Mardi 17 janvier 2017

- Présidence de M. Gérard César, président d'âge -

La réunion est ouverte à 17 h 50

Élection du président de la commission d'enquête

M. Gérard César, président. - Nous nous retrouvons aujourd'hui, quelques semaines après le début des travaux de la commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, afin d'élire un nouveau président, après la démission de notre collègue Chantal Jouanno, de sa fonction de présidente. Elle demeure néanmoins membre de la commission d'enquête. Je souhaite à titre personnel lui rendre hommage pour tout le travail qu'elle a accompli en tant que Présidente.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée le 16 novembre dernier pour donner suite à la proposition de résolution déposée le 26 octobre par M. Ronan Dantec et les membres du groupe écologiste dans le cadre de leur « droit de tirage » prévu par l'article 6 bis de notre règlement.

Le même article prévoit que les fonctions de président et de rapporteur sont partagées entre la majorité et l'opposition.

Je vous propose de procéder sans tarder à l'élection du nouveau président de cette commission d'enquête.

M. Jean-François Longeot est candidat.

Il est procédé à l'élection de M. Jean-François Longeot à la présidence de la commission d'enquête.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je vous remercie pour cette élection, dont je suis très honoré. Je tiens tout d'abord à saluer ma collègue Chantal Jouanno pour les travaux menés jusqu'ici et je souhaite indiquer que je m'inscris dans le prolongement des décisions que vous avez déjà actées au moment de la réunion constitutive et des réunions de bureau qui ont suivi.

Nous avons encore un peu moins de trois mois de travaux, de nombreuses auditions à mener et des déplacements à faire. Je vous invite à me faire part, au fil de l'eau, de toutes les suggestions d'auditions que vous souhaiteriez pour la commission d'enquête. J'y serai attentif.

Audition de M. Jean-Paul Naud, co-président et Mme Geneviève Lebouteux, secrétaire du collectif d'élu-e-s doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (CéDPA) et de M. Christophe Dougé, conseiller régional des Pays de la Loire et adhérent du CéDPA, de M. Julien Durand, administrateur et porte-parole de l'association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA), de Mme Agnès Belaud, administratrice de l'ACIPA et du CéDPA, et de M. Sylvain Fresneau, président de l'association de défense des exploitants concernés par l'aéroport (ADECA) et adhérent de l'ACIPA

La réunion est ouverte à 18 heures.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous reprenons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Je rappelle que nous nous sommes fixés pour objectif d'analyser plus en détail les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation. Ils devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons ce soir deux associations sur le projet spécifique de la définition des mesures compensatoires à Notre-Dame-des-Landes : le CéDPA (collectif d'élus doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes) et l'ACIPA (association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes).

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui, de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Jean-Paul Naud, Geneviève Lebouteux, Christophe Dougé, Agnès Belaud, Sylvain Fresneau et Julien Durand prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président. - Mesdames, messieurs, à la suite de vos propos introductifs, qui devront être courts, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

Les personnes entendues déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt avec les autres projets.

M. Jean-Paul Naud, co-président du CéDPA. - Je vous remercie de votre invitation et de l'attention que vous portez à notre délégation d'associations afin que nous puissions témoigner de la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur de grands projets d'infrastructures.

Il nous est effectivement possible de témoigner de l'application du mécanisme « éviter-réduire-compenser », aussi bien en ce qui concerne le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes qu'en ce qui concerne d'autres projets communaux ou intercommunaux.

Je commencerai par présenter le CéDPA, dont je suis co-président. J'ai été élu maire de Notre-Dame-des-Landes en 2008 sur une liste hostile au projet. En 2009, nous avons créé un collectif regroupant environ 1 000 élus doutant de la pertinence de l'aéroport. À partir de 2011, ce collectif a été transformé en association. Le but était de faire entendre au niveau local, national et international la voix des élus qui contestaient la réalisation d'un nouvel aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Il s'agissait également d'obtenir un réexamen des dossiers à la lumière des propositions alternatives qui n'avaient jamais été sérieusement étudiées.

La transformation du collectif en association nous permettait d'ester en justice devant les juridictions compétentes. Je laisse Agnès Belaud présenter l'ACIPA.

Mme Agnès Belaud, administratrice de l'ACIPA et du CéDPA. - L'ACIPA est l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elle a été créée le 16 décembre 2000 lorsque le gouvernement Jospin a relancé le dossier de l'aéroport.

L'objet de notre association est, entre autres, d'informer les adhérents et la population, et de protéger les forêts, les bois, les cours d'eau, les plans d'eau ainsi que les zones humides situés dans le secteur géographique concerné. Notre lettre d'information hebdomadaire est envoyée à plus de 7 000 personnes. Nous travaillons également mensuellement avec soixante autres organisations - associations, collectifs, syndicats et mouvements politiques - au sein de ce que nous appelons la « coordination des opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes ».

Aujourd'hui, nous avons invité Sylvain Fresneau, adhérent de l'ACIPA et président de l'ADECA (Association de défense des exploitants concernés par l'aéroport). Cette association est la plus ancienne de nos associations puisqu'elle a été créée en décembre 1973.

M. Christophe Dougé, conseiller régional des Pays de la Loire, adhérent du CéDPA. - Nous avons abordé les travaux de votre commission d'enquête à travers le prisme de Notre-Dame-des-Landes. Geneviève Lebouteux évoquera la partie « éviter-réduire ». J'aborderai, pour ma part, les mesures compensatoires. Jean-Paul Naud vous présentera ensuite une autre expérience sur la mise en oeuvre de la compensation dans la commune de Notre-Dame-des-Landes, non liée à l'aéroport. Cela permettra de montrer qu'il existe plusieurs lectures de la doctrine ERC.

À titre préalable, je souhaite rappeler que la biodiversité composant l'emprise du projet d'aéroport est constituée à 98 % de zones humides, et pas n'importe lesquelles : un bocage humide, des prairies humides, des landes, des boisements humides, ainsi qu'un chevelu dense de multiples têtes de bassin versant des affluents de la Vilaine et la Loire. Ce site n'a pas subi de perturbations durant les soixante dernières années d'évolution et de développement de l'agriculture moderne. Il n'y a pas eu de recalibrage de cours d'eau, comme ça a pu être le cas ailleurs, ni de drainage important ou d'arrachage de haies.

Cette qualité apparaît clairement dans les inventaires faune et flore, même si des insuffisances ont néanmoins été relevées. C'est donc un espace naturel quasi unique dans l'ouest de la France. De par l'imbrication de ces têtes de bassin versant, il s'agit d'un lieu exceptionnel pour les corridors écologiques, trame verte et bleue, entre deux bassins fluviaux. Ces têtes de bassin versant sont des espaces importants pour la qualité et la régulation de l'eau en aval des cours. Il existe des connexions étroites entre les sols, les sous-sols et les boisements dans la circulation et la fourniture de l'eau en aval, que ce soit pour les rus, les ruisseaux, les rivières et les fleuves qui les collectent.

Cet écosystème naturel complexe est un ensemble unique et entier. Il constitue une illustration concrète du bon état écologique des cours d'eau tel que le définit la directive européenne cadre sur l'eau.

Mme Geneviève Lebouteux, secrétaire du CéDPA. - Nous avons concentré notre présentation sur la séquence « éviter-réduire-compenser ».

Je commencerai par la partie « éviter ». Pour Notre-Dame-des-Landes, à aucune étape du projet, la notion d'évitement n'a été intégrée. Le choix du site a été fait en 1967 : à l'époque, il n'y avait aucune préoccupation environnementale. On pensait même bétonner les marais du côté de la Brière !

En 2000, le projet est relancé, en grande partie pour des préoccupations foncières autour de Nantes, et surtout parce que cette zone avait été réservée pendant trente ans. En 2002 et 2003, un débat public a eu lieu sur le site de Notre-Dame-des-Landes. En 2006-2007, l'enquête publique a été réalisée. D'après l'analyse coûts-bénéfices, 40 millions d'euros sont prévus pour le plan agro-environnemental. Néanmoins, il s'agit essentiellement du coût global estimé pour l'acquisition des terres et l'on ne voit pas ce qui est prévu pour les mesures environnementales.

En 2011, nous avons fait expertiser cette analyse par un cabinet d'études CE Delft. Il ressort que le coût de gestion additionnel de l'eau avait été omis, de même que la valeur de la nature et les dépenses annuelles de mise en place du plan environnemental.

En 2008 est publiée la déclaration d'utilité publique (DUP). Durant toute cette période, aucune notion d'évitement n'a été inscrite. Nous assistons à un fractionnement des procédures dans le temps. Les préoccupations environnementales apparaissent en 2012, avec l'enquête publique « loi sur l'eau ». C'est à partir de ce moment-là qu'il est enfin question de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

« Éviter » signifie étudier s'il existe une alternative au projet existant. Mais comment appliquer cet évitement alors qu'initialement le milieu était qualifié de non contraignant ? En définitive, il est à 98 % situé en zone humide ! Il était alors trop tard pour chercher des alternatives permettant l'évitement, point fondamental de la doctrine « éviter-réduire-compenser ».

Les porteurs du projet n'ont manifesté aucune volonté de rechercher une alternative : les terres avaient déjà été réservées pour la moitié d'entre elles. Nos propositions, notamment celle d'étudier les capacités de l'aéroport de l'Ouest, ont été refusées à plusieurs reprises.

Autre point qui nous choque : en 2012, au moment de l'enquête publique « loi sur l'eau », les porteurs du projet AGO et l'État prétendent qu'ils ont appliqué la procédure « éviter-réduire-compenser ».

Vous trouverez dans le dossier que nous vous laisserons quelques pages extraites du document qui nous a été présenté en décembre 2012. Trois pages portent sur « éviter » et « réduire ». Vous constaterez que pour les porteurs du projet « éviter », c'est alléguer simplement que l'emprise du projet est moindre que celle de la « ZAD ». Il ne s'agit nullement de conduire une réflexion sur de possibles alternatives !

En 2013, puis en 2016, deux études officielles ont montré qu'une alternative existait.

En effet, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a remis en 2013 une étude à la demande de la Commission du dialogue. La DGAC a gonflé les coûts, mais a néanmoins reconnu que l'alternative consistant à réaménager l'aéroport de Nantes-Atlantique était possible.

En 2016, ce point est confirmé par le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) commandé par Ségolène Royal.

Fin 2016, les conclusions du rapporteur public à la cour administrative d'appel reconnaissent également que l'alternative existe. Il était ainsi proposé à la cour administrative d'appel de nous donner raison, en vain.

Les considérations environnementales et la préoccupation d'évitement doivent donc être envisagées en amont d'un projet, en réponse à un besoin. Sur Notre-Dame-des-Landes, les porteurs du projet ont fait exactement l'inverse : ils ont cherché à justifier un projet déjà défini et surtout pas à l'éviter !

Or il existe des projets évités : le projet d'autoroute A83 Nantes-Niort a finalement contourné le Marais poitevin par le Nord et le projet A831 Fontenay-le-Compte-La Rochelle, qui devait également traverser le Marais poitevin, a été carrément abandonné au profit du contournement de Marans.

Je serai plus brève sur la partie « réduire ». De la même façon que pour « éviter », la préoccupation de réduction de l'impact n'a pas été intégrée au projet. L'enquête publique de 2006 concluait déjà que le projet d'aéroport était un lourd tribut pour l'agriculture. La mission agricole de 2012 va plus loin. Selon elle, il n'y a aucun souci d'économie du foncier. Par exemple, tous les parkings prévus sont à plat, il n'y a aucun parking à silos.

La seule réduction consentie a consisté à diminuer la superficie des places de parking, les voitures seront plus serrées. Cette réduction demandée par la mission agricole et par la Commission du dialogue en 2012-2013 n'avait pas été acceptée par l'État et par AGO ; le tribunal administratif de Nantes a imposé cette décision en 2015.

D'autres réductions ont été refusées, comme la demande de rapprochement du barreau routier de la plateforme. Récemment, le CGEDD a parlé d'aéroport surdimensionné et a estimé, comme nous, qu'une seule piste suffirait. Cette réduction n'a pas non plus été acceptée. La consultation qui s'est tenue en juin dernier a porté sur le projet initial d'un aéroport à deux pistes.

Il existe pourtant des projets à impact réduit. Nous avons tous en tête des exemples de lotissements auxquels on a retiré des parcelles.

En conclusion, pour prendre en compte les deux étapes que sont « éviter » et « réduire », il convient d'intégrer les préoccupations environnementales dès le début de la démarche. De façon plus générale, il importe de garder à l'esprit une certaine hiérarchie des priorités.

Notre pays est très largement pourvu en équipements. Par conséquent, la priorité de préservation de la biodiversité mise en balance avec les objectifs qui ont prévalu pour le projet d'aéroport, à savoir le moindre coût et la non-remise en cause d'un projet prévu de longue date.

Nous vous transmettrons les propositions que nous avons faites au moment de la commission de rénovation du débat public de 2015. Plusieurs d'entre elles concernent les sujets qui nous préoccupent.

La proposition 3 demande de faire cesser immédiatement le « saucissonnage » des procédures, d'ailleurs en contradiction avec les directives européennes. Le projet doit être évalué dans son ensemble et l'utilité publique ne peut être prononcée avant.

La proposition 4 vise à intégrer l'analyse environnementale globale au moment de la comparaison entre les différentes solutions.

M. Christophe Dougé. - Je poursuis sur la notion de compensation qui vous intéresse en priorité ; néanmoins, ce qu'a dit Geneviève Lebouteux sur « éviter » et « réduire » est très important.

Dans le cadre d'une procédure classique, lorsque vous êtes porteur d'un projet affectant une zone humide, comme à Notre-Dame-des-Landes, vous devez indiquer très formellement comment vous comptez compenser la destruction de cette zone.

Le porteur de projet doit notamment apporter la preuve qu'il a la maîtrise foncière des terrains destinés à assurer la compensation, évoquer la méthode de réalisation de cette compensation, garantir la pérennité et le financement des mesures envisagées. La description, en outre, doit être précise : plans, accompagnement de bureaux d'études, garanties de localisation et de coût, et même, parfois, conventions de longue durée relatives à l'entretien de ces espaces et au suivi après travaux. Ça, c'est la règle !

Je vais laisser la parole à mon collègue Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes, qui a eu à traiter un projet d'aménagement sur sa commune, autre que celui de l'aéroport.

M. Jean-Paul Naud. - Mon témoignage illustre le traitement de projets communaux ou intercommunaux plus modestes, dont la réalisation est également affectée par le mécanisme « éviter-réduire-compenser ».

La commune de Notre-Dame-des-Landes est située dans le périmètre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du bassin de la Vilaine. Les contraintes de ce SAGE, s'agissant de la destruction de zones humides, sont beaucoup plus drastiques que celles qui s'appliquent sur d'autres secteurs. On nous impose en effet, dès que l'emprise en zone humide dépasse les 1 000 mètres carrés, la réalisation d'un projet « présentant un intérêt public avéré », c'est-à-dire d'un projet qui peut faire l'objet soit d'une DUP, notion bien connue, soit d'une déclaration de projet, notion beaucoup plus vague.

Ainsi, nous projetions de créer une zone d'activités de proximité à Notre-Dame-des-Landes, la première tranche s'étendant sur 2,5 hectares seulement. Nous avons découvert, à cette occasion, la lourdeur de la procédure consistant à monter une déclaration de projet. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), que nous avions interrogée sur cette notion très récente, n'avait pas été en mesure de nous répondre.

Le dossier est lourd à monter ; s'il est accepté, il faudra restaurer les zones humides, la surface de la compensation prévue étant égale à 200 % de la surface perdue. Nous avons rencontré les représentants de la commission locale de l'eau (CLE), du SAGE Vilaine. Ceux-ci nous ont encouragés à lancer la procédure de déclaration de projet, mais en nous conseillant d'anticiper sur les mesures compensatoires à réaliser au titre des zones humides détruites, alors que le projet ne faisait que de 2,5 hectares !

Sur de petits projets comme celui-ci, à la lourdeur du dossier de déclaration de projet vient donc s'ajouter le coût très élevé des mesures compensatoires, même lorsque les superficies concernées sont faibles. À Vigneux-de-Bretagne, qui appartient à la communauté de communes d'Erdre et Gesvres, dont dépend également Notre-Dame-des-Landes, nous avons réalisé l'extension d'une zone d'activité ; pour 1 800 mètres carrés de zone humide, le coût des mesures compensatoires s'est élevé à 70 000 euros ! Nous craignons qu'à l'avenir, certains projets plus importants puissent être ainsi freinés.

M. Christophe Dougé. - Pourquoi avons-nous souhaité que Jean-Paul Naud présente ce cas ? Parce que s'agissant du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en matière de mesures compensatoires, il n'y a rien eu de tout cela ! Pour commencer, le diagnostic environnemental a été jugé très insuffisant, alors que la bonne connaissance des lieux est censée être au fondement de la doctrine ERC.

En outre, les porteurs de projet ne disposent d'aucune maîtrise foncière, donc d'aucune garantie de compensation, en dehors de la ZAD. Les enveloppes évoquées sont des enveloppes potentielles. Par ailleurs, aucune description précise, à l'échelle de la parcelle, des mesures compensatoires n'a été proposée. Il n'y pas non plus de localisation, ni de convention pérenne. Seules sont proposées des conventions de 5 ans avec des agriculteurs, alors que le contrat de concession, lui, est de 55 ans ! Et à ce jour, à notre connaissance - Sylvain Fresneau, agriculteur, ou Julien Durand, agriculteur retraité, pourront nous le confirmer -, aucune convention n'a été signée avec des agriculteurs. Aucune ! Aucune mesure compensatoire n'est donc engagée, aujourd'hui, à Notre-Dame-des-Landes.

