Mardi 10 février 2015
- Présidence de M. Vincent Capo-Canellas, président -La réunion est ouverte à 15 h 35
Nomination
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La séance est ouverte.
Je vous informe que M. Didier Mandelli remplace M. Jérôme Bignon pour le groupe UMP.
Y a-t-il par ailleurs une opposition au fait que M. Mandelli succède à M. Bignon aux fonctions de vice-président du groupe de travail ? Je n'en vois pas... M. Mandelli est donc élu vice-président.
Audition de M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous entendons aujourd'hui M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, à qui je souhaite la bienvenue.
Monsieur le président, votre institution est impliquée à plusieurs titres dans le projet de loi en cours de discussion à l'Assemblée nationale.
Elle l'est du fait des avis qu'elle a émis et elle le sera demain par les pouvoirs nouveaux que le projet de loi doit lui conférer.
L'Autorité de la concurrence a produit plusieurs avis qui inspirent et confortent le projet de loi, tout en lui reprochant parfois de ne pas aller assez loin. Il en va ainsi de l'avis du 9 janvier 2015 relatif aux questions de concurrence concernant certaines professions juridiques réglementées, mais également de l'avis du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar, sujet dont l'Autorité s'est saisie d'office, ou encore de l'avis du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes, après la privatisation des sociétés concessionnaires, sur saisine de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Vous nous direz sans doute ce qu'il faut retenir de ces différents avis.
L'Autorité de la concurrence se voit par ailleurs attribuer par le projet de loi un rôle très important de régulation, notamment dans la fixation des tarifs des professions réglementées ou leur installation. Nous sommes curieux de voir comment vous comptez jouer ce rôle de régulateur.
Je vous propose de faire le point également des moyens financiers, humains dont vous disposez pour faire face à ces missions nouvelles.
Je vous informe que cette audition est ouverte à l'ensemble de nos collègues et à la presse, et qu'elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise sur le site du Sénat.
M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence. - Monsieur le président, mesdames et monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de donner à l'Autorité de la concurrence l'occasion de dialoguer sur le projet de loi pour la croissance et l'activité.
Vous avez raison de dire que l'Autorité de la concurrence est impliquée à plusieurs titres dans ce texte, soit parce que certaines des modifications qu'il propose ont été inspirées par des avis rendus par l'Autorité de la concurrence, soit, comme vous l'avez souligné, parce que le projet de loi entend nous confier des pouvoirs nouveaux dans différents secteurs économiques, essentiellement la distribution, mais aussi les professions juridiques réglementées.
Enfin, le projet de loi propose des mesures de simplification et d'accélération du fonctionnement de l'Autorité de la concurrence après la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008 et l'ordonnance de novembre 2008, au vu de cinq ans de fonctionnement.
Ainsi que vous m'y avez invité, j'aimerais dire un mot, tout cela conditionnant le succès de tout l'édifice qu'on veut construire, des moyens dont l'Autorité de la concurrence a besoin pour exercer les nouvelles responsabilités qu'on entend lui confier.
Les propositions qui figurent en tête du projet de loi font écho à des recommandations de l'Autorité de la concurrence. Elles concernent essentiellement deux sujets, le transport par autocar et les autoroutes.
Sur le premier sujet, nous nous sommes autosaisis, utilisant un pouvoir que la LME nous a donné, et avons ouvert une enquête sectorielle, consistant à scruter le fonctionnement d'un secteur et à établir des recommandations aux pouvoirs publics comme aux entreprises, pour améliorer le fonctionnement de ce secteur.
Il nous a semblé que le transport par autocar, très développé en Allemagne depuis peu, mais aussi, depuis plus longtemps, au Royaume-Uni, constituait un bon exemple d'ouverture vertueuse à la concurrence. Elle aura dans ce secteur un effet d'induction. Elle ne conduira pas simplement à partager le gâteau entre deux parties, mais servira une demande qui ne trouve pas aujourd'hui d'offre de marché.
Ce sont les jeunes, les étudiants, les personnes âgées, les familles à faibles revenus qui recourent au covoiturage, car acheter un billet de train au dernier moment coûte relativement cher. L'autocar peut donc constituer une offre plus flexible, notamment dans les liaisons transversales, à des prix souvent bien plus abordables. Je pense par exemple aux liaisons entre le campus et le domicile des familles auquel reviennent les étudiants le week-end. Comme le montrent nos projections, on peut imaginer que cette ouverture va développer une demande qui n'attend qu'à être servie, mais qui ne rencontre pas d'offre de marché.
C'est d'autant plus dommage que la France est très bien placée de ce point de vue en Europe, avec Eurolines, filiale de la Caisse des dépôts, et iDBUS, filiale de la SNCF. Paradoxalement, c'est sur le sol français que ces deux entreprises ne trouvent pas réellement à agir. Elles se développent plutôt à l'extérieur de nos frontières, où les règles du jeu sont plus ouvertes.
En France, le transport par autocar n'est autorisé qu'au cabotage sur des lignes internationales. On peut faire Paris-Strasbourg si l'on va jusqu'à Berlin, ou Paris-Montpellier si l'on va jusqu'à Barcelone, mais on ne peut prendre que 50 % de voyageurs pour la liaison française, et n'y consacrer que 50 % du chiffre d'affaires, si bien que les autocars partent à moitié vides.
On rencontre également des problèmes de commodité. Si l'on veut débarquer les passagers à Berlin ou à Barcelone à une heure raisonnable dans la matinée suivant le jour du départ, on ne peut faire halte à Strasbourg ou à Montpellier qu'en pleine nuit.
Cette réglementation malthusienne n'a pas permis une offre qui, loin d'être entièrement concurrentielle par rapport au train, peut être largement complémentaire.
Nous nous réjouissons de voir que le texte reprend les propositions que nous avons faites, avec les mêmes garanties que celles que nous avons retenues : pour les liaisons courtes, où existe une concurrence entre le train et l'autocar - ou du moins une offre ferroviaire conventionnée et une nouvelle ligne d'autocar - la concurrence peut effectivement s'exercer. Une régulation est mise en place pour permettre aux régions, autorités organisatrices de transport (AOT), de s'opposer à l'ouverture d'une ligne d'autocar si cette nouvelle ligne risque de mettre substantiellement en péril l'équilibre économique de l'offre ferroviaire conventionnelle. Nous soutenons donc l'esprit de cette réforme.
S'agissant des autoroutes, nous avons rendu un avis qui a fait couler beaucoup d'encre en septembre dernier, à la demande de l'Assemblée nationale. J'ai été auditionné par la commission du développement durable du Sénat, que préside votre collègue Hervé Maurey, qui a créé un groupe de travail reprenant un certain nombre de nos propositions. Le projet de loi réexamine en fait la gouvernance des concessions autoroutières. Il n'aborde pas - et c'est normal - la question de la renégociation éventuelle des contrats de concession, qui est discutée entre l'État, les parlementaires et les sociétés d'autoroutes, mais il instaure des règles permanentes destinées à mieux réguler les concessions autoroutières et à permettre à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), aujourd'hui compétente pour le rail, d'exercer un rôle de surveillance et d'avis sur les contrats qui se nouent entre l'État et les concessionnaires d'autoroutes, qui ont un impact sur l'évolution des péages.
Cela correspond là encore à des propositions que nous avons émises.
En ce qui concerne l'autocar, nous avions proposé d'étendre les compétences de l'ARAF pour en faire un véritable régulateur bimodal, compétent pour l'ensemble des transports terrestres, compte tenu de la complémentarité entre les différents modes de transport.
Nous sommes heureux que le projet de loi réponde aux questions que nous nous étions posées et aux recommandations que nous avions formulées sur la question certes irritante mais importante de la privatisation des concessions autoroutières en 2006, qui s'est faite, pour deux d'entre elles, au profit de groupes de BTP intégrés. On le sait, le risque vient du fait que les groupes de BTP intégrés préfèrent faire appel à leurs propres filiales de travaux publics pour la réalisation et l'entretien des portions d'autoroutes, au détriment d'autres entreprises. Nous avions donc proposé un renforcement des obligations de publicité et de mise en concurrence pour ces groupes qui sont reprises dans le projet de loi.
Les pouvoirs nouveaux qu'entend nous confier le texte concernent essentiellement deux secteurs, la distribution et les professions juridiques. Ces deux secteurs n'ont d'ailleurs rien à voir l'un avec l'autre ; si je les associe, c'est par souci de facilité, mais je ferais hurler les notaires et les huissiers si je les plaçais dans la même catégorie que les supermarchés ou les hypermarchés. Cela n'a évidemment rien à voir...
S'agissant de la distribution, le projet de loi entend renforcer la concurrence. Il est en réalité inspiré par les mêmes préoccupations que celles qui avaient animé la LME en 2008, dont le rapporteur était Gérard Larcher, Mme Lamure ayant également joué un rôle important au Sénat. Le projet de loi entend tirer toutes les conséquences du constat déjà porté en 2008.
En France, l'industrie de la grande distribution est efficace et a réussi à imposer un certain modèle dans le monde, mais elle se concentre de plus en plus. On peut constater, en amont, la constitution de super-centrales d'achat, qui se sont récemment renforcées grâce aux accords passés entre Système U et Auchan, Intermarché et Casino, Carrefour et Cora. La commission des affaires économiques du Sénat a d'ailleurs demandé l'avis de l'Autorité de la concurrence sur les conséquences que l'on peut en tirer.
En second lieu, l'industrie française de la distribution n'est pas tellement plus concentrée que dans d'autres pays européens comme l'Italie ou le Royaume-Uni, mais les diverses enseignes ne sont pas toujours représentées localement. Dans certaines zones de chalandise, les Français n'ont en fait accès qu'à deux enseignes qui se font concurrence, là où d'autres zones de chalandise offrent plus de diversité, notamment dans l'alimentaire, avec un choix entre quatre enseignes, par exemple.
Le niveau de prix dépend bien évidemment de l'intensité concurrentielle qui existe dans la zone de chalandise, non en fonction du nombre théorique d'enseignes au plan national, mais par rapport au choix concret qui s'offre aux consommateurs dans la zone où ils réalisent leurs achats.
C'est cette situation d'insuffisante diversité de l'offre que le projet de loi entend traiter en accordant de nouveaux pouvoirs à l'Autorité de la concurrence. La LME avait déjà confié à l'Autorité de la concurrence un pouvoir d'injonction structurelle consistant, dans certaines zones de chalandise où la diversité était insuffisante, en cas d'échec d'une procédure négociée, à imposer à une enseigne de vendre des surfaces pour animer la concurrence dans la zone de chalandise où elle agit.
Les conditions pour mobiliser cette injonction structurelle étaient extrêmement strictes, difficiles à obtenir, la loi subordonnant son usage à un constat d'abus de position dominante et à la réitération de l'abus, malgré une décision de condamnation de l'Autorité de la concurrence. Les condamnations de l'Autorité de la concurrence sont respectées, et les entreprises veillent à ne pas réitérer le comportement condamné : nous n'avons donc jamais trouvé de cas permettant d'appliquer cette disposition.
Depuis, le dispositif a été amélioré lors de la discussion de la loi « Lurel » relative à la régulation économique outre-mer. Cette loi a adopté une nouvelle rédaction de l'injonction structurelle, que reprend le texte qui vous est soumis. L'injonction structurelle pourra être mobilisée dans le cas où une enseigne jouit d'une position dominante dans une zone de chalandise dans laquelle elle opère et où elle détient - ce qui n'existait pas dans la loi « Lurel » - une part de marché supérieure à 50 %.
Dans le cas où l'on constaterait, preuves à l'appui, et après une instruction contradictoire, que la moyenne des marges et des prix est supérieure, du fait de cette enseigne, à la moyenne des marges ou des prix observés dans le secteur économique, l'Autorité de la concurrence pourrait engager le dialogue avec l'enseigne pour qu'elle modifie ses comportements et prenne des engagements. En cas d'échec de cette procédure négociée, on pourrait passer à une phase plus coercitive, dans laquelle l'Autorité pourrait par exemple dénouer les accords de centrales d'achat avec d'autres enseignes et, en ultime recours, à condition que ce soit nécessaire et proportionné, aller jusqu'à la vente de surfaces pour rétablir la concurrence dans la zone considérée.
