Mardi 3 novembre 2015
- Présidence de M. Michel Magras, président, et de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -Groupe de travail sur la situation des outre-mer confrontés au changement climatique - Examen du rapport d'information
La réunion est ouverte à 13 h 50.
M. Michel Magras, président. - Je vous prie d'excuser le président Maurey, retardé. Nous sommes aujourd'hui réunis en réunion plénière de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de notre délégation à l'outre-mer pour entendre la présentation, par nos rapporteurs Jérôme Bignon et Jacques Cornano, d'un rapport d'information établi au nom du groupe de travail commun à nos deux instances sénatoriales sur la situation de nos outre-mer confrontés aux changements climatiques.
Je me félicite de cette initiative commune qui nous a déjà conduits à produire les actes de tables rondes passionnantes sur les biodiversités ultramarines. Ces tables rondes nous avaient permis, au mois de juin, de réunir les meilleurs experts. Je dois dire que le recueil des actes suscite un grand intérêt, au point qu'un nouveau tirage devra être effectué pour le congrès des maires.
Si nos territoires ultramarins recèlent en effet des trésors de biodiversités terrestres et marines, ils sont aussi particulièrement exposés aux effets des évolutions du climat et sont souvent pionniers dans la recherche de solutions : aux avant-postes de la vulnérabilité climatique, celle-ci étant ressentie en premier lieu et plus sévèrement dans les zones inter-tropicales et les milieux insulaires, ces territoires se situent à l'avant-garde en matière d'observation des impacts et de définition de stratégies d'adaptation et de procédés innovants.
Le groupe de travail et, singulièrement, ses rapporteurs, ont souhaité faire de ce constat une démonstration pragmatique s'appuyant sur de nombreux exemples. Cette « démarche territoriale », qui s'inscrit dans celle de même nature menée par le Sénat tout entier dans la perspective de la COP 21 conformément à la spécificité de sa mission constitutionnelle, a nécessité un lourd travail de récolte d'information en provenance de tous les territoires, départements et collectivités d'outre-mer.
Cette collecte est le fruit de plusieurs auditions effectuées à Paris et d'auditions menées à l'occasion d'un déplacement en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy fin juillet. Au total, plus d'une cinquantaine de personnes ont été entendues au cours de plus de trente heures d'audition. Les informations dont il est fait état dans le rapport résultent également des réponses à des questionnaires adressés aux services de l'État des départements d'outre-mer (DOM) et aux autorités locales des collectivités d'outre-mer (COM), chargés de l'environnement, ainsi que des signalements de réalisations innovantes par plusieurs de nos collègues sénateurs des outre-mer qui ont fourni de très intéressants éléments à nos rapporteurs. Je les remercie chaleureusement de leur collaboration car la collecte d'informations concernant nos territoires est toujours fort complexe !
Le souhait des rapporteurs a été de mettre en valeur un ensemble de réalisations vertueuses et parfois tout à fait innovantes autour de six thématiques majeures pour les outre-mer face au défi climatique :
- la gestion de la ressource en eau et l'assainissement,
- la définition d'un modèle agricole robuste et résilient,
- la préservation et la mise en valeur des biodiversités ultramarines,
- la promotion d'une grande diversité d'énergies renouvelables,
- la prévention des risques et la protection du littoral,
- la sensibilisation et l'éducation du public.
Jacques Cornano présentera les trois premiers thèmes et Jérôme Bignon les trois suivants. Et, à la césure entre leurs deux présentations, les rapporteurs nous feront voyager en images vers la Guadeloupe avec un film d'une dizaine de minutes.
M. Jacques Cornano, rapporteur. - Je me concentrerai sur trois grands thèmes qui s'imposent aux outre-mer confrontés au défi de l'adaptation au changement climatique : la gestion de la ressource en eau, l'adoption d'un modèle agricole plus résilient et la mise en valeur de la biodiversité. Dans chaque cas, les outre-mer ont montré, par une série d'initiatives et de réalisations territoriales très concrètes, qu'ils ne subissaient pas passivement les dérèglements climatiques. Collectivement, sans sous-estimer les risques, nous savons en tirer des opportunités pour nous orienter vers des voies de développement plus durables, montrant ainsi notre potentiel d'innovation et d'entraînement au sein de notre environnement régional.
Le changement climatique et la croissance démographique exercent une pression sur la quantité et la qualité de l'eau douce disponible, qui ne représente que 2,6 % de l'eau sur la Terre. À la raréfaction globale de l'eau s'ajoutent les risques de salinisation et de moindre dilution des polluants.
Les outre-mer, notamment la Martinique et La Réunion, bénéficient déjà d'études de vulnérabilité menées par l'Inra, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). De leur côté, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie bénéficient du Programme hydrologique international de l'Unesco.
Des techniques déjà développées à l'échelle industrielle permettent d'accroître la production d'eau potable pour faire face à la dynamique démographique, sans compromettre la ressource. Selon la géographie des territoires, les prévisions d'évolution de la ressource, de la consommation et des coûts estimés, différentes solutions peuvent être retenues : nouveaux forages horizontaux et galeries drainantes à Tahiti ; déplacements d'ouvrages pour prévenir les infiltrations marines en Guyane, en amont du Maroni ; construction d'ouvrages de secours pour faire face à des précipitations violentes en Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, le dessalement d'eau de mer par osmose inverse est fortement consommateur d'énergies fossiles et occasionne des rejets de saumures. Pour en limiter l'impact, de nouveaux procédés réduisant l'empreinte carbone sont en phase de test grandeur nature, comme le couplage avec l'énergie photovoltaïque à Bora Bora avec le projet Osmosun, la réduction de la taille des stations aux Marquises ou la récupération de la chaleur du traitement des déchets par incinération à Saint-Barthélemy.