Les porteurs de projet, à savoir l'État et AGO-Vinci, ont développé une méthode fondée sur des unités de compensation, alors que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), et les SAGE nous invitent plutôt à appliquer une méthode de compensation « surfacique ». L'espace naturel unique que j'ai décrit tout à l'heure, l'État et AGO-Vinci l'ont donc déconstruit pièce par pièce, tel un puzzle, sous forme d'unités de compensation, pour les affecter sur d'autres parcelles selon une logique totalement désordonnée. L'ensemble complexe constitué par les deux têtes de bassin versant est détricoté pour réaffecter ici et là des unités de compensation.

Nous avons soulevé un autre problème lors des différentes enquêtes publiques, mais aussi devant les juridictions : les porteurs de projet ont proposé comme mesures compensatoires des zones humides immédiatement voisines de celles qui seront détruites, sur la ZAD elle-même, c'est-à-dire à proximité du futur aéroport ! Si vous veniez sur place, vous constateriez que cette méthode relève de la supercherie intellectuelle. On peut véritablement s'interroger sur la pertinence scientifique de cette méthodologie ! D'ailleurs, le collège d'experts nommé en avril 2013 avait invalidé cette méthode de compensation.

Je prends une image que nous utilisons régulièrement : si, par malheur, un projet conduisait à la nécessité de détruire le domaine de Chambord, et que la méthode appliquée à Notre-Dame-des-Landes était retenue, cela reviendrait à proposer, à titre de compensation, de restaurer les huisseries et les peintures du château voisin de Chenonceau. C'est ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes : on perd un joyau de biodiversité, sans aucune garantie de compensation !

Il existe donc un déficit dans la définition scientifique de la méthode de compensation : aucune compensation n'est envisagée pour la destruction des têtes de bassin versant. Ce sont des cours d'eau, des prairies et des bocages humides qui sont concernés, et on nous propose de petites interventions sur des parcelles, ici ou là.

En résumé : de grandes enveloppes non définies, pas de localisation précise, aucun chiffrage, règne du « deux poids, deux mesures » dans l'application de la réglementation française, absence de conventions avec les agriculteurs. Surtout, en principe, les mesures compensatoires doivent être réalisées avant la destruction des espaces concernés ! À Notre-Dame-des-Landes, le dossier dit qu'elles le seront dans les 20 ou 30 ans à venir.

Pour conclure, nous considérons que la méthode ERC n'a pas été utilisée correctement à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit d'ailleurs plutôt, en réalité, de la méthode « CRE » : d'abord compenser, partiellement réduire, et, en dernier ressort, éviter. Mais la question de l'évitement, donc de l'éventuel abandon du projet sur ce site, aurait dû être posée il y a 17 ans, au moment de la relance du projet de transfert, en 2000 ! Le fractionnement des procédures environnementales et leur examen 12 ans après la relance du projet ont conduit à l'absence d'évaluation globale des impacts environnementaux. Et la question de l'évitement n'a fait l'objet d'aucune procédure démocratique.

La priorité, en 2008, a en effet été donnée à la procédure de DUP au détriment des dispositions de la loi sur l'eau de 2006, du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et a fortiori de la directive-cadre européenne sur l'eau. Précisément, de nombreux jugements qui nous ont été défavorables en Conseil d'État se fondent davantage sur la procédure de DUP que sur la loi sur l'eau, sans prendre en compte le droit européen.

Un autre ordonnancement des procédures aurait été nécessaire : évaluation globale des impacts, débat sur les alternatives, consultation du public, voire votation ; ensuite seulement seraient intervenues la DUP et les autorisations « loi sur l'eau ». Depuis une vingtaine d'années, on a pris le dossier à l'envers ! Si l'on avait procédé différemment dès la relance, comme l'a dit Geneviève Lebouteux, l'alternative consistant à optimiser Nantes-Atlantique aurait pu être étudiée convenablement. Parce qu'une réserve foncière et une zone d'aménagement différé (ZAD) existent à Notre-Dame-des-Landes, on a tout fait pour y imposer le projet d'un aéroport à deux pistes, d'un barreau routier et d'une aérogare ; si cette ZAD n'avait pas existé, le projet d'aéroport n'aurait évidemment jamais été développé sur ce site !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je souhaite d'abord revenir sur un point que nous entendons régulièrement : la différence de traitement entre petits et grands projets, y compris sur un même territoire. Êtes-vous inquiets, en tant qu'élus, quant à la menace qui pèserait sur beaucoup d'autres petits projets en raison de la difficulté à trouver des mesures compensatoires ?

Deuxième question : de telles mesures compensatoires sont-elles impossibles ? Nous avons bien compris que l'évitement était le coeur de votre approche, mais existerait-il des possibilités de compensation qui n'auraient pas été étudiées ou mises sur la table, y compris plus loin sur le territoire ?

Enfin, comment se fait-il qu'aucune contractualisation avec le monde agricole n'ait encore été engagée ?

Mme Évelyne Didier. - J'ai entendu le mot « concession » ; il s'agit d'un contrat particulier, conclu entre une puissance publique et une ou plusieurs personnes privées. Normalement - ce fut le cas pour les autoroutes -, tout est prévu noir sur blanc dans le contrat, y compris les mesures de compensation. Comment et avec qui ce contrat de concession a-t-il été signé ? Pourquoi ne contient-il pas de telles précisions, alors que c'est la norme, en principe, pour les grands projets, lorsqu'une concession est attribuée ?

M. Christophe Dougé. - Dès lors que la méthode de compensation choisie s'appuie sur des unités de compensation, et qu'une zone humide jouxtant une zone détruite peut devenir mesure compensatoire de cette dernière, il n'y a évidemment aucun problème pour trouver des compensations ! Mais la réalité, c'est que la France a perdu plus de la moitié de ses zones humides depuis un siècle. Prendre au sérieux l'enjeu environnemental, c'est-à-dire compenser réellement, signifierait restaurer des espaces dégradés. À Notre-Dame-des-Landes, où un complexe de têtes de bassin versant de 1 200 hectares serait impacté, la compensation consisterait à restaurer un cours d'eau totalement détruit pour refaire à l'identique des têtes de bassin versant.

Or nous savons aujourd'hui que c'est totalement impossible ! C'est pourquoi les scientifiques, en 2013, ont conclu que la perte des têtes de bassin versant de Notre-Dame-des-Landes ne pourrait être compensée. Si le dossier avait été mené dans le bon ordre, cette conclusion aurait été tirée dès le début des années 2000. Nous aurions tout de suite choisi l'option « éviter », à l'image de ce qui s'est passé pour les projets autoroutiers évoqués par Geneviève Lebouteux. D'autres sites, voire l'optimisation de Nantes-Atlantique, auraient été mis à l'étude, ce qui ne fut pas le cas à l'époque.

Madame Didier, lorsque l'État contracte avec une personne privée, en l'occurrence AGO-Vinci, il est clair qu'il doit introduire des garanties dans le projet de concession, s'il examine correctement le droit de l'environnement et le droit de l'eau. À supposer qu'il soit possible de chiffrer la compensation de la perte de têtes de bassin versant, ce que nous contestons, ce n'est pas 450 millions d'euros, mais peut-être le double, qu'il faudrait prévoir dans le contrat.

Mme Évelyne Didier. - En quelle année le contrat de concession a-t-il été signé ?

M. Christophe Dougé. - En 2010.

M. Sylvain Fresneau, président de l'ADECA et membre de l'ACIPA. Les agriculteurs du secteur, dont je fais partie, n'ont jamais été démarchés par des représentants de la concession pour évoquer d'éventuelles mesures compensatoires. En revanche, de notre côté, nous avons organisé une rencontre avec nos voisins pour leur demander s'ils étaient d'accord pour participer à la compensation ; un grand nombre d'entre eux y étaient opposés. Le document que nous vous avons remis contient une carte recensant les agriculteurs du secteur qui refusent d'office les mesures compensatoires.

M. André Trillard. - Deux ou trois précisions sur ce dossier que je connais un peu. Pourquoi avoir choisi ce site ? Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la zone de bruit directe de l'aéroport de Nantes-Atlantique ; en comparaison, elles seraient 800 à Notre-Dame-des-Landes ! Le projet est dimensionné pour intégrer les zones de bruit 1 et 2. Plusieurs centaines d'hectares ne sont pas transformés.

Je ne commenterai pas le choix des méthodes de travail. J'ai moi-même présidé une collectivité en Loire-Atlantique, mais à une époque antérieure à la loi de 2006. Le problème est que nous courons toujours derrière la législation ! Mais la concession a été accordée.

J'entends ce que vous dites, Jean-Paul Naud, sur la différence de traitement entre petites et grandes communes ; mais je pourrais vous opposer la différence entre petits et grands dérangements, pour ne pas dire délits, en citant Notre-Dame-des-Landes parmi les derniers. Les opposants au projet ne sont pas seuls sur place ; s'y trouvent aussi les zadistes, qui forment une population pour le moins particulière ! Constater que les choses ne se passent pas de la même façon selon que vous êtes puissant ou misérable, ce n'est pas nouveau : La Fontaine l'avait écrit !

Le projet est ancien, il a avancé, et ce serait très clairement une erreur dangereuse de revenir à Nantes pour la protection de la population, vu le comportement de certains pilotes. Il y a également une zone Natura 2000 au bout de la piste : le lac de Grand Lieu. Il y a donc des raisons objectives de déplacer l'aéroport.

M. Roland Courteau. - Combien d'agriculteurs sont favorables au projet et aux mesures de compensation ? Combien y sont hostiles ?

M. Julien Durand, administrateur et porte-parole de l'ACIPA. - Merci de revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire les mesures compensatoires, et non les zones de bruit. Nous disposons d'un seul document montrant la zone retenue par les porteurs du projet pour d'éventuelles mesures de compensation. Un protocole d'accord a été signé par la chambre d'agriculture, le conseil départemental et le préfet, mais il n'engage les agriculteurs à rien de concret. De notre côté, 80 paysans et propriétaires de quelque 8 000 hectares sur les 16 000 hectares de terrains qui entoureraient l'aéroport se sont engagés à ne pas souscrire à des mesures compensatoires pour ce projet. Du reste, l'agronomie est à peu près la même sur ces terrains. Comment, dès lors, compenser la perte de terres humides ? Mathématiquement, le compte n'y est pas. En tous cas, s'ils veulent respecter la loi, les porteurs du projet devront aller au-delà de ces 8 000 hectares, et proposer des surfaces plus importantes ou davantage d'unités de compensation. La mouture qui nous a été proposée est intellectuellement malhonnête. Pour nous autres paysans, un hectare doit valoir un hectare, et non des subdivisions qui ne tombent pas rond.

Si vous nous faites l'honneur de visiter la zone, nous vous accompagnerons en toute sécurité dans la partie Nord-Est, qui est la seule où des terrains soient disponibles pour aménager d'éventuelles mesures compensatoires, à l'intérieur de la zone des 1 650 hectares, et sur des terres humides. On nous propose d'y faire des mares à l'infini... Manqueront néanmoins les forêts qui auront été détruites, puisque l'aérogare doit être installée sur une forêt acquise par le conseil départemental sous la présidence de M. Trillard. Les contrats ont une durée de cinq ans, pour une concession de 55 ans, cherchez l'erreur... Quant à l'indemnité, nous n'en voyons pas la couleur !

M. Gérard Bailly. - Qui a choisi ce site ? Avant le protocole d'accord, les agriculteurs n'ont-ils jamais été réunis ? N'ont-ils eu aucun échange avec les porteurs du projet ? Combien d'hectares les porteurs du projet et les agriculteurs possèdent-ils respectivement ? Je suis moi-même agriculteur, et je connais bien ces sujets pour avoir été président de la chambre d'agriculture et du conseil général lors de l'élaboration du tracé de l'A 39, qui traversait tout le Jura, et de la ligne de TGV. Nous avions beaucoup discuté en amont avec les organisations agricoles et Réseau ferré de France (RFF), ou Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR).

M. Sylvain Fresneau. - Nous parlons de deux protocoles différents. Le protocole d'indemnités et d'éviction consiste en la signature d'accords amiables de vente de terres avec AGO-Vinci, et l'ADECA a veillé à ce que l'égalité soit respectée entre les différentes propriétaires.

M. Gérard Bailly. - Je voulais vous l'entendre dire.

M. Sylvain Fresneau. - Je parlais pour ma part du protocole d'accord sur les mesures compensatoires environnementales, au sujet desquelles nous n'avons à aucun moment été contactés.

M. Julien Durand. - C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares mis en concession, y compris pour le barreau routier, qui représente environ 200 hectares. À l'extérieur de cette zone, nous savons que l'État et AGO n'a encore rien acheté, car la Safer nous tient au courant des mutations agricoles.

M. André Trillard. - De quoi exactement AGO-Vinci est-elle propriétaire?

M. Julien Durand. - Nous avons été convoqués au tribunal comme propriétaires, par les services de l'État et la société AGO-Vinci qui agit pour le compte du ministère de l'écologie. C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares sur la ZAD. En 2003, les services du conseil général de Loire-Atlantique avaient déjà acquis 850 hectares avec un droit de préemption ; 150 hectares ont été négociés à l'amiable par AGO-Vinci auprès de plusieurs propriétaires, et 650 hectares ont fait l'objet de mesures d'expropriation.

M. André Trillard. - Ces 1 650 hectares ne correspondent pas exactement à la surface du futur aéroport. Un remembrement doit être fait.

M. Julien Durand. - Ils ont fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique signée le 9 février 2008 par M. Fillon. Les expropriations ont lieu à l'intérieur de ce périmètre, qui comporte la desserte routière et les infrastructures aéroportuaires.

Mme Geneviève Lebouteux. - Sur les documents fournis par AGO-Vinci figurent le périmètre de la ZAD, le tracé des pistes et la zone aéroportuaire. Une partie restera à l'état naturel pour servir, soi-disant, à la compensation.

M. André Trillard. - Une opération de remembrement est suspendue depuis des années.

M. Jean-Paul Naud. - Elle concerne plusieurs communes. À vrai dire, deux remembrements étaient prévus, pour le barreau routier et pour l'aéroport, mais elles ont été fusionnées. Le conseil départemental suit ce dossier, mais il n'a pas avancé depuis 2013, faute de progrès sur le projet d'aéroport lui-même.

M. Gérard Bailly. - Qui a choisi ce site ?

Mme Geneviève Lebouteux. - L'État, via l'organisme d'études et d'aménagement de l'aire métropolitaine (Oream).

M. Christophe Dougé. - En 1963.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Merci. Nous entendrons la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles, ainsi que les porteurs du projet, et nous nous rendrons sur le site en février. Nous y visiterons aussi bien les zones dont vous avez parlé que celles que nous proposeront les porteurs du projet.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci.

La réunion est close à 19 h 05.

Mercredi 18 janvier 2017

- Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente -

Audition de M. Patrick Jeantet, président-directeur général, M. Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable, de SNCF Réseau et Mme Corinne Roecklin

La réunion est ouverte à 14 h 10.

Mme Sophie Primas, vice-présidente. - Mes chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser notre président, Jean-François Longeot, qui n'a pas pu être présent cet après-midi mais qui sera là demain.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant SNCF Réseau.

Vous savez que nous nous sommes fixés pour objectif, dans le cadre de cette commission d'enquête, d'analyser plus en détails les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation et devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

L'audition d'aujourd'hui doit ainsi nous permettre d'aborder plus spécifiquement le cas de la LGV Tours-Bordeaux, même si nous savons que c'est LISEA qui a été chargée de la mise en oeuvre des mesures de compensation. Nous devrions d'ailleurs les entendre dans deux semaines. Nous aborderons également aujourd'hui le sujet de la compensation d'un point de vue plus général, sur l'ensemble des projets qu'a à regarder SNCF Réseau.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, M. Bernard Torrin, directeur du développement durable, et Mme Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable au sein du métier accès au réseau. Vous êtes accompagnés de M. Jérôme Grand, directeur de cabinet et de Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Jeantet, M. Bernard Torrin et Mme Corinne Roecklin prêtent successivement serment.

Mme Sophie Primas, vice-présidente. - Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau. - SNCF Réseau est le concédant du projet de LGV Sud Europe Atlantique (SEA) entre Tours et Bordeaux. Nous avons également un projet à Notre-Dame-des-Landes dont une des options vise à connecter l'aéroport au réseau ferré national. À titre personnel, je n'ai pas de lien d'intérêt.

M. Bernard Torrin, directeur du développement durable. - Je n'ai aucun lien d'intérêt avec ces projets à titre personnel.

M. Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable. - Je n'ai pas non plus de lien d'intérêt avec ces projets.

Mme Sophie Primas, vice-présidente. - Je vous remercie et vous laisse la parole.

M. Patrick Jeantet. - Merci de nous permettre d'échanger sur ce sujet, qui est majeur pour SNCF Réseau, car nous sommes un maître d'ouvrage important en matière d'infrastructures ferroviaires. Nous sommes également un acteur responsable, conscient des impacts en matière d'environnement, respectueux des lois mais également volontaire, notamment en matière de recherche sur la biodiversité. Les enjeux que vous examinez sont importants pour la faisabilité des projets et les options à prendre, ainsi que les coûts liés à l'évitement, à la réduction et à la compensation.

Avant de parler de la biodiversité, je souhaiterais évoquer la politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), dans laquelle la SNCF est très impliquée. Lors de la COP 21, nous avions organisé une grande manifestation avec les acteurs internationaux du développement durable. En matière sociétale, la fondation SNCF concrétise la dimension citoyenne de la SNCF, avec trois axes, consacrés à l'illettrisme, la culture et la solidarité. 1 500 agents de la SNCF sont impliqués auprès d'associations sur ce dernier point. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de performance avec l'État, nous avons pris des engagements pour mettre en accessibilité l'ensemble de nos gares.

La biodiversité est un de nos 16 engagements de RSE. À ce titre, nous développons l'écoconception de nos projets. Les projets de lignes nouvelles ont un impact indéniable sur la biodiversité.

