Mercredi 20 mai 2015
- Présidence de M. Francis Delattre, président -Audition de MM. Dominique Thormann, directeur financier et Gaspar Gascon Abellan, directeur de l'ingénierie et de la recherche, du groupe Renault
La réunion est ouverte à 14 heures 05.
M. Francis Delattre, président. - Mesdames, messieurs, la commission d'enquête sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche (CIR) de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays a estimé nécessaire de préciser avec le groupe Renault un certain nombre de points, à la suite d'un reportage diffusé récemment sur France 2 dans le cadre du journal télévisé de 20 heures.
En effet, Renault constitue l'un des fleurons de notre industrie. Nous avons donc pensé qu'il convenait de vérifier un certain nombre des allégations contenues dans ce reportage, que nous allons visionner ensemble, avant d'engager le dialogue. Vous nous direz ce que vous pensez du CIR en tant qu'instrument fiscal destiné à aider et à développer la recherche privée, et nous expliquerez la façon dont s'organisent les choses chez Renault.
Vous pourrez revenir sur le reportage, notamment sur le problème des filiales, et nous dire ce que la recherche et développement représente en France pour le groupe Renault, qui intervient dans 125 pays, représente un chiffre d'affaires de 41 milliards d'euros et emploie 117 000 salariés.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Dominique Thormann, Gaspar Gascon Abellan et Mme Véronique Dosdat prêtent serment.
M. Francis Delattre, président. - Si vous ne souhaitez pas exposer certains éléments qui peuvent toucher à la compétitivité internationale, vous pourrez établir une note et compléter notre information par écrit.
Il est procédé à la diffusion du reportage télévisé.
M. Francis Delattre, président. - Comment le dispositif s'applique-t-il globalement chez Renault ? Pouvez-vous nous communiquer les chiffres actualisés ?
M. Dominique Thormann. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d'abord de vous remercier d'inviter le groupe Renault à s'exprimer devant la commission d'enquête sur la réalité du détournement du CIR de son objet et son incidence sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays.
Ce sera l'occasion pour nous de rappeler l'importance du dispositif du CIR pour notre groupe, mais aussi pour la recherche de notre pays.
Chaque mot de l'intitulé de votre commission d'enquête a son importance. C'est pourquoi je me permets, de manière liminaire, de partager avec vous trois affirmations clés. Tout d'abord, la réalité du groupe Renault dans son emploi du CIR, c'est-à-dire de moyens publics consentis par la collectivité nationale, c'est l'absence de détournement de l'objet du CIR.
J'ai la chance d'être aujourd'hui auditionné au Sénat, devant une commission d'enquête de la Haute Assemblée. C'est le Sénat qui a produit, en 2012, un rapport bipartisan, qui fera référence pendant de nombreuses années, et dont le rapporteur était le sénateur Michel Berson, membre de votre commission d'enquête, rapport relatif au CIR.
Parmi les principales recommandations figurait la perspective d'instauration d'un taux unique de CIR de 20 % pour les grandes entreprises, afin de supprimer, je cite, "l'effet d'aubaine qu'il constitue pour elles".
Renault, en 2014, a investi 2,3 milliards d'euros en recherche et développement. Près des trois quarts ont été investis en France, soit un montant de 1,5 milliard d'euros. 777 millions d'euros étaient éligibles au CIR, pour un total de 143 millions d'euros. 20 % de 777 millions d'euros représenteraient 155 millions d'euros, soit plus que ce que nous percevons aujourd'hui. Avec 143 millions d'euros, il n'y a décidément pas d'effet d'aubaine pour Renault, ce qui répond concrètement à la première préoccupation de votre commission d'enquête.
Deuxième affirmation clé : le CIR a permis à Renault d'être bien placé dans la course mondiale à l'innovation, de ne fermer aucun site en France, contrairement à d'autres constructeurs automobiles également bénéficiaires du CIR, et de créer des emplois en France.
Le 12 février dernier, Renault a annoncé 2 000 recrutements en France dès 2015, 1 000 en CDI et 1 000 contrats d'apprentissage pour nos jeunes. Au titre de ces 1 000 CDI, Renault embauche plus particulièrement 500 personnes en recherche et développement en France, ce qui répond concrètement à la deuxième préoccupation de votre commission d'enquête.
Troisième affirmation : Renault ne polémique jamais avec aucun média en France, nonobstant les affirmations non conformes à la réalité susceptibles d'être véhiculées, tout en se réservant d'engager chaque fois que nécessaire les actions de protection de l'entreprise, et ceci pour une raison très simple : dans une société médiatique et court-termiste, Renault n'a pas vocation à se transformer en attaché de presse en quête de buzz, de notoriété et de sensationnalisme.
Renault, entreprise aux racines françaises profondément ancrées, a une responsabilité sociale particulière, et une activité sérieuse : assurer la compétitivité et la performance de ses voitures dans la mondialisation, créer des emplois, et développer une industrie majeure.
Permettez-moi de manifester ma surprise devant la diffusion très inhabituelle dans cette enceinte d'un reportage à sensation exclusivement à charge et erroné. Cette audition n'en est que plus indispensable : elle permettra d'opposer la réalité des faits au choc fallacieux des images et de propos mensongers.
Je vous propose d'organiser mon propos en trois temps. Je présenterai tout d'abord certains éléments de contexte propres à l'industrie automobile qu'il me semble important d'avoir en tête afin d'aborder le sujet du CIR. Je reviendrai avec vous sur certains éléments qui méritent, me semble-t-il une attention toute particulière. Pour terminer, je vous exposerai notre stratégie en matière de recherche et d'innovation, et illustrerai par des exemples concrets l'usage que le groupe Renault fait de son CIR.
Au terme de cet exposé, nous serons, avec mon collègue Gaspar Gascon Abellan, directeur de l'ingénierie de notre groupe, à votre entière disposition pour répondre à vos questions.
Pour ce qui est du contexte, il est important d'avoir présentes à l'esprit les évolutions de l'industrie automobile mondiale ces quinze dernières années, avec un déplacement des foyers de croissance du marché automobile en dehors des frontières européennes. Le développement que connaît l'industrie automobile hors d'Europe est sans commune mesure avec la situation observée dans les marchés français et européens.
