Jeudi 12 janvier 2017
- Présidence de M. Michel Magras, président -Normes en matière de construction, d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer - Audition en visioconférence avec la Martinique
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, je veux en premier lieu vous souhaiter, à toutes et à tous, une heureuse année et exprimer le voeu qu'elle soit bénéfique pour nos territoires ; nous allons nous y employer au plan législatif au cours des prochaines semaines, en faisant progresser l'égalité dans la différenciation.
Je dois également vous faire part d'un message de remerciement reçu le 20 décembre 2016 des défenseurs de nos filières agricoles à Bruxelles, m'informant qu'un accord politique entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil avait été trouvé sur le mécanisme de stabilisation dans le cadre de l'accord commercial avec l'Équateur. Réjouissons-nous que la résolution adoptée par le Sénat à notre initiative au mois de novembre, ainsi que nos travaux récurrents sur les accords commerciaux et notre rapport d'information sur les normes agricoles, commencent à porter leurs fruits !
J'en viens à notre réunion d'aujourd'hui ; nous poursuivons nos travaux sur les normes applicables au secteur du BTP outre-mer pour lesquels nous avons déjà entendu la FEDOM, la Fédération française du bâtiment, de même que les représentants de grandes entreprises qui interviennent outre-mer, Vinci, Bouygues et Colas, ou encore l'AFNOR qui accompagne la Nouvelle-Calédonie désireuse de se doter d'un corpus normatif propre en matière de construction.
Après ces auditions parisiennes, nous amorçons un cycle de visioconférences destinées à enquêter au plus près des réalités territoriales : nous avions ainsi échangé fin novembre avec les acteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous nous tournons aujourd'hui vers les Antilles. Je salue nos interlocuteurs martiniquais qui se prêtent à l'exercice de la visioconférence en leur présentant nos voeux très sincères.
M. Grégory Lefebvre, chef du service Bâtiment durable et aménagement à la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Martinique. - Je vous prie d'excuser l'absence du directeur de la DEAL, M. Patrick Bourven, retenu, et vous propose de laisser la parole aux entreprises et aux acteurs de terrain.
M. Alain Philias, directeur technique de la Société Martiniquaise d'HLM. - J'interviens devant vous non seulement au titre de la société martiniquaise d'HLM (SM HLM) mais comme représentant des autres bailleurs sociaux historiques que sont la société immobilière de Martinique (SIMAR) et la SA Ozanam. Didier Deris, qui suit comme contrôleur technique le logement social en Martinique depuis de nombreuses années, complètera mes propos.
Nos difficultés avec la réglementation concernent en premier lieu l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite (PMR). Compte tenu de la topographie de l'île, ces contraintes pèsent de façon non négligeable sur les coûts de revient de nos opérations. Les règles de sécurité-incendie constituent un autre sujet important, d'autant que des incohérences subsistent avec les normes de ventilation. Je peux citer la mise en place de portes coupe-feu dans des cages d'escalier ou des coursives à l'air libre. Enfin, la loi sur l'eau impose qu'au-delà du seuil de 21 équivalents-habitant, les stations d'épuration soient localisées à plus de 100 m des bâtiments. Il peut être très difficile ou très coûteux de respecter cette prescription alors que le foncier est rare et les terrains étroits.
S'agissant des matériaux de construction utilisés pour l'habitat, la part des importations est de l'ordre de 60 %, essentiellement depuis l'Europe. La totalité des produits pour les corps d'état secondaires est importée, avec des surcoûts non négligeables. Nous constatons que la classification des matériaux ne convient pas au climat tropical que nous connaissons. Par exemple, les portes ou les boîtes aux lettres classées comme utilisables à l'air salin en métropole ne conviennent pas ou ne tiennent pas sous nos latitudes.
M. Didier Deris, directeur du bureau de contrôle ANCO 972. - Le bureau de contrôle ANCO que je dirige intervient dans les trois départements d'outre-mer (DOM) de la Caraïbe, ainsi que dans l'Hexagone. Nous avons participé à toutes les évolutions réglementaires depuis 1981.
En préambule, je tiens à dire que la Martinique dispose de bureaux d'étude et d'architectes bien formés, si bien que la question n'est pas tant d'avoir moins de réglementation qu'une réglementation mieux adaptée. On ne constate pas vraiment de chantier achoppant essentiellement à cause de la réglementation. Les problèmes relevés sont plutôt de l'ordre de la tracasserie administrative, qui se constate par exemple dans la longueur des délais d'obtention des permis. Les questions de coût sont un autre facteur pénalisant. Toutefois, il est manifeste que certaines normes sont inadaptées. Je pense en particulier à la réglementation sur la sécurité-incendie qui prévoit l'obligation de désenfumer les cages d'escalier. La difficulté vient de ce que les cages d'escaliers de Martinique sont déjà largement ventilées sans qu'elles puissent pour autant être considérées comme situées à l'air libre au sens de la réglementation.
Il me semble que deux normes pourraient être utilement amendées pour réduire les coûts de construction. La réglementation parasismique en vigueur classe la Martinique en zone de risque 5 comme la Guadeloupe. Pourtant, les deux îles n'ont pas exactement le même profil car la Martinique présente des accélérations de sols plus faibles. En m'appuyant sur plusieurs études sérieuses et en tant que membre du conseil de l'Association française du génie parasismique (AFPS), je préconiserais de distinguer les deux cas et de ramener la Martinique en zone 4. Nous pourrions ainsi diminuer les ferraillages dans les structures et ainsi alléger les coûts. Par ailleurs, la réglementation PMR instaure un seuil à R+3 sans ascenseur. Pour limiter l'impact financier, tous les bâtiments sont construits en R+3. Une dérogation, ne serait-ce qu'à R+4, permettrait d'augmenter les capacités de logement à moindre coût.
Pour l'instant, la production locale de matériaux de construction se concentre sur le gros oeuvre, la menuiserie et la voirie et réseaux divers (VRD). Pratiquement, tout le second oeuvre est importé. L'intensité des échanges commerciaux entre les DOM est relativement faible. Le développement de la production locale se heurte au problème majeur de la certification. En l'absence d'un organisme de certification implanté en Martinique, il est nécessaire pour les entreprises d'envoyer des échantillons dans l'Hexagone pour les faire examiner par le CSTB, ce qui génère des délais et des coûts importants. Il me semble qu'il serait très pertinent de pouvoir faire certifier les matériaux aux normes européennes et françaises en Martinique. Cela constitue une vieille revendication des entreprises locales.
Notre appréciation du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) est plutôt mauvaise. La comparaison de la règlementation thermique de la Martinique (RTM), dont la préparation a été confiée par contrat au CSTB, et de la réglementation thermique, acoustique et aération spécifique aux DOM (RTAADOM), fruit consensuel d'une longue élaboration par les professionnels sous l'égide de la DEAL, la confirme encore. Trop rapidement entrée en vigueur, la RTM présente déjà des conséquences déplorables. Nous la jugeons sévèrement ; elle a été produite sans concertation et son contenu même en pâtit. La RTAADOM est fondée sur la volonté d'éviter la climatisation tout en garantissant le confort thermique, ce qui implique de jouer sur la ventilation. Elle donne aux maîtres d'oeuvre les solutions techniques pour parvenir à ce résultat. À l'opposé de cette démarche orientée sur le confort, la RTM est le type même d'une réglementation purement logicielle. Elle est basée sur des calculs du CSTB partant du principe d'une généralisation de la climatisation qui implique une isolation des logements, directement contraire au souci de ventilation. J'ajoute que le logiciel du CSTB a été payé fort cher - plus d'un million d'euros - et qu'il souffre de nombreux problèmes techniques, des « bugs » à répétition. Nous ne savons pas exactement ce que le logiciel contient, ni comment le modifier. Enfin, la RTM ne couvre que les logements, commerces, bureaux ou parties de bureaux, tout en retenant la conformité globale d'un établissement dès lors que ses parties soumises à la RTM sont déclarées conformes. Autrement dit, si un bâtiment globalement très mal isolé comprend un bureau conforme à la RTM, l'ensemble du bâtiment est considéré comme conforme. De plus, les autres types de bâtiments ne sont soumis à aucune réglementation thermique : nous ne disposons d'aucune base pour effectuer le calcul thermique d'un hôpital ou d'une école. Nous sommes dans le désert ! Il faut donc revoir et reprendre la RTM dans la concertation pour parvenir à un système normatif correct.