Ce sujet est pris très au sérieux, dans ses trois composantes : éviter, réduire et compenser. Le réseau de 30 000 km que nous exploitons a été largement conçu avant la loi de 1976 et n'a donc pas été soumis à une réglementation en la matière. C'est essentiellement le réseau de LGV, développé depuis les années 1980 et d'environ 2 000 km, qui a été progressivement soumis à ces règles.

Nous avons un système en entonnoir, avec des études progressives jusqu'au tracé final. À chaque étape, nous examinons les impacts sur la biodiversité. La réduction intervient surtout par la création de passages d'un côté à l'autre des voies ferrées. Pour la LGV Est européenne, inaugurée en 2016, nous avons construit 70 passages pour le grand gibier et 110 à 115 passages pour le petit gibier. Pour les projets plus récents, comme la LGV SEA, les passages sont plus nombreux : environ un par kilomètre. La compensation s'accélère. SNCF Réseau est responsable d'environ 900 hectares pour des mesures de compensation.

En termes de chiffres, nous avons donc 30 000 km de lignes, qui représentent environ 50 000 km de voies. Nous avons 90 000 hectares de dépendances vertes, qui nous appartiennent, mais qui sont situés en dehors de la plateforme. S'agissant de la plateforme elle-même, pour une LGV, on consomme en moyenne 10 hectares au kilomètre, avec une plateforme d'environ 15 mètres de large. Les infrastructures totales peuvent donc représenter un ordre de grandeur d'environ 300 000 hectares, auxquels il faut ajouter les 90 000 hectares de dépendances vertes. La majorité du linéaire a été construite au XIXe siècle, et les lignes construites après 1976 correspondent essentiellement aux LGV.

Indéniablement, les milieux sont fragmentés par les lignes ferroviaires. Mais elles n'engendrent pas que des effets négatifs. À travers le programme TRANS-FER (Transparence écologique des infrastructures ferroviaires), nous constatons que les lignes ferroviaires peuvent avoir des effets positifs, notamment longitudinaux. Les lignes sont des corridors de biodiversité. Les effets négatifs doivent bien entendu faire l'objet d'évitement, de réduction et de compensation. Mais ces corridors créent et alimentent la biodiversité.

Nous agissons sur le réseau existant pour favoriser la biodiversité et limiter l'impact de ce réseau. Nous travaillons en particulier sur les continuités écologiques, en matière de cours d'eau notamment. Par une charte, nous nous sommes engagés à rétablir 100 % des continuités hydro-écologiques d'ici 2025 sur l'ensemble du réseau. Nous avons un partenariat en matière d'éco-pâturage avec l'Office national des forêts (ONF) pour privilégier une gestion différenciée de la végétation, comme l'implantation de mélanges de mellifères sur les talus. Sur les voies anciennes inutilisées, nous avons des partenariats avec les collectivités territoriales pour développer des voies vertes ou le vélo-rail.

Nous contribuons également à l'évolution de la connaissance, notamment par le programme TRANSFER, en contribuant à des associations, organismes et programmes de recherche, pour mieux connaître la biodiversité et se former collectivement, afin de développer les compétences en la matière.

Nos partenaires sont nombreux, comme France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Avec FNE, nous avons notamment élaboré un guide commun sur la biodiversité.

Concernant la méthode suivie pour nos projets, essentiellement le programme LGV, nous avons différentes phases : des études préalables, un débat public, puis des études précédant l'enquête publique. À partir de zones assez larges, nous nous recentrons sur des faisceaux, puis sur le tracé, qui fera finalement l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). À chaque phase, nous prenons en compte les enjeux de biodiversité, principalement dans une approche d'évitement. Plusieurs LGV ont ainsi vu leur tracé prévisionnel dévié pour éviter des forêts ou des habitats, comme la LGV Méditerranée, avec un changement de tracé d'environ 2 km pour des espaces de nidification d'aigles royaux. Si l'on souhaite éviter des atteintes, il faut intervenir à ce stade préalable, avant que le tracé ne soit défini.

Comme je le disais, nous avons environ 900 hectares de compensation. Les mesures de compensation s'accroissent avec le temps. Pour la ligne nouvelle (LN) 1, il n'y avait pas à proprement parler de compensation ; pour la LN 5 Méditerranée, mise en service en 2001 et qui fait 250 km, nous avons environ 90 hectares pour la compensation ; pour la LN 7 Est européenne, inaugurée en 2016 et qui fait 400 km, nous avons 340 hectares.

S'agissant des projets en cours de construction, sous forme de partenariats public-privé (PPP) ou de concessions, comme la ligne SEA, la ligne Bretagne Pays-de-la-Loire (BPL) ou la ligne de contournement Nîmes-Montpellier (CNM), les mesures sont encore plus élevées. Pour la ligne SEA, 3 500 hectares sont nécessaires, pour 302 km de ligne. La demande de compensation s'est accrue, avec certaines difficultés nouvelles.

Il ne nous semble pas déraisonnable d'évaluer les coûts de la compensation dans une fourchette comprise entre 5 et 10 % du total d'une opération. Mais il faut reconnaître que nous avons des difficultés à les estimer précisément car ils n'ont pas été précisément suivis par le passé. C'est sans doute un point sur lequel il faudrait progresser à l'avenir. Cela dépend aussi de l'évitement et de la réduction qui ont précédé. L'évitement est particulièrement difficile à chiffrer. La réduction est plus simple à évaluer, lorsque l'on crée des aménagements comme des passages. Mais il faut également prendre en compte la durée croissante des mesures car elle augmente les coûts d'entretien. Nous ne sommes pas encore assez armés pour donner des chiffres fiables.

Je souhaiterais évoquer maintenant quelques difficultés que nous rencontrons sur le terrain. La compensation a pris un rôle important, peut-être trop important. Nous avons des problèmes de disponibilité du foncier, notamment sur la SEA, que LISEA pourra présenter plus en détail. Par le contrat de concession, c'est LISEA qui est responsable de toutes les conséquences liées aux autorisations qu'ils ont obtenues pour réaliser le projet, en particulier en matière de biodiversité. L'exigence de proximité accroît cette difficulté. Si l'on traverse le marais Poitevin, identifier des terrains libres à proximité est un problème.

Nous manquons d'outils à ce sujet. La DUP ne couvre pas les terrains de compensation. Il faut donc convaincre au niveau local et la construction d'une relation de confiance avec les acteurs du territoire, en particulier le monde agricole, est importante, vu l'ampleur de la compensation. La création des obligations réelles environnementales par la loi biodiversité est un point très positif, dont nous attendons l'application.

L'anticipation de la réalisation des compensations est un autre enjeu. Tant que le projet n'est pas définitivement confirmé, on ne mène pas de compensation. Elle intervient en aval du processus et se heurte parfois à des difficultés foncières. Anticiper ces enjeux, dès les premières phases du projet, par exemple par la réalisation de réserves foncières, serait intéressant, même si financer la compensation sans certitude sur la réalisation du projet peut être un autre problème.

Nous avons également des difficultés à trouver des partenaires, non seulement pour trouver des terrains accueillant les mesures de compensation, mais également pour gérer ces espaces naturels, car ce n'est pas notre métier. Deux catégories de partenaires sont importantes : les gestionnaires d'espaces naturels - comme les syndicats mixtes, les conservatoires d'espaces naturels - qui peuvent suivre et coordonner le programme de mesures, et les exploitants agricoles qui peuvent mettre en oeuvre les mesures sur les parcelles. La professionnalisation de toutes ces activités restent en cours.

Le dernier point important est la confiance et l'anticipation. L'évolution législative et réglementaire est importante ces vingt dernières années. L'ensemble du processus pour réaliser une LGV prend environ 20 ans. Le changement des normes peut créer de l'incertitude pour le porteur d'un projet. Par ailleurs, suivant les régions, les demandes de compensation sont très variées et hétérogènes, pour un même sujet ou pour des sujets proches. Nous serions désireux d'une uniformisation des règles en matière de compensation. À ce jour, nous avons des difficultés à anticiper les mesures nécessaires et les coûts.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je vous remercie pour vos propositions, qui rejoignent plusieurs de nos préoccupations.

Concernant les ruptures qu'entraînent les voies, vous avez parlé d'études sur les corridors qu'elles créent. Mais avez-vous mené des analyses pour mieux connaître les impacts sur le morcellement des habitats ? Par ailleurs, n'y a-t-il pas une tentation pour la SNCF de multiplier les grillages sur les lignes existantes, en vue d'éviter les collisions avec les animaux ? Enfin, toujours sur ce sujet, il y a également une coupure chimique, qui s'ajoute à la coupure physique, sur le tracé de la voie. Intégrez-vous cette coupure dans votre stratégie ?

Vous avez également évoqué l'hétérogénéité des mesures entre les différentes régions. Qu'il y ait une règle commune en matière d'équivalence écologique est de bon sens. Mais qu'en est-il des contrôles effectués par l'État ? J'aimerais à ce titre que vous puissiez préciser la répartition des responsabilités entre SNCF Réseau et votre concessionnaire.

Enfin, pouvez-vous donner votre sentiment sur l'avancement des travaux sur la LGV Tours-Bordeaux, et sur Notre-Dame-des-Landes ? Pour ce dernier projet, avez-vous déjà travaillé sur les besoins de compensation ?

M. Patrick Jeantet. - Nous entretenons d'excellentes relations avec l'État, avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en particulier, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Le sujet important, pour l'État comme pour nous, est celui de la formation des personnels. Vu l'ampleur du sujet, trop peu de gens sont suffisamment formés : nous en avons quelques-uns, il y en a aussi à la DREAL, mais globalement pas assez. Je pense qu'il faut faire un effort pour développer cette formation.

Je ne jugerai pas le contrôle par l'État. Je pense qu'il contrôle effectivement, mais a-t-il vraiment tous les moyens pour le faire ? C'est une question que l'on peut se poser.

Concernant la ligne SEA, je vous confirme qu'en tant que maître d'ouvrage, nous sommes tenus de contrôler que notre concessionnaire respecte les engagements qu'il a pris au titre du contrat. C'est une relation contractuelle tout à fait classique. En l'occurrence, LISEA s'est engagé, entre autres choses, à assumer toutes les conséquences environnementales des différentes autorisations obtenues - il y en a plus de 69, même si toutes ne concernent pas la biodiversité - et à mettre en oeuvre les mesures de réduction et de compensation. Nous avons l'obligation de contrôler notre concessionnaire, et nous le faisons régulièrement Nous avons mis en place des méthodes pour nous assurer que le sujet des compensations est pris très au sérieux par notre concessionnaire.

M. Bernard Torrin. - Je souhaite revenir sur la question des coupures. Parmi les impacts des infrastructures ferroviaires sur la biodiversité, on compte notamment la consommation d'espace du fait même de l'existence de l'emprise et la destruction éventuelle d'habitats et d'espèces. Le sujet principal reste néanmoins celui de la fragmentation des habitats par l'infrastructure. Pour répondre à votre question, je propose de détailler le projet TRANS-FER que le président a évoqué tout à l'heure.

Ce projet dit TRANS-FER, lancé dans le cadre de l'appel à projets de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) et mené entre 2011 et 2014 en partenariat avec le Muséum national d'histoire naturel, le CNRS, Ecosphère et le ministère de l'environnement, s'est intéressé à la fragmentation de l'espace par les infrastructures ferroviaires. Nous avons regardé la transparence de quatre tronçons de voies, sur ligne classique et sur ligne à grande vitesse, pour cinq groupes taxonomiques différents. Les études ont prouvé que les infrastructures ferroviaires ne créent pas d'effet de barrière infranchissable. En revanche, on a constaté un effet de filtre sur certaines espèces, qui s'amplifie avec le temps. La conclusion des études est claire : « La plupart des groupes faunistiques adaptent leur comportement en traversant les sections courantes lorsque celles-ci ne sont pas hermétiquement closes, et empruntent les ouvrages existants, spécifiques ou non : passages grande faune, passages agricoles, routes, rétablissements routiers, barrages hydrauliques, buses sèches, etc. » On a souvent l'image d'une infrastructure linéaire infranchissable ; les études scientifiques ont bien montré, et c'est important, que la fragmentation n'est pas irrémédiable.

Les clôtures sont évidemment un élément de difficulté particulier en termes de fragmentation. Il est vrai qu'aujourd'hui, nos lignes à grande vitesse sont clôturées, pour des raisons de sécurité. Nous avons énormément d'introduction de gibier (sangliers, chevreuils) sur nos emprises, avec des impacts importants en termes de sécurité et de régularité. Mais parallèlement, nous avons réalisé des passages pour la faune. Pour limiter les impacts des clôtures, nous menons également plusieurs actions, avec les fédérations de chasse et les associations de protection de l'environnement notamment, sur la maîtrise de la végétation par exemple, ou l'installation de dispositifs techniques, comme des toboggans, qui permettent aux animaux rentrés de ressortir plus facilement de l'emprise.

Vous avez évoqué les corridors écologiques. SNCF Réseau est l'un des membres fondateurs du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B), qui regroupe l'ensemble des grands maîtres d'ouvrage des infrastructures linéaires. Le CIL&B et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) France ont mené, fin 2014, une grande étude sur le thème « Corridors d'infrastructures, corridors écologiques ? ». Cette étude s'est achevée sur un séminaire au cours duquel les débats ont été nombreux. Je vous en livre la conclusion in extenso : « Les travaux confirment que la contribution des infrastructures de transports et leur emprise peut être possible en faveur de la biodiversité si un ensemble de précautions sont prises pour éviter les atteintes et aménager les espaces de manière optimale. » Là encore, c'est peut-être un préjugé qui est levé : oui, si l'on est attentif à la maîtrise de la végétation, à la gestion des clôtures et que l'on noue des partenariats avec les associations qui connaissent la faune et la flore, on peut faire des infrastructures linéaires des espaces à impact positif sur la biodiversité.

Vous nous interrogez également sur le traitement chimique des voies. Pour assurer la maîtrise de la végétation de nos voies, nous faisons appel à des méthodes à la fois mécaniques et chimiques. Sur la plateforme, notre objectif « zéro végétation » est tiré par des critères de sécurité : au même titre que sur les routes, cela est nécessaire pour voir les signaux, assurer la surveillance des installations, le dispositif de retour de courant, et la stabilité de la plateforme. Aux abords des voies, nous avons une règle de gestion plus raisonnée. Cependant, nous avons des pistes le long des voies, qui permettent le cheminement de nos personnels, des services de secours, mais également des clients en cas de transbordement par exemple. Ces contraintes nécessitent une bonne maîtrise de la végétation. Sur les 30 000 km de voies du réseau, nous utilisons des traitements phytopharmaceutiques qui ont été optimisés : depuis 10 ans, nous avons divisé par trois la quantité de produits utilisés ; nos personnels sont formés. Nous avons également développé des méthodes innovantes : nos trains désherbeurs sont équipés de GPS, ce qui permet de couper l'épandage de produits phytopharmaceutiques au droit des cours d'eau ou près d'une zone de captage d'eau potable. Nous sommes en conformité avec tous les arrêtés préfectoraux en la matière. Au final, nous utilisons moins de 1 % des produits phytopharmaceutiques consommés en France, et toujours dans une optique de réduction et de maîtrise des risques. Sur ce sujet, des débats d'experts sont toujours possibles ; pour notre part, nous considérons qu'en raison de toutes les actions que nous menons, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques n'a pas d'impact sur la biodiversité sur nos lignes.

Enfin, sur le sujet de la SEA, je précise qu'au titre de nos responsabilités, nous participons aux comités de suivi entre les services de l'État et LISEA. Nous avons également des comités de suivi propres avec le concessionnaire, dont l'un porte sur les mesures compensatoires, ce qui nous permet de vous livrer en toute transparence des chiffres identiques à ceux de LISEA. Nous assurons un suivi « au fil de l'eau » de la qualité des chantiers et de leur avancement en termes de mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comment expliquez-vous la condamnation de COSEA en décembre dernier pour plusieurs manquements aux réglementations en vigueur, et notamment l'absence de filtres pour la qualité des eaux, pourtant bien prévus dès le départ ? Quel bilan tirez-vous de cette condamnation ? Avez-vous assuré un suivi suffisant ? L'État a-t-il rempli ses obligations ?

M. Bernard Torrin. - LISEA en parlera mieux que nous, mais on a effectivement pu constater quelques petits soucis au démarrage. Nous avons notifié à LISEA les manquements que nous avions observés. Ces quelques erreurs impardonnables ont été sanctionnées. Il y a eu une très bonne réaction des équipes, en termes d'organisation, de moyens, de compétences pour une mise en conformité très rapide. Depuis de très nombreux mois, les observations que nous pouvons avoir sont minimes.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous avez parlé du montant des travaux. C'est un point important. Les condamnations prononcées étaient de l'ordre de 40 000 euros. Vous qui connaissez à peu près le montant des travaux, pensez-vous que ces amendes sont dissuasives pour des filiales de grands groupes comme Bouygues et Vinci, ou est-ce qu'au final, cela reste une économie par rapport au fait de prendre toutes les mesures en amont ?

M. Bernard Torrin. - J'ai du mal à m'exprimer sur le sujet. Je n'ai pas le sentiment que LISEA ait cherché à faire des économies en prenant le risque de la pénalité ou de l'amende. Nous travaillons avec un partenaire responsable.

M. Patrick Jeantet. - Je pense aussi qu'au-delà du risque purement financier, il y a un risque d'image. Un groupe de la taille de Vinci fait attention à son image, car il en a besoin en France mais également à l'international. Afficher un non-respect volontaire des réglementations en matière d'environnement pourrait lui nuire. Vous poserez la question aux représentants de LISEA, mais je pense que l'image est un élément important.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comme vous l'avez dit, vous êtes chargés de veiller au bon déroulement de la concession et au respect des réglementations en matière d'environnement. Suite au problème sur la concession, c'est bien votre part de suivi et d'intervention que j'interroge.

