Mercredi 1er juillet 2015
- Présidence de Mme Françoise Laborde, présidente -La réunion est ouverte à 14 heures.
Examen du rapport
Mme Françoise Laborde, présidente. - Au fil de ces cinq mois de travail, certains ont ironisé sur ma forte implication, presque de co-rapporteure, mais comment ne pas être passionnée par ce sujet ? Je pense avoir tenu mon rôle de présidente et de modératrice lors des auditions, mais aussi avoir mis en avant le premier degré alors que le rapporteur et la plupart de nos collègues se focalisaient davantage sur le second degré.
L'initiative de cette commission d'enquête avait été contestée. Cependant, une fois l'incompréhension et l'émotion passées, elle s'est révélée riche de rencontres et d'échanges.
Jacques Grosperrin nous présentera son rapport fondé sur les orientations qu'il nous a présentées le 11 juin. Conformément à la réglementation en vigueur, vous avez pu consulter son projet depuis le 25 juin et plusieurs d'entre nous ont fait des propositions de rédaction dont nous allons débattre.
Merci à tous ceux qui nous ont accompagnés et qui se sont beaucoup investis. Nous avons procédé à 44 auditions plénières, dont trois sous forme de tables rondes, d'une durée totale de 45 heures 30, avec soixante personnalités de tous horizons : enseignants, conseillers principaux d'éducation (CPE), référents laïcité, philosophes, spécialistes des sciences de l'éducation, hauts fonctionnaires, responsables syndicaux ou politiques, journalistes, inspecteurs généraux, d'académie et de l'éducation nationale, chefs d'établissement...
Le rapporteur, souvent accompagné de plusieurs membres de la commission, a organisé neuf auditions-rapporteur où il a entendu 27 personnes durant 9 heures 30, sans compter de nombreux entretiens complémentaires.
Nous avons effectué neuf déplacements sur le terrain dont un à l'étranger, cinq en région et trois à Paris et en Ile-de-France, soit onze jours au total. Je remercie à nouveau les membres de la commission qui ont facilité l'organisation de ces visites dans leur département. Nous nous sommes rendus dans de multiples établissements d'enseignement de toutes catégories, dans des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) et à l'École supérieure de l'éducation nationale (ESEN) de Poitiers.
Nous avons rencontré des recteurs, des enseignants de tous niveaux, des parents d'élèves, des CPE, des élèves et des étudiants, soit plus de 170 personnes, ainsi que des équipes éducatives. Nous avons réussi à lever les préventions de ceux qui, au départ, s'interrogeaient sur la pertinence de notre démarche. Je leur ai dit et redit : « nous ne venons pas enquêter sur vous ni sur l'école, mais sur vos difficultés, pour vous aider à les résoudre ». Ce message est passé : les seuls à ne pas avoir compris le sens de cette commission d'enquête - ou plutôt, à ne pas vouloir comprendre - sont ceux qui, dès le départ, ont préféré la politique de la chaise vide, comme les représentants d'organisations syndicales ou de parents d'élèves du lycée Paul-Éluard de Saint-Denis.
En dehors des auditions, les travaux des commissions d'enquête restent secrets tant que leur rapport n'a pas été publié. Il nous est interdit de communiquer sur la réunion d'aujourd'hui et sur le projet de Jacques Grosperrin. Cet après-midi, nous travaillons à huis clos, le compte-rendu de la réunion ne sera pas publié, hormis, si nous le décidons, en annexe du rapport de Jacques Grosperrin s'il est adopté.
Dans ce cas, le rapport sera déposé en fin d'après-midi, ce qui marquera officiellement la fin de notre commission. Ce dépôt sera annoncé en séance publique et publié au Journal officiel dès demain. Durant six jours nets, le Sénat peut se constituer en comité secret et, le cas échéant, décider de ne pas publier le rapport ou de n'en publier qu'une partie. En cas d'autorisation de publication, le rapport sera mis en ligne sur le site internet du Sénat mercredi 8 juillet, avant impression et distribution. Nous pourrons alors librement communiquer sur tout ce qui y figurera. Les parties non publiées resteront secrètes - en particulier l'audition à huis clos de Vincent Peillon.
Je vous inviterai à décider si, dans le rapport, doivent figurer le compte rendu de la réunion d'aujourd'hui, celui de celle du 11 juin ainsi que celui des différents déplacements effectués.
Jacques Grosperrin et moi-même envisageons de présenter le rapport devant la commission de la culture le mercredi 8 juillet.
En revanche, si le rapport n'est pas adopté, il n'y aura aucune publication - hormis celle des comptes rendus déjà publiés sur le site du Sénat et dans les Compte rendus des commissions.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Merci pour ce travail durant ces longs mois. Vous avez pu prendre connaissance de ce rapport dès le 25 juin, et un exemplaire papier nominatif vient de vous être confié pour la durée de cette réunion. J'ai pris en compte plusieurs observations formulées le 11 juin, notamment pour préciser le concept de « valeurs de la République » qui, comme l'avait souligné Gérard Longuet, nécessite une explication de texte.
J'ai reformulé certaines des vingt propositions principales du rapport pour leur donner un contenu plus opérationnel. J'ai été sensible à la recommandation de notre présidente de faire des propositions pratiques et applicables.
Deux préoccupations m'ont guidé tout au long de ce travail : sortir du déni de problèmes connus depuis longtemps, mais auxquels les pouvoirs publics n'ont pas vraiment réagi ; libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l'éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.
Nous avons réalisé un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan. Plusieurs d'entre nous avaient rejeté par principe la formule d'une commission d'enquête, mais nous avons tous avancé pour parvenir à trois constats issus de nos auditions et de nos déplacements.
