Jeudi 27 octobre 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9 h 04.
Institutions européennes - Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes - Conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. le secrétaire d'État pour cet échange désormais traditionnel sur les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.
L'intervention de Mme Theresa May devant ses collègues était attendue. A-t-elle permis d'en savoir un peu plus sur la stratégie et les attentes britanniques concernant la future négociation avec l'Union européenne ? Au travers du groupe de suivi du Brexit, que je copréside avec Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous suivons ce dossier avec beaucoup d'attention. Au-delà du discours de Birmingham, avez-vous pu en savoir plus sur l'activation de l'article 50 du traité de Lisbonne ?
La question migratoire a occupé une grande place dans les travaux du Conseil européen. Pouvez-vous nous en exposer les conclusions ? Quelle est la position du Parlement européen sur les projets relatifs au contrôle systématique des entrées et sorties aux frontières extérieures et sur la mise en place d'un système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) ? Ces projets, cruciaux pour la sécurité intérieure dans l'Union européenne, peuvent-ils aboutir rapidement ? Lundi dernier, lors de l'entretien avec Sir Julian King, le nouveau commissaire pour l'Union de la sécurité, je me suis permis de proposer de faire du co-législatif entre le rapporteur européen et le rapporteur du Sénat en vue d'aller beaucoup plus vite ; nous avions oeuvré ainsi pour la réforme de la PAC avec Michel Dantin. Sur ce sujet, sur lequel nos concitoyens sont, à juste titre, extrêmement attentifs, je souhaiterais que nous allions plus loin, en formalisant ce modus videndi.
Concernant la politique commerciale, nous sommes favorables à la négociation d'accords commerciaux avec nos grands partenaires économiques, mais à la condition que l'Union européenne sache défendre ses intérêts dans la négociation et utilise ensuite, si nécessaire, ses instruments de défense commerciale. Les conclusions du Conseil européen peuvent-elles répondre à cette approche ?
Quid, ensuite, de l'extra-territorialité du droit américain, un sujet absent du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) et de l'accord économique entre l'Union européenne et le Canada (dit CETA) ?
De même, avez-vous évoqué l'accord sur les marchés publics négocié dans le cadre de l'OMC ? Notre collègue Michel Billout a déposé des propositions de résolution sur ce sujet. Le Sénat réaffirme régulièrement non seulement l'importance de ces négociations, mais aussi la fermeté dont doit faire preuve l'Europe.
Enfin, vous connaissez la position du Sénat sur les relations avec la Russie, pour le rétablissement de relations confiantes et solides aptes à relever les défis communs et installer un partenariat stratégique. Quels sont les enseignements à tirer du Conseil européen ? Le président Hollande aurait demandé à durcir davantage encore les sanctions économiques, contrairement à son homologue Matteo Renzi. Qu'en est-il ? Rien ne bouge, ni dans un sens ni dans l'autre. Le Sénat, quant à lui, souhaite plutôt que l'on s'oriente vers une levée des sanctions personnelles de façon à favoriser la sortie de ce conflit.
L'audition de la vice-présidente du Parlement ukrainien à laquelle a participé hier notre collègue Pascal Allizard, membre par ailleurs de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (l'OSCE), ne nous a pas rassurés : les Ukrainiens demandent du temps et ne semblent pas bouger dans le cadre des accords de Minsk.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Pour la France, il importe que ce Conseil poursuive la mise en oeuvre de la feuille de route de Bratislava : les conclusions correspondent aux priorités fixées, en particulier sur les enjeux de sécurité intérieure et le suivi des questions de migration, mais également sur des questions économiques prioritaires, dont l'extension du plan Juncker.
Le premier Conseil européen de Mme Theresa May lui a donné l'occasion de confirmer les déclarations qu'elle avait faites au Royaume-Uni : l'article 50 serait activé avant la fin du mois de mars 2017 ; les Vingt-Sept n'en n'ont pas débattu, s'en tenant à la ligne de conduite établie et sur laquelle il faut rester ferme, qu'il n'y aura pas de pré-négociations avant l'activation de cet article.
Cet article 50 est la seule façon de sortir de l'Union européenne et les quatre libertés du marché intérieur vont de pair : si un État membre souhaite conserver un accès au marché intérieur, il doit assurer la liberté de circulation des personnes. Or, eu égard au référendum, le gouvernement britannique ne semble pas vouloir assurer cette liberté. Dans ce cas, il ne peut y avoir maintien de l'accès au marché intérieur. Ensuite, toute participation à des politiques de l'Union européenne - certains États tiers, tels que la Norvège ou la Suisse, participent, par exemple, au programme Horizon 2020 - implique une contribution financière ; l'accès au marché européen implique aussi le respect d'un certain nombre de règles.