Le cas de Marie-Galante, que nous avons pu examiner en détail au cours de notre déplacement, offre un excellent exemple de politique globale d'accroissement de la ressource en eau disponible par optimisation du réseau. Une baisse des prélèvements par pompage a été constatée il y a quelques années, faisant craindre une réduction de l'alimentation naturelle de la nappe phréatique à cause d'une baisse de la pluviométrie et de l'infiltration utile imputable au changement climatique. Il fallait par conséquent réduire les déperditions sur le réseau. Les inspections lancées à cet effet ont révélé la dégradation de plusieurs forages par l'entartrage, la corrosion et l'accumulation de détritus. Un programme de travaux a été défini sur la base de ce diagnostic. Trois forages ont été rebouchés et remplacés, les quatre autres ont été réhabilités par récupération des éléments tombés, traitement à l'acide pour détartrer, injection d'air comprimé et brossage. Les résultats sont probants, puisque le débit global à Marie-Galante a augmenté de 32 % après travaux.
Une politique de l'eau adaptée au changement climatique demande un entretien adapté du réseau et des campagnes de recherche de fuites. Entre 2008 et 2014, à Saint-Pierre-et-Miquelon, une action volontariste a abouti à une réduction de 60 % des prélèvements d'eau. En effet, la réduction des prélèvements et la préservation des capacités de stockage, y compris par des citernes individuelles, offrent des marges de manoeuvre supplémentaires en cas de sécheresse. Il faut également faire évoluer les habitudes en sensibilisant le public aux économies d'eau.
Enfin, le recours à des stations d'épuration écologique doit être soutenu. Le projet Attentive d'adaptation de l'assainissement des eaux usées au contexte tropical, mené en Martinique, consiste à faire circuler de manière gravitaire les eaux brutes domestiques à travers des bassins successifs où elles sont traitées sur des minéraux plantés de roseaux. Ce traitement économe en énergie optimise le cycle naturel d'épuration de l'eau et limite les rejets azotés en milieu naturel.
Face au défi alimentaire que pose l'accroissement de la population mondiale, l'activité agricole occupe une place déterminante dans la définition des politiques de réponse au changement climatique. Responsable de 24 % des émissions de gaz à effet de serre, ce secteur offre néanmoins des moyens de piéger le carbone ; il demeure en outre essentiel pour l'activité économique et l'emploi dans les outre-mer et subit directement les effets des transformations du climat. L'impact porte autant sur les rendements et les volumes que sur les espèces et les variétés produites. La politique agricole doit par conséquent conjuguer logique d'adaptation et exigence d'atténuation.
Tant pour la canne à sucre que pour la banane, les études disponibles pointent une diminution probable à moyen terme des rendements liée à un raccourcissement du cycle de culture, à une augmentation de la température et à des périodes de sécheresse plus marquées. L'impact serait plus important sur la canne, mais les bananeraies sont particulièrement vulnérables aux cyclones. En Guyane, les recherches laissent anticiper une diminution forte de la productivité des peuplements forestiers. Pour les essences commerciales, comme l'angélique qui représente 60 % des volumes extraits, la principale crainte est le stress hydrique dû à l'allongement et à l'intensification de la saison sèche.
L'une des principales solutions consiste à trouver des espèces plus résistantes à la sécheresse. Un programme du Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en Guadeloupe croise différentes variétés et espèces de bananiers pour obtenir des plants plus résistants au stress hydrique et dotés d'un système racinaire plus adapté. D'autres travaux portent sur l'amélioration de la résistance des agrumes à la sécheresse, à la salinité et contre le greening, une maladie endémique qui ravage la Caraïbe, le Brésil et la Floride.
Des moyens de lutte biologique ont été parallèlement développés à La Réunion pour faire face à des espèces invasives potentiellement stimulées par le changement climatique, avec le soutien du Pôle de protection des plantes de Saint-Pierre. Parmi les réussites, je signale l'utilisation d'un champignon pour lutter contre le ver blanc de la canne à sucre ou l'introduction de microguêpes en cultures maraîchères et fruitières contre les mouches blanches. Deux sociétés privées, Betel Réunion et La coccinelle, travaillent en partenariat étroit avec le Cirad pour développer des gammes d'auxiliaires biologiques.
Enfin, dans le cadre de la Commission de l'Océan Indien, les unités de recherche basées à La Réunion apportent un soutien aux pays voisins - Comores, Madagascar, Maurice et Seychelles - pour lutter contre les ravageurs et les maladies affectant les cultures maraîchères. Voilà un excellent exemple du rôle d'interface entre les pays du Nord et du Sud que peuvent jouer les outre-mer.
Une plus grande diversité des cultures garantissant une plus grande résilience aux aléas climatiques, la protection ou la réintroduction de variétés anciennes et la diversification des productions pour contrebalancer la fragilité des grandes monocultures de banane ou de canne à sucre constituent des axes majeurs de transformation de l'agriculture ultramarine. À cet égard, le modèle de polyculture offert par le jardin créole, élément du patrimoine agricole et culturel, où sont cultivées plantes alimentaires, médicinales et ornementales, est particulièrement pertinent. Les recherches de l'Inra permettent d'expliciter et d'utiliser les associations entre différentes espèces pour obtenir des rendements supérieurs aux cultures d'une seule espèce : à Marie-Galante, notre visite d'un jardin créole, sous la conduite de Monsieur Henry Joseph, pharmacien et docteur en pharmacognosie, du laboratoire Phytobôkaz, nous en a offert un excellent exemple avec une culture simultanée de canne à sucre et d'une grande variété de pois, sources de protéines végétales. Le jardin créole est un cas d'école, que ce soit pour la conservation de la biodiversité faunistique (abeilles, oiseaux, chauves-souris), le recours à la permaculture, avec la création d'humus en permanence qui permet une économie d'eau, ou la croissance en synergie des plantes qui s'assurent une protection réciproque contre les agresseurs et favorisent leur pollinisation mutuelle.
Ce modèle de biodiversité agricole se retrouve dans d'autres projets guadeloupéens comme la réintroduction de cultures de légumineuses et d'indigo, couplée avec un plan de protection des abeilles sauvages, ou encore le développement d'une agroforesterie sophistiquée avec des productions combinées d'arbres tels le galba, le calebassier, l'avocatier qui utilisent abeilles et chauves-souris comme auxiliaires pour la fertilisation, la récolte et la préparation du fruit. Ces initiatives vont de pair avec une valorisation des productions locales et des circuits courts. Le reflux des importations et la limitation des flux transportés se traduiront par des bénéfices pour l'économie locale et une réduction des émissions carbonées.