D'abord, les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur. De nombreux incidents sont survenus dans des écoles lors de la minute de silence, sans que les services de l'éducation nationale puissent en quantifier le nombre. Le ministère a évoqué environ deux cents incidents, nous en comptabilisons plus du double - un chiffre fortement sous-évalué puisque nombre d'incidents ne sont pas signalés. Lors de son audition le 2 juin, la ministre a évoqué 816 signalements de radicalisation, à ne pas confondre avec les incidents précédents. Cette querelle de chiffres révèle la faiblesse de l'appareil statistique du ministère, alors que cette question devrait faire l'objet d'une attention renforcée, comme nous le proposons dans le rapport.
La minute de silence, partant d'une bonne intention, souffrait surtout d'une totale impréparation et était inappropriée. Comme l'a dit l'un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas : pour reprendre l'expression de Mme Laborde, la minute de silence aurait dû être précédée d'une heure de parole. Si les incidents de janvier n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, ils ont révélé un état d'esprit, et même un malaise profond que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.
Deuxième constat, le sentiment d'appartenance à des valeurs - mal connues voire rejetées - se délite. Quelles valeurs, m'avez-vous demandé le 11 juin ? Les valeurs républicaines, ou, plutôt, les valeurs de l'école républicaine, sur lesquelles devraient s'accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l'égalité de tous sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l'émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l'enseignant. Ces valeurs, dont la liste n'est pas figée, se déclinent à tous les instants de la vie scolaire.
C'est par la laïcité, première de ces valeurs, que l'école assure le vivre-ensemble sans distinction d'origine ou de confession religieuse et la neutralité des enseignements.
Certains jeunes peinent à se reconnaître comme membres à part entière de la communauté nationale, au profit d'autres repères identitaires comme le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse, la nationalité des parents... Or ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leur croyances, ce qui place les élèves en porte-à-faux. Ces valeurs particulières ne doivent pas l'emporter sur celles de la République, seules à même de garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.
Pourquoi une méconnaissance voire un rejet des valeurs de la République ? D'avis presque unanime, le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer. Les enseignants, qui sont les premiers à le déplorer, ont besoin d'être soutenus dans cette mission essentielle. Cependant, gardons bien à l'esprit que l'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout.
La marginalisation économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. La parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, bruit numérique ambiant, travail de sape des théories du complot... Si le temps des fameux hussards noirs de la République est derrière nous, leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime.
Pour contrer les dérives et restaurer la transmission du sentiment d'appartenance, l'école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes, première priorité afin qu'à leur tour, ils puissent à nouveau transmettre des valeurs qui soient perçues non pas comme des contraintes imposées mais comme des facteurs d'émancipation et de libre-arbitre.
Enfin, la perte des repères résulte de plusieurs fragilités structurelles auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. La plus grave tient au manque de maîtrise du socle de connaissances et de compétences requises à leur niveau par un pourcentage considérable d'élèves, en particulier en français. De très nombreux enseignants nous l'ont signalé, et il apparaît clairement dans les grandes enquêtes internationales. Je suggère d'agir à la fois auprès des élèves et des enseignants. Trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser les français. Comment leur transmettre ces valeurs, dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? Je propose d'investir massivement dans l'apprentissage du français dès la maternelle ; une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition pour accéder en sixième. Quant aux enseignants, leur formation doit être revue, car ils ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs. La formation initiale est inappropriée et la formation continue, en totale déshérence.
L'école républicaine doit pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Il s'agit, sans imposer une sorte de catéchisme laïc, de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Enfin, il est indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort : l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont à 100 % partie prenante de ce processus.
Je ne propose pas de réforme institutionnelle majeure ; je ne suggère pas de revenir sur la loi d'orientation du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école de la République, mais de mieux appliquer cette loi afin qu'elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République, d'où le titre de mon rapport, Faire revenir la République à l'école.
Le Parlement n'est pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui déterminent la formation des citoyens de demain. Certes, nous votons des lois comme celle de juillet 2013, et débattons sur les crédits de l'enseignement... Est-ce suffisant ? Sur un thème aussi fondamental, les représentants de la Nation devraient débattre plus régulièrement et dans un cadre mieux adapté ; ce sera l'une de mes principales propositions.
Mon rapport est organisé en quatre axes prioritaires : favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l'autorité des enseignants et mettre en place une vraie formation à la transmission des valeurs ; mettre l'accent sur la maîtrise du français et veiller à une meilleure concentration des élèves ; mieux responsabiliser tous les acteurs. La liste des propositions figure au début du rapport. D'autres mesures d'accompagnement sont proposées, comme encourager, si possible, l'accueil des enfants de moins de trois ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.
Merci à tous ceux qui m'ont soutenu dans ce difficile parcours, dont je retire au moins deux certitudes : même faute d'accord sur les solutions, notre constat général objectif ne peut qu'être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ; notre travail était attendu, et il ne restera pas vain. La défense de l'école républicaine et la promotion des valeurs de la République sont un combat de tous les instants, auquel j'ai été fier de participer à vos côtés.
Mme Françoise Laborde, présidente. - Sept propositions de rédaction dont trois de votre présidente ont été soumises dans le délai imparti.
La proposition n° 1 de M. Legendre précise dans le premier axe prioritaire que doivent être interdits à l'école le port de signes ou de tenues ostensibles d'appartenance non seulement religieuse mais aussi « politique ». Je suggèrerais d'y ajouter également le terme « philosophique ».
