Mercredi 27 mai 2015
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 05.
Réforme du collège avec les représentants des syndicats d'enseignants - Table ronde
La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des syndicats d'enseignants. Sont entendus :
- Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants (SE-UNSA) ;
- Mmes Ophélie Sauger et Cécile Kholer, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC) ;
- M. Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT) ;
- Mme Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du Syndicat national des enseignements du second degré (SNES-FSU) ;
- MM. François Portzer, président, et Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC) ;
- M. Michaël Marcilloux, secrétaire national de l'Union nationale des syndicats Confédération générale du travail de l'éducation nationale (UNSEN CGT Educ'Action).
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons ce matin les représentants des principales organisations syndicales des enseignants de l'éducation nationale.
Dans le cadre de ses missions de contrôle et d'information, notre commission a choisi de se pencher sur la réforme du collège, qui est au coeur de l'actualité et est mise en oeuvre par un décret et un arrêté publiés la semaine dernière - au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants du second degré.
Cette réforme s'appuie sur un constat que nous partageons tous : le collège actuel ne parvient pas à garantir à tous l'acquisition des savoirs fondamentaux, pas plus qu'il ne corrige les conséquences liées à l'origine sociale des élèves.
Pourtant, la réforme annoncée par la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, est loin de faire consensus. Ses principales dispositions sont fortement contestées, à l'instar de la réduction de 20 % des horaires d'enseignement disciplinaires - et la fin des options de langues anciennes - au profit d'enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), ou de la suppression des classes bilangues et des sections européennes. D'autres questions, notamment celles relatives à l'orientation des élèves, demeurent en suspens.
Cette réforme s'accompagne d'une refonte des programmes de l'enseignement primaire comme du collège. Une consultation est engagée sur le fondement des projets de programmes élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP), instance indépendante placée auprès du ministre, dont sont membres nos collègues Marie-Christine Blandin et Jacques-Bernard Magner et - jusqu'il y a peu - Jacques Grosperrin.
Dès lors, nous comptons sur vous pour éclairer les réflexions et les travaux de notre commission. Nous souhaiterions connaître vos positions sur la philosophie et les dispositions de cette réforme. Cela nous sera très utile en prévision de l'audition de la ministre, qui aura lieu la semaine prochaine.
Mme Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du Syndicat national des enseignements du second degré (SNES-FSU). - Nous pensions qu'une réforme du collège était nécessaire, le Gouvernement ayant déjà engagé la réforme du primaire. La loi de refondation de l'école rappelait les difficultés rencontrées par 25 % des élèves à l'entrée au collège ainsi que la nécessité de commencer par le premier degré.
Depuis la loi Haby et la création du collège unique, on s'est contenté de mettre les élèves dans le même lieu pour que tous accèdent à une culture scolaire parfois très éloignée de leur culture familiale. Or les parcours demeurent fortement corrélés avec l'origine sociale des élèves. La réforme était donc nécessaire.
Encore fallait-il partir du bon diagnostic. Quels sont les problèmes du collège ? Les taux d'encadrement se sont effondrés entre 1999 et 2010. Ensuite, il est difficile de différencier les situations d'apprentissage, du fait du peu de moyens disponibles pour constituer des petits groupes et ainsi mieux prendre en compte les élèves en difficulté.
La loi de refondation prévoyait que les collèges puissent disposer d'une marge de manoeuvre dans la gestion de leur dotation horaire globale (DHG) et que des projets puissent permettre une plus grande transversalité - dans le cadre d'expérimentations et sur la base du volontariat.
Or, qu'a-t-on vu ? Les négociations ont été bâclées. Nous sommes confrontés à la volonté d'imposer une autonomie qui n'est pas celle des équipes mais celle des chefs d'établissement. Ces derniers devront faire des choix qui mettront en concurrence à la fois les disciplines et les enseignants, et qui nécessiteront des arbitrages pour mettre en place des projets ou de l'accompagnement. Certains dédoublements, autrefois fléchés, notamment en sciences ou en technologie, ne seront plus obligatoires. Ces 20 % d'autonomie vont donc accentuer la diversité des politiques d'établissements.
Je rappelle que ce ne sont pas les disciplines ou les dispositifs, à l'instar des classes bilangues, qui sont à l'origine des inégalités, mais les usages sociaux qui en sont faits. Il aurait mieux valu réfléchir à une carte des langues vivantes et d'implantation des options, notamment en éducation prioritaire, plutôt que de supprimer ces dispositifs. On va recréer ainsi de nouveaux parcours socialement différenciés et donc des inégalités. De plus, l'interdisciplinarité, qui au demeurant peut être un outil intéressant, est difficile à appréhender pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Des travaux interdisciplinaires fructueux exigent du temps pour la concertation et la co-intervention et doivent porter sur des notions attachées aux programmes.
En conclusion, cette réforme se contente d'ânonner certains termes - « autonomie », « interdisciplinarité » - sans réfléchir aux conditions d'application et sans considération pour les demandes des enseignants du second degré. Qu'apportera-t-elle aux élèves en difficulté ? Rien. Mais elle risque de mettre en concurrence les établissements et les disciplines, ainsi que d'instaurer un climat peu propice au travail en équipe. Cette réforme est donc une occasion manquée d'aider les élèves les plus en difficulté.
Mme Cécile Kohler, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC). - Notre syndicat demande l'abrogation de la réforme du collège, comme il l'a exprimé dans le communiqué de l'intersyndicale qui représente 80 % des enseignants du second degré. Cette réforme se présente comme un remède à l'inégalité et au niveau insuffisant des élèves dans l'acquisition des savoirs fondamentaux. Peut-on croire que l'autonomie des établissements dans la définition de 20 % de leur DHG serait compatible avec l'égalité ? Cette autonomie mènera inévitablement à une concurrence entre les 5 000 collèges de France, qui proposeront autant de contenus différents.
Par ailleurs, l'organisation des EPI sur une partie des horaires disciplinaires pose problème. Cela signifie moins d'orthographe, moins de grammaire, ce qui n'aidera pas les élèves les plus en difficulté. Cela reviendrait à la perte d'environ 400 heures de cours sur l'ensemble de la scolarité au collège, soit près d'une demi-année d'enseignement. La définition des programmes sur la base des cycles pose également le problème de la progressivité de l'apprentissage et de l'évaluation des élèves. Et cela, alors que les effectifs par classe ne cessent d'augmenter depuis des années. Certaines classes de sixième comptent 30 élèves, voire plus.
Peut-on penser qu'en supprimant l'enseignement du latin et du grec ainsi que les classes bilangues on améliorera le niveau des élèves ? C'est un contresens d'imaginer que ces dispositifs sont réservés aux privilégiés, puisqu'ils existent dans les établissements de l'éducation prioritaire. La suppression des classes bilangues menace mille deux cents postes.
Cette réforme nous apparaît davantage comme un moyen de faire des économies ; il s'agit d'apprendre moins pour dépenser moins. Nous demandons, afin d'améliorer les apprentissages, un allègement des effectifs par classe. Après la réforme des rythmes scolaires toujours contestée, cette réforme s'inscrit dans la continuité de la refondation de l'école et de la réforme territoriale. Nous n'en voulons pas. Les collègues n'en veulent pas ; ils étaient majoritairement en grève le 19 mai. Dès lors, la publication du décret et de l'arrêté d'application le lendemain a suscité une forte indignation.
M. Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN CFDT). - Tout le monde s'accorde sur l'urgence qu'il y a à réformer le collège, qualifié par un précédent ministre de l'éducation nationale de « maillon souffrant » du système éducatif. Souffrance pour les élèves, en effet, puisque c'est le lieu où se concrétisent les difficultés et le décrochage. Souffrance également pour les personnels, qui sont confrontés au quotidien aux dysfonctionnements du collège dont la société s'est accommodée. Il y avait urgence du fait du développement des stratégies familiales de contournement et d'évitement ; les familles allaient chercher la réussite par elles-mêmes. Le collège unique se défaisait progressivement et presque irrémédiablement.
Il y avait également une opportunité : la réforme du collège s'accompagne de la redéfinition du socle commun, des programmes et de l'évaluation. Cela peut lui donner une cohérence globale et constitue une chance supplémentaire de réussir une réforme de cette ampleur. De plus, tout le monde s'accorde sur son objectif : réduire les inégalités et favoriser la réussite de tous les élèves, ce qui limitera les stratégies d'évitement.
S'agissant des modalités de la réforme, le SGEN a pesé pour que cessent les réformes injonctives, mais soutient celles qui s'inspirent de que les collègues ont fait sur le terrain. Quand l'État et la société fermaient les yeux sur ce qui se passait au collège, des enseignants ont innové, inventé et pris des initiatives. Les personnes les plus à même de choisir ce qui est bon pour les élèves sont les collègues au contact de la réalité des populations et des territoires. Nous avons pesé pour que la réforme accorde le maximum de liberté pédagogique nouvelle aux équipes éducatives, afin de leur permettre de remplir leur mission et de prendre en compte les difficultés particulières de leurs élèves.
Le point clé de la réforme est l'autonomie qu'elle accorde aux équipes dans la détermination du contenu et de l'organisation des enseignements. De ce point de vue, cette réforme va dans le bon sens.
Toutefois, un décret et un arrêté ne constituent pas une réforme. Cette réforme se fera sur le terrain ; elle est encore devant nous et il y a beaucoup à faire. Puisque l'on glisse d'un modèle injonctif à un modèle où les établissements sont plus autonomes, il va falloir donner les moyens de cette autonomie. Il nous faut distinguer deux temps. Tout d'abord, la préparation de la rentrée 2016, à l'occasion de laquelle il s'agit d'inventer de nouvelles manières de travailler. Pour ce faire, il faudra accorder du temps aux équipes au cours de l'année 2015-2016. Des ressources en ingénierie seront nécessaires pour aider les équipes à faire leurs choix, l'objectif étant bien d'être à leurs côtés pour les épauler dans la prise de décision.
Des changements, ensuite, doivent être faits à plus long terme, en particulier sur le fonctionnement des instances de direction des collèges, créées pour un pilotage descendant et hiérarchique et qu'il faut adapter à la nouvelle donne, plus autonome, avec plus de collégialité et de transparence. Il faudra également des moyens spécifiques pour préparer cette transition, en particulier des indemnités pour mission particulière qui, c'est le principe, peuvent être versées en numéraire ou sous forme de décharges.
Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants (SE UNSA). - Malgré l'engagement quotidien des personnels, sur le terrain, le collège n'est ni juste, ni efficace, et c'est une source de souffrance pour les professionnels comme pour les élèves en échec. L'échec scolaire est massif au collège et les écarts se creusent entre les élèves pendant les quatre années du cursus ; les comparaisons internationales montrent même que nos élèves les plus faibles ont de plus mauvais résultats que les élèves les plus faibles des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous faisons moins bien, pour ces élèves, qu'un pays comme le Mexique, par exemple. Les études internationales montrent encore que, là où il y a des progrès, c'est d'abord parce que le niveau des élèves les plus faibles a progressé : le progrès des plus faibles est un levier pour tous les élèves. Rien ne sert d'opposer la réussite des plus faibles à celle des meilleurs, ni de parler, comme le font trop souvent les médias, d'un « nivellement par le bas » : la réalité, c'est que mieux les plus faibles réussissent, plus loin vont les meilleurs.
Aujourd'hui, notre système opère une discrimination en faveur des meilleurs élèves. Ce sont eux qui bénéficient du plus grand nombre d'heures de classe et des dispositifs les plus performants pour l'acquisition des compétences ; il faut donc restructurer le collège pour se donner effectivement les moyens de faire réussir tous les élèves.
Le dialogue social a eu lieu, amplement, d'abord dans le cadre de la loi pour la refondation de l'école puis pendant une année entière. Nous avons été réunis quatre ou cinq fois, en particulier pour travailler sur l'évolution du collège, puis nous avons négocié la grille horaire.
Pour l'UNSA, l'une des clés de la lutte contre les discriminations est ce que nous appelons la « marge heure professeur », que cette réforme multiplie par six, ce qui est considérable. Dans un collège « moyen », de seize classes, au lieu de disposer comme aujourd'hui de huit heures, 48 heures seront disponibles pour travailler en effectifs réduits, pour observer et travailler sur les difficultés d'apprentissage avec les élèves, pour faire de la co-animation. Cela, tous les enseignants le demandent. Cette réforme vient directement des expériences réussies sur le terrain, c'est une évolution, pas une révolution ; elle est modeste, parce qu'elle s'ajuste aux possibilités et aux avancées de la réflexion dans les équipes.
On a beaucoup glosé sur les EPI, comme s'ils « volaient » des heures aux disciplines. Mais les EPI ne représentent que six à neuf heures, sur 104 heures de cours, on ne peut ainsi pas parler d'une mise en péril des enseignements disciplinaires. De plus, leur contenu correspondra aux programmes et ils permettront un accompagnement personnalisé, des pédagogies diversifiées, un travail par groupe : autant de manières de travailler qui existent déjà au lycée - et qui ont été instituées par une autre majorité politique que celle d'aujourd'hui. Enfin, les EPI sont en continuité des itinéraires de découverte (IDD)...