L'Autorité de la concurrence dispose d'un second outil ; il s'agit de la possibilité de donner un avis sur les implantations commerciales dans les documents d'urbanisme, PLU ou SCOT. Le ministre de l'économie et le préfet pourront, l'un ou l'autre, saisir l'Autorité de la concurrence, afin qu'elle examine si ces documents d'urbanisme ne comportent pas de restrictions injustifiées concernant les implantations commerciales.
Le Gouvernement a tenu à nous confier ce pouvoir, que nous ne demandions pas. Bien que ne soit pas notre proposition, le Gouvernement, en plein accord avec les majorités de l'Assemblée nationale comme du Sénat, a souhaité maintenir en l'état la législation de l'équipement commercial, faire en sorte que les documents d'urbanisme n'ajoutent pas de conditions excessives à l'implantation des différentes formes de commerce, et que l'on puisse solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence. Il ne s'agit que d'un pouvoir d'avis, qui ne lie évidemment pas les autorités de l'État ou les collectivités locales concernées.
Enfin, le projet de loi a été enrichi par le travail en commission et le débat en séance publique en matière de contrats d'affiliation, suite à des recommandations émises par l'Autorité de la concurrence en décembre 2010. Ces contrats d'affiliation agitent en ce moment beaucoup le monde de la distribution. Je voudrais m'expliquer à ce sujet...
Nous pensons que leur mise en place sera difficile, pour des raisons liées au maintien de la législation sur l'équipement commercial et à la nécessité, avant d'implanter une surface commerciale de plus de 1 000 mètres carrés, d'obtenir une autorisation des commissions départementales d'aménagement commercial. Cela reste un obstacle, en raison de la difficulté à composer le dossier et face au risque de décisions divergentes selon les départements, ainsi que de contentieux accompagnant les décisions.
Nous pensons qu'un autre moyen d'animer la concurrence dans les zones de chalandise est de permettre la concurrence, non seulement par l'entrée de nouveaux formats, mais aussi par la possibilité pour des magasins de changer d'enseigne. De plus en plus, les magasins, notamment en matière alimentaire, ne sont plus gérés par des salariés de groupes intégrés, mais par des gestionnaires qui prennent un risque commercial et s'affilient à une enseigne de la distribution.
Nous avons constaté que cette mobilité entre les enseignes, que nous pensons nécessaire, est souvent entravée par le verrouillage des contrats d'affiliation, du fait de leur durée excessive, parfois jusqu'à vingt-cinq ans sans pouvoir sortir du contrat, de la superposition de contrats dont aucun n'a la même échéance, de clauses de non-concurrence ou de non réaffiliation post-contractuelle qui dissuadent d'en sortir, du cumul de verrous et d'obstacles qui interdisent la mobilité inter-enseignes. C'est à cela que s'attaque le projet de loi, en proposant de limiter à neuf ans la durée de ces contrats, et en limitant également le recours aux clauses de priorité de non-réaffiliation ou de non-concurrence à l'issue du contrat.
Nous sommes saisis par la commission des affaires économiques du Sénat de la question des super-centrales d'achat, qui vont peser encore plus dans la négociation tarifaire vis-à-vis des industriels, notamment dans l'agroalimentaire, où l'on sait combien les discussions sont difficiles, avec des enseignes dont la puissance va être renforcée par les regroupements auxquels nous avons assisté.
Nous rendrons nos conclusions mais, sans attendre, nous avons fait deux propositions, que je livre ici...
Tout d'abord, ces opérations ne sont pas contrôlables au titre des opérations de concentration, comme les fusions ou les rachats. Nous n'avons pas le pouvoir de les autoriser parce qu'il ne s'agit pas d'opérations de concentration au sens du code de commerce. Nous avons donc proposé qu'elles puissent au moins faire l'objet d'une information préalable et obligatoire de l'Autorité de la concurrence, qui pourrait enquêter, obtenir des informations, et d'une clause de standstill, qui interdirait de les mettre en oeuvre juste avant des campagnes de négociations tarifaires avec les fournisseurs, de manière à bénéficier d'une zone de sécurité.
Le débat n'a pas encore eu lieu à l'Assemblée nationale, mais nous sommes également soucieux de trouver le moyen de réprimer certains des abus qui existent dans ces négociations entre grandes enseignes et fournisseurs, notamment au sujet de la pratique des garanties de marges qu'exigent parfois les distributeurs. Peu importe l'évolution des coûts des matières premières : les fournisseurs doivent offrir un prix garantissant la marge opérationnelle des enseignes.
Nous entendons répondre à ce risque par une redéfinition de l'abus de dépendance économique, infraction qui existe dans le code de commerce, mais qui est très peu utilisée, en raison des conditions restrictives posées par la jurisprudence, que nous souhaiterions remettre d'équerre pour permettre un usage plus facile de cette infraction.
Quant aux professions juridiques, nous serons impliqués de deux façons, à commencer par la méthodologie tarifaire qui sera mise en place par décret. Ce décret sera soumis à l'Autorité de la concurrence. Il s'agit d'une modernisation de la fixation des tarifs de professions telles que les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs et les mandataires judiciaires. Ce sont essentiellement eux qui sont concernés par ces propositions.
En second lieu, l'Autorité de la concurrence fera une proposition de carte permettant de réguler l'installation de nouveaux professionnels du droit. Le texte confie à l'Autorité de la concurrence le soin d'établir une carte définissant en quelque sorte les différentes zones, notamment celles où l'offre est insuffisante, et dans lesquelles l'installation de nouveaux professionnels du droit pourrait être favorisée pour permettre de satisfaire une demande mal honorée.
C'est essentiellement sous ces deux angles - tarification et régulation de l'installation - que les compétences de l'Autorité de la concurrence seront mobilisées.
Enfin, la modernisation des règles de fonctionnement de l'Autorité de la concurrence comporte essentiellement trois modifications.
En premier lieu, le projet de loi propose de confier à l'Autorité de la concurrence un véritable pouvoir de transaction. Nous avons aujourd'hui une procédure qui permet aux entreprises, une fois qu'elles ont reçu la notification de griefs, c'est-à-dire l'accusation de pratiques anticoncurrentielles, de ne pas contester ces griefs et d'obtenir une réduction de l'amende qui leur sera infligée.
Notre proposition de procédure de transaction a fait consensus. La rapporteure générale, qui dirige les services d'instruction pourra négocier une fourchette de sanctions, qu'elle transmettra au collège qui fixera la sanction à l'intérieur de la fourchette qui aura été acceptée par l'entreprise. Cette procédure accélérera et mettra surtout un point final aux affaires, l'entreprise qui aura transigé ne pouvant plus contester la sanction dont elle est l'objet.
La deuxième modification porte sur une plus grande flexibilité dans le contrôle des concentrations, du point de vue des délais et du dialogue avec les entreprises concernées.
Enfin, la troisième modification consiste en une extension mesurée des pouvoirs d'enquête des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, qui pourront, comme peuvent le faire aujourd'hui le fisc, la douane ou l'Autorité des marchés financiers (AMF), avoir accès aux fadettes, ces factures détaillées des conversations téléphoniques. Nous devons en effet nous adapter à la sophistication des techniques de collusion.
Aujourd'hui, un certain nombre d'entreprises, pour se mettre à l'abri de nos enquêteurs, communiquent avec leurs concurrentes par le biais de téléphones mobiles confiés aux cadres ou aux salariés, stockés au domicile de ces salariés, auquel nous n'avons pas accès. Pour prouver la collusion, il nous faut démontrer que telle personne a appelé telle autre personne, ce qui constituera un indice d'échange d'informations ou, du moins d'un accord à la base de l'entente que nous voulons détecter.
Tout cela ne fonctionnera que si les moyens de l'Autorité de la concurrence sont renforcés. L'Autorité de la concurrence est une petite institution qui compte 181 personnes et dispose de moins de 20 millions d'euros de budget. Les arbitrages budgétaires arrêtés l'été dernier prévoient une diminution pour les trois prochaines années aussi bien du nombre d'emplois que de ce budget. Compte tenu des responsabilités nouvelles que ce projet de loi entend nous confier, il est clair que nous ne pourrons les assurer que si les moyens dont nous disposons sont substantiellement relevés, qu'il s'agisse du nombre d'emplois ou du budget. Nous avons toujours été très sobres dans notre fonctionnement. Nous sommes une des institutions qui coûte le moins à la République, pour un rapport loin d'être négligeable.
Si l'on ne revoit pas le chiffre des emplois et du budget, nous ne pourrons assurer correctement ces missions sans entamer notre capacité d'initiative concernant les nouveaux sujets que nous portons - autocars, autoroutes, etc. Il n'y aura surtout plus personne pour détecter les ententes, traiter les dossiers d'abus de position dominante. Personne ne le fera à notre place !
Je me réjouis que le Gouvernement nous confie des pouvoirs nouveaux, même si je suis conscient que cela entraînera une nouvelle impopularité de l'Autorité de la concurrence, qui se fera de facto de nouveaux ennemis, mais si les moyens ne sont pas redessinés, je crains un affaiblissement sensible de cette institution à long terme. C'est pourquoi je tiens à vous alerter sur ce sujet.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Merci, monsieur le président. Vous avez abordé beaucoup des sujets qui sont au coeur de ce projet de loi, jusqu'aux fadettes. Je ne doute pas qu'il y ait beaucoup de questions sur les différents points que vous avez soulevés.
La parole est aux rapporteurs.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - À combien chiffrez-vous les moyens dont vous devez disposer, et le nombre d'emplois qui devraient être créés pour l'application des nouvelles dispositions du projet de loi ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Considérez-vous, s'agissant de la mobilité, que le texte adopté à l'Assemblée nationale correspond à vos recommandations, en particulier concernant le secteur autoroutier ?
Pour ce qui est du transport en autocar, vous préconisiez une ouverture totale au-delà d'un seuil de 200 kilomètres. Or, l'Assemblée nationale a fixé celui-ci à 100 kilomètres. Qu'en est-il ? Pensez-vous utile de revenir sur l'élaboration de ce critère de distance kilométrique ?
Par ailleurs, quels vont être les rapports entre l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) et l'Autorité de la concurrence ?
Enfin, quel est le bon indicateur pour mesurer la rentabilité d'une ligne ferroviaire ?
Concernant la distribution, quelle est la position de l'Autorité de la concurrence au sujet des changements d'enseigne et de la concurrence dans le commerce de détail ? Ces dispositions vous paraissent-elles utiles ? Vont-elles assez loin ? Sont-elles au contraire trop limitées ? Vous paraît-il important de réfléchir à une différenciation entre les réseaux de distribution intégrée et les réseaux de commerçants indépendants mais associés ?
Enfin, vous avez fait référence à de nouvelles compétences dans le domaine de l'urbanisme commercial. L'Autorité de la concurrence est-elle assez proche du niveau local pour y faire face - même si j'ai bien compris que l'avis que vous émettez ne s'impose pas ?
M. Bruno Lasserre. - Mme Catherine Deroche me demande à combien j'évalue les besoins de l'Autorité. Pour être tout à fait franc, nous ne pouvons pas mener sérieusement les tâches qui nous sont demandées sans avoir entre vingt-cinq et trente agents supplémentaires, et une revalorisation de notre budget de l'ordre de 7 millions d'euros.
Mme Nicole Bricq. - En équivalent temps plein ?
M. Bruno Lasserre. - Oui. C'est, selon moi, le strict minimum pour pourvoir mener les choses à bien correctement. Je ne fixe pas ce chiffre pour obtenir moins.
Mme Estrosi-Sassone a, quant à elle, posé des questions sur la mobilité et la distribution.