Concernant la sinistralité, les pathologies les plus marquées relèvent de défauts d'étanchéité. Pour les régler, on pourrait poser des doubles murs comme en métropole mais cela gonflerait les coûts de construction. Je n'hésite pas à dire que l'assurance est un véritable problème, pour ne pas dire un fléau, alors que la Martinique se voit frappée de surcoûts incompréhensibles et qu'elle présente plutôt moins de sinistres que l'Hexagone. Il n'y a aucune raison que les frais d'assurances ne soient pas les mêmes en tout point du territoire national. Les surcoûts en Martinique résultent d'une décision prise par les assureurs sans qu'on puisse la justifier.
La Martinique connaît les « Règles Antilles » réalisées par les professionnels sur plusieurs années pour l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Malheureusement, ces derniers sont constamment modifiés sans que leur évolution ait été suivie, si bien que les règles Antilles sont devenues obsolètes. Afin d'adapter les normes techniques au contexte local, il faut absolument créer une commission technique paritaire locale composée de professionnels et d'experts, en lien avec les DEAL. Je pense que sa compétence devrait être très large pour qu'elle puisse avoir autorité sur tout ce qui touche à la construction.
L'adaptation des normes doit être poursuivie. On travaille aujourd'hui beaucoup sur les séismes, ce qui est positif, mais pas assez sur les cyclones. Or, la réglementation paracyclonique a été modifiée et prévoit désormais l'application des eurocodes, dont la partie relative au vent n'est pas pertinente puisqu'elle est bâtie sur des scénarios éminemment européens. Par exemple, la force du vent est censée diminuer en s'éloignant de la mer. Appliquée en Martinique, cette règle aboutit à diminuer de 50 % les charges qui doivent être supportées par le bâtiment dans l'intérieur de l'île par rapport au bord de mer. Je considère que nous prenons là de gros risques alors que l'oeil d'un cyclone est plus grand que la Martinique, si bien que dans ce genre d'épisodes violents le scénario européen n'est plus pertinent. Le vent a la même force sur toute l'île, sans diminuer au-delà de 3 km du rivage. Les eurocodes sous- estiment la charge de vent qui doit être supportée sur l'ensemble de l'île pour résister à un cyclone. Des bâtiments calculés et bâtis de façon parfaitement conformes risquent donc d'être détruits ou emportés en cas de cyclone.
Les maîtres d'ouvrage expriment une demande forte de classification des bâtiments pour le vent comme c'est le cas pour les séismes car nous risquons d'être confrontés à des cyclones plus puissants que ceux sur lesquels s'appuient nos calculs, effectués sur la base d'une période de retour de 50 ans. Établies sur la base d'une période de 100, 200 ou 700 ans, les valeurs seraient bien supérieures. Un hôpital, par exemple, pourrait ainsi être certifié en prenant en compte des contraintes plus fortes qui lui permettraient de garantir la résistance à un cyclone comme le cyclone Hugo qui a frappé la Guadeloupe.
Les normes sont correctement respectées en Martinique. Nos bureaux d'étude sont bien équipés et nos ingénieurs formés et compétents. Ils savent gérer les calculs complexes. Ce n'est encore une fois pas de moins de normes mais de meilleures normes dont nous avons besoin.
De nombreux bâtiments sont situés en bord de mer, en zone dite « liquéfiable », ce qui impose la pose de pieux. Or, ces bâtiments ont souvent une faible largeur en façade, si bien que cette solution n'est tout simplement pas praticable. Nous souhaiterions qu'une réflexion soit menée pour trouver des solutions alternatives aux pieux pour des bâtiments de niveau 3 maximum, notamment sur la base d'un renforcement des sols.
La Martinique participe à de nombreuses réflexions sur les normes en matière de construction dans la Caraïbe. Nous sommes leaders dans ce domaine. En liaison avec l'université, notre territoire pourrait devenir un pôle de savoir-faire dans le domaine de la réglementation. Nous pourrions également disposer d'un organisme de certification, aussi bien pour les matériaux produits en Martinique que dans l'environnement régional. Ceci permettrait de diminuer les coûts d'achat de certains matériaux qui sont, à l'heure actuelle, forcément importés d'Europe et de diffuser notre savoir-faire dans la Caraïbe sur les questions parasismiques et paracycloniques.
M. Steve Patole, président du Syndicat des Entrepreneurs en Bâtiment, Travaux Publics et Annexes de Martinique (SEBTPAM). - Je suis porteur d'un message de la profession. Les professionnels souhaitent en priorité l'actualisation des règles Antilles, car ce corpus répondait largement à leurs préoccupations comme à vos interrogations.
En outre, ils revendiquent une révision des prix des marchés publics car les paramètres servant de base de calcul ne tiennent aucun compte de la réalité économique de notre territoire (niveau des salaires, octroi de mer, coût du transport maritime, etc.). Les paramètres et les formules de révision devraient être adaptés.
La problématique des surcoûts a déjà été évoquée. Les surcoûts liés aux assurances ne devraient pas exister, cela a été dit, car il n'y a pas plus de sinistres en Martinique que dans l'Hexagone.
Autre demande forte, les professionnels souhaiteraient disposer des paramètres qui leur permettraient de connaître les grandes données de la vie économique martiniquaise. Nous avons lutté pendant des années avant d'obtenir la création, récente, d'une cellule économique. Elle devrait permettre de répondre à certaines de vos interrogations, notamment en matière de sous-traitance, pratiquement obligatoire pour répondre aux marchés compte tenu de la structure de nos entreprises.
M. Stéphane Abramovici, représentant du Syndicat martiniquais des producteurs de granulats. - Il y a peu d'échanges de matériaux de construction entre la Martinique et le reste de la Caraïbe car nous sommes autosuffisants, voire même légèrement excédentaires pour certains produits. C'est le cas notamment du sable de la zone de Saint-Pierre, en partie exporté, car nous enregistrons des surcapacités. Nous importons peu de ciment car nous avons un acteur local important, Lafarge-Holcim, qui produit pour notre marché intérieur en respectant les normes NF. Compte tenu de la faible différence de prix, l'importation de produits de la zone Caraïbe n'aurait qu'un faible impact sur le coût de la construction en aval. De plus, cela engendrerait d'autres soucis en termes de responsabilité et d'emploi, liés à la délocalisation de la production locale.
En revanche, des améliorations pourraient être apportées à la qualité des ciments, relativement faible par rapport à celle de la métropole. Il serait intéressant de mener une réflexion sur ce point, une hausse en qualité permettant de diminuer les dosages et d'abaisser significativement les coûts.
En ce qui concerne les granulats, le schéma des carrières sera révisé cette année mais les nouvelles orientations n'ont pas encore été arrêtées. À mon sens, il faudrait protéger de la construction les gisements inscrits dans ce schéma. La principale difficulté pour l'exploitation des carrières vient du voisinage. Il conviendrait donc de définir et de prendre en compte dans les documents d'urbanisme des zones « carrières ». Sur cette base, une nouvelle approche de la délivrance des permis de construire autour des gisements identifiés devrait être adoptée, afin de protéger la ressource.
Il faudrait également privilégier les matériaux issus du recyclage, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est une donnée nouvelle qui permettrait une gestion économe des ressources naturelles disponibles. Pourtant, nous constatons que les prescripteurs dans les marchés publics ne sont pas forcément moteurs en la matière.