Au cours des quinze dernières années, le marché automobile mondial a ainsi enregistré une croissance de près de 60 %, passant de 54 millions de véhicules vendus à travers le monde en 1999, à plus de 85 millions en 2014.
En revanche, dans le même temps, le marché européen a enregistré une baisse de 13 %. Sur la même période des quinze dernières années, la part de l'Europe dans les ventes automobiles mondiales a ainsi été pratiquement divisée par deux. Certains pays du sud de l'Europe ont connu des baisses allant jusqu'à 50 % du marché au cours de la crise de l'euro. Quant au marché français, il a enregistré une baisse de 14 % en quinze ans.
Ainsi, la part de la France dans le marché mondial est passée d'environ 5 % en 1999 à 2,5 % en 2014. Dans ce contexte d'intense compétition commerciale au niveau mondial, le groupe Renault s'est attaché à mener une stratégie de développement de ses ventes hors d'Europe. Celles-ci, qui représentaient 11 % du total des ventes du groupe en 1999, ont atteint 46 % en 2014, soit une progression de 35 points en l'espace de quinze ans. S'agissant de la France, ce marché représente désormais 20 % des ventes du groupe, alors qu'elles en représentaient plus de 40 % il y a quinze ans.
Si les ventes du groupe Renault ont suivi l'évolution du marché mondial, ce n'est pas le cas de ses efforts de recherche et développement, qui sont majoritairement restés concentrés en France. En effet, si la France ne représente que 20 % de nos ventes, 75 % de nos dépenses en recherche et développement y sont réalisées.
Par ailleurs, le nombre de brevets déposés reste toujours élevé : ces dépôts ont représenté six cent huit brevets en France en 2014, positionnant Renault dans le trio de tête français. L'intégralité de la propriété intellectuelle a ainsi été maintenue en France - mais nous y reviendrons. En outre, et je l'expliquerai plus tard, l'activité française de recherche et développement du groupe a même été développée pour le compte de nos partenaires étrangers, Nissan, Daimler et General Motors, par exemple.
Je souhaite insister sur quatre points importants.
Il s'agit de la baisse prétendue des dépenses de recherche et développement du groupe Renault, tandis que le CIR augmente, de la qualification de l'une de nos filiales historiques, IDVU (Ingénierie développement véhicule utilitaire), de « pompe à fric », du fait que la création récente de filiales, telles R-Dream (Renault direction de la recherche et des études avancées et des matériaux) et IDVE (Ingénierie développement véhicule électrique), soit constitutive d'un abus de droit, et enfin de l'absence de personnel dans les filiales.
Vous me permettrez de revenir successivement sur chacun de ces points.
Concernant l'évolution des dépenses de recherche et développement de Renault, il est faux d'affirmer que, depuis 2008, celles-ci n'ont cessé de baisser tandis que, dans le même temps, le CIR aurait augmenté. La recherche et développement des entités Renault varie au gré de l'intensité et des pics de recherche. En toute logique, les dépenses éligibles au CIR varient également, et suivent la même courbe.
Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises, les dépenses de recherche et développement sont orientées à la hausse depuis 2008, avec une augmentation globale de 8,3 %. Par ailleurs, les effectifs d'ingénieurs en France étaient stables avant les embauches annoncées en février dernier. Enfin, le montant du CIR est également resté stable sur la période.
Deuxièmement, concernant la création soi-disant « récente » d'IDVU et sa qualification de « pompe à fric », la mise en place de filiales du groupe Renault a toujours eu pour origine la nécessité de répondre à certaines contraintes opérationnelles. De nombreuses activités du groupe Renault sont organisées en France, au sein de filiales, sans la moindre cause fiscale. Il s'agit, dans la plupart des cas, de raisons managériales ou opérationnelles. Ces opérations ne sont pas susceptibles d'être qualifiées d'abus de droit.
Contrairement à ce qui a été affirmé, je tiens à souligner qu'IDVU n'a pas été créée en 2009 pour augmenter le CIR du groupe Renault. IDVU a été créée en 1966. Cette société est issue de la fusion de deux bureaux d'études externes, CREOS et CREICA, anciennement Chausson Ingénierie, qui ont été intégrés au groupe Renault. Cette société réalise des dépenses éligibles au CIR depuis plus de quinze ans. Avant même la modification législative de 2007, ses dépenses de recherche et développement éligibles au CIR étaient importantes : elles s'élevaient à 87 millions d'euros en 2007, contre 65 millions d'euros en 2008.
L'analyse chronologique du montant des dépenses éligibles au CIR générées par IDVU depuis plus de dix ans permet de constater que le passage dans la loi de finances pour 2008 d'un système de CIR en « accroissement » à un système de CIR en « volume » déplafonné n'a entraîné, en pratique, aucune augmentation des dépenses de recherche d'IDVU éligibles au CIR mais, au contraire, une baisse. Il est donc inexact de sous-entendre qu'IDVU serait une « pompe à fric » destinée, depuis 2009, à augmenter le CIR de Renault. Les faits démontrent en effet le contraire.
Par ailleurs, ce constat est également valable pour nos filiales R-Dream et IDVE. Ainsi, pour ce qui est de la création récente de R-Dream et IDVE, également montrées du doigt comme un abus de droit, je me dois de réagir. Bien évidemment, la création de ces deux entités a eu un impact bénéfique sur le CIR de Renault. Nous ne le contestons pas, mais ces créations répondaient à des besoins opérationnels, liés à l'émergence de nouvelles technologies pouvant attirer des partenariats.
IDVE a été créée au démarrage d'une activité nouvelle, le véhicule électrique. Le regroupement de l'ingénierie du véhicule dédié à 100 % aux projets de véhicules à zéro émission de CO2 au sein d'une seule et même entité faisait sens. En outre, pour le véhicule électrique, la création d'une société devait permettre de créer une dynamique plus forte pour répondre aux engagements pris dans le cadre du Grenelle de l'environnement. À titre d'exemple, Renault, via IDVE, s'est engagé dans un partenariat stratégique avec le Commissariat à l'énergie atomique en 2010 sur le développement de batteries innovantes pour véhicules électriques et, plus largement, sur la mobilité durable.
Quant à R-Dream, elle a été créée pour regrouper l'ensemble des activités de recherche fondamentale du groupe, pour avoir une meilleure visibilité et une meilleure planification des coûts de ces activités, et pour développer des partenariats publics ou privés.
