus et les opérateurs n'y vont pas, même dans les cas où certaines collectivités locales étaient prêtes à financer un pylône avec des concours de l'État. Cela pose de sérieux problèmes en termes de sécurité et d'attractivité du territoire.
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy. commissaire générale à l'égalité des territoires. - J'agrée parfaitement avec les points que vous évoquez. J'ai d'ailleurs une expérience antérieure qui m'aide à comprendre exactement ce que vous dites. J'ai été directrice générale des services de Lille métropole pendant cinq ans et j'aurais aimé moi aussi qu'il y ait plus de coercition ...
M. Hervé Maurey, président. - J'ai parlé de « régulation », c'est plus politiquement correct...
Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy. commissaire générale à l'égalité des territoires. - ... mais c'est une régulation en l'occurrence qui doit être coercitive. Nous devons effectivement être vigilants sur les engagements des opérateurs. Je comprends votre interrogation sur la nécessité d'une infrastructure publique totale, laissant uniquement les services aux opérateurs. Mais financièrement, je crois que l'État n'était pas en mesure de tout porter. Sur la désertification médicale, vous savez sans doute que j'étais cheffe de l'Inspection générale des affaires sociales pendant plus de six ans. Ce sujet n'est pas nouveau et je crois que la Ministre en charge de l'égalité des territoires, Mme Pinel, est très volontariste pour avancer sur ce dossier et que le Premier ministre a bien entendu ces messages. Vous connaissez les difficultés. On constate chez les médecins, plus de femmes, plus de spécialités et moins de généralistes et on a du mal à les orienter. Je pense pour ma part qu'il faut mettre des obligations de durée de fonction en lien avec les études. Mais nous sommes en phase avec les orientations que vous exprimez.
M. Hervé Maurey, président. - Merci d'avoir pris le temps de répondre le plus complètement possible à toutes nos questions. Vous l'avez compris, ces questions dépassent pour nous les clivages politiques et nous y serons toujours très attentifs et prêts à vous apporter notre soutien.
Rapport public thématique relatif à la grande vitesse ferroviaire - Audition de MM. François-Roger Cazala, Arnold Migus, Paul-Henri Ravier et André Le Mer, conseillers maîtres à la Cour des comptes
La commission procède à l'audition MM. François-Roger Cazala, Arnold Migus, Paul-Henri Ravier et André Le Mer, conseillers maîtres à la Cour des comptes, sur le rapport public thématique relatif à la grande vitesse ferroviaire.
M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui MM. François-Roger Cazala, Arnold Migus, Paul-Henri Ravier et André Le Mer, conseillers maîtres à la Cour des comptes, pour le rapport publié au mois d'octobre, dont le titre se suffit à lui-même : « La grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence ».
Le titre démontre qu'il s'agit d'un rapport sans complaisance, dans lequel vous soulignez que le processus de décision qui a prévalu a conduit inéluctablement à la réalisation de lignes nouvelles, politique du « tout TGV » que vous regrettez et que vous dénoncez. Vous émettez également un certain nombre de réserves sur le bilan économique, mais aussi environnemental du TGV.
Bien entendu - nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer - la SNCF a aujourd'hui de moins en moins la capacité de répondre aux besoins de maintenance de son réseau et de ses équipements.
Vous soulignez aussi que la rentabilité des TGV a diminué. Vous comprendrez que notre commission, chargée de l'aménagement du territoire, n'est pas convaincue que la rentabilité soit le seul critère à observer. Sans doute la commission des finances aurait-elle une autre approche, mais je ne doute pas que vous allez nous préciser tout cela...
Vous établissez, à partir de ce constat, un certain nombre de propositions, mais elles ne sont pas toutes consensuelles, comme le nombre d'arrêt des lignes TGV.
M. François-Roger Cazala, conseiller maître. - Nous sommes très honorés de pouvoir présenter devant votre commission le résultat des travaux que la Cour des comptes a entrepris depuis deux ans sur le thème de la grande vitesse ferroviaire, et sur la pertinence actuelle de ce mode de transport. Il me revient de le faire en tant que président de la section transports de la VIIe chambre, et d'excuser Mme Évelyne Ratte, présidente de ladite chambre, qui n'a pu se libérer pour cette présentation.
Je suis entouré par Arnold Migus, conseiller maître et corapporteur de ce travail, Paul-Henri Ravier, conseiller maître et contre-rapporteur, ainsi qu'André Le Mer, conseiller maître et responsable du secteur ferroviaire et urbain au sein de la section transports. Il manque Valérie Bros, conseiller référendaire et co-rapporteur de ce travail, qui a récemment quitté la Cour des comptes pour un autre destin professionnel.
Ce document, qui a été publié le 23 octobre dernier, fait suite à un travail d'instruction assez long, dont le produit a suivi les procédures standards de la Cour : d'une part, un processus dit de contradiction avec les principaux protagonistes concernés, d'autre part un processus d'examen collégial en différentes étapes, garantissant la qualité du travail accompli et sa cohérence.
Dans son rapport de 2008 sur le bilan de la réforme ferroviaire de 1997, la Cour s'inquiétait déjà des perspectives de suréquipement en grande vitesse d'une part, de stagnation voire de régression en matière d'entretien et de maintenance du réseau classique d'autre part, et enfin de l'impasse financière qui se profilait. Ces thèmes et les propositions correspondantes ont réapparu dans les travaux successifs portant sur divers aspects du système ferroviaire.
J'évoquerai tout particulièrement le rapport réalisé à la demande du Sénat sur l'entretien du réseau ferré en 2012, dont M. André Le Mer était le principal artisan. Je voudrais également mentionner le rapport de juillet 2012 sur la situation et les perspectives des finances publiques. La Cour s'y interrogeait publiquement « sur l'ampleur des créations, envisagées dans le schéma national des infrastructures de transport, de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse qui ne sont pas budgétairement soutenables et dont ni la rentabilité financière, ni la rentabilité socio-économique, ni l'intérêt environnemental ne sont établis. » Le présent rapport ne fait pour l'essentiel que développer cette interrogation et s'efforcer d'apporter des explications et quelques pistes pour l'avenir.
Tout ceci témoigne de l'intérêt constant porté par Cour des comptes au thème des risques, financiers ou autres, résultant des choix d'investissement ferroviaires depuis plus d'une dizaine d'années. Le rapport sur la grande vitesse ferroviaire s'insère tout à fait dans cette séquence, les constats qu'il opère étant pleinement articulés et cohérents avec ceux réalisés antérieurement.
Ces constats sont au nombre de trois principaux Tout d'abord, la grande vitesse ferroviaire est aujourd'hui victime de son succès auprès de l'opinion comme des décideurs. Mais son image positive ne doit occulter ni les limites de sa réussite, ni les effets négatifs induits sur le reste du système ferroviaire.
Par ailleurs, le processus actuel de décision conduit à réaliser des lignes à grande vitesse dont la pertinence est parfois contestable, et ce malgré des évaluations socio-économiques préalables dont les conclusions peuvent être prudentes voire négatives.
Enfin, le coût du modèle français de grande vitesse ferroviaire est devenu non soutenable.
Ces constats expliquent le titre du rapport de la Cour : le modèle français de grande vitesse ferroviaire était pertinent d'un point de vue économique, environnemental et financier, mais son succès même l'a porté au-delà de cette pertinence, au point de réduire voire d'abolir cette dernière.