Enfin, le fléchage de la taxe générale des activités polluantes (TGAP) pourrait constituer un outil intéressant pour développer la production locale. Les maires nous interrogent souvent sur ce que leur rapportent les carrières, car ils ne tirent aucun profit de la TGAP dont le produit est reversé aux Douanes. Si les exploitants de carrières pouvaient flécher le versement d'une partie de la TGAP vers les communes sur lesquelles ils sont installés, directement impactées par les nuisances, cela permettrait de stimuler la production locale. Un dispositif semblable permet à EDF de flécher une partie de la TGAP Air vers les associations de mesure de la qualité de l'air.
M. Michel Magras, président. - Pour la qualité et la rigueur de notre rapport, pouvez-vous nous confirmer que la Martinique est autosuffisante pour la production du ciment ?
M. Stéphane Abramovici. - Aujourd'hui, les importations sont marginales. L'usine qui a été installée depuis quelques années est largement surdimensionnée par rapport à la consommation locale.
M. Michel Magras, président. - D'après les documents transmis par la DEAL, jusque dans les années 2000, il y avait encore des importations de pouzzolane du Venezuela.
M. Stéphane Abramovici. - La pouzzolane constitue la matière première du ciment. Elle est toujours importée, de Colombie, me semble-t-il.
La situation de la Martinique, qui a davantage de gisements et d'opérateurs, est différente de celle de la Guadeloupe qui a peu de carrières. Elle est autosuffisante alors que la Guadeloupe doit procéder à des importations en provenance de la Martinique, de la Dominique et de Montserrat.
M. Yann Honoré, vice-président, du Syndicat des Entrepreneurs en Bâtiment, Travaux Publics et Annexes de Martinique (SEBTPAM). - Je suis vice-président du syndicat martiniquais du bâtiment mais également entrepreneur. Nous avons la volonté de privilégier l'utilisation de nos propres ressources naturelles pour maintenir l'emploi local. Nous voulons donc limiter l'importation de matériaux.
Dans le cadre du schéma des carrières, il faut continuer à identifier et à protéger les sites « carriérables ». Pour cela il faut que tout ce qui touche aux règles d'urbanisme (SCOT, PLU,...) puisse favoriser la protection des ressources. C'est très important en contexte insulaire. Dans le même temps, les choses deviennent de plus en plus complexes en raison de la préoccupation environnementale qui prend une place croissante dans le développement économique. La Martinique est un territoire qui possède une très riche biodiversité, ce qui représente une satisfaction pour nous. Il faudrait que le recensement des espèces protégées soit achevé afin que nous puissions établir un dialogue local pour régler les questions de compensation des atteintes à la biodiversité, qui se posent à l'ouverture de certains établissements.
Pour prolonger les propos du président Patole, je vous indique que le syndicat du bâtiment et toute la profession travaillent depuis longtemps sur l'installation d'une cellule économique, qui intégrera aussi bien les maîtres d'ouvrage publics et privés que les entrepreneurs. Sa création nous aidera à mieux connaître la répartition entre les grands groupes, les PME et les artisans. Nous pourrons grâce à elle identifier l'attribution et la répartition des marchés. Encore une fois, la Martinique est un territoire insulaire et, de ce fait, nous avons besoin de chacun. Quelle que soit la taille des marchés, nous passons nécessairement par des sous-traitants. Plutôt que de nous livrer une concurrence intense, nous préférons faire travailler tout le monde, chacun dans sa spécialité.
M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Tout ce que vous nous avez expliqué avec une grande clarté est passionnant. J'ai bien noté le sujet de l'absence sur le territoire de capacités de certification qui vous coûte très cher puisque vous êtes obligés de recourir aux moyens métropolitains. De même, la problématique des règles Antilles vous amène à approuver la proposition de constituer une commission technique locale pour l'adaptation des DTU. Il serait intéressant de créer en Martinique un certain nombre de structures qui pourraient être utiles probablement à l'ensemble des Antilles, ce qui permettrait de faire des économies d'échelles. Avez-vous déjà approché les organismes compétents dans l'Hexagone pour travailler à leur création ? Quels obstacles identifiez-vous ?
M. Didier Deris. - J'ai personnellement eu l'occasion d'approcher le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), qui est tout à fait intéressé par la création d'une agence en Martinique. Il faut aussi considérer que le marquage CE des matériaux comporte 4 degrés en fonction de leur qualité. Il faut donc étudier comment sont certifiés les matériaux selon ces différentes exigences. Par exemple, le niveau 1 de certification concerne seulement la visite des entreprises par des certificateurs pour vérifier qu'elles mettent en place un système de qualité interne et qu'elles accomplissent un certain nombre de travaux, comme les essais requis. La mise en place d'un organisme de certification demande de ne pas se focaliser uniquement sur l'endroit où on fait des essais, et de tenir compte aussi des moyens de certifier les personnels qui pourraient accomplir les vérifications. La mise en place pourrait être progressive : dans un premier temps, les niveaux 1 et 2 du marquage CE, puis au-delà en fonction des investissements nécessaires.
M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Cela vous paraît donc tout à fait faisable. Dans ce cas, qu'est-ce qui en empêche la réalisation ? Quels sont les facteurs de blocage ?
M. Didier Deris. - Cette opération demande, malgré tout, le soutien des pouvoirs publics. Sans une décision de l'État, il serait difficile à un privé de bâtir son système de certification.
M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Il serait utile que vous puissiez nous adresser un document précisant exactement ce qu'il faudrait faire pour mettre sur pied les premières étapes d'une certification.
M. Didier Deris. - C'est d'accord.
Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Ce n'est pas parce que les matériaux sont certifiés qu'ils sont adaptés au climat car les normes servant de base à la certification ne sont pas toujours compatibles avec le climat que vous connaissez. Même si les matériaux que vous produisez sur place sont certifiés, ils ne répondront pas tout à fait à vos particularités, si la certification répond aux normes européennes. Vous disiez que vous produisiez le ciment en important la matière première, non pas de l'Europe, mais du Venezuela. Est-ce que cela vous revient moins cher ? Y a-t-il d'autres matériaux adaptés à votre climat que vous pourriez extraire ou produire localement, sans être obligés de passer par l'Hexagone ?
M. Didier Deris. - Il faut savoir que nous disposons, pour la certification des matériaux, d'un système normatif « Eurocodes - règles Antilles » qui intègre des spécifications propres aux Antilles. Nous savons donc aux Antilles quelles sont les spécifications que nous souhaitons retenir dans la certification. Il n'y a pas de problème de ce côté-là. En revanche, lorsque les matériaux viennent de métropole, nous rencontrons souvent de nombreuses difficultés pour obtenir les certifications qui correspondent aux exigences de la Martinique. Par exemple, il y a beaucoup de matériaux sous avis technique, mais régulièrement les avis techniques n'incluent pas la zone des Antilles. C'est complètement inadmissible, car les avis techniques devraient concerner l'intégralité du territoire national. Bien souvent, pourtant, les avis techniques portent la mention « avis technique France européenne ». Dans ce cas, l'avis technique ne s'applique pas à la Martinique. Aujourd'hui, nous utilisons beaucoup de matériaux dont nous n'avons pas l'avis technique pour les Antilles tout simplement parce que ces avis techniques sont cantonnés à l'Hexagone. C'est pourquoi la commission technique dont on a parlé tout à l'heure est fondamentale.
M. Stéphane Abramovici. - Pour les matières premières liées à la fabrication du ciment, nous recourrons à un approvisionnement régional, au sens large, depuis la Grande Caraïbe élargie à l'Amérique centrale. Il incluait historiquement le Venezuela qui s'est retiré du marché, ce qui nous a amené à nous tourner vers la Colombie et le Mexique. Cela répond déjà à une logique de coût, mais nos difficultés d'approvisionnement se situent plus au niveau logistique. Les tirants d'eau dans les infrastructures portuaires ne permettent pas d'utiliser les plus gros bateaux existants qui sont souvent obligés de décharger une partie de leur cargaison en Guadeloupe avant de venir en Martinique, ou inversement, pour pouvoir entrer dans les ports. Par conséquent, les coûts de la matière première pour la production de ciment ne sont pas optimisés, mais l'approvisionnement se fait déjà depuis l'environnement régional élargi et coûte beaucoup moins cher que depuis la métropole.