M. Jacques Legendre. - Ma proposition s'explique par son texte même.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je vous demande de la retirer. Il ne faudrait pas sortir du sens précis de ce rapport. Le barbare qui a tué la semaine dernière en Isère était originaire de Besançon et a été formé par un de mes étudiants. Loin de déboucher sur un « rapport tondeuse à gazon » - vous vous coupez un doigt, il faut une loi... -, notre travail est important et attendu. La loi de 2004 porte uniquement sur les signes religieux, restons sur cette notion.
M. Jacques Legendre. - En effet.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Durant ma carrière, j'ai assisté à des réflexions politiques déplacées et exagérées. Nous ne sommes pas à l'abri de partis politiques totalitaires. Le mot « politique » a de la valeur, je soutiens son insertion.
Mme Catherine Troendlé. - Comme Mme Duchêne, je souhaiterais rajouter les termes « politique et philosophique ». Certains partis politiques extrêmes émergent ou se développent. Rien n'empêcherait un enfant de venir à l'école vêtu d'un T-shirt vantant tel ou tel parti totalitaire. N'est-ce pas un signe ostentatoire ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Je suis entre deux hommes compétents et expérimentés qui murmurent que c'est déjà interdit... Ne faudrait-il pas mettre appartenance au pluriel ?
Mme Catherine Troendlé. - C'est mieux de redire que c'est interdit...
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je souhaitais donner un signal fort, mais je vous propose de mentionner « appartenance religieuse, politique ou philosophique ».
Mme Françoise Laborde, présidente. - C'est seulement repris de la circulaire Chatel...
M. Patrick Abate. - Commencer par le terme de « sacralisation » de l'école - ce qui évoque le religieux - me gêne. C'est symptomatique de la difficulté de l'exercice...
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous avions pensé à « sanctuariser ».
Mme Françoise Laborde, présidente. - Je n'ai pas trouvé de meilleur synonyme.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous pourrions utiliser des guillemets ? Laissons plutôt comme cela.
La proposition de rédaction n° 1 rectifiée est adoptée.
Mme Françoise Laborde, présidente. - La proposition n° 2 de M. Legendre remplace « recentrage des programmes d'histoire autour du récit national » par « priorité à la connaissance de l'histoire de France et de sa chronologie ». Je préférerais, comme indiqué dans la proposition n° 5, « mettre la Nation au coeur des programmes d'histoire en primaire et au collège ».
M. Jacques Legendre. - L'historien que je suis n'aime pas beaucoup le terme de récit national, parce que l'histoire est une science humaine, pas un récit. Je préfère le terme d'histoire de France, compréhensible par tous, et j'insisterais sur la chronologie, beaucoup de jeunes mélangeant allègrement des événements qui se sont déroulés à des époques différentes.
Mme Françoise Laborde, présidente. - J'avais mentionné le terme de Nation car de nombreuses personnes auditionnées l'utilisaient, mais je donnerais volontiers la priorité à la proposition de M. Legendre.
M. Patrick Abate. - Je partage l'avis de M. Legendre : l'histoire est une science.
Mme Marie-Annick Duchêne. - La chronologie fait partie des repères mentionnés dans le rapport, j'y tiens également.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - J'entends les remarques des spécialistes de l'éduction ou des historiens. L'idée est de donner un signal. En sus de récit national, nous avions aussi entendu le terme de roman national... Trouvons un intermédiaire. « Récit national » a été évoqué par tous les philosophes que nous avons entendus. L'expression doit être conservée. La priorité donnée à l'histoire de France et à la chronologie est évoquée dans le contenu du rapport. Je laisserais tel quel « recentrage dans l'histoire de France autour du récit national ».
Mme Françoise Laborde, présidente. - La chronologie est importante.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous pourrions prôner un « recentrage des programmes sur l'histoire de France et sa chronologie autour du récit national » ?
Mme Marie-Annick Duchêne. - Il s'agit bien d'un recentrage des programmes d'histoire ?
M. Guy-Dominique Kennel. - Je propose « recentrage des programmes d'histoire autour du récit national en priorisant sur la chronologie » ou « recentrage des programmes d'histoire sur l'histoire de France et sa chronologie autour du récit national ».
M. Claude Kern. - Cela me convient.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Gardons « recentrage du programme de l'histoire de France et de sa chronologie autour du récit national ».
La proposition de rédaction n° 2 rectifiée, est adoptée.
La proposition de rédaction n° 5 devient sans objet.
Mme Françoise Laborde, présidente. - La proposition de modification n° 3 de M. Legendre supprime le « rappel en début de semaine par le chef d'établissement ou l'enseignant des valeurs citoyennes autour de sujets d'actualité ».
M. Jacques Legendre. - On demande déjà beaucoup aux chefs d'établissement. Ce n'est pas un problème de fond : nous rentrons trop dans les détails et je m'interroge sur le caractère pratique de la proposition.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Certains chefs d'établissement le font chaque jour.
Mme Catherine Troendlé. - Les recteurs pourraient-ils définir ces sujets d'actualité ou ces messages pour une plus grande cohérence dans les écoles ?
Mme Françoise Laborde, présidente. - Ce rappel en début de semaine m'a fait penser, comme je l'ai écrit dans ma contribution, à l'enseignement civique et moral qui sera dispensé chaque semaine. Selon l'âge des enfants et leur classe, il pourrait être davantage lié à la vie de la classe, au quartier, avant d'évoquer la commune, le pays... Je suis plutôt favorable au maintien de ce dispositif.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous nous sommes rendus dans une école où était dispensé l'exercice du « quoi de neuf ? ». Dans une école de Montfermeil, un cérémonial réunit chaque matin le chef d'établissement qui évoque devant les élèves un fait d'actualité de la veille. Je propose plutôt que cet exercice soit hebdomadaire.
M. Jacques Legendre. - Je retire ma proposition de rédaction.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Merci de votre sagesse.