Notre rapport rappelle en premier lieu le considérable succès technologique et commercial qu'a été le TGV en France avec l'ouverture de la ligne Paris-Lyon en 1981, qui a complètement renouvelé l'image du rail dans notre pays où tout poussait alors à la route, avec le développement du réseau autoroutier, ou à l'aérien. Le réseau des lignes à grande vitesse représente aujourd'hui plus de 2 000 kilomètres ; il représentera bientôt 2 700 kilomètres avec l'achèvement des lignes en cours ; il constitue ainsi le deuxième réseau européen et le quatrième mondial. La vitesse maximum y est passée de 270 kilomètres à l'heure à 320 kilomètres à l'heure.
Toutefois, la perception d'un bilan positif de l'investissement dans la grande vitesse ne doit pas occulter les aspects moins brillants de la mise en oeuvre de cette technologie.
La principale caractéristique du système français réside dans le fait que les rames de TGV, conçues pour circuler à grande vitesse, sur des lignes à grande vitesse ouvertes à ce seul trafic, peuvent aussi emprunter le réseau classique. En moyenne, une rame de TGV roule environ 40 % de son temps sur le réseau classique, à la vitesse propre à ce réseau. Cette circonstance est à la fois la cause et la conséquence de la desserte d'un nombre croissant de destinations - plus de 230 au total - composées aussi bien de dessertes intermédiaires que d'arrêts en bout de ligne classiques.
Cette diffusion et cette dissémination s'opposent à la nécessité pour la grande vitesse ferroviaire de remplir les conditions de sa rentabilité, c'est-à-dire de demeurer un transport de masse, compte tenu de l'importance des investissements nécessaires à la construction des lignes et à l'achat de matériel roulant, ainsi que du coût des péages à acquitter. Il devrait s'agir de satisfaire un trafic élevé au moyen de rames de grande capacité remplies à 100 % ou presque. La multiplication des dessertes provoque de moindres fréquences et un parc largement dimensionné dont l'achat, l'entretien et le renouvellement pèsent sur les comptes du système.
Le rapport expose les phases d'extension du réseau grande vitesse, avec un emballement, au début des années 1990, puis à nouveau au début des années 2000, et surtout avec le schéma national des infrastructures de transport, composante transports du Grenelle de l'environnement, qui ne comporte pas moins de quatorze nouveaux projets de lignes à grande vitesse, non financés et sans priorité définie.
La comparaison avec les quatorze autres pays pratiquant la grande vitesse à travers le monde, essentiellement en Europe, permet au moins de tirer une leçon claire : la grande vitesse ferroviaire n'est vraiment compétitive par rapport à l'avion et la voiture que pour des durées de trajet comprises entre une heure trente et trois heures, soit des distances de 350 kilomètres à 600 kilomètres ou 700 kilomètres. C'est ce que l'on peut appeler la « zone de pertinence de la grande vitesse ».
La fréquentation des TGV a crû pendant les trente dernières années de façon parallèle à la mise en service des lignes. Le trafic a atteint 53,8 milliards de voyageurs par kilomètre en 2013, chiffre impressionnant, mais pourtant en décroissance de 0,5 % par rapport à 2012, confirmant ainsi la stagnation du trafic TGV au cours des cinq dernières années. La croissance observée antérieurement s'est faite au détriment des autres trains longue distance - Trains d'équilibre du territoire (TET), Intercités -, dont la fréquentation a été divisée par cinq au cours des trente dernières années.
Dans ce contexte, et malgré l'apport initial du TGV au report modal, le transport de personnes en France, soit 985 milliards de voyageurs par kilomètre en 2013, reste dominé à 88 % par la route, dont la voiture individuelle à 83 %, avec 815 milliards de voyageurs par kilomètre. La grande vitesse, quant à elle, ne concerne que 7 % des voyageurs du réseau ferré, même si, en voyageurs par kilomètre, elle représente 61 % de la fréquentation.
Au demeurant, la longueur moyenne du parcours TGV par voyageur a diminué, passant de 600 kilomètres dans les années 1990 à environ 450 kilomètres depuis le début des années 2000. Ceci traduit la présence d'arrêts intermédiaires en plus grand nombre sur les lignes de TGV les plus récentes.
La stagnation du trafic de la grande vitesse s'explique aussi par les changements de comportements de la clientèle. Seulement un tiers des usagers des TGV l'utilise pour raisons professionnelles ; pour les autres, le prix devient plus important que la durée du trajet.
La clientèle, devenue captive du TGV en raison de la disparition d'un grand nombre de liaisons classiques longues distance cherche désormais à échapper au rail au moyen d'autres modes de transport, devenus des concurrents de la SNCF, au même titre que l'aviation à bas prix. On pense ainsi au covoiturage, à l'autopartage ou à la location, ainsi qu'au transport par autocar, dont le développement est quasi exponentiel, bien qu'il soit encore freiné par l'absence d'ouverture à la concurrence sur les liaisons intérieures interrégionales, tant que ne sera pas adoptée la levée de cette restriction, prévue par le projet de loi présenté dans une semaine devant le Conseil des ministres.
Le développement de la grande vitesse a été aussi justifié par son impact présumé systématiquement positif sur l'environnement, ses effets sur l'économie des zones concernées, et par des préoccupations d'égalité entre territoires.
Sans nier les apports positifs à des degrés divers de la grande vitesse dans ces trois domaines, surtout au début de sa mise en oeuvre, le rapport nuance la portée des arguments utilisés en fournissant des éléments objectifs démontrant le caractère relatif et assez incertain de ces préjugés favorables.
Il s'agit d'abord des effets sur l'environnement. Nous observons que les émissions de CO2 par passager dues aux lignes à grande vitesse doivent tenir compte du lieu de production de l'énergie achetée par l'opérateur. Or, la SNCF achète une bonne partie de son électricité en dehors de nos frontières, auprès de producteurs qui continuent à fabriquer de l'électricité à partir d'énergies fossiles. Il ne s'agit donc pas des mêmes proportions que celles que l'on peut constater sur le territoire national.
Les émissions dépendent aussi du taux de remplissage du train. L'avantage est certes incontestable par rapport à l'avion pour les destinations où il a été remplacé par le TGV. En revanche, l'utilisation de l'autocar peut se révéler moins émettrice par passager si le taux d'occupation des rames est faible, ce qui est le cas des fins de parcours.
En outre, les émissions de CO2 liées au processus de construction des lignes à grande vitesse n'ont commencé à faire l'objet d'évaluations scientifiques que récemment. Leur importance se révèle considérable, même tempérée par la durée d'utilisation de l'équipement. Le bénéfice environnemental attendu de la grande vitesse ferroviaire doit donc être sensiblement nuancé.
En ce qui concerne les effets du TGV sur le développement économique des zones desservies, la Cour des comptes relève le contraste entre les études scientifiques et l'opinion des acteurs économiques et des décideurs. Pour ceux-ci, une ligne TGV est toujours un facteur positif. Or, selon les études scientifiques, le bilan est plus nuancé : avec ou sans ligne à grande vitesse, une région dynamique le reste ; il en va de même pour une région en difficulté. Les exemples d'activités qui se développent autour de lignes à grande vitesse correspondent plus à des déplacements qu'à des créations nettes.
S'agissant enfin de l'impact de la grande vitesse sur l'aménagement du territoire, le rapport le qualifie d'« ambivalent ».