Cette réforme est fondée sur l'autonomie, qui n'est pas synonyme de liberté ou de « grand n'importe quoi », mais de responsabilité et de confiance faites aux équipes pour construire localement des réponses aux besoins des élèves, pour redonner du pouvoir d'agir aux enseignants, conforter leur fierté de faire leur métier et leur permettre de « s'éclater » pédagogiquement, au service de la réussite des élèves.
La réussite de la réforme, bien sûr, tiendra à l'accompagnement de sa mise en oeuvre, en particulier par la formation initiale et la formation continue, lesquelles ont été mises à mal par la majorité précédente.
Une autre priorité indispensable, c'est la réussite à l'école primaire.
Notre chance, c'est que cette réforme est systémique, elle concerne également la formation, les programmes, l'évaluation et nous espérons qu'elle portera aussi sur le diplôme national du brevet (DNB).
Il y a urgence pour le collège, pour le système éducatif public. Il est temps de sortir des polémiques sans fondement, pour porter tous ensemble ce nouveau collège !
M. Jean-Claude Gaudin. - Est-ce bien ce que vous faites ?
Mme Claire Krepper. - Nous partageons tous les principes de cette réforme, il est très important que nous la réussissions, pour garantir le vivre ensemble dans notre République !
M. Philippe Nachbar. - Jargon !
Mme Claire Krepper. - Elle est aussi indispensable à la réussite économique de notre pays. Les enjeux dépassent le système éducatif, il faut que les collectivités locales prennent leurs responsabilités avec les services de l'État pour développer la mixité scolaire et sociale dans tous les établissements !
M. Jean-Claude Gaudin. - Elles le font !
M. François Portzer, président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC). - Nous sommes tout à fait conscients des manquements du collège, un quart des élèves y est en échec scolaire. Nos propositions pour un « collège modulaire », expérimentées en particulier au collège Élisabeth et Robert Badinter de la Couronne, près d'Angoulême, montrent que nous ne sommes en rien les tenants de l'immobilisme, que nous sommes favorables à la pédagogie en petits groupes, à l'innovation.
Mais cette réforme n'est pas la bonne et c'est pourquoi nous en demandons l'abrogation, ainsi que l'ouverture de véritables négociations. Elle nous a été imposée, sans concertation ou presque, puisque seules trois réunions ont été organisées en quelques semaines ; nous sommes sortis de la dernière lorsque nous avons constaté qu'on nous y demandait d'apposer notre signature à une réforme déjà ficelée, sans qu'aucune réflexion de fond n'ait été entreprise. Le fait que le Gouvernement ait publié le décret le 19 mai, au soir d'une journée de manifestation nationale et de grève contre cette réforme, montre combien il s'agit d'un déni de démocratie ! Pour réformer, il faut commencer par écouter l'opinion et par consulter les organisations syndicales qui représentent les enseignants au collège.
Que reprochons-nous à cette réforme ? D'abord, qu'elle diminue les horaires disciplinaires, alors que les élèves ont besoin de plus d'heures de cours pour réussir. On nous « vend » l'interdisciplinarité comme la solution miracle, alors même que les IDD ont été un échec au lycée ! L'interdisciplinarité est une bonne chose, mais à condition qu'elle soit volontaire et qu'elle n'ampute pas les heures d'enseignement disciplinaire. Même chose pour l'enseignement des disciplines artistiques et des sciences : la confusion règne, on mélange la physique, les sciences de la vie et de la terre (SVT), la technologie. On supprime également un véritable enseignement du latin et du grec, - qui ne se limite pas à passer une vidéo sur la guerre de Troie... -, en faisant croire que ces enseignements sont élitistes, alors qu'ils concernent 20 % des élèves et que leur apprentissage s'accroît en Seine-Saint-Denis ! Cette réforme supprime des dispositifs qui fonctionnent, comme les classes européennes, les classes bilangues ou l'enseignement des langues régionales, avec le risque de mécontenter les familles et au grand bénéfice de l'enseignement privé.
L'autonomie serait-elle la solution ? Mais cette réforme fait progresser l'autonomie des chefs d'établissement, pas celle des établissements eux-mêmes, avec un risque d'inégalité croissante entre établissements. Alors que le vrai problème est qu'un quart des élèves sont en difficulté au collège, rien n'est fait pour les aider, pour leur permettre d'acquérir les savoirs fondamentaux, par des méthodes adaptées et en petits groupes.
Cette réforme est dangereuse, aussi, parce qu'elle sera suivie par celle de l'évaluation et des programmes, parce qu'elle répète les erreurs catastrophiques de la réforme du lycée ! Notre association, depuis 1905, se bat pour l'école de la République, celle d'un enseignement de qualité pour tous, et nous récusons le modèle universel qui est suivi aujourd'hui, où l'école publique, de mauvaise qualité, est faite pour les pauvres, alors que l'enseignement de qualité est réservé à l'élite de l'argent, comme cela se pratique dans un grand nombre de pays. Contrairement à ce qu'a dit la ministre, cette réforme ne va pas vers plus d'égalité, mais elle détruira davantage encore l'école de la République : notre association ne laissera pas cette gabegie se poursuivre !
M. Michaël Marcilloux, secrétaire national de l'Union nationale des syndicats Confédération générale du travail de l'éducation nationale (UNSEN CGT Educ'Action). - Nous n'avons eu que trois réunions de travail avec le ministère sur ce projet de réforme qui était ficelé d'avance. Le principal problème pour nous concerne l'autonomie qui est donnée aux chefs d'établissement et non aux équipes éducatives. Par ailleurs, si l'on considère que le dédoublement des classes constitue une bonne chose, il faut le prévoir pour tous les établissements et non le rendre possible en fonction des choix que fera chaque établissement, compte tenu de leur niveau de dotation. Il faut partir des projets des équipes éducatives, ce qui nécessite une marge de manoeuvre supérieure en termes de moyens.
Nous ne sommes pas opposés à l'interdisciplinarité mais avec des moyens et une concertation et sans flécher au préalable les enseignements qui feront l'objet de cette interdisciplinarité. En l'espèce, les établissements et les disciplines sont mis en concurrence et on fait reposer la pénurie de moyens sur les personnels. Il n'existe pas de solution clé en main. Le nombre d'élèves par classe est toujours élevé au collège et on ne peut pas développer un accompagnement personnalisé avec des classes de 26 élèves ou plus.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire. - La plupart d'entre nous jugeait nécessaire d'entreprendre une réforme du collège, car, comme le remarquait le représentant de l'UNSA, le collège aujourd'hui n'est ni juste, ni efficace.
Si, à l'issue de la scolarité au collège, 20 % environ des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base en français - et 20 % d'élèves ont une maîtrise insuffisante des mathématiques - il ne faut pas oublier qu'une proportion comparable, voire supérieure, d'élèves présentent des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux à leur entrée au collège.
Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5e - dont l'inefficacité a été prouvée à l'occasion de son expérimentation -, ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?
Comme le disait Charles Péguy, « lire, écrire, compter, c'est la base de tout ». Je crains que sans cet effort nécessaire, toutes les réformes du collège restent vaines.
Je suis, par ailleurs, particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignements disciplinaires au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires. Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux, et notamment au français, dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?
Quelle est, enfin, la pertinence d'introduire les EPI au collège ? Ces derniers rappellent furieusement les IDD au collège ou les TPE au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès...
En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle.
Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ?
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole. - Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?
Par ailleurs, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire spécifique !
Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?
M. Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC). - L'option de découverte professionnelle qui bénéficiait d'un créneau de trois heures (DP 3) a été supprimée, ce qui constitue une régression. Ceci, d'autant plus que le PIIODMEP sera mis en place sur les quotas d'heures disciplinaires et non en supplément. Par ailleurs, l'accompagnement personnalisé fonctionnera comme les EPI sur les heures disciplinaires. Au final, un élève en difficulté qui bénéficiait jusqu'alors de six heures de français se retrouvera avec seulement quatre heures et demie de cette discipline à l'issue de la réforme.
Mme Claire Krepper. - Effectivement, les options de découverte professionnelle disparaissent. Dans les faits, elles étaient réservées aux élèves dont on pensait qu'une orientation professionnelle précoce leur serait profitable. Il s'agissait d'un choix négatif. Il faut que tous les élèves puissent en profiter, ce qui amène à prévoir dans les programmes, de mettre en avant les aspects des disciplines permettant de découvrir leur dimension professionnelle. Les EPI pourront aussi être l'occasion d'approcher cette dimension professionnelle. Les classes de troisième « prépa-pro » sont maintenues pour les élèves qui ont un projet.
Mme Ophélie Sauger représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC). - Il existe des conseillers d'orientation-psychologue (COP), dont les effectifs ont baissé cette année. Les projets du Gouvernement ne prévoient pas de revenir sur ces baisses d'effectif.
Mme Frédérique Rolet. - Il faut réfléchir à porter la scolarité obligatoire à dix-huit ans. Les jeunes entrent au collège à onze ans et en sortent à quinze ans ; à seize ans, ils sont au lycée. Les élèves ont besoin d'être aidés, d'autant que ce sont les élèves des classes populaires qui sont concernés par l'orientation. Si on ajoute les projets d'éducation artistique et culturelle (PEAC) à ces modules d'orientation, on multiplie en réalité les parcours qui ne font pas l'objet d'horaires identifiés.
M. Jean-Rémi Girard. - Nous sommes éminemment favorables au renforcement de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire. Au-delà de la traditionnelle bataille de chiffres - de 20 % à 40 % selon le Haut conseil à l'éducation - il est certain que de trop nombreux élèves présentent des difficultés lors de leur entrée en 6e, difficultés que le collège n'arrive aujourd'hui pas à résorber. Dès lors, l'objectif doit être de limiter le nombre d'élèves en difficulté à l'entrée en 6e. Pourtant aucune réforme de fond de l'école primaire n'y a réussi. Au contraire, les réformes successives ont eu tendance à ajouter des enseignements supplémentaires dans un cadre horaire qui n'a cessé de se réduire. Par ailleurs, les questions de formation des enseignants dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), puis les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), notamment s'agissant des méthodes d'apprentissage de la lecture, de la grammaire et du calcul, demeurent taboues au sein de l'éducation nationale. On ne peut pourtant continuer à accepter que des élèves de 6e ne sachent pas lire un texte ! Sans prise en compte de cette réalité, toute réforme du collège sera inutile.
M. Frédéric Sève. - Une école primaire efficace nécessite une réforme du collège. La France est l'un des pays qui consacre le plus d'heures à l'apprentissage des fondamentaux au cours de la scolarité. Ce n'est donc pas l'insuffisance de ces enseignements qui explique les différences de niveaux constatées avec les autres pays. À mon sens, il n'existe pas de disciplines plus fondamentales que d'autres.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il existe, en revanche, des compétences fondamentales.
M. Frédéric Sève - Certes, mais une compétence peut se travailler dans différentes matières. Le socle commun de 2005, comme celui de 2014-2015, ne prévoient pas autre chose.
M. Jacques-Bernard Magner. - Je constate qu'il existe de nombreux points d'accord entre les intervenants. Tous sont, comme nous, préoccupés par la situation des 150 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Ce constat nécessite en lui-même une réforme du collège, dont nous avons déjà débattu lors de la discussion de la loi pour la refondation de l'école de la République, même si l'école primaire était au coeur de ce texte. Le décret dont vous contestez la légitimité était prévu par cette loi, notamment pour ce qui concerne le rôle du Conseil supérieur des programmes (CSP). Cela étant, si l'on nie la nécessité de l'acquisition d'un socle commun de compétences de connaissances et de la culture, lui préférant, comme au lycée, l'accumulation de disciplines parallèles, on est effectivement défavorable à la réforme proposée. Celle-ci, en liant dans un même cycle les classes de CM2 et de 6e, suit la logique du socle commun de compétences à acquérir au cours des scolarités primaire et secondaire. Il convient également de saluer la création de 60 000 postes en cinq ans, dont 4 000 consacrés à l'application de la réforme du collège, à rebours des 80 000 postes supprimés par le précédent gouvernement. Je partage également le constat selon lequel le temps de travail des élèves à l'école primaire et au collège doit être réduit : il faut apprendre à travailler différemment et en équipe.