La proposition de rédaction n° 3 est retirée.
Mme Françoise Laborde, présidente. - A la fin de l'axe 2, ma proposition de rédaction n° 7 complète le code de bonne conduite avec la « création dans chaque département d'un établissement spécialisé d'accueil pour les élèves les plus perturbateurs. » Il me semble plus judicieux d'inclure cette disposition dans le deuxième axe qui traite de l'autorité plutôt que dans le troisième dont la dominante est d'améliorer la maîtrise du français.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - J'approuve cette proposition.
La proposition de rédaction n° 7 est adoptée.
Mme Françoise Laborde, présidente. - La 1re proposition du rapporteur pour l'axe 3 porte sur l'évaluation de la maîtrise du français au CM2 et sur l'apprentissage du français, axe central des programmes du primaire. Dans ma proposition n° 8, je suggère d'y ajouter un effort sur l'apprentissage du français en maternelle, dès deux ans, surtout dans les quartiers difficiles.
Mme Françoise Férat. - Cela figure déjà dans la loi.
M. Claude Kern. - Tout à fait.
M. Michel Savin. - C'est déjà ce qui existe...
Mme Françoise Cartron. - ...depuis la loi sur la refondation de l'école.
M. Claude Kern. - Il est utile de le rappeler.
M. Michel Savin. - Est-il nécessaire de tout rappeler ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Soyons plus efficaces, et arrêtons-nous au primaire, la suite a déjà été mentionnée dans le corps du rapport.
Mme Françoise Laborde, présidente. - J'en conviens. Cela me tient pourtant à coeur...
La proposition de rédaction n° 8 est retirée.
M. Patrick Abate. - Une évaluation de la maîtrise du français en CM2 conditionnant l'accès en sixième aurait pour conséquence un redoublement qui n'atténuerait pas les difficultés. Vous rétablissez le certificat de fin d'études ; si vous ne l'obteniez pas, vous étiez envoyé en apprentissage. Cette proposition d'un autre siècle ne peut être appliquée ni concrètement, ni efficacement.
Mme Catherine Troendlé. - Je ne souhaitais pas déposer de proposition de rédaction, mais l'évaluation doit intervenir à la sortie du CP ou du CE1, pour bien accompagner les élèves. En sixième, c'est trop tard.
Mme Françoise Cartron. - Regardez l'organisation de la scolarité issue de la loi de refondation de l'école : avant le cycle cinquième-quatrième-troisième, il y a un cycle CM2-sixième qui n'est pas compatible avec ce couperet à la fin du CM2.
M. Michel Savin. - Je suis favorable à une évaluation avant le CM2, par exemple en CE2-CM1. Un accompagnement personnalisé permet de travailler en amont.
Mme Catherine Troendlé. - Lorsque Luc Ferry était ministre, il a pendant un an organisé après le CP ou le CE1 une évaluation, à la suite de laquelle les classes étaient divisées en petits groupes de manière à accompagner davantage les enfants les plus en difficulté.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Ici il s'agit de donner un signal fort : les élèves qui ne maîtrisent pas le français ne comprennent pas les cours...
Mme Catherine Troendlé. - Conditionner l'accès en sixième à la réussite de cette évaluation a une valeur de sanction, alors que l'évaluation doit être positive et donner la possibilité de suivre un accompagnement personnalisé.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous pourrions utiliser le terme de « déterminant » au lieu de « conditionnant » ?
M. Jacques Legendre. - Nous sommes dans un processus glissant : chaque année on doit s'assurer que les élèves ont acquis un niveau souhaitable, sinon un rattrapage est nécessaire. Il faudrait évaluer la maîtrise du français tout au long du primaire.
Mme Catherine Troendlé. - Il faudrait un accompagnement spécifique.
Mme Françoise Cartron. - Vous développez deux visions différentes, l'une fondée sur les sanctions, l'autre sur le rattrapage.
M. Patrick Abate. - Effectivement ce n'est pas une question de degré, plus souple ou moins souple, mais deux visions différentes.
M. Michel Savin. - Ces visions ne sont pas incompatibles. Vous pouvez repérer des élèves en difficulté dès le CP ou le CE1 et les faire travailler par groupes, tout en gardant la condition pour le passage en sixième, de manière à éviter l'accumulation de difficultés ensuite.
M. Claude Kern. - La condition est trop dure, une évaluation de la maîtrise du français en CE2 permettrait de classer les élèves par niveaux et de travailler en petits groupes.
M. Jean-Claude Carle. - La maîtrise du français est le coeur du problème : moins on dispose de mots, plus on est violent. A cinq ans, un enfant de cadre supérieur a entendu trente millions de fois plus de mots qu'un enfant de milieu défavorisé. Attendre le CM2 est trop tardif, il faut intervenir en dernière année de maternelle, en CP ou en CE1. Sinon les mêmes enfants avec les mêmes problèmes passeront en classe supérieure alors qu'il leur faudrait une pédagogie adaptée.
Mme Marie-Christine Blandin. - Je suis d'accord avec mon collègue, nous ne souhaitons pas une sanction terminale trop tardive et qui nous poserait ensuite la question du chanteur Gilles Servat, « qu'est-ce qu'on va en faire ? ». Il faut y remédier. Toutefois, nous débattons d'une proposition de rédaction n° 8 de Mme Laborde, qui a été retirée. Nous devons respecter les règles de procédure, notamment le délai de dépôt des propositions de rédaction. Si vous n'étiez pas d'accord sur le début de la proposition du rapporteur en ce qui concernait l'évaluation de la maîtrise du français en CM2, vous auriez dû déposer des propositions de rédaction !