Les lignes à grande vitesse exercent un effet polarisant au profit des grandes agglomérations qu'elles desservent, effet croissant avec la population des villes en cause comme le montrent les résultats de l'enquête nationale transports et déplacement des Français, annexée au rapport. On peut parler d'un « effet tunnel » au détriment des agglomérations où le TGV ne s'arrête pas, ce qui peut rendre compréhensibles les demandes d'escales formulées par les élus concernés.
Une politique de transport reposant presque exclusivement sur la grande vitesse ferroviaire accentue les inégalités entre les territoires plus qu'elle ne les atténue. Il apparaît essentiel pour cette raison, comme du fait des autres constats de la Cour des comptes exposés précédemment, d'assurer une meilleure articulation entre la grande vitesse et les autres moyens, nationaux et locaux, de desserte du territoire afin que celle-ci devienne réellement un facteur d'équilibrage du système de transports.
C'est le sens de la première recommandation du rapport, qui propose de concevoir la grande vitesse comme une composante de la mobilité, et non comme une solution universelle et exclusive.
Il s'agit de mieux intégrer la grande vitesse aux choix de mobilité des Français en insérant le TGV dans une offre tirant parti de l'ensemble des moyens de transport : ferroviaire longue distance alternatif à la grande vitesse, ferroviaire de proximité, transports collectifs routiers et aériens et coopératifs - covoiturage, partage, location -, et en levant les restrictions à la concurrence des modes de transport longues distances routiers.
La Cour des comptes rejoint ainsi les préconisations de la commission « Mobilité 21 », présidée par M. Philippe Duron, qui avait, en 2013, pour mandat de hiérarchiser les projets du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), et même celles du président de la SNCF, qui, en 2013, affirmait : « Les priorités de la société ont changé. Sortant du " tout TGV ", nous avons mis les transports de la vie quotidienne au premier rang de nos préoccupations. »
Le corollaire de cette perspective est contenu dans la deuxième recommandation, indissociable de la première, qui appelle à « restreindre progressivement le nombre d'arrêts sur les tronçons de lignes à grande vitesse et de dessertes des TGV sur les voies classiques et extrémités de lignes, en ne conservant que celles justifiées par un large bassin de population. »
Nous avons bien conscience des difficultés qu'une telle préconisation implique, mais la Cour a déjà été plus audacieuse en recommandant à diverses reprises la fermeture de lignes, pour le réseau classique national comme régional.
J'en viens au deuxième constat, selon lequel le processus de décision favorise systématiquement la réalisation de nouvelles lignes.
En effet, même lorsque l'évaluation socio-économique, à laquelle sont soumis les projets de lignes à grande vitesse, produit des résultats négatifs, ces derniers s'effacent dans le cadre de processus de décision conduisant à des réalisations à la pertinence parfois contestable.
Cette tendance est renforcée par un recours croissant aux financements par les collectivités territoriales. Or, ces dernières réclament fort logiquement des contreparties, dont le problème est que leur existence peut s'opposer à la rationalité économique globale de l'investissement dans la grande vitesse.
L'analyse socio-économique est une méthode quantitative de détermination de la rentabilité globale pour la collectivité d'un investissement ; la Cour en a toujours promu le principe, considéré comme le plus objectif.
Son application à l'investissement dans la grande vitesse s'est cependant faite en donnant trop souvent au gain de temps le caractère d'avantage principal. On peut parler d'une survalorisation du temps gagné, qui a surtout justifié la réalisation d'un nombre de lignes toujours plus important, au détriment de l'entretien et de la modernisation du réseau classique.
À l'analyse socio-économique, qui présente incontestablement un caractère quelque peu technocratique et encore quelques limitations, s'opposent d'autres méthodes.
Il s'agit principalement de l'analyse multicritère, qui a l'avantage d'intégrer plus de données - par exemple les positions d'un plus grand nombre de parties prenantes - mais présente l'inconvénient notable de donner plus de place à l'arbitraire et à la subjectivité, notamment dans la pondération des critères. Une récente instruction ministérielle semble pourtant promouvoir ce type d'analyse.
Nous considérons qu'il existe là un risque, si la décision s'appuie désormais de manière exclusive sur ce type de méthode.
L'analyse socio-économique a cependant la vertu d'une plus grande objectivité, et surtout le critère de rentabilité doit rester déterminant pour justifier d'une allocation optimale des ressources publiques. C'est le motif de la quatrième recommandation : « Faire prévaloir les évaluations socio-économiques des projets de lignes à grande vitesse annoncés pour avant 2030 » - ce sont les projets retenus en première priorité par la commission « Mobilité 21 » - « et leur contre-expertise par le Commissariat général à l'investissement, y compris pour ceux ayant fait l'objet d'une enquête d'utilité publique avant le 23 décembre 2013 », date à partir de laquelle la contre-expertise du Commissariat général à l'investissement (CGI) a commencé à s'appliquer.
La pertinence de l'évaluation socio-économique dépend de plusieurs facteurs, mais l'un d'entre eux, déterminant, est de pouvoir disposer des données de trafic afférentes à un parcours donné. Or, la SNCF manifeste de la réticence à communiquer des données autres que préalablement agrégées, dont l'exploitation se révèle difficile pour procéder à une analyse objective. Cet état de fait, déjà critiqué par la Cour, justifie la troisième recommandation : « Assurer la transparence et l'accès aux données de la SNCF, en particulier la fréquentation par ligne. » Il s'agirait ce faisant de rétablir la conformité au décret du 23 avril 2012, qui organise l'accès aux données de trafic.
Dans son chapitre 2, le rapport de la Cour des comptes met également en évidence le caractère en pratique irréversible du processus de décision, malgré la multiplication d'étapes de concertation, qui ont essentiellement pour objet de faire adhérer les citoyens à des projets d'infrastructures prédéterminés.
L'étape clef d'un tel processus est l'enquête d'utilité publique, normalement suivie de la déclaration d'utilité publique (DUP). Or, l'expérience montre que cette étape, en principe déterminante, sinon décisive, est de plus en plus noyée dans un processus d'ensemble, où les effets d'annonce successifs finissent par emporter le caractère irréversible de la décision, rendant impossible tout retour en arrière.
Le rapport fournit plusieurs exemples de ce processus. Il montre aussi comment des projets constituant initialement et officiellement une hypothèse deviennent des objectifs, à force d'être réaffirmés, y compris par la loi même. Ce fut le cas du SNIT, qui se présentait pourtant comme une liste indicative. Les DUP ne font dès lors qu'entériner l'existence d'un projet de ligne à grande vitesse, au lieu d'en constituer l'acte fondateur.
Dans ce contexte, la question du financement apparaît comme secondaire, et ne constitue pas un élément central de la décision. Dans le cas de Tours-Bordeaux, la DUP a été terminée en 2006, le choix du concessionnaire a eu lieu en 2010, ainsi que la définition du montage financier, bien après l'élaboration technique. Il en va de même pour la ligne Poitiers-Limoges, dont le financement reste à déterminer.
La question des études préalables et de leurs conclusions prédéterminées, et celle des financements non bouclés ont été jointes dans une cinquième recommandation. Celle-ci préconise de ne lancer les études préliminaires qu'après la définition d'un plan d'affaires pour la ligne, associant gestionnaire d'infrastructure et opérateurs ferroviaires, et la prise en compte par une décision interministérielle formelle des perspectives de financement du projet et de la répartition entre financeurs.