S'agissant des recommandations concernant les nouvelles règles du jeu, aussi bien pour les autocars que pour les autoroutes, cela correspond bon an mal an aux recommandations établies par l'Autorité de la concurrence au printemps et en septembre 2014.
Pour ce qui est des autoroutes, le Gouvernement - et c'est légitime - ne reprend que les propositions permanentes. Nous lui avions recommandé de profiter du plan de relance autoroutier et de la renégociation de la durée des concessions accompagnant la mise en place du plan pour en renégocier aussi les conditions, notamment en revoyant la formule d'évolution des péages et en introduisant, au-delà d'une rentabilité nette qui serait convenue, des clauses de partage des profits entre l'État et les sociétés d'autoroutes. Cela ne peut relever de la loi. Le Gouvernement doit entamer une négociation avec les sociétés d'autoroutes, d'ailleurs déjà en cours.
La loi se borne à mettre en place des dispositions permanentes que nous avions proposées pour réguler les sociétés d'autoroutes de manière plus indépendante, à la fois en conférant un pouvoir d'enquête et d'information à l'ARAFER, dont les compétences sont étendues à la route, et en lui octroyant un pouvoir d'avis sur l'ensemble des contrats - contrats de concessions, cahiers des charges, contrats de plan - qui vont avoir un impact sur l'évolution des péages. Enfin, la loi renforce les obligations de publicité et de mises en concurrence des groupes détenteurs de concessions autoroutières. Cela correspond exactement à nos propositions.
Pour ce qui est de l'autocar, nous avions établi une distinction entre deux types de lignes, celles dont la distance est supérieure à 200 kilomètres, pour lesquelles nous prévoyons une autorisation de plein droit, sous réserve de critères de compétences et de transparence financière, et celles inférieures à 200 kilomètres, pour lesquelles nous proposons une régulation par des autorisations individuelles, qui permettraient aux AOT de s'opposer à la création de la ligne.
Pourquoi avons-nous choisi ce critère kilométrique ? Il nous a semblé qu'au-delà, la substituabilité entre l'autocar et le train était très faible, compte tenu de la différence de temps que le voyageur supporte selon qu'il choisit l'un ou l'autre de ces moyens de transport, et qu'en deçà de 200 kilomètres, cette substituabilité est bien plus forte.
Le critère kilométrique retenu par l'Assemblée nationale à ce stade n'est pas très différent du nôtre, celui-ci prenant en compte la distance totale de la ligne. Ici, il s'agit d'un critère de 100 kilomètres entre chaque étape. Les AOT pourront donc s'opposer à l'ouverture entre chaque ville et sur chaque tronçon de la ligne d'autocars dont l'ouverture est programmée.
S'agissant de l'ARAFER, nous avions proposé d'élargir les compétences de l'ARAF au domaine de la route. Cela correspond exactement à nos propositions. Les rapports seront inspirés de ce qui existe de manière générale entre régulateur sectoriel et l'Autorité de la concurrence : chaque fois que nous enquêterons dans un domaine de compétences de l'ARAFER, nous devrons solliciter son avis pour obtenir un éclairage du régulateur sectoriel. De même, lorsque nous examinerons une concentration dans ce secteur, nous solliciterons l'avis du régulateur sectoriel. En sens inverse, il pourra lui-même nous transmettre des affaires s'il découvre, à l'occasion de son travail d'enquête et de régulation, des pratiques qui pourraient relever d'ententes ou d'abus de positions dominantes. Comptez sur nous pour entretenir les meilleurs rapports avec cette institution, dont une vice-présidente est une ancienne rapporteure de l'Autorité de la concurrence. Je suis convaincu que nos relations seront fructueuses et intenses.
Vous avez soulevé la question de la mesure de la rentabilité. Le test économique que l'on va appliquer en deçà de 100 kilomètres doit conduire à se poser la question de la cohérence des investissements de transport. Si les AOT subventionnent parfois lourdement le maintien de TER conventionnés - elles s'en plaignent d'ailleurs parfois -, il est normal qu'elles veillent au fait que les lignes d'autocars ne conduisent pas à l'arrêt de ces offres conventionnées, si le transfert de clientèle qui pourrait s'opérer du train vers l'autocar remettait en cause de manière substantielle l'équilibre économique de l'offre conventionnée.
On sait qu'une offre de transport par autocar est flexible et peut se reconstituer facilement ; il est très difficile de rouvrir une ligne de train qui ferme. C'est irréversible. Nous en sommes conscients, et le projet de loi y répond. L'AOT pourra s'opposer, après avis conforme de l'ARAFER, à l'ouverture de la ligne d'autocars si elle démontre que la création de cette ligne remet en cause de manière substantielle l'équilibre économique de l'offre conventionnée.
Vous m'avez interrogé sur les contrats d'affiliation concernant la distribution. Avant l'élection présidentielle, le Gouvernement précédent avait soumis à l'Assemblée nationale et au Sénat un projet de loi dit « projet de loi Lefebvre » sur la consommation. Ce projet de loi comportait déjà des dispositions qui encadraient ces contrats d'affiliation. Ce texte avait été adopté par l'Assemblée nationale et examiné de manière approfondie et remarquable par le Sénat. Son rapporteur, M. Fauconnier, avait réalisé un travail très complet, étudiant attentivement les contrats actuels. S'inspirant des recommandations de l'Autorité de la concurrence, le Sénat avait adopté un texte extrêmement intéressant.
Il allait en effet plus loin que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, en ce sens qu'il réglait non seulement les questions de fond, mais imposait également que l'ensemble des contrats soient réunis dans un document unique. Aujourd'hui, celui qui s'affilie est soumis à toute une série de contrats, dont aucun n'a la même durée. Il existe un contrat pour accéder à la centrale d'achats, un contrat pour bénéficier du savoir-faire informatique, etc. Aucun n'a la même échéance ! Lorsque vous en dénoncez un, les autres continuent à courir, si bien que vous ne pouvez jamais sortir de la relation contractuelle.
L'intérêt du texte adopté par le Sénat était d'imposer la réunion, dans un document unique, de l'ensemble des droits et des obligations qui lient la tête d'enseigne et les magasins affiliés. Cette obligation formelle allait dans le sens de la transparence et de la clarté.
Le texte plafonnait également la durée de manière plus contraignante. Il ne s'agissait pas de neuf ans, mais de six ans et on allait plus loin que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale en ce qui concerne la prohibition des clauses de non-affiliation ou de non-concurrence.
Ce texte nous convenait très bien. Ce sujet, alors qu'il n'avait pas tellement bouleversé les foules il y a trois ou quatre ans, paraît aujourd'hui révolutionnaire. À l'époque, les majorités n'étaient pas les mêmes à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais les deux chambres avaient adopté un texte visant le même objectif. Il semble que ces dispositions créent cependant beaucoup d'émotion, alors que le texte est bien plus prudent - il va nettement moins loin que le texte du projet de loi « Lefebvre » -, et qu'il a pour vertu de pouvoir s'appliquer aussi bien aux groupes intégrés qu'aux groupes coopératifs.
En effet, la réglementation qui est prévue n'est pas incompatible avec le modèle coopératif. La meilleure preuve est que Système U qui, ne l'oublions pas, est une enseigne coopérative, pratique des contrats ouverts d'un an, permettant à tout moment à l'adhérent d'en sortir. Que je sache, Système U n'a pas mis la clef sous la porte et fonctionne très bien ! Ceux qui bénéficient aujourd'hui des contrats ouverts risquent de voir leurs magasins débauchés par des enseignes qui disposent de contrats fermés, et une fois ces magasins débauchés, que ceux-ci ne soient plus disponibles pour la concurrence. On aurait alors des forteresses inexpugnables, avec des magasins verrouillés à jamais. Plus ils seront verrouillés, plus la puissance d'achat des enseignes et le pouvoir qu'elles détiendront seront forts, sans contre-pouvoir interne.
Ce texte ne présente un intérêt que si les dispositions qu'il contient sont raisonnables, ne remettent en cause ni le modèle ni l'investissement coopératif, et s'appliquent aussi bien aux groupes intégrés et aux groupes coopératifs. Je rappelle que les groupes intégrés comme Carrefour, Casino ou Auchan, recourent de plus à plus à ces contrats d'affiliation.
M. François Pillet, rapporteur. - Après quelques hésitations, les députés ont retenu un mécanisme de fixation des tarifs des professions réglementées qui met en oeuvre une double péréquation, la première au moment de l'établissement du tarif, entre les actes rémunérateurs et les autres, puis une seconde péréquation, qui serait réalisée grâce à un fonds spécifique permettant de verser la différence au professionnel qui réaliserait un acte en deçà du tarif, afin de combler sa marge.
Ce système, qui n'a pas à première vue le mérite de la simplicité, est-il conforme à ce que vous aviez préconisé ?
Par ailleurs, la loi vise à créer une concurrence tarifaire au sein de chaque profession. Or, les professions concernées sont légalement interdites de publicité, sauf les avocats, qui ont corrigé les règles qu'ils s'étaient eux-mêmes infligées en la matière.
La possibilité de faire connaître ses prix ou de démarcher un client est un élément important de concurrence. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, vous avez proposé d'ouvrir bien plus largement le capital et les droits de vote au sein des sociétés d'exercice libéral ou des holdings de professions libérales. Ce faisant, ne craignez-vous pas que cela pose un problème pour l'indépendance d'exercice des professionnels concernés ? Quelle sera la politique de l'expert-comptable qui détiendra une société d'avocats vis-à-vis de ces derniers ?
En augmentant la possibilité d'ouvrir le capital vers l'extérieur, alors qu'il n'est pas extensible, vous limitez la possibilité pour certains jeunes d'y entrer. Cela me choque quelque peu - sauf si vous me fournissez une explication technique à ce sujet...
M. Bruno Lasserre. - Quels sont les objectifs de la nouvelle régulation tarifaire qui devrait être mise en place ? Nous avons pris parti sur cette question le 9 janvier dernier. Nous voyons dans la régulation tarifaire trois objectifs qu'il convient de poursuivre ensemble.
Le premier objectif consiste à maintenir la qualité. La concurrence qui va se renforcer ne doit pas se faire au détriment de la qualité, notamment de la sécurité juridique à laquelle ont droit nos concitoyens. Nous y tenons, quel que soit leur lieu de résidence.
En deuxième lieu, nous souhaitons plafonner la rente. Ces professions étant en situation de monopole, il est normal qu'elles ne dégagent pas un revenu excessif. Dans toute situation de monopole, les pouvoirs publics sont légitimes à limiter la rentabilité. Ce plafonnement de la rente n'est pas, selon nous, contradictoire avec la recherche d'une meilleure efficacité. Les notaires, comme les huissiers, peuvent avoir une gestion plus avisée de leurs études, réaliser des investissements informatiques, recourir à des salariés de qualité : il est normal que cette efficacité se retrouve dans des tarifs plus bas.
Enfin, le troisième objectif est celui du maillage territorial. Il ne faut pas qu'il existe de déserts juridiques, ni d'offre inégalitaire en France. Nous y tenons beaucoup. La péréquation répond à ce souci de maillage territorial.
Le projet de loi est complexe. Il prévoit une péréquation à deux niveaux, entre les actes au sein d'une même étude, et entre études. C'est une question de bon sens : si l'on considère que l'achat d'un appartement de luxe parisien comble l'insuffisante rémunération qu'un notaire retirera d'une petite transaction - une cave ou un minuscule local dans une copropriété - il faut bien reconnaître que le notaire de province, lui, ne bénéficie pas de l'immobilier parisien. Comment la compensation s'opérera-t-elle pour lui ? Il ne peut s'agir que d'une compensation entre les études les plus rentables, qui doivent pouvoir financer les moins rentables.
L'objectif est de bénéficier d'un maillage territorial qui garantisse une présence de la plus uniforme possible, et qui ne crée pas d'inégalités entre Français selon le lieu où ils habitent et travaillent.