M. Éric Jeansannetas. - L'on procède déjà à une évaluation des compétences de base au début du CE2 et de la sixième, afin de développer des pédagogies différenciées, consacrant plus de temps à ceux qui ont plus de difficultés. Ne réinventons pas des choses qui existent déjà.
M. Jean-Claude Carle. - Évaluer la maîtrise du français en CM2, c'est trop tard ! Il faudrait le faire tout au long du cycle.
Mme Françoise Laborde, présidente. - Madame Blandin, je vous en donne acte, seul le rapporteur peut encore modifier son texte.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je peux reprendre à mon compte cette proposition intéressante : « évaluer la maîtrise du français tout au long de l'enseignement élémentaire, notamment en CM2, conditionnant l'accès en sixième, » - la suite de la proposition restant inchangée : « l'apprentissage de la langue française devenant l'axe central des programmes du primaire ».
Mme Catherine Troendlé. - Cela contient une sanction, mais avec un accompagnement. En CM2, le redoublement peut se justifier. Les constats non suivis d'effets ne servent à rien !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cela apparaît bien dans le corps du texte.
Mme Françoise Cartron. - Cela justifie-t-il une sanction ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cessez de présenter le redoublement comme une sanction. J'ai redoublé mon année de CAPES et j'ai été reçu du premier coup à l'agrégation !
La proposition de nouvelle rédaction du rapporteur est adoptée.
Mme Françoise Laborde, présidente. - La proposition de rédaction n° 4 supprime le système des ELCO, c'est-à-dire les enseignements des langues et cultures d'origine et intègre ces langues dans le programme d'apprentissage des langues étrangères.
M. Jacques Legendre. - Dissipons toute ambiguïté : nous ne sommes pas contre les langues et cultures d'origine ; reste qu'il présente quelques dangers que des enseignants soient fournis par des pays étrangers sans contrôle de l'éducation nationale.
M. Patrick Abate. - Il est indiscutable que ces apprentissages peuvent être la cause d'un repli identitaire, mais cela relève-t-il de notre compétence de les supprimer ? Si le comprends le souci du rapporteur, les signes forts qu'il veut lancer risquent fort d'être contre-productifs. Il serait plus efficace de proposer une évaluation avec les enseignants et les parents d'élèves.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cet amendement va dans le bon sens : tous les enseignants que nous avons entendus nous ont demandé cette suppression.
La proposition de rédaction n° 4 est adoptée.
Mme Françoise Laborde, présidente. - Nous pouvons aborder maintenant le débat général sur le rapport.
Mme Marie-Christine Blandin. - Sur la méthode : j'ai noté le secret de nos travaux, même si toutes les auditions sont sur internet. C'est dommage, car nous assumons ce que nous disons. Il est d'usage que le rapporteur conserve le monopole de la communication sur son rapport ; mais en nous interdisant de publier nos contributions, vous franchissez la limite de la Constitution.
Mme Françoise Laborde, présidente. - Mais non ! Je ne vous ai pas dit ça ! Le secret ne s'applique qu'en cas de non-publication du rapport. Si le rapport est adopté votre contribution y figurera et, dans le cas contraire, vous pourrez la porter sur la place publique.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Vous le pourrez dès la semaine prochaine.
Mme Marie-Christine Blandin. - Reste qu'il n'a pas été facile de respecter les règles contraignantes de consultation du projet de rapport. Le Sénat pourrait passer au XXIe siècle en fournissant des outils numériques non branchés sur l'extérieur, de manière à faire une recherche par mots clés, tels que « autorité » ou « islam », plutôt que de nous contraindre à parcourir sur papier des pages innombrables comme des moines du Moyen Âge.
Mme Françoise Laborde, présidente. - Je reconnais que cette formule n'est pas pratique, j'ai dû moi-même m'y soumettre. Nous pourrons saisir le Président du Sénat d'une lettre en ce sens.
Mme Marie-Christine Blandin. - Sur le fond, ce travail était parti d'une inspiration polémique. Bien qu'il ait évolué, le but énoncé n'a pas été atteint. Vous ne disposez pas des chiffres, et vous reconnaissez que ce n'est pas le plus important ; vos propositions - pour les rares qui soient bonnes - ne sont pas nouvelles ou nécessitent des moyens, telle la formation continue - j'espère que nous pouvons désormais compter sur votre soutien pour l'augmentation des moyens qui y sont consacrés. Les autres ne sont pas acceptables politiquement - loi Ciotti, barrage en fin de CM 2, autonomie de recrutement des équipes pédagogiques, établissements pour perturbateurs - et, surtout, elles manquent de cohérence.
Lors des nombreuses auditions, nous avons entendu à côté de choses intéressantes, des échanges dignes du café du commerce, à la limite de la xénophobie, qui, publiés, auraient été passibles des tribunaux - heureusement, le rapporteur ne les a pas pris à son compte. Sa démarche a évolué : diversification de l'esprit des auditionnés, posture moins soupçonneuse.
Le rapport, quoique beaucoup plus digne et divers que ce qu'on aurait pu craindre, juxtapose des orientations divergentes. Comment, par exemple, avoir entendu tant d'orateurs et de membres de la majorité fustiger les « pédagogistes »... et lire ce juste constat à propos des concours : « en privilégiant les savoirs disciplinaires plutôt que la vraie attitude au métier d'enseignant, le format actuel des concours est devenu davantage une évaluation des connaissances des candidats, qu'une procédure de recrutement fondée sur leurs capacités pédagogiques » ? J'aurais pu signer cela...
Vous soufflez le chaud et le froid. Des paragraphes presque acceptables s'enchaînent avec des propositions qui n'ont rien à voir avec eux. Ainsi, après avoir cité le « quoi de neuf » de la pédagogie Freinet, par excellence un moment de prise en compte du vécu des petits pour créer un temps d'échange, vient la scabreuse proposition du sermon du chef d'établissement autour de sujets d'actualité - le flux frénétique que vomissent les médias n'est d'ailleurs pas un support idéal.