M. Patrick Jeantet. - Le suivi du chantier est assuré par les services du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ils effectuent des visites régulières pour contrôler l'atteinte des objectifs environnementaux. Nous allons, cette année, réceptionner les travaux : le CEREMA poursuivra sa mission dans cette nouvelle phase pour contrôler toutes les obligations liées au projet, et pas uniquement les obligations opérationnelles.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je n'ai pas eu de réponse sur le projet « liaisons nouvelles Ouest Bretagne - Pays de la Loire » (LNOBPL) : quels sont les besoins en compensation ? Quelles solutions sont possibles ? La réglementation européenne impose l'intégration de la totalité des projets dans un projet unique. Avez-vous été en mesure de fournir des données à l'État ?

Mme Corinne Roecklin. - LNOBPL est un projet émergent, dont le débat public s'est achevé il y a tout juste deux ans. Aujourd'hui, on est en phase post-débat public. Le travail sur les différents scénarios possibles pour répondre aux fonctionnalités du projet continue. L'une des fonctionnalités envisagées est la desserte éventuelle de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais les deux projets n'en sont pas au même niveau de définition : LNOBPL est une idée de projet - il reste près de vingt ans d'études, alors que Notre-Dame-des-Landes est un projet plus abouti. Actuellement, nous recensons un ensemble d'enjeux environnementaux, afin de dessiner des options de passage possibles pour desservir le site de l'aéroport, mais pas seulement. Aujourd'hui, nous sommes vraiment dans la phase d'évitement des enjeux majeurs, porteurs de risques forts. LNOBPL n'a pas encore de tracé, on ne peut donc pas savoir quels seront les impacts résiduels qu'il faudra compenser.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La Commission européenne demande d'avoir une vision globale du projet, y compris des dessertes. L'État ne vous a donc pas encore demandé de données sur les besoins en compensation de la desserte de Notre-Dame-des-Landes ?

Mme Corinne Roecklin. - Non, parce qu'on ne les connaît pas... On ne sait pas où va passer le projet.

Mme Évelyne Didier. - Vous avez précisé que la DUP ne couvre pas la compensation. Avez-vous des propositions à faire à ce sujet ? Est-il crédible ou utopique d'envisager l'intégration de la maîtrise foncière des surfaces de compensation à la DUP ?

Vous avez évoqué la question des produits phytopharmaceutiques. Nous pouvons tous constater en prenant le train que des plantes - j'évite le terme de « mauvaises herbes » car on me répond toujours que cela n'existe pas ! - poussent le long des voies. Jusqu'ici, le regard que nous portions sur ce phénomène était négatif. Dans certains pays, comme la Suisse, cette végétation ne dérange plus depuis longtemps, mais j'ai l'impression que nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Avez-vous des campagnes de communication en direction des voyageurs et des riverains pour préciser que cette végétation n'est ni gênante, ni esthétiquement déplorable ? Avez-vous cette volonté d'éduquer ?

Concernant les différences de pratiques dans l'application des règlements en fonction des régions, comment pourrions-nous régler ce problème et uniformiser les pratiques ? À travers des textes ? Des rencontres ? Des formations ?

Enfin, vous avez évoqué le contrôle de l'État. La concession est un contrat très particulier. Pour les concessions autoroutières, tous les coûts sont prévus dans le contrat. D'ailleurs, les sociétés d'autoroutes, que nous avons entendues dans le cadre de cette commission d'enquête, ont à peine compris les questions que nous leur avons posées sur les coûts des compensations : conscients que l'environnement est malheureusement souvent le dernier sujet traité dans les projets, nous laissions entendre que la compensation pouvait n'être traitée que lorsqu'il reste de l'argent dans un programme.

Dans le domaine ferroviaire, le principe de la concession est nouveau. À votre avis, tous les projets désormais seront-ils réalisés en PPP ou exploités via un contrat de concession ? Ces options ont un certain coût pour le contribuable. Quels avantages et quels inconvénients voyez-vous à ces concessions ?

M. Roland Courteau. - Vous avez dit que les corridors créent et alimentent la biodiversité. J'aimerais que vous soyez plus précis sur ces deux expressions qui m'ont interpellé.

Ma seconde question concerne le projet de ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan, qui est le chaînon manquant de cette grande ligne reliant Paris à Barcelone : avez-vous un ordre de grandeur des mesures de compensation ?

M. Gérard Bailly. - Mon département a été traversé, il y a quelques années, par la LGV Rhin-Rhône. J'étais à l'époque président du conseil général, et les choses se sont relativement bien passées au niveau des compensations.

J'ai pris la parole pour réagir à ce qui a été dit par notre collègue Evelyne Didier sur les mauvaises herbes : je m'excuse, mais le paysan que je suis estime qu'il y a des mauvaises herbes ! Certains gardent des chardons sur leurs terrains. Mais les chardons, ça vole ! Qu'ils aillent ensuite les ramasser dans nos champs de blé ou dans les prés où nos vaches pâturent ! C'est pour cela que je n'admets pas que l'on dise qu'il n'y a pas de mauvaises herbes !

M. Patrick Jeantet. - Sans trancher sur l'opportunité des contrats de concession, il me semble que l'un des points durs les plus importants est la forte instabilité interrégionale et la variabilité des demandes de compensation d'une région à l'autre. Quel que soit le groupement auquel la concession est confiée, l'important, c'est la prévisibilité.

Mme Évelyne Didier. - Cette prévisibilité, à qui ou à quoi tient-elle ?

M. Patrick Jeantet. - La prévisibilité est importante quel que soit le domaine. En matière de biodiversité, elle concerne le niveau de compensation qui sera demandé. Lorsqu'on est dans l'inconnu, on tend naturellement à maximiser le risque. Si l'imprévisibilité actuelle continue, les réponses aux appels d'offres des concessionnaires deviendront financièrement très élevées, par peur du risque. D'où l'importance de votre question sur les raisons de ces différences régionales. Je ne suis pas un expert, mais j'ai tendance à croire qu'elles tiennent à la jeunesse de la science de la biodiversité : comme elle manque de maturité, les expertises et l'appréciation des problèmes varient encore beaucoup d'une personne à l'autre.

Créer une filière universitaire permettrait d'approfondir les recherches en matière de biodiversité, et leurs applications industrielles. Cela favoriserait peut-être l'émergence d'un certain consensus.

Mme Sophie Primas. - Sur un même projet, deux experts peuvent avoir des appréciations totalement différentes ?

MM. Patrick Jeantet et Bernard Torrin. - Absolument !

M. Bernard Torrin. - La biodiversité n'est pas une science exacte, et le domaine n'a pas encore été complètement exploré. Nous manquons donc de connaissances. Nous participons, au travers de nos différents partenariats, aux travaux de recherche. Pour l'instant, les écologues, les services de l'État et les maîtres d'ouvrage peuvent avoir des appréciations très variables.

Revenons un instant sur le sujet de la DUP. La maîtrise foncière est bien la clé de voûte de la compensation. Elle le sera d'autant plus que les volumes de compensation deviennent substantiels et doivent être mis en oeuvre sur des territoires où la pression foncière est forte. Nous ne proposerons pas de rendre « DUPables » les mesures compensatoires, car cela nous semble excessif pour ceux qui seraient alors contraints de nous céder leurs emprises. Les partenaires agricoles ont dû vous parler de la « double peine »... En revanche, nous souhaitons vivement trouver des outils qui permettent de rendre les mesures de compensation accessoires de l'infrastructure - peut-être les décrets d'application de la loi biodiversité le permettront-ils. Il faut trouver les moyens juridiques qui nous permettent de dégager assez facilement des solutions. Nous pensons que l'une des clés de la réussite réside dans une démarche territoriale, en partenariat très étroit avec le monde agricole, les conservatoires des espaces naturels, les chambres d'agriculture... Cette proximité territoriale, si elle est nécessaire, n'est pas pour autant suffisante. Nous avons besoin d'outils juridiques, mais la DUP ne nous semble pas forcément adaptée.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous une idée plus précise de l'outil juridique idoine ? Plusieurs des intervenants que nous avons entendus jusqu'ici trouvaient que la meilleure solution consistait à intégrer les mesures compensatoires à la DUP. Vous avez visiblement une opinion différente. Comment voyez-vous les choses ?

M. Bernard Torrin. - Aujourd'hui, la mesure compensatoire doit être mise en oeuvre au plus près de l'infrastructure. Sans être écologue, on comprend que cette proximité est importante. Pour autant, et la loi biodiversité le permet, je pense qu'il faut également explorer les concepts d'unité d'équivalence et de zones de compensation.

SNCF Réseau est propriétaire de 90 000 hectares de dépendances vertes. Toutes ne sont pas des paradis pour la biodiversité, loin s'en faut ; mais un certain nombre d'espaces sont des réservoirs de biodiversité et pourraient être le support de compensations, que ce soit pour nos projets ou pour ceux d'autres aménageurs. La démarche de CDC Biodiversité est également intéressante.

SNCF Réseau est très attaché à cette idée de proximité territoriale, mais il faut pouvoir la compléter par d'autres approches.

Parmi les outils dont nous disposons, l'obligation réelle environnementale, créée par la loi biodiversité, a introduit une certaine servitude qui peut éventuellement permettre de répondre à la question de la gestion des mesures sur le long terme : comment garantir que l'exploitant agricole ou le propriétaire assurera les mesures compensatoires sur une durée de 30 ou 50 ans ? Il faut consolider cette capacité à garantir dans le temps les mesures de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous arrivons sur un point important, celui des actifs. Dans la plaine de la Crau, acquérir et entretenir les surfaces de compensation revient à environ 50 000 euros par hectare ; en zone humide, nous sommes aux alentours de 100 000 euros par hectare. Ces coûts sont-ils acceptables sur les projets, ou sont-ils trop élevés ?

Vous nous avez également fait part de vos difficultés à assurer l'entretien dans la durée. Là aussi, n'est-ce pas tout simplement une question de moyens ? Si vous augmentez le coût du dédommagement à l'hectare, ne trouverez-vous pas plus d'agriculteurs favorables et enclins à suivre les mesures sur la durée ? Êtes-vous prêts à y réfléchir ou est-ce un point sur lequel le concessionnaire et vous refusez de transiger ?

M. Bernard Torrin. - Nous assurons actuellement l'entretien et le suivi d'environ 1 000 hectares de compensation. Il suffit de s'organiser et de développer les budgets. Mais nous n'avons que 1 000 hectares... Si demain, nous arrivons à des volumes plus importants dans des zones où la pression foncière est plus lourde, cela peut avoir des impacts considérables sur le coût du projet. 50 000 euros à l'hectare, c'est un chiffre qui inclut l'acquisition du foncier, les travaux et le suivi dans le temps des mesures. Il est évident que les mesures compensatoires ont un coût. Cependant, ce coût n'est pas révélateur de l'efficacité écologique des mesures : il faut être attentif à ne pas se laisser enfermer dans cette logique. Ce n'est pas parce que l'on paie plus cher que la biodiversité en retire plus de bénéfices !

Mme Sophie Primas. - Vous attisez notre curiosité. Avez-vous des exemples et des contre-exemples de ce rapport entre coût et efficacité ?

M. Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable. - Nous avons quelques exemples, mais nous manquons encore de recul. La mutualisation des mesures compensatoires sur un même terrain, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, permet de diminuer les coûts globaux. Nous parvenons parfois à conclure des partenariats sur des mesures simples et peu coûteuses, comme le fauchage tardif. Tout dépend de l'exigence de la mesure de compensation attendue.

Je suis peut-être iconoclaste, mais il faut s'interroger sur la possibilité d'assurer la compensation sur le réseau existant. Il faut trouver d'autres pistes de compensation, plus globales. SNCF Réseau, comme d'autres gestionnaires, a une infrastructure très importante sur le territoire national. Pourquoi ne pas profiter de ce réseau pour améliorer la continuité écologique au titre de la compensation d'un autre projet ?Certes, en procédant de la sorte, on va peut-être sacrifier l'outarde canepetière au profit de la continuité écologique du vison d'Europe. Mais à s'enfermer dans le tout-local, on va, si ce n'est déjà fait, atteindre nos limites.

M. Jérôme Bignon. - Vous avez tenu des propos intéressants, mais qui m'ont paru contradictoires.

Les 90 000 hectares que vous appelez « dépendances vertes » et sur lesquelles vous souhaitez développer la compensation me semblent, pour circuler régulièrement en train, être davantage des friches que des futurs outils d'exploitation du réseau. Ces friches sont peu présentes autour des lignes TGV mais sont devenues légion sur les lignes plus anciennes. C'est certainement sur ces territoires qu'il faut agir.

Vous nous dites d'ailleurs qu'il serait peut-être intéressant d'utiliser ces friches. Mais à partir du moment où l'on accepte de délocaliser la compensation, pourquoi s'arrêter aux friches de la SNCF ? Il y a des centaines, des milliers d'hectares de friches en France qui dénaturent nos territoires. Ces friches sont le résultat d'un passé industriel glorieux mais qui s'est mondialisé et délocalisé. Il a fait souffrir la biodiversité, et nous restons sans solution pour ces territoires. L'ADEME avait entamé un travail de transformation de ces friches qui n'a pas été poursuivi et je ne vois pas de solution dans l'immédiat. Ce serait vraiment intéressant de mettre en rapport les surfaces de friches qui sont abandonnées et celles créées pour la compensation en démembrant des terres agricoles de bonne qualité... Tout cela a un côté très shadokien !

Le principe de proximité voudrait que l'on réimplante des espèces de grenouille à proximité immédiate de leur habitat initial, afin de recréer des conditions de vie strictement identiques. Est-on certains qu'il s'agit-là de la solution la plus adaptée pour les grenouilles ? Rien n'est moins sûr. On se refuse pourtant à avoir une réflexion plus pragmatique qui consisterait, en priorité à résorber les friches. Cela permettrait de recréer de la biodiversité de façon intelligente, mais coûteuse pour les porteurs de projets et de façon plus efficace pour la collectivité. Car les hommes et les femmes qui vivent à proximité de ces friches seraient heureux de les voir restaurées.

Je ne mets pas en cause la SNCF, mais je crois que le système conduit à faire naître des friches, puis à les laisser mourir tout en essayant de créer de la biodiversité ailleurs. J'ai été un peu long, et je m'en excuse mais je voulais apporter ma contribution et exprimer mon indignation.

M. Patrick Jeantet. - Je pense qu'il faut continuer à compenser localement, tout en ayant la possibilité de compenser ailleurs, et ce d'autant plus qu'on constate une augmentation des demandes de compensation par rapport à des projets menés il y a 5 ou 10 ans.

Pour les projets tels qu'ils sont aujourd'hui, nous allons vers des situations de plus en plus difficiles.

Sur la ligne SEA, 25 000 hectares de compensation ont été demandés au titre des différents arrêtés. Nous en avons mutualisé un certain nombre et, au final, 3 500 hectares de compensation seront mis en oeuvre. Ce chiffre est très nettement supérieur à ce qui avait été demandé lors de la construction de la ligne à grande vitesse est-européenne vers Strasbourg, puisque nous avions alors compensé 340 hectares. Dans le marais poitevin, il sera très compliqué de dégager les surfaces nécessaires pour les mesures de compensation. Trouver d'autres terrains, d'autres mécanismes, permettrait de compléter la compensation locale. Il ne s'agit en aucun cas d'exclure cette première approche, mais bien de voir s'il est possible de s'ouvrir à la seconde.

M. Jérôme Bignon. - Merci pour ce message d'espérance.

M. Bernard Torrin. - Je voudrais répondre sur la façon dont nos infrastructures « créent » et « alimentent » la biodiversité. La maîtrise de la végétation le long des voies ferrées, et en particulier sur les talus et accotements, est assurée de manière raisonnée. Nous avons développé des partenariats avec l'ONF et la LPO pour développer de bonnes pratiques, par exemple en évitant de faucher pendant les périodes de nidification. De ce fait, les abords des voies sont certainement plus sauvegardés que certaines exploitations agricoles intensives, qui se trouvent de part et d'autre de nos emprises ferroviaires. Au final, nous avons la chance d'avoir de longs linéaires, aux abords bien traités, dans lesquels la biodiversité ordinaire s'installe, se crée et s'alimente. On a vu des plantes protégées apparaître, le lézard des murailles se développer.

Le terme coupure chimique ne me paraît pas adapté. En réalité, il n'y a pas de coupure chimique : il y a un traitement chimique de la plateforme qui est raisonné - les doses employées sont inférieures à celles utilisées dans le monde agricole. Nos espaces, globalement protégés, permettent l'installation et la prospérité de la biodiversité ordinaire.

M. Patrick Jeantet. - S'agissant de la LGV Montpellier-Perpignan, nous sommes dans une phase d'études préliminaires.

M. Roland Courteau. - Cela dure tout de même depuis trente ans...

M. Patrick Jeantet. - Je le sais, mais c'est l'état actuel des choses. Nous sommes en train de redémarrer les études sur cette ligne et, à ce stade, je ne peux pas vous répondre sur les mesures de compensation car nous ne les connaissons pas encore. Elles dépendront notamment de la capacité d'évitement, et donc du tracé détaillé, qui n'est pas connu à ce jour.

M. Bernard Torrin. - Sur la sensibilisation des riverains et des élus, je vous confirme que nous menons des actions. Nous avons réalisé récemment une « fiche réflexe », qui explique nos pratiques de manière très pédagogique. Nous utilisons cette fiche dans notre dialogue territorial de concertation avec les élus, et en amont d'opérations importantes de traitement de la végétation. Être plus transparents sur nos actions fait partie de nos responsabilités. Nous essayons d'expliquer les choses pour démystifier un certain nombre de sujets : le traitement chimique ou encore la présence normale de la végétation.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Aujourd'hui, les Anglais ont choisi d'utiliser ce qu'ils appellent les brownfields, les friches, pour faire de la compensation : je désartificialise un hectare de friche pour compenser une artificialisation en zone naturelle. Le potentiel est important, mais avec le coût de dépollution des sols, n'est-il pas au final plus cher que la compensation telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui ?