Je viens d'évoquer les créations récentes de filiales. Il convient par ailleurs de souligner que 85 % des sociétés du groupe Renault génèrent du crédit d'impôt recherche depuis plus de quinze ans et ont plus de vingt ans d'existence. Seules les deux sociétés que j'ai mentionnées, IDVE et R-Dream, ont été créées en 2009. Le montant des dépenses éligibles au CIR de ces deux entités représente 16 % du montant total des dépenses éligibles du groupe. Les dépenses d'IDVE et R-Dream éligibles au CIR sont orientées à la baisse.
Ces créations de filiales ont été réalisées en toute transparence vis-à-vis des autorités fiscales, de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et des organisations syndicales du groupe. Elles sont tout à fait légales et ne contreviennent à aucun texte fiscal. Elles ont toutes fait l'objet de contrôles depuis leur création, contrôles qui n'ont donné lieu à aucun redressement.
Dernier point sur lequel il me semble important d'apporter certaines clarifications : il s'agit de l'absence de personnel dans les filiales que je viens de citer. En effet, l'absence de personnel dans ces trois filiales a récemment été mise en avant, comme étant le signe d'un montage destiné à éluder l'impôt. Il n'en est rien. Nous rappelons que le personnel d'IDVU était localisé dans IDVU jusqu'en 2009, et que le transfert du personnel d'IDVU vers Renault SAS a été réalisé en 2009, avant tout pour des raisons sociales et managériales. Évoquer en 2009 l'absence de personnel dans IDVU est donc totalement anachronique.
Par ailleurs, le fait de centraliser chez Renault SAS une part importante du personnel du groupe Renault en France, et de les mettre à disposition de ses filiales, est une organisation commune, très répandue au sein du groupe, y compris pour des filiales réalisant peu ou pas de dépenses de recherche et développement.
De nombreuses activités d'ingénierie ou industrielles du groupe Renault ont été filialisées au cours des dernières années. Le personnel a été mis à disposition de ces filiales par Renault SAS, sans que cela n'ait le moindre lien avec une éventuelle optimisation du CIR du groupe.
Parmi la trentaine de filiales opérationnelles du groupe Renault, seules deux fonctionnent avec du personnel spécifique, MCA, à Maubeuge, et SOVAB, à Batilly. L'intégralité des autres entités du groupe fonctionne sans aucun personnel propre, mais avec du personnel mis à disposition par Renault SAS. C'est aussi le cas pour toutes les usines.
Le regroupement du personnel du groupe Renault, que ce soit en matière d'ingénierie ou de fabrication au niveau de notre société principale Renault SAS, s'explique par deux principales raisons, tout d'abord le souhait d'améliorer le climat social au sein du groupe et de garantir au maximum aux salariés basés en France, les mêmes avantages sociaux, mais aussi pour des raisons opérationnelles, et pour permettre plus de souplesse dans la gestion des effectifs et dans leur affectation aux différentes activités du groupe.
Cette gestion centrale des effectifs est même un souhait des partenaires sociaux. Elle est protectrice des intérêts des salariés, et n'a rien à voir avec un éventuel montage fiscal destiné à optimiser le CIR. Pour preuve, cette organisation est également déployée dans nos usines de fabrication française, dont la plupart réalisent peu de CIR.
Le groupe Renault, dixième constructeur mondial, dispose de cinq centres de recherche dans le monde : en France avec le Technocentre, au Brésil, en Corée, en Inde et en Roumanie. En dépit de l'attractivité de ces quatre centres basés à l'international, tant pour la compétence de leurs ingénieurs que pour leurs structures de coûts, le groupe a fait le choix de maintenir et de faire prospérer en France 75 % de sa recherche et développement mondiale. Dans ce contexte, le CIR est un facteur essentiel à la compétitivité du coût de l'ingénieur Français. Alors que le coût de la recherche française est le deuxième plus élevé du monde, après les États-Unis, le CIR améliore la compétitivité de la recherche et développement de l'industrie française.
De ce fait, il concourt à rendre le coût de la recherche et développement raisonnable et acceptable par rapport à celui d'autres pays, et permet le maintien et le développement de l'outil industriel en France.
Depuis le début de la crise, en 2008, c'est en partie grâce au CIR que le groupe Renault, présent sur tous les continents, a pu maintenir l'essentiel de ses efforts de recherche et développement en France.
Par ailleurs, entre 2008 et 2015, la recherche fondamentale a pu continuer à croître grâce au CIR. Ce dernier a permis d'éviter la classique coupure des budgets de recherche fondamentale en période de crise. À titre d'exemple, le nombre de doctorants est resté stable, à hauteur de cent personnes durant cette période. En outre, trente nouveaux doctorants bénéficient chaque année des bourses des Conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), mises en place par l'Association nationale recherche technologie (ANRT).
Renault a pu lancer un important plan d'embauches en France dans le cadre du plan compétitivité, annoncé en février dernier : comme déjà évoqué, il se traduira par l'embauche dès cette année de 500 personnes en recherche et développement en France.
Enfin, Renault SAS travaille avec plus de cent sous-traitants ou partenaires de recherche situés en France, soixante-dix-huit organismes privés et quarante-sept organismes publics. Le montant d'actions de recherche et développement sous-traitées en France est supérieur à 300 millions d'euros. Sur ces 300 millions d'euros, seuls 12 millions d'euros entrent dans le calcul de l'assiette de recherche et développement éligible au CIR, en raison du plafonnement des dépenses de sous-traitance.
Cependant, tous ces points n'auraient pas de sens s'ils ne venaient pas en soutien des grands projets de recherche et développement de Renault.
Outre le développement de gammes toujours plus innovantes, allant de la petite citadine au véhicule utilitaire, en passant par les 4X4, je citerai quatre programmes emblématiques de Renault :
- le, véhicule électrique zéro émission, au contraire du véhicule hybride, avec une gamme complète de quatre véhicules, Twizy, Zoé, Fluence et Kangoo, vendus partout dans le monde ;
- le véhicule connecté, avec des innovations comme R-Link 2, classé numéro un des systèmes connectés ;
- Eolab, la « voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 kilomètres », et qui faisait partie des trente-quatre plans de reconquête pour une nouvelle France industrielle, présentée en septembre 2013 par le Président de la République. Eolab atteint même 1 litre aux 100 kilomètres ;
- l'hybride low cost, qui va permettre de faire bénéficier de cette technologie au plus grand nombre, dans la droite lignée de la gamme Dacia, qui est un succès mondial.