La biodiversité des outre-mer est reconnue comme une richesse inestimable, mais ce patrimoine exceptionnel est aussi menacé par le changement climatique et doit être préservé avant de pouvoir être valorisé. Comme nous l'ont montré nos tables rondes du 11 juin dernier, il faut poursuivre les campagnes d'exploration et d'inventaire, soutenir le développement de la connaissance et de la recherche innovante, et mobiliser des outils territoriaux adaptés aux spécificités locales.
Les populations sont les premiers acteurs de la protection de leur cadre de vie. De nombreuses collectivités l'ont d'ores et déjà compris et en tirent parti pour préserver la biodiversité. Ainsi, la direction de l'environnement du Gouvernement de la Polynésie française mène un programme ambitieux de lutte contre les espèces exotiques envahissantes qui menacent la biodiversité locale, à travers l'information et la formation des populations.
Autre réponse à la menace pesant sur la biodiversité, les aires marines et littorales protégées et les conservatoires de ressources génétiques soutiennent la résilience des écosystèmes et garantissent leur développement économique. Le projet d'Institut caribéen de la biodiversité insulaire, porté par la Réserve nationale naturelle de Saint-Martin, devrait faire émerger un pôle de recherche centré sur la biodiversité de l'espace caraïbe.
Des actions remédiatrices et réparatrices viennent compléter l'arsenal des politiques de préservation : dans le cadre des travaux du Grand port maritime de la Guadeloupe nouvelle génération, des transplantations d'herbiers de phanérogames marines ainsi que de coraux ont été conduites, avant une action sur les mangroves. À Saint-Barthélemy, deux projets de reconstitution de coraux nous ont été présentés. L'un mise sur la constitution de pépinières et le bouturage de cornes de cerf et de cornes d'élan, dont le rythme de croissance est rapide. L'autre s'appuie sur une technique d'accrétion électrolytique : des structures métalliques sont immergées et placées sous basse tension afin de former des structures calcaires qui serviront d'habitat artificiel aux coraux.
M. Michel Magras, président. - Merci pour la qualité de cet exposé. En complément, voici un petit film consacré aux réalisations du laboratoire Phytobôkaz.
Le film est projeté devant la commission et la délégation.
M. Michel Magras, président. - Vous avez pu apprécier la qualité du travail du docteur Henry Joseph, qui met à contribution le milieu naturel : l'essentiel de la récolte du galba est assuré avec le concours des ouvrières que sont les chauves-souris. Si vous autorisez la publication du rapport, le film y sera annexé sous la forme d'un DVD.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Après cette récréation filmée, je crains que mon exposé vous paraisse bien terne. Le président du Sénat a souhaité, dans la perspective de la COP 21, que toutes les commissions et délégations se mobilisent pour que le Sénat, institution ancrée dans les territoires, montre l'exemple et fasse essaimer les initiatives. Le groupe de travail sur les négociations climatiques internationales se réunira demain pour travailler sur le projet de résolution qui sera déposé sur le Bureau du Sénat et discuté en séance le 16 novembre. En raison de leur positionnement particulier et des richesses biologiques qu'ils recèlent, les outre-mer sont des acteurs essentiels dans la préparation de la conférence.
En matière énergétique, nos outre-mer font face à des problèmes particuliers liés à leur insularité qui les prive d'énergie nucléaire et les rend dépendants de ressources fossiles, tout en posant des problèmes d'interconnexion. Des technologies intéressantes commencent à être développées. Nous nous sommes rendus sur le site de Bouillante, en Guadeloupe, où l'on convertit en électricité la chaleur du sous-sol. L'exploitation est assurée par le BRGM. Le sous-sol volcanique dans nos îles des Caraïbes, mais aussi sur les îles voisines, pourrait être exploité pour constituer de véritables réseaux dans le cadre d'une coopération régionale.
En Polynésie française, le projet SWAC (Sea Water Air Conditioning) consiste à utiliser l'eau de mer naturellement froide pour la climatisation, aujourd'hui d'un hôtel, demain, d'un centre hospitalier. En Martinique, le projet Nemo met à profit le différentiel de température entre les eaux de surface et les eaux profondes pour récupérer des calories qui sont ensuite transformées en électricité.
La Martinique et la Guadeloupe ont opté pour l'habilitation leur permettant d'adapter la réglementation énergétique dans un objectif d'autonomie, comme la Constitution leur en offrait la possibilité : c'est un signal fort.
Cinquième sujet abordé par notre rapport, la prévention des risques. Les événements climatiques prennent toujours une tournure plus aiguë dans les outre-mer. Les cyclones peuvent entraîner des crues, une submersion des zones basses ou encore des pics d'érosion côtière et des glissements de terrain. La forte littoralisation des populations est un facteur de risque aggravant.
Pour y répondre, les territoires ont mis en place des politiques adaptées. La Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Guyane a créé un observatoire de la dynamique côtière pour étudier l'impact des marées qui pénètrent à l'intérieur des terres et détruisent la mangrove. Il travaille en lien avec la mission confiée par Mme Ségolène Royal à Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, sur l'observation des littoraux. Autres exemples, le projet Littofort à Wallis-et-Futuna, ou encore l'initiative conjointe du conseil régional et de l'Ademe en Guadeloupe pour créer un outil d'accompagnement des collectivités dans la définition de stratégies d'adaptation, objet de deux appels d'offres en 2014. Je participe à un groupe de travail présidé par la députée Pascale Got sur l'évolution du trait de côte. Des sites pilotes ont été identifiés pour une réflexion sur l'adaptation au retrait de celui-ci et la recherche de solutions de substitution. Les outre-mer sont concernés au premier chef.
Enfin, nous avons travaillé sur la sensibilisation du public et le développement des connaissances. « La biodiversité est notre assurance vie, il est donc très important de bien la connaître », dit Hubert Reeves. Pour agir, il faut d'abord savoir et communiquer, or nos efforts dans ce domaine restent insuffisants. À ce jour, seulement 250 000 espèces marines sont répertoriées avec un champ de valorisation potentielle largement sous-évalué. Dans son laboratoire, le docteur Henry Joseph ne travaille que sur une cinquantaine de variétés ! Lors du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, nous avons adopté le mécanisme d'accès et de partage des avantages (APA), qui présente un intérêt tout particulier pour les outre-mer.