Quels coûts d'entretien des zones de compensation vous semblent acceptables ? Est-ce qu'une fourchette de 1 000 à 2 000 euros par hectare vous paraît raisonnable ? Nous avons besoin d'ordres de grandeur. Vous avez 3 500 hectares de zones de compensation sur la LGV Tours-Bordeaux - ce qui ne paraît d'ailleurs pas si considérable, puisque cela correspond à environ 350 kms d'artificialisation. Cela pourrait vos coûter 3 à 4 millions d'euros par an d'entretien. Est-ce un coût difficile à assumer ?

M. Patrick Jeantet. - Je propose que nous vous répondions par écrit sur ce sujet, car nous avons besoin de faire une étude détaillée. Juste une remarque : 3 500 hectares, cela représente tout de même l'équivalent d'une deuxième LGV...

M. Bernard Torrin. - La zone de compensation de Vaires-sur-Marne, mise en oeuvre dans le cadre du TGV Est-européen, me semble une bonne illustration de l'utilisation des friches. Nous avons mis en place un bassin d'expansion des crues. Nous avons choisi de le traiter sous forme d'une zone d'aménagement écologique réutilisant des terres de terrassement. Nous avons créé une zone humide de 30 000 m², gérée par une association. Elle ouvre cet espace à des écoliers qui viennent s'enrichir sur la biodiversité : on est donc capables de transformer des installations de type industriel en véritables zones de biodiversité. Vaires-sur-Marne se situe en zone périurbaine et le site est géré de manière écologique, avec fauches tardives et suivi écologique. Des choses sont donc possibles sur les friches.

Mme Sophie Primas. - Je vous remercie vivement pour la quantité d'éléments que vous nous avez apportés et la qualité de vos réponses. Nous vous poserons probablement de nouvelles questions par courrier. N'hésitez pas à nous faire parvenir d'autres éléments, sur les coûts notamment, cela nous intéresse.

Audition de M. François Poupard, directeur général de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer

La réunion est ouverte à 15 heures 35.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous espérons compléter les informations que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) nous a transmises, en entendant François Poupard, directeur général de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Notre commission d'enquête s'est fixé pour objectif d'analyser les conditions de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation des grands projets d'infrastructures en attachant une importance particulière à quatre projets : la construction de l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau. Ces projets sont à des stades différents de mise en oeuvre des mesures de compensation, ce qui nous permettra d'apprécier l'efficacité et l'effectivité du système compensatoire existant, et d'identifier les obstacles éventuels à l'application de la séquence éviter-réduire-compenser.

Nous recevons François Poupard, accompagné de Mmes Nora Susbielle, cheffe du bureau de la politique de l'environnement à la sous-direction de l'aménagement du réseau routier national, et Nancy Canoves Fuster, directrice de cabinet.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin seraient passibles des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Poupard et Mmes Nora Susbielle et Nancy Canoves Fuster prêtent successivement serment.

Ils déclarent aussi ne pas avoir de lien d'intérêt avec aucun des quatre projets mentionnés ci-dessus.

M. François Poupard, directeur général de la DGITM. - La DGITM a pour première mission d'écrire les articles de loi, les règlements, décrets et arrêtés qui régissent les transports terrestres, maritimes, fluviaux, ferroviaires et routiers. En plus de cette compétence de cadrage, la DGITM anime des centres d'études et siège à leur conseil d'administration. Nous travaillons en concertation avec l'Institut français des sciences et technologies des transports de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) pour constituer des guides et des méthodes. Enfin, nous collaborons avec des établissements scientifiques comme le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

Nous sommes concédant de grandes infrastructures, lorsqu'elles sont réalisées par des tiers, concessionnaires ferroviaires ou autoroutiers, par exemple. Nous sommes maître d'ouvrage pour les opérations sur le réseau routier national. Et nous sommes opérateur du réseau routier national par l'intermédiaire des directions interdépartementales des routes (DIR), structures déconcentrées du ministère qui exploitent le réseau routier national non concédé.

Les grandes infrastructures décidées et engagées dans notre pays sont intégrées dans un schéma national d'infrastructures des transports, élaboré en application de la loi Grenelle de l'environnement entre 2009 et 2011. Ce schéma a fait l'objet d'une évaluation environnementale, conformément au code de l'environnement, et un avis de l'Autorité environnementale a été rendu le 22 septembre 2010. Très exhaustif, il prévoit sur le long terme des projets qui se chiffrent à plus de 250 milliards d'euros d'investissement. En début de législature, la commission Mobilité 21, présidée par le député Philippe Duron, a engagé une sélection des projets et prévu un phasage de leur réalisation. La hiérarchisation s'est opérée selon trois échéances et quatre critères, dont le critère de performance écologique qui prend en compte l'empreinte environnementale, la contribution à la transition énergétique, les effets sur les émissions de gaz à effet de serre et le développement des transports collectifs, en application des lois visant à réduire le trafic routier.

Pour les travaux de modernisation des réseaux, chaque contrat de plan État-région fait également l'objet d'une évaluation environnementale soumise à l'avis de l'Autorité environnementale. Cette évaluation s'appuie sur un référentiel national d'éco-conditionnalité. La prise en compte de l'environnement s'intègre ainsi dans l'ensemble du processus, depuis la phase d'identification des infrastructures jusqu'à leur sélection et leur phasage dans le temps. Au fil de ces étapes, la concertation facilite l'acceptabilité globale du projet et son insertion dans l'environnement. Le processus, itératif, s'appuie sur le choix du meilleur tracé pour définir et hiérarchiser les enjeux tout en évaluant de plus en plus précisément les impacts. Une définition précise des mesures de compensation à mettre en oeuvre serait contre-productive et impossible à tenir, si elle intervenait trop en amont.

Les maîtres d'ouvrage regrettent qu'il n'existe pas de méthode d'évaluation objective des impacts et des compensations, fonctionnant sur des ratios d'équivalence écologique et laissant la place à la différenciation locale, au cas par cas ou selon les espèces. La méthode de ratios utilisée aujourd'hui n'est pas assez fine et n'est pas non plus suffisamment documentée espèce par espèce. Cette méthode d'évaluation surfacique des compensations a parfois des conséquences dommageables : elle provoque notamment des tensions foncières dans certaines zones à forte qualité agricole ou dans certaines zones périurbaines. Lorsque les ratios sont de un pour quatre, d'autres usages du sol prévalent, ce qui peut aboutir à une impossibilité matérielle de mobiliser les surfaces nécessaires.

La DGITM a engagé plusieurs études, en partenariat avec le Cerema, le Muséum, mais aussi d'autres organismes comme la DGALN. Elle a publié un guide, des rapports, des notes d'information incitant les maîtres d'ouvrage à prendre en compte les obligations environnementales et à favoriser des méthodologies homogènes au sein des services instructeurs.

Une autre difficulté vient de ce que pour garantir la maîtrise foncière des terrains nécessaires à la compensation, nous devons faire des choix sans connaître à l'avance les décisions politiques qui détermineront les infrastructures à réaliser demain. L'incertitude prévaut, dans la mesure où nous ne connaissons pas le lieu où la compensation devra s'appliquer. Il faudrait faire évoluer les outils mis à disposition des maîtres d'ouvrage, en osant aller jusqu'à l'affichage de la possibilité de recourir à l'expropriation, car parfois, les concurrences d'usage du sol empêchent de mobiliser les terrains nécessaires. Le sujet est compliqué : on ne peut pas avoir recours à l'expropriation sans une déclaration d'utilité publique (DUP). Or les terrains nécessaires à la compensation ne sont pas toujours inclus dans cette déclaration. D'autant que les terrains les plus pertinents pour la reconstruction de la biodiversité ne sont pas toujours dans la contiguïté de l'infrastructure ou de son fuseau.

La DGITM est favorable aux politiques de protection de l'environnement. Il y va de l'application des lois, de la réalisation de projets conformes aux politiques mises en oeuvre dans notre pays, et de l'acceptabilité de ces projets, trop souvent bloqués en fin de parcours. Il est indispensable de réaliser un travail en amont.

Nous sommes également favorables au développement d'une offre de compensation qui permettrait aux maîtres d'ouvrage de remplir leurs obligations de manière plus satisfaisante sur le plan environnemental. Cette offre devrait se caractériser par une plus grande souplesse pour ce qui est des critères de proximité entre le site impacté par l'infrastructure et la localisation des mesures de compensation.

Les obligations en matière environnementale sont largement décrites pour chaque projet, tant par la DUP et son annexe ERC que par les articles L. 122-1 et L. 122-14 du code de l'environnement. Pour les projets les plus importants, ces obligations figurent dans le dossier des engagements de l'État.

De nombreux projets d'infrastructures sont réalisés dans le cadre de contrats délégués, confiés à des concessionnaires ou à des partenaires privés. La responsabilité d'obtenir les autorisations administratives utiles pour réaliser le projet, qu'il s'agisse de celles à produire au titre de la loi sur l'eau ou des dérogations sur les espèces protégées, est portée par le maître d'ouvrage privé ou le concessionnaire. Ce maître d'ouvrage est alors soumis aux obligations de l'annexe ERC de la DUP, à celles qui figurent dans le dossier des engagements de l'État, ainsi qu'aux dispositions du contrat de partenariat qui prévoient des pénalités en cas de non-respect de ces obligations. Le contrôle exercé par la personne publique délégante n'a en revanche pas vocation à se substituer à la police de l'environnement qui a en charge le contrôle du respect des obligations environnementales du maître d'ouvrage privé ou délégué.

En ce qui concerne les dépendances vertes du réseau routier national non concédé dont les DIR assurent l'exploitation et la gestion, l'administration a fixé un plan d'action en faveur des insectes pollinisateurs. Elle travaille également à la diminution drastique de l'utilisation des produits phytosanitaires, avec pour objectif le zéro phyto, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, ainsi que le traitement de l'eau. Cette politique s'inscrit dans une démarche globale de préservation de la biodiversité sur les infrastructures de transport existantes gérées par l'État.

La restauration des continuités écologiques sur les infrastructures construites avant 2009 a donné lieu à de nombreuses études dans le but d'améliorer la connaissance et de définir des actions prioritaires d'intervention sur ces réseaux existants. Ces approches mettent en évidence la nécessité de réfléchir à la stratégie de financement de la requalification environnementale du réseau routier national à moyen terme. Cela vaut aussi pour les autoroutes concédées dont certaines ne sont pas aux normes actuelles. La DGITM a signé tout récemment une convention avec la DGALN pour permettre le cofinancement par les agences de l'eau d'opérations de restauration des continuités écologiques des cours d'eau, dits de liste 2, qui constituent une obligation légale. Un soutien similaire serait nécessaire pour des opérations de rétablissement de la trame verte et bleue sur le réseau, qui iraient au-delà des exigences réglementaires compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur le réseau.

Parmi les guides et les documents que la DGITM a établis, je citerai une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires, réalisée en 2014 ; un guide didactique sur l'impact des projets d'infrastructures linéaires, publié en 2016 ; une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires en zone humide, en cours de réalisation. Avec la direction de l'eau et de la biodiversité, nous avons rédigé une note de cadrage méthodologique visant à favoriser la planification des opérations de dragage et de gestion des sédiments associés sur l'ensemble du littoral. Dans la continuité du guide Espèces protégées, aménagement et infrastructures publié en septembre 2012, nous avons élaboré une étude de sécurisation juridique des projets sur les volets eau et espèces protégées, avec l'aide du CGDD et de la DGALN. Cette étude sera disponible très prochainement. Enfin, nous avons passé une convention avec le Muséum national d'histoire naturelle pour financer des travaux de recherche et développement afin de faciliter la prédiction des espèces présentes dans un secteur géographique et d'élaborer une base de données générale, comme le recommande la loi sur la biodiversité. Nous participons à de nombreuses journées d'étude, réalisons des fiches, développons des protocoles dans des domaines techniques qui nécessitent un soutien méthodologique pour les maîtres d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons noté vos propositions d'amélioration avec intérêt. Vous avez mentionné votre collaboration avec le MHNH. Participez-vous à la cartographie nationale des enjeux de la biodiversité ? Et, plus largement, avez-vous une vision des enjeux de biodiversité au niveau national, ou bien procédez-vous au cas par cas ?

Vous avez insisté sur les contrats délégués. Croyez-vous que l'État joue son rôle de contrôle ? Des affaires récentes se sont terminées au tribunal, notamment sur le projet LGV. L'État a-t-il les moyens d'exercer son contrôle ou bien est-il surtout soucieux d'entretenir de bonnes relations avec les concessionnaires ?

Enfin, les pénalités sont-elles suffisamment dissuasives ? Considérez-vous qu'aujourd'hui les coûts de la compensation sont intégrés dans les projets ?

M. François Poupard. - Nous menons un travail approfondi pour acquérir la meilleure connaissance possible des espèces et des milieux impactés. Nous tentons de devenir plus compétents en matière d'enjeux globaux. Cependant, nous restons une direction technique qui s'occupe de transports et nous ne nous élevons pas au-dessus de notre condition. La DGITM et la DGALN ont collaboré à la cartographie que vous mentionnez. Le travail est en cours.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cela signifie-t-il que, lorsque l'État discutera de grands projets, vous serez en mesure de signaler les difficultés qui risquent de mettre en péril leur mise en oeuvre ? Disposons-nous de cette vision systémique ?

M. François Poupard. - La DGITM s'est dotée d'un bureau spécifique en charge de cette question. Nous ne sous-traitons pas cette matière, même si nous ne disposons pas des mêmes moyens que d'autres organismes. Cela fait partie du travail du maître d'ouvrage.

Le contrôle de l'État s'exerce par le biais de la police de l'environnement qui relève davantage de l'ONEMA que de la DGITM. Cependant, nos inspecteurs des pêches assurent une forme de contrôle au service des directions interrégionales de la mer (DIRM) et des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) en faisant des patrouilles et en vérifiant l'application des réglementations du littoral, côté mer : braconnage, dégazage, etc. Nous sommes en discussion avec l'Agence française de la biodiversité (AFB) pour réunir nos forces de police.

L'État contrôle avec attention aussi la réalisation des concessions, et il le fait... sans concession. Les relations avec les concessionnaires sont parfois tendues. Les contrats de concession, souvent longs, sont pour beaucoup antérieurs aux réglementations environnementales. Nous essayons de les faire évoluer de manière à ce qu'ils intègrent une préoccupation environnementale, mais aussi des notions telles que la qualité de service pour les usagers. Ce n'est pas facile, car la renégociation des contrats donne lieu à des demandes d'indemnités. À titre d'exemple, les grands contrats sur les concessions d'autoroutes ont été renégociés au cours de l'année 2015, au terme d'un débat national. Ils sont désormais beaucoup plus exigeants.

Dans les contrats les plus récents, les mesures compensatoires et la conformité au cahier des charges sont soumises à des pénalités qui sont effectivement appliquées s'il y a lieu. La livraison d'une concession comme celle de la LGV SEA donnera lieu à un travail de vérification qui durera plusieurs mois.

Les pénalités sont-elles dissuasives ? Quoi qu'il en soit, un concessionnaire cherchera toujours à éviter de payer des pénalités. Il commencera par présenter des réclamations sur les travaux et ainsi de suite. Les pénalités en matière d'environnement sont lourdes. Il faudrait s'adresser directement aux intéressés pour savoir si elles sont vraiment dissuasives.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les pénalités dans les contrats de concession sont lourdes. Les amendes pénales sont encore souvent très modestes.

M. François Poupard. - Je parle bien des pénalités contractuelles. S'agissant de votre question concernant le coût de la compensation, dans la mesure où le concessionnaire doit répondre au cahier des charges, il intègre systématiquement les coûts de compensation dans son contrat. Nous tentons d'évaluer ces surcoûts, qui pourraient varier de 10 à 15 % selon les projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Jusqu'à présent, on nous a plutôt dit qu'ils variaient entre 5 et 10 %.

M. François Poupard. - Certains projets sont plus sensibles que d'autres. Effectivement, en moyenne, on tourne autour de 10 %.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Inscrire dans la loi sur la biodiversité l'obligation de résultat avec zéro perte nette pour la biodiversité peut-il contribuer à changer l'approche de certains maîtres d'ouvrage ? Se dirige-t-on vers un système de provisions pour risques ?

M. François Poupard. - La compensation n'est pas totalement documentée espèce par espèce, de sorte qu'elle se fera surtout sous forme de mesures foncières, ce qui revient à remplacer de la biodiversité par des hectares. D'une part, la méthode n'est pas forcément efficace. D'autre part, elle soulève des difficultés matérielles et de pression foncière. Il faut approfondir notre analyse pour mieux comprendre ce qu'implique une compensation intégrale.

Le temps pose également problème. Le maître d'ouvrage met en place des mesures. Que deviendront-elles dix ou vingt ans plus tard ? Ce n'est pas le métier du maître d'ouvrage que de gérer des réserves écologiques. On commence à reconstituer des zones humides. Jusqu'où et comment faut-il les gérer ? Quel type d'opérateurs impliquer ? C'est un vrai métier. Il faut également pouvoir financer ces projets dans la durée. Pour l'instant c'est un non-dit. La question finira forcément par se poser.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est un non-dit dont personne ne nous avait parlé jusque-là. Cela signifie-t-il qu'il faut intégrer un coût de fonctionnement dédié à la biodiversité dans les projets ? D'après vous, ce coût resterait un non-dit.

M. François Poupard. - En tout cas, ce coût n'est pour l'instant pas assumé comme tel. Il n'est ni chiffré, ni matérialisé. Dans les zones portuaires, certaines zones Natura 2000 sont gérées par le port avec l'aide d'ONG, et leur coût de fonctionnement est chiffrable. On sait l'identifier dans l'économie portuaire. Aucun opérateur n'intervient dans les grands projets d'infrastructures. Ce n'est ni le métier de Vinci, ni celui des DIR. Cette question doit encore être expertisée.