Une fois l'article 50 activé, un compte à rebours est déclenché, qui ne peut pas aller au-delà de deux ans : la date de mars 2017 implique que la sortie du Royaume-Uni sera réglée avant le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen en 2019, même s'il est possible qu'il faille plus de temps pour négocier les accords définitifs entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Il faut être clair, il y a un cadre : des délais sont prévus, qui permettent au Royaume-Uni de se préparer. Il y va de la cohésion et de la préservation des intérêts de l'Union européenne.
Cette discussion aura peut-être lieu en décembre si Mme May précise les éléments de négociation pour la sortie, sinon elle se déroulera quand la notification aura été transmise. Le Royaume-Uni indiquera alors s'il souhaite conserver des relations avec l'Union européenne, en maintenant le contrôle de l'immigration et sans liberté de circulation, par exemple.
J'en viens aux trois grands sujets qui ont occupé l'essentiel des débats.
Sur les questions de migration et de sécurité, les conclusions du Conseil européen nous conviennent en ce qu'elles reprennent le premier volet de la Déclaration de Bratislava et qu'elles mettent l'accent sur les deux principaux objectifs à ce stade : le contrôle de la frontière extérieure et la maîtrise des flux.
Le contrôle de la frontière extérieure a été modifié par la création du corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes, le 6 octobre, et la mise en oeuvre juridique du règlement : ce corps commence à être opérationnel à la frontière de la Bulgarie, c'est une avancée majeure, il faut maintenant lui faire atteindre sa pleine capacité d'ici la fin de l'année, celle d'une réserve de 1 500 personnels utilisable en permanence ; la contribution de la France s'élève à 170 personnels.
Le Conseil européen a également souhaité l'adoption de plusieurs législations importantes.
D'abord, la révision du code frontières Schengen, bloquée par le Parlement européen alors qu'il est devenu urgent d'instaurer un contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l'Union européenne. Il en va de la crédibilité de Schengen, et s'il n'y a pas de contrôles efficaces aux frontières extérieures, des contrôles aux frontières intérieures seront immanquablement rétablis ; nous devons également adopter une position sur le système d'entrées et de sorties, c'est un élément du paquet « Frontières intelligentes » qui complètera la révision du code frontières Schengen. Ensuite, nous attendons la proposition de la Commission européenne sur le Système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages, le système ETIAS, qui s'apparente à l'ESTA américain, qui identifie les voyageurs avant leur voyage, par pré-enregistrement électronique.
Concernant la maîtrise des flux, le principal enjeu concerne la poursuite de la mise en oeuvre de la Déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016. Les flux ont beaucoup diminué dans la Méditerranée orientale entre la Turquie et la Grèce : on est passé de 2 000-2 500 arrivées à moins de 80 par jour : de ce point de vue, le plan est efficace. Cependant, après la fermeture de la route des Balkans, la situation en Grèce reste difficile : quelque 60 000 personnes y sont bloquées, dont 14 000 dans les îles. Les procédures de traitement des demandes d'asile au terme desquelles les demandeurs déboutés peuvent être envoyés en Turquie, sont très lentes. Le système d'asile grec a besoin d'être renforcé, de même que le Bureau européen d'appui pour l'asile (EASO), qui traite les demandes des migrants ou des réfugiés arrivés avant l'accord. Si leur demande d'asile est recevable, ils doivent être relocalisés dans les autres pays de l'Union européenne ; dans le cas contraire, soit la Grèce décide de leur accorder un droit au séjour, soit ils relèvent d'une procédure de réadmission ou de retour dans leur pays d'origine. Il convient alors de mettre en oeuvre les accords avec l'Afghanistan et, éventuellement, des pays d'Afrique.
Le Conseil européen a insisté sur le fait que les États membres devaient respecter leurs engagements à l'égard de l'EASO et accélérer la relocalisation. La France arrive en tête pour les relocalisations, avec 1 756 Syriens, Irakiens et Érythréens relocalisés depuis le 1er janvier.