Mme Karine Claireaux, rapporteur. - J'aurais une question sur les matériaux à réutiliser pour les constructions dans le cadre de la gestion des déchets. La Martinique a-t-elle mis en place une politique qui obligerait les entreprises à réutiliser des matériaux - un certain pourcentage en tout cas - dans les appels d'offres de travaux ? Cela pourrait concerner des granulats ou des déchets de chantier transformés. Nous l'avons fait à Saint-Pierre-et-Miquelon et cela s'est plutôt bien déroulé.
M. Stéphane Abramovici. - C'est un problème que je connais bien. Dans le cadre du plan départemental des déchets, nous avons bien avancé sur la mise en place des infrastructures et le taux de recyclage. C'est l'utilisation qui pêche. À rapport qualité/prix égal entre des matériaux issus de carrière et des matériaux recyclés, l'entrepreneur est maître du choix, sans que rien ne lui soit imposé. Certaines entreprises vertueuses vont privilégier ces matériaux-là - cela ne leur coûte pas plus cher - et d'autres vont privilégier des intérêts stratégiques ou des considérations diverses. Aucune obligation ne vient des donneurs d'ordre et c'est sur cela qu'il va falloir travailler.
Les filières sont en train de se développer mais rencontrent des problèmes purement industriels de taille de marché. Si les matériaux produits n'ont pas de débouché suffisant, les filières auront des difficultés de fonctionnement et ne seront pas pérennes. Pour vous donner un ordre d'idée, le marché des granulats en Martinique porte sur 2 millions de tonnes et pour les matériaux recyclés, 50 000 tonnes. C'est epsilonesque et pourtant, même pour des quantités aussi réduites, il faut se battre pour les commercialiser.
M. Serge Larcher. - En matière de normes de construction, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés qu'en matière agricole. Nous nous efforçons de faire comprendre que la Martinique est située en zone tropicale humide et que, par conséquent, les fiches techniques que nous devons respecter ne correspondent pas à la réalité des conditions d'exercice de la profession. Nous avons besoin de normes adaptées à notre situation.
Les coûts de construction des logements sociaux sont élevés car le foncier est cher et car les normes sont inadaptées à la Martinique. Vous avez mentionné des exemples précis : les contraintes d'accessibilité, la sécurité-incendie, la localisation des stations d'épuration, l'obligation d'envoyer dans l'Hexagone des échantillons faute de pouvoir certifier les produits sur place.
Vous avez évoqué également la réglementation paracyclonique. Force est de constater que nos bâtiments résistent bien et que nous n'avons pas à déplorer de sinistres, alors que nous observons ailleurs dans la Caraïbe les dégâts catastrophiques causés par les cyclones, ce qui veut dire que la construction se fait bien en Martinique.
Quand nous parlons d'intégration dans la zone géographique, nous voulons qu'on prenne en compte notre environnement, qu'on cherche les réponses, non pas à Bruxelles, mais dans des pays comme le Brésil, qui sont confrontés aux mêmes problématiques que les nôtres et qui ont trouvé des solutions, et qu'on les applique. Nous ne devons pas rester enfermés dans le carcan du corpus normatif de l'Europe continentale.
M. Didier Deris. - Il faut bien comprendre que la réglementation paracyclonique a été modifiée. Les eurocodes actuels conduisent à diminuer les valeurs applicables dans certains cas, si bien que nous risquons de rencontrer des problèmes de résistance des bâtiments dans l'avenir.
La Martinique et la Guadeloupe sont à la pointe de la maîtrise technique et de la réglementation de la construction dans la Caraïbe. Nous expliquons aux Brésiliens comment faire et non l'inverse ! Un grand nombre d'États proches de nous comme La Barbade, Haïti ou Sainte-Lucie souhaitent reprendre les règles Antilles, qui ont d'ailleurs été traduites en anglais et en espagnol. Le problème est que ces règles sont devenues obsolètes : certaines renvoient par exemple à des dispositions anciennes de DTU qu'elles veulent amender mais qui n'existent plus dans les versions les plus récentes de ces documents en constante refonte. Il faut faire évoluer les règles Antilles et les mettre à jour.
M. Serge Larcher. - Mon propos avait une portée générale. Nous sommes contraints de respecter des normes européennes inadaptées dans bien des secteurs et nos demandes de dérogation ne visent qu'à prolonger des usages solidement ancrés dans des savoir-faire locaux éprouvés.
M. Jacques Cornano. - Pourriez-vous nous préciser si pour modifier le zonage sismique de la Martinique et le ramener à la catégorie 4 il faut modifier l'arrêté de classement de 2010, revu en 2011 ?
M. Didier Deris. - C'est tout à fait cela.
M. Michel Magras, président. - Vous évoquiez l'obsolescence des règles Antilles adaptant les DTU aux conditions réelles de construction dans la Caraïbe. Ne serait-il pas opportun de compiler un recueil global de toutes les normes opposables au secteur de la construction dans nos collectivités ? Les professionnels disposeraient à tout moment de l'intégralité de la réglementation en vigueur qui s'impose à eux.
M. Didier Deris. - Il convient de garder à l'esprit des distinctions essentielles qui sont masquées par l'emploi de la notion très générale de normes. Il faut au moins distinguer les calculs, les DTU et les certifications.
Les eurocodes sont des codes de calcul. Il n'y a pas de raison de ne pas adopter outre-mer la même méthode de calcul des caractéristiques des bâtiments que dans l'Hexagone. En revanche, si la formule reste la même, ce sont les coefficients permettant d'en tirer des valeurs qui doivent être différenciés et adaptés selon les territoires.
Les DTU ont pour fonction d'expliquer aux constructeurs comment mettre en oeuvre un produit ou un procédé. Nous rencontrons clairement le besoin d'une adéquation de ces règles de mise en oeuvre au contexte local. Deux démarches différentes peuvent être adoptées : faut-il continuer à adapter les DTU généraux par des amendements sur le modèle des règles Antilles ou bien faut-il produire à part un autre corpus entier de documents techniques propres aux Antilles ? La deuxième solution paraît très lourde et coûteuse.
Bien souvent, les DTU retiennent l'emploi de matériaux bénéficiant du marquage CE. Cela pénalise la production locale, de même que les achats dans l'environnement régional, au bénéfice des importations depuis l'Europe, car les matériaux locaux devront être certifiés par des essais validés par le CSTB. Pour abaisser les coûts et les délais de la certification et stimuler la production locale et l'approvisionnement régional, il paraît essentiel de créer un organisme certificateur en Martinique qui mènera sur place les tests garantissant la conformité aux normes européennes et françaises.
M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Vous avez qualifié les assurances de fléau. Pourriez-vous nous apporter quelques éléments plus précis ? Quel est le poids des polices d'assurance dans les surcoûts que subissent les entreprises du BTP implantées en Martinique ? Comment expliquer les surprimes ?
M. Didier Deris. - Les assureurs ont décidé que la Martinique était un endroit dangereux en raison des aléas naturels auxquels elle est exposée. Cette politique des compagnies d'assurance ne se traduit pas uniquement dans les surcoûts : le fait majeur est que beaucoup d'entreprises ont du mal à trouver un assureur. En termes de sinistres courants au mètre-carré, pourtant, la Martinique est dans une meilleure position que l'Hexagone. La vraie crainte des assureurs est de devoir assumer les dégâts d'une catastrophe naturelle, cyclone ou séisme, alors même que le dernier cyclone qui a frappé la Martinique a causé moins de dégâts que la dernière tempête qui a frappé le Sud-Ouest ou le dernier séisme dans les Alpes. La raison en est tout simplement que les règles de prévention des aléas naturels sont déjà pleinement intégrées dans les constructions martiniquaises. C'est d'ailleurs pour cela que la diminution des charges prévue par l'eurocode 1.4 sur le vent me semble préjudiciable à terme.