Quant à la concurrence tarifaire, elle sera plus limitée du fait de la suppression du fameux corridor tarifaire décidée par l'Assemblée nationale, mais elle pourra néanmoins jouer grâce aux remises que les notaires pourront pratiquer, notamment lorsqu'ils utilisent des tarifs proportionnels.
Il nous semble que cette plus grande flexibilité et cette plus grande liberté tarifaire qui seront reconnues aux professions juridiques doivent s'accompagner d'une publicité des tarifs. Nous avons recommandé dans notre avis, que l'Assemblée nationale a suivi, l'obligation pour les notaires ou pour les huissiers de publier sur leur site Internet les tarifs des différents actes auxquels les clients peuvent avoir recours.
C'est d'autant plus important que les notaires n'ont pas de zone territoriale affectée, contrairement aux avocats ou aux huissiers. Les notaires ont en effet une compétence nationale, et la population recourt peu souvent à leurs services - cinq ou six fois en moyenne au cours de l'existence...
M. Michel Raison. - Ce n'est pas ce qui va redonner beaucoup de pouvoir d'achat !
M. Bruno Lasserre. - Ce n'est pas la question qui m'a été posée ! Je réponds à la question concernant la publicité...
Un certain nombre de personnes sont peut-être prêtes à faire cinquante kilomètres de plus pour économiser 2 000 euros, afin de trouver un notaire moins cher. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose pour l'émulation entre professionnels !
Enfin, s'agissant des modes d'exercice, si l'on permet l'ouverture du capital et des droits de vote entre professions juridiques, il n'est évidemment pas question de déroger aux règles éthiques qui gouvernent chacune de ces professions. Elles resteront applicables à chacune, même si elles relèvent de sociétés dont le capital pourra être ouvert à d'autres professions juridiques.
M. François Pillet, rapporteur. - L'article 11 relatif à l'injonction structurelle, tant dans sa rédaction que dans sa portée, constitue une innovation juridique assez forte.
L'Autorité de la concurrence pourra intervenir à propos de la position dominante d'un opérateur, mais sans abus, pour une part de marché supérieure à 50 % - ce qui n'est pas si rare - si celui-ci soulève des « préoccupations de concurrence ». Le terme de « préoccupation » pose juridiquement quelque problème d'analyse, mais ne pensez-vous pas que vous allez devenir juges d'un acte de gestion non délictuel sans craindre la responsabilité, corollaire du pouvoir du gérant ?
Par ailleurs, quel est votre sentiment vis-à-vis de la critique émise par la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité, qui a jugé cette mesure potentiellement dangereuse pour l'investissement et la vie économique, en ce qu'elle « déroge largement à la "philosophie" du droit de la concurrence et est porteur de risques réels en termes de sécurité juridique et de liberté des prix. »
La commission ajoute : « Au vu des risques portés par un tel mécanisme et de l'absence d'éléments connus sur ses effets économiques et sa capacité de répondre aux problématiques actuelles du secteur, une étude approfondie du type de celle menée au Royaume-Uni serait souhaitable avant la mise en oeuvre du dispositif. »
Que pensez-vous de ce pouvoir qui risque d'entrer dans vos responsabilités ?
Mme Nicole Bricq. - Estimez-vous que le projet de loi pour la croissance et l'activité se situe, pour la matière qui est la vôtre, dans la prolongation de la loi LME, en l'amplifiant et en ouvrant davantage l'économie française, ce que n'avait pu faire la LME ?
En second lieu, que répondez-vous aux critiques des sociétés d'autoroutes, qui ne sont pas les seules à vous reprocher de privilégier l'intérêt du consommateur et de ne pas prendre en compte la rentabilité économique ? J'ai en effet lu ce matin que l'on vous soupçonne de préférer regarder le taux de profit plutôt que le retour sur investissement...
Enfin, la loi va vous conférer un pouvoir de transaction sur le montant des sanctions qui me paraît très important. Cela va vous demander beaucoup de travail. C'est habituellement l'autorité ministérielle qui s'occupe de la transaction, lorsque celle-ci est nécessaire. Ce sera maintenant à vous de vous en charger...
M. Daniel Raoul. - Vous êtes déjà intervenu sur trois lois différentes, la LME, la loi « Lurel », et la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR).
Malgré le temps que l'on y a passé, malgré la loi LME, malgré la loi « Lurel », malgré la loi ALUR, on ressent encore des hésitations, alors qu'il existe sur l'étagère de la commission des affaires économiques du Sénat un document d'aménagement commercial (DAC) dont vous avez souligné la pertinence. Il demeure à la disposition de chacun. Il avait été élaboré dans le cadre du projet de loi « Lefebvre », mais aucune des deux assemblées n'y a donné suite. Je pense qu'on devrait le réactiver.
S'agissant de la concurrence, vous avez évoqué une certaine disparité des distributeurs suivant les territoires. Le problème vient davantage, selon moi, des super-centrales d'achat. C'est sous cet angle que l'on devrait étudier la concurrence réelle, en particulier les relations avec les producteurs et le racket organisé qui en découle.
Enfin, je souhaiterais que vos avis traitent des problèmes liés au vieillissement de la population et aux commerces de proximité.
M. Michel Raison. - Je ne fais pas partie des personnes qui défendent tel ou tel territoire, mais de ceux qui se battent pour assurer un équilibre d'ensemble. Or, la loi Macron va le remettre complètement en cause. Il faut y prendre garde : en additionnant les lois sans se soucier du sort que l'on réserve à telle ou telle profession, en particulier les professions juridiques, on court à la catastrophe !
S'agissant de la distribution, je rejoins ce qu'a dit mon collègue. Il existe deux contradictions. Vous avez évoqué le problème de la diversification des enseignes dans certaines zones. On s'en moque ! Il n'est pas très grave que certaines zones soient insuffisamment diversifiées. Je connais bien le sujet : lorsque j'étais député, j'ai rapporté la loi « Chatel », j'ai refusé de rapporter la loi LME, et je n'ai pas voté la négociabilité. Nos technocrates sont persuadés que plus on baisse le prix, plus on fait monter la croissance. Cependant, les courbes comportent toujours des optimums. Plus on cherche à faire baisser les prix, plus on met en danger les transformateurs français, qui sont en permanence asphyxiés par la grande distribution. Si vous avez la solution pour y remédier, je suis preneur ! Il faudrait commencer par supprimer la négociabilité mise en place précédemment.
Il s'agit d'un problème spécifique à la France. Lorsque nos fournisseurs travaillent avec Lidl ou Aldi, bien que les choses commencent à changer, ils sont moins maltraités. Même si le prix est aussi bas, les contrats sont mieux respectés que lorsqu'ils travaillent avec Leclerc, pour ne pas le citer !
Le deuxième problème concerne les autocars. On a confié en 2000 la compétence des TER aux régions. Beaucoup de lignes de TER doublent la route. Comment la loi va-t-elle faire pour favoriser le transport par autocar ? À qui va-t-elle confier cette compétence, alors que toutes les régions se posent la question de savoir si l'État va pouvoir maintenir les lignes de trains Intercités, dont on a grandement besoin pour irriguer le territoire.
On désorganise tout d'un seul coup. Laissons les conseils régionaux, qui ont plutôt bien travaillé sur ce sujet, prendre les initiatives. Il s'agit parfois de lignes de 200 kilomètres que les régions ont équilibrées entre le train et l'autocar !
S'agissant des professions réglementées, on veut instaurer une caisse de péréquation nationale, mais il en existe déjà une dans les études notariales, et elle ne fonctionne pas si mal... L'État a déjà opéré un hold-up sur les Agences de l'eau, et dans les réserves des chambres d'agriculture ou des chambres de commerce : dès que cette caisse de péréquation sera alimentée, l'État la ponctionnera.
Simplifions les choses ! Réformons ce qui ne fonctionne pas, mais ne déstabilisons pas ce qui fonctionne, et n'ajoutons pas de la complexité à la complexité ! Merci de bien vouloir m'entendre, monsieur le président.
M. Bruno Lasserre. - Un mot sur la philosophie de l'Autorité de la concurrence pour ceux qui nous accusent de défendre le consumérisme...
Mme Nicole Bricq. - Je ne partage pas forcément ces critiques !
M. Bruno Lasserre. - Le montant des sanctions prononcées en 2014 par l'Autorité de la concurrence représente 1,13 milliard d'euros, dont 951 millions d'euros pour deux ententes dans le secteur des produits d'hygiène. Cela représente des mètres et des mètres de linéaires de supermarchés. Nous avons sanctionné Procter et Gamble, Unilever, Henkel, des sociétés mondiales, des multinationales. Comment voulez-vous qu'elles disent du bien de nous ? Elles estiment que nous n'avons rien compris à leur « business », et sont persuadées que nous défendons un consumérisme de bas étage. Ce n'est pas la vérité !
Nous sommes en effet favorables à l'économie de marché. Nous croyons fondamentalement à l'économie de marché, dans laquelle les chefs d'entreprise définissent leur stratégie. Nous ne sommes pas pour l'économie administrée, où ce sont les régulateurs qui décident à la place des entreprises. J'ai beaucoup de respect pour les entreprises, et c'est à elles d'agir.
Il existe cependant des règles du jeu dans une économie de marché. Elle ne peut fonctionner que si les entreprises définissent leur stratégie en toute autonomie. Il ne faut pas croire qu'elles sont concurrentes alors que, secrètement, elles s'entendent entre elles pour fixer les prix, partager les clients, ou les marchés. Ce n'est pas de l'économie de marché ! Quand nous avons le courage de le révéler et de les sanctionner de manière dissuasive, on nous dit que nous n'avons rien compris et que nous décourageons la production. C'est tout l'inverse ! C'est comme si l'arbitre sportif renonçait à sanctionner le dopage en estimant qu'il est nécessaire à la compétition sportive. Le dopage est l'antithèse du fair-play et de la loyauté dans la compétition. Or, nous sommes les gardiens de règles du jeu qui ont pour objet de donner les mêmes chances à tous.
Concernant les sociétés d'autoroutes, le procès qui nous est fait est injuste. Nous avons été saisis d'une question précise par la commission des finances de l'Assemblée nationale : les règles du jeu applicables aux concessions autoroutières, notamment les formules d'évolution des péages, garantissent-elles ou non aux sociétés d'autoroutes, depuis la privatisation de 2006, une rentabilité normale ou excessive ? Nous avons constaté que, depuis 2006 - mais la chose aurait été la même que les sociétés aient été privatisées ou non - les formules d'évolution des péages, telles qu'elles avaient été négociées, garantissaient une rentabilité nette, après impôt et remboursement des charges d'emprunt, comprise entre 19 % et 32 % en 2006 ; entre 2013 et 2014, elle oscillait entre 20 % et 24 %. Ce chiffre ne peut qu'augmenter au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'échéance de la concession, les investissements devant être amortis.
Nous avons estimé que l'économie de marché devait permettre des profits élevés lorsque l'entreprise prend un risque important. Nous avons étudié si, à côté de cette rentabilité indéniablement forte, il existait un risque pour les concessionnaires autoroutiers, du côté de l'évolution du trafic, du fait de l'apparition de charges imprévisibles ne pouvant être anticipées, ou de la dette massive qu'ont souscrite les sociétés d'autoroutes... Nous avons constaté qu'il n'existait pas de risques justifiant une rémunération aussi élevée !
On déplore que nous n'ayons pas étudié le taux de retour sur investissement. Bien sûr, le taux de retour sur investissement est un outil utile pour mesurer ex ante si une entreprise doit réaliser un investissement ou non. On nous reproche en quelque sorte de ne pas avoir utilisé un indicateur pour répondre à une question qui ne nous était pas posée. On ne nous a pas posé la question de savoir si l'État a fait une mauvaise affaire en privatisant, ou si les sociétés d'autoroutes ont fait une trop bonne affaire en achetant ces concessions. Le taux de rentabilité interne (TRI) est un bon outil, mais ce n'est pas la question qu'on nous a posée. Il était normal que nous regardions les indicateurs pertinents pour répondre à la question posée. Notre réponse étant dérangeante, on nous dit que nous n'avons rien compris au « business ».