Plus de cinq cents projets de recherche et développement éligibles au CIR sont décrits dans le détail, à la disposition de l'administration et du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ces dossiers mettent à contribution plus de sept cents personnes chez Renault pour leur rédaction.
Sur 1,5 milliard d'euros investi en recherche et développement par Renault en France, seuls 777 millions d'euros sont éligibles au CIR, soit un peu plus de 50 % de la recherche et développement française totale. En outre, sur ces 777 millions d'euros, 400 millions d'euros sont plafonnés et donc éligibles à une contribution CIR réduite de 5 %.
La question du coût du travail en France et sa perte de compétitivité est un sujet connu de tous. J'ai sous les yeux un tableau que vous connaissez sans doute. Il n'est pas réalisé par Renault, mais par l'Association nationale recherche technologie (ANRT). Celui-ci figure dans la réponse écrite au questionnaire de votre commission d'enquête. Il compare le coût de la recherche et développement française à celui d'autres pays, et montre comment le CIR permet de l'améliorer. Selon ces chiffres, le CIR permet de réduire de 11 % le coût de l'ingénierie en France. Ce coût est intégré dans nos équations économiques. C'est un paramètre dans les décisions et arbitrages internes relatifs à la localisation au sein des différents centres de recherche de notre groupe des projets de recherche et développement.
Du fait du plafonnement de l'assiette pour les grandes entreprises à 100 millions d'euros, l'impact de la baisse du coût du travail imputable au CIR est inférieur pour celles-ci au taux moyen de 18 % estimé par l'ANRT.
Certains ont pu avancer que les dépenses de recherche du groupe Renault étaient orientées à la baisse. Or, il n'en est rien, et je tiens à rétablir la vérité en vous donnant quelques chiffres qui contredisent cette affirmation.
Pendant la période de la crise, de 2008 et 2009, Renault a fait le choix de préserver le montant de sa recherche et développement. Le groupe n'a cessé de l'augmenter depuis, passant de 1,870 milliard d'euros à 2,03 milliards d'euros entre 2010 et 2014, soit une progression de 8,3 %.
Autre point sur lequel je souhaite insister : le portefeuille de propriété intellectuelle du groupe est entièrement détenu par Renault SAS, entité française. À ce titre Renault SAS a déposé en 2014 plus de six cents brevets en France, soit une hausse constante depuis 2008, et un doublement depuis 2010. Ceci place Renault dans le trio de tête des entreprises innovantes, derrière Sanofi et PSA.
Par ailleurs, il convient de noter que Renault SAS ou ses filiales françaises réalisent pour nos partenaires étrangers - Nissan, Daimler, Fiat, General Motors - de nombreux travaux de recherche et développement dans les domaines des moteurs, du véhicule électrique et des véhicules utilitaires. Ce sont des domaines où les compétences de Renault sont largement reconnues et appréciées. Ces travaux de recherche et développement facturés par Renault SAS à ses partenaires étrangers, pour la seule année 2014, ont représenté un montant supérieur à 260 millions d'euros.
La gestion patrimoniale par le groupe Renault de sa propriété intellectuelle est entièrement organisée en France. Les brevets et le savoir-faire du groupe sont donc entièrement détenus par Renault SAS en France. Nous n'avons pas de patent box aux Pays-Bas ou aux Bermudes, par exemple. Le groupe Renault est une entreprise citoyenne soucieuse du respect de ses obligations fiscales vis-à-vis de l'État français. Les redevances rapatriées en France par Renault SAS, au titre de la concession à ses filiales étrangères de cette propriété intellectuelle représentent environ 300 millions d'euros tous les ans.
Comme nous l'évoquions précédemment, outre ces redevances, Renault SAS facture à ses partenaires plus de 260 millions d'euros de frais de recherche et développement tous les ans. Au titre de la seule gestion de sa recherche et développement, le groupe Renault rapatrie donc tous les ans en France 560 millions d'euros de base fiscale, pleinement imposable à 38 %, plus une CVAE de 1,5 %.
Vous en conviendrez, on ne peut pas parler d'une optimisation fiscale agressive. Ces 560 millions d'euros de base fiscale imposable au niveau de Renault SAS sont à prendre en compte au même titre que le CIR dans l'équation fiscale de la recherche en France.
Le CIR incite les entreprises à réaliser de la recherche et développement en France, plutôt qu'à la délocaliser hors de France. Cette recherche et développement est, de ce fait, détenue par Renault en France et génère de la base imposable en France. Il s'agit là d'un écosystème particulièrement vertueux. Renault assume en conscience la responsabilité particulière qui découle de l'attribution par la collectivité nationale du mécanisme du CIR. De ce point de vue, Renault est plus que jamais une belle industrie inscrite dans le patrimoine et dans l'imaginaire de notre pays et de nos concitoyens, une entreprise citoyenne en pointe en matière de recherche et développement, de localisation de sa recherche et développement, une entreprise performante qui embauche notamment des ingénieurs, en France - mille CDI et mille contrats d'apprentissage cette année.
En conclusion, grâce à l'arsenal mis en place par le législateur français, aux arbitrages du management du groupe Renault, et au talent et à l'investissement de presque 120 000 collaborateurs de notre entreprise, 75 % de la recherche de Renault est faite en France, pays dans lequel le coût du travail reste pourtant élevé. La propriété intellectuelle réalisée à l'étranger est entièrement détenue par Renault SAS en France. Tous les brevets et savoir-faire appartiennent à Renault SAS en France. Les facturations diverses apportent à Renault SAS entre 500 et 600 millions d'euros par an de base fiscale en France. Les deux tiers de nos dépenses éligibles au CIR sont plafonnés à 5 %. 85 % des sociétés éligibles au CIR existent depuis plus de vingt ans. Enfin, Renault s'interdit tout schéma d'optimisation fiscale de sa propriété intellectuelle, telles les patent boxes, ou autres domiciliations au taux d'imposition favorable.