M. Michel Magras, président. - Nous vous remercions de ces échanges denses qui font grandement progresser notre compréhension des contraintes supportées par les entreprises martiniquaises.
Normes en matière de construction, d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer - Audition en visioconférence avec la Guyane
M. Michel Magras, président. - Nous poursuivons nos travaux sur les normes applicables au secteur du BTP outre-mer. Nous venons d'entendre les représentants de la Martinique. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre sollicitation en témoignant aujourd'hui par visioconférence depuis la Guyane.
M. Frédéric Pujol, président de l'ordre des architectes de Guyane. - L'Ordre des architectes de Guyane a essentiellement travaillé sur la révision de la réglementation thermique, acoustique et aération spécifique aux DOM (RTAADOM) et la certification des matériaux locaux pour évaluer l'impact des réglementations au regard des enjeux que représente le développement des filières locales pour notre territoire.
L'impact de la révision de la RTAADOM est relativement minime par rapport aux opérations qui respectaient déjà de bonnes pratiques. Nous avions essayé d'élaborer, il y a quelques années, une sorte de bâtiment-type pour évaluer l'impact économique des règlementations. Nous avons réitéré l'exercice avec la RTAADOM. Pour tout ce qui est climatique, lié à l'ambiance thermique, nous avons évalué le surcoût à 2 ou 3 % selon le type de construction, ce qui est faible par rapport aux bonnes pratiques qui avaient été initiées précédemment. S'ajoute à cela le volet acoustique de la RTAADOM qui, au travers des épaisseurs des structures demandées, majore le coût de 4 ou 5 % par rapport aux habitudes constructives habituelles pour le logement social.
Il serait en revanche intéressant de faire évoluer, dans le logement social, le niveau des surfaces finançables pour les terrasses car la limitation des espaces extérieurs n'est pas en corrélation avec les modes de vie. Ils sont moins coûteux que les espaces intérieurs et il y a là une grosse économie potentielle à réaliser dans la conception même du logement social. C'est un combat que nous menons depuis des années.
Nous pensons qu'il est essentiel de développer les filières locales bois et terre pour la production des matériaux, afin d'apporter des réponses innovantes qui permettraient de réduire le poids des bâtiments et le coût des fondations qui grève aujourd'hui les opérations en raison de la mauvaise qualité des sols.
Je souhaite également évoquer les normes électriques, à notre avis inadaptées sur le territoire guyanais. Je pense à la nouvelle norme NFC 15-100 qui fixe les règles des installations électriques des locaux d'habitation et ne correspond pas au niveau d'équipement sur le territoire. Il y a là également une réelle économie à réaliser.
Je reviens sur le volet acoustique. Les études du CSTB en 2000 avaient montré que la tolérance au bruit entre logements dans les outre-mer est supérieure à ce qu'elle est dans l'Hexagone, notamment car on y a plus l'habitude d'être soumis au bruit de l'extérieur. Les dispositions de la RTAADOM ne correspondent pas actuellement à la réalité du mode de vie. Les modifier permettrait de diminuer un peu les coûts.
Vous nous avez interrogés sur les possibilités d'expérimentation offertes par l'article 88 de la loi du 7 juillet 2016 sur la liberté de création, l'architecture et le patrimoine. Elles ont heureusement été étendues au logement social. La capacité d'innover au niveau des bâtiments publics est essentielle sur le territoire guyanais. Nous sommes en phase d'enquête pour déterminer les points les plus pertinents sur lesquels nous pourrions proposer aux différentes collectivités de s'emparer des possibilités offertes par cette nouvelle disposition législative.
M. Dominique Paganel, chef d'unité en charge de l'accessibilité. - En termes d'accessibilité PMR, la DEAL a fait remonter maintes fois à la DHUP les problèmes que nous rencontrons pour des équipements et des logements situés sur le fleuve. Nous y avons intérêt à construire en bois ; à défaut, il faut surélever le logement par rapport au sol, ce qui impose alors de réaliser des rampes qui peuvent représenter 20 % du prix de la construction. Il faudrait une dérogation pour les communes qui ne sont pas sur le littoral. Ce type de dérogations existe déjà dans certains départements de montagne.
M. Denis Girou, directeur de la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). - Le cas de l'intérieur de la Guyane, avec des zones qui ne sont pas accessibles par la route mais uniquement par le fleuve, devra être pris en compte avec des adaptations, que ce soit pour les normes pour les personnes handicapés, les normes électriques, etc. Je suis tout à fait d'accord avec M. Pujol sur la prise en compte des espaces de vie extérieurs ; elle est fondamentale si nous voulons travailler intelligemment. Sur l'intérieur de la Guyane, on peut essayer d'étirer la réglementation au maximum avec bienveillance, mais nous sommes dans un contexte économique, écologique et social tellement différent qu'il faudra effectuer un travail complet sur tous les aspects du logement social - mais pas uniquement - pour parvenir à une meilleure adéquation aux modes de vie et aux besoins des personnes, sans que ce soit considéré comme du sous-équipement ou du sous-logement.
M. Michel Magras, président. - Disposez-vous déjà d'un recueil avec les règles particulières que vous proposez ou est-ce seulement ce que vous souhaitez et tout reste à faire ?
M. Denis Girou. - Beaucoup reste à faire sur l'aspect particulier de l'accessibilité. Des propositions écrites ont été remises à notre administration. Elles ne concernent pas uniquement le logement, mais également le traitement des déchets dans l'intérieur de la Guyane qui reste un souci à part entière. Nos propositions pourraient parfaitement être formalisées, en aval de cette réunion par exemple.
Nous avons aujourd'hui de magnifiques bâtiments publics dans des villages au-dessus de Maripasoula, avec de belles rampes pour les personnes handicapées qui atterrissent au milieu d'une savane totalement inaccessible pendant la saison des pluies ou qui débouchent sur le fleuve, mais le bâtiment est aux normes !
M. Francis Gallesio, représentant du bureau d'études de maîtrise d'oeuvre et d'infrastructures Secotem. - Je voudrais évoquer l'aménagement des terrains, préalable indispensable pour pouvoir construire des logements. Nous avons un problème, en Guyane, avec les lois environnementales. Il n'y a pas, comme en métropole, de recensement précis des espèces endémiques. Par exemple, à la suite d'études, nous avons découvert des espèces endémiques sur un terrain, ce qui nous a contraints à stopper un gros aménagement de 600 ou 800 logements sociaux. Vous nous avez interrogés sur la possibilité de créer une commission technique chargée d'adapter les normes au contexte local. Il faudrait effectivement se mettre autour d'une table pour discuter de la façon dont on pourrait accélérer les processus prévus par les lois environnementales qui peuvent bloquer des aménagements de terrain et empêchent de ce fait les constructions alors que notre démographie est très dynamique.
M. Denis Girou. - Une voie de progrès serait de disposer d'inventaires officiels plus systématiques et plus complets sur les zones à aménager, non pas pour contourner la réglementation, mais pour diminuer le pourcentage de surprises ; même si découvrir une espèce rare peut être une bonne surprise pour la biodiversité. Dans l'intérêt de la réussite d'un projet, il est préférable de bien connaître le terrain sur lequel il sera réalisé. Identifier le patrimoine naturel dans les zones à aménager serait certainement de nature à faire gagner du temps lors de la mise en oeuvre des procédures d'aménagement.
M. Francis Gallesio. - Afin d'anticiper ces problèmes, les autorités municipales, dès le zonage des zones constructibles, pourraient effectuer des études d'impact et recenser également à ce moment-là les espèces endémiques. Ainsi, lors du lancement des projets, cela ferait gagner du temps. Ceci est à examiner avec les mairies et la DEAL.