C'est au contraire parce que nous avons trop bien compris et que cette vérité dérange qu'on nous reproche de défendre à tout prix un consumérisme de court terme. Non ! Nous ne défendons pas un consumérisme de court terme. Je le dis devant vous solennellement : je crois à la concurrence. Si tel n'était pas le cas, comment pourrais-je présider cette institution, qui est faite pour la défendre ? La concurrence n'est pas une fin en soi, mais un levier qui permet aux entreprises de donner le meilleur d'elles-mêmes, de se concurrencer grâce à leurs mérites. Je le dis clairement : dans la concurrence il n'y a pas que le prix, il y a aussi la qualité, la présence sur le territoire, la compétitivité. Je ne réduis pas la concurrence à un veau d'or devant lequel il faudrait se prosterner coûte que coûte.
Depuis que nous avons reçu le contrôle des concentrations, en 2009, nous avons examiné environ mille opérations ayant conduit les entreprises françaises à grandir sur notre sol : nous n'en avons interdit aucune. Nous nous sommes montrés pragmatiques, et avons accompagné la croissance des entreprises !
Quant au prolongement de la loi LME, le projet de loi pour la croissance et l'activité part du même constat, mais amplifie les réformes et attire l'attention sur l'inefficacité de certaines mesures prévues par la LME.
La loi, depuis 1986, a transféré au Conseil de la concurrence, devenu Autorité, le pouvoir de sanctions. Ce n'est plus l'apanage du ministère. Le projet de loi pour la croissance et l'activité propose de négocier le montant de la sanction pour éviter trop de contentieux ultérieurs, comme le fait l'AMF avec la composition administrative. Nous sommes déjà compétents pour fixer le montant de la sanction. Le fait que celle-ci soit entre les mains d'une autorité administrative indépendante n'est pas incompatible avec le recours à des procédures négociées, qui permettent d'accélérer et de simplifier les choses.
Je suis heureux de constater la présence dans la salle de Mme Perrot, qui préside la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité. Je ne suis pas toujours d'accord avec cette commission, mais elle s'exprime en toute indépendance et anime ainsi le débat public.
Monsieur Pillet, vous forcez le trait quand vous dites que nous pouvons utiliser l'injonction structurelle sur la foi de seules préoccupations. Non ! Il faut un constat objectif de prix élevés par rapport à la moyenne des prix ou des marges pratiquées habituellement dans le secteur. Ce constat devra être documenté.
En second lieu, il existera une procédure contradictoire.
Par ailleurs, l'injonction structurelle ne pourra être mise en oeuvre qu'en cas d'échec d'engagement négocié avec les entreprises. Il s'agit d'une arme ultime, qui restera un instrument dissuasif utilisé dans un petit nombre de cas, j'en suis persuadé.
Quant à vos interrogations sur la compatibilité avec la Constitution, sachez que le territoire de Nouvelle-Calédonie a adopté une loi de pays calquée sur le modèle de la loi « Lurel » applicable aux départements d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a été saisi de ce texte et a considéré que sa rédaction, très proche de celle que reprend le projet de loi pour la croissance et l'activité, était conforme à la Constitution.
Je reviens sur le Royaume-Uni, Mme Perrot ayant estimé qu'il convenait d'étudier l'exemple britannique. S'il existe une économie de marché en Europe qui croit au libéralisme, c'est bien l'économie britannique. C'est là que l'injonction structurelle a été inventée, et elle donne ce pouvoir à la commission de la concurrence, non seulement dans la distribution, mais aussi dans tout secteur économique.
D'ailleurs, au motif d'une enquête sectorielle constatant un manque de concurrence, cette commission a imposé au Royaume-Uni la vente d'aéroports ainsi que d'usines cimentières. Le texte n'impose pas l'existence d'une position dominante, ni un constat de prix trop élevé, mais donne un pouvoir d'appréciation bien plus large à l'autorité britannique.
J'ai entendu prononcer le mot de « poutinien » ou de « soviétique » pour qualifier l'action de l'Autorité de la concurrence. Or, sa création a été inspirée par ce qui se fait à Londres. M. Cameron ou ses prédécesseurs s'étonneraient si on les comparait au Soviet suprême. Je n'ai pas le sentiment que l'on soit dans le même type d'économie !
La loi française s'inspire de ce modèle, avec encore plus de garanties de procédures et de fond pour mobiliser cet instrument, qui restera exceptionnel, je le répète. Il ne s'agit pas d'un outil d'usage quotidien.
MM. Raoul et Raison ont insisté sur la question des centrales d'achats et sur le renforcement du pouvoir des enseignes grâce à celles-ci. C'est un sujet auquel nous devons nous intéresser. J'ai fait part, dans mon introduction, de deux propositions intermédiaires de l'Autorité de la concurrence. Le sujet est maintenant entre vos mains.
Je ne suis pas d'accord avec vous, Monsieur Raison, lorsque vous dites que nous sommes le seul pays dans lequel cette situation existe. Peut-être les négociations ont-elles atteint, en France, une âpreté jamais égalée, mais elles sont dures dans tous les pays ; j'en veux pour preuve le fait que nos collègues allemands et britanniques ont mené des enquêtes de nature très proche de celles auxquelles nous avons procédé dans ce secteur.
Vous estimez qu'il importe peu que les zones de chalandise disposent d'une, de deux ou de trois enseignes. On ne peut dire cela ! Si les Français n'ont pas le choix entre différentes enseignes, cela se ressentira dans le niveau des prix. Nous devons donc vérifier qu'il existe suffisamment de choix et de diversité dans les zones de chalandises locales, et que la puissance d'achat qu'obtiennent ces firmes en regroupant leurs centrales d'achat ne se traduise par des abus dans la négociation tarifaire avec les industriels de l'amont, notamment dans le secteur agroalimentaire. Ces deux préoccupations ne sont pas contradictoires. Il faut les poursuivre de concert.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - L'expression de « préoccupation de concurrence » employée par François Pillet existe dans la loi adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, qui va nous être transmise.
M. Bruno Lasserre. - Elle figure déjà dans le code de commerce...
M. Vincent Capo-Canellas, président. - C'est donc à juste titre qu'elle a été employée !
Mme Fabienne Keller. - J'ai vu, monsieur le président, que vous étiez passionné par les autocars et leur libéralisation. Ce ne serait pas le moindre des paradoxes si l'autocar, qui ne paye pas l'investissement, se développait principalement le long des rails !
C'est bien un des écueils qui pourrait venir d'une libéralisation de l'exploitation des autocars, avec des externalités comme la pollution de l'air, bien supérieure à celle du rail, et surtout le risque d'accidents, bien supérieur à celui que connaît le chemin de fer.
Je fais le cauchemar d'une France couverte de rails plutôt convenablement entretenus, les plans de rénovation ferroviaire ayant bien fonctionné, avec de belles lignes TGV, mais sans aucun train, le prix du sillon demeurant totalement administré.
Les autocars ayant l'air d'être appelés à se développer, pourrait-on traiter de la question des gares routières, qui sont aujourd'hui en marge de nos villes ? Eurolines est très présente à Strasbourg ; la gare est en banlieue, desservie par le tramway, mais absolument pas en synergie avec les autres modes de transport. Dans une logique de gestion pérenne, où ces nouveaux transports, plutôt privés, devraient être bien articulés avec les transports préexistants, urbains, interurbains, départementaux ou régionaux, comment compléter la loi pour bénéficier des pôles d'intermodalité ? Il n'y a plus d'argent ! Or, l'intermodalité est un levier de développement du transport. Encore faut-il l'organiser. Comment assurer cette synergie, dans un pays qui souffre du fractionnement des AOT ?
Mme Pascale Gruny. - Monsieur le président, vous ne m'avez pas du tout convaincue, notamment à propos de l'impact de ce projet de loi sur la croissance et l'activité.
Pour les professions réglementées, les notaires notamment, on s'achemine vers une péréquation. Quelle est la juste rémunération que vous voulez octroyer à ces professionnels ? Veut-on en faire des fonctionnaires et leur verser des émoluments pour régler le problème ?
C'est bien méconnaître le territoire que de penser que les clients vont faire des kilomètres pour chercher un notaire meilleur marché. Le notaire est souvent un notaire de famille ; au-delà des prix, une certaine confiance s'instaure. Beaucoup de leurs nombreux conseils sont gratuits. Prenez garde à ne pas détruire cette relation qui, sur nos territoires, est essentielle.
Vous conseillez à cette profession de se réorganiser pour dégager de la productivité, ce que l'on peut comprendre. Pourquoi n'appliquez-vous pas ce principe à l'Autorité de la concurrence, pour laquelle vous demandez des effectifs supplémentaires ?
J'en ai été profondément choquée. Je viens du monde de l'entreprise où, lorsqu'on a du travail supplémentaire, on ne réclame pas des effectifs avant d'avoir étudié ce que l'on peut faire du point de vue de l'organisation !
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Je pense que le président a un grand souci de productivité. Il va nous le confirmer...
Mme Corinne Imbert. - Monsieur le président, ne trouvez-vous pas contradictoire le fait de souhaiter veiller au maintien d'un maillage territorial et de parler d'ouverture du capital des offices, qu'ils soient notariaux ou d'une autre nature ? Pensez-vous sincèrement que les ouvertures de capital vont intéresser les petites études de nos communes rurales ?
Par ailleurs, quel va être l'impact de ces mesures sur l'emploi dans ces professions ?
Enfin, vous avez dit que vos nouvelles prérogatives vont vous permettre de proposer des cartes destinées à réguler les installations. Quelle méthodologie allez-vous employer ? Est-elle déjà déterminée ? Ces cartes seront-elles opposables aux ordres professionnels ? Vous avez affirmé que vous ne vous substitueriez pas aux ordres qui régissent l'exercice de ces professions : jusqu'à quel point ces cartes leur seront-elles opposables ?
Mme Françoise Gatel. - Vous avez évoqué le zonage au sujet des notaires. Je m'étonne que l'on ne se pose pas la question à propos des médecins, dont les problèmes me semblent bien plus urgents à résoudre que ceux des notaires ! Je partage par ailleurs ce qui a été dit à propos des professions réglementées.
Concernant les autocars, j'ai les mêmes convictions sur la nécessité d'équilibrer le territoire que mon éminent collègue, mais si certaines régions ont fait de véritables efforts en matière de transport - en dehors du rail - ce n'est pas le cas partout. Je pense que l'équilibre des territoires et la mobilité des populations rurales, qui permettront de maintenir des gens dans nos campagnes, passent aussi par des solutions différentes et complémentaires. C'est en ce sens qu'il est important, pour conserver la viabilité du marché que vous évoquiez de confier le transport à une seule autorité organisatrice, la région, et non le département.
Mes collègues ont relevé un véritable problème à propos de l'équité de concurrence dans l'accès des PME agroalimentaires aux marchés proposé par les centrales d'achat. En France, certaines PME agroalimentaires extrêmement performantes et innovantes sont prisonnières de la grande distribution. On ne peut vouloir ouvrir le marché à la grande distribution et le canaliser sans penser à l'agroalimentaire.
Je n'ai pas bien compris ce que vous avez dit à propos de la nécessité de lutter contre les positions dominantes des enseignes de la grande distribution en recourant à des injonctions les obligeant à vendre certaines surfaces. Les commerçants indépendants qui travaillent pour l'enseigne U, par exemple, sont propriétaires de leur magasin. Comment pourrait-on obliger cette enseigne à vendre des surfaces qui appartiennent à un indépendant ?
Enfin, vous avez évoqué l'avis du préfet concernant les restrictions excessives qui existeraient dans des documents d'urbanisme. En Ille-et-Vilaine, nous sommes en train de réviser un SCOT pour soixante-sept communes ; un autre SCOT dispose d'un volet commercial prescriptif, où l'on indique, commune par commune, le nombre de mètres carrés autorisés pour un certain type de commerce, sur une période de quinze ans. Comment cela est-il compatible avec la loi Macron ?