Il existe toutefois des points de désaccord, notamment s'agissant du caractère urgent de la publication du décret, qui ne fait aucun doute pour moi, en vue de la préparation de la rentrée 2016. Je rappelle que les syndicats ont déjà rencontré à plusieurs reprises les ministres successifs de l'éducation nationale et que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s'est engagée à poursuivre avec eux un dialogue permanent. Les EPI font également débat car ils symbolisent une nouvelle façon de travailler. Nombre d'enseignants travaillent déjà de façon interdisciplinaire ; il s'agit seulement d'en généraliser la méthode. La réforme, contrairement aux critiques entendues, impose des classes bilangues dès la 5e. En outre, le latin et le grec continueront à être enseignés en classes de littérature. Il ne s'agit donc en aucun cas d'un recul ! Pour autant, les syndicats d'enseignants doivent apporter leurs suggestions relatives à cette réforme. Lorsque je militais à la Fédération de l'éducation nationale (FEN) dans les années 70, nous prônions l'instauration d'une école fondamentale. Il est temps de refonder une pensée politique et syndicale sur l'école pour l'avenir de nos enfants. Je vous invite donc à poursuivre le dialogue.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cette table ronde était fort utile, tant l'émoi suscité par la publication précipitée du décret fut grand. Nul n'affirme ici qu'il ne fallait pas réformer le collège. Mais, pour que les enseignants mettent en oeuvre la réforme avec conviction, il faut, en amont, un consensus et une concertation. Certes, on ne peut nier que des échanges sur la réforme du collège ont eu lieu lors des débats relatifs à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, mais ce texte, qui a suscité tous les espoirs après la dégradation de l'école par le précédent gouvernement, n'est pas sorti d'une logique de séquençage des réformes. Le véritable sens de la réforme de 2013 n'a pas été suffisamment expliqué. Dès lors, la réforme des rythmes scolaires, puis celle du collège, ont semblé poursuivre la déstabilisation du système. Même si les apprentissages y sont essentiels, la réussite des élèves ne peut constituer la responsabilité de la seule école primaire. À titre d'illustration, nous avions insisté, avec notre collègue Françoise Cartron, sur l'importance de la scolarité en maternelle et l'accueil des enfants dès deux ans. En réalité, la question fondamentale du « tous capables », dont le principe a été réaffirmé dans la loi pour la refondation de l'école, n'a pas été définitivement tranchée. Pourtant, l'objectif de l'école doit bien être d'éviter les difficultés scolaires dès les premières années de scolarité. À cet effet, peut-être conviendrait-il d'allonger la scolarité pour laisser à tous le temps nécessaire aux apprentissages. De ce point de vue, le passage de quatre à trois ans de la durée de scolarité en lycée professionnel a conduit à un échec patent : tous les élèves n'ont pas le même rythme. Par ailleurs, l'enjeu que constitue la formation initiale, et surtout continue, des enseignants a été totalement mis de côté. Au final, le métier d'enseignant, au potentiel formidable, est en grande souffrance, notamment du fait d'une succession, depuis quarante ans, de réformes souvent mal expliquées. Je terminerai sur le volet de la réforme relatif au développement de l'interdisciplinarité et au renforcement de l'autonomie des chefs d'établissement. Ne pensez-vous pas qu'il y a là une incohérence entre une plus grande souplesse apportée aux établissements et le risque d'inégalités auquel elle pourrait conduire ?
Mme Corinne Bouchoux. - Sans nier le moins du monde l'intérêt de ce débat, je regrette que nul n'ait fait état du plaisir d'apprendre et du bonheur de progresser. À vous écouter, les enfants semblent être des oies que l'on peut gaver de connaissances à loisir ! Dans le cadre de cette réforme, il faut également entendre les élèves, comprendre leur hantise du classement, leur ennui, leurs craintes face à la dégradation du climat scolaire. Nous avions proposé à l'occasion de l'examen de la loi de refondation de l'école, la création de modules d'enseignement à la gestion non violente des conflits. Combien ont été réellement mis en place ? Notre point de vue sur l'école dépend souvent du plaisir d'apprendre qui fut le nôtre, mais nos craintes, s'agissant de cette réforme, me semblent infondées. Je ne crois pas que, demain, les élèves partiront massivement dans l'enseignement privé. De fait, les trois quarts des évolutions proposées par le décret existent déjà dans l'enseignement privé et dans l'enseignement agricole. L'essentiel est de remettre au coeur du débat le bonheur de travailler.
Mme Françoise Laborde. - Les questions cribles programmées demain à quinze heures au Sénat sur la réforme du collège avec la ministre de l'éducation nationale, ainsi que la rencontre que nous avons avec vous ce matin, sont pour nous l'occasion d'affiner nos réflexions sur ces questions.
J'ai un véritable sujet d'inquiétude concernant les moyens dévolus à la formation continue des enseignants dans l'objectif d'une entrée en vigueur de cette réforme en septembre 2016.
L'articulation entre aides personnalisées et classes dédoublées n'est pas encore très claire pour moi ; nos intervenants pourront-ils nous apporter des réponses ?
La réforme prévoit désormais que, « sauf dérogation », les élèves de 6e auront au maximum vingt-six heures de présence hebdomadaire, y compris l'aide personnalisée, six heures de présence quotidienne et une pause méridienne d'au moins une heure trente : quelle assurance a-t-on que ces nouvelles orientations seront bien appliquées dans tous les collèges de France, y compris dans les établissements privés sous contrat ?
L'éducation civique a longtemps été sacrifiée au sein des enseignements d'histoire-géographie-éducation civique. Quelles garanties a-t-on qu'il n'en soit pas de même demain s'agissant de l'enseignement moral et civique ?
Mme Claire Krepper. - Pour répondre à Mme Brigitte Gonthier-Maurin qui s'interroge sur le degré d'adhésion des personnels à la réforme, au vu notamment du récent mouvement social, bien visible dans les établissements, je m'aperçois que les enseignants sont rassurés, voire enthousiasmés par la réforme à chaque fois que l'on prend le temps de la leur présenter positivement et de leur montrer en quoi elle va leur permettre de porter leurs projets.
La concurrence entre établissements existe déjà, y compris entre établissements publics, notamment par le biais de l'offre des options. En réduisant le poids des options, la réforme contribuera à réduire ces phénomènes de concurrence inter-établissements.
S'agissant de l'étendue de l'autonomie du chef d'établissement, il appartiendra aux équipes enseignantes de s'investir et d'occuper pleinement leur place au sein des instances - conseils pédagogiques et conseils d'administration - afin de contribuer à l'élaboration des projets de l'établissement.
Les nouveaux programmes, qui font désormais une grande place à la découverte des savoirs avec les élèves et par les élèves, devraient favoriser le « plaisir d'apprendre ». Mais si nous voulons que la réforme réussisse, il faudra aussi que les objectifs de l'évaluation des élèves évoluent.
L'un des facteurs de détérioration du climat scolaire au collège reste la ségrégation interne dans les établissements, en particulier dans certains quartiers où une ségrégation selon les résultats des élèves se double d'une ségrégation ethnique visible, qui engendre de nombreux conflits. Les travaux d'Éric Debarbieux sur ces établissements au climat scolaire dégradé nous invitent à mettre fin à ces pratiques ségrégatives et à constituer des classes véritablement hétérogènes.
M. Jean-Rémi Girard. - Permettez-moi de vous rappeler que la loi sur la refondation de l'école constituait un cadre général très large et ne prévoyait absolument pas cette réforme du collège dans tous ses éléments actuels - diminution de l'horaire consacré au latin, fin des classes bilangues, etc. Nous considérons cette réforme comme mauvaise.
J'attire également votre attention sur le fait que les établissements privés sous contrat appliqueront la réforme à l'exclusion de ses contraintes horaires - rythmes scolaires, durée de la pause méridienne, horaires quotidiens. Les établissements privés sous contrat fonctionnent selon un mode dérogatoire - sélection à l'entrée, règles d'exclusion, etc. : ils auront donc toute la latitude nécessaire pour continuer à offrir aux familles ce que les établissements publics ne pourront plus proposer. Nous risquons donc d'assister à une fuite des familles aisées vers le secteur privé et in fine à un renforcement de la ségrégation sociale entre établissements.
Pour répondre à l'interrogation de Mme Françoise Laborde sur la place de l'enseignement moral et civique, sachez que celui-ci prend la place de l'éducation civique au sein des heures consacrées à l'histoire-géographie.
Enfin, s'agissant des programmes qui sont en cours de consultation, nous considérons que la place faite au français et aux mathématiques constitue une régression.
Mme Ophélie Sauger. - L'emploi de 20 % de la DHG de l'établissement sera laissé au libre choix du chef d'établissement. Nous sommes inquiets de la concurrence entre disciplines que cette situation risque de faire naître au sein des établissements compte tenu de l'absence de moyens supplémentaires dévolus à la réforme.
S'agissant de l'enseignement des langues étrangères, je ne pense pas que nous puissions affirmer que désormais 100 % des élèves seront en classe bilangue. Certes, les élèves de 5e bénéficieront désormais de deux heures et demie d'enseignement d'une deuxième langue vivante chaque semaine mais, d'expérience, un enseignement de moins de trois heures hebdomadaires ne permet pas un apprentissage satisfaisant.
Nous évoquons tous le « plaisir d'apprendre » mais n'oublions pas que l'on ne développera pas de « compétences » sans « connaissances », ni de « savoir-faire » sans « savoirs ». Or, l'enseignement de la langue française en primaire et au collège est passé de 78 heures en 1977 à 53 heures en 2011.
S'agissant enfin des projets interdisciplinaires, le relatif échec des enseignements d'exploration au lycée devrait nous inciter à faire confiance au volontariat, à leur conférer un cadre structurant et à ne pas les prélever sur les horaires disciplinaires.
M. Frédéric Sève. - La concurrence entre établissements existe de fait, la carte scolaire en est le meilleur témoignage. Notre objectif est de faire réussir tous les élèves ; à terme, la concurrence entre établissements devrait s'en trouver réduite car le choix de l'établissement ne sera plus un critère de réussite.
S'agissant d'une prétendue concurrence entre disciplines, je fais confiance aux équipes éducatives pour trouver au cas par cas des terrains d'entente, sans confiscation de leur choix par le chef d'établissement. J'aimerais à cet égard plaider pour que nous conservions un droit au « dissensus » : nous pouvons avoir des débats entre organisations syndicales, mais au niveau local, in fine, les équipes éducatives trouveront des accords. Restaurons une belle vision de l'enseignement et des enseignants !
Mme Frédérique Rolet. - Le Gouvernement affiche le dialogue social comme l'une de ses marques de fabrique. Or, alors que nous avions très largement participé à l'élaboration de la loi de refondation de l'école ainsi qu'aux constats du rapport qui lui était annexé, force est de constater que, sur une réforme aussi complexe que celle du collège, nous n'avons eu en tout et pour tout que trois séances de concertation avec le Gouvernement. En conséquence, les enseignants ont eu le sentiment de n'avoir pas été entendus et un enseignant du collège sur deux était en grève le 19 mai dernier.
Les enseignants ne sont pas d'affreux « immobilistes » réfractaires à tout changement. Leur réaction à cette réforme a un sens et doit être prise en compte.
S'agissant de l'interdisciplinarité, qui n'est pas une véritable nouveauté, nous sommes gênés par l'idée qu'elle consisterait à proposer de « faire » à des élèves considérés comme déficients et incapables de « penser ».
M. Magner pense que les élèves travaillent trop : il est démontré que le temps passé dans les établissements contribue à réduire les inégalités entre les élèves.
Les élèves mettant en moyenne vingt minutes pour déjeuner, l'augmentation de la pause méridienne n'a de sens que si le temps dégagé est occupé utilement. Or, rien n'est prévu à ce sujet.
Nous ne sommes en aucun cas élitistes et nous aspirons à la mixité sociale et scolaire. Mais faute d'une refonte totale de la carte scolaire et des implantations des options, les parcours d'initiés perdureront. Un premier pas, certes insuffisant, avait été fait avec l'éducation prioritaire.
L'accompagnement personnalisé mis en oeuvre dans les lycées ne fonctionne pas et le fait que l'on tarde à évaluer le dispositif est assez significatif.
En résumé, nous refusons cette réforme qui ne nous paraît pas devoir bénéficier aux élèves et nous demandons à la ministre d'être à l'écoute des professionnels.
Mme Colette Mélot. - Nous ne pouvons accepter que 150 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans formation. La réforme est indispensable car, du fait de l'évolution des populations d'élèves, le collège unique n'est plus adapté. L'autonomie des établissements constitue un bon moyen de répondre à des besoins divers. Nous devons nous concentrer sur la maîtrise des fondamentaux, mais nous devons aussi proposer des offres différenciées permettant de valoriser les aptitudes propres de chaque élève. Le collège modulaire ayant été évoqué, j'aimerais obtenir des précisions sur le bilan qui a pu être fait de cette expérience.
Je déplore enfin la disparition des classes bilangues et des classes européennes qui fonctionnent bien et constituent un apport véritable, notamment en zone d'éducation prioritaire.
Il m'apparaît que cette réforme ne contribuera en rien à réduire les inégalités.
Mme Françoise Cartron. - La conclusion de Mme Mélot illustre bien le contresens qui est fait par certains. La réforme envisagée s'inscrit dans la continuité de la loi pour la refondation de l'école de la République, qui porte l'égalité des chances dans son ADN. Seul le sentiment que les chances sont égales pour tous permettra aux élèves d'avoir à nouveau confiance en l'école et en la République.
S'agissant de la concertation que vous appelez de vos voeux, je rappelle que toutes ces questions ont été longuement abordées lors de l'examen de la loi et que la ministre propose aux organisations syndicales une année entière de discussion sur l'application concrète du décret : pouvez-vous nous dire si vous participerez à ces discussions, et avec quelle feuille de route, quelles revendications ?
Certaines personnes prônent un effort accru sur les enseignements fondamentaux dispensés à l'école et regrettant les heures d'enseignement « perdues » : souhaitent-elles que l'on revienne à des semaines de vingt-sept heures ?
J'aimerais connaître votre sentiment sur le projet d'établissement : cette notion a-t-elle un sens pour vous ?
Enfin, n'oublions pas que la finalité des heures d'accompagnement est de faciliter l'accès aux disciplines.