Si Renault recherchait le bénéfice d'un quelconque effet d'aubaine, une délocalisation de la recherche et développement associée à une gestion fiscale plus optimisante de son portefeuille de recherche et développement généreraient des économies sociales et fiscales sans commune mesure avec les gains que représente le CIR. Il est incontestable que Renault s'est toujours interdit d'adopter une telle stratégie. En effet, la recherche et développement compte parmi les activités les plus faciles à délocaliser, car elle ne nécessite au fond aucune autre ressource que l'intelligence et le talent des ingénieurs. Cette intelligence et ce talent ne sont pas les seuls apanages de notre pays, qui n'a pas le monopole de la compétence technique et scientifique.
Je vous remercie de votre attention.
M. Francis Delattre, président. - Merci pour cet exposé exhaustif, qui va réduire le nombre de questions que nous avions préparées.
En premier lieu, le président de la commission d'enquête organise les travaux de celle-ci comme il le désire, compte tenu de l'environnement. J'ai personnellement souhaité que le reportage soit rediffusé, un certain nombre de membres de la commission n'en ayant pas eu connaissance. Une partie de votre exposé aurait donc pu être mal comprise sans cela.
Par ailleurs, les capitaines d'industrie que vous êtes doivent subir d'autres chocs que celui auquel vous avez été soumis ici. David Pujadas doit réunir 5 millions de téléspectateurs : cela ne représente qu'une quinzaine de personnes en plus !
Beaucoup ici ont estimé qu'il y avait certainement là beaucoup d'affabulations, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit de Renault. Je peux vous affirmer que, sur le terrain, les dégâts sont réels. Dans ma banlieue de région parisienne, où l'on roule plus en Renault qu'en voiture allemande, j'ai essuyé des commentaires très désagréables.
Il était difficile pour nous d'ignorer ce reportage. Nous travaillons sur ce sujet depuis quatre mois. La rapporteure aura finalisé le rapport d'ici trois semaines. Nous nous sommes naturellement posé un certain nombre de questions. Tout ceci n'est pas totalement innocent, nous ne sommes pas stupides ! Une société cotée en bourse ne peut se permettre de ne pas répondre à de telles allégations. Il y aurait eu un communiqué, nous en aurions pris acte. Nous vous donnons donc ici l'occasion de préciser les choses et de présenter des arguments. De ce point de vue, votre exposé a répondu à 80 % de nos questions, qui sont légitimes.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Merci pour cet exposé, qui nous apporte moult précisions. J'ai, en tant que rapporteure, reçu la réponse de Renault, mais je suis tenue au secret fiscal. Il est donc utile que nous puissions avoir cet échange.
Une précision tout d'abord à propos des filiales. Vous expliquez que l'absence de personnel n'est qu'apparente, et que du personnel est mis à disposition en fonction des exigences opérationnelles que vous nous avez succinctement décrites. Qui est réputé assumer juridiquement les salaires de ces entités ?
Quel est le niveau de fonds propres pour chacune d'elles ?
Par ailleurs, avez-vous déjà subi des contrôles fiscaux ? Comment se sont-ils passés ? Y a-t-il eu des redressements ? C'est un sujet auquel nous voudrions apporter des améliorations.
Enfin, pouvez-vous nous indiquer la valeur des droits incorporels issus de la recherche dans le bilan du groupe ? Quels sont les revenus comptabilisés à ce titre dans le compte de résultat ? Quels sont les revenus correspondant inclus dans votre résultat fiscal en France ?
M. Dominique Thormann. - Pour comprendre l'histoire de Renault, il faut remonter à la Régie. Une régie n'a, par définition, pas de bilan ; c'est une structure unique et atypique dans le monde industriel. À la privatisation, Renault est devenue une société anonyme, mais on a voulu maintenir un statut. Les employés se voyaient mal devenir membres d'une entité qui ne soit pas Renault. On a donc créé Renault SAS, société unique en France, qui possède un certain nombre de filiales opérationnelles. Toutes nos usines, comme nos bureaux d'études, sont essentiellement des sociétés de moyens, affectées de ressources mise à disposition par Renault SAS. Les frais sont refacturés aux filiales, qui disposent d'un compte de résultat et d'un bilan. C'est ainsi qu'on arrive à préserver les droits des salariés et tous les avantages des personnels du groupe Renault sous un seul chapeau en matière de législation sociale.
Ces sociétés ne sont pas fictives. Nous en avons créé deux en 2009, l'une pour le véhicule électrique, et l'autre pour rassembler notre recherche fondamentale. Je laisserai mon collègue Gaspar Gascon Abellan vous décrire ce que font ces sociétés.
Nous avons passé des partenariats avec des sociétés étrangères. L'usine de Sandouville fabrique des véhicules utilitaires pour Renault ou pour Nissan, Général Motors ; elle le fera bientôt pour Fiat, qui a décidé de s'associer avec nous.
Le développement de ces véhicules est assuré en France par IDVU grâce à du personnel Renault mis à disposition. Nous refacturons à Fiat, à Daimler, à Nissan près de 300 millions d'euros par an au titre du travail des ingénieurs pour le développement de véhicules qui seront ensuite vendus sous leur propre marque un peu partout dans le monde. Avec le véhicule électrique, il s'agissait d'ouvrir des partenariats, comme avec le CEA. Une société de moyens est une façon commode pour isoler cette activité du reste du groupe Renault lorsqu'il s'agit de refacturer nos frais de recherche et développement.
Quant au statut juridique, je vais vérifier, mais je pense qu'il s'agit de sociétés de moyens. Elles sont transparentes et figurent dans nos documents de référence.
S'agissant des informations sur les droits incorporels, celles-ci figurent au bilan. Renault SAS détient tous les brevets, et tous les actifs corporels et incorporels. Le taux de capitalisation est de l'ordre de 42 %. Tout est entièrement centralisé. Nous vous avons envoyé un organigramme patrimonial du groupe qui devrait pouvoir répondre à cette question.
M. Gaspar Gascon Abellan. - En général, toutes les sociétés modernes sont aujourd'hui des structures d'organisation matricielle. D'un côté, on a des axes d'activités, des projets et, de l'autre, des métiers, des fonctions de spécialistes techniques.
Le projet se situe dans un axe vertical et regroupe des ressources spécialisées dans différents métiers, en fonction de la nature du projet.
Dans le passé, l'entreprise a évolué pour optimiser ses résultats. La ressource était éparpillée, « en silos », découpée dans des zones étanches. Certaines activités étaient de ce fait à la baisse, et les ressources se trouvaient mal engagées. Dans certains domaines techniques, la flexibilité interne était insuffisante. C'est pourquoi on a décidé de regrouper les ressources suivant les différents projets.