Sur la libéralisation du régime des visas, le Conseil européen a appelé au respect des engagements et des 72 critères, ainsi qu'à la révision du mécanisme de suspension en matière de visa comme préalable à toute décision. Lors du conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI), Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizière ont insisté sur la nécessité de réformer d'abord la clause de suspension, pour la rendre plus opérationnelle. La libéralisation pour les ressortissants turcs est conditionnée par le respect des 72 critères, nous demandons en particulier que la Turquie révise sa loi sur le terrorisme, qui ne correspond pas au droit européen.
Pour agir sur les causes mêmes des migrations, l'Europe a pris des décisions importantes, en renforçant le partenariat avec les pays d'origine ou de transit, notamment l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigeria. Il faut mobiliser très fortement toutes les politiques de l'Union européenne, en particulier les politiques de développement et de commerce, ainsi que la coopération en matière de sécurité pour aider ces pays à bien contrôler leurs frontières. Il faut travailler sur les migrations légales et la lutte contre les immigrations illégales, ainsi que sur les accords de réadmission, et mener une action en profondeur sur les causes des migrations dans les pays d'origine et dans les pays de transit.
Sur le volet financier, le lancement du plan d'investissement extérieur européen - une sorte de plan Juncker tourné vers l'extérieur, en Afrique comme sur le continent européen - a été décidé, même si les instruments juridiques n'en sont pas encore présentés. L'Europe doit investir beaucoup plus dans le développement du continent africain, confronté à une multitude de défis et de problèmes liés à la pauvreté, à la démographie, aux instabilités et aux guerres. Il faut encourager les investissements en Afrique, le continent est en croissance : investir dans les infrastructures, l'énergie, l'équipement des villes, la formation, c'est accompagner le développement des pays africains, tout en apportant une réponse à la question des migrations d'un continent dont la population va doubler au cours des prochaines années. La France, avec l'Italie et les pays d'Europe du Sud, plaide pour une telle politique.
L'actualité de l'accord Union européenne-Canada (CETA) a perturbé l'ordre du jour initial du Conseil, qui avait prévu de débattre de la politique commerciale et plus généralement des instruments de défense commerciale. Vingt-sept États membres ont donné leur accord pour signer le CETA. Après de longues années de négociation, nous sommes parvenus à un bon accord, qui reconnaît les indications géographiques, ouvre les marchés publics, donne des garanties sur les normes sociales et environnementales, la protection des services publics, et organise un règlement des différends public plutôt que secret. La France y est donc favorable, le Premier ministre l'a réaffirmé lors de son déplacement au Canada. Mais la signature de l'accord est suspendue à l'approbation de la Belgique, pour l'heure empêchée par l'opposition de parlements régionaux, notamment celui de la Wallonie. Ce matin, les Canadiens ont annoncé un report du sommet Union européenne-Canada, faute de réponse belge.
Sur le fond, la déclaration interprétative, discutée ces dernières semaines et qui aura la même valeur que le traité, devrait pouvoir répondre aux questions posées par le Parlement de Wallonie, de même qu'elle a déjà pris en compte des demandes d'autres États membres - motivées par exemple par une cour constitutionnelle ou un Parlement. Nous regrettons ce report, tout en espérant qu'un accord sera trouvé au plus tôt avec la Belgique, pour la signature du CETA.
Sur le traité transatlantique - le TTIP -, en revanche, les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré n'ont pas été trouvées. L'offre américaine est faible, elle n'ouvre pas les marchés publics subfédéraux et refuse de reconnaître les indications géographiques. Ensuite, nous demandons d'expliciter les conditions de non-réciprocité entre les entreprises américaines et européennes, car l'extraterritorialité de la loi américaine a entraîné des décisions scandaleuses. La situation de blocage doit être dépassée pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases, mais nous en sommes très loin - et ce n'est pas l'actuelle administration américaine qui peut relancer la négociation. Il faut profiter de ce nouveau calendrier pour poser les problèmes plus clairement.
La négociation sur le CETA démontre que le fond est plus important que le calendrier. Les accords de commerce doivent être négociés d'une façon plus transparente ; ils doivent être fondés sur la réciprocité, garantir le respect des normes environnementales et sociales, ne pas remettre en cause le droit des États à réguler pour être soutenus par les Parlements. De bons accords commerciaux sont possibles : en négociant avec des exigences fortes, l'Europe peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée. D'autres accords sont en cours de discussion, plus ou moins avancés, avec le Japon, le Vietnam ou d'autres pays de l'ASEAN, qui peuvent déboucher sur de bons partenariats. Ce fut le cas avec la Corée, après des discussions très longues et précises. C'est l'intérêt de l'Union européenne que d'être un grand acteur du commerce international ! Elle est un grand exportateur et le premier marché intérieur au monde : elle doit utiliser cette puissance commerciale pour bien défendre ses intérêts et promouvoir des règles, c'est la condition pour que les citoyens acceptent la mondialisation.