Le 6 juin 2015, un débat citoyen sur l'énergie et le climat a été organisé par le conseil régional de Guyane pour faire émerger des pistes stratégiques et des engagements locaux en matière de limitation des gaz à effet de serre et d'adaptation au changement climatique. Les orientations ambitieuses adoptées montrent qu'associer le public est toujours payant. Autre illustration, les aires maritimes éducatives en Polynésie lancées dans l'école primaire de Tahuata, qui contribuent à sensibiliser et responsabiliser les futures générations au changement climatique. Six aires maritimes éducatives sont en place et le dispositif pourrait essaimer. Ces initiatives sont la première condition pour que les actions d'adaptation au changement climatique soient mises en oeuvre et partagées par l'ensemble de nos concitoyens.
À travers ces exemples, nous avons voulu coller à la dynamique de négociation de la COP 21, dont la crédibilité repose sur l'Agenda des solutions locales. Les accords internationaux issus de la conférence resteront lettre morte sans les efforts quotidiens des élus, des organisations non gouvernementales (ONG), des entreprises et des citoyens pour la mise en oeuvre des objectifs qui seront définis à cette occasion.
Merci à nos collègues ultramarins pour leur hospitalité.
M. Michel Magras, président. - Les rapporteurs se réjouiront de voir une assistance aussi nombreuse à notre réunion de ce jour, preuve de l'importance du sujet.
M. Hervé Maurey, président. - Je félicite les rapporteurs pour le travail réalisé. J'aurais souhaité pouvoir les accompagner pour leur déplacement en outre-mer. Ce rapport est un jalon important dans le cadre du travail collectif du Sénat en amont de la COP 21. Un projet de résolution, synthèse des travaux des différentes instances du Sénat, sera déposé par Jérôme Bignon. Le débat qui suivra le 16 novembre en séance publique donnera la parole aux groupes mais aussi aux différents organes du Sénat, commissions et délégations. Le président du Sénat a souhaité que l'accent soit mis sur l'outre-mer. La France est présente sur tous les continents et dans tous les océans, ce qui lui donne une meilleure appréhension des effets des dérèglements climatiques - un outil précieux pour nos entreprises et organismes de recherche, notamment dans le cadre de la mise en place de l'heureuse initiative qu'est l'Agenda des solutions locales.
M. Gérard Miquel. - Je félicite nos deux rapporteurs pour cet excellent rapport, agréable à lire et riche de nombreux éléments de réflexion. Ayant moi-même commis un rapport sur l'eau, je m'étais rendu en Martinique et en Guadeloupe où j'avais vu des étendues d'eau douce polluées par le chlordécone utilisé dans les bananeraies. La rémanence de ce produit étant très longue, qu'en est-il aujourd'hui ?
La collecte et le traitement des déchets, en revanche, sont moins longuement abordés. Nos merveilleux paysages ultramarins sont pollués par les matières plastiques. C'est un sujet porteur pour mobiliser les citoyens, car la gestion des déchets - qui pourrait être grandement améliorée - appelle des solutions locales susceptibles de créer des emplois et de favoriser une économie circulaire. Quelles sont vos observations sur ces questions ?
Mme Odette Herviaux. - Je félicite tous ceux qui ont participé à ce rapport. Il donne des exemples concrets des savoir-faire, de la recherche et des techniques pour mettre en valeur les bonnes pratiques dans les territoires. Il témoigne aussi de l'implication de toutes les collectivités, nous pourrons nous le rappeler dans la proposition de résolution. Comme celui sur la biodiversité, ce rapport servira de vitrine et de promotion pour les outre-mer. Enfin, n'oublions pas que les collectivités ultramarines mais aussi métropolitaines ont déjà beaucoup réfléchi à la préservation des côtes.
Mme Chantal Jouanno. - À mon tour de féliciter les rapporteurs. Ce document très complet donne une vision transversale des enjeux liés au climat.
Il ne serait pas inutile d'organiser un débat sur le document issu de la négociation de Bonn sur la COP 21. Je reste pessimiste : dans les 51 pages, presque tout est entre parenthèses et en option ! Disposez-vous d'une expertise sur les conséquences de l'acidification des océans et ses répercussions sur la survie de certaines espèces, notamment à coques ?
M. Ronan Dantec. - Ce rapport est important. Pour protéger la biodiversité, il faut des plans d'action plus que des déclarations de principe. Les espèces en danger ne font pas toutes l'objet d'un suivi, d'où l'importance d'inscrire ce sujet dans la loi. Pour ce qui est de la dimension énergétique, il est essentiel que nous suivions notre logique jusqu'au bout. L'outre-mer doit être une vitrine. Un rapport de l'Ademe montre que le choix du 100 % d'énergies renouvelables à échéance 2050 ne coûte pas plus cher qu'un autre. C'est d'autant plus vrai pour les territoires non interconnectés, où ce choix s'inscrit dans une logique purement économique dans la mesure où l'électricité y coûte extrêmement cher. Il faudrait que l'opérateur national public en tienne compte, or les représentants d'EDF en charge des territoires non interconnectés - la Corse en fait partie - ne font pas toujours preuve de volontarisme en la matière. Des systèmes de stockage existent pourtant. Étant donné les enjeux de santé publique, l'utilisation de fioul lourd dans les centrales ne devrait plus avoir cours.
M. Rémy Pointereau. - Les deux rapporteurs ont brillamment exposé les innovations mises en oeuvre en outre-mer pour répondre aux problématiques de l'eau, des énergies renouvelables ou de la biodiversité. L'agroforesterie peut être intéressante, même si elle ne concerne que les petites parcelles. Cependant, comme rapporteur de la mission sur la politique des territoires, je constate tous les ans que notre petit budget s'amenuise. Le chlordécone utilisé dans les bananeraies pose des problèmes de santé majeurs. Et pourtant, on débloque très peu de moyens pour traiter les sols. Le lessivage a un impact sur les coraux. Quant aux énergies renouvelables, a-t-on une idée du potentiel maximum que l'on dégagerait en mixant le solaire, l'éolien et l'hydroélectrique ? Grâce à ces secteurs, on pourrait pratiquement être autonome - et avoir de l'énergie à revendre !