Votre paragraphe sur la vie scolaire comme terrain d'apprentissage encourage l'engagement dans les instances de l'établissement ou dans les projets citoyens et introduit bizarrement votre proposition sur les drapeaux et devises, qui figure déjà dans la loi. Une proviseure qui avait votre oreille, vous a parlé des élèves mais aussi des enseignants ou des étudiants qui n'aiment pas les valeurs de la République. Et vous proposez le recrutement par les chefs d'établissement sans contrôle de la République ? C'est risqué dans un tel contexte ! Vous voulez renforcer la laïcité mais vous ne vous interrogez pas sur le Concordat. Vous supprimez les ELCO au lieu de préconiser une vigilance sur leurs enseignants.
Enfin, ratant son but requalifié, la commission préfère mettre en scène des propositions d'une partie de votre groupe politique plutôt que de rechercher des moyens d'aider les enseignants à créer l'adhésion républicaine. Elle ne recense pas tout ce qui marche ni comment le favoriser. Elle ne donne pas les chiffres de la formation continue. Alors que la barbarie nous frappe régulièrement, elle ne dit rien de l'éducation à l'altérité, à la non-violence, ou des efforts efficaces pour une école plus inclusive. Or ce n'est pas en excluant que l'on rendra les jeunes pousses résistantes et hostiles aux sirènes obscurantistes et sanguinaires.
M. Jean-Claude Carle. - Félicitons d'abord Mme la présidente, qui s'est beaucoup impliquée et a su arbitrer lorsqu'il le fallait, ainsi que notre rapporteur, dont je partage les propositions. Le quatrième axe prioritaire de la responsabilisation des acteurs me semble très important : nous ne pouvons pas tout demander à l'éducation nationale ; les familles, les collectivités territoriales, les organisations socio-professionnelles et le gouvernement ont leur responsabilité, comme les parlementaires.
Je me réjouis de voir que vous reprenez l'idée de tenir un débat d'orientation sur l'éducation avant le cadrage budgétaire, que j'ai demandé en vain à la ministre. Il faut avoir une vision globale de la question : l'enseignement scolaire représente 63 milliards par an pour l'État, sans compter les contributions des collectivités et des familles, la politique de la ville 40 milliards et la politique familiale des dizaines de milliards d'euros. La rue concurrence avec succès l'école. L'enjeu est d'inverser la situation. Je forme le voeu que vous puissiez assurer le service après-vente de votre rapport, pour qu'il ne devienne pas à un volume de plus prenant la poussière sur les rayons de la Bibliothèque du Sénat...
M. Jacques-Bernard Magner. - Que l'on soit d'accord ou non sur le rapport, il convient de féliciter la présidente et le rapporteur pour leur travail. Le groupe socialiste s'était opposé à la création de cette commission d'enquête à chaud après les événements de janvier. L'institution scolaire était soupçonnée de cacher des informations au moment où notre pays avait au contraire besoin de cohésion. Mal ressenti parmi les enseignants, ce procédé stigmatisant a introduit un rapport de méfiance et un sentiment d'instrumentalisation. C'est ainsi la première fois que des personnes refusent d'être auditionnées. Les moyens d'une telle commission étaient disproportionnés : madame la Présidente, vous avez dès le départ indiqué que vous n'en utiliseriez pas les prérogatives. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons refusé de prendre des responsabilités dans le bureau de cette commission.
Nous, socialistes, pensons que la légitime émotion soulevée par les attentats de janvier méritait mieux que cette tentative d'instrumentalisation de ces faits graves que sont le refus ou la contestation de la minute de silence. Des mesures fortes ont été prises dès le lendemain pour les signaler et sanctionner l'apologie du terrorisme, du racisme, de l'antisémitisme et de la haine de l'autre. Toute la société est en proie à la confusion sur les valeurs de la République ; c'est à tous les niveaux que nous devons apporter des réponses.
Que la droite balaie devant sa porte ! Qui a enterré le rapport Obin sur les signes religieux à l'école en 2004 ? Monsieur Fillon ! C'est la droite qui a pratiqué la mise sous le boisseau d'informations dérangeantes : une des premières mesures de Vincent Peillon en 2012 a justement été de rétablir la transparence en publiant tous les rapports. Qu'a pointé en premier M. Obin lors de son audition ? L'aggravation de la ghettoïsation dans les quartiers depuis dix ans et le manque de formation des professeurs, jugée naguère superflue par la droite ; l'urgence a été de la reconstruire à travers la loi de refondation de l'école. Ceux qui veulent maintenant réviser les maquettes de formation des ÉSPÉ sont ceux-là mêmes qui avaient supprimé 80 000 postes. En recréant, en rétablissant une vraie formation professionnelle pour les enseignants, avec la charte de la laïcité, en confiant la réforme des programmes à un conseil supérieur, nous avons montré la voie vers une école exigeante mais bienveillante.
Vous proposez de votre côté le retour à de vieilles recettes inadaptées, autour du triptyque répression, sanction, coercition. La panoplie est complète : vouvoiement, uniforme, rituel matinal, et surtout loi Ciotti avec la suppression des allocations familiales, cette prétendue arme de dissuasion contre l'absentéisme, alors que ce dispositif a démontré son inefficacité.
Mme Françoise Férat. - Il n'a pas eu le temps !
M. Jacques-Bernard Magner. - En quatre ans ? Même chose pour l'établissement spécial pour les perturbateurs, ajoutant la stigmatisation à la ghettoïsation : comment les appellerez-vous ? Quels enseignants y mettrez-vous ? Y mettrez-vous des barbelés ?