M. Bruno Lasserre. - Certaines de ces questions s'adressent à Mme Perrot, en particulier celles relatives à l'impact du projet de loi sur la croissance et l'emploi. Je la laisserai donc répondre...
Je ne suis pas d'accord avec Mme Keller : je pense qu'il peut y avoir complémentarité entre l'autocar et le train, sans entraîner une concurrence qui porte atteinte à ces deux modes de transport.
N'oublions pas que le réseau ferroviaire ne permet pas toujours la desserte efficace de villes de province, d'une région à une autre. On est parfois obligé de passer par des métropoles, voire par Paris. Dans ce cas, l'autocar peut être une solution bien plus flexible.
Une Micheline diesel qui tire un train à moitié rempli - et beaucoup de TER circulent malheureusement avec des wagons à moitié vides - est bien plus néfaste pour le bilan carbone qu'un autocar rempli de voyageurs, qui dispose d'un pot catalytique aux normes environnementales. Il faut sortir des clichés ! Je ne crois pas que cette réforme soit mauvaise, pas plus pour l'environnement que pour notre réseau ferroviaire, auquel nous tenons tous.
S'agissant des gares routières, Mme Keller a mille fois raison : il faut donner un statut aux gares routières, veiller à l'interopérabilité, essayer de faire en sorte que les opérateurs mettent leurs terminaux en commun, au lieu que chacun en crée un pour son propre usage. Il faut également viser d'intermodalité, de manière à faire en sorte que les voyageurs puissent passer du train à l'autocar en utilisant des gares bien connectées.
Madame Gruny, je ne peux accepter ce que vous avez dit à propos de l'obligation qu'aurait l'Autorité de la concurrence, si elle fonctionnait comme une étude notariale ou une entreprise, de ne pas recruter de personnel supplémentaire.
Supposons que l'Autorité de la concurrence soit une entreprise. Elle dispose d'un effectif de 181 personnes, coûte 20 millions d'euros par an et a rapporté 1,13 milliard d'euros en 2014. Si l'Autorité de la concurrence était une PME, elle recruterait pour améliorer son produit ! C'est donc artificiellement que l'on bride son efficacité en lui interdisant de recruter. Je ne suis donc pas d'accord.
Enfin, j'ai reçu beaucoup de tweets de notaires ; certains m'ont révolté. Je pouvais m'attendre à un tel langage de la part de chauffeurs de taxi, mais non de la part de notaires, officiers publics ministériels. Beaucoup de ces tweets étaient inspirés par le mépris. Certains ont le sentiment, parce que je ne suis pas notaire, que je n'ai pas le droit de parler de cette profession. Cette profession n'a-t-elle pas besoin d'un regard indépendant, qui n'est pas animé par la jalousie ou la vindicte ? Je suis arrière-petit fils de notaire de province. Je sais de quoi il retourne, et je ne crois pas, en parlant de ce métier, que je le fais avec un sentiment mal placé ! Il y a place pour le dialogue, et l'Autorité de la concurrence exercera ses missions en toute impartialité, avec le sens de l'écoute et du dialogue.
Qu'on ne dise pas, au prétexte que nous sommes une autorité habituée à porter des jugements économiques, que les notaires doivent être exemptés de tout regard indépendant ou économique. La structure des tarifs des notaires date de 1978 ! Elle n'a jamais été revue. L'eau n'a-t-elle pas coulé depuis sous les ponts ? Des investissements informatiques n'ont-ils pas été réalisés ? N'y a-t-il pas eu une transformation profonde du métier justifiant que l'on regarde si les tarifs reflètent réellement les coûts ? Ce sont ces questions qu'il faut aborder.
Madame Imbert a raison de dire que l'équité des conditions de concurrence doit permettre aux PME, notamment dans l'agroalimentaire, d'écouler leur production auprès de ces enseignes ou de ces centrales d'achat. Ce n'est pas un sujet qui relève de l'Autorité de la concurrence, mais je comprends votre question et, personnellement, je la soutiens.
La plupart des regroupements qui ont été négociés excluent les fruits et les légumes, notamment pour permettre un approvisionnement dans la zone la plus proche de ces enseignes.
Quant à l'urbanisme, je dois vous avouer que je n'étais pas demandeur de ces pouvoirs. L'Autorité de la concurrence, si on lui avait demandé son avis, aurait répondu qu'elle était bien peu légitime pour expertiser les documents d'urbanisme qui sont entre les mains des élus. Qu'on ne voie pas là l'ambition de technocrates qui veulent contrôler le travail des élus. C'est le Gouvernement qui a souhaité nous conférer ce pouvoir ; l'Assemblée nationale l'a voté ; en citoyens, nous appliquerons la loi, mais nous ne l'avons réclamé en aucune manière.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Les taxis ne sont pas toujours conformes à l'image qu'on peut parfois en donner ! Je me souviens de dialogues parfois virils, mais corrects avec eux...
M. Bruno Lasserre. - Enfin, Madame Imbert, l'ouverture du capital constitue un sujet de compétitivité. Le droit est aussi un facteur de compétitivité. La possibilité, pour des acteurs du droit, de se regrouper et d'intégrer un certain nombre de conseils qui relèvent de professions différentes est aussi un élément de la compétitivité des places juridiques, notamment la place parisienne. Je ne suis pas sûr qu'elle ait un impact négatif sur les professionnels installés en province, mais elle permettra peut-être de développer à Paris des secteurs à haute valeur ajoutée.
Audition de Mme Anne Perrot, présidente de la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Madame Perrot, vous êtes présidente de la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité. Vous êtes également conseiller-associé au sein du cabinet MAPP, spécialisé dans le conseil en économie, actif principalement dans le domaine de la concurrence. Vous êtes en outre, depuis 2014, correspondante du Conseil d'analyse économique.
Vous avez précédemment été membre du Conseil de la concurrence en qualité de vice-présidente. Vous êtes donc particulièrement qualifiée pour aborder les sujets qui nous occupent.
Pour autant, la mission qui vous a été confiée a suscité quelques interrogations ici ou là. En effet, compléter l'étude d'impact d'un projet de loi par les avis que vous avez élaboré au sein de la commission constitue une innovation. Cette commission a été créée en janvier 2015. Elle comporte dix experts. Vous avez été chargée de « mettre à la disposition du public « parlementaire » et du grand public des notes de synthèse sur les points les plus marquants de la loi ».
Vous avez remis, dans un délai record de quinze jours, les cinq études demandées qui portent sur l'urbanisme commercial, les professions réglementées, la justice prud'homale, l'ouverture de l'offre de transport par autocar, et la réforme du travail dominical.
Les rapporteurs et nos collègues présents ne manqueront pas de vous interroger sur le fond de ces évaluations.
Je vous invite à nous expliquer le sens de vos travaux, mais aussi ce qui les distingue de l'étude d'impact rendue obligatoire depuis la loi organique du 15 avril 2009. Vous nous direz aussi si vous considérez que votre mission a pris fin, et si le Sénat peut éventuellement faire appel à vous concernant les dispositions nouvelles votées par l'Assemblée nationale en première lecture, des modifications substantielles ayant été apportées.
Je précise enfin que cette audition est ouverte à l'ensemble de nos collègues et à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo retransmise sur le site du Sénat.
Madame la présidente, vous avez la parole.
Mme Anne Perrot, présidente de la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité. - Merci de permettre à la commission d'expliquer la manière dont elle a travaillé.
La constitution d'une commission ad hoc de ce type - sans que ce terme doive être pris de manière péjorative - est, selon moi une première. Cette commission est composée d'économistes académiques internationalement reconnus, spécialistes soit de l'économie du travail, soit de l'économie de la concurrence, qui sont les deux principales spécialités sollicitées par les différents sujets dont nous sommes saisis. La commission compte également des spécialistes de l'évaluation des politiques publiques. Ce panel de dix économistes était donc représentatif de ces trois domaines économiques.
Du point de vue méthodologique, le travail de cette commission diffère des exercices habituels menés en matière d'évaluation des effets des lois. Contrairement à la plupart de ces exercices, elle a pris place avant que la loi ne soit mise en oeuvre et qu'elle ait pu produire des effets concrets. Il existe des exercices d'évaluation des politiques publiques menés par de nombreux économistes, comme par exemple dans l'économie de l'éducation, pour savoir si l'on décide de dédoubler les classes, si l'on peut mesurer ou non l'impact d'une telle mesure sur le degré de réussite des élèves. Cela requiert bien entendu la collecte d'un certain nombre de données et aussi de départager ce qui, dans les résultats a posteriori, peut être dû à la mise en oeuvre de la loi ou à d'autres facteurs qui peuvent expliquer l'évolution des performances des élèves.
On est exactement dans le même type de problématique en matière économique. Toute la difficulté, lorsqu'on s'intéresse à l'évaluation des effets d'une loi a priori ou a posteriori, est de distinguer ce qui peut être lié à la mise en oeuvre d'une mesure en soi et à d'autres facteurs contextuels qui peuvent interférer. Le métier d'économiste consiste à établir la différence.
Les travaux sur lesquels nous nous sommes appuyés ont tous une même caractéristique : ils reposent sur une méthodologie acceptée internationalement par les économistes, les économètres et les statisticiens. Ils visent à identifier la causalité d'un événement quelconque et ses effets sur le marché du travail, sur les prix, sur la rentabilité, sur le bien-être des individus, sur la pollution, etc.
Par exemple, la libération du transport par autocar dans tel ou tel pays s'est-elle accompagnée d'un accroissement de la pollution ou de la congestion routière ? On imagine que, sur cinq ou dix ans, un certain nombre d'événements ont pu se produire et avoir un impact sur l'analyse de l'évolution de la pollution : les automobilistes peuvent avoir opté pour des voitures moins polluantes ou, au contraire, avoir cessé d'acheter des véhicules. Les voitures peuvent donc polluer davantage. Pour identifier l'effet de la libéralisation du transport par autocar, il faut donc être certain de l'effet que l'on isole.
Ex ante, nous avons passé en revue la littérature économique reposant sur des méthodes éprouvées pour départager les effets de diverses mesures qui peuvent venir brouiller le signal que l'on obtient à propos de la mise en oeuvre de telle ou telle loi. Nous avons étudié les pays plus ou moins proches de la France. C'est une des difficultés de cette analyse, certains pays ayant une structure du marché du travail ou territoriale assez proche de la structure française, tandis que d'autres en sont bien plus éloignés. Une des difficultés de l'exercice est d'évaluer jusqu'à quel point ces analyses sont transposables ou non.
C'est ce que nous avons fait, sur un nombre de sujets limités, du fait de notre installation tardive. C'est d'ailleurs un point que l'on peut déplorer... Nous avons beaucoup réfléchi à la nature de l'exercice que l'on nous demandait, qui était nouveau. Tous les membres de la commission ont des activités professionnelles qui réclament beaucoup d'énergie et de temps. Si l'on nous avait demandé de travailler sur des évaluations beaucoup plus précises, mesure par mesure, de l'impact de la loi tel qu'on pouvait l'anticiper à partir de juin 2014, il n'est pas certain que l'on aurait trouvé dix personnes pour effectuer ce travail toute affaire cessante.
L'avantage de disposer d'économistes académiques réside dans le fait qu'aucun n'est intéressé sur un plan personnel par le fait que cette loi soit adoptée ou non. On peut avoir des opinions mais, professionnellement, nous étions libres de tout conflit d'intérêts et de toute pression. Cette liberté provient de notre métier : nous ne travaillons pas pour ou contre une loi au sens politique du terme. Nous n'aurions cependant pas pu consacrer plusieurs mois à ce travail.