M. Jacques Grosperrin. - Je remercie notre présidente pour l'organisation de ce débat et les organisations pour leur participation. Mme Cartron vient d'exécuter un tour de passe-passe en nous expliquant que ce décret et cet arrêté étaient prévus depuis deux ans. J'ai participé activement à l'examen de la loi pour la refondation de l'école et je puis vous assurer qu'il n'en n'est rien. Dans ces conditions, je comprends que les organisations professionnelles s'interrogent sur la manière dont elles sont considérées.
Nous devons nous attaquer au collège unique, qui est devenu une sorte de totem, et qui conduit les élèves les plus faibles à décrocher. La scolarité obligatoire jusqu'à seize ans pourrait être discutée et l'on pourrait envisager, par exemple, des passerelles ou des filières de pré-professionnalisation.
La suppression des classes bilangues annonce la disparition d'un collège public d'excellence. Les élèves des milieux les plus aisés s'orienteront vers les établissements privés, dont les moyens financiers permettront de maintenir ce type de classe.
Enfin, je ne suis pas certain que le régime « latin pour personne et espagnol pour tous » soit profitable aux élèves.
Mme Dominique Gillot. - Pour qu'une loi s'applique, il faut des décrets. Les décrets sont publiés selon un processus progressif et les rapporteurs s'emploient à contrôler la publication des textes d'application des lois sur lesquelles ils ont travaillé, comme je le fais, sur la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Nous sommes aujourd'hui dans la mise en oeuvre de ce beau projet consistant à refonder l'école pour refonder la République.
Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle la qualité de l'enseignement serait forcément liée au nombre d'heures de cours dispensés. L'enseignement ne doit pas se réduire à un simple « gavage » de connaissances, mais doit s'évertuer à éveiller la curiosité des élèves. Par ailleurs, à l'heure où nos collègues députés discutent que la question du burn out en milieu professionnel, je constate que nos collégiens passent en moyenne sept heures et demie dans leurs établissements.
Je souhaiterais avoir des précisions sur les marges « heures/professeur » qui pourront être utilisées pour l'ingénierie, la concertation et l'organisation des activités : ces marges passeront-elles réellement de huit à 48 heures dans un établissement comprenant seize classes ?
M. Jean-Rémi Girard. - Je réfute absolument le terme de « gavage » qui a été employé par deux fois de façon assez choquante et je m'étonne que le personnel politique tienne de tels propos, qui ne peuvent avoir pour effet que de générer du mécontentement parmi les enseignants.
Le projet de collège modulaire est disponible et consultable sur le site du SNALC. Il a pour objet d'aboutir à un socle commun plus efficace et mieux adapté que le socle actuel, qui comprend plus de deux cents compétences, dont je ne suis pas certain que les personnes ici présentes les maîtrisent toutes ...
Les textes ne prévoient pas que la marge horaire puisse être utilisée pour la concertation. Cette marge ayant été créée du fait de la suppression des classes bilangues et des sections européennes, les collèges ayant les plus forts effectifs et le plus grand nombre de classes seront favorisés par rapport à des établissements plus modestes. Lorsque les marges disponibles seront insuffisantes, les professeurs renonceront à l'interdisciplinarité, comme ils ont dû le faire avec les itinéraires de découverte, car le dispositif ne fonctionnera pas.
M. Michaël Marcilloux. - La loi de refondation de l'école, à laquelle mon organisation s'est opposée, comportait quelques réflexions générales sur le collège mais aucune disposition traitant de son organisation et de son fonctionnement. Et les trois soirées de discussions organisées depuis ne peuvent en aucun cas être apparentées à une véritable concertation. Je rappelle que nous attendons toujours un bilan de l'autonomisation des lycées.
Je trouve, moi aussi, assez scandaleux l'emploi du terme « gavage » alors que les enseignants se battent au quotidien pour faire réussir leurs élèves, sans toujours y parvenir.
Nous ne participerons pas à aux discussions de longue haleine proposées par la ministre sur les décrets que nous n'approuvons pas et dont la publication récente a été justifiée par la nécessité de préparer la rentrée de 2016 dès maintenant.
Mme Frédérique Rolet. - Les objectifs égalitaires de la réforme sont certes des objectifs nobles, mais les moyens et les méthodes nous semblent inadaptés. Le décret étant par ailleurs assorti d'un arrêté d'application, je ne vois pas quelles marges de manoeuvre restent pour la concertation.
M. Frédéric Sève. - Nous sommes favorables à la modularité pour les lycées, mais pas pour les écoles ni pour les collèges, l'enseignement obligatoire devant être le même pour tous.
Bien que, tous ici, nous maîtrisions le « lire-écrire-compter », il apparaît clairement que nous ne lisons pas tous la loi de la même façon et que nous comptons différemment les heures d'enseignement ou encore le nombre d'enseignants mobilisés contre une réforme.
À ceux qui s'insurgent contre le terme « gavage », je souhaite faire remarquer qu'il est utilisé par les enseignants eux-mêmes, qui déplorent l'accumulation des connaissances à transmettre prévue par les programmes.
Enfin, je rappelle que le décret relatif au collège ne sort pas de nulle part, mais a reçu l'avis du Conseil supérieur de l'éducation. Notre organisation sera présente lors des prochaines réunions de concertation, mais nous pensons qu'à ce jour, il ne s'agit plus tant de discuter au niveau national du contenu du décret que d'échanger dans les établissements sur son application.
Mme Claire Krepper. - La loi pour la refondation de l'école traitait des enseignements de tronc commun, des enseignements complémentaires - sans pour autant préciser leur articulation - et de l'autonomie. L'inscription des enseignements complémentaires dans les horaires des disciplines a pour avantage de renforcer leur légitimité, de favoriser leur pérennité et de leur faire bénéficier de l'expertise professionnelle des enseignants.
Nous participerons à la concertation sur la circulaire car nous souhaitons que les changements soient présentés de façon concrète dans les établissements. Une autonomie cadrée devrait permettre l'adaptation aux situations particulières tout en préservant l'équité entre tous.
Les moyens complémentaires sont liés à la taille de l'établissement, un établissement moyen devant bénéficier en principe d'un demi-poste supplémentaire. Cela dit, nous savons tous que la répartition des moyens supplémentaires est généralement modulée en fonction de critères déterminés par les rectorats et un établissement situé, par exemple, en milieu rural isolé, pourra être légèrement avantagé.
Mme Cécile Kholer représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC). - Je rappelle que les enseignants sont des personnes responsables, capables de comprendre une réforme. Si on nous explique que nous ne comprenons pas, si la réforme demande à ce point à être expliquée, c'est peut-être qu'il y a un problème.
Les 60 000 postes supplémentaires devaient permettre de multiplier le nombre de classes et donc de diminuer les effectifs de ces classes. Nous constatons qu'il n'en est rien. Je note que des personnes effectuant de temps en temps des visites dans nos établissements recommandent aux enseignants, qui y travaillent tous les jours, de faire en sorte que les élèves « s'éclatent » en apprenant. Je leur répondrais qu'il est difficile de « s'éclater » en apprenant dans une classe de trente élèves.
Mme Dominique Gillot. - Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, je ne suis pas certaine que la qualité de l'enseignement dépende de la quantité d'heures de cours dispensées. Cela dit, si j'ai employé un terme qui a choqué certains, je le retire et je vous prie de m'excuser.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaiterais préciser que les dispositions intitulées « repenser le collège unique » figuraient dans le rapport annexé à la loi de refondation et non dans la loi elle-même.
Je remercie vivement tous les participants à cette table ronde et je tiens à les assurer du fait que les membres de notre commission, dont beaucoup appartiennent au monde de l'éducation, tiennent les enseignants en très haute estime et éprouvent le plus profond respect pour le métier qu'ils exercent.
Réforme du collège avec les représentants des associations des parents d'élèves - Table ronde
La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des associations des parents d'élèves. Sont entendus :
- Mme Valérie Marty, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) ;
- M. Hervé Jean, secrétaire général de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL) ;
- Mme Sylvie Fromentelle, secrétaire générale de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE).
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons les représentants des principales organisations de parents d'élèves de l'enseignement public et privé sous contrat.
La réforme du collège, qui s'accompagne d'une révision des programmes, en cohérence avec le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, demeure au coeur du débat public. La publication, la semaine dernière, des textes d'application, n'a pas apaisé le débat ni éteint la contestation que rencontre cette réforme.
Alors que l'opposition à cette réforme est essentiellement animée par une intersyndicale d'enseignants, les fédérations de parents d'élèves que vous représentez se sont montrées favorables à cette réforme. Quand, le 10 avril dernier, le Conseil supérieur de l'éducation a été amené à se prononcer sur les projets de décret et d'arrêté, la FCPE a voté en faveur, tandis que la PEEP s'est abstenue. De son côté, l'APEL a exprimé publiquement son soutien à la réforme.
Dès lors, nous comptons sur vous pour éclairer les réflexions et les travaux de notre commission. Nous souhaiterions connaître vos positions sur la philosophie et les différentes dispositions de cette réforme. Cela nous sera très utile en prévision de l'audition de la ministre, la semaine prochaine.
Mme Valérie Marty, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP). - Depuis 35 ans que l'on parle de la réforme du collège, la question que se posent les parents demeure aujourd'hui la même : comment aider les élèves en difficulté au sein du collège ?
Dans cette réforme, l'apprentissage d'une seconde langue vivante à partir de la 5e et l'enseignement pratique interdisciplinaire, qui offre la possibilité de travailler différemment, ont recueilli l'assentiment des parents d'élèves de la PEEP.
L'aide personnalisée proposée par la réforme semble aller dans le bons sens. Il s'avère que les parents d'élèves sont également partisans d'une diminution des heures disciplinaires afin de réserver du temps à l'accompagnement des élèves dans leurs apprentissages des savoirs et des compétences.
Nous aurions souhaité qu'une réflexion soit organisée sur l'enseignement des langues vivantes en France, au collège comme au lycée. Nos adhérents sont opposés à la suppression des sections européennes. Il s'agirait plutôt de revoir leur fonctionnement. Si ces sections regroupent de bons élèves, elles permettent surtout d'enseigner les langues vivantes de manière différente. Il serait souhaitable que les langues vivantes soient enseignées, comme elles le sont dans les sections européennes des lycées, en s'inscrivant concrètement dans l'apprentissage de certaines disciplines.
M. Hervé Jean, secrétaire général de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL). - L'APEL, association apolitique et non confessionnelle, regroupe 880 000 familles ayant fait le choix de l'enseignement catholique.
Je rappellerai tout d'abord les raisons qui nous amènent à juger nécessaire une réforme profonde du primaire comme du secondaire. Comment se satisfaire d'un système dont les performances ne cessent de se dégrader, comme le montrent les enquêtes PISA ? 150 000 élèves sortent sans qualification d'un système scolaire de plus en plus injuste et au détriment des enfants issus de milieux défavorisés. Pour cette raison, nous pensons qu'une réforme du collège est nécessaire et urgente, et formulons le voeu que cette réforme aboutisse, sans - qu'une fois de plus et comme c'est le cas depuis trente ans - on en arrive à estimer qu'elle n'est pas appropriée.
En 2011, un sondage révélait que 45 % des parents d'élèves considéraient que le collège fonctionnait mal, ne garantissait pas l'égalité des chances et triait les élèves. Le constat perdure. Aujourd'hui, le collège a toujours du mal à remplir sa mission de transmission et d'acquisition des savoirs et des compétences nécessaires pour construire une vie d'adulte et s'insérer dans la société. Avec la volonté d'améliorer la situation, nous avions d'ailleurs, le 5 avril 2011, organisé au Sénat un petit-déjeuner-débat sur le thème « Inventons le collège de demain », qui avait ouvert une réflexion sur l'autonomie des établissements, la réforme des programmes, la suppression progressive du redoublement...
Dans le cadre de cette nouvelle réforme, je soulignerai trois points :
- l'autonomie laissée aux établissements pour l'aménagement de 20 % du temps des élèves. Elle doit avoir pour objectif de donner aux chefs d'établissement et aux équipes éducatives la possibilité de mieux s'adapter à la diversité des élèves qu'ils accueillent. Le collège unique ne signifie pas le collège uniforme. Il faut instaurer un collège où chacun puisse développer ses capacités en fonction de sa forme d'intelligence pour parvenir au meilleur de lui-même. Chacun doit avoir droit à un parcours qui vise la réussite. C'est l'élément-clé de la réforme ;
- la mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires va dans la bonne direction, en conjuguant enseignement théorique et enseignement pratique. Un certain nombre d'élèves peinent à appréhender les éléments théoriques. Cette nouvelle notion d'apprentissage favoriserait la compréhension, la motivation et encouragerait l'implication. Elle permettrait de valoriser la créativité, de développer l'aisance et la capacité à s'exprimer ainsi que la volonté d'entreprendre et de mener un projet ;
- l'accompagnement personnalisé renforcé entre le CM2 et la 6e nous paraît important pour que les élèves les moins en confiance comprennent les enjeux du collège et démarrent sur de bonnes bases plutôt que d'être fragilisés dès le départ.
Sur la question des langues vivantes, l'APEL émet des réserves. Elle soutient le principe du démarrage de la seconde langue en 5e mais regrette la suppression des classes bilangues et des sections européennes. Ces dispositifs étaient perçus de manière positive par les parents.