Mme Évelyne Didier. - Nous avons particulièrement apprécié que vous décriviez les solutions concrètes mises en oeuvre dans les territoires ultramarins. Grâce à l'outre-mer, nous avons une vision plus large des problèmes environnementaux. Vous nous démontrez que les collectivités, les citoyens et les entreprises installées sur place sont en mesure de trouver des solutions adaptées. À certains égards, être une île constitue un avantage, car l'écosystème insulaire offre un terrain de réflexion et d'expérimentation délimité pour trouver des solutions qui vous rendent indépendants des autres territoires. L'idéal serait de régler la question des énergies renouvelables et de la gestion des déchets, territoire par territoire. L'autosuffisance des territoires, tel doit être l'objectif.
M. Charles Revet. - J'ai entendu, il y a quelques jours, que le territoire maritime français s'était agrandi. En avez-vous tenu compte dans votre réflexion ? Y a-t-il des endroits qui offriraient un potentiel de production d'énergie ? Dans certaines régions, on envisage de produire de l'énergie grâce à la mer. Dans quelle proportion serait-ce possible ?
Mme Lana Tetuanui. - Je salue le travail des rapporteurs, au nom de la Polynésie française, la plus grande surface marine et le plus vaste des territoires ultramarins qui composent notre si belle France. Avec la montée des eaux, nos petits atolls seront les premiers menacés. Le rapport sur les biodiversités ultramarines a fait polémique en Polynésie, notamment les cinq lignes qui concernent le projet aquacole chinois sur l'atoll de Hao et font état de risques environnementaux afférents. Je rappelle que Hao a déjà servi d'arrière base aux essais nucléaires de Mururoa... Si l'on pouvait rectifier ces lignes du rapport, j'y serais sensible. Le président de la Polynésie vous a adressé un courrier en ce sens.
C'est bien beau d'aller constater les efforts des collectivités ultramarines mais nous restons confrontés à un problème de moyens. En Polynésie, un deuxième projet SWAC a été lancé pour le centre hospitalier, après celui implanté pour l'hôtellerie à Bora Bora. Le Gouvernement polynésien vient de publier notre programme de transition énergétique pour 2015-2030. Toutes les communes se sont attelées à la gestion des déchets, suivant les règles environnementales imposées par le code général des collectivités territoriales. Cependant, le spectre de la réforme de la DGF pèse sur nous.
M. Jacques Cornano, rapporteur. - C'est une chance que la France accueille et préside la vingt-et-unième conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. C'est pourquoi nous avons voulu donner de la visibilité aux DOM-COM dans le débat sur les conséquences du changement climatique. Des spécialistes ont montré qu'à la fin du siècle, l'aéroport de Pointe-à-Pitre pourrait être recouvert par quelques centimètres d'eau. Si nous nous intéressons à l'agriculture, à la biodiversité, aux énergies renouvelables, à l'eau, à la prévention et à la gestion des risques ou à l'éducation au développement durable, c'est pour trouver des solutions en amont, en mesurant les impacts et en prévoyant des possibilités d'adaptation.
Gérard Miquel a mentionné le traitement des déchets. Les communautés de communes et d'agglomérations ont commencé à y travailler. À Saint-Barthélemy, on a mis en place un modèle d'économie circulaire : en utilisant l'énergie tirée de l'incinération des déchets, on produit de l'électricité et même de l'eau, après dessalement. On pourrait transposer cette solution à Marie-Galante où, pour l'instant, les déchets sont évacués par bateau jusqu'à Pointe-à-Pitre.
Le chlordécone est un vaste sujet. Une solution consisterait à recourir à des couvertures de plantes de services permettant de capter ce polluant dans le sol.
M. Rémy Pointereau. - Tout à fait.
M. Jacques Cornano, rapporteur. - Certains responsables au Gouvernement y sont sensibles.
En effet, les DOM-COM doivent être des vitrines de la transition énergétique. La loi de transition énergétique fixe un objectif de 50 % d'énergies renouvelables en 2020. Ronan Dantec considère que le résultat dépend des moyens et de la politique que nous mettrons en place. Il a raison : alors que nous disposons de l'énergie solaire, de l'éolien et de l'énergie thermique des mers, EDF vient de construire douze moteurs de centrales thermiques au fioul pour alimenter la Guadeloupe !
Marie-Galante pourrait bientôt devenir un territoire à énergie positive : alors que nous consommons en pointe 8 mégawatts, nous sommes en capacité d'en produire plus du double grâce à un projet d'éoliennes qui nous alimentera à hauteur de 10 mégawatts et à une centrale géothermique de nouvelle génération capable de produire 15 mégawatts. Au lieu de recevoir de l'énergie par câbles de la Guadeloupe continentale, Marie-Galante serait alors en mesure d'exporter son énergie. La Martinique pourra faire de même grâce à l'énergie thermique des mers. Les possibilités de coopération régionale doivent être exploitées. Non loin de Marie-Galante, le potentiel géothermique de la Dominique est dix fois supérieur à celui de Bouillante.
Le chlordécone est un problème de santé majeur contre lequel les pêcheurs et les agriculteurs tentent de lutter. Nous avons fait maintes demandes pour en venir à bout, sans résultat.
M. Serge Larcher. - En France hexagonale, on trouve partout des périmètres de protection des zones de captage. Les zones de captage dans nos îles sont en amont des bananeraies et donc du chloredécone. Mais comme le chlordécone se trouve dans l'eau de ruissellement, il circule jusqu'à la mer et stagne dans les mangroves. Or celles-ci sont des nurseries. D'où l'interdiction d'y pêcher des crabes de terre ou de consommer les langoustes. Cependant, toutes les zones polluées ont été identifiées, cartographiées et sont surveillées. Un système de traçabilité est en place pour contrôler les produits consommables. Pour autant, le chlordécone est une molécule qui ne disparaît pas facilement et nous devons vivre avec sans savoir jusqu'à quand.
La Dominique offre de fortes potentialités en matière de géothermie ; or, malgré l'appui des conseils généraux, EDF refuse de les exploiter. Seule une volonté politique peut les inciter à revoir leur position.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'extension du plateau continental évoquée par Charles Revet n'est pas une extension de la zone économique exclusive. Elle ne concerne que la capacité d'exploiter le sous-sol ; or, la tendance actuelle n'est pas à rechercher des ressources sous-marines fossiles.