Ce rapport est en contradiction totale avec la politique menée par la droite : il défend l'école dès trois ans, alors que la droite s'est opposée à la scolarité obligatoire à cet âge et a réduit la préscolarisation en maternelle ; il défend un enseignement moral et civique transversal, c'est-à-dire interdisciplinaire - mais qui dénonce depuis des mois l'interdisciplinarité de la réforme du collège ?
Nous sommes tous d'accord pour constater le creusement des inégalités sociales et scolaires ; mais vous vous abstenez de toute proposition. Or, nous devons poursuivre l'objectif de la mixité sociale, pour lequel nous avons adopté un amendement à la loi de refondation de l'école afin de partager les secteurs de recrutement entre plusieurs collèges publics ; l'éducation prioritaire a été refondée. Vous remettez en cause ces avancées.
Nous condamnons l'instrumentalisation de cette commission d'enquête, qui vise à présenter le programme éducatif de l'UMP - ou plutôt des Républicains - pour 2017 : notation et recrutement des professeurs par les chefs d'établissement, sanction financière pour absentéisme scolaire, quarantaine des élèves perturbateurs, prestation de serment des enseignants, référence à la prétendue exemplarité de l'enseignement privé.
Laissons le temps au plan d'action du gouvernement de se déployer : le Sénat s'honorerait d'en dresser un bilan objectif le moment venu.
M. Patrick Abate. - Un point de forme : vous nous allouez 6 000 signes pour faire part de nos sentiments sur ce texte, c'est un peu court, comme est courte la petite semaine que nous avions à disposition pour prendre connaissance de votre projet de rapport ; les outils pourraient effectivement être améliorés. La présidente et le rapporteur ont fait preuve d'une implication incontestable ; nous ne pouvons cependant pas accepter la philosophie qui sous-tend le rapport et qui s'exprime avec brutalité dans les préconisations. Le rapporteur voulait envoyer des signes forts ; il s'agit de divisions, de sanctions. La République ne se décrète pas, elle se sécrète par une complexe alchimie, qui ne supporte pas l'adjonction de produits chimiques dangereux comme ceux que vous proposez : collège spécialisé qui ressemble fort à une prison pour gamins, interdiction de la tablette au collège...
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Dans le primaire !
M. Patrick Abate. - Alors que nous mettons en place des tableaux numériques... Le brouillage des téléphones portables est-il bien constitutionnel ?
Mme Françoise Laborde, présidente. - C'est une mise à l'étude.
M. Patrick Abate. - Éviter l'affectation des débutants dans les établissements difficiles, pourquoi pas ? Mais non pas donner l'autonomie du recrutement au chef d'établissement ou établir un rendez-vous hebdomadaire.
Les signes forts que vous voulez envoyer sont à contre-courant de ce qui peut faire République, s'appuyant sur toutes les composantes de notre société et s'enrichissant de leur diversité. Cette démarche répond à une préoccupation politicienne, cherchant à produire un document de campagne qui, dans une surenchère dangereuse, reprend des idées qui poussent dans le terreau de l'extrémisme.
Mme Françoise Cartron. - Je ne peux pas cacher un sentiment de malaise. Ce rapport est très négatif : si des établissements ont connu des problèmes, dans bien des cas, l'intelligence et la réactivité des enseignants ont pu s'exprimer, avec l'accompagnement du ministère.
Certaines des vingt propositions du rapporteur sont simplistes, datées et déconnectées : si le vouvoiement, l'uniforme et le rituel du matin suffisaient, nous le saurions... Vos préconisations ne sont pas à la hauteur de la situation ; mais assurément, les médias les reprendront. Pour justifier votre retour à la loi Ciotti, vous vous fondez sur le témoignage de deux conseillers d'éducation ; il aurait fallu consulter des Dasen ou des caisses d'allocations familiales (CAF) : ils vous auraient montré l'impossibilité et l'inutilité de retirer la part de l'enfant absent dans la masse des allocations versées à une famille. Les bras m'en tombent !
D'autres propositions sont des voeux pieux, comme l'interdiction de nommer de jeunes enseignants dans des établissements difficiles : c'est trop facile ! Un rapport demande plus de sérieux. Vous proposez l'interdiction des tablettes dans les écoles primaires sous prétexte qu'elles pourraient être les vecteurs de messages terroristes... Le danger ne serait-il pas plutôt au collège ? La tablette est de toutes manières un outil pédagogique dont nous ne pourrons pas nous passer. Vous redécouvrez les inégalités sociales et scolaires dont souffre notre pays, mais personne ne se penche sur la question parmi ceux qui ont dérèglementé la sectorisation. Vous encensez la maternelle et les vertus de l'apprentissage du langage, après avoir prétendu pendant trois ans qu'elle était néfaste pour les enfants de deux à trois ans, à qui les jardins d'éveil convenaient mieux. Enfin, vous demandez plus d'heures d'enseignement du français après avoir supprimé une demi-journée, soit trois heures de classes.
M. Guy-Dominique Kennel. - Nouveau sénateur, je m'interrogeais sur l'apport de notre assemblée, cette commission m'a apporté une réponse. J'en remercie la présidente, qui a su être à la fois ferme et compréhensive, et le rapporteur, pour sa dignité, son humilité et son courage - il en faut pour éviter le verbiage : il est plus facile de critiquer que de proposer !