Le succès de cette réforme dépendra de l'implication de la communauté éducative et de la façon dont ses différents acteurs vont se l'approprier. Nous sommes prêts, de notre côté, en tant que parents d'élèves, à prendre notre place dans sa mise en oeuvre.
Mme Sylvie Fromentelle, secrétaire générale de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). - Pour la fédération que je représente, les principales avancées de la réforme du collège sont le développement des pratiques interdisciplinaires, le renforcement des langues vivantes, la répartition du calendrier scolaire, la création d'un conseil de vie collégienne - propice au maintien de la démocratie et à l'investissement personnel dans l'établissement - ainsi que le développement de l'autonomie des établissements qui requiert la participation de l'ensemble des personnels.
Qui dit réforme du collège dit nouveaux programmes. Nous les espérons plus cohérents qu'ils ne le sont actuellement. Quant à la réforme de l'évaluation des élèves pour valoriser les progrès et ainsi valoriser les élèves, sera-t-elle bénéfique ou facteur de démotivation ?
Un autre enjeu de cette réforme est le travail de partenariat à mettre en oeuvre pour impliquer les parents dans la vie de l'établissement. Il est reconnu que des parents impliqués dans la vie scolaire de leurs enfants augmentent leurs chances de réussite.
Il est important également que le calendrier annuel des rythmes scolaires soit mieux adapté au collège.
Mais le succès de cette réforme risque d'être compromis si les établissements se trouvent dépourvus de postes, si le remplacement des enseignants absents n'est pas assuré, si le personnel d'encadrement, ainsi que les médecins scolaires ou les assistants d'éducation, fait défaut. De plus, cette réforme restera en péril tant que la formation continue des enseignants ne sera pas efficacement assurée.
Cette réforme du collège requiert de la part des établissements non seulement un travail de terrain pour la réussite de leurs élèves, mais également un accompagnement tant des enseignants que des parents.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole. - Mon collègue Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, m'a priée de vous soumettre ses questions.
Sur le principe de la réforme et l'apprentissage des fondamentaux, il ne faut pas oublier qu'une proportion élevée d'élèves entrant en 6e présente des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux. Notre collège ne parvient pas à résorber ces difficultés. Or, on sait aujourd'hui que le destin scolaire des élèves est scellé très tôt, dès la fin du cycle 2.
Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5e, ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?
Notre rapporteur pour avis est particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignement disciplinaire au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Si, en apparence, le volume global horaire demeure peu ou prou identique, 20 % de ce temps sera consacré à l'accompagnement personnalisé et aux projets interdisciplinaires. Je ne suis pas opposé à l'accompagnement personnalisé et aux projets, mais ceux-ci doivent venir en complément des enseignements et non s'y substituer. Quelle est votre position à ce sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux et notamment au français dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?
Quelle est la pertinence d'introduire des EPI au collège ? Ces derniers rappellent les itinéraires de découverte (IDD) au collège ou les travaux pratiques encadrés (TPE) au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès... Leur intérêt n'est-il pas conditionné par la maîtrise des acquis disciplinaires et par une solide culture générale, choses rares en classe de 5e ? Ne risquent-ils pas justement de ne bénéficier qu'aux bons élèves ?
En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle qui, derrière les beaux discours, semble plus que jamais dévalorisée par l'éducation nationale.
Ne faudrait-il plutôt pas permettre l'individualisation des parcours, plutôt de s'arc-bouter sur le collège unique et y enfermer les élèves qui n'y sont pas à l'aise ?
Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ? Vous paraissent-ils satisfaisants ?
En tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, mon questionnement complète celui de mon collègue Jean-Claude Carle. Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?
Enfin, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP, il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire ! Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?
Plus généralement, il me semble que cette réforme s'inscrit dans la continuité d'une logique à l'oeuvre au sein de l'éducation nationale et que je dénonce depuis plusieurs années : celle qui considère qu'il convient de retarder le plus tard possible l'orientation des élèves, et d'en orienter le plus grand nombre possible vers les filières générales, souvent sans considération de leur niveau scolaire et de leurs aspirations. Ceci relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences qui demeure particulièrement prégnante. J'ai entendu que l'orientation se fait désormais en classe de seconde. Cela me paraît un peu tard pour avoir une orientation intelligente.
M. Jacques-Bernard Magner. - Les points de vue des représentants des trois associations de parents vont dans un sens positif et confirment le vrai partenariat avec les parents d'élèves qui sont, avec les personnels de l'éducation nationale et les collectivités, les trois piliers de la construction de l'école et du collège. Je regrette simplement que le travail de ces associations ne soit pas toujours considéré au niveau national et territorial comme il mériterait de l'être.
Vos associations respectives ont largement contribué, aux côtés du Gouvernement et des parlementaires, à la discussion sur la refondation de l'école. Sont-elles prêtes à s'impliquer dans la mise en oeuvre de la réforme du collège pour en préciser les éléments, notamment le passage de l'enseignement primaire à l'enseignement secondaire, qui ne va pas sans difficultés ?
M. Jacques Grosperrin. - Il est important d'entendre des parents d'élèves qui ne s'expriment pas d'une seule voix. Je considère que les associations ne doivent pas avoir un rôle de transmetteur ou d'accélérateur de la réforme du collège et l'on peut regretter que certaines d'entre elles soient en de très bons termes avec le Gouvernement. Je vous entends cependant et peux comprendre vos convictions.
Nous sommes d'accord avec le principe d'autonomie des établissements et sur l'enseignement interdisciplinaire, même si, comme Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale, je pense que pour faire de l'interdisciplinaire, il faut d'abord maîtriser le disciplinaire.
Quel est votre sentiment sur les classes bilangues et la suppression du latin ? Ne va-t-on pas vers une suppression de la différenciation des parcours, de la méritocratie et de l'élitisme ? La question du collège unique a-t-elle encore un sens à ce jour ? Ne serait-il pas intéressant de proposer des voies diversifiées ? En supprimant le latin et en imposant l'espagnol, ne va-ton pas créer davantage d'inégalités ?
Compte tenu des lacunes en lecture et du niveau d'expression orale en français de certains élèves à l'entrée en 6e, est-il judicieux de leur imposer une deuxième langue vivante ?
Les établissements privés ne vont-ils pas être les bénéficiaires de cette réforme en finançant sur leurs fonds propres les enseignements dont le Gouvernement propose la suppression ? Le latin, par exemple, est une discipline exigeante et je crains que la suppression de son enseignement fragilise le système éducatif public.
Quelles sont les craintes des parents d'élèves ? Quelles modifications souhaiteraient-ils apporter à la réforme du collège ?
Mme Corinne Bouchoux. - Vos associations respectives présentent des points de vue très différents qui, nonobstant les critiques et réserves formulées, considèrent que cette réforme va dans le bon sens.
La diversité des points de vue des parents d'élèves ne tient-elle pas au fait que le travail en équipe, au demeurant à la base des textes de la réforme, fait partie de la vie réelle et que la seule question qui se pose est de savoir comment assurer, dans la réalité, la réussite pour tous à l'école ?
En ce qui concerne la place des parents dans l'institution scolaire, que peut-on concrètement améliorer dans les conseils d'administration pour que ces instances importantes ne soient pas uniquement des chambres d'enregistrement, mais des lieux de dialogue où l'on peut ensemble intervenir sur le terrain d'une manière constructive et non pas aléatoire ?
Tout le monde veut le bonheur des élèves mais chacun perçoit différemment le texte d'un même décret.
Mme Valérie Marty. - Les parents d'élèves sont favorables à la diminution des heures consacrées aux apprentissages des disciplines traditionnelles. Ils préfèrent faire mieux que plus, qu'il y ait de l'accompagnement et que les enseignants essayent de personnaliser leur enseignement afin d'aider les élèves à progresser. Ce n'est pas en faisant plus d'heures qu'on va faire mieux !
Au demeurant, on sait bien que les lacunes des élèves qui arrivent au collège ne seront jamais comblées et que leur niveau scolaire risque même de s'abaisser, ce qui constitue une vraie difficulté. Les parents ne perçoivent pas comment la réforme va aider les élèves à réussir leur passage au collège, en prenant en compte la grande diversité des élèves.
S'agissant des enseignements interdisciplinaires, les parents sont plutôt favorables aux parcours de découverte. Parfois, dans certains collèges, ils ont un peu perdu de leur sens et on ne voit plus trop l'intérêt de ce dispositif. Par contre, au niveau du lycée, les TPE sont très intéressants et les élèves y apprennent beaucoup de choses. La fragilité de la mise en oeuvre des EPI est là : comment gérer ces enseignements interdisciplinaires au sein des établissements scolaires, comment l'éducation nationale va réussir à accompagner les équipes d'enseignants ? On pointe le problème de la gouvernance : comment réussir une réforme, comment la mettre en oeuvre et comment aider les enseignants à trouver un sens et un intérêt pour les élèves ?
Les grandes fédérations de parents que nous sommes font le même constat : il est temps de nous réformer, de mieux répondre aux attentes des parents, de proposer une nouvelle forme d'animation afin que nous ayons toujours notre place au sein de la communauté éducative. Nous participerons, bien sûr, au dialogue avec le ministère.
Quant à la liaison CM2/6e, les parents n'y sont pas associés et donc c'est assez invisible pour nous.
M. Hervé Jean. - Nous partageons en grande partie les propos de Mme Marty.
S'agissant du débat entre EPI et apprentissages fondamentaux, il est difficile d'y voir clair. Nous ne sommes ni des spécialistes, ni des experts. Nous pensons simplement que le nombre d'heures au collège se situe au-dessus de la moyenne observée dans beaucoup de pays de l'OCDE. Nous avons beaucoup d'heures et les programmes sont très chargés. Quelle est la part des choses entre la somme de ce qui est enseigné et la somme de ce qui est retenu ? Peut-être faut-il un peu moins d'enseignement disciplinaire sur le papier, mais avec une meilleure efficacité et une meilleure réussite des élèves. Nous privilégions une approche plus qualitative que quantitative. Nous avons discuté de ces EPI au sein de la communauté éducative avec les chefs d'établissements et les enseignants et nous avons un avis positif. Il se fait déjà des choses intéressantes dans ce domaine-là qui mériteraient d'être mieux connues et qui pourraient servir d'exemple.
Nous partageons l'idée que tout se joue au niveau du cours élémentaire, l'important est de pouvoir agir dès qu'un enfant a des difficultés.
Nous sommes très investis dans le domaine de l'orientation depuis quarante ans. Nous essayons de faire en sorte que cette éducation au choix soit développée très tôt, dès le primaire.
La liaison CM2/6e est également un point important et qui peut être amélioré surtout pour les élèves un peu fragilisés, qui manquent de confiance en eux. Le manque de confiance des élèves est une difficulté propre à notre système éducatif, criante par rapport à d'autres.
Nous regrettons la suppression des classes bilangues et du latin. Notre conception du collège n'est pas celle d'un collège uniforme pour tous mais celle d'un collège qui permette la réussite de tous. Ainsi, la suppression des classes bilangues et européennes ne peut être la traduction de la volonté de ne pas proposer plus à celui qui peut faire plus.
Concernant la place des parents, notre association a été, dès 1967, à l'origine de la notion de communauté éducative. Il est important que les parents puissent être partie prenante des réflexions sur la vie de l'établissement.
Mme Sylvie Fromentelle. - Pour nous, le changement de pédagogie est très important, de même que la formation. Il y a deux ans, nous avons accompli un travail de fond avec les départements et les conseils locaux autour du collège. Nous n'avons pas attendu que le ministère publie son projet pour avoir une position sur le sujet.
La réforme du collège fait partie d'un tout qui inclut la modification des programmes en primaire, avec pour objectif la réussite des enfants.
Lorsque l'interdisciplinarité est mise en oeuvre, elle fonctionne bien. En outre, nous avons des enseignants innovants.
Certains ont évoqué l'organisation des lycées agricoles. J'observe que le chef d'établissement n'est pas forcément le président du conseil d'administration. L'implication des parents est aussi plus importante. Nous avons des leçons à en tirer.
L'orientation doit s'accompagner d'un vrai travail d'explication et d'accompagnement des familles et des jeunes, en particulier, de ceux qui sont en difficulté.
La transition entre CM2 et 6e est une période importante car c'est souvent en 6e que les enfants décrochent. Je regrette que les parents ne participent pas aux conseils école-collège.
La FCPE soutient beaucoup les familles défavorisées. La question de la mixité sociale est très importante. Le travail collaboratif en classe doit aussi être favorisé.
Nous souhaitons obtenir un statut de parent délégué pour mieux travailler et participer à toutes les commissions existantes.
Au total, nous estimons qu'il faut rendre confiance aux enfants et aux parents.
Mme Françoise Cartron. - Je remercie les représentants des parents d'élèves pour la qualité de leurs interventions. Que ressort-il des enquêtes que vous menez auprès de vos adhérents par rapport aux difficultés rencontrées par les collégiens - manque de confiance en soi, souffrance, ennui ? Quelle est votre analyse de ces aspects négatifs et que pourrait améliorer cette réforme ?