C'est sur cette toile de fond que le Conseil européen a débattu de la modernisation de la politique commerciale, en particulier des instruments de défense commerciale ; nous avons gardé à l'esprit la situation de la sidérurgie, les surcapacités de production en Chine, l'évolution possible du statut de la Chine et la nécessité de défendre des secteurs où des milliers d'emplois sont en jeu en Europe. Nous avons débattu de la règle du droit moindre (the lesser duty rule), dont nous ne disposons pas en Europe, contrairement à d'autres pays membres de l'OMC. Ainsi, au nom de l'anti-dumping, les États-Unis peuvent appliquer des droits de douane jusqu'à 200 %, contre 25 % pour l'Europe. Sans ouvrir sur des décisions, le débat a montré que la France et l'Allemagne souhaitent renforcer les instruments de défense commerciale ; il faut maintenant passer au stade législatif, avec l'objectif de parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année.
Quelles relations avec la Russie ? Au-delà de savoir si nous allons renouveler les sanctions sectorielles liées à la situation en Ukraine, les relations stratégiques avec la Russie figurent de longue date à l'ordre du jour du Conseil européen. Le Conseil des affaires étrangères avait défini cinq principes, que la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est chargée de mettre en oeuvre. Mais l'actualité, ici encore, en a changé les conditions ; le débat a porté sur la situation à Alep, sur la nécessité d'obtenir un arrêt des bombardements, sur le refus par la Russie de soutenir la résolution présentée par la France au Conseil de sécurité de l'ONU, sur les crimes commis contre les populations civiles et l'échec de toutes les négociations tentées les jours précédents. À la suite d'une réunion au format Normandie, le président de la République, la Chancelière allemande et le président Poutine s'étaient rencontrés la veille à Berlin.
Pour le Conseil européen, la priorité, c'est l'arrêt des bombardements, avec, le plus rapidement possible, l'accès du personnel humanitaire aux populations civiles. L'Europe dénonce évidemment les violations du droit international humanitaire - les coupables doivent rendre compte de leurs actes - et n'exclut aucune option en cas de poursuite des atrocités. Cette position concerne la Syrie, mais aussi ses soutiens. Il y a eu unanimité pour avoir cette attitude ferme. Pour répondre à votre question, on n'a pas parlé de sanctions à l'égard des personnes. On veut amener la Russie à prolonger la trêve alors en vigueur, qui ne l'est plus aujourd'hui, et à accepter que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ait accès de façon durable à la population civile, afin de créer les conditions d'un retour à la négociation politique. Cela est d'autant plus indispensable au moment où les opérations contre Daech à Mossoul et, prochainement, à Raqqa vont s'intensifier. La Russie doit cesser de soutenir les atrocités commises par le régime syrien et les bombardements contre les populations civiles auxquelles elle-même participe. L'urgence, c'est l'initiative humanitaire annoncée par la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, pour organiser les évacuations sanitaires.
Concernant le volet ukrainien, la Chancelière Merkel et le président Hollande ont rendu compte de la rencontre qui avait eu lieu la veille à Berlin en format Normandie avec le président Poutine et le président Porochenko. Les discussions ont été très dures parce que les relations entre ces deux pays sont aujourd'hui très difficiles. La décision qui a été prise et qui est soutenue par le Conseil européen, c'est de poursuivre le dialogue sous ce format, en mettant en oeuvre la feuille de route décidée au cours de cette réunion, qui découle des accords de Minsk, à savoir le cessez-le-feu, l'accès par les observateurs de l'OSCE aux zones de l'est du Donbass, l'adoption par l'Ukraine de la loi électorale, la réforme du statut de cette région et l'organisation dans des conditions de sécurité acceptables des élections dans l'est de l'Ukraine. C'est cette feuille de route que l'Union européenne demande à la Russie et à l'Ukraine de poursuivre.
Le débat sur les relations avec la Russie a eu lieu, mais il a été aussi marqué par les inquiétudes exprimées par plusieurs États membres sur les agissements de la Russie à l'égard de l'Europe directement. Ont notamment été évoqués le problème des survols aériens, les cyberattaques, les campagnes de désinformation, et les efforts de l'Union européenne pour les contrer. Il importait d'avoir un échange sur ce point et de montrer la détermination des Européens à avoir une attitude ferme et unie face à ces agissements.