Mme Chantal Jouanno. - J'aimerais que vous ayez raison !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Madame Didier, on ne peut que souhaiter l'autosuffisance de tous les territoires. Je ne suis pas hostile à insister sur ce souhait dans le rapport.
M. Ronan Dantec. - Le terme « vitrine de la transition énergétique » serait approprié.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Nous avons été choqués de constater qu'EDF n'avait aucune volonté de développer la géothermie. Ce n'est pas bon, ni pour les outre-mer, ni pour l'avenir de la planète. D'où notre souhait d'enquêter davantage sur les raisons de la non-exploitation de ce potentiel.
Madame Jouanno, le rapport de Bonn n'est pas très bon, il est vrai. Nous pourrons en reparler dans le groupe de travail sur les négociations climatiques internationales. Quant à l'acidification, c'est un problème qui affecte une partie non négligeable des 350 millions de kilomètres carré d'océans. Les sargasses proviennent-elles d'une maladie des océans ? On ne sait pas. En tout cas, elles signent la mort des coraux, des mangroves et des poissons.
M. Michel Magras, président. - Le rapport qu'évoque Lana Tetuanui n'est pas un rapport, mais les actes d'un colloque, qui rendent compte de ce qui a été effectivement dit. La responsabilité de ce qui a été dit appartient à son auteur. Il ne nous revient pas de le modifier même si nous ne partageons pas l'analyse.
Mme Lana Tetuanui. - Il est important de rectifier les choses.
M. Michel Magras, président. - Le sujet climatique répond à une vaste problématique. Il y a autant de problèmes et de solutions que de territoires ultramarins. D'où notre volonté de mettre en exergue un certain nombre de réalisations et de politiques déjà en place pour croiser les regards entre l'outre-mer et l'Hexagone, mais aussi entre les outre-mer.
Dans certains territoires, monsieur Dantec, on est en train de faire l'inventaire de toutes les espèces qui existent.
M. Ronan Dantec. - Nous n'avons pas besoin d'inventaire, mais de plan d'action.
M. Michel Magras, président. - Nous travaillons avec l'Union internationale pour la conservation de la nature, pour faire respecter la liste des espèces protégées. Les problèmes ne se règleront pas du jour au lendemain. Même si nous ne disposons pas d'étude sur l'acidification des océans, des réalisations sont déjà en cours, dont deux projets de reconstruction du corail. On a découvert que, contrairement à ce que j'ai enseigné pendant trente-cinq ans, certains coraux pouvaient se reproduire très rapidement, à une vitesse de 2,5 centimètres par mois. C'est extraordinaire, car c'est le lieu où se développe l'essentiel de la faune marine. Dans dix ans, on cultivera du corail comme on cultive d'autres plantes !
Quant à nos déchets, ils sont d'abord triés. À Saint-Barthélemy, on recycle tout ce qui peut l'être : tous les métaux, y compris le plomb des batteries, le verre, etc. Pour ce qui est des incinérations, les fumées sont traitées par une douzaine de capteurs nettoyés dans des bains de chaux vive et de charbon actif, de sorte que nous ne libérons dans l'atmosphère que des doses infinitésimales contrôlées par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). L'eau est transformée en vapeur, pour être ensuite vendue à l'usine voisine qui multiplie par deux sa production d'eau potable. Nous ne vendons rien à EDF. C'est un exemple remarquable de couplage entre le traitement des déchets et la production d'énergie.
M. Maurice Antiste. - Pour conclure, je voudrais souligner que certaines calamités comme l'invasion des sargasses pourraient être transformées en opportunités et qu'il faut activement poursuivre la réflexion dans ce sens.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la délégation sénatoriale à l'outremer autorisent la publication du rapport.
La réunion est levée à 15 h 25.
Jeudi 5 novembre 2015
- Présidence de M. Michel Magras, président -Définition d'un programme de travail complémentaire de la délégation
M. Michel Magras, président. - J'ai souhaité vous réunir aujourd'hui pour que nous complétions notre programme de travail et je voudrais, à cet égard, évoquer trois points distincts : une saisine urgente dont nous faisons l'objet, le choix de la prochaine conférence économique de bassin et la définition d'un nouveau sujet d'étude.
Nous avons en effet finalisé mardi notre travail sur la problématique climatique mené conjointement avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ; vous avez d'ailleurs été nombreux à participer à cette réunion plénière au cours de laquelle nos collègues rapporteurs, Jérôme Bignon et Jacques Cornano, ont fait une démonstration magistrale du rôle joué par nos outre-mer. Je tiens à les féliciter une nouvelle fois et à les remercier. Le rapport d'information dont la publication a été autorisée sera une belle vitrine pour nos outre-mer, lors de la COP 21 mais aussi lors du congrès des maires.
Mais un travail aussitôt achevé, il nous faut en remettre un sur le métier ! Nous venons d'être alertés sur la teneur d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Vietnam qui représente une réelle menace pour la production sucrière et, au-delà, pour toute la filière canne de nos régions ultrapériphériques (RUP). Nos précédents travaux sur la politique commerciale de l'Union étant restés dans les mémoires et ayant parfois permis de peser dans les négociations, nous sommes sollicités pour intervenir à nouveau et élaborer une proposition de résolution européenne (PPRE).
Je vous propose de répondre favorablement à cette sollicitation et, à cet effet, de nommer dès aujourd'hui un binôme de rapporteurs. En raison, d'une part, de l'urgence à réagir pour que l'expression de la représentation nationale puisse peser sur le cours des discussions bruxelloises et, d'autre part, puisque la question de la commercialisation des sucres roux est au coeur de la problématique, il me paraîtrait pertinent que notre binôme de rapporteurs soit constitué de la manière suivante :
- un de nos collègues réunionnais dès lors que La Réunion est le principal producteur de sucres roux ;
- et un de nos collègues membres de la commission des affaires européennes afin que la procédure complexe relative aux PPRE puisse suivre son cours aussi rapidement que possible.
Ainsi, je vous propose de désigner, s'ils en sont d'accord, Gisèle Jourda, sénatrice socialiste de l'Aude et membre de la commission des affaires européennes, et Michel Fontaine, sénateur de La Réunion, membre du groupe Les Républicains.