Le décret du 5 mai 1997 relatif aux missions de RFF protège cet établissement en prohibant sa participation à des projets d'investissement ferroviaire dont la rentabilité n'est pas assurée pour lui. Dans la pratique, cette disposition est fréquemment contournée par des estimations de recettes qui témoignent de plus en plus souvent d'un biais optimiste bien connu.
Le rapport montre aussi comment le taux d'actualisation utilisé dans les calculs de rentabilité sert fréquemment de variable d'ajustement, dont la manipulation permet de faire rentrer un projet dans la catégorie des investissements rentables.
La construction de lignes à grande vitesse non rentables est au demeurant facilitée par le recours croissant aux financements locaux. La LGV Est a constitué un exemple pionnier, en faisant participer seize collectivités, non seulement à son financement, mais encore à l'aménagement du réseau classique pour assurer la desserte de seize destinations hors TGV.
Cette opération montre aussi comment des cofinancements locaux peuvent aboutir à des choix économiques contestables, et peuvent contribuer à réduire encore la rentabilité de l'investissement dans la grande vitesse.
Dans le cas de Tours-Bordeaux, les surcoûts en investissement liés aux cofinancements font passer un projet stricto sensu de liaison Tours-Bordeaux de 300 kilomètres et 5,6 milliards d'euros à un projet Sud-Europe Atlantique de plus de 850 kilomètres pour 14 milliards d'euros d'investissements.
En outre, si les promesses de cofinancement des collectivités ne sont pas toujours remplies avec zèle, l'État n'est parfois pas en reste, comme le montrent les retards de paiement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).
RFF a ainsi été conduit à s'engager dans des opérations risquées de préfinancement. Cette situation n'est pas normale et la Cour des comptes se doit de la critiquer. C'est la sixième recommandation. Elle préconise de veiller au paiement par l'AFITF de ses engagements financiers vis-à-vis de RFF.
Nous avons éprouvé quelques difficultés à stabiliser le texte du rapport en ce qui concerne la question des ressources de l'AFITF, qui devait bénéficier de l'apport de l'écotaxe conçue il y a cinq ans. Nous nous en tenons à une demande de clarification rapide de la question des ressources pérennes de cet organisme, et ce dans la même recommandation.
Troisième constat : la collectivité ne peut plus aujourd'hui supporter le coût du modèle français de grande vitesse ferroviaire.
Trois éléments expliquent cette situation :
- les lignes existantes sont de moins en moins rentables ;
- les nouveaux projets ne sont pas financés faute de ressources ;
- et les profits de la grande vitesse ne suffisent plus à combler les pertes des autres activités ferroviaires de la SNCF.
Les lignes sont de moins en moins rentables en raison d'abord de l'augmentation des coûts de construction. Ainsi, le coût au km est passé de 4,8 millions d'euros en 2003 pour Paris-Lyon à 26 millions d'euros pour Sud Europe Atlantique, et à plus de 30 millions d'euros pour le contournement Nîmes-Montpellier.
Le SNIT évaluait en moyenne à 20 millions d'euros au kilomètre de lignes à grande vitesse nouvelles.
Les coûts d'exploitation ont aussi tendance à être plus élevés. Le biais optimiste des prévisions de trafic fait que la rentabilité des projets est systématiquement inférieure aux prévisions.
Cette dégradation est corrélée au fait que les lignes les plus pertinentes ont été construites en premier, les dernières traduisant le mouvement acquis et des choix d'investissement de plus en plus éloignés de la rationalité économique.
Les projets nouveaux ne sont pas financés. Le SNIT présentait un coût estimé de 245 milliards d'euros. Sur 174 milliards d'euros pour le ferroviaire, 60 milliards d'euros étaient affectés au développement du réseau grande vitesse, soit 56 % des 107 milliards d'euros alloués à l'investissement.
La part estimée de l'État, soit 56 milliards d'euros pour l'ensemble des projets ferroviaires, apparaissait d'emblée en complet décalage par rapport aux capacités de l'AFITF, dont le budget annuel, tous secteurs confondus, s'élevait à un peu plus de 2 milliards d'euros pour s'établir à 1,8 milliard d'euros en 2014. La commission « Mobilité 21 » devait faire des propositions pour hiérarchiser les multiples projets contenus par le SNIT.
Or, le scénario retenu à la suite de ces travaux demeure quand même le plus ambitieux en ce qui concerne le ferroviaire et la grande vitesse.
À ce titre, les dépenses à ce titre s'élèveraient encore à 23 milliards d'euros d'ici 2030. Un tel montant n'est pas financé en l'état actuel des ressources existantes de l'AFITF.
Le rapport a été réalisé avant l'annonce tant de la suspension de l'écotaxe que de celle de la surtaxation du gazole, et nous n'avons pas pu prendre totalement ces facteurs en compte dans notre travail.
L'affectation d'une fraction additionnelle de la taxe sur le gazole n'atteint cependant pas le niveau attendu du produit de l'écotaxe. Les ressources de l'AFITF devraient donc rester insuffisantes. Ce sera assurément le cas si certains projets lourds, comme le canal Seine-Nord Europe, ou Lyon-Turin ferroviaire, sont effectivement confirmés, ce qui semble être le cas actuellement.
L'activité est de moins en moins rentable pour la SNCF, parallèlement à la raréfaction généralisée des ressources budgétaires : la marge opérationnelle TGV de la SNCF est passée de 29 % en 2008 à 12 % en 2013. Depuis 2012, le chiffre d'affaires des TGV stagne, et recule au niveau de 4,7 milliards d'euros.
La hausse du chiffre d'affaires constatée pendant la décennie précédant 2012 a essentiellement reposé sur des augmentations tarifaires qu'il est délicat de pratiquer, le TGV étant désormais perçu comme un produit cher et la concurrence par les prix d'autres modes de transport devenant de plus en plus pressante.
La hausse des péages constitue pour la SNCF une contrainte importante depuis les rattrapages opérés à partir de 2006, soit une augmentation de 41 % entre 2008 et 2013. Elle pèse fortement sur ce poste de dépenses, mais elle ne constitue pas le facteur exclusif de hausse des coûts de l'entreprise : les autres charges d'exploitation, et notamment la hausse des coûts salariaux, y contribuent aussi, de même que la politique retenue en matière d'achat de rames grande vitesse.
Au demeurant, la SNCF s'oppose avec une certaine efficacité aux hausses des péages de RFF, qui ne représentent pas pour elle une donnée irréversible. Le rapport mentionne au moins deux cas, en 2010 et 2012, où la SNCF a su négocier pour obtenir des hausses très inférieures aux demandes de RFF, dans le deuxième cas il est vrai en contrepartie de commandes de matériel roulant dont l'utilité n'était pas totalement établie.
Cette résistance a permis de maintenir une marge opérationnelle indispensable face au déficit d'autres activités ferroviaires de la SNCF. Une telle politique rencontre cependant une double limite. En premier lieu, elle aboutit à priver RFF des ressources qui lui sont nécessaires pour rénover le réseau classique, et, à terme rapproché, le réseau à grande vitesse. En second lieu, elle conduit RFF à continuer de s'endetter, non seulement pour financer de nouvelles lignes à grande vitesse non rentables, mais aussi la maintenance du réseau.