M. Michel Savin. - L'objet même de cette réforme est de s'attaquer à la problématique des enfants en échec scolaire. Ma question s'adresse au représentant de l'APEL et à la représentante de la FCPE. Existe-t-il une différence importante en termes de pourcentage d'élèves en échec scolaire entre l'enseignement libre et l'enseignement public ? Ma seconde question s'adresse à la FCPE. Quelles sont vos propositions pour aider les familles rencontrant des difficultés ou étant dans l'incapacité d'accompagner leurs enfants pendant leur scolarité ?
Mme Sylvie Fromentelle. - Tous les parents souhaitent la réussite de leurs enfants quelle que soit leur situation sociale et économique. En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir. Nous travaillons depuis des années sur cette question avec notamment ATD Quart Monde, Prisme ou encore la PEEP. Nous menons des actions de terrain, afin d'impliquer les parents les plus éloignés, de les défendre et de les représenter. Car pour ces parents, l'école est fréquemment une institution qui fait peur.
M. Hervé Jean. - La question de Mme Cartron sur le manque de confiance des enfants souligne un point très important. Elle pose celle du sens de l'apprentissage. Beaucoup d'élèves ne perçoivent pas l'utilité de l'école, ni l'intérêt d'apprendre. D'où la nécessité de concilier l'approche théorique de certains enseignements, qu'il faut conserver, et une approche concrète qui redonnera sans doute du sens à l'école et de la confiance aux élèves. Il faut aussi réfléchir à des approches pédagogiques différentes. Nous avons récemment participé à un colloque sur les intelligences multiples. Il y a là un domaine que nous n'exploitons pas suffisamment et qui constitue une des voies de progrès de notre système.
Monsieur Savin, bien sûr, l'enseignement catholique compte des enfants en échec scolaire. Leur pourcentage ? En a-t-on plus ou moins que dans l'enseignement public ? Je n'ai pas la réponse. Ce qui est certain c'est qu'il est de notre devoir de faire en sorte que chaque enfant s'inscrive dans une dynamique de réussite. La question n'est pas quantitative mais qualitative.
Par ailleurs, nous avons développé ce que nous appelons les rencontres « parents-école », pour les familles de parents les plus éloignés de l'école. Nous essayons de faire réfléchir ces parents et de les conforter dans leur capacité à accompagner leurs enfants.
Mme Valérie Marty. - Il faudra plus d'une réforme pour résoudre les problèmes de la difficulté, la souffrance et l'ennui rencontrés par les collégiens. En attendant, il est certain que la réforme du collège actuelle ne pourra se faire que si elle est comprise par les parents. Et s'il n'y a pas de défiance entre l'école, les institutions et les familles. Aujourd'hui, ils ne comprennent pas en quoi cette réforme va aider les élèves en difficulté et faire progresser les bons élèves.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie. J'en profite pour vous informer que notre collègue Marie-Annick Duchêne conduit à l'heure actuelle une mission sur les conseils d'école.
La réunion est levée à 12 h 30.
Jeudi 28 mai 2015
- Présidence conjointe de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -La réunion est ouverte à 9 heures.
Table ronde sur la culture face au défi numérique
M. Jean Bizet, président. - Bienvenue, et merci d'avoir répondu à notre invitation. Le numérique bouleverse nos habitudes, en particulier dans le domaine de la culture. La digitalisation de l'économie du XXIe siècle est en marche, vouloir ne pas en prendre conscience serait une erreur fondamentale. C'est pourquoi, avec Mme Catherine Morin-Desailly, nous avons organisé cette table ronde.
La protection de la propriété intellectuelle est au coeur des préoccupations, à l'heure où les modèles économiques sont bousculés par le numérique. La construction du marché unique numérique est à l'ordre du jour pour répondre à ces enjeux. Nous avons rencontré M. Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, chargé du marché unique numérique, à Strasbourg la semaine dernière, et le directeur général en charge de l'économie et de la société numériques, M. Robert Madelin, hier après-midi au Sénat.
La Commission européenne a présenté, le 6 mai, ses propositions pour la stratégie numérique. Qu'en pensez-vous ? Le Sénat a beaucoup travaillé sur cette question. Dans un rapport de mars 2013, au nom de notre commission des affaires européennes, Mme Catherine Morin-Desailly avait relevé qu'une approche par les seuls usages manquait d'envergure politique : l'Union européenne doit aussi être productrice sur le marché unique numérique. La coopération franco-allemande pourrait jouer un rôle important à cette fin. Rencontrant régulièrement les membres de la CDU-CSU, je constate désormais une forte convergence sur ce thème, qui pourrait compenser l'éloignement croissant de nos positions sur la politique agricole commune.
Nous nous préoccupons de la perte de souveraineté de l'Union européenne sur ses données. Nous devons veiller à préserver la diversité de la culture européenne en ligne. C'est donc, à nos yeux, un véritable enjeu de civilisation qui se joue dans le monde numérique. La stratégie numérique permettra-t-elle d'y répondre ?
Dans un rapport plus récent, au nom d'une mission d'information qu'elle a animée avec M. Gaëtan Gorce, Mme Catherine Morin-Desailly avait plaidé pour une réforme de la gouvernance de l'Internet. L'Europe doit promouvoir un Internet conforme aux valeurs démocratiques et aux droits et libertés fondamentaux. Qu'en pensez-vous ?
Nous nous préoccupons également du rôle des grandes plateformes, dont l'influence est de plus en plus importante dans l'économie. Elles occupent une position dominante, qui leur permet d'imposer leur vues à des PME sous-traitantes. Ressentez-vous cette situation dans vos activités ? Je constate que ces plateformes sont bousculées par l'emprise des réseaux sociaux, où un propos discourtois peut avoir un retentissement important. Enfin, le numérique offre l'occasion de promouvoir un principe d'innovation qui contrebalancerait le principe de précaution qui s'est imposé de façon souvent excessive. Partagez-vous ce point de vue ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Le Sénat s'intéresse depuis longtemps à la mutation numérique, notamment au travers de sa commission des affaires européennes, comme l'a rappelé M. Jean Bizet, lorsqu'elle était présidée par M. Simon Sutour, ici présent, que je remercie.
La Commission européenne du président Juncker a fait de la construction d'un marché européen unique du numérique l'une de ses priorités, portée par le vice-président Ansip et le commissaire Oettinger. Cette proposition est concomitante d'une réforme du droit d'auteur, dont le caractère d'urgence est sujet à caution, tout comme sa nécessité réelle au regard de l'objectif de marché unique du numérique. De fait, en France, comme en Italie ou en Allemagne, artistes, producteurs et distributeurs ont fait état de leurs craintes que l'écosystème fragile du financement de la création européenne ne soit mis à mal au profit, in fine, des grands acteurs américains de l'Internet peu soucieux de notre diversité culturelle.
Convaincue que l'Europe ne pouvait faire fi d'un droit plusieurs fois centenaire, auquel nous devons la richesse de nos arts, notre commission de la culture a engagé aux mois de mars et avril un cycle d'auditions sur ce thème, afin de prendre la mesure du risque annoncé et de rencontrer les acteurs concernés, dont l'inquiétude était alors à son paroxysme en raison de la publication du pré-rapport de la députée européenne Julia Reda en faveur de l'extension du champ des exceptions et de la suppression de la territorialité des droits.
Nous avons reçu M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris I-Panthéon Sorbonne et membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), mais également les représentants des sociétés françaises de gestion collective des droits. Ces interlocuteurs nous ont unanimement fait part de leurs inquiétudes quant à une modification des équilibres actuels, qui passerait outre une négociation avec les représentants des ayants droit et une réflexion sur le rôle des intermédiaires techniques. Ils ont tous appelé de leurs voeux une révision concomitante, voire préalable, de la directive relative au commerce électronique.
Enfin, nous avons pu nous entretenir avec Mme Julia Reda des conclusions de son rapport d'initiative. La rencontre fut cordiale, malgré les divergences de fond qui furent à cette occasion confirmées.
La mobilisation sans précédent des acteurs de la culture, des gouvernements et des parlementaires nationaux et européens est parvenue à modérer les velléités de la Commission à l'encontre de la propriété littéraire et artistique, telle que nous la concevons. Le contenu du marché européen unique du numérique présenté par le président Juncker le 6 mai, comme la tribune du commissaire Oettinger parue dans Le Monde du 14 mai dernier paraissent constituer, à cet égard, des éléments rassurants et constructifs. Il n'en demeure pas moins qu'il convient de rester vigilants, attentifs à ce que les prochaines étapes, notamment les discussions à venir sur l'interopérabilité des contenus et la territorialité des droits, n'aboutissent pas à des accords trop déséquilibrés pour le financement de nos industries culturelles. Nous avons, dans ce but, maintes fois appelé les acteurs à se fédérer au niveau européen pour pouvoir peser auprès de la Commission européenne.
M. Yvon Thiec est le délégué général d'Eurocinéma, qui est l'association européenne des producteurs de cinéma et de télévision.
M. Yvon Thiec, délégué général d'Eurocinéma. - Je suis honoré de votre invitation. La communication de la Commission européenne relative à l'achèvement du marché numérique est indigente. L'objectif premier est manifestement de faciliter l'accès par les consommateurs, sans que ceux-ci soient suffisamment définis : s'agit-il d'utilisateurs européens ou étrangers ? Votre rapport, opportunément intitulé L'Union européenne, colonie du monde numérique ? avait bien vu la question.
Les start-ups, leviers du monde numérique, ne sont évoquées qu'en dernière partie de la communication de la Commission, alors qu'elles devraient y être traitées en priorité. Les 21 milliards d'euros qui seront consacrés à l'investissement, répartis entre 28 pays sur une durée de cinq ans, constituent un budget bien insuffisant. Si l'objectif est de faire du marché unique européen du numérique un levier de croissance, M. Juncker aurait été avisé de s'inspirer du plan de relance conçu il y a vingt ans par M. Delors. À une époque de dépression économique, celui-ci avait publié trois cents directives extrêmement précises. L'effet sur les industriels, sur les entreprises, sur la presse aussi, avait été considérable, et ce plan avait relancé tout à la fois l'Europe et son économie. Par comparaison, la presse a très peu commenté la communication de M. Juncker...
Sur la portabilité des contenus, la Commission n'a pas grand-chose à faire, puisque celle-ci relève de la faculté des opérateurs à donner, sur une base contractuelle, l'accès transfrontalier à certains abonnés. En acceptant que la territorialité reste le modèle économique des droits audiovisuels, la Commission ne fait qu'entériner la jurisprudence de la Cour de Justice, qui a encore été confirmée dans son dernier arrêt et qui prend acte des pratiques actuelles. Finalement, la réforme du droit d'auteur sera limitée : la Commission n'envisage plus que deux exceptions harmonisées et probablement obligatoires, pour la recherche sur bases de données et pour l'enseignement. La première pose toutefois un problème de principe : pourquoi créer une exception pour faciliter l'usage commercial ? Je ne sais pas si la Commission est consciente de la limite qu'elle pose ainsi à l'exercice du droit d'auteur, alors même qu'il est mieux sécurisé à l'échelle internationale.
La clarification des règles applicables aux activités intermédiaires concernant les oeuvres protégées par le droit d'auteur est bienvenue, même si elle est présentée de manière discontinue dans le texte. Enfin, l'amélioration des moyens de lutte contre la piraterie est une bonne chose. Le colloque organisé par la ministre de la culture et de la communication à Cannes, auquel le Premier ministre a participé, a bien montré qu'il s'agit d'une priorité. La directive de 2004 sur la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle avait fait l'objet d'un rapport utile du Sénat, qui pointait le manque de cohérence entre États membres dans sa transposition. Adoptée après une seule lecture, avant l'élargissement, elle offre trop de portes de sorties, ce qui en affaiblit la portée juridique.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - M. Pierre Dutilleul est président de la Fédération des éditeurs européens (FEE), association qui regroupe 27 associations nationales d'éditeurs de livres dans l'Union européenne et l'Espace économique européen.
M. Pierre Dutilleul, président de la Fédération des éditeurs européens (FEE). - Depuis le week-end dernier, 28 ! Merci pour votre invitation. La FEE ne peut que se réjouir de la volonté de la Commission d'aider les entreprises européennes à élargir leur marché. Mais il ne faudrait pas que le rapport Reda ait été envoyé comme épouvantail, pour que la communication du 6 mai et les étapes suivantes nous paraissent, par contraste, innocentes. Nous souhaiterions même que cette réforme soit plus ambitieuse pour l'interopérabilité, qui handicape beaucoup notre secteur. Ceux qu'on appelle les Gafa se protègent de la concurrence en adoptant un format propriétaire : si l'on achète leur liseuse, on ne peut plus acquérir d'ouvrages qu'auprès d'eux.
Les éditeurs sont des innovateurs. Depuis plus de vingt ans, ils ont intégré la technologie dans le processus éditorial et ils mettent sur le marché des ouvrages innovants. Ils sont le premier investisseur de la chaîne du livre, par les à-valoir qu'ils versent à l'auteur...
M. André Gattolin. - Pas à tous !
M. Pierre Dutilleul. - En Europe, le financement des livres dépend très peu des subsides publics, sauf pour certaines traductions, grâce, en France, à l'action du Centre national du livre et du ministère de la culture et de la communication. L'édition se finance donc presque exclusivement par les ventes d'ouvrages, dont 4 % à destination des collectivités et 96 % aux particuliers. Le chiffre d'affaires de ce secteur en Europe, qui emploie 135 000 personnes, s'élève à 24,3 milliards d'euros.