Enfin, le Conseil européen a salué la ratification par l'Union européenne de l'accord de Paris issu de la COP 21. Dans le cadre de la COP 22, l'Union européenne va pouvoir participer dans quelques jours à Marrakech à la première réunion des parties de l'accord de Paris.
Tels sont les principaux éléments dont je souhaitais vous rendre compte. L'objectif, c'est la mise en oeuvre de la feuille de route établie à Bratislava ; d'autres éléments seront évoqués ultérieurement lors du Conseil européen de décembre, en particulier pour ce qui concerne l'Europe de la défense. Une réunion importante des ministres de la défense aura lieu au mois de novembre prochain sur la base, en grande partie, des propositions franco-allemandes, qui sont maintenant partagées par les Vingt-Sept et qui devront faire l'objet de décisions lors du Conseil européen.
M. André Reichardt. - Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour cette présentation très claire. Je poserai deux questions.
La première concerne la crise migratoire. Concrètement, que contient le code frontières Schengen révisé ? Quelles sont les obligations des pays concernés ?
Avec Philippe Bonnecarrère, nous rentrons d'Égypte, où l'on nous a parlé de la crise migratoire que nous ne connaissons quasiment pas, sauf au travers du naufrage au large de la ville de Rosette dont vous avez tous entendu parler par voie de presse. Ce sont notamment des personnes en provenance de Libye qui partent par les ports égyptiens, mais aussi et, surtout, des Égyptiens. La situation économique est devenue difficile dans ce pays, pour diverses raisons. Les autorités ont indiqué que les Égyptiens souhaitent de plus en plus quitter le pays pour des questions exclusivement économiques. Avez-vous connaissance du flux de ces migrations ? Quels soutiens notre pays peut-il apporter pour éviter cette situation ?
Le tourisme, culturel notamment, s'est littéralement effondré. Un seul chiffre : selon le ministre des Antiquités, le musée égyptien du Caire enregistrait avant la première révolution et l'accession au pouvoir du président Morsi 14 000 visiteurs par jour, contre 1 000 environ actuellement. Ce sont notamment les Français qui ne se rendent plus dans ce pays. Pourtant, hormis le nord du Sinaï, tous les endroits touristiques sont très sécurisés. Il faut donc prendre des initiatives soit publiques, soit privées pour faire revenir les touristes. L'ambassadeur de France nous a confié que les Égyptiens l'interrogeaient actuellement sur les risques de se rendre en France - ce n'est pas anecdotique ! Quelles actions pouvons-nous engager à l'égard de ce pays qui, avec 90 millions d'habitants, risque de devenir, si nous n'y prêtons pas garde, un pays d'émigration massive ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je confirme les propos de mon collègue : les Égyptiens sont très inquiets sur les conditions de sécurité en France.
Concernant la question de la surveillance des frontières, j'avais été très frappé de constater, après un échange avec la Direction de la police aux frontières lors d'une mission sur la biométrie, que le troisième niveau de sécurité des passeports biométriques européens n'était lisible que par le pays émetteur. La Commission européenne a tout prévu pour que chaque pays de l'espace Schengen ait accès aux fichiers, excepté ceux qui relèvent du troisième niveau de sécurité. Compte tenu des circonstances, ne vaudrait-il pas mieux élever le niveau de confiance et ouvrir l'accès de ces fichiers de niveau trois ?
La situation humanitaire créée par la crise des migrants est compliquée. Les migrants qui ne sont pas éligibles à la relocalisation doivent-ils obligatoirement passer par une demande d'asile en Grèce ? Ne faudrait-il pas plutôt rouvrir les possibilités de relocalisation ? Certains migrants bloqués à Calais ont été enregistrés à leur arrivée en Italie ou en Grèce. Ils doivent traverser un tunnel de six mois avant que leur demande soit traitée. Peut-être conviendrait-il de faire évoluer les accords de Dublin sur ce point ? Ne pourrait-on pas également prévoir de consacrer une part beaucoup plus importante du budget de l'Union européenne au financement des politiques d'asile des différents pays, ce qui aurait l'avantage de favoriser leur convergence ?
M. Richard Yung. - Je reviens de Chine. J'ai constaté qu'il y avait 40 % de demandes de visas touristiques en moins pour venir dans notre pays. Les Chinois craignent pour leur sécurité en France.