S'agissant des questions financières, il convient de noter que la loi sur la réforme ferroviaire n'apporte par elle-même pas de novation véritable. En l'état, les quelques éléments évoqués par la loi, les ratios à respecter par RFF, sont en fait renvoyés à des décisions à venir du Parlement sans qu'aucun délai ne soit précisé, et dans des conditions à ce stade encore peu claires.
C'est pourquoi la Cour suggère, dans une huitième recommandation, de « veiller à ce que la définition des futurs ratios d'endettement du gestionnaire d'infrastructure présente une stabilité dans le temps et conduise effectivement à ne pas financer des projets non rentables. »
Enfin, la septième recommandation reprend les préconisations déjà formulées par la Cour en 2012 et en 2013. Elle s'énonce ainsi : « concentrer en priorité les moyens financiers sur l'entretien du réseau par rapport aux projets de développement et améliorer le pilotage de la prestation d'entretien du réseau ferroviaire par le gestionnaire d'infrastructure. »
La grande vitesse ferroviaire constitue une des plus brillantes manifestations et réussites de la technologie française. La Cour des comptes ne le conteste nullement, bien au contraire.
Elle connaît cependant un déclin financier et commercial depuis quelques années qui est la conséquence même de son succès. Ce succès peut d'ailleurs expliquer que ses promoteurs aient manqué de vision sur l'évolution de son contexte. Ils ont en quelque sorte laissé celle-ci poursuivre sur sa lancée, sans relever que la question de l'articulation, tant avec le ferroviaire classique qu'avec d'autres modes de transport de plus en plus concurrents, devenait un sujet plus pertinent que l'extension du réseau.
Cette extension contredit la nature même de ce mode de transport. Aujourd'hui, alors que les financements se tarissent et que l'exploitation même du TGV devient non rentable, il est plus que temps d'opérer une mutation en réalité exigée depuis plusieurs années.
Le rapport dont j'ai eu l'honneur de présenter les grands traits devant vous a été délibéré le 17 octobre 2014 par la Cour des comptes, et rendu public le 23 octobre suivant. La Cour des comptes y constate que la grande vitesse ferroviaire est fragilisée, aussi bien d'un point de vue socio-économique que strictement financier.
Elle appelle, de façon générale, les pouvoirs publics à adopter une attitude plus réaliste et plus rationnelle vis-à-vis des choix d'investissement public.
Les constats du rapport ont fait l'objet de commentaires positifs, en dépit du fait qu'ils semblaient aller à l'encontre de certaines idées bien établies.
Les principaux protagonistes du système, et notamment la SNCF, ont publiquement manifesté leur accord global sur les analyses et les propositions faites, les désaccords ne se manifestant que sur des points de détail ou purement techniques.
Ce consensus, certes relatif, est encourageant pour la Cour des comptes. Il s'explique sans doute par le fait que, loin de condamner une technologie d'excellence reconnue et un développement impressionnant utile et apprécié, et contrairement à ce que de rares commentaires désobligeants ont prétendu, la Cour des comptes appelle avant tout à une meilleure réponse de la grande vitesse à la mobilité des Français.
Ceci implique son adaptation aux circonstances nouvelles, que ce soit en termes financier ou en termes de pratiques vers une véritable coordination et articulation des offres et différents modes de transport, ferroviaires et non ferroviaires.
M. Hervé Maurey, président. - Merci, monsieur le président, pour cette présentation très complète.
M. Louis Nègre. - Je félicite en premier lieu la Cour des comptes pour ces travaux, qui nous manqueraient si nous n'en bénéficiions pas ! Ce rapport est stimulant et également le bienvenu. Celui de 2012, rédigé à la demande du Sénat, nous a beaucoup aidés pour faire prendre conscience du problème aux autorités de ce pays.
Les Suisses, en 2005, avaient déjà attiré notre attention sur ce point, mais votre rapport a permis de compléter cette analyse et de conclure que l'État ne gère pas bien notre pays dans ce domaine.
Vous demandez aux politiques d'être plus réalistes : vous avez cent fois raison ! Si notre pays, depuis quelques décennies, l'avait été davantage, on n'aurait pas aujourd'hui 2 000 milliards d'euros de dettes, et nous nous porterions mieux, jusque dans le domaine ferroviaire !
Vous avez également raison lorsque vous affirmez que la grande vitesse ne constitue pas une panacée, même si elle représente un important succès technologique, que nous n'avons d'ailleurs que très modérément exporté.
Si la première de vos recommandations ne nous pose pas problème, ce n'est pas le cas de la deuxième, sur laquelle je reviendrai plus tard...
Nous partageons la troisième recommandation, qui prône la transparence et l'accès aux données, en l'absence de concurrent pour l'opérateur historique.
Nous sommes également d'accord avec la contre-expertise que préconise la quatrième recommandation, ainsi qu'avec la cinquième recommandation, relative aux études préliminaires qui permettent de connaître les éléments sur lesquels le politique va fonder ses décisions.
Quant à la sixième recommandation, elle consiste à veiller au règlement par l'AFITF de ses engagements financiers vis-à-vis de RFF, qui représentent plus de 770 millions d'euros d'arriérés. Encore faudrait-il que l'État, qui alimente l'AFITF, puisse lui donner les moyens de mener sa politique !
Une remarque concernant la septième recommandation : celle-ci conseille de concentrer les moyens financiers sur l'entretien du réseau : cela ne suffit pas ! Notre réseau a non seulement besoin d'être entretenu, mais également modernisé. Or, l'entretien et la modernisation constituent deux actions bien distinctes. Il existe encore des postes d'aiguillage complètement obsolètes !
Enfin, nous sommes d'accord avec la huitième recommandation, qui suggère d'adopter une règle d'or empêchant chacun de dépenser plus d'argent que ce dont il dispose.
Je reviens un instant sur la deuxième recommandation, qui présente une difficulté. Vous êtes ici devant la commission de l'aménagement du territoire. Or, vous estimez que les 283 gares intermédiaires existantes sont excessives. Sans doute, mais il s'agit d'une discussion de fond... À quoi le TGV sert-il ? Il sert à gagner du temps, mais ne sert-il pas également à aménager le territoire ?
Je ne sais si tous nos collègues sont au courant que l'État finance le système ferroviaire français à hauteur de 5 milliards d'euros - dont 3,3 milliards d'euros pour les régimes spéciaux de retraite. Or, la part des collectivités territoriales s'élève quant à elle à 6 milliards d'euros ! Il est utile de le répéter dans la maison des collectivités territoriales ! Et rappelle que la dette dépasse plus de 40 milliards d'euros...
On constate en second lieu une baisse importante et continue des dotations de l'État à RFF, ce qui peut expliquer certaines choses. En dix ans, les dotations sont passées de 2,8 milliards d'euros à 1,9 milliard d'euros. La France est parmi les pays européens ayant le plus faible taux de subventionnement du gestionnaire d'infrastructures. Il s'élève à 32 %, contre 90 % en Suède, 61 % au Royaume-Uni, et 50 % en Allemagne !
Or, les habitants des zones les moins urbanisées, qui représentent les trois quarts de la population française, constituent seulement 25 % des utilisateurs de TGV. Il y a donc, de fait, deux catégories de citoyens.
Lors de l'audition précédente, Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, commissaire générale à l'égalité du territoire, a confirmé la dégradation des services publics dans les territoires ruraux, en particulier dans le domaine des transports. Comment améliorer la cohérence de ceux-ci, et redonner espoir à ces territoires, si vous estimez qu'il existe déjà trop d'arrêts TGV ?