Nous avons été amenés à sélectionner les sujets qui nous ont paru les plus sensibles. Une loi se fixe des objectifs, et l'on devrait évaluer le succès, probable ou non, de telle mesure au regard de l'objectif qu'elle cherche à atteindre.
Nous ne sommes toutefois pas naïfs : nous savons bien qu'au-delà de l'objectif visé, susceptible d'être atteint ou non par la mesure en question, il existe un grand nombre d'externalités. Ainsi, le travail du dimanche peut comporter des externalités sur la vie sociale ou familiale. Nous nous sommes fixés comme objectif d'étudier principalement l'impact attendu de la loi au regard de son objectif premier. Par exemple, lorsqu'on libéralise le transport par autocar, l'objectif premier n'est pas tant de créer des emplois que de favoriser la mobilité.
Il existe bien d'autres effets secondaires, et nous n'aurions pas fait notre travail si nous n'avions pas étudié, dans la mesure du possible, la manière d'évaluer l'impact de telle ou telle mesure sur toute une série d'autres indicateurs. Certaines des questions que vous vous posez n'ont pas fait l'objet d'évaluations ou de mesures d'impact. Je pense par exemple au travail du dimanche. Nous avons été particulièrement attentifs aux problèmes de société que le travail du dimanche pouvait engendrer, et avons étudié la littérature à ce sujet. Il s'agit de savoir si cet impact a pu être mesuré, quantifié par des travaux qui se soumettent à la méthodologie que j'ai précédemment indiquée.
Nous avons tenté, pour chacun des sujets qui nous étaient soumis, de restituer le contenu de ces études internationales, en essayant, quand c'était possible, d'indiquer dans quelle mesure ces analyses et ces résultats étaient transposables au cas français.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La parole est aux rapporteurs.
M. François Pillet, rapporteur. - Dans votre évaluation des professions réglementées, vous avez prudemment fait valoir que les effets des mesures proposées étaient incertains, compte tenu du caractère limité de la dérégulation.
Vous êtes-vous penchée depuis sur les modifications très importantes apportées par l'Assemblée nationale ? Si c'est le cas, quelles conclusions en tirez-vous ?
Les députés ont plus précisément retenu le principe d'une double péréquation sur les tarifs, avec une possibilité de remise limitée sur certains actes. Avez-vous testé une telle hypothèse ? Disposez-vous d'exemples étrangers sur la question ?
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Selon votre rapport, l'impact positif de cette loi sur l'emploi ne se mesurera que si les mesures sont appliquées de manière significative. À cet égard, la possibilité pour les maires d'autoriser les magasins à ouvrir jusqu'à douze dimanches par an peut-elle avoir un effet certain sur l'emploi ?
S'agissant des impacts sociétaux, vous citez une étude américaine qui fait état de conséquences négatives sur certains comportements à risque. Vous évoquez aussi les conséquences sur la baisse de la fréquentation religieuse. Pouvez-vous préciser ces effets ?
Un des éléments positifs de ce texte réside dans la simplification juridique de la réglementation actuelle du travail dominical. Votre rapport le confirme. En effet, elle aboutit aujourd'hui à régulariser des pratiques illégales. Partagez-vous cette impression ?
Mme Anne Perrot. - En ce qui concerne tout d'abord les professions réglementées, nous n'avons pu entrer à ce point dans le détail des dispositifs, notamment en matière de tarification.
Nous avons considéré que cette réforme s'appuyait sur deux piliers, le premier consistant à faciliter la liberté d'installation des nouveaux entrants, le second à permettre aux notaires de se livrer une concurrence tarifaire. La question est de savoir si on a raison ou non de vouloir introduire la concurrence dans cette activité particulière.
Nous avons constaté, à travers les différentes réformes entreprises, que la liberté d'installation n'a pas été totale. C'est par exemple le cas de la réforme qui a eu lieu aux Pays-Bas, pays le plus proche du cas français. Les mesures qui avaient été instaurées pour permettre une certaine flexibilité tarifaire ont été abandonnées au profit d'un dispositif visant à ne proposer qu'un seul tarif et à autoriser des remises.
La réforme doit-elle réellement faciliter l'entrée sur le marché de nouvelles études ? Nous répondons plutôt oui.
La flexibilité devrait-elle permettre la concurrence en prix ? Nous sommes assez d'accord avec un des points de vue soutenus par l'Autorité de la concurrence s'agissant des transactions immobilières, qui ont lieu à deux ou trois occasions dans une existence. En économie, cela fait partie des biens de recherche, c'est-à-dire des biens pour lesquels on est prêt à consentir des recherches sur les caractéristiques du bien avant de l'acheter. C'est vrai pour une voiture, et moins pour une plaquette de beurre, que l'on achète de manière répétée, l'expérience tenant lieu d'apprentissage. Lorsqu'on achète une voiture, il est coûteux de la mettre au rebut le lendemain si elle ne plaît pas et d'en acheter une autre. Une transaction notariale s'apparente plus à l'achat d'une voiture qu'à celui d'une plaquette de beurre. On peut donc imaginer que, pour des transactions de ce type, les individus sont prêts à consentir des coûts de recherche pour se renseigner sur les études de bonne qualité, le prix qu'ils doivent acquitter pour cette transaction, etc.
D'une manière générale, il est clair que, pour des biens de cette nature, tout ce qui offre de la flexibilité tarifaire permet la concurrence. C'est à cette condition seulement que différentes études seront mises en concurrence. Tout ce qui limite la flexibilité tarifaire est mauvais pour la réussite de la réforme.
La commission n'a toutefois pas examiné cet amendement. Je parle donc en mon nom propre : la réussite de la flexibilité tarifaire, utilisée comme outil de concurrence entre les notaires, repose sur le fait que le prix de référence soit correctement orienté vers les coûts. Ce terme semble très intuitif et heuristique, mais il signifie quelque chose d'assez spécifique dans l'univers de la concurrence. Quand on a ouvert la téléphonie à la concurrence, le régulateur a vérifié que les tarifs des opérateurs, notamment l'opérateur dominant, étaient bien orientés vers les coûts. C'est un sujet que maîtrise l'Autorité de la concurrence.
Si les tarifs de référence sont effectivement orientés vers les coûts au sens du droit de la concurrence et de la régulation, un système de remises, qu'il faudrait souhaiter les moins encadrées possible, doit permettre de faire jouer la concurrence entre les études. Le fait qu'on abandonne le couloir tarifaire n'est pas en soi, de ce point de vue, un obstacle à la réussite de la réforme.
Je m'écarte là quelque peu de la méthodologie que j'ai indiquée en commençant mon exposé, puisque ma réponse ne s'appuie pas sur des comparaisons de deux types de réforme, l'une qui aurait privilégié un couloir tarifaire, et une autre, qui aurait privilégié un système de prix de référence avec remise.
S'agissant du travail dominical, si 2 % des maires décident d'ouvrir deux dimanches de plus dans l'année, cela ne créera pas d'emplois. Je voudrais cependant insister sur un point. C'est sans doute sur le travail dominical que les études internationales sont le moins sujettes à ambiguïté. Toutes celles que nous avons étudiées attestent du fait que plus on va loin dans l'ouverture dominicale, plus nombreuses sont les créations de postes, et plus on réduit le temps partiel.
Or, le secteur potentiel concerné, celui des commerces, est celui où il existe le plus de temps partiel. On sait aussi que c'est un secteur qui emploie beaucoup de femmes et qu'on y trouve beaucoup de temps partiel subi. On peut donc imaginer que cette mesure, contrairement à ce qu'on a beaucoup entendu ici et là, puisse être favorable au travail féminin et aux personnes qui n'ont qu'un emploi à temps partiel, celui-ci pouvant être complété.
On m'objectera qu'il serait préférable de pouvoir compléter le temps partiel du lundi au samedi matin. Certes, mais si l'on juge des effets de cette loi sur son objectif premier - la création d'emplois et l'augmentation de la durée du travail de ceux qui subissent un emploi à temps partiel -, la réponse est clairement positive.
Certaines de vos questions portent sur les effets du travail dominical sur le bien-être. Il s'agit d'un sujet assez complexe. Nous avons trouvé deux types d'études. Le premier essaye de savoir si, lorsque les deux membres d'un couple ont des horaires non synchronisés, ce couple essaye de les synchroniser ou non. L'un des deux renonce-t-il à certaines plages horaires pour s'adapter aux horaires de l'autre ? Si c'est le cas, cela traduit bien, en creux, le fait que les emplois du temps désynchronisés coûtent aux intéressés en termes de bien-être. Dans ce cas, la réponse est positive. Une étude semble démontrer que les couples renoncent parfois à une certaine partie de leurs revenus de façon à synchroniser leurs emplois du temps.
Ce que cette étude ne dit pas - mais on s'écarte là de la rigueur économique - c'est si cette loi va créer ou non un certain nombre d'effets externes négatifs, les familles ne pouvant plus se retrouver le dimanche. C'est certainement vrai, mais il est également vrai que le fait pour une famille d'avoir un fils au chômage ne crée pas une excellente ambiance !
Si l'on pondère donc l'impact de ces différents indicateurs, on peut en conclure que le premier effet de la loi est de créer des emplois dont la nature s'adresse souvent aux jeunes, aux femmes et dans un secteur où le temps partiel est subi. C'est cet effet qui l'emporte si l'on essaye de prioriser les effets.
Ainsi que vous l'avez souligné, on a également trouvé une étude américaine qui montre que plus la pratique du travail le dimanche est répandue, moins on assiste aux services religieux. En effet, aux États-Unis, il existe une loi qui pose le principe de la liberté du travail dominical, mais qui laisse aux différents États la possibilité de choisir un gradient entre 0 % et 100 %. Cela permet d'étudier ce qui se passe dans deux États différents ayant opté pour des degrés d'ouverture différents.
Les États-Unis ne sont toutefois pas la France, pays laïque, où le dimanche n'est en outre pas nécessairement le jour du culte. De plus, il faut relever que 30 % de la population travaille déjà le dimanche...
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'offre de transport par autocar est une nouvelle offre proposée à des personnes dont on peut penser qu'elles ne se déplacent pas, plus particulièrement celles qui disposent de faibles budgets. Cette nouvelle offre sera-t-elle véritablement de nature à créer des emplois, et à quel niveau ?
Mme Anne Perrot. - On peut penser que cette offre va se déployer là où il existe déjà d'autres types de liaisons par transport collectif, et dupliquer l'offre de train. La question s'est posée dans les mêmes termes dans d'autres pays disposant de réseaux ferroviaires, éventuellement à grande vitesse. Une telle offre ne s'adresse pas la même population que celle qui utilise le train, mais à une population pour qui la valeur du temps est plus faible, qui ne voyage peut-être même pas du tout étant donné l'offre actuelle.
Dans la mesure où cette offre de transport duplique certains services ferroviaires, elle répond à un besoin qui n'est pas satisfait par l'offre actuelle. Par ailleurs, un certain nombre de liaisons ne disposent pas de transport ferroviaire. Il s'agit donc là d'une création de nouvelles offres de transport par autocar.
Il faut bien entendu prendre garde à ne pas déstabiliser le transport ferroviaire, mais il ne s'agit pas du tout d'une concurrence frontale avec le train, puisque cette offre ne s'adresse pas à la population qui utilise le train ; en second lieu, pour peu que les gares routières soient correctement interconnectées avec le rail, le transport par autocar alimente le transport ferroviaire. La plupart des usagers peuvent parfaitement effectuer une partie de leur voyage par autocar et, se trouvant dans une gare routière interconnectée avec le train, poursuivre leur périple grâce à une liaison ferroviaire. Il n'y a donc pas là de contradiction entre l'offre par autocar et l'offre par train.
Je répète qu'il ne faut pas voir l'ouverture du transport par autocar comme un moyen de créer des emplois de conducteurs, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un effet secondaire. Il va bien falloir conduire ces véhicules ; en outre, les règles de sécurité interdisent à un conducteur de travailler plus d'un certain nombre d'heures de suite, des emplois vont être créés...