M. Jeanny Lorgeoux. - Il me semble que la commission des affaires étrangères a été saisie de la ratification de l'accord. Mme Gisèle Jourda est également membre de cette commission. Sa candidature me semble particulièrement pertinente.
M. Michel Magras, président. - Mme Gisèle Jourda est donc nommée co-rapporteur en vue de l'élaboration d'une PPRE. Michel Fontaine m'a, par ailleurs, fait part de son intérêt mais doit tenir compte des contraintes de la campagne des régionales qui pourrait le retenir en circonscription. S'il ne pouvait répondre aux exigences liées à la qualité de rapporteur, je vous proposerais d'assumer moi-même le rapport.
Mme Odette Herviaux. - Cela me paraît tout à fait convenable.
M. Jeanny Lorgeoux. - L'important est d'être efficace.
M. Michel Magras, président. - J'en viens au deuxième point qui concerne le choix du bassin océanique pour la deuxième édition de nos conférences économiques.
La première conférence, qui a emporté un vif succès le 25 juin dernier et dont les actes volumineux seront disponibles en début de semaine prochaine, a concerné les entreprises et les dynamiques sectorielles du Pacifique. Je vous proposerai cette année d'opter pour le bassin Atlantique afin de préserver « l'équilibre géographique » de nos travaux. Je tiens en effet à ce que nos travaux mettent en lumière tour à tour chacun des territoires. Or, le deuxième volet de notre étude sur le foncier concerne plus particulièrement Mayotte et les collectivités du Pacifique, et le travail sur les accords commerciaux et la production sucrière La Réunion et la Guadeloupe. Mais je suis bien sûr preneur de vos observations.
Mme Lana Tetuanui. - Sur la question foncière, il est très important de ne pas oublier le Pacifique.
M. Michel Magras, président. - Tout à fait. Nous avons pour objectif de nous rendre dans les trois territoires du Pacifique fin février.
Mme Lana Tetuanui. - Fin février, c'est plutôt une bonne date pour une mission en Polynésie car c'est l'intersession et les élus territoriaux seront donc davantage disponibles.
Nous avons obtenu grâce à l'action de notre Président Édouard Fritch la création d'un tribunal foncier. Mais nous en sommes encore aux prémices car nous avons dû commencer par chercher un terrain avec l'État pour l'implanter. En matière de foncier, les situations diffèrent d'un endroit à l'autre : aux Marquises, par exemple, s'ajoute la question de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG).
M. Michel Magras, président. - Ainsi, notre prochaine conférence économique aura pour sujet le bassin Atlantique.
Nous en arrivons au troisième point que je souhaitais évoquer : le choix d'un nouveau sujet d'étude qui prendra le relais de notre travail sur les accords commerciaux conclus par l'Union européenne et leurs conséquences pour nos RUP.
La question des normes est omniprésente et plusieurs initiatives au sein de notre assemblée sont en marche pour tenter de remédier à l'excès normatif. Bien que l'approche soit plus complexe concernant nos outre-mer, la question de l'inadéquation normative se pose également et mériterait que nous nous y intéressions de plus près.
Nous pourrions, sur cette question complexe, adopter un schéma d'organisation comparable à celui appliqué à l'étude sur le foncier. La problématique des normes intervient dans de nombreux domaines ce qui pourrait donner lieu une étude constituée de plusieurs volets, avec chaque fois un binôme de rapporteurs et, pour assurer la cohérence du tout, la désignation d'un rapporteur coordonnateur.
Eu égard aux travaux qu'il a déjà conduits sur la question de l'inflation normative et à sa fine connaissance de nos outre-mer, je suis enclin à vous proposer la candidature d'Éric Doligé pour assurer la coordination. Le désigner aujourd'hui lui permettrait de nous faire des propositions pour les volets thématiques que pourrait couvrir l'étude et nous pourrions désigner un premier binôme de rapporteurs lors d'une prochaine réunion.
M. Jeanny Lorgeoux. - Je souscris tout à fait à votre proposition.
Mme Odette Herviaux. - Absolument. Cependant, le problème des normes étant très vaste, il nous faut identifier des domaines prioritaires.
M. Éric Doligé. - On constate en ce moment un foisonnement bienvenu d'initiatives au sein du Sénat pour traiter cette question des normes, par exemple sous l'angle des collectivités territoriales ou dans le domaine agricole. Mais cela reste souvent cantonné à l'Hexagone. Or, il ne faut pas oublier les territoires ultramarins qui connaissent des situations très singulières. C'est ce que j'avais déjà perçu au cours de précédents travaux : les normes spécifiques à l'outre-mer entraînent des surcoûts et une obsolescence prématurée des équipements. Tout cela reste malheureusement méconnu. Un des angles que nous pourrions privilégier pour notre étude serait d'examiner les différences entre la métropole et les outre-mer qui rendent certaines normes plus ou moins adaptées, afin que le Sénat dans son diagnostic national ne néglige pas les spécificités de l'outre-mer et puisse éventuellement envisager une différenciation selon les territoires.
M. Michel Magras, président. - C'est un propos très intéressant. La question de la différenciation territoriale me tient particulièrement à coeur. Les outre-mer sont pour notre pays un véritable terrain d'expérimentation. N'oublions pas que les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), en tant que territoires associés à l'Europe, disposent d'une très grande latitude d'adaptation, sans risque d'injonction européenne. Ce n'est pas le cas dans les RUP, mais la France pourrait davantage peser sur les choix réglementaires européens.
Il est vrai que le sujet des normes est très large. Peut-être pourrions-nous travailler par secteurs ? En traitant, par exemple, le secteur agricole avec les normes phytosanitaires, puis un secteur industriel donné, etc. Je plaiderais plutôt pour une succession de volets coordonnés.
M. Éric Doligé. - Il serait intéressant d'approfondir cette question des normes dans de multiples domaines pour définir ensuite des voies d'adaptation des normes générales dans chaque territoire. Cela pourrait également inspirer des réformes pour l'Hexagone, les outre-mer apparaissant souvent comme des territoires précurseurs. Par exemple, faut-il adopter des normes sismiques dans des territoires qui ne sont pas soumis aux risques sismiques ? J'avais évoqué cette piste de réforme par différenciation pour les territoires de l'Hexagone, mais cela avait suscité des remous et le Conseil d'État avait considéré que pareille éventualité devait être subordonnée à un encadrement très strict.