Votre rapport est bâti sur une série d'évaluations qui vous conduisent à un certain nombre de conclusions. Le taux de la valeur actualisée nette a été modifié par une instruction du 16 juin 2014. Par ailleurs, il existe une opposition entre la simple évaluation socio-économique et l'analyse multicritère. Que pouvez-vous nous en dire ?
La Cour des comptes critique l'AFITF de manière récurrente. Cette position est compréhensible à l'égard des règles d'orthodoxie budgétaire, mais si ces crédits n'étaient pas sanctuarisés, la situation serait pire encore ! Pouvez-vous le reconnaître et porter un jugement plus pondéré dans ce domaine ?
Enfin, vous soulignez le manque de stratégie de l'État. C'est bien le reproche que l'on peut adresser au système ferroviaire. J'espère que la nouvelle loi - que je n'ai personnellement pas votée - permettra d'améliorer les choses dans ce domaine !
M. Jean-Jacques Filleul. - Je partage un certain nombre des avis exprimés par Louis Nègre dans son intervention. Je ne reviendrai donc pas sur ces points.
Le rapport de la Cour des comptes me semble intervenir au bon moment.
Mon collègue Gérard Miquel jugeait à l'instant le rapport un peu dur ; cependant, la situation - malheureusement pour tout le monde - perdure depuis un certain temps. On considère en effet depuis trop longtemps la SNCF comme le « ministère des transports ferroviaires ». L'État stratège ne joue donc pas son rôle !
Il n'est pas sérieux de prétendre que les quatre nouvelles lignes à grande vitesse lancées en 2009 sont destinées à satisfaire les élus territoriaux ! Ce n'est pas ainsi que l'on pourra organiser correctement la mobilité dans notre pays.
Votre rapport arrive à point nommé pour que Gouvernement et SNCF puissent peser davantage sur les choix.
On le sait, le Gouvernement, s'interroge beaucoup sur le rôle du TGV, des TET et des TER. La desserte du Croisic par le TGV est un non-sens total ! La commission TET, qui vient d'être créée par le Gouvernement, constitue de ce point de vue une première réponse. J'ai le plaisir d'en faire partie, avec Annick Billon. J'espère que nous pourrons, dans six mois, apporter un certain nombre de réponses aux questions que vous soulevez dans votre rapport.
En tant qu'élu d'Indre-et-Loire, je m'interroge depuis longtemps, sans jamais obtenir de réponse. La convention entre RFF, les prestataires privés, comme la filiale de Vinci, et les régions n'impose pas d'arrêt dans les gares entre Tours et Bordeaux. Cela fait deux ans que je me bats, avec d'autres, pour tenter d'y voir clair. Que va-t-il rester à Saint-Pierre des Corps, Châtellerault, Poitiers, Angoulême ? Pour l'instant, je n'ai pas de réponse...
Selon une première analyse, le déficit prévisionnel des frais de fonctionnement s'établirait à une somme comprise entre 100 000 et 200 000 euros. Comment ne pas aller dans le sens du rapport que vous proposez ? Toutefois, il faut que chacun participe aux différentes évolutions.
Je suis d'accord avec le fait que les pouvoirs publics doivent être plus réalistes et rationnels. Je rappellerai d'ailleurs en séance publique, en fin de semaine, un certain nombre de vos recommandations, avec lesquelles je suis globalement d'accord. Sans doute convient-il de mettre en oeuvre une meilleure organisation du territoire. Le TET peut constituer une bonne réponse à ce problème, à condition de trouver les matériels adéquats. C'est notre mission. Il faut aujourd'hui avoir une certaine qualité du transport, et que les usagers prennent plaisir à voyager, comme en Suisse, où il existe une forme de TET très intéressante.
Je suis également inquiet du renouvellement des TGV ; ceux-ci se dégradent, en particulier sur la ligne que j'emprunte chaque semaine. L'industrie ferroviaire peut, dans les années à venir, éprouver quelques difficultés. Je ferai en sorte que ces recommandations alimentent le suivi de ces projets ferroviaires.
Mme Nelly Tocqueville. - J'emprunte régulièrement la ligne entre Paris et Le Havre. Les conditions de transport, les retards réguliers et la suppression des trains sont récurrents et quotidiens. Où en est la réflexion à ce sujet, plus particulièrement s'agissant des problèmes du Mantois ?
Vous recommandez de concentrer en priorité les moyens financiers sur l'entretien du réseau. Or, un des problèmes de cette ligne concerne précisément le réseau, du fait de l'engorgement de la gare Saint-Lazare. Nous sommes régulièrement bloqués en amont pour laisser les trains arriver. C'est l'une des lignes les plus fréquentées, utilisée par les usagers pour aller travailler. C'est un véritable handicap.
On a parlé d'efficacité, de réalisme, d'égalité des territoires : ce sont évidemment des objectifs auxquels j'adhère totalement.
M. Hervé Maurey, président. - Étant moi-même utilisateur de cette ligne, je suis d'accord avec ce que vous avez dit, d'autant que la Normandie est la seule région française à ne posséder aucune ligne à grande vitesse. Nous l'avons espérée un temps, mais je crois que l'on risque d'attendre un moment avant de reprendre espoir.
M. Benoît Huré. - Je m'associe aux remarques précédentes sur la qualité, l'utilité et la pertinence du rapport, qui doit aider à la prise de décision. Il vaudrait toutefois mieux que ces recommandations interviennent en amont des décisions importantes.
J'insiste sur l'importance, pour les élus qui représentent des villes et des territoires, de bénéficier d'infrastructures de qualité afin d'améliorer leur attractivité. Le TGV en fait partie, tout comme le numérique, ou les autoroutes.
Par ailleurs, vous avez estimé que les sociétés qui se sont regroupées autour des gares TGV, comme en Champagne-Ardenne, résultent souvent de transferts d'activités. Certes, mais ces entreprises étaient initialement installées en zone très dense, où la possibilité de développement est extrêmement coûteuse, voire impossible. Il faut le prendre en considération pour évaluer le coût collectif du déplacement des salariés. Votre jugement n'en tient peut-être pas suffisamment compte. Pouvez-vous examiner l'impact de ces créations de gares sur l'économie ?
Par ailleurs, je suis président du conseil général des Ardennes. Votre rapport est arrivé à un moment précieux pour moi. Le conseil général s'est en effet engagé à financer la première tranche de la ligne à grande vitesse Est. Nous souhaitions bien entendu que notre territoire, qui est en bordure de passage, puisse bénéficier de deux ou trois liaisons, sans rupture de charge. J'ai pu mesurer l'importance que cela représente pour nos entreprises : soixante d'entre elles ont leur siège social en région parisienne, voire hors de France.
Or, aujourd'hui, le service a baissé. Peut-être les dirigeants de la SNCF vous ont-ils entendu avant que vous ne vous exprimiez. Ils nous expliquent aujourd'hui qu'une liaison Paris-Charleville trois fois par jour n'est pas raisonnable. Les termes du contrat n'étaient plus respectés au regard de l'engagement financier que nous avions pris. Sans attendre votre contribution, compte tenu de la réduction des engagements de la SNCF, j'ai décidé de ne pas m'engager dans le financement de la construction de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse.