Mme Évelyne Didier. - Merci pour votre exposé, très clair. Est-il facile d'avoir une application et des exigences identiques sur l'ensemble du territoire, ou bien avez-vous constaté des applications diverses et variées que vous essayez de corriger en développant une politique commune nationale ? Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) réagissent-elles toutes de la même manière ?

Les évaluations environnementales imposées aux concessionnaires sont des exigences nouvelles de l'État qui supposent un avenant au contrat. Ne sont-elles pas forcément compensées ?

L'ONEMA exerce un contrôle pour l'eau. Qui réalise les autres types de contrôle ?

Lorsqu'il y a une zone de compensation, qui est propriétaire ? Une concession n'est en réalité rien d'autre qu'un système financier. Elle a forcément une durée, même si certaines concessions sont très longues, comme celles des autoroutes. In fine, ces zones de compensation reviennent-elles à l'État ? Qui en demeure propriétaire ?

M. François Poupard. - Plus que des variations entre Nord et Sud ou la pratique des DREAL ou des maîtres d'ouvrage, c'est la fragilité des milieux traversés qui détermine le niveau de précaution.

Les mesures prises à ce titre génèrent des surcoûts, dont vous demandez s'ils sont compensés par une augmentation des tarifs. La réponse est oui. La concession est un système de financement mêlant ressources budgétaires, via des subventions d'équilibre versées par les régions et l'État, et recettes issues des tarifs appliqués pendant toute la durée du contrat. Si une mesure de compensation n'est pas prévue par le contrat initial, le concessionnaire peut demander que son financement soit garanti par une subvention ou par une hausse des tarifs. C'est ainsi que les contrats de plan autoroutiers, comme le Plan Vert, ont prévu des compensations tarifaires des mesures écologiques. Quoi qu'il en soit, l'argent provient soit de l'impôt, soit des tarifs.

Outre l'ONEMA, la police de l'environnement est exercée par les DREAL. Je crois que l'AFB va unifier les corps de contrôle...

Quant à la propriété des terrains concédés, elle revient in fine au concédant, sachant que le concessionnaire doit les gérer de manière à les lui restituer en bon état.

Par nature, les concessionnaires ne sont pas des gestionnaires d'espace écologique. Doivent-ils le devenir ? Faut-il faire émerger des opérateurs spécialisés ? Dans l'affirmative, ceux-ci doivent-ils être créés de toutes pièces, ou est-il préférable de s'appuyer sur des institutions existantes, comme la Caisse des dépôts et consignations ? En tout cas, un nouveau métier apparaît, et il n'est pas sûr que Vinci soit le mieux placé pour l'exercer, même si des opérateurs compétents apparaissent parmi ses sous-traitants. La DGITM n'est pas non plus l'acteur idoine.

Mme Sophie Primas, présidente. - Lors d'une précédente audition, nous avons été alertés sur le manque de compétences en matière de biodiversité et de compensation. Qu'en pensez-vous ?

M. François Poupard. - Chez les maîtres d'ouvrage, ce manque est patent, et il est naturel, puisque ce n'est pas leur métier. Mes propres moyens sont affectés en priorité à l'exploitation des routes : si je prélève des ressources pour les consacrer à ces questions, je ne pourrai plus assurer le salage hivernal. Des pôles de compétence peuvent-ils émerger sur notre territoire ? Mis à part le Muséum, qui dispose d'une expertise pointue et diffuse guides et recommandations, la question se pose. Or la conception, la construction et la gestion des hectares de zones écologiques que nous créons requièrent de la main-d'oeuvre !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous sommes à un point de basculement : la loi a imposé la compensation, et les opérateurs ne disposent pas encore de tous les savoir-faire nécessaires. L'État est-il prêt à la financer ? Le modèle économique de la mobilité impose de maintenir les prix à un niveau raisonnable. Certes, il suffirait d'accroître les tarifs de péage ou le taux de la taxe aéroportuaire.

M. François Poupard. - La question du financement des transports, que vous soulevez, est complexe. Il n'y a que deux sources : le tarif et l'impôt. La situation des finances publiques nous conduit à rechercher des économies dans la construction et la gestion. Quant à la hausse des tarifs, nous savons bien que les usagers veulent des petits prix, qu'il s'agisse de la SNCF ou des péages autoroutiers. En fait, chacun veut une baisse des impôts et des tarifs tout en réclamant davantage de services et de compensations. Il faut pourtant faire les comptes et prendre conscience qu'une diminution des ressources couplée à une hausse des exigences ne peut que conduire à des impasses.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-ce ce qui nous attend ? La solution n'est-elle pas l'évitement ? Je sais bien que les coûts évités sont difficiles à évaluer... L'État passera-t-il en force sur des projets qu'il considère comme essentiels, mais ne sait pas comment compenser ?

M. François Poupard. - Le rôle de l'administration est d'élaborer un catalogue de projets utiles et susceptibles d'être financés. C'est aux responsables politiques qu'il revient de décider quelles infrastructures construire, et selon quel calendrier. En la matière, l'inertie est considérable : nous terminons actuellement des projets lancés il y a six ans et, entre la décision et la mise à disposition, il peut s'écouler jusqu'à une vingtaine d'années. Une vision dynamique est donc indispensable.

Oui, l'État est attentif aux coûts. Nos débats avec la direction du budget sont très nourris et même créatifs. L'opportunité de chaque projet d'infrastructure est scrutée de près. Notre ministère a d'ailleurs révisé sa méthode d'évaluation des projets pour prendre en compte les critères environnementaux. Y a-t-il un niveau maximal de coût environnemental acceptable ? Il est difficile de répondre dans l'absolu, puisque l'on compare toujours les coûts aux avantages d'un projet pour la collectivité. Si l'intérêt est très fort, des coûts compensatoires importants doivent être assumés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous faites bien de nous rappeler que l'enquête sur les coûts et bénéfices, qui suscite bien des débats, intègre les coûts environnementaux. On a parfois l'impression que les mesures compensatoires arrivent après coup, ce qui pose des problèmes aux maîtres d'ouvrage.

M. François Poupard. - Nous appliquons des décisions prises par nos prédécesseurs - et leurs prédécesseurs - alors que de telles mesures n'existaient pas. D'où les coûts supplémentaires. Jeune ingénieur, je devais respecter la deuxième version de la circulaire dite « Boiteux ». Il s'agissait de généraliser l'analyse des coûts et des avantages, selon des critères quantitatifs, à tous les projets d'infrastructures de transport. Nous en sommes désormais à la septième ou à la huitième version de cette circulaire, et l'analyse économétrique froide a cédé la place à une réflexion selon de multiples critères, qui va jusqu'à prendre en compte les effets globaux, comme le réchauffement de la planète. Le Commissariat général à l'investissement, qui réfléchit beaucoup aux méthodes d'évaluation des projets, a reconnu que notre ministère était en pointe en matière de prise en compte de critères multiples. D'ailleurs, ce sont parfois les projets eux-mêmes qui servent d'appui à une avancée réglementaire. Ce fut le cas, par exemple, de l'A 51.

Mme Évelyne Didier. - Certes, une durée de quinze ou vingt ans laisse à la réglementation le temps d'évoluer. La décision politique ne devrait intervenir que lorsqu'on dispose d'éléments suffisants. Je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas... En effet, votre direction a anticipé certaines évolutions, mais ce sont les responsables politiques qui décident en dernière analyse. Or, les projets de TGV qui concurrençaient directement l'entretien et la rénovation du réseau ferroviaire auraient dû être reportés. Cela montre que, du point de vue de la mobilité ferroviaire globale, les priorités n'ont pas été fixées de manière raisonnable.

M. François Poupard. - La décision des responsables politiques est-elle suffisamment éclairée ? Question complexe. Tout notre processus d'élaboration d'un projet, du débat public à la signature du contrat, fonctionne par entonnoir : on commence à réfléchir de manière très large, donc relativement imprécise, et progressivement, avec le débat, les avis, l'enquête publique, on devient plus précis. C'est pourquoi la DGITM n'est pas favorable à ce que les évolutions de réglementation conduisent à mettre en cause l'opportunité d'un projet lorsque celui-ci est déjà bien avancé. Devoir déplacer de quatre kilomètres un fuseau de 300 mètres nous contraint à reprendre le processus dix ans en arrière ! Convergentes, nos procédures sont très vulnérables à des décisions divergentes tardives. Pour autant, il n'est pas possible de faire l'inventaire des espèces sur un fuseau de vingt kilomètres. Il faut donc trouver un équilibre pour que l'étude des mesures d'évitement se fasse à une échelle adaptée. Par définition, le tracé d'une infrastructure linéaire doit être assez rectiligne... Nous nous réjouissons que la décision finale revienne aux responsables politiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Il est bon que cela nous soit rappelé par votre administration.

M. François Poupard. - La décision de faire une ligne rapide entre Tours et Bordeaux relève d'une politique d'aménagement du territoire, et ne peut évidemment pas être prise par les seuls ingénieurs. Une décision politique ne correspond jamais totalement à une analyse économétrique froide, ce qui est bien naturel. Certes, elle ne doit pas non plus être irrationnelle : lorsque des milliards d'euros sont en jeu, la rationalité prend une place considérable - nous y veillons.

L'arbitrage entre investissements nouveaux et maintenance est une vraie question, qui a des conséquences aussi sur l'environnement : si l'on engage de nouveaux projets coûteux, le parc existant n'est pas adapté. Du point de vue technique, il est possible de sacrifier la maintenance pendant un ou deux ans. Au-delà, le coût du rattrapage dépasse celui de l'entretien régulier. Nous le voyons bien avec notre réseau ferroviaire, pour lequel il faudra investir 30 milliards d'euros en dix ans. Et il en va de même de notre réseau navigable et routier - hors les zones concédées, qui sont bien entretenues.

M. Gérard Bailly. - La compensation est importante, et son coût est de mieux en mieux compris et accepté. Nous avons parlé de la faune et de la flore, mais quid des êtres humains ? J'ai bien vu lors du tracé de l'A 39 ou de la LGV Rhin-Rhône que l'on prenait la peine de déplacer les travaux de quatre kilomètres pour préserver la nature. Prend-on un soin équivalent des personnes ? A raison de 12 000 ou 15 000 passages par jour, à multiplier par le nombre de jours travaillés par an, combien ces quatre kilomètres surnuméraires représentent-ils de moments qui auraient pu être passés en famille ? Et je ne parle pas du carburant supplémentaire consommé. Pour l'A 51, a-t-on pensé à ceux qui doivent prendre la route Napoléon pour rentrer chez eux, dans les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence ? Bref, se soucie-t-on autant des hommes que de l'environnement ? La question est d'importance, surtout pour les habitants des zones rurales.

M. François Poupard. - En effet, et elle est au coeur de l'analyse des coûts et bénéfices de chaque projet. Par bénéfice, nous n'entendons pas un résultat financier, mais bien un avantage pour la collectivité. Ce que doit faire gagner un projet d'infrastructure, ce n'est pas de l'argent, c'est du temps.

M. Gérard Bailly. - De la vie familiale, donc.

M. François Poupard. - Nous évaluons le coût de ce temps gagné et, pour un projet autoroutier, il constitue 80 % des bénéfices pris en compte.

M. Gérard Bailly. - Merci ! Me voilà soulagé.

M. François Poupard. - La pondération des effets externes sur la qualité de vie, le bruit ou la pollution, diminue un peu celle du gain de temps, mais celle-ci reste le principal critère - dans la deuxième version de la circulaire Boiteux, c'était le seul...

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pourriez-vous nous faire parvenir la dernière version de cette circulaire ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.

La réunion est close à 16 heures 47.

Audition de M. Bruno Léchevin, président, et de M. Fabrice Boissier, directeur général délégué, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

La réunion est ouverte à 18 heures.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Je rappelle que notre commission d'enquête analysera plus en détails les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre Dame des Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Cette audition doit nous permettre d'aborder le sujet de la mise en oeuvre de la compensation d'un point de vue plus général, au regard des missions de l'ADEME. Nous nous interrogeons notamment sur la question de l'opportunité d'une utilisation des friches, notamment « polluées », pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME, et M. Fabien Boissier, qui en est le directeur général délégué.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Léchevin et M. Fabien Boissier prêtent successivement serment.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan DANTEC, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME. - Merci de nous recevoir. Je n'exposerai pas la position de l'ADEME sur l'objet de vos travaux, car nous n'en avons pas nécessairement la compétence. L'ADEME n'est pas opérateur de mesures de compensation mais nous menons des actions de soutien à la reconversion des friches urbaines polluées, qui est un sujet qui vous intéresse. Nous menons des travaux de dépollution, nécessaires à de nouveaux usages, et qui contribuent à la préservation de la biodiversité.

Dans le cadre des émissions carbone, nos actions interviennent à tous les niveaux de la séquence éviter-réduire-compenser. L'accent est mis sur le développement de méthodes et d'outils pour effectuer des diagnostics sur les gaz à effet de serre (GES).

Face à l'essor des différents dispositifs de compensation volontaire, et du nombre croissant d'opérateurs, le ministère de l'environnement et l'ADEME avaient mis en place en 2007 une charte de la compensation volontaire des émissions de GES, afin de garantir la qualité et la fiabilité de ce dispositif en France. Cette charte établissait un guide de bonnes pratiques pour une démarche de compensation. En 2010, cette charte a été abandonnée, suite à un audit très négatif. La plupart des opérateurs ne fournissaient aucun document justificatif solide, les méthodes de calcul n'étaient pas reconnues et les vérifications étaient effectuées par les membres du projet eux-mêmes. La charte a donc été remplacée par le guide « La compensation volontaire : démarches et limites ». Il apporte des éléments de compréhension sur le contexte de la compensation volontaire, notamment les différents acteurs et l'état du marché. Depuis 2014, nous soutenons avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) une plateforme d'information et de sensibilisation aux bonnes pratiques en matière de compensation carbone, le site info-compensation-carbone.com.

Notre contribution à vos travaux a donc certaines limites. Toutefois nous sommes évidemment à votre disposition pour répondre au mieux à vos questions.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons souhaité vous entendre car votre expérience en matière de friches et de compensation carbone peut éclairer nos travaux.

En Angleterre, la logique, pour un hectare d'espace naturel aménagé, est de retrouver un hectare aménagé pour en refaire un espace naturel. Avez-vous une idée du potentiel de friches, polluées ou non, à reconquérir en France ? Et connaissez-vous l'intérêt écologique de ces friches, notamment dans le cadre des continuités écologiques locales ?

M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME. - L'espace occupé par les friches industrielles est complexe à évaluer, en raison de difficultés de recensement. La surface que représentent les friches industrielles urbaines, potentiellement polluées, est de 145 000 hectares, comme ordre de grandeur. Dans une centaine de territoires, des inventaires fonciers plus précis ont été effectués, comme Lille-Métropole, le Grand Lyon, l'agglomération de Saint-Nazaire et la ville de Dunkerque. L'ADEME soutient ces démarches, mais nous n'en sommes qu'au début du processus, qui nécessite des ressources.

M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'ADEME. - Les friches polluées que nous connaissons sont surtout en zone urbaine, car c'est là que le foncier a de la valeur, et donc que les inventaires ont été menés.

La reconquête de ces friches polluées est intéressante, car elle permet de lutter contre l'étalement urbain, et donc contre le développement d'une emprise sur des terres qui ont une valeur agricole ou pour la biodiversité.

L'ADEME a deux missions à cet égard. Elle est responsable au titre d'une maîtrise d'ouvrage déléguée par l'État de la mise en sécurité de sites pollués orphelins. Et d'autre part, nous soutenons - avec toutefois peu de moyens - la réhabilitation de friches urbaines dans une logique d'appel à manifestation d'intérêt, pour faire émerger des pratiques innovantes et exemplaires, notamment des aménagements intégrant les enjeux liés à l'habitat, aux transports, à la trame verte ou encore à la vie sociale.

Nous avons publié un guide sur la biodiversité et la reconversion des friches urbaines polluées, pour montrer qu'il est possible de travailler sur la biodiversité dans le cadre d'une stratégie de reconquête des friches urbaines. Pour ne rien vous cacher, aujourd'hui ce n'est pas la pratique la plus courante. La biodiversité n'est pas encore arrivée à un point de prise en compte importante, mais nous considérons qu'il y a des possibilités intéressantes, malgré des obstacles techniques réels, comme la dépollution préalable au développement de la biodiversité, pour ne pas intégrer de nouveaux polluants dans la chaîne écologique. Cela pourrait aller dans le sens de la démarche de compensation que vous analysez.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-ce que les grandes friches militaires sont également traitées par l'ADEME ?

M. Fabrice Boissier. - À ma connaissance, l'ADEME n'a pas été amenée à intervenir sur des terrains militaires.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - En Lorraine, nous avons le plus ancien établissement public foncier. Il avait comme objectif de traiter les friches industrielles, mais nous avions également de nombreuses friches militaires. Une politique d'achat a donc été menée, et, en fonction des terrains, nous avons cherché des porteurs de projets susceptibles d'être compatibles. La dépollution dépend bien entendu de l'usage du terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous participez en fait d'abord à une démarche d'évitement, en fléchant des terrains pouvant accueillir des activités, afin d'économiser l'utilisation d'espaces naturels. Intervenez-vous auprès des porteurs de projet pour qu'ils privilégient ces terrains ? Y a-t-il un lieu ou une sorte de bourse pour ce dialogue et ces échanges ?