M. Sylvain Druot, président-directeur général de la société Agir. - Nous nous occupons de la VRD (voirie et réseaux divers), c'est-à-dire de l'équipement extérieur au bâtiment. Nous sommes très impactés par les normes PMR et les coûts des matériaux locaux beaucoup plus élevés. En outre, face aux maîtres d'ouvrages, la difficulté est de répondre aux appels d'offre dans des budgets serrés tout en respectant les normes PMR, que ce soit dans les communes intérieures ou littorales.
M. Rani Antoun, directeur de Eiffage Travaux Publics Guyane. - Eiffage est spécialisée dans les travaux de VRD, de terrassements et d'infrastructures. Le coût des matériaux renvoie à plusieurs sujets connexes. Voici un exemple qui relève de nos installations industrielles. Le marché guyanais est étroit en termes de volume de matériaux. Nous avons 4 postes d'enrobés dont 3 fonctionnels pour fabriquer des matériaux de chaussée et le marché tourne autour de 50 à 60 000 tonnes annuels. Or, aujourd'hui, ce même tonnage est réalisé par un seul poste en métropole en quelques mois. Nous sommes face à un problème d'échelle qui pèse sur nos coûts de construction. Cela s'applique aux carrières, et sans doute au ciment.
Vous avez évoqué la question du rachat de Ciment Guyanais par Argos, une entreprise colombienne. Nous sommes un de leurs clients et nous développons des produits en partenariat. Nous avons constaté après ce rachat un changement d'attitude : ils ont fait des investissements, dont des silos supplémentaires que nous réclamions pour stocker des matériaux de manière à en disposer de manière permanente. Lafarge Holcim avait laissé ces questions en suspens car le groupe ne voulait pas investir. Aujourd'hui, le niveau de prix n'a pas augmenté mais Argos a une souplesse commerciale plus importante. Je ne sais pas si ce rachat sera bénéfique à la Guyane sur le long terme mais, actuellement, cela semble plutôt favorable.
Il y a aussi les difficultés qui se posent lorsqu'on se trouve sur des sites isolés et qu'on veut respecter toutes les contraintes réglementaires. Par exemple, quand le chantier est situé à Maripasoula et qu'un véhicule doit passer un contrôle technique, qui coûte 200 euros, il faut aller à Saint-Laurent-du-Maroni, à une journée de pirogue. Cela signifie un aller-retour en pirogue, soit un coût de 5 000 euros, sans compter le temps d'immobilisation, le risque que le matériel tombe à l'eau, etc. Les petits artisans et les PME ne respectent pas bien évidemment ces obligations mais, en tant qu'entreprise nationale, nous nous imposons de nous conformer à toutes ces réglementations, même si elles induisent des coûts substantiels qui sont indirectement répercutés sur le prix des constructions sur les sites isolés. C'est un exemple qui illustre nos difficultés à optimiser le coût des constructions tout en respectant la réglementation.
Permettez-moi une dernière réflexion sur le coût des importations. Aujourd'hui, le ciment est fabriqué localement mais les matières premières sont importées. Les agrégats sont fabriqués intégralement en Guyane. Pour les matériaux de bâtiment, je ne suis pas bien placé pour me prononcer mais, hormis le bois en partie produit localement, tout le reste me semble importé.
Pour les chantiers routiers, nous sommes confrontés à l'obligation de marquage NF, notamment sur les buses en béton que nous utilisons pour les ouvrages hydrauliques sur les routes. Nous devons importer par bateau toutes les buses - du béton volumineux et lourd - pour pouvoir réaliser ces ouvrages, avec toutes les taxes qui s'ajoutent. Le prix par rapport à celui en vigueur en métropole est multiplié par 5 ou 6. Le marché local n'avait pas, jusqu'à récemment, assez de volume pour se lancer dans une certification locale. Cependant les choses évoluent et un fabricant local doit bientôt faire aboutir sa démarche de certification NF, ce qui pourrait nous soulager. Cela illustre combien le respect des normes NF a une incidence majeure sur le coût de la construction.
Si vous proposiez la création d'une instance locale paritaire pour juger de la pertinence des adaptations au contexte local, je considérerais qu'il s'agit une très bonne proposition.
M. Frédéric Pujol. - Pour compléter sur la certification, je voudrais apporter l'éclairage de l'interprofession du bois de Guyane, qui finalise en ce moment la Maison des forêts et bois de Guyane. Cet organisme va évoluer pour devenir un centre technique des bois et forêts de Guyane chargé de certifier et de caractériser les bois guyanais. Le laboratoire sera a priori pertinent pour certifier d'autres matériaux comme l'intertwist, matériau que nous étudions depuis longtemps avec l'ADEME.
Je pense que la mise en place de commissions et d'ateliers de certification locaux serait extrêmement importante pour qu'un contrôle fiable puisse se développer. Gît dans les filières de production locales un potentiel de plus-value énorme à la fois en termes de compétences en main-d'oeuvre, en ingénierie et en circuits courts dans une optique de développement durable. Nous sommes très attachés au développement de ce type de commissions.
Cela rejoint la question du CSTB. Il a une pertinence pour l'élaboration des normes mais n'est pas toujours en prise avec les réalités des modes constructifs en outre-mer, si bien que l'association de centres techniques locaux avec les compétences et les moyens du CSTB devrait être une bonne chose.
M. Francis Tinco, représentant de la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics de Guyane (FRBTPG). - Le sujet de préoccupation de la fédération porte plutôt sur le financement des surcoûts dus à la RTAADOM. Peu importe les pourcentages que l'on accole à ces surcoûts, que ce soit 8, 9 ou 12 %. Je signale que la cellule économique du bâtiment a réalisé également une étude sur ce point. Ces surcoûts posent la question de l'organisation des appels d'offre. La fédération accompagne de façon très ferme la démarche des sociétés locales d'HLM qui font face à un problème récurrent contre lequel des réclamations ont été déposées depuis longtemps. En effet, dans tous les DOM, pour une opération de logements locatifs sociaux, le taux maximal de subventions au titre de la ligne budgétaire unique (LBU) est le même, 27 % de la dépense subventionnable, calculé de manière identique dans chaque département, ce qui laisse penser que le coût de la construction est identique dans tous les DOM.
Les conditions des prêts locatifs à usage social (PLUS) octroyés par la Caisse des dépôts et consignations pour compléter le financement de la LBU, et éventuellement le bénéfice de la défiscalisation sont les mêmes dans tous les DOM avec une durée d'amortissement de 40 ans et un taux du livret A à 0,60 %. Pour un projet identique, les annuités de remboursement d'emprunt, donc les charges, sont également les mêmes pour les bailleurs sociaux des cinq DOM. Pour couvrir ces charges d'emprunt, la seule ressource des bailleurs est la perception des loyers. Or, les loyers maximaux sont différents dans chaque DOM (Réunion et Mayotte 6,87 €/m², Antilles 6,63 €/m² et Guyane 6,46 €/m²). On considère aux côtés des sociétés locales d'HLM qu'il n'est pas concevable que les loyers maximaux soient différents d'un DOM à l'autre et nous demandons par cohérence l'uniformisation des loyers maximaux dans les cinq DOM. À titre d'information, le quittancement de la SIMKO en Guyane est de l'ordre de 35 000 euros par an. L'uniformisation des loyers induirait une revalorisation du quittancement de 2,2 millions d'euros par an qui seraient obligatoirement réinjectés dans l'économie des programmes sociaux en cours. Cela amènerait plus de souplesse dans les opérations pour absorber les surcoûts dus à la RTAADOM. Dans la mesure où nous sommes dans la situation la plus défavorable, nous souhaitons évidemment une uniformisation par le haut pour rejoindre La Réunion et Mayotte qui sont en pole position à 6,87 €/m² alors que la Guyane est en dernière position à 6,47 €/m².