Le plan Juncker pour l'Afrique prévoit d'aider les pays de ce continent à se développer et à créer de la richesse et des emplois. Il s'agit d'une action en profondeur qui ne portera ses fruits que sur une longue durée. Dans la mesure où il intervient au niveau européen, le plan devrait être doté de moyens considérables. La force du premier plan Juncker avait été d'aider les entreprises à monter des projets et à investir, plutôt que de donner de l'argent aux États. L'aide publique a en effet une fâcheuse tendance à s'évaporer. C'est en créant une classe d'entrepreneurs capables d'amasser de l'argent que l'Afrique s'en sortira, à l'image de ce que le président Houphouët-Boigny avait réussi à mettre en place pour le café et le cacao.
Theresa May clame haut et fort à qui veut l'entendre que la Grande Bretagne entame les négociations commerciales de l'après-Brexit. C'est choquant. Les Britanniques ne sont pas encore sortis du système européen et ne sont pas membres de l'OMC. Ne faudrait-il pas réfréner les élans de Mme May ?
M. Pascal Allizard. - Chacun sait qu'il y a une interconnexion entre les trafics d'armes, de drogue et de migrants en Méditerranée. De quelles réponses judiciaires ou pénales disposons-nous pour condamner les auteurs de ces trafics ? L'Italie utilise son dispositif anti-mafia pour faire condamner les coupables. Y a-t-il une solution française ou européenne ? Enfin, quelles sont les avancées concrètes en matière d'aide au développement ?
Mme Patricia Schillinger. - Dans mon département, des gens arrivent via l'Italie en provenance d'Algérie, car ils subissent des pressions religieuses dans leur pays. Ils n'ont pas de papiers et les préfets les renvoient en Algérie, en alléguant qu'il n'y a pas d'état d'urgence en Algérie. Les enfants sont souvent scolarisés. Ne faudrait-il pas revoir les partenariats ?
Certains chefs d'entreprise se plaignent des accords passés avec le Maroc sur les visas. Il serait d'autant plus légitime de les revoir que les Français n'ont pas besoin de visa pour aller au Maroc.
M. Michel Billout. - Les négociations du CETA se sont déroulées dans une certaine opacité et nous avions dénoncé les conditions de la ratification du traité. Il n'est pas étonnant qu'un parlement national ait fait blocage. Je n'ai pas de boule de cristal et je ne sais pas ce qu'il adviendra de cet accord. Le calendrier placera sans doute les accords globaux commerciaux au coeur de campagnes électorales majeures en France et en Allemagne. Le dialogue s'est engagé avec le Parlement wallon dans des conditions désastreuses. On ne peut pas accorder plus ou moins de considération aux États qui constituent l'Union européenne selon leur importance numérique ou politique. La population de Wallonie soutient son parlement avec force. Pour lever le blocage, il faudrait reprendre la négociation en acceptant de retirer de l'accord les éléments qui posent problème et en y inscrivant les préoccupations de nos partenaires sur l'environnement et le développement durable.
Mme Gisèle Jourda. - Les accords commerciaux peuvent avoir des incidences sur nos départements et territoires d'outre-mer. Nous avons dû faire adopter une résolution pour infléchir l'accord que nous avions passé avec le Vietnam, car en nous engageant à importer 20 000 tonnes de sucre par an, nous plombions la filière réunionnaise. Un autre accord aux effets néfastes est en passe d'être signé, cette fois-ci sur la filière de la banane. La Commission européenne s'évertue à ne pas activer les mécanismes de stabilisation, alors qu'ils garantiraient une protection à nos territoires d'outre-mer. On ne peut pas se contenter de bonnes intentions ou d'un accord aux termes satisfaisants. Il faut également encadrer l'exercice de ces accords commerciaux, et pour cela, nous devons inciter la Commission européenne à faire preuve de la plus grande vigilance possible.
M. Georges Patient. - La Guyane est également une terre d'accueil, avec 10 000 demandes d'asile pour 250 000 habitants, soit autant qu'en Ile-de-France. Les migrants arrivent d'Afrique. On compte un certain nombre de Syriens qui passent par le Brésil pour entrer en Guyane avec comme objectif final de gagner la France métropolitaine. Nous avons délivré 20 000 cartes de séjour à des gens venus d'Haïti. On annonce encore l'arrivée de 25 000 Haïtiens à la suite du dernier cyclone. Le préfet a dû fermer les bureaux des demandes d'asile. Que comptez-vous faire ?
M. Claude Kern. - Quelles relations l'Union européenne entretient-elle avec la Hongrie ? Quel traitement ce pays réserve-t-il aux réfugiés qui arrivent sur son territoire ?