M. Fabrice Boissier. - L'ADEME ne gère pas toutes les dimensions d'un tel sujet. Lorsque nous intervenons sur la reconversion d'une friche, c'est parce qu'il y a déjà un aménageur qui a un projet, donc plutôt en aval. La bourse que vous évoquez existe peut-être localement, au niveau d'une collectivité dans le cadre d'une planification de l'urbanisme. Mais au niveau national, je ne crois pas.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Je vais à nouveau citer mon expérience. Lors du travail sur le SCoT dans mon secteur, au nord de la Meurthe-et-Moselle, des objectifs ont été fixés pour l'utilisation de la terre agricole. En additionnant ces espaces dédiés à l'activité économique, la somme était conséquente. Un travail de sélection a donc été mené. Par ailleurs, les terres en friches devraient être zonées dans les plans locaux d'urbanisme (PLU), et l'Etat pourrait alors en faire un inventaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le SCoT peut-être un lieu d'organisation de ces enjeux, même si je n'ai pas tout à fait la même expérience de cet outil. Comment verriez-vous ce lieu d'échange, d'accompagnement et de stratégie : est-ce l'intercommunalité, l'agence d'urbanisme, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ? Il est intéressant de privilégier les friches, pour contrer l'étalement. L'ADEME doit-elle sensibiliser davantage les collectivités territoriales, dans le cadre de ses délégations locales ? Comment allez-vous coopérer avec l'AFB, qui a également un rôle à ce sujet ?

M. Bruno Léchevin. - Compte tenu de notre expérience dans ce domaine, nous devons bien entendu développer de telles actions, en coopérant avec l'AFB. Cela dépendra également de l'implantation territoriale de l'AFB, par rapport à celle de l'ADEME. Nous avons déjà des outils, un début de recensement, des processus d'accompagnement. Il faudrait préciser cette complémentarité.

M. Fabrice Boissier. - L'expérience de l'ADEME en matière de compensation carbone pourrait également apporter des enseignements. L'exemple de la charte peut être utile. Deux risques à anticiper ont été identifiés lors de ce travail : l'additionnalité des mesures de compensation, en vérifiant qu'elles n'auraient pas eu lieu sans l'effort de l'opérateur, et l'unicité, en s'assurant que deux porteurs de projet ne valorisent pas la même démarche de reconquête. L'Etat doit contribuer à la transparence de ces dispositifs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous travaillé sur les équivalences écologiques ? Il y a une flore de béton sur des friches qui peut être proche de flores rares sur des terrains minéraux. Certaines friches, installées près de cours d'eau, pourraient-elles redevenir demain des zones humides ?

M. Bruno Léchevin. - Nous ne sommes pas nécessairement dans un tel degré de précision, mais en visitant le réaménagement d'une friche urbaine à Lille, nous avons constaté une prise en compte des zones humides.

M. Fabrice Boissier. - Nous atteignons là les limites de nos compétences en matière de biodiversité. C'est pour cela que nous souhaitons travailler en lien étroit avec d'autres organismes, comme l'AFB. Il nous faut des expertises extérieures.

M. Bruno Léchevin. - Il faudrait sans doute rapidement mettre en lumière les opérations exemplaires à ce sujet, pour avoir un retour d'expérience et le diffuser.

M. Jérôme Bignon. - Dans ma vie locale, je connais une commune de 2 000 habitants, avec une friche urbaine liée à une activité orpheline de fabrication de peinture. L'entreprise a fait faillite et le mandataire liquidateur a clôturé ses opérations de liquidation. L'ADEME est intervenue une fois pour suivre le dossier, mais subsistent 6 hectares au coeur de cette ville, près d'une petite rivière. On ne peut rien faire.

Vous avez parlé d'une maîtrise d'ouvrage déléguée par l'État pour la mise en sécurité. Or ce site est tout sauf sécurisé : c'est un lieu de délinquance, où des gamins traînent, avec de la pollution. Le maire ne peut pas gérer le problème, et l'ADEME ne semble pas être très intéressée par le sujet. Nous sommes désarmés et un peu désespérés. Pour le maire, c'est odieux, car il y a un risque pour la population, et cela donne une image calamiteuse de la commune, qui ressemble parfois aux images de Tchernobyl. On ne sait pas comment traiter le sujet. On m'a souvent répondu que l'ADEME n'avait pas l'argent nécessaire. Mais la mise en sécurité du site n'est absolument pas assurée.

Une telle situation crée un climat délétère dans la commune. La combinaison de plusieurs problèmes suffit à créer un sentiment de désespérance dans la population : un faible débit internet, une mauvaise couverture mobile, une désertification médicale et une friche industrielle.

Dans le cadre de la loi biodiversité, nous exigeons beaucoup de moyens de la part des maîtres d'ouvrage pour faire de la compensation. En même temps, de nombreuses friches restent à remettre en état, qui pourraient être utilisées pour la compensation. Je comprends qu'on ne peut pas compenser une grenouille par un chevreuil. Mais il faut également avoir conscience que le public, notamment les agriculteurs, ne comprend pas qu'on consomme deux fois les mêmes espaces, tout en laissant des friches se maintenir.

M. Fabrice Boissier. - L'ADEME intervient sur la mise en sécurité des sites, c'est-à-dire en cas de danger du fait de la pollution, de déchets ou de bâtiments menaçant de s'écrouler. Cette intervention est diligentée par l'Etat, par le préfet et les services de la DREAL qui font le diagnostic. Étant sous contrainte budgétaire, il y a un exercice de priorisation avec le ministère pour intervenir sur ces friches. Je précise par ailleurs que cette intervention ne résout pas tous les problèmes. Avoir dépollué un site ne l'a pas revitalisé. La mise en sécurité peut par ailleurs se dégrader s'il n'y a pas d'entretien.

Pour cette raison, l'ADEME encourage la réhabilitation des friches, mais cela relève d'une autre mission, dans le cadre de la promotion que nous faisons d'une approche intégrée du développement durable et d'une transition écologique territoriale. Nous apportons alors un soutien méthodologique ou des aides, dans le cadre d'appels à projets, auprès de maîtres d'ouvrage, mais avec des moyens limités : un à deux millions d'euros par an.

Nous sommes convaincus que ces terrains ont une vraie valeur, à la fois économique, sociale et environnementale, selon l'aménagement qui est décidé. Quant à déterminer si ces friches peuvent être utilisées pour mettre en oeuvre des mesures de compensation, c'est une question que l'ADEME ne maîtrise pas à ce jour.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans le cadre des enquêtes coûts-bénéfices qui doivent précéder les grands projets, avez-vous le sentiment que la valeur CO2 des terrains naturels, leur capacité d'absorption, est intégrée par l'Etat, afin de prendre en compte l'ensemble des enjeux ?

Par ailleurs, dans le cadre de la compensation, le réaménagement de zones naturelles peut-il recréer des puits de carbone, et être également valorisé à cet égard ?

M. Fabrice Boissier. - L'évaluation de la valeur carbone des sols est importante mais complexe, car elle peut évoluer dans le temps. L'ADEME a travaillé avec des spécialistes des sols, notamment l'INRA. Nous essayons de construire des référentiels méthodologiques mais nous n'avons pas encore de valeurs clef en main. Nous avons cependant constaté dans le cadre de la compensation volontaire carbone que les projets forestiers étaient souvent délaissés, faute de capacité à évaluer leur valeur carbone, et à certifier sa pérennité dans le temps.

M. Bruno Léchevin. - Nous travaillons également avec l'Institute for Climate Economics (I4CE), ancienne CDC Climat. D'ici la fin du mois de janvier, nous devrions présenter une étude de la demande en crédits carbone sur la réduction des émissions du secteur agricole.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Les friches sont souvent des terrains orphelins. Qui devient propriétaire à l'issue de la procédure de dépollution ? L'État, la collectivité territoriale, l'opérateur ?

M. Fabrice Boissier. - Cela dépend de chaque situation. Un site orphelin que nous mettons en sécurité reste en l'état, sans activité. Le scénario idéal c'est une convergence entre un plan global d'aménagement porté par la collectivité territoriale et un aménageur qui va porter un projet. Cela permet d'avoir un maître d'ouvrage intéressé, qui va prendre la propriété en vue de valoriser le terrain. Il n'y a pas de schéma unique, mais il faut un projet.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Dans le cas évoqué par notre collègue Jérôme Bignon, il y avait bien un propriétaire, qui a fait faillite. La propriété du terrain lui est-elle retirée ?

M. Jérôme Bignon. - A l'issue de la liquidation, il devrait en avoir perdu la propriété. Mais le site demeure orphelin, sans transfert à l'État ou à la collectivité.

M. Fabrice Boissier. - Techniquement, ce sont des sites à responsable défaillant.

M. Jérôme Bignon. - L'État ne veut bien entendu pas en récupérer la propriété, ce qui est légitime d'une certaine façon. J'ai rencontré la Direction départementale des finances publiques (DDFiP), qui m'a expliqué que la commune devrait demander au tribunal de commerce de désigner un mandataire ad hoc pour lui permettre de l'acheter à un euro symbolique.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quel coût représente la restauration d'un hectare de friche, sans surpollution particulière ?

M. Fabrice Boissier. - C'est extrêmement variable. Il nous est difficile de vous donner un chiffre qui soit représentatif.

M. Bruno Léchevin. - Nous allons faire un travail d'investigation, pour vous donner des chiffres ou des moyennes, fondés sur des situations de terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Merci. Nous avons également constaté qu'il y avait des disparités de traitement entre grands et petits projets, ces derniers étant parfois plus contraints que les infrastructures jugées majeures. Mais les PME ne sont-elles pas elles-mêmes réticentes à utiliser des friches, pour des questions techniques ou d'image ?

M. Bruno Léchevin. - Pour surmonter ce type de difficulté, il faut une approche plus globale dans le territoire. Il ne faut pas un seul acteur.

M. Fabrice Boissier. - Pour un aménageur, exposé à la possibilité d'une pollution imprévue, cela représente effectivement un risque financier important. À ce titre, l'ADEME et la métropole de Lille ont travaillé sur un système assuranciel permettant de protéger les aménageurs contre ce risque, en contrepartie d'une prime d'assurance. Le système assuranciel privé ne souhaite pas à ce jour s'aventurer dans ce domaine, faute de marché clair et compte tenu des risques. Nous recherchons les bons leviers pour l'actionner.

M. Jérôme Bignon. - Cette initiative est intéressante. Mais cela suppose déjà un certain avancement du projet. Je reviens au cas d'espèce évoqué à l'instant. Le maire a trouvé des entrepreneurs désireux d'aménager le terrain. Mais la DDT attend qu'il soit dépollué pour donner des autorisations. Donc la commune est bloquée, elle est en quelque sorte « tchernobylisée ».

Mme Évelyne Didier, vice-présidente. - Je vous remercie.

M. Bruno Léchevin. - Merci à vous. Nous vous transmettrons des éléments sur le coût moyen des projets de réhabilitation et nous sommes à votre disposition pour répondre aux questions complémentaires que vous souhaiteriez nous poser au cours de vos travaux.

La réunion est close à 19 heures

Jeudi 19 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

Audition de M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor, M. Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité et de M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC Projet, assistant maîtrise d'ouvrage environnement d'A'liénor

La réunion est ouverte à 14 h 05.

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant la société A'liénor, qui est la société concessionnaire de l'autoroute A65, un des quatre projets que nous analysons en particulier. A'liénor a sous-traité à la société CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts, la mission d'élaborer, de mettre en oeuvre et de suivre le programme de compensation écologique de l'autoroute.

Un communiqué de presse commun à ces sociétés du 22 mai 2013 indiquait que l'objectif de sécurisation de l'ensemble du foncier au 7 juillet 2012 avait été tenu. L'audition de ce jour doit donc nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application, ni un bon suivi, de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor, M. Philippe Thievent, directeur de CDC Biodiversité, que nous avons déjà entendu en décembre et M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC PROJET, assistant maîtrise d'ouvrage - environnement d'A'liénor.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible de peines prévues par le code pénal.

M. Olivier de Guinaumont, M. Philippe Thievent et M. Guillaume Benoit prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête, qui sont je vous le rappelle, outre l'A65, la LGV Tours Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor. - Je vous remercie pour l'intérêt que cette commission porte au projet de l'autoroute A65. Je suis président exécutif de la société par actions simplifiée (SAS) A'liénor. Je suis également directeur des concessions d'Eiffage depuis le début du projet, en charge de la maîtrise d'ouvrage et de l'exploitation. Je ne pense pas avoir de conflit d'intérêt sur les autres sujets étudiés par votre commission.

M. Philippe Thievent, directeur de CDC Biodiversité. - Mes liens d'intérêt n'ont pas varié depuis ma visite de décembre dernier devant votre commission. La CDC Biodiversité est maître d'ouvrage du site naturel de compensation de la plaine de la Crau et conserve, en tant que prestataire ponctuel, les liens que nous vous avions décrits avec les projets de la ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux et le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je reprécise que l'A65 et le site naturel de compensation de la plaine de la Crau sont les deux projets dans lesquels la CDC Biodiversité est le plus largement impliquée.

M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC Projet, assistant maîtrise d'ouvrage - Environnement d'A'liénor. - Je n'ai pas d'implication directe, si ce n'est, comme pour Philippe Thievent, des missions ponctuelles pour la LGV dans le cadre d'un contrôle extérieur de dossier administratif très en amont du projet.

M. Olivier de Guinaumont. - Des documents ont été remis à la commission d'enquête. Ils comprennent, entre autres, un recueil de la stratégie d'Eiffage en matière de développement durable et certains documents à destination du Conseil national de protection de la nature (CNPN) qui illustrent assez bien notre démarche. D'autres documents sont relatifs au comité de suivi qui, sous l'égide du préfet de région, suit la mise en oeuvre des mesures de compensation de l'A65. Les arrêtés ministériels et préfectoraux liés au projet ont également été joints, ainsi qu'un document de synthèse.

La première des questions que vous m'avez envoyées avait trait aux grandes lignes du projet depuis sa genèse jusqu'à sa réalisation, ainsi qu'aux différents acteurs publics et privés intervenus, l'ordre et les modalités de leurs interventions.

Le linéaire de l'autoroute A 65 est important. Il s'agit d'un des plus gros projets d'autoroute réalisé d'un seul tenant. Son tracé de 150 kilomètres relie Langon, à 50 kilomètres au sud de Bordeaux, à Pau. Cette autoroute traverse à la fois des coteaux, des massifs forestiers exploités, dont la forêt des Landes, ainsi qu'une surface importante de cultures. Les objectifs du projet sont liés à la sécurité et au confort. Il s'agissait de repolariser la ville de Pau sur Bordeaux qui est la capitale de sa région puisque les infrastructures existantes orientaient plus naturellement Pau vers Toulouse. Le but était aussi de désenclaver les Landes, dont son chef-lieu Mont-de-Marsan. Dix diffuseurs ont, à terme, été prévus pour atteindre cet objectif.

En ce qui concerne l'historique de l'autoroute, ce projet est assez ancien. Il est apparu dans un schéma directeur aux alentours de 1995. Un certain nombre de décisions ont été prise par l'État à partir de cette date jusqu'en 2006. Un premier fuseau de 1 000 mètres a permis de définir une bande d'étude par arrêté ministériel. Cette bande a ensuite était ramenée à 300 mètres, qui est le standard en matière d'autoroute. Elle a fait l'objet d'une vaste consultation interministérielle. Une enquête publique de l'État a ensuite abouti à une déclaration d'utilité publique (DUP) en Conseil d'État, ainsi qu'à un dossier des engagements de l'État, partie intégrante de notre contrat de concession. Ce dossier précise un certain nombre de règles auxquelles qui s'appliquent au concessionnaire pour la réalisation et l'exploitation de l'infrastructure.

Le décret de concession a été publié fin 2006. Il mentionne que nous sommes à la fois concessionnaire, maître d'ouvrage et aménageur. Tenu par les stipulations de notre contrat de concession, nous avons progressivement développé un projet en concertation avec les 52 communes et les 3 départements (Gironde, Landes et Pyrénées-Atlantiques) traversés. La conception de ce projet a été relativement itérative et s'est basée sur un certain nombre de critères, dont des critères environnementaux. Ce processus a abouti à un tracé à l'intérieur de la bande de 300 mètres qui nous était imposée.

Ont ensuite été déposés les dossiers administratifs loi sur l'eau et dérogations pour la destruction d'espèces protégées. L'État ayant mis en oeuvre beaucoup d'études préalables à la mise en concession de l'infrastructure, nous avons pu bénéficier d'un diagnostic environnemental préexistant. Nous l'avons ensuite complété sur la base d'inventaires assez fouillés, réalisés sur 4 saisons. Ils ont permis de définir un certain nombre de mesures d'évitement dans le cadre du calage du tracé. Lorsque l'évitement n'était pas possible, nous avons mis en place des stratégies d'atténuation qui ont aussi bien concerné la phase de travaux que la phase d'exploitation. Enfin, des mesures de compensation ont été dessinées pour effacer l'impact résiduel du projet sur l'environnement.

Dans le cadre des normes d'archéologie préventive, des fouilles ont été diligentées par l'Institut national d'archéologie préventive (INRAP) et par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) sur les 1 500 hectares d'acquisition foncière du projet, rapporteur spécial. Bien que financé par A'liénor, le projet d'aménagement foncier a été sous maîtrise d'ouvrage des départements concernés qui ont pris le relai de l'État à partir de 2007, rapporteur spécial.

S'en est suivi la construction de l'infrastructure à proprement parler. Un volet social a été développé avec la région autour de l'insertion et de la formation. Avec 3 500 personnes qui y ont pris part, le chantier de l'autoroute a été un important pourvoyeur d'emplois. Deux dossiers ont permis d'évaluer les impacts dans le cadre de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI). L'un est plus économique, l'autre porte majoritairement sur les aspects environnementaux. Ils ont été remis l'année dernière et sont en cours d'analyse par les services de l'État.

À partir de 2007 et de la publication des arrêtés de dérogation à la protection d'espèces protégées ou de leur habitat, le programme de mesures compensatoires a été arrêté avec la CDC Biodiversité.