Nous dépendons peu de la territorialité des droits car notre exploitation repose sur la langue. Lorsque nous signons un contrat avec un auteur, nous disposons, le plus souvent, de droits mondiaux. Si nous trouvons des lecteurs dans un pays de langue différente, nous passons alors un contrat avec un éditeur de ce pays, qui se charge de la traduction et de la distribution de l'ouvrage.
Si nous ne sommes plus à même d'investir dans des ouvrages de qualité, la diversité culturelle s'en trouvera mise à mal. Certes, les enseignants doivent continuer à utiliser des extraits de livres scolaires pour enrichir leurs cours et les bibliothèques doivent offrir l'accès au livre numérique, mais dans un esprit de collaboration, au travers de licences négociées individuellement ou collectivement, qui rémunéreront le travail de l'auteur, de l'éditeur et du libraire.
Le livre est une pierre angulaire de notre culture européenne. Soyons donc vigilants face à des exceptions qui, pour compenser des lacunes budgétaires, mettraient en danger notre secteur.
Dans les propositions de la Commission, on perçoit nettement l'ombre des intermédiaires techniques, indispensable mais jouissant souvent d'une position dominante. Voulons-nous d'une Europe dans laquelle les oeuvres de l'esprit seraient une simple commodité ? Si les exceptions sont compensées, au mieux, par une rémunération forfaitaire, quel auteur, quel éditeur pourra encore vivre de son métier ? Je vous demande d'envoyer à la Commission un message sans ambiguïté : oui, tous les éditeurs souhaitent un grand marché numérique unifié et ils prendront leurs responsabilités. Mais celui-ci ne doit pas être réalisé aux dépens des industries culturelles. Les éditeurs feront en sorte que leurs ouvrages soient accessibles dans les bibliothèques, comme c'est déjà le cas en France grâce au projet de prêt numérique en bibliothèque expérimenté dans quatre bibliothèques-tests, à Montpellier, Aulnay-sous-Bois, Dijon et Orléans. Un tel prêt à distance doit toutefois être encadré : les pays scandinaves regrettent à présent de lui avoir donné une trop grande extension.
Sur la fiscalité du livre numérique, la France est un pays précurseur. L'Europe modifiera, je l'espère, sa position puisque la Commission a annoncé sa volonté d'examiner les taux applicables. Développer un marché numérique avec des taux aussi différents qu'ils le sont actuellement relèvent de la gageure. Le législateur européen n'a pas inclus le livre dans une liste de biens et services pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA pour favoriser l'utilisation du papier, mais bien pour inciter à la lecture. Il convient donc d'aligner le taux applicable aux livres numériques sur celui applicable au livre papier. À nous de conquérir ce Far West numérique : même si nous avons déjà perdu la guerre du hardware et du software, nous pouvons gagner celle de la diversité culturelle !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Nous avons perdu une bataille, nous n'avons pas perdu la guerre ! Mme Véronique Desbrosses est directrice générale du Groupement européen des sociétés d'auteurs et compositeurs (GESAC), qui regroupe 33 des plus grandes sociétés d'auteurs de l'Union européenne, d'Islande, de Norvège et de Suisse.
Mme Véronique Desbrosses, directrice générale du Groupement européen des sociétés d'auteurs et compositeurs (GESAC). - Merci de votre invitation. Le GESAC représente désormais 34 sociétés d'auteurs, qui rassemblent plus d'un million d'auteurs et d'ayants droit et perçoivent près de cinq milliards d'euros par an, soit 60 % des perceptions dans le monde. En 2013, ce sont 4,3 milliards d'euros qui ont ainsi été répartis entre environ 500 000 auteurs ou ayants droit. L'apport des sociétés d'auteur au financement de projets culturels est considérable : en 2013, elles y ont consacré plus de 207 millions d'euros, soit 3,5 fois plus que l'Union européenne...
C'est dire combien notre modèle de gestion collective du droit d'auteur est vertueux ! Les industries culturelles et créatives représentent 4,2 % du PIB de l'Union européenne et y sont le troisième employeur, derrière le secteur de la construction et celui de la restauration. Employant surtout des jeunes et résistant bien à la crise, elles constituent un atout majeur pour l'Europe. M. Obama a déclaré que l'industrie américaine détenait Internet, l'Asie du Sud-Est est chef de file pour l'électronique grand public... Mais l'Europe est sans doute leader pour les industries culturelles et créatives.
Or ces industries culturelles et créatives ont un écosystème fragile, qui dépend très largement du respect de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur. Nous sommes donc très attentifs à la stratégie européenne en matière numérique dévoilée le 6 mai. Elle nous a déçus : la culture n'y est pas reconnue comme un enjeu majeur. Au lieu d'un grand agenda européen de la culture, l'on n'y trouve qu'un saupoudrage de mesures éparses.
S'agissant du droit d'auteur, nous sommes néanmoins assez satisfaits. Les propositions sont très ciblées, alors que le rapport de Mme Reda laissait craindre une remise à plat du système, que beaucoup semblent souhaiter à Bruxelles et qui aurait été tragique pour nos industries. Nous devons être vigilants, cela dit, car la Commission peut toujours avancer d'autres propositions.
Autre motif de satisfaction : la question des activités des intermédiaires dans les domaines protégés par les droits d'auteur fera l'objet d'une proposition législative à la fin de l'année. C'est exactement ce que le GESAC demandait, car ces opérateurs captent de plus en plus de valeur, effectuent des actes couverts par le droit d'auteur et ont connaissance des contenus qu'ils diffusent. Or ils s'abritent derrière une interprétation du régime d'exemption de responsabilité prévu par la directive de 2000 sur le commerce électronique pour estimer qu'ils ne sont pas responsables du contenu qu'ils véhiculent et s'extraire de toute obligation de rémunération des ayants droit. Nous devons donc modifier la loi, en nous concentrant sur la modification du droit d'auteur. Ces opérateurs assèchent la rémunération des auteurs, font concurrence aux plateformes qui respectent le droit d'auteur et réduisent la diversité culturelle. De plus, ils empêchent les artistes de disposer de la diffusion de leurs oeuvres, puisque ceux-ci ne peuvent plus en interdire l'accès.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Mme Olivia Regnier dirige le bureau bruxellois de la Fédération internationale de l'industrie phonographique (IFPI), qui représente 1 300 acteurs de l'industrie phonographique dans le monde. Ce bureau s'attache à défendre les intérêts de l'industrie du disque dans l'Union européenne en ce qui concerne la protection des droits d'auteur, l'octroi de licences, la réglementation sur internet et le commerce international.
Mme Olivia Regnier, directrice régionale du bureau européen et du Conseil régional européen de la Fédération internationale de l'industrie phonographique (IFPI). - Merci pour votre invitation. Le marché de la musique en Europe est assez stable. Il est numérique à 35 % et physique pour 50 %, 12 % sont constitués par l'exécution publique et par les radios. Par comparaison, il est numérique à plus de 50 % aux États-Unis. Il y a toutefois de forts contrastes entre les pays d'Europe : le marché physique domine encore en France et en Allemagne, où il représente respectivement 57 % et 70 % du total, quand dans les pays scandinaves, le marché numérique constitue 70 % de l'ensemble. Les répertoires national et européen y sont très présents : la musique en Europe est une musique européenne. En 2004, le marché numérique représentait 1 %, pour un million de titres dans six pays. Il atteint en 2014 35 %, pour 43 millions de titres proposés par deux cents services numériques. Il existe donc un vrai marché digital pour la musique.
Mais en dix ans, les revenus de l'industrie ont diminué de 30 %, passant de 16 à 18 milliards d'euros à 11 milliards d'euros environ. C'est la conséquence de la chute du marché physique, de la piraterie numérique, mais aussi d'un problème de monétisation de la musique : les revenus du téléchargement diminuent, ce que le streaming, qui domine le marché, ne compense pas. Jamais la musique n'a été aussi populaire : Spotify a plus de 140 millions d'utilisateurs et YouTube, un milliard, dont environ 70 % pour la musique. Mais les revenus ne suivent pas. En effet, certaines plates-formes offrent du contenu, attirent ainsi des utilisateurs, créent de la valeur mais ne rémunèrent pas les secteurs créatifs. Ainsi, YouTube s'est transformé en une plateforme de distribution de contenu mais se prétend simplement hébergeur. Sur ce fondement, il refuse d'entrer en négociation avec les ayants droit pour obtenir des licences sur la base du droit d'auteur. Ce problème se pose aussi dans d'autres secteurs, par exemple avec GoogleNews ou GoogleImage. Il convient, en conséquence, de clarifier le statut juridique de certaines plates-formes, qui ne sont pas des intermédiaires mais des acteurs pleins et entiers du marché des contenus, tombant donc sous le coup du droit d'auteur.
Nous nous intéressons de près à la stratégie numérique de la Commission européenne, notamment aux parties qui concernent le droit d'auteur et le rôle des intermédiaires. Même si certaines mesures sont encore vagues, nous sommes satisfaits que l'approche du droit d'auteur soit ciblée et parte de la territorialité, qui reste importante dans nos secteurs. Ainsi, dans certains pays au niveau économique plus faible, nous pouvons offrir des services à des prix plus accessibles : la territorialité est au service de la culture. La stratégie digitale de la Commission inclut aussi la question du transfert de valeur, et nous nous en réjouissons. Elle insiste sur la nécessité de protéger les droits : un tiers des utilisateurs d'Internet fréquente des sites illégaux, malgré l'abondance d'offres légales. Nous espérons des mesures plus efficaces de lutte contre la piraterie, tenant notamment compte du rôle des intermédiaires.
La France joue un rôle essentiel dans les discussions européennes : elle est le leader européen de la protection des secteurs culturels. Nous soutenons donc le programme européen du gouvernement français, qui défend la culture mais aussi son économie.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Mme Sabine Ozil-Quintas représente l'Association des éditeurs de journaux et de presse (ENPA), organisation internationale à but non lucratif qui défend les intérêts des éditeurs de journaux et de médias d'information en Europe. L'ENPA comprend 32 associations issues des États membres de l'Union européenne, ainsi que de la Norvège, de la Suisse et de la Serbie. L'ensemble de ses membres représente quelque 5 200 titres de journaux nationaux, régionaux et locaux, publiés à travers l'Europe, soit plus de 150 millions de journaux imprimés vendus et lus par plus de 300 millions d'Européens chaque jour.
Mme Sabine Ozil-Quintas, représentante de l'Association des éditeurs de journaux (ENPA). - Merci pour votre invitation. Je représente le syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), qui siège au conseil d'administration de l'ENPA. Le numérique est un enjeu crucial pour les éditeurs de presse, qui ont beaucoup investi dans leur production éditoriale pour s'adapter à cette évolution. Les audiences témoignent de la réussite de cette migration vers le numérique : en France, 28 millions d'internautes et 14 millions de mobinautes lisent chaque jour un titre de presse. La presse d'information politique et générale, en France, est lue à 32 % sur des smartphones, contre 24 % l'an dernier.
Les éditeurs de presse sont également confrontés à la problématique de monétisation de leur contenu dans un environnement numérique où les citoyens sont habitués à la gratuité. Ainsi, les contenus de presse numérique sont monétisés à un prix deux fois inférieur à leur équivalent papier. De plus, une part croissante de la valeur est captée par les acteurs de la distribution. En France, plus de 90 % du chiffre d'affaires est réalisé par la presse papier : le chiffre d'affaires numérique représente 500 millions d'euros sur un total de 8,5 milliards d'euros. Or, il est nécessaire que les éditeurs puissent investir.
Sur la stratégie européenne du numérique, nous avons quatre priorités : la TVA numérique, le droit d'auteur, les intermédiaires et la protection des données. Il est fondamental pour les éditeurs que les taux de TVA de la presse en ligne soient alignés sur ceux de la presse papier, qu'il soit réduits, super-réduits, comme en France, ou nuls, comme en Allemagne. Sinon, la rentabilité est insuffisante. Le taux de 2,1 % voté en 2014 risque d'être remis en cause. La Commission indique qu'elle va se pencher sur la question du traitement fiscal. Nous espérons que cela éteindra le contentieux potentiel sur le sujet, d'ici à la réforme prévue pour 2016.
Ce projet de réforme présente d'abord un enjeu de principe : le droit d'auteur n'est en aucun cas un frein au marché numérique et doit donc être renforcé, à l'heure où les éditeurs voient leurs contenus réutilisés par des tiers sans rémunération. Le droit d'auteur est un pilier de la préservation de la qualité et du pluralisme de la presse. Autre enjeu : les exceptions, dont nous craignons que l'élargissement ne mette en danger le modèle économique de certains ayants droit, d'autant que la plupart d'entre elles ne donnent pas lieu à rémunération. Nous sommes également attentifs aux règles qui seraient applicables aux intermédiaires en ligne, aux pistes avancées par le GESAC ou l'IFPI, aux réflexions menées à Bruxelles sur la possibilité d'instaurer des droits d'auteur ou des droits voisins. La problématique majeure reste toutefois la captation par des intermédiaires techniques. Notre modèle économique repose sur trois piliers : les ventes, les recettes publicitaires et un mécanisme - à construire - de redistribution de la valeur.