M. Didier Magnan, représentant de la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics de Guyane (FRBTPG). - Nous rencontrons un gros problème, dont la résolution pourrait générer des économies importantes sur les programmes des logements sociaux : l'obligation d'installer des chauffe-eau solaires, qui représente un coût encore jamais intégré dans les budgets alloués au logement social. Elle rend très souvent infructueux les appels d'offre. En Guyane, le chauffe-eau solaire sert concrètement à réchauffer de 4°C l'eau fournie au robinet. Pour parvenir aux mêmes résultats qu'avec un ballon d'eau chaude électrique de 50 litres, nous devons poser un ballon de 200 litres. De plus, pendant quatre mois et demi de la saison des pluies, nous sommes obligés de pallier le défaut d'ensoleillement par une résistance pour parvenir à maintenir les 4°C d'écart. Nous avons réalisé un test qui nous permet de conclure que 58 ans environ sont nécessaires à l'amortissement d'un chauffe-eau solaire...
M. Frédéric Poujol. - Avec appoint !
M. Didier Magnan. - Mais sans appoint, on produit de l'eau froide. Cette obligation de pose de chauffe-eau solaire pour la production d'eau chaude constitue donc une source de surcoût importante qui met à mal un certain nombre d'opérations. Il faut savoir que dans certaines opérations livrées nous n'avons pas mis l'eau chaude car l'eau sort en moyenne entre 25°C et 28°C, si bien qu'on peut en Guyane se doucher avec de l'eau à température ambiante. Si l'on veut de l'eau chaude, la pose d'un chauffe-eau électrique coûte 250 euros, tandis que l'installation d'un chauffe-eau solaire, avec l'aide versée par EDF, revient environ entre 1 200 et 1 300 euros pour un logement. Sur un programme de 100 logements, 100 000 euros de surcoûts sont à attendre. Ceci doit être mis en rapport avec le point de bascule des appels d'offre de marchés qui, à 15 000 ou 20 000 euros près, peuvent être déclarés infructueux. Nous souhaitons donc - les maîtres d'ouvrage également - revenir sur l'obligation d'installation d'un chauffe-eau solaire pour la production d'eau chaude qui s'impose à tous les nouveaux programmes.
Un deuxième poste représente des coûts très importants, la ventilation mécanique par un brasseur d'air au plafond. C'est problématique pour les bailleurs sociaux. Il faut laisser au moins la possibilité de poser des ventilateurs muraux. La pose d'un plafonnier impose de remonter les plafonds à 2,80 m pour laisser un espace suffisant au brasseur d'air pour fonctionner en toute sécurité. Les fournisseurs de ventilateurs nous expliquent que l'on obtient les mêmes performances avec des ventilateurs muraux, qui permettent de laisser les plafonds à 2,50 m. Le rehaussement du plafond de 2,50 à 2,80 m demande davantage de béton, d'acier et de main d'oeuvre. Le surcoût entraîné par l'obligation de poser un ventilateur mécanique par plafonnier représente 2,5 % du montant de la construction. Nous souhaitons également que cette obligation soit abandonnée pour laisser la liberté de choisir entre ventilateurs plafonniers ou muraux.
M. Michel Magras, président. - Avez-vous d'autres soucis avec le reste de la réglementation thermique, acoustique et d'aération ?
M. Didier Magnan. - Je peux également aborder la question des ouvertures sur les façades. Pourquoi existe-t-il un écart entre le pourcentage d'ouverture de façade en Guyane, fixé à 25 %, alors qu'il est de 20 % aux Antilles ? Cela pose, en outre, la question de la cohérence avec la réglementation acoustique : plus on ouvre, plus on fait entrer de bruit !
M. Frédéric Pujol. - Ce n'est pas tout à fait exact : une petite ouverture fait entrer le bruit aussi bien qu'une grande. La différence avec les Antilles s'explique par la moindre force des alizés en Guyane. L'aéraulique urbaine nous impose en conséquence d'ouvrir davantage pour parvenir à la même vitesse de circulation d'air à l'intérieur du logement. Mais je suis d'accord que cela pèse financièrement lourd. Un des points les plus importants à faire évoluer dans la RTAADOM touche le niveau de porosité. Si vous nous demandez notre appréciation globale de la révision de la RTAADOM en 2016, il faut convenir, qu'après un travail de concertation approfondi entre tous les acteurs (promoteurs, contrôleurs techniques, constructeurs, architectes, DEAL, etc.), bon nombre de nos demandes, hors acoustique, ont été entendues. Mais il reste que ces points-là ne permettront pas de réduire significativement les surcoûts liés à l'acoustique en rapport avec la structure des bâtiments (augmentation des planchers, double cloison en béton ou en aggloméré). Il y a une réflexion à mener sur l'ambiance générale de logements nécessairement ouverts sur l'extérieur, qui ne pourront donc pas être complètement isolés acoustiquement, mais dans lesquels on fait aussi moins attention au bruit entre logements à l'intérieur du bâtiment.
Je rejoins Didier Magnan à propos de la ventilation, mais pas de la hauteur sous plafond. J'indique toutefois qu'aucun ventilateur mural n'est homologué comme brasseur d'air. Si l'on considère les constructions à l'intérieur de la Guyane, sur le fleuve, on constate qu'aucune famille en logement social n'achète de brasseur d'air qui coûte entre 200 et 300 euros alors que le ventilateur est à 35 ou 50 euros.
M. Rani Antoun. - Permettez-moi de revenir sur les marchés de construction de routes. Le transport est un poste de coûts important dans les chantiers routiers. En Guyane, un camion à la journée coûte aujourd'hui deux fois plus cher qu'en métropole, notamment en raison de la saisonnalité de l'activité, mais aussi pour d'autres raisons liées au contexte particulier de fonctionnement du secteur des transports dans l'ensemble des DOM. Il faut relier ce point avec celui de l'exploitation des carrières et des gisements de granulats et de latérite, le matériau principal de remblais utilisé sur les chantiers. Le territoire guyanais est tellement vaste que le maillage de ces gisements est relativement faible par rapport à la métropole. Les distances à parcourir pour amener les matières premières sur les chantiers sont importantes.
Or, ce maillage déjà peu dense s'amenuise au rythme de l'émergence des contraintes réglementaires pesant sur les carrières et l'extraction de matériaux. En particulier, chaque ouverture de carrière doit donner lieu désormais à des compensations environnementales. Certains gisements ne sont plus aux normes, ou opérationnels, ce qui nous oblige à aller chercher encore plus loin nos matières premières. L'augmentation des temps de trajet est non seulement une source d'inflation des coûts, mais elle conduit également à accélérer l'usure des routes. On accroît donc globalement les problèmes en dégradant davantage de linéaire routier qu'il faudra ensuite réparer. Les enjeux sont la pérennité des routes guyanaises et la maîtrise des coûts de construction.
Indépendamment de la réglementation sur les carrières, nous sommes confrontés au fait que certaines communes n'ont pas encore validé leur PLU, ce qui laisse en suspens certains renouvellements d'exploitation de gisements. Par exemple, autour de Kourou, il n'y a quasiment aucune carrière de latérite autorisée. Si nous souhaitons réaliser un chantier sur Kourou, comme c'était le cas l'année dernière, nous devons soit acheter chez un concurrent, soit faire venir la matière première d'un de nos sites de Cayenne à 60 km de là. Les difficultés d'approvisionnement renchérissent considérablement le coût des travaux. Cela peut représenter entre 20 et 40 % de surcoût pour une route. Il ne s'agit pas d'exploiter sans discernement la ressource mais de trouver un moyen d'assouplir les contraintes d'ouverture et d'exploitation des carrières afin d'obtenir une meilleure répartition des gisements sur le territoire et de minimiser ainsi les coûts de transport.