M. Harlem Désir, ministre. - L'article 8-2 du code des frontières de Schengen a été modifié, après les attentats de la fin 2015, à notre demande, pour imposer une obligation de contrôle approfondi à toutes les personnes qui franchiraient les frontières de l'espace Schengen, y compris les détenteurs d'un passeport européen. Il s'agissait de se prémunir contre le risque lié à la fraude documentaire, mais aussi contre des terroristes détenant un passeport européen. La seule alternative possible au rétablissement des frontières nationales, c'est de renforcer la protection de la frontière extérieure de l'Europe, en garantissant le contrôle de tous les documents et la possibilité d'interroger tous les fichiers pertinents. Les données biométriques sont en principe harmonisées, avec par exemple la base de données Eurodac sur la reconnaissance d'empreintes digitales pour les demandeurs d'asile. Toutes les données doivent pouvoir être utilisées, qu'elles concernent des citoyens européens ou des citoyens non européens qui auraient été identifiés dans le cadre de procédures intervenant sur le territoire européen. S'il n'existe pas de système de sécurité absolue, on peut travailler à éviter les failles. Il faut discuter avec le Parlement européen pour combiner protection des libertés et sécurité, ce qui implique que nous utilisions les données à bon escient.
Selon le témoignage des migrants, un certain nombre de bateaux partent d'Égypte vers Chypre ou vers la Grèce, ce qui indique une tentative d'ouvrir une route migratoire avec le risque qu'elle soit exploitée par des réseaux criminels. L'Agence des migrations, Frontex et le HCR s'accordent sur le fait que le trafic des migrants est devenu l'un des plus fructueux sur le plan économique, au même titre que le trafic d'armes ou de drogue. On recense déjà 3 800 morts au large de la Libye : un carnage pour l'appât du gain. Il faut éviter à tout prix qu'une nouvelle route s'ouvre au départ de l'Égypte. Lors de la préparation du Conseil européen, la question s'est posée de savoir s'il fallait développer un partenariat avec l'Égypte au sujet des migrations. La taille du pays et l'ampleur de la crise nécessite que l'on expertise le coût commercial et l'impact qu'aurait un tel partenariat. Rappelons que l'Égypte est aussi un point de passage entre le Soudan et l'Europe.
La Grèce est prête à accueillir les demandeurs d'asile qui ne bénéficient pas de la relocalisation, comme les yézidis. D'autres procédures sont possibles pour demander l'asile. La France a accueilli ainsi des chrétiens d'Irak et des yézidis. Le plus important reste de s'assurer que ces populations puissent continuer à vivre dans leur pays. Cela passe par la reconquête de Mossoul...
Les réfugiés qui ont été enregistrés dans les hotspots auraient dû y rester. Toute personne ramenée sur les côtes européennes est enregistrée. C'est dans les hotspots que l'on décide si les réfugiés relèvent ou non de l'asile. L'opération de Calais a été remarquablement menée. On ne pourra pas éviter les cas difficiles. Dans ce type de camp aussi, il y a une exploitation criminelle contre laquelle nous devons lutter.
Les fonds destinés à l'accompagnement des réfugiés en Europe ont été augmentés dans les budgets de l'Union européenne pour 2016 et 2017, et pas seulement à destination de la Grèce ou de l'Italie. S'il faut répondre à l'urgence, nous devons veiller à ne pas déstabiliser la politique de l'Union.
Le plan Juncker pour l'Afrique s'inscrit dans le long terme. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place les grands projets structurants des éléphants blancs. Il faut aussi créer de l'activité économique et orienter les investissements vers la transition énergétique et le développement durable.
D'un point de vue juridique, la Grande-Bretagne est toujours sous régime commercial de l'Union européenne. Il faudra que les Britanniques sortent et adhèrent à l'OMC, puis qu'ils renégocient les accords de libre-échange dont ils ne seront plus signataires, ceux avec la Corée par exemple. Ils souhaiteront sans doute négocier également de nouveaux accords, avec les États-Unis notamment. La Grande Bretagne a six négociations à mener : la sortie de l'Union, en application de l'article 50 ; les futurs arrangements avec l'Union européenne en matière économique ; l'adhésion à l'OMC ; les partenariats commerciaux avec tous les pays qui ont des accords bilatéraux de libre-échange avec l'Union européenne, en matière de coopération judiciaire ou policière, par exemple ; un accord intermédiaire avec l'Union européenne pour la période de transition. Rien n'est insurmontable. Il faudra cependant compter avec la baisse de la livre, le changement de statut, l'incertitude pour les investisseurs ou encore la complexité du jeu politique anglais. Autant dire que la période n'ira pas sans trouble. La Grande Bretagne reste un ami et un partenaire, avec lequel nous sommes liés par des accords très importants en matière de défense et de sécurité. Nous devons préserver cette cohésion.