Le Concordat, madame Blandin, implique un enseignement laïc du fait religieux. Il faut parfois aller sur place avant de parler. Les parents ont toujours la possibilité d'y substituer un cours de morale. La seule chose discutable est son financement national et non local. Je me réjouis des propositions du rapporteur et regrette les clivages idéologiques.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Je félicite la présidente, l'exercice de ses fonctions n'a pas dû être facile, alors qu'une partie de la gauche refusait de participer à la commission. Je partage les conclusions du rapporteur. Pendant dix-huit ans, j'ai assisté à ce qu'a décrit Françoise Cartron. J'ai été folle de rage de voir disparaître les trois heures d'enseignement ; j'aurais espéré que nous nous rassemblions autour de solutions pragmatiques.
M. Jacques Legendre. - Bravo à la présidente et au rapporteur pour avoir assumé une lourde tâche. Nous ne pouvons pas nier la triste réalité : dans certains établissements, certains élèves pensent en termes de eux et de nous, faisant la différence entre ceux qui sont intégrés dans la société et ceux qui, se sentant avant tout solidaires de leur quartier, de leur pays d'origine, ne se retrouvent pas dans les valeurs de la République. Il était souhaitable de s'interroger sur cette question, et je ne comprends pas que des groupes politiques refusent de s'y associer.
Cette interrogation n'est pas propre à la France : en tant que rapporteur pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je pourrais vous parler du cadre commun de référence autour des valeurs démocratiques que les 47 pays membres cherchent à définir, comme ils l'ont fait pour l'apprentissage des langues. Ce rapport sera un élément au service d'une réflexion plus vaste.
Mme Françoise Férat. - En dehors des campagnes électorales, j'ai du mal avec la politique politicienne : j'ai mal vécu le procès fait à la droite tout à l'heure. Attendons avec modestie le bilan de la refondation de l'école. Quant à la transparence de M. Peillon, nous en avons eu une démonstration lorsqu'il a refusé d'être filmé et de figurer au procès-verbal. Le sujet est tellement sensible que je suis sortie traumatisée de certaines auditions.
Nous avons débattu pendant vingt minutes sur l'évaluation entre CE1 et CM2... J'aurais pensé que gauche et droite auraient pu s'entendre sur la nécessité de repérer les enfants qui ont de la difficulté à lire pour les tirer vers le haut. Nous savons bien que tout se joue là. Je voterai le rapport sans réserve.
M. Claude Kern. - Je m'associe aux félicitations au rapporteur et à la présidente pour le déroulement des auditions, bonnes et moins bonnes, comme pour les visites de terrain. J'approuve la quasi-totalité des propositions, car j'y retrouve ce qui nous a été demandé lors de ces visites. Je le voterai.
M. David Assouline. - Les événements de janvier à l'origine de cette commission ont révélé bien des choses dans la société ; il est bien dommage à cet égard que personne n'ait cherché à savoir comment les minutes de silence ont été respectées ailleurs, dans les entreprises, par exemple. Vous en avez fait un problème de l'école. Ces événements ont révélé que les enfants ont besoin de la laïcité, dont je refuse l'instrumentalisation, car c'est un dernier rempart : la laïcité, ce n'est pas asséner des valeurs, mais les faire comprendre et mettre l'enfant en mesure de s'émanciper de toutes ses prédispositions familiales ou religieuses et de construire son libre-arbitre. Notre débat n'aurait pas été idéologique, si cette commission avait poursuivi ce but.
Or vos propositions, à 80 %, vont à l'encontre de ce principe. Vous parlez de récit national : il faut que l'enfant le comprenne ! Éduquer aux médias, à la compréhension de l'actualité, à l'utilisation d'internet avec un esprit critique, à la détection des thèses complotistes..., voilà ce qui était nécessaire. Face aux vidéos vues mille fois par les jeunes, vous ressassez le programme de l'UMP.
M. Jacques Legendre. - Oh !
M. David Assouline. - Je ne parle pas du rapport et de votre travail sur le terrain. Mais jamais une commission d'enquête n'a été aussi loin contre l'esprit du Sénat. Évaluation des professeurs, retour à la loi Ciotti, autonomie des établissements : rien de tout cela, sinon le serment, n'a été débattu !
Mme Françoise Férat. - Il fallait être présent !
M. David Assouline. - Il est dommage que vous en profitiez pour mettre sur orbite les propositions chocs de votre candidat qui heurteront le débat public alors qu'il faudrait l'apaiser. Des moments difficiles nous attendent.
M. Michel Savin. - La présidente et le rapporteur ont organisé ces auditions de main de maître. Les propositions enclencheront un mouvement, alors que rien ne s'est fait depuis les événements. Les chiffres de la ministre - 800 élèves liés aux réseaux islamistes -doivent nous interpeller.
Mme Catherine Troendlé. - Je remercie de tout coeur la présidente et le rapporteur.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - L'évaluation des dispositifs d'éducation mériterait une mission à part entière. La République se sécrète, certes ; mais évitons le déni de cette division entre eux et nous qu'a évoquée M. Legendre. J'ai voulu libérer la parole. Monsieur Assouline, si vous aviez lu le rapport, je ne suis pas sûr que vous parleriez ainsi...
M. David Assouline. - Je peux réciter vos propositions !
M. Jacques Grosperrin. - L'intitulé du rapport sera : « Faire revenir la République à l'école. »
Mme Françoise Laborde, présidente. - J'approuve bien des choses dans le rapport. Le rapporteur a pris le parti de présenter des propositions dures. Je comprends qu'il ait préféré suivre le modèle de la vingtaine de préconisations de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, plutôt que des cent du rapport de Jean-Pierre Sueur, dont personne n'a pratiquement parlé. Lorsque vous avez suivi toutes les auditions, vous ne le trouvez pas violent.
Le rapport est adopté.
La publication des travaux non encore publiés est autorisée.
La réunion est levée à 16 h 10.