Il est cependant essentiel de maintenir l'identité des activités. Le programme électrique, par exemple, a constitué une activité entièrement nouvelle. Il a fallu créer des programmes qui n'avaient rien à voir avec ce que l'on avait fait jusqu'alors, et passer des partenariats avec des sociétés extérieures. Une gestion indépendante, individualisée et transparente est alors nécessaire.
M. Francis Delattre, rapporteur. - La parole est aux commissaires.
M. Michel Vaspart. - Vous avez prêté serment. On peut donc considérer que ce que nous avons entendu, c'est votre vérité, mais également la vérité du groupe !
Tout comme le président, je suis atterré par votre absence de réaction face aux dégâts que ce reportage a pu produire à la fois pour vous, pour le dispositif mis en place par les gouvernements antérieurs et confirmé par le Gouvernement actuel, mais aussi pour notre commission. Le président l'a rappelé, nous travaillons sur ce sujet depuis plus de quatre mois. Chacun a commencé à se forger une opinion, et ce reportage peut la remettre en cause !
J'ai bien entendu ce que vous avez dit sous serment : vous investissez 2,3 milliards d'euros en matière de recherche, dont 1,5 milliard d'euros sur le territoire français. Vous bénéficiez par ailleurs de 143 millions d'euros de CIR, et vous rapatriez en France un volume financier de 560 millions d'euros, imposable à 38 %, ce qui paie quasiment le CIR.
Ce reportage fait donc flop, mais vous n'êtes ici que devant dix à quinze personnes, même si nous allons être amenés à signer ou non un rapport dont on devra débattre du contenu. Or, ce reportage a été diffusé auprès des millions de téléspectateurs. J'espère que ce n'est pas orchestré et que certains ne tentent pas de forcer la main de celles et ceux qui doivent signer ce rapport. Ce serait désastreux pour la démocratie !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Ce serait scandaleux !
M. Michel Vaspart. - En effet, mais je persiste et signe !
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faudrait que nous entendions le président de France Télévisions. On ne peut impunément lancer l'opprobre sur des dispositifs et sur des entreprises dans une période où notre pays a besoin à la fois de ses grandes entreprises et de tout le tissu des PME et des PMI, qui permet de maintenir l'emploi au mieux - même si c'est difficile !
Je tiens à le dire, même si cela vous gêne, madame la rapporteure !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Si vous avez connaissance de faits précis, dites-le !
M. Michel Vaspart. - J'irai, si vous le voulez bien, jusqu'au bout de mon propos.
Sous serment, pourriez-vous nous dire si vous seriez ou non aujourd'hui en mesure d'augmenter les effectifs de recherche et développement chez Renault si le CIR n'existait pas ? A-t-il été un déclencheur en la matière ?
M. Francis Delattre, président. - Je tiens à dire très clairement que Mme la rapporteure travaille tout à fait objectivement sur le dossier Renault.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je roule en Renault et je n'ai pas l'intention d'en changer ! Je trouve ces imputations scandaleuses.
M. Dominique Thormann. - Je vais essayer de répondre suivant trois axes différents.
Que la recherche et développement se déroule en France ou ailleurs n'est pas déterminant dans la décision de mener à bien ou non un projet. La recherche, ce sont des ingénieurs, quelques prototypes, et rien de plus. On peut la réaliser n'importe où dans le monde. Il n'y a rien de plus fluide que la matière grise. La France n'a pas le monopole de ce savoir-faire - en tout cas pas notre groupe. On dispose, dans des bureaux d'études étrangers, des mêmes compétences et des mêmes capacités.
Néanmoins, la France jouit, en matière de recherche fondamentale, d'un effet d'expérience et de masse critique, nos moyens étant concentrés ici depuis bien longtemps. Alors que notre pays est le plus cher après les États-Unis, et très loin devant des pays comme l'Allemagne l'Angleterre, ou l'Espagne, où nous possédons beaucoup d'infrastructures industrielles, le CIR remet la France au milieu du peloton, ce qui nous permet de réaliser un calcul économique et de remettre les bureaux d'études français sur un pied d'égalité avec l'étranger.
On doit ensuite déterminer si le projet a ou non vocation à être essentiellement européen. Il peut s'agir d'un véhicule destiné à l'Asie, à l'Amérique du Sud ou à l'Inde. Notre président vient par exemple de lancer en Inde un véhicule très innovant pour le marché indien, qui a été développé en France. Ce véhicule, dont la presse va parler aujourd'hui même, c'est le Technocentre de Renault qui l'a développé. On a dit qu'il viendra peut-être un jour en Europe, car on a déjà vu circuler en France des prototypes qui ont emprunté certaines routes pour les validations. Nous étudions les coûts pour prendre nos décisions économiques, et le CIR nous permet d'être dans la course.
Dire quelle aurait été notre décision si nous n'avions pas bénéficié du CIR n'est guère aisé. Je ne voudrais rien affirmer d'inexact, mais cela donnerait une équation économique différente.
On a signé en France, en 2013, un accord de compétitivité avec nos partenaires sociaux. Cet accord avait comme contrepartie un certain nombre d'engagements pris par la direction, qui cherchait à localiser en France des productions étrangères, notamment à Flins, où Nissan va fabriquer une voiture, ou à Sandouville, ou Fiat va faire la même chose.
Ceci a permis de solliciter l'ingénierie pour des projets qui n'auraient pas existé sans cela. Le fait de bénéficier du CIR nous a permis de répondre à Nissan, à Fiat, ou à Mercedes. Pour eux, c'est encore plus facile que pour nous : ils disposent partout de bureaux d'études, et dans des pays très différents. Ils n'auraient donc trouvé aucun avantage économique à demander à Renault de développer un véhicule pour leur compte si le coût n'avait pas été compétitif.
Le fait de disposer d'un accord de compétitivité et du CIR, qui maintient un coût acceptable pour l'ingénierie, nous a permis de répondre à des appels d'offres. Nous nous sommes quasiment retrouvés fournisseurs et, lorsqu'on développe pour le compte de Nissan ou de Daimler, on refacture ce travail à nos partenaires. Ce sont des factures imposables en France, qui viennent nourrir la masse fiscale française.