J'aurais mieux argumenté si j'avais été en possession de votre rapport. Je viens de recevoir un courrier du ministre des transports, qui me dit comprendre ma réaction, mais m'explique que la solidarité de tous est nécessaire, et que ces financements additionnés permettent à de grands projets de se réaliser. Le TGV n'est en effet pas seulement destiné à relier les Ardennes à Paris, mais également à Strasbourg et, bien au-delà, à Budapest, via la Magistrale.
Je vais à présent répondre au ministre en m'appuyant sur votre rapport, qui m'invite à la sagesse - d'autant que l'on a quelques comptes à régler avec l'État en matière de compensation des charges liées aux allocations de solidarité...
Mme Évelyne Didier. - Merci à la Cour des comptes pour la qualité de son travail. Ses rapports sont toujours considérés comme des coups-de-poing, tant ils sont précis, argumentés et approfondis. Nous avons besoin d'un tel regard, et je partage presque toutes les conclusions qui ont été énoncées.
Pour autant, je tiens à préciser qu'il est important de relativiser. Si nous n'étions pas dans la période de crise économique dans laquelle nous nous trouvons, nous serions peut-être moins sévères, et les dépenses nous sembleraient peut-être plus compatibles avec le niveau de nos finances.
Quant à savoir si le TGV peut donner un coup de fouet aux activités économiques, il faut se poser la question de savoir si un secteur du territoire a une chance de se développer avec succès sans grande infrastructure. Il faut inverser le raisonnement.
Étant lorraine, je suis également concernée par le TGV Est, dont nous avons bien évidemment apprécié l'arrivée. Celui-ci a changé notre rapport avec la capitale, et va par ailleurs vers le Luxembourg. Il s'agit d'une ligne qui fonctionne plutôt bien, où les retards sont peu fréquents, et généralement dus à des accidents. Peut-être certains secteurs fonctionnent-ils mieux que d'autres - mais les noeuds ferroviaires freinent sans doute parfois le trafic.
Bien évidemment, quand on a besoin de l'argent des territoires, il faut tenir compte de leurs demandes. C'est ce qui s'est passé dans l'Est. Peut-être y a-t-il plus de gares que prévu, mais, tout compte fait, est-ce si dramatique ? Le développement de territoires les moins peuplés n'est-il pas tout aussi important que celui des autres ?
Je termine par ce qui me semble être le plus important : quand on parle de la rentabilité, il faut tenir compte des péages de RFF. Les utilisateurs des routes ne paient pas les routes. Il y a là un certain déséquilibre ! Les routes sont payées par les citoyens et les collectivités, et sont d'un accès gratuit, ce qui n'est pas le cas des lignes de chemin de fer. Lorsqu'on compare les différents modes de transport, il faut intégrer le coût d'entretien des routes, même si, de fait, on n'a pas à les payer, afin que l'analyse soit équilibrée.
Certes, les transports routiers acquittent les péages sur autoroutes, mais ils empruntent essentiellement les routes nationales ou départementales, qui sont gratuites.
M. Jean-François Mayet. - En vous entendant évoquer certaines dérives, souvent dues aux lobbies politico-électoraux, j'ai cru que vous pensiez, comme moi, à l'incroyable projet Limoges-Poitiers. Celui-ci prétend dévier vers Poitiers tous les utilisateurs de la SNCF du Sud de Limoges et de Limoges, en les obligeant à parcourir une cinquantaine de kilomètres supplémentaires, sans doute aux frais du contribuable, et ce sans remédier à l'obsolescence de la ligne historique Paris-Toulouse.
A-t-on une chance que la raison l'emporte et que ce projet monovoie soit repoussé à des temps meilleurs, lorsque la SNCF aura résolu ses problèmes de déficit et de dette ?
Il convient surtout d'accélérer la rénovation et la modernisation de la ligne historique, qui permettrait de mettre Limoges à 2 heures ou 2 heures 10 de Paris, avec du matériel moderne roulant sur un support rénové !
M. François-Roger Cazala. - En tant que natif de Châteauroux, je suis sensible au point évoqué par M. Mayet, mais je ne pourrai malheureusement lui répondre, non plus qu'à vous, madame. En effet, nous n'avons pas instruit ces questions ; par ailleurs, la Cour des comptes essaye de s'en tenir à son rôle, qui est de contrôler des éléments existants. Même si cela nous renseigne pour l'avenir, ces éléments sont de nature générique, et ne s'attachent pas à tel ou tel segment.
Nous avons cependant appris hier que la DUP avait connu quelques difficultés devant le Conseil d'État, mais nous n'en savons pas plus, et cela n'a pas été confirmé. Je vous renvoie à l'une des newsletters spécialisées sur ces questions.
S'agissant de ce que disait M. Nègre au sujet des territoires ruraux, je ne suis personnellement pas sûr que la venue du TGV va, de son seul fait, les réactiver. J'aurais plutôt intuitivement le sentiment du contraire.
En revanche, le rapport va dans le sens de liaisons ferroviaires efficaces, articulées et irriguant le territoire, sans pour autant privilégier la grande vitesse. Nous mettons en garde, sur l'idée que la réponse à tous les problèmes réside dans un seul type d'infrastructures.
Nous ne nions pas non plus le fait qu'il est important pour un territoire cohérent de disposer d'une grande infrastructure. Nous n'avons toutefois pas le sentiment que le pays est sous-équipé. Un des atouts de la France réside dans le fait de disposer d'un niveau d'équipement relativement cohérent et uniforme, même s'il existe des problèmes de maintenance et de renouvellement. Je suis d'accord pour dire qu'il faut également les prendre en compte. Peut-être a-t-on laissé ce point de côté, mais il n'était pas dans notre intention de dire qu'il ne faut pas se préoccuper du renouvellement. Ce rapport aura une suite où sera abordé le sujet des TET.
M. Jean-Jacques Filleul. - Avant six mois ?
M. François-Roger Cazala. - Je le pense.
M. Jean-Jacques Filleul. - En plein débat sur la commission TET ?
M. François-Roger Cazala. - La commission TET, à laquelle nous participons en la personne d'un de nos collègues, spécialiste des questions ferroviaires, a été mise en place bien après ce rapport, et bien après que nous ayons décidé d'aborder ce sujet. On verra comment les choses s'articulent.
S'agissant de la deuxième recommandation, celle-ci n'est peut-être pas la plus populaire, mais nous ne sommes pas le gouvernement des juges.
J'ai entendu mentionner un nom de terminus qui, dans nos représentations du sujet, fait partie de nos favoris. Il y en a d'autres.
M. Arnold Migus, conseiller maître. - Le nombre de gares constitue une contradiction inhérente au principe : il a été décidé que le TGV irait très vite, sur des lignes affectées à la grande vitesse. Les rames coûtent par ailleurs trois fois plus cher qu'un TER. À force d'arrêts intermédiaires et de lignes secondaires, on a dénaturé le système. En Allemagne, il fonctionne très bien, mais il correspond à la géographie humaine de ce pays, qui compte beaucoup de villes moyennes.
Le système français est conçu pour aller d'une grande ville à une autre, sans arrêt ; il doit être connecté avec tout un dispositif, qui peut être ferroviaire ou non. On parle aujourd'hui de mobilité : le système doit être multimodal. On couple là la première et la deuxième recommandation, l'une ne pouvant aller sans l'autre.