Mme Odette Herviaux. - Je partage cette approche fondée sur la différenciation. Je pense, par exemple, à l'adaptation des normes dans les îles comme celles du département du Morbihan. On se heurte à des habitudes, à des frilosités. On parle d'expérimentation mais c'est très difficile à mettre en oeuvre même si théoriquement le droit européen reconnaît le fait insulaire. Je trouve qu'il serait judicieux de passer par les outre-mer pour diffuser une culture de la différenciation normative qui profiterait ensuite à tous les territoires.
M. Jeanny Lorgeoux. - La Nation est unique et multiple. Après trois siècles de centralisme hexagonal, nous avons oublié que la Nation était multiple. Nous devons rappeler cette vérité pour les outre-mer avant d'en faire bénéficier l'ensemble des territoires. C'est une absolue nécessité pour déverrouiller notre société.
Mme Lana Tetuanui. - Rappelons que la France est un grand pays aussi grâce à ses outre-mer. Pourtant, nous sommes parfois oubliés au moment d'adopter certaines normes. Prenons l'exemple du code général des collectivités territoriales (CGCT) : voilà un texte en l'état totalement inapplicable en Polynésie, sur des sujets aussi concrets que l'assainissement des eaux usées ou la création de chenils dans les communes.
M. Michel Magras, président. - Je partage vos observations. Saint-Barthélemy a tout autant besoin, par exemple en matière de transport aérien, de dérogations adaptées à sa configuration et ses contraintes. Nous devons le marteler : la différenciation n'est pas antinomique de l'unité nationale.
M. Éric Doligé. - Autre exemple : le transport scolaire en Guyane. N'est-il pas singulier que les textes ne permettent pas la souscription d'une assurance pour l'acheminement des enfants en pirogue, alors même qu'aucun autre mode de transport n'est possible ?
Mme Lana Tetuanui. - Pour la Polynésie, il est essentiel de revoir certaines dispositions du CGCT. Alors que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale a effectué un déplacement en Polynésie française à cet effet, nous solliciterons également le président de notre commission des lois du Sénat, Philippe Bas, sur cette question.
M. Michel Magras, président. - Cela nous renvoie à un problème bien connu : celui de l'application des lois en outre-mer par voie d'ordonnances ! Je plaide pour des rendez-vous législatifs beaucoup plus réguliers qui nous permettraient de débattre sérieusement en séance des dispositions applicables en outre-mer.
Mme Lana Tetuanui. - Qu'en est-il de l'application du nouveau Règlement du Sénat et des possibilités de mieux prendre en compte les contraintes des sénateurs ultramarins ?
Par ailleurs, Monsieur le Président, les maires de Polynésie française souhaiteraient vous rencontrer avant le début du congrès des maires, à propos du traitement des déchets, sur lequel votre collectivité est très en pointe.
Je vous informe également que le Président de la République devrait se rendre en Polynésie en 2016. Mais ce sera aussi l'année du cinquantième anniversaire du premier essai nucléaire français dans le Pacifique et la question de l'impact écologique et sanitaire, avec celle corrélative de l'indemnisation, reste très sensible pour les populations locales.
M. Michel Magras, président. - Il serait en tout état de cause plus judicieux de célébrer le vingtième anniversaire du dernier essai nucléaire qui date de janvier 1996 que le cinquantième du premier !
Concernant les modalités réglementaires d'organisation du travail sénatorial pour les sénateurs ultramarins, j'ai eu un entretien sur ce sujet avec le président du Sénat dont il ressort qu'au-delà d'un traitement différencié déjà inscrit dans le texte, il y a une réelle volonté de faciliter la présence par l'amélioration et une adaptation des conditions matérielles prenant en compte l'éloignement, en matière de transport et d'hébergement. Un courrier sur ce sujet devrait me parvenir prochainement. Je rappelle en outre qu'une évaluation du dispositif devrait être effectuée en fin d'année civile.
M. Éric Doligé. - Je veux aborder une autre question qui constitue un sujet d'inquiétude pour nos outre-mer, notamment pour les entreprises, dans la période actuelle : il s'agit de la prorogation pour une durée insuffisante des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement à l'article 43 du projet de loi de finances.
Mme Lana Tetuanui. - C'est en effet un sujet de préoccupation mais la commission des finances de l'Assemblée nationale semble heureusement avoir validé hier une prorogation jusqu'en 2025.
M. Michel Magras, président. - Sachez que le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier, a d'ores et déjà été sensibilisé à l'acuité de cette problématique pour nos outre-mer. Si nous sommes contraints pour les départements d'outre-mer (DOM) par l'échéance fixée à 2020 de renégociation du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), ce n'est pas le cas pour les collectivités d'outre-mer (COM) ou la Nouvelle-Calédonie, qui sont des PTOM. Il faudra veiller au Sénat à préserver les avancées qui auront pu être enregistrées à l'Assemblée nationale par rapport au projet de loi de finances initial.
Par ailleurs, j'ai pu vérifier hier, lors d'une réunion au ministère des outre-mer de présentation des orientations en matière de santé, que le Gouvernement était favorable à notre initiative de proposition de résolution sur la politique commerciale européenne concernant le sucre.
M. Jacques Cornano. - Il faudra également veiller à appréhender les territoires de façon différenciée en matière de santé, notamment du point de vue de la continuité territoriale et de la dotation en moyens médicaux. Je rappelle que l'évacuation sanitaire est un sujet de préoccupation pour tous les territoires insulaires ; c'est le cas pour Marie-Galante.
Mme Odette Herviaux. - Cela vaut aussi pour les îles des côtes hexagonales, notamment pour Belle-Île-en-Mer. Certains de nos territoires de l'Hexagone font ainsi cause commune avec nos outre-mer et il faudra se saisir de ce sujet.
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, après ces fructueuses discussions, je vous propose de lever la séance et de nous retrouver le 26 novembre prochain pour une série d'auditions sur les accords commerciaux de l'Union européenne et l'avenir de la filière canne à travers la production sucrière.