Un accord sur le projet de règlement sur la protection des données à caractère personnel semble possible au Conseil vers la mi-juin. L'exemption pour la presse doit au moins être maintenue, comme le texte actuel de la directive semble le faire, conciliant liberté de la presse et droit à la vie privée. Il faudra articuler cela avec le droit à l'oubli, légitime mais qui fait l'objet de bien des amalgames. Nous avons ainsi alerté les parlementaires sur la différence à faire entre les blogs et les contenus produits par des professionnels.
M. André Gattolin. - Il y a toujours lieu de contester la vision de l'Union européenne - que M. Bizet et moi avons pu apprécier en nous entretenant hier avec M. Madelin, directeur général de la DG Connect - selon laquelle le grand marché du numérique rendrait le développement industriel automatique. Il ne faut pas rêver : cela passera par une action stratégique, dont l'Union européenne n'a pas les moyens budgétaires, et qui suppose donc une harmonisation des actions des États.
Nous disposons d'industries culturelles puissantes, certes, mais pas toujours harmonisées, et qui répondent à des modèles totalement différents, comme en témoigne la quasi-inexistence de droits d'auteur dans le secteur de la presse et des médias : les contenus d'information sont considérés comme des données publiques dès leur publication. Ce n'est que tardivement que la presse a été intégrée à la rémunération pour copie privée, et avec des niveaux minorés, puisque c'est ce qui prend le plus de place dans les disques durs qui obtient la plus grosse part. Défendre la culture est une chose ; défendre l'information en est une autre. Le livre correspond à un modèle particulier, fondé presque exclusivement sur le droit d'auteur, au contraire de l'industrie musicale, qui bénéficie de concerts et de produits dérivés. L'enjeu est de protéger l'industrie culturelle, mais aussi de la faire rayonner, ce qui n'est pas toujours le cas : la fiction télévisuelle française, particulièrement aidée, est ainsi incapable de s'exporter, à l'exception de l'image animée numérique.
Je comprends que des lobbies des industries culturelles - le mot n'est pas péjoratif - n'apprécient guère le rapport Reda. Mais il importe d'harmoniser la durée de protection du droit d'auteur sur des standards internationaux. Il n'est pas normal que des ayants droit continuent à hériter pendant des décennies et des décennies. Nous avons quitté la culture de la rente pour une autre économie ! Je ne suis pas contre la protection, mais nous ne pouvons pas nous battre pour le statu quo. Les auteurs - dont je suis - vivent parce qu'il y a un public, dont nous apprenons beaucoup. Ces échanges nous enrichissent. Désigné rapporteur en urgence sur le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée, j'ai auditionné, fin 2011, des personnes qui ne le sont pas habituellement, telles que les membres de la commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Les abus sont trop fréquents dans ce domaine. La Commission se pose des questions sur les 25 % utilisés discrétionnairement pour la promotion culturelle... Une réforme a été écartée pour ne pas choquer la France, mais il faut s'interroger sur leur utilité à l'heure où ces sociétés disposent de réserves considérables, alors que toute l'économie culturelle est en crise.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Veuillez poser votre question...
M. André Gattolin. - La méthodologie de l'étude d'EY, qui évoque 536 milliards d'euros de revenu et de plus de 7 millions d'emplois, relève, d'après le professeur Patrick Messerlin, de l'exagération, en raison de doubles comptes. Produire des données en défense, soit ! Mais je ne reprends pas ces chiffres à mon compte. Que répond Mme Desbrosses à ces critiques ?
Mme Véronique Desbrosses. - Cette étude a été commandée par le GESAC et ses partenaires européens. Sa méthodologie a été confirmée par l'étude commandée par la Commission à l'observatoire européen.
Nous ne sommes pas favorables à la remise à plat du droit d'auteur que propose le rapport Reda ; la réduction des délais de protection n'est pas favorable à l'économie. Les normes de la Convention de Berne - cinquante ans -sont un minimum ; aux États-Unis comme dans de nombreux pays, la durée de protection est plus longue. L'Union européenne a choisi il y a plus de dix ans d'harmoniser ce délai à 70 ans après la mort de l'auteur. C'est un droit de propriété intellectuelle : sa durée dépasse donc nécessairement la vie de l'auteur. Par ailleurs, il faut une durée de protection longue pour investir. C'est tout un écosystème qui est en jeu.
Je tiens enfin à vous rassurer : une directive a été adoptée l'année dernière sur la gestion collective, qui fixe des standards de transparence pour la gestion des droits, y compris pour la copie privée. L'article 12 autorise les États membres à fixer et donner des indications sur l'utilisation des sommes - fixées par la loi Lang sur la copie privée - destinées à des actions culturelles et sociales.
M. Yvon Thiec. - Les chiffres de cette étude, quand bien même ils ne seraient pas tout à fait exacts, montrent l'importance des industries culturelles en Europe. Nous assistons en effet à l'offensive d'États qui développent une industrie culturelle non seulement domestique, mais aussi à l'exportation, pour renforcer leur balance des paiements. La Corée a créé un tel modèle économique, pour capter le marché asiatique, que l'Inde et la Chine semblent suivre, accompagnant la migration des industries classiques vers des industries créatives et culturelles.
Lors d'un séminaire organisé par la présidence lettone il y a deux mois, les experts appelaient l'Europe à se préparer à une compétition mondiale très forte. Cet enjeu est difficile à gérer, en Europe, en raison de l'asymétrie entre quelques vraies puissances culturelles et les autres pays. La France cumule les industries créatives, comme le luxe, la gastronomie, le tourisme, l'architecture, et les industries culturelles, comme le cinéma, cet immense moyen d'influence dans le monde - une étude montre que c'est l'image de Paris vue dans un film qui donne tellement envie aux étrangers d'y venir. La Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne sont de vraies puissances culturelles ; mais les autres pays sont beaucoup trop petits pour soutenir une ambition élevée. L'enjeu de la culture est considérable pour la France en termes de créations d'emplois, de soft power et d'exportations.
Nous partageons les interrogations sur la responsabilité des intermédiaires : s'ils étaient européens et non américains - prenons par exemple Uber - la puissance publique aurait moins de problèmes : ils auraient accepté plus facilement les règles. Aux États-Unis, « America is for liberty, not for security », dit-on. Les entrepreneurs y créent d'incroyables avantages comparatifs, se souciant comme d'une guigne des principes éthiques et des lois européennes. Il faudrait structurer l'économie au niveau des entreprises et pas seulement autour des facilités accordées au consommateur. Nous arriverons à améliorer la responsabilité des intermédiaires, mais ce ne sera pas suffisant : nous nous heurterons toujours à l'absence de structure industrielle. Il est regrettable qu'il n'y ait rien sur ce sujet dans la communication de la Commission. Les Américains développent les start-ups avec des fonds privés - cela fonctionne, ou pas ; en Europe, c'est souvent la puissance publique qui a investi dans des industries ambitieuses. Il faut traiter cet enjeu de la création de start-ups européennes.
M. Pierre Dutilleul. - Sept des dix plus grands acteurs de l'édition dans le monde sont européens. Le droit d'auteur fonctionne bien et provoque très peu de contentieux : nous ne demandions donc aucune réforme. Nous sommes dans une logique de contrat et non de contrainte. J'ai eu à traiter personnellement les successions Simenon, Frédéric Dard ou Saint-Exupéry ; les arrière-petits-neveux sont parfois compliqués à gérer ! Je comprends que l'on se pose la question de la durée et du fonctionnement du droit d'auteur. En France, les nouveautés représentent globalement 70 %, contre 30 % pour le fonds ; mais pour Gallimard, c'est l'inverse. Des améliorations sont possibles, mais il ne faudrait pas casser un écosystème. Faire de l'exception la règle, comme le préconise le rapport Reda, reviendrait à le faire s'écrouler.
M. Jean-Paul Emorine. - Ayant présidé la commission des affaires économiques, je sais ce que peuvent représenter les intermédiaires dans ce domaine du numérique. J'entends qu'ils sont là pour capter les richesses, sans être indispensables à cette économie. Comment réduire leur place, qui devrait devenir moins importante dans ce monde interconnecté ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - À moins que ce ne soit l'inverse...
Mme Olivia Regnier. - En effet. Il convient cependant de distinguer entre les intermédiaires passifs et neutres et les opérateurs qui se transforment en fournisseurs de contenus, comme YouTube, qui reversent à peine 10 % des revenus de la publicité à l'industrie musicale. Spotify compte 140 millions d'utilisateurs pour 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires ; le chiffre d'affaires de YouTube s'élève à 480 millions d'euros pour 700 millions d'utilisateurs. C'est toute la différence entre un service sur abonnement et un service en accès libre.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - YouTube, c'est Google...
M. Jean Bizet, président. - Je note le rôle essentiel de la France dans l'Union européenne sur ce sujet. La diversité culturelle est exclue du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ; mais nous serons dans une compétition féroce avec les pays émergents pour laquelle nous devrons nous armer. Les travaux de Mme Morin-Desailly, de M. Gorce, de M. Gattolin, de Mme Mélot dégagent des axes majeurs : l'harmonisation de la TVA entre numérique et papier, le droit d'auteur, la différence entre intermédiaires en ligne actifs ou passifs pour éviter la captation de valeur, la propriété des données à caractère personnel et le droit à l'oubli - qui nous rappellent nos débats avec Mme Reding. J'articulerai cela avec le marché unique numérique et la volonté du commissaire aux services financiers Jonathan Hill de réaliser l'union du marché des capitaux. Les start-ups européennes doivent s'adresser aux banques, alors que les règles prudentielles rendent ce fonctionnement moins fluide qu'aux États-Unis. Je ne suis pas un adorateur de tout ce que font les Américains ; mais ce qui fonctionne chez eux, dupliquons-le sans état d'âme !
Mme Samia Ghali. - Nos quelques maisons de disque - dont les deux plus importantes - sont en vrai danger. Or elles représentent de l'emploi. Des intermédiaires que je n'ose qualifier de voyous, constituent une mafia qui s'organise hors du regard des pouvoirs publics : il n'y a rien de pire ! C'est la porte ouverte à tout.
Cela touche nos artistes : les radios sont soumises à des quotas, mais privilégient une dizaine de noms, en ne programmant les autres, notamment les artistes français, qu'à des horaires de moindre écoute. Cela explique que de moins en moins d'artistes français émergent. Nous devons porter un regard plus aiguisé qu'actuellement sur ces questions. Merci aux intervenants, qui nous ont éclairés sur les circuits compliqués de ce monde foisonnant qu'est la culture.
M. Pierre Dutilleul. - Nous ne parlons jamais du commissaire européen à la culture, à l'éducation, à la jeunesse et aux sports, M. Tibor Navracsics, un homme de culture avec qui je travaille souvent. Dans son pays, la Hongrie, l'édition scolaire a été nationalisée, comme dans celui du président du Conseil européen. Contre ce courant dangereux, il faut défendre la liberté d'expression, la liberté de publier, dont le droit d'auteur est le garant. M. Navracsics mériterait d'être davantage présent dans le débat. J'espère que vous le rencontrerez.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Les chiffres sont là ; je les ai cités à dessein en présentant nos invités. Les industries culturelles et la presse, ce sont des oeuvres, des contenus, mais aussi de l'emploi et de la richesse, qu'il faut développer pour ne pas être réduits à de simples consommateurs. Le marché unique numérique ne peut pas être seulement un espace de consommateurs, mais doit aussi servir l'emploi, les entreprises et la diversité culturelle. Vos remarques répondent à nos réflexions depuis trois ans, comme celles de notre mission commune d'information sur la gouvernance mondiale d'Internet, que nous souhaitions démocratiser en s'appuyant sur une ambition industrielle forte. Cela concerne toutes les entreprises, pour lesquelles le rôle des intermédiaires est le même.
Nous avons déposé un projet de résolution européenne à la veille de l'annonce de la stratégie pour le marché unique numérique le 6 mai ; le 4 juin, la commission des affaires européennes donnera un avis avec une attention particulière, puisque son président en est indirectement l'auteur. Il reprend vos préoccupations : revoir la répartition de la valeur dans l'écosystème numérique, se préoccuper de fiscalité et d'interopérabilité, questionner la notion d'hébergeur, aligner le taux de la TVA du numérique sur celui du papier, adapter le droit d'auteur au numérique au lieu de multiplier les exceptions au point de transformer la directive en un véritable gruyère. Apporter notre pierre à l'édifice demande de l'ambition. La stratégie donne à voir de bonnes intentions qui doivent se concrétiser : il a fallu cinq ans à la Commission pour reconnaître l'abus de position dominante de Google. Il est plus que temps de passer à l'action ! Vos déclarations rejoignent les préoccupations exprimées lors du débat organisé dans le cadre du festival de Cannes. Je vous remercie.
M. Jean Bizet, président. - Notre proposition de résolution, une fois votée, deviendra la résolution du Sénat, invitant le Gouvernement à prendre en considération sa position ; s'il ne le faisait pas, cela lui serait reproché. C'est dans la logique du traité de Lisbonne de donner ainsi la parole, pour obtenir l'écoute des parlements nationaux et contribuer à une meilleure image de la construction européenne, dans une conjoncture qui lui est plutôt défavorable. Merci à tous !
La réunion est levée à 10 h 45.