S'agissant de l'analyse multicritère, le rapport traduit une inquiétude. En effet, le ministère, dans une instruction, a mis en avant l'analyse multicritère par rapport à l'analyse socio-économique. On nous reproche souvent de trop nous attacher à la rentabilité. Toutefois, l'analyse socio-économique prend en compte les avantages et les coûts. Ce n'est pas une analyse financière. On monétarise ce qui est avantageux - activités économiques supplémentaires, aspects environnementaux, etc. -, avec un taux d'actualisation qui permet de se projeter dans trente ou dans cinquante ans, et d'en tirer le bilan.
Cette méthode tient compte de tous les paramètres. Nous en tirons quelques indicateurs, qui permettent de hiérarchiser les projets. Cette manière de faire est adaptée, selon nous, aux projets d'intérêt national. L'analyse multicritère présente des avantages moins technocratiques. C'est un peu ce que font les Britanniques. Ce type d'analyse permet des décisions partagées, et offre l'avantage d'une grande acceptabilité sociale. Il est très adapté aux projets locaux. Nous établissons donc une nuance, sans toutefois prétendre que l'analyse multicritère est dénuée d'intérêt. Elle en présente un en matière d'investissements régionaux et locaux, et nous y recourons sur le plan national, afin d'éviter les biais, qui existent néanmoins, en particulier en matière de trafic.
Le président Cazala a insisté sur la valeur du temps : celle-ci est en train d'évoluer. En effet, on considère que le temps consacré aux transports est de moins en moins du temps perdu. On l'utilise à autre chose, en matière de communication par exemple.
Le consommateur accepte donc un trajet plus long, durant lequel il s'occupe à d'autres activités. Cela modifie l'équilibre, et c'est pourquoi nous recommandons tous les modes de transport, en particulier le car interrégional.
M. Paul-Henri Ravier, conseiller maître. - En premier lieu, loin de nous l'idée de dire que le TGV n'est pas un instrument d'aménagement du territoire. C'est ici que le titre de notre rapport prend toute sa pertinence : le TGV partout, pour tout le monde, et dans la moindre localité, n'est pas pertinent. On arrive à une situation paradoxale : plus il y a d'arrêts, moins on va vite ! Notre rapport enfonce donc une porte ouverte... Il ne s'agit plus de grande vitesse. C'est un paradoxe.
En second lieu, il faut se méfier du bénéfice a priori d'une infrastructure de transport, qu'elle soit autoroutière ou ferroviaire, pour lutter contre l'enclavement. Je sais que le désenclavement est un thème très cher aux élus locaux que vous êtes, mais les données chiffrées démontrent que le fait qu'il existe une importante différence de population et d'activité économique entre deux points profite davantage aux plus gros qu'aux plus petits. En France, c'est même vrai pour Paris et Lyon, seconde ou troisième ville de France ! Autrement dit, le nombre de déplacements en TGV est plus grand entre Lyon et Paris qu'entre Paris et Lyon. Vous imaginez l'impact que cela peut avoir lorsque le contraste entre une métropole et une ville plus petite est encore plus important !
On a reproché à la Cour des comptes d'avoir choisi un biais « anti TGV ». Ce n'est pas le cas. Tout le monde parle énormément du canal Seine-Nord Europe, et chacun est persuadé qu'il va rapprocher les ports du Benelux - Anvers, Rotterdam - des ports du Havre ou de Rouen, voire du port fluvial de Paris. La concurrence d'Anvers et de Rotterdam ne va-t-elle pas plutôt être funeste au Havre, à Rouen et à Paris ? Je ne réponds pas à la question, je la pose simplement...
La vérité est moins claire : entre deux pôles économiques l'expérience montre qu'une nouvelle infrastructure n'a pas forcément un effet de rééquilibrage. Elle peut cependant avoir un effet de polarisation.
M. André Le Mer, conseiller maître. - Le contrepoint à ce rapport réside dans le contrôle des TET, dont le rapport va donner lieu à une publication l'an prochain.
Le « tout TGV » capte le transport de voyageurs, ainsi que l'investissement en faveur des réseaux et du matériel roulant, au détriment des TET. La situation est grave, particulièrement en matière de renouvellement du matériel roulant, à un moment où les marges financières sont au plus bas.
Accessoirement, les travaux de rénovation du réseau ont des répercussions sur la vitesse de circulation des TET, notamment sur les trains de nuit. Or, ces trains, comme leur nom l'indique, ont un rôle majeur à jouer en matière d'aménagement du territoire.
M. Louis Nègre. - La route constitue, par rapport au transport ferroviaire, une question récurrente. La Cour des comptes dispose-t-elle d'études permettant une comparaison ?
J'attends vraiment que la Cour des comptes équilibre sa vision de l'AFITF. L'orthodoxie budgétaire n'est pas tout !
M. François-Roger Cazala. - Nous ne sommes pas un évaluateur de ce type, et tel n'était pas le but du rapport. Le rapport sur l'entretien abordait toutefois ces questions.
Quant à l'AFITF, ce rapport ne visait pas à la contrôler. Nous essayons d'être cohérents. Nous reviendrons un jour sur l'AFITF, l'actualité nous y poussant. Nous ne pouvions cependant pas éviter de dire ce que nous en pensons. Nous nous sommes déjà exprimés à ce sujet il y a quatre ou cinq ans, et nous avons voulu montrer que nous n'avions pas de raisons de changer de position.
M. Arnold Mingus. - Nous n'avons pas fait d'étude comparative. Je rappelle toutefois que les utilisateurs de la route payent la taxe intérieure de consommation (TIC), soit environ 23 milliards d'euros, dont 40 % au profit des collectivités. Ce n'est pas négligeable.
On parle beaucoup du rail, mais celui-ci ne constitue pas une solution en matière de transport diffus sur le territoire. Le rail est techniquement très cher, et ne peut aller partout. On le voit en observant la couronne parisienne : les transports publics comptent 80 % d'utilisateurs dans le centre ; plus on s'éloigne, moins on en trouve.
J'étais au Sénat il y a dix-huit mois, avec le président Descheemaeker, pour présenter l'évaluation du « Paquet énergie-climat ». Nous avions insisté sur la partie environnementale et recommandé que l'effort en matière de transport porte d'abord sur la route. En termes environnementaux, on peut gagner bien plus grâce à la route qu'en faisant du transport modal à tout va, qu'il s'agisse de TGV ou d'une autre méthode.
Le critère le plus objectif que l'on devrait prendre en compte est celui de la tonne de carbone économisée. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) a estimé qu'en 50 ans, on a évité de produire 100 millions de tonnes de CO2, soit un coût cent fois supérieur au coût du marché, et même cinquante fois supérieur au coût tutélaire du rapport Quinet.
Le ministère en a tenu compte : les investissements d'infrastructures destinés à lutter contre le changement climatique sont ainsi passés de 50 % à 7 %, divisant les coûts par un facteur sept, le coût de CO2 économisé étant considéré comme très excessif.
Le TGV n'est pas la solution en matière d'aménagement du territoire, en particulier pour ce qui concerne les zones rurales et les petites villes. C'est pourquoi nous prônons le développement de tous les systèmes de transport, que ce soit l'autopartage, le car, etc., en complément du rail.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup pour ces réponses.
Mme Évelyne Didier. - Ce dernier point constitue une question très importante, sur laquelle il convient de revenir ! Le but de la TIPP est de remplir les caisses de l'État. Cela n'a rien à voir avec l'entretien ni avec la construction du réseau routier !
La réunion est levée à 12 heures 35.