Au cours de l'opération Sophia, nous avons pu constater que les trafiquants étaient rarement sur les bateaux. Beaucoup de migrants témoignent des traitements épouvantables qu'ils ont subis, surtout les femmes. De tels crimes pourraient relever de la cour de justice internationale. Quoi qu'il en soit, quand les pirates ou les trafiquants sont arrêtés, ils sont automatiquement traduits devant la justice.
Nous essayons de faciliter les échanges entre le Maroc et l'Europe, en développant notamment des voies d'immigration légales à destination des universitaires, des artistes, etc. La Méditerranée est notre mer commune. C'est un lieu d'échanges et pas seulement un cimetière ou une barrière.
Voilà longtemps que M. Billout nous met en garde contre l'opacité des négociations en coulisses. Pour relancer le CETA, il faut montrer que c'est un accord qui répond à l'intérêt général et qui offre des possibilités d'exportation intéressantes pour la France. Les points de désaccord doivent être discutés bien en amont de la signature du traité. Mieux vaut associer les États aux négociations. Une déclaration précisant que l'accord ne met pas en cause les normes sociales ou environnementales rassurerait le parlement wallon.
Certains accords commerciaux ont un impact sur les départements d'outre-mer. C'est un problème bien connu. Les accords avec le Vietnam ne sont pas sans conséquences pour la Réunion, la Martinique ou la Guadeloupe. Il faut trouver un équilibre pour préserver les productions de nos régions périphériques, en utilisant par exemple un système de quotas. Nous avons un gros problème avec les pays d'Amérique latine sur la production de bananes. Il faut veiller à préserver notre production, car ce sont des emplois qui sont en jeu dans les territoires d'outre-mer.
Bernard Cazeneuve s'est rendu récemment en Guyane. À chaque fois qu'Haïti est confronté à une crise, des habitants tentent de trouver refuge dans d'autres pays de la région. La priorité est d'aider à la reconstruction et à la stabilisation d'Haïti. Nous sommes tout à fait conscients des difficultés que connaît la Guyane, à cause de sa frontière avec le Brésil.
La Hongrie a établi des clôtures sur une grande partie de ses frontières. Ce n'est sans doute pas la meilleure manière de faire respecter les règles. La Serbie s'est montrée très digne en accueillant des centaines de milliers de réfugiés dans des conditions difficiles. Elle est prête à contribuer au contrôle de ses propres frontières. Il faut coopérer avec ces pays limitrophes et les aider à assurer le contrôle de leurs frontières, tout en gérant avec eux les enjeux sécuritaires. Nous leur demandons surtout d'enregistrer les migrants, de signaler les identités et de lutter contre les groupes criminels. La coopération, telle est la solution.
M. Jean Bizet, président. - Merci, Monsieur le ministre. MM. Raoul et Bonnecarrère seront mandatés sur la question des négociations commerciales internationales dont il faudra revoir le fonctionnement, car elles relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne. Mieux vaudrait que le débat ait lieu ex ante, au Parlement. Il en va de l'image de l'Union, continent qui doit rester ouvert tout en étant ferme sur ses valeurs, pour ne pas trébucher dans la dernière ligne droite.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes saisis d'une proposition de résolution européenne de nos collègues Michel Magras, Éric Doligé, Jacques Gillot, Gisèle Jourda et Catherine Procaccia sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale aux spécificités des régions ultrapériphériques. Cette proposition de résolution a été préparée dans le cadre de la Délégation à l'Outre-mer. Je vous propose de désigner Gisèle Jourda en qualité de rapporteure.
La commission désigne Mme Gisèle Jourda comme rapporteure.
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose de désigner Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul pour examiner les propositions de la Commission européenne sur les instruments de défense commerciale. Nos collègues Alain Vasselle et Patricia Schillinger pourraient se pencher sur la question délicate des perturbateurs endocriniens. Patricia Schillinger et Pascale Gruny travailleront sur l'étiquetage des produits dans le cadre de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Enfin, nous proposons qu'André Gattolin et Colette Mélot se chargent d'un avis motivé sur le groupement européen des régulateurs des communications électroniques.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10h40.