Sans notre accord de compétitivité, il aurait été difficile d'attirer Nissan, qui avait le choix entre fabriquer sa voiture en France ou en Inde, où la Micra est aujourd'hui réalisée. Ceci atteste du retour de notre ingénierie à la compétitivité.
M. Gaspar Gascon Abellan. - Aujourd'hui, nos compétiteurs plébiscitent nos activités d'ingénierie mécanique, qu'il s'agisse de nos moteurs diesel, essence, ou hybride électrifié, à tel point que les activités que l'on développe en France pour le compte de nos partenaires représentent 30 % de ce que nous faisons, ce qui est énorme. Ce ne serait pas le cas si nous n'étions pas compétitifs.
Cela permet de pouvoir financer le développement des nouvelles technologies et de soutenir cette activité. Notre volonté est de faire de la France la base technologique des futures plateformes automobiles, qui constituent la véritable valeur ajoutée de notre activité. Nous avons l'intention de continuer et de desservir tous les autres marchés sur ces bases techniques, mais aussi développer des applications.
M. Dominique Thormann. - L'ingénierie, dans l'industrie automobile, tire tout le reste. Des coûts d'ingénierie compétitifs permettent plus aisément de fabriquer localement. Le développement est détaché du lieu de vente, mais lorsqu'il rassemble les techniques employées sur plusieurs gammes de véhicules, il existe des effets d'échelle, de partage. De plus en plus de technologies sont communes aux voitures. L'électrification est la même, que les véhicules soient petits ou grands. Ce sont les mêmes composants qui sont utilisés.
Ce qui est fondamental, c'est l'amont. On part de la recherche fondamentale, qui se décline ensuite en recherche d'applications ; c'est ce qui tire la compétitivité du groupe. Pour nous, il est donc fondamental que la France soit compétitive. C'est là où on a le plus de ressources.
M. Daniel Gremillet. - Cette audition était importante et je voudrais remercier M. Thormann de sa clarté.
Néanmoins, je voudrais poser deux questions, qui m'éloignent du débat polémique, que je qualifie de la même manière que mon prédécesseur, pour me rapprocher du véritable but de cette commission d'enquête.
En premier lieu, vous avez fait état du dépôt en France de six cents brevets grâce au CIR. On a pu se rendre compte, lors de précédentes auditions, que ce n'était pas toujours le cas. Déposez-vous également des brevets à l'étranger grâce au CIR ?
En second lieu, quelle est la part de mise en production de ces six cents brevets déposés en France ?
M. Gaspar Gascon Abellan. - Quasiment 99 % des brevets sont déposés en France. Il peut exister un ou deux cas concernant un dispositif très spécifique, comme un marché pour la Russie par exemple, à propos d'huiles à basse température.
Combien sont-ils exécutés ? Le dépôt de brevets ne génère pas toujours des résultats. Il y a quelques années, on déposait beaucoup plus de brevets, le chiffre pouvant aller jusqu'à mille. Toutefois, ces brevets étaient généralement de piètre qualité, beaucoup d'entre eux concernant des idées irréalisables.
Depuis dix ans, nous avons procédé à un nettoyage complet du système, afin d'améliorer la qualité et de travailler sur des brevets pouvant représenter un atout et un potentiel industriels.
Je pourrais rechercher les chiffres des brevets débouchant sur une application industrielle, et vous les communiquer. Ce nombre est beaucoup plus élevé que par le passé. Cela dit, le brevet n'est pas toujours fait pour développer immédiatement un produit, mais pour protéger nos idées.
Par exemple, nous avons déposé plus d'une centaine de brevets pour Eolab, le véhicule qui consomme un litre aux 100 kilomètres. Une partie de ces solutions vont être appliquées sur la future Clio. On protège ainsi l'exclusivité de nos découvertes.
M. Dominique Thormann. - 100 % de la propriété intellectuelle de Renault est détenue en France.
M. Daniel Gremillet. - Il est important de l'entendre. Parmi ces six cents brevets, pouvez-vous nous dire combien touchent la sécurité et le domaine de l'économie d'énergie ?
M. Gaspar Gascon Abellan. - Nous vous communiquerons les chiffres que vous demandez, monsieur le sénateur.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Où ces brevets sont-ils mis en oeuvre ? Comment les redevances qui leur sont liées sont-elles perçues ?
M. Dominique Thormann. - Les brevets sont mis en oeuvre en France ! Nous facturons l'étranger pour l'usage de la propriété intellectuelle française. La redevance revient toujours en France. Les montants par année figurent dans les réponses apportées à votre questionnaire.
M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez dit que la recherche et développement était réalisée en France sur plusieurs sites. Quels sont les autres sites de Renault dans le monde ? Quelle est leur importance ? Combien de chercheurs et de personnels y sont-ils attachés ? Quel en est le coût, site par site ?
En second lieu, vous nous avez dit que vous développiez en France certains partenariats. J'imagine que ceux-ci sont liés à la qualité des pôles de recherche et que si vous développez le véhicule électrique en France, c'est que vous avez des compétences dans ce domaine. Ces écosystèmes sont importants, car si l'on souhaite qu'une recherche et développement de bon niveau perdure en France, il faut que ces écosystèmes se maintiennent.
Pouvez-vous nous apporter davantage d'informations sur les instituts avec lesquels vous développez certains programmes ? Comment les enseignants, le CNRS et les doctorants se mobilisent-ils ? Il est en effet important pour nous de pouvoir nous faire une idée des liens qui existent entre le milieu de l'industrie et celui de la recherche universitaire.
M. Dominique Thormann. - Nous avons quatre sites de Renault à l'étranger, en Inde, en Roumanie, au Brésil et en Corée du Sud. Il s'agit de bureaux d'études et de centres de recherche.
Si la France est étalonnée à 100, l'Inde est à 25 ou 26 avant CIR. Avec le CIR, les coûts d'ingénieurs de la France se situent à peu près à hauteur de ceux du Brésil.
Dans certains pays, le coût de l'ingénieur par rapport aux autres professions peut être relativement élevé. Les écarts sont donc moindres si l'on compare le coût d'une usine en France, en Espagne, en Allemagne ou en Angleterre, par rapport à une usine en Inde.
Le CIR nous situe, dans notre domaine, dans un peloton où nous ne sommes pas très loin de la Grande-Bretagne. On est à peu près au même niveau que l'Italie ou le Brésil. Le pays le plus cher au monde, ce sont les États-Unis.