Il est toutefois difficile de préciser le nombre de ces emplois. Cela dépendra de l'offre que va susciter cette nouvelle mesure. On peut s'appuyer sur les expériences étrangères comparables à la nôtre en termes de densité de population, d'infrastructures routières. La densité de la nouvelle offre dépendra fondamentalement de la répartition de la population sur le territoire et de la qualité des infrastructures, qui sont plutôt bonnes en France et assez comparables à des pays dans lesquels cette réforme a déjà eu lieu, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
En second lieu, on peut se référer à ce qui s'est passé en France lors de l'ouverture du transport routier de marchandises, dont on sait qu'il pose d'autres problèmes. Nous ne sommes pas ici dans les mêmes circonstances : au moment de l'ouverture du transport routier de marchandises, les biens transportés avaient complètement changé de nature. Le transport ferroviaire était alors de moins en moins compétitif par rapport au transport routier. Celui-ci s'est substitué en grande partie au transport ferroviaire. Une des raisons pour lesquelles le fret ferroviaire attire aujourd'hui si peu de monde, c'est qu'il est très efficace pour transporter en grande quantité de l'acier, du blé ou des produits pondéreux extrêmement homogènes, mais pas des puces d'ordinateurs, par exemple. Le transport de pondéreux et de produits homogènes a énormément diminué, et il ne faut donc pas comparer les deux sujets. C'est pourquoi j'opère une distinction entre les deux...
Le transport par autocar ne concurrencera pas le transport par rail, comme le transport de marchandises par la route l'a fait pour le fret ferroviaire. Par ailleurs, les créations d'emplois ne peuvent pas non plus s'aligner sur ce qui s'est passé au moment de l'ouverture du transport de marchandises.
Ces points peuvent toutefois être versés au débat. Nous avons effectué des simulations, en tenant compte d'un certain nombre de facteurs de productivité du travail ou des véhicules qui ont tendance à raccourcir les temps de transport. Les péages autoroutiers sont automatisés et permettent de perdre moins de temps. Ce sont là des facteurs d'amélioration de la productivité, qui entraînent une moindre création d'emplois.
La prise en compte de tous ces facteurs, suivant l'ampleur de l'ouverture, nous a amenés à fixer une fourchette de création très large - on pourra affiner les chiffres plus tard - comprise, prima facile, entre 8 000 et 22 000 emplois.
La croissance de l'emploi du secteur du transport de marchandises, avec toutes les précautions que j'ai mentionnées auparavant, était de 1,5 % par an avant 1986, date de la libéralisation. Il était de 5 % de 1986 à 1990. C'est un véritable choc qu'a connu le transport routier de marchandises dans le domaine de l'emploi, mais il ne faut pas nécessairement attendre la même chose du transport par autocar.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La parole est aux commissaires.
M. Alain Bertrand. - Bien entendu, il faut faire bouger les transports, qu'il s'agisse des trains ou des autocars, mais ma crainte est que la SNCF utilise l'argument des liaisons par autocar pour fermer certaines lignes du centre de la France, comme par exemple Clermont-Ferrand-Nîmes ou Clermont-Ferrand-Béziers.
Cela étant, comme vous le dites, il existe des endroits où le service ferroviaire est si peu adapté qu'on est forcé de se poser des questions ! Je crois néanmoins qu'on ne devrait pas s'appuyer sur cette loi pour supprimer des lignes utiles à l'aménagement du territoire, tant pour le transport des marchandises que pour celui des voyageurs.
En second lieu, même si je suis d'accord avec la recherche de mesures destinées à favoriser l'emploi et le développement économique, je redoute que cette loi ait un effet désastreux sur l'hyper-ruralité, qui représente 25 % des territoires les plus ruraux. En Lozère, par exemple, l'impossibilité pour les huissiers et les notaires de revendre leur charge, ou l'installation de professions non-réglementées conduiront à la disparition des études notariales et des charges d'huissiers.
Or ces auxiliaires du service public assurent l'application de la loi. Ils contribuent à l'égalité de l'accès au droit des plus faibles de nos concitoyens sur certains territoires. Il en va de même des avocats, qui vont être concentrés dans les grandes villes. Il n'y aura plus de nouvelles installations. Seuls resteront des avocats du droit de la famille. Sans être alarmiste, on peut craindre que cela préfigure la disparition du tribunal de grande instance, de la maison d'arrêt, etc. Cela fait peur !
Les notaires et les huissiers assurent une partie des services publics qui restent sur nos territoires, d'où ils ont tendance à disparaître, tout comme le secteur privé d'ailleurs. Je fais partie de ceux - nous ne sommes pas nombreux et je sais que je ne l'obtiendrai pas - qui souhaiteraient que cette loi connaisse des adaptations en faveur de la ruralité et de l'hyper-ruralité. Dans l'esprit, c'est une bonne loi, destinée à faciliter et à faire évoluer les choses, à améliorer le chiffre d'affaires, l'emploi, etc., mais la cible est mal choisie.
L'ordre des avocats, ou la chambre nationale des notaires de Paris ou de Lyon sont sûrement d'accord avec ce que vous proposez, mais ce n'est pas le cas des professionnels installés dans les provinces rurales et hyper-rurales, où les effets de la loi seront détestables !
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Je ne sais si le Sénat pourra introduire des adaptations, mais la question de l'hyper-ruralité méritera d'être étudiée par la commission spéciale.
M. Michel Canevet. - Je voulais réagir à propos de la question de la ruralité que notre collègue vient d'évoquer. Je ne suis pas persuadé du bien-fondé de la déréglementation dans le domaine du notariat en termes de création d'emplois. Je crois que cela va pénaliser singulièrement les secteurs ruraux.
S'agissant du notariat, les choses sont simples : les opérations de vente placent les notaires en concurrence avec les agences immobilières, et cela se passe plutôt bien, un certain nombre de ces agences ayant dû fermer leurs portes à cause des difficultés du marché. D'autres actes nécessitent cependant une certaine sécurité juridique. Je comprends que, du fait de l'augmentation des prix, les ressources des notaires de la région parisienne se soient singulièrement accrues. Pour autant, dans le Finistère, les ventes de maisons rurales tournent autour de 100 000 euros et les ventes de terrains autour de 30 000 à 40 000 euros. Cela ne permet pas aux notaires de réaliser des excédents considérables, mais amène néanmoins une certaine sécurité juridique.
J'observe que le nombre de notaires, dans mon département, a beaucoup augmenté. Il y a trente ans, il n'existait aucune femme dans la profession : on en compte aujourd'hui 39 % ! C'est dire si cette profession a pu évoluer en termes quantitatifs, en même temps que la population et, sans doute, le nombre d'actes.
Je n'ai pas le sentiment que ce texte satisfasse beaucoup les zones rurales. Il contribue au contraire à entretenir l'inquiétude et risque de déstabiliser un certain nombre de professions localement concernées. Sans doute faudrait-il faire la distinction entre les zones urbaines et les zones rurales, où les problématiques ne sont pas les mêmes.
On a soulevé à l'instant la question des transports ferroviaires et de la route. J'évoquerai quant à moi celle des liaisons maritimes, notamment avec les îles. Aujourd'hui, ce sont les collectivités locales qui les financent, à grands coups de déficits. Je suis persuadé qu'il y a là un gisement d'emplois, si on libéralise le secteur et que l'on permet à des entreprises privées d'assurer un certain nombre de liaisons, de façon que le service public se contente de compléter l'offre pour assurer la continuité territoriale.
Mme Anne Perrot. - Vous estimez que cette réforme risque de provoquer la disparition des études notariales du monde rural, faute de pouvoir les revendre. J'apprécie beaucoup le monde rural, et même hyper-rural, mais je pense qu'il faut rappeler certains mécanismes économiques.
M. Lasserre l'a rappelé, les notaires n'ont pas de domaine d'exercice. Si cette loi est adoptée, le prix des études devrait baisser. En économie, quand un objet de transaction vaut moins cher, il trouve plus facilement preneur. Une plus grande fluidité du marché devrait permettre à de jeunes notaires de s'installer là où il n'y a personne et, d'autre part, contribuer à faire baisser le prix des études existantes, de manière que des repreneurs puissent s'implanter à moindre coût. Le mécanisme économique ne va donc pas dans le sens que vous redoutez.
Cependant, le mécanisme de compensation par lequel un nouveau notaire devrait dédommager un confrère déjà installé, au motif qu'il pourrait lui prendre des parts de marché, nous paraît extrêmement pernicieux. Il s'agit d'une barrière à l'entrée typique. Il n'y a aucune raison à cela. On peut concevoir d'autres mécanismes et rendre la transition de la réforme acceptable pour les notaires en place, qui ont payé leur étude un certain prix. C'est le même problème que celui qui se pose pour les taxis : comment gérer cette situation ? Doit-on dédommager ces notaires ? Comment ? C'est une question importante...
On peut discuter de l'opportunité d'un mécanisme de compensation, mais celui-ci ne peut consister à prélever les nouveaux notaires pour dédommager leurs confrères déjà installés. Cela paraît impossible.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Le mécanisme de compensation a été maintenu en première lecture à l'Assemblée nationale, voire renforcé...
M. Olivier Cadic. - Madame la présidente, votre réponse concernant le travail dominical m'a beaucoup intéressé. Votre commission a rappelé que toutes les études attestent que l'ouverture du dimanche a des effets positifs sur l'emploi. Je vis personnellement au Royaume-Uni, où les magasins sont ouverts cinquante-deux dimanches par an. Le supermarché est uniquement fermé le samedi soir et le dimanche soir. Cela va donc même bien au-delà du dimanche...
Comment la loi peut-elle se contenter de proposer l'ouverture des magasins douze dimanches par an au lieu de sept ? Qu'est-ce qui justifie un tel décalage par rapport à vos préconisations ? Si l'on veut vraiment développer la croissance et l'activité, la décision doit être immédiate !
Selon vous, pourquoi le projet de loi limite-t-il de cette façon l'ouverture des magasins le dimanche ?
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Olivier Cadic, qui vit au Royaume-Uni, est sénateur des Français établis hors de France.
Mme Anne Perrot. - Je ne suis pas à la place du Gouvernement. Notre étude a insisté sur le fait que l'ouverture des magasins le dimanche n'aurait un impact significatif sur l'emploi que s'il était fait un large usage de la possibilité d'ouvrir douze dimanches par an. Je suis sûre que chaque membre de la commission aurait approuvé, du point de vue de la création d'emplois, une loi étendant la possibilité de travailler quelques dimanches par an à l'année entière.
Nous sommes en France, et non en Grande-Bretagne. On sait que les questions sociales ne résonnent pas de la même façon dans notre pays et qu'elles y sont traitées différemment qu'ailleurs. On est même revenu, dans un premier amendement, sur les cinq dimanches autorisés par an jusqu'alors. Désormais, les maires pourront décider de ne tolérer aucune ouverture le dimanche.
On sort malheureusement de l'évaluation strictement économique de cette question. Il s'agit de considérations qui relèvent de questions de société. En France, il existe moins de flexibilités qu'ailleurs sur le marché du travail.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous avons mieux compris la façon dont vous avez travaillé.
Si le Sénat vous sollicite, votre commission pourra-t-elle compléter les études qu'elle a livrées afin d'éclairer les aspects du sujet qui ont pu évoluer ? Nous nous posons en effet la question de savoir si le texte sortira affadi ou renforcé de l'Assemblée nationale, notamment dans ses effets économiques...
Mme Anne Perrot. - Les membres de la commission sont prêts à réaliser un travail ultérieur, que ce soit sur les amendements ou sur le texte qui sortira de l'Assemblée nationale. Cela ne pose vraisemblablement pas de problème par rapport à notre lettre de mission, puisque nous avons été sollicités pour travailler sur la loi, mais aussi sur les amendements. Je considère donc que cela n'exclut pas la possibilité d'une telle tâche.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Merci d'avoir éclairé la commission grâce à vos analyses.
La réunion est levée à 18 h 05