M. Francis Gallesio. - Cela rejoint mon précédent propos. Les lois environnementales sont entrées en vigueur, il faut les respecter mais il fait aussi anticiper les contraintes nouvelles qu'elles imposent pour limiter les délais supplémentaires imposés aux chantiers. Cette anticipation nécessaire doit intervenir notamment lors de l'élaboration des PLU. Lorsqu'une commune se développe et identifie des zones constructibles dans ses documents d'urbanisme, elle doit aussi délimiter des zones à protéger et des zones de carrières et mener en amont toutes les études d'impact nécessaires, même si cela nécessite cinq ans pour pouvoir être opérationnel et disposer des matériaux dès le lancement des chantiers.
Mme Jeanne Da Silveira, chef de service adjointe de la planification, de la connaissance et de l'évaluation DEAL. - Cela pose de manière connexe la question du financement des PLU, car les communes se plaignent de ne bénéficier que peu de la dotation générale de décentralisation (DGD). Si certaines études sortant du cadre pur de la planification devaient être réalisées, peut-être pourraient-elles obtenir des dotations supplémentaires.
M. Francis Tinco. - Je pense que nous n'insistons pas assez sur la question inextricable des protections environnementales et urbanistiques en Guyane. L'ensemble des sables à béton de Cayenne doit chaque jour être prélevé à 142 km sur le seul gisement autorisé, situé à Sinnamary. En 2015, 2,5 millions de m3 de sable ont dû être amenés à Cayenne pour couvrir la construction (bétons et enduits). Je vous en laisse imaginer l'impact environnemental. Tout cela est dû à ce que nous ne parvenons pas à trouver dans la région de Cayenne un seul terrain apte à ouvrir une carrière de sable à béton. Lorsque l'on parvient à superposer et prendre en compte toutes les contraintes environnementales et urbanistiques dans les PLU - comme dans la commune de Macouria par exemple -, on constate qu'il n'existe plus un seul hectare disponible pour une activité extractive. En outre, la cellule économique a achevé l'année dernière une étude sur les surfaces protégées ou à protéger. Il en ressort qu'elles recouvrent 86 % du territoire de la Guyane. On comprend les Guyanais qui se plaignent d'une mise sous cloche ! Tôt ou tard, des arbitrages seront nécessaires pour rendre disponibles certaines zones nécessaires au développement économique de notre collectivité.
M. Denis Girou. - Je vois un grand intérêt à la constitution d'une commission technique locale d'adaptation des normes. Nous travaillons tous très régulièrement et en très bonne intelligence au niveau local. La reconnaissance et la pérennisation de notre travail de réflexion et de concertation, grâce à une telle commission, seraient bienvenues. Il serait très pertinent que ses propositions puissent ensuite se traduire dans des modifications réglementaires. Elle pourrait aborder la question des matériaux (bois, latérites, sables,...) qui sont abondants en Guyane mais qui ne sont pas exploités à un niveau satisfaisant, surtout par comparaison avec les autres pays d'Amérique du Sud. La commission technique locale pourrait également aborder la thématique de la coopération régionale pour préciser notamment sur quelle base et avec quelles exigences de certification nous pourrions importer depuis le Brésil et le Suriname. Il faut réfléchir à tous les effets induits par le choix d'un système normatif ou la reconnaissance d'équivalences. Les normes de ces pays sont-elles vraiment comparables aux normes européennes ? Dans le même temps, l'obligation de respect des normes européennes conduit à subventionner le fret pour faire venir des produits finis ou semi-finis d'Europe. Le volet de coopération régionale peut concerner non seulement les approvisionnements, mais aussi les laboratoires ou les techniques.
Par ailleurs, nous menons un travail spécifique en Guyane pour définir les dispositifs « éviter, réduire, compenser (ERC) », qui sont désormais obligatoires dans tous les projets d'aménagement. Nous voulons mettre en place ces démarches de façon intelligente et constructive.
Enfin, j'indique que s'est concrétisée en décembre dernier l'opération d'intérêt national (OIN) sur laquelle nous avons tous collectivement beaucoup travaillé. Depuis la publication de son décret de mise en oeuvre, elle nous permet de planifier l'aménagement de 5 000 hectares. C'est un excellent terrain d'expérimentation pour faire bouger les lignes sur le logement social et les coûts de construction. C'est une opportunité qui ne s'était encore jamais présentée.
M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Nous vous remercions de l'ensemble de ces explications. Aucun d'entre vous n'a abordé la question de l'assurance-construction, pourtant très présente dans nos précédentes auditions. Les constructeurs et les maîtres d'ouvrage guyanais sont-ils plus fortunés sur ce point que leurs homologues antillais ou réunionnais ? Chaque territoire ultramarin présente des difficultés spécifiques et demande des réponses adaptées à son cas propre mais des solutions communes méritent d'être trouvées aussi à des problèmes communs. Or, globalement, j'ai le sentiment que l'on avance peu dans la résolution de problèmes communs et récurrents, alors que les diagnostics sont désormais bien établis. Les pistes de travail que vous suggérez sont intéressantes. Comment aller plus loin ? Pourquoi les remontées des services déconcentrés vers les directions centrales de l'État ont-elles aussi peu d'impact ?
Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Dans votre cahier de doléances, quelles sont les demandes qui vous semblent prioritaires : la prise en compte dans les normes de logement d'un mode de vie tourné vers l'extérieur, la certification des matériaux dont je crois comprendre qu'elle serait facilitée par l'installation de laboratoires sur place, l'assurance-construction que vous n'avez pas encore abordée, ou d'autres problématiques ?
M. Félix Desplan. - Je salue mes compatriotes guyanais, en particulier Monsieur Girou qui a dirigé pendant de nombreuses années le Parc national de la Guadeloupe. Compte tenu de l'abondance de la ressource locale, considérez-vous que la place accordée aux constructions en bois est suffisante ?
M. Frédéric Pujol. - La filière bois s'est extrêmement structurée ces dernières années. Il y a une volonté collective chez les maîtres d'oeuvre, les entreprises et les scieurs de développer la construction en bois mais plusieurs problèmes demeurent, notamment le coût de l'extraction de la ressource et la rareté des espèces identifiées comme exploitables sur certaines zones du territoire. Faute d'études pour les caractériser, nous manquons d'essences utilisables. C'est toute l'importance d'un centre technique pour nous permettre d'exploiter une forêt dont les caractéristiques n'ont rien à voir avec celles de l'Hexagone. À ce jour, la Maison du bois a caractérisé huit essences. Mais la volonté est là. La structuration de la filière n'est pas encore complètement achevée mais elle est en cours. Le bois peut apporter des solutions lorsque les sols sont mauvais, notamment grâce à l'allégement des structures par l'utilisation d'une technique mixte bois/béton.
M. Julien Cottalorda, membre du Conseil régional de l'ordre des architectes de Guyane. - Le laboratoire qui a identifié les essences relève de la Maison du bois. Il travaille prioritairement pour le développement de la filière bois. Les matériaux différents du bois qui pourront éventuellement être analysés et étudiés le seront en complément, de façon accessoire. Contrairement à la métropole, peu d'arbres sont exploités à l'hectare.
M. Frédéric Pujol. - Le développement du nombre d'essences exploitées bénéficierait aussi à l'Office national des forêts (ONF).
M. Denis Girou. - Nous avons en Guyane environ 250 espèces d'arbres différentes à l'hectare. Trois de ces espèces représentent 80 % de l'utilisation. Or, on peut raisonnablement penser qu'il y a davantage d'espèces exploitables. Il faut donc identifier, caractériser, certifier les autres essences.
M. Didier Magnan. - Les taux d'assurance sont inférieurs en Guyane à ceux des Antilles car nous ne sommes pas soumis aux problématiques sismique et cyclonique. Mais nous sommes incapables aujourd'hui de mesurer l'écart entre les taux pratiqués en Guyane et ceux appliqués sur l'Hexagone. Nous allons nous rapprocher de la Fédération française du bâtiment (FFB) et nous vous communiquerons ces données.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour la qualité de cet échange. Tous les compléments d'information que vous pourrez nous apporter enrichiront notre futur rapport d'information.