Nous avons ajouté un tableau aux réponses que nous avons fournies à votre questionnaire.
M. Gaspar Gascon Abellan. - Renault est partie intégrante de la plateforme de la filière automobile. C'est dans ce cadre que nous développons divers programmes d'intérêt général, comme le projet concernant le véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres.
Nous y réunissons petits et grands équipementiers qui travaillent avec PSA et Renault. C'est dans ce cadre que nous animons les pôles de compétitivité. On essaye tous de coordonner les recherches autour des grands programmes que constituent aujourd'hui les véhicules connectés, les véhicules autonomes et la réduction des consommations des véhicules conventionnels.
Lors des prochains ateliers de la plateforme de l'automobile, nous allons tenter une nouvelle approche pour tirer un plus grand profit des pôles de compétitivité, et mieux les orienter vers la recherche et les innovations techniques appliquées, avec une sorte de cahier des charges très précis, dont les constructeurs automobiles ont besoin d'une façon bien plus concrète que par le passé : au lieu de définir trop généralement les axes de recherche, nous allons dire quels sont les éléments techniques dont on a besoin pour améliorer la compétitivité des constructeurs, et déboucher ainsi sur des programmes qui voient le jour.
Nous travaillons en outre avec beaucoup d'instituts de recherche, comme Vedecom, créé autour du véhicule autonome, ou l'Institut SystemX, concernant la sécurité des logiciels et des systèmes embarqués.
Je peux citer tout un ensemble d'instituts de recherche sur lesquels nous nous appuyons pour mener ces recherches fondamentales, qui s'appliquent sur les véhicules que l'on conçoit.
M. Francis Delattre, président. - Nous avons rendu visite avec M. Vial, près de Grenoble, à l'un de vos principaux partenaires qui fait beaucoup de recherche appliquée. Il nous a indiqué qu'il fournissait jusqu'à mille éléments par véhicule. Nous avons commencé à comprendre ce que signifiait concrètement l'écosystème. Nous pensons que le CIR doit alimenter cet écosystème. Il s'agit généralement d'entreprises intermédiaires, qui ont besoin de peps.
M. Michel Canevet. - Comme beaucoup, le contenu du reportage, que je n'avais pas vu, m'a particulièrement édifiée. Je remercie le président de l'avoir diffusé. Les réponses que Renault nous a apportées en matière de recherche m'ont rassuré. Nous voulons que la France industrielle puisse se développer ; or, avec Peugeot, vous êtes l'un des principaux acteurs industriels de notre pays, et il importe que nous puissions vous encourager.
Les différentes filiales dont on a parlé sont-elles bénéficiaires de façon significative ?
Par ailleurs, avez-vous été l'objet de contrôles de la part des services fiscaux ?
M. Dominique Thormann. - L'organisation fiscale, en France, est consolidée. Toutes nos sociétés le sont donc dans un même périmètre fiscal. Nos filiales, qui sont en l'occurrence des sociétés de moyens, comme nos usines, qui sont plus des centres de coût, sont consolidées avec la maison mère. Tout ceci donne un résultat fiscal unique. Il en va de même de notre banque, qui est intégrée dans le périmètre fiscal. Tout arrive en France, comme par exemple nos refacturations. C'est en France que nous avons notre liasse fiscale unique.
Un ingénieur ne travaillera peut-être pas tout le temps sur un véhicule utilitaire. Un jour, il devra peut-être passer au véhicule électrique. S'il n'était pas possible de le déplacer d'un projet à l'autre, on aurait autant de filiales que de projets. Cela multiplie les coûts administratifs et crée des situations de statuts assez difficiles à gérer.
Par ailleurs, nous avons bien entendu déjà été contrôlés. Tout le dispositif est public. Il est communiqué dans nos plaquettes, qui sont déposées à l'AMF. Le dispositif est connu des services fiscaux français. Nous sommes régulièrement audités. Nos sociétés ont toutes été contrôlées et n'ont jamais fait l'objet d'un commentaire, et encore moins d'un redressement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je crois me souvenir que vous n'utilisez pas le rescrit fiscal.
M. Dominique Thormann. - En effet.
M. Francis Delattre, président. - Monsieur Gascon Abellan, on parle toujours de notre sous-équipement en robots. J'ai visité une usine à Bratislava d'où sortent 1 900 véhicules par jour grâce à la robotisation. Notre technique dans ce domaine est-elle à la hauteur des enjeux d'aujourd'hui, ou avons-nous encore besoin de dépenser un peu de CIR à cette fin ?
Monsieur le directeur financier, j'aimerais vous poser une question d'ambiance : vous avez un très gros budget publicitaire. Combien dépensez-vous auprès de France 2 ? Il serait intéressant que vous nous disiez comment les choses ont évolué depuis trois ans... Vous pourrez répondre par écrit.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - J'aimerais par ailleurs que vous répondiez à ma question sur les fonds propres et sur celle relative aux revenus des droits.
M. Gaspar Gascon Abellan. - Je n'entrerai pas dans un débat technique sur la robotisation.
Le groupe Renault mène une réflexion sur la façon d'améliorer la compétitivité de ses usines françaises. C'est un de nos soucis majeurs. Nous avons étudié différentes propositions d'optimisation de l'outil industriel. Cela passe naturellement autant par l'aspect qualité que par l'aspect productivité pure, et donc par la maîtrise des coûts de fabrications.
La robotisation est un outil aujourd'hui très intéressant, surtout en matière de volume et de flexibilité. Le groupe Renault est engagé dans une démarche de standardisation très forte des plateformes permettant de créer différents modèles en recourant plus efficacement à la robotisation. Nous étudions différents procédés pour les utiliser plus massivement dans certaines usines françaises. Je ne peux vous en dire plus, car il s'agit de projets qui aboutiront sous peu.
M. Francis Delattre, président. - Nous avons eu un débat sérieux. Votre présentation a répondu par avance à un grand nombre de nos questions. Cela nous permet de connaître la vision d'un grand groupe français en matière de recherche et développement. Ceci complète les autres auditions que nous avons eues à ce sujet.
Nous ferons en sorte que, dans le rapport, une page soit spécifiquement consacrée à cette séance, afin de remettre les choses en ordre.
La réunion est levée à 15 heures 35.