Eiffage et SANEF sont respectivement actionnaires d'A'linéor à hauteur de 65% et 35%. A'liénor est une société dédiée à l'infrastructure sur laquelle porte la concession. Le projet a mobilisé des fonds à hauteur de 1,25 milliard d'euros dont 900 millions d'euros ont été empruntés auprès de 25 banques. Ce point est important car les financeurs sont particulièrement attachés au suivi de nos engagements, et notamment celui des mesures compensatoires. Nous nous sommes appuyés sur une association de sociétés d'Eiffage comme concepteur-constructeur. Une directive européenne nous a contraint à traiter 30 % des travaux avec des sociétés tiers, c'est-à-dire non liées ou non groupées avec les membres et les actionnaires de notre société de projet. Nous avons, au final, atteint 40 ou 45 %.

Nous avons fait appel à des entreprises spécialisées en matière d'environnement, comme Egis environnement, le Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), les sociétés Biotopes et Ingérop qui nous ont accompagnés. A l'inverse, un certain nombre d'acteurs, dont des associations qui avaient déposés un recours devant le Conseil d'État, ont, dans un premier temps, refusé catégoriquement toute coopération. Elles n'ont pas souhaité participer aux études environnementales qui nous ont permis de définir les meilleures solutions pour la réalisation et l'exploitation du projet, ainsi que les mesures compensatoires. Depuis que les recours ont été tranchés en notre faveur, certaines travaillent désormais avec nous. Nous l'avons accepté car certaines d'entre elles ont une connaissance reconnue sur les espèces concernées par le projet. L'exploitation est confiée à SANEF Aquitaine, filiale de l'un de nos actionnaires et notre opérateur environnement est la CDC Biodiversité. Notre assistant-maîtrise d'ouvrage RBC Projet nous aide également sur les aspects relatifs à la loi sur l'eau.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur les 1,25 milliard d'euros qui ont été mobilisés, y a-t-il eu une part supportée par l'État ?

M. Olivier de Guinaumont. - Le projet s'est monté sans subvention publique, du moins, sans subvention publique versée en numéraire. L'apport en nature de la déviation d'Aire-sur-l'Adour a été réalisé sur des crédits budgétaires par l'Etat, la région et les 3 départements concernés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ma question était motivée par le fait qu'un avenant au contrat de concession motivé pour des raisons environnementales mentionne une participation de l'État.

M. Olivier de Guinaumont. - Exactement. À l'issue de « l'avenant Grenelle », cette participation s'est élevée à 90 millions d'euros, assortie d'une extension de 5 ans de la durée d'exploitation. Sans émettre d'avis négatif, le CNPN a longtemps déclaré ne pas être en mesure de se prononcer sur nos arrêtés de dérogation. Cela a eu pour conséquence de bloquer le démarrage des travaux et les financements pendant à peu près 6 mois. L'État a décidé de prendre les mesures que je vous ai décrites pour solde de tout compte en réponse aux perturbations engendrées par le retard.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - À quoi est dû ce retard ? L'environnement n'avait-il pas été assez pris en compte dans le contrat initial de concession et dans le premier projet ? Les exigences supplémentaires introduites a posteriori vous ont-elles conduits à demander de nouvelles recettes en contrepartie ?

M. Olivier de Guinaumont. - Le premier projet, collégialement bâti par le ministère des transports et de l'écologie, était de qualité. Fruit d'une coordination interministérielle exemplaire, il comprenait, en outre, beaucoup d'engagements forts de l'État sur le plan environnemental, humain et économique. Sous réserve des études complémentaires à la charge du concessionnaire, les mesures de compensation inhérentes au projet étaient estimées à 65 hectares. Nous étions donc loin des 1372 hectares de compensation qui ont finalement dû être mis en oeuvre au terme des arrêtés. Cette différence s'explique par le fait qu'en 2005, la compensation ne prenait en compte que les seuls impacts directs sur la biodiversité. Or, les obligations de compensation ont ensuite dû intégrer les nouvelles déclinaisons en droit français issues des directives européennes en la matière, et le nouveau niveau d'exigence de la doctrine administrative. Le contexte du Grenelle intervenu un an ou un an et demi après la signature du contrat avait clairement changé les choses.

Nous n'avons donc pas uniquement pris en compte les impacts directs. Notre lecture de la réglementation et des attentes de la société civile nous a également poussés à prendre en compte des territoires qui, bien que vierges, étaient des habitats privilégiés d'espèces protégées. Les 65 hectares initialement prévus étaient le résultat d'une étude fine et poussée de l'État, mais qui prenait place dans un autre contexte réglementaire. Les 1 372 hectares sont la conséquence d'études réalisées dans un cadre différent. On ne nous a pas forcés à atteindre ce chiffre.

Les exigences de l'État dans le contrat de concession portaient, entre autres, sur des longueurs de viaducs qui étaient bien supérieures aux exigences techniques et hydrauliques. Les longueurs retenues témoignaient d'une volonté de maintien de la transparence écologique.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La somme de 90 millions d'euros se justifiait donc par le changement de la demande de l'État depuis la signature du contrat de concession ?

M. Olivier de Guinaumont. - Suspendre le cours des choses est extrêmement onéreux pour ce type d'opérations. Si les travaux n'avaient pas encore été engagés au moment de la suspension du projet, beaucoup de personnes avaient été mobilisées, et d'études engagées. C'est en grande partie cet arrêt des opérations qui a motivé l'action de l'État. Le passage de 65 hectares à gérer sur une dizaine d'années à 1 372 hectares sur 55 ans a également pesé. Il en va de même pour les mesures de compensation portant sur les travaux puisque le nouveau niveau d'exigence avait lui aussi bien changé depuis le projet initial.

Mme Chantal Jouanno. - Est-ce-que les services de l'Etat ont été particulièrement présents quant à leur niveau d'exigence et leur accompagnement technique lorsqu'ont été définies les mesures d'évitement attachées au projet ?

Du fait de votre rôle de « pionnier », quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la mise en oeuvre des mesures de compensation du projet ?

M. Olivier de Guinaumont. - L'État a été présent tout au long du projet La délégation de service public et de maîtrise d'ouvrage dont le projet a fait l'objet nous a, néanmoins, laissé une grande liberté d'action encadrée par les stipulations qui nous liaient et par la réglementation. Si notre dossier n'est pas suffisamment solide, notre sanction est directe car nous ne recevons pas les autorisations administratives qui nous sont nécessaires.

Le dossier des engagements de l'État nous donne la liberté de caler le tracé de l'autoroute dans la bande des 300 mètres arrêtée par décision ministérielle. Cette liberté a toutefois été réduite à des endroits sensibles pour la biodiversité où le dossier a déterminé des points de passage obligatoires. Au droit des cours d'eau, des contraintes très claires avaient été données sur l'ouverture des viaducs, mais également sur la perpendicularité de l'ouvrage pour limiter les impacts. Il nous a également été demandé, dans certains cas, de ne pas intervenir en phase de travaux dans les lits mineurs et majeurs de ces cours d'eau afin de limiter les perturbations des milieux sensibles.

Nous étions effectivement dans le domaine de l'expérimentation puisque personne n'avait auparavant mis ce type de mesures en oeuvre dans ce délai et à cette échelle. Nous avons donc réuni un maximum d'acteurs actifs dans ce domaine et précurseurs en matière de compensation. Cela nous a poussés à choisir CDC Biodiversité comme partenaire. Car il s'agit d'un volet d'une conception itérative dans laquelle sont intégrés d'autres éléments comme l'humain ou l'économie. La nouvelle définition de la compensation donnée par la loi a conduit à ce que nous compensions des hectares de champs de maïs qui peuvent être un territoire de chasse pour certains rapaces comme l'élanion blanc. Les environnementalistes ont fini par réduire les incompréhensions que ce mécanisme générait pour les ingénieurs que nous sommes.

Certains des choix que nous avons opérés pour fixer le tracé de l'autoroute n'ont pas toujours été bien compris. Il nous est par exemple arrivé de rapprocher le tracé des habitations, engendrant des levées de boucliers de la part des élus et des riverains lors des concertations publiques sur le choix de l'itinéraire. Il a fallu être pédagogue pour leur expliquer que leur lieu de vie n'était pas le seul enjeu concerné, que la biodiversité entrait également en ligne de compte dans le choix du tracé et qu'un compromis devait être trouvé.

La DUP nous donne le droit de procéder à des expropriations pour acquérir le foncier nécessaire au projet, mais pas pour mettre en oeuvre la compensation environnementale. Quand bien même nous aurions pu y avoir recours, le niveau de maturité de la population sur les enjeux environnementaux n'était pas suffisant. Les propriétaires expropriés n'auraient pas compris qu'on les mette dehors de chez eux pour des considérations environnementales.

La CDC Biodiversité nous a aidés à trouver des partenariats avec des acteurs locaux pas forcément très convaincus au départ, qu'ils soient issus du monde de l'agriculture, du monde de la sylviculture ou qu'il s'agisse de propriétaires privés n'exploitant pas particulièrement leur terre.

Les considérations environnementales, les considérations des riverains mais également les considérations techniques devaient donc s'imbriquer pour définir le projet car nous devions maîtriser le coût global de l'infrastructure.

M. Rémy Pointereau. - Comment s'est passé le dialogue avec les élus locaux, les propriétaires et les riverains sur le choix du tracé ? À quel moment êtes-vous intervenus sur le choix du tracé ? Avant ou après la détermination de la bande des 300 mètres ?

Lors de la signature des actes afin de disposer du foncier pour mettre en oeuvre les mesures de compensation environnementale, avez-vous bien établi les règles de mise en oeuvre avec les propriétaires ? Un dialogue a-t-il été nécessaire ? Une association a-t-elle servi d'intermédiaire ou avez-vous pris contact avec les riverains et propriétaires un par un ?

Est-ce que le « 1 % paysagé » inclut des mesures compensatoires de biodiversité ?

Sur les 1,25 milliard d'euros de coût global, combien représente le surcoût induit par le passage du contexte de l'avant-Grenelle à celui de l'après-Grenelle ? Quel est l'impact final pour les contribuables ?

M. Roland Courteau. - Les mesures de compensation tiennent-elles compte de la différente capacité des sols à stocker le carbone en fonction de leur nature ?

Tous les sols n'ont pas la même teneur en matière organique. La baisse de cette teneur engendre une perte de biodiversité. Le changement d'usage du sol entraîne pendant quelques décennies la baisse du stock de carbone et une diminution de la biodiversité. Les mesures de compensation en tiennent-elles également compte ?

M. Olivier de Guinaumont. - Nous avons hérité de la bande de 300 mètres à laquelle ont été ajoutées quelques restrictions que j'ai déjà évoquées afin de tracer l'axe de l'autoroute. Cette bande est présentée par l'État dans l'enquête publique avec un projet illustratif et fait l'objet de la DUP. Cette DUP a été concomitante avec le contrat de concession mais elle intervient habituellement bien avant et relève de la seule responsabilité de l'État.

Nous avons assez rapidement repris les études de l'État afin d'affiner un peu le projet sur la base de critères techniques, économiques et environnementaux. Nous avons, pour cela, réalisé des réunions publiques au sein des communes concernées, en les regroupant dans le cas fréquent où elles étaient de faible taille. Ce nombre important de petites communes nous a fait beaucoup nous appuyer sur les conseillers départementaux pour fédérer les demandes et encadrer le processus.

Ces réunions publiques sont un processus collaboratif ressemblant à une enquête publique mais du point de vue d'une structure privée. Nous avions pris le parti, comme c'est le plus souvent le cas, d'y décrire le projet tel que nous l'envisagions et d'en discuter. Après avoir discuté avec les élus et les associations représentatives, on revient dans un second temps présenter un nouveau projet dans lequel nous avons essayé de tenir compte des attentes qui nous avaient été exprimées. Il s'agit le plus souvent d'attentes de proximité telles que des nuisances visuelles ou des besoins de fonctionnalité touchant, par exemple, le placement des bretelles.

Les intermédiaires que constituent les élus et les associations sont obligatoires car un tel projet touche des dizaines de milliers de personnes avec qui il n'est pas possible de dialoguer individuellement.

En ce qui concerne les actes notariés par lesquels nous avons acquis les terrains, nous avons très tôt superposé le tracé avec le parcellaire afin de définir les terrains qui devaient être acquis. Une première démarche amiable a été entreprise auprès des propriétaires. Elle a permis assez rapidement de repérer les propriétaires avec lesquels un dialogue a été possible et les dossiers qui ont été plus compliqués à traiter. Vus les fonds mobilisés, l'absence de subvention publique et le fait que les recettes ne seront perçues qu'à partir de la mise en service de l'autoroute, il nous fallait aller le plus vite possible. C'est d'ailleurs l'avantage des partenariats publics privés et des contrats de concession : ils permettent de faire émerger des projets très rapidement. Dès que les dossiers qui posaient problème ont été identifiés, une procédure d'expropriation a été lancée sur la base d'études parcellaires. Beaucoup de dossiers d'expropriations ont été abandonnés en cours au profit d'une solution à l'amiable. Les autres dossiers ont été transmis au juge des expropriations sur la base de la DUP.

Sur les 150 kilomètres de tracé, nous comptons aujourd'hui moins d'une dizaine de dossiers d'expropriation ayant donné lieu à contentieux. Ils ont été motivés par le sentiment que les biens avaient été sous-évalués ou que les nuisances étaient disproportionnées par rapport à l'intérêt général du projet matérialisé par la DUP.

Le « 1% paysage » représente 6 millions d'euros investis par le concessionnaire pour cofinancer des projets dans la zone de covisibilité. Cette zone comprend notamment les 52 communes impactées, mais pas seulement. Cela ne vient pas forcément compléter les mesures compensatoires et en aucun cas s'y substituer. Ces projets regroupent, par exemple, des projets d'aménagement pour des entrées de villes ou des projets de valorisation du patrimoine encadrés par la directive « 1% paysage et développement ».

En ce qui concerne le surcoût, l'épisode qui a conduit à la signature d'un avenant avec l'État marque pour nous une période difficile. Le surcoût était, sur le papier de 250 millions d'euros. Il comprenait, certes, les nouvelles contraintes environnementales mais sa part prépondérante était liée à la suspension et à l'allongement des travaux ainsi qu'au retard induit pour la mise en service de l'autoroute, même si une grande partie de ce retard a ensuite été rattrapée. Notre société s'est finalement mise d'accord avec l'État pour une enveloppe supplémentaire de 90 millions d'euros et une extension de la période d'exploitation de 5 ans. C'était l'effet « Grenelle ».

Le coût global de la prise en compte de l'environnement au sens large sur un projet de cette envergure est de 250 millions d'euros. Je ne peux cependant pas vous dire avec précision quelle part de cette somme est directement liée à l'effet « Grenelle » puisque les contraintes initialement posées par l'État étaient prises en compte dans notre projet. Il s'agit par exemple des murs anti-bruit et autres dispositions particulières.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous confirmez donc que le principal surcoût environnemental, pour un aménageur, est aujourd'hui le possible blocage des travaux ?

M. Olivier de Guinaumont. - Une suspension coûte très cher. Les grands projets sont faits pour aller très vite car les enjeux financiers sont majeurs. Sur les 1,25 milliard d'euros que coûte le projet, la réalisation des travaux, la conception et l'acquisition foncière reviennent à un milliard et le reste correspond à la charge financière. Les 900 millions d'euros empruntés produisent des intérêts pendant toute la période de construction, qui nécessitent de sur-emprunter pour pouvoir les régler. Avec une dette à 5%, une année d'intérêt revient à 45 millions d'euros. Le modèle de la concession permet, certes, d'aller vite, mais c'est surtout une nécessité, sans quoi des surcoûts intrinsèques au système peuvent être générés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pensez-vous que, dans la culture d'Eiffage, il a été acté que plus vite les questions environnementales étaient réglées en amont et plus faibles étaient les risques de surcoût lié à de possibles contentieux ?

M. Olivier de Guinaumont. - C'est la principale caractéristique des concessions et des partenariats public - privé. Des études ont été lancées dès que nous avons été pressentis par l'État pour l'attribution du contrat, sans pourtant être parfaitement sûrs que nous serions in fine signataires. Il était impératif de commencer le plus tôt possible car le calendrier était particulièrement contraint et les risques devraient être levés le plus tôt possible afin de faciliter la phase d'exécution. Cela permet également au public de se projeter. Car, dans le cas de l'A65, le public habite dans une région privilégiée et s'était fait une image catastrophique du projet. Il a fallu beaucoup de temps pour expliquer, à l'aide d'illustrations et d'infographies, comment allait être traitées leurs préoccupations. Cette étape est nécessaire à l'établissement d'une relation de confiance, afin de prévenir des conflits qui pourraient retarder le projet. Nous subissons des contraintes économiques, mais il n'existe aucune volonté de mal faire de notre part.

Les conflits que nous avons rencontrés s'expliquaient par des incompréhensions ou des oppositions idéologiques. Certaines associations cherchent, par nature, la contestation. À aucun moment nous avons pu travailler ensemble, malgré des discussions parfois constructives en aparté.

Sur les sujets relatifs au carbone, il n'existait pas, à l'époque de la création de l'A65, de nécessité de compenser sur ce point. Cette autoroute possède, en outre, une faible circulation qui est d'ailleurs majoritairement issue d'un report de trafic.

M. Roland Courteau. - Je souhaitais savoir si les mesures de compensation prenaient en compte la capacité de sols à stocker le carbone. Il peut, en la matière, exister des différences allant du simple au triple.

M. Philippe Thievent. - Il n'existait pas de contraintes ou de prescriptions particulières en la matière. Ce sont des paramètres qui n'ont pas été pris en compte au moment de l'évaluation et de l'estimation des mesures de compensation. Les mesures sont, dans le cadre de notre législation comprise « habitat pour habitat ». Elles vont donc s'orienter vers la même nature de milieu que celui dont les dégradations doivent être compensées. On peut imaginer qu'à partir du moment où on traite, par exemple, de la zone humide pour de la zone humide ou de la forêt pour de la forêt, ce paramètre ne varie plus beaucoup passé un certain délai.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons interrogé l'ADEME sur la possibilité d'intégrer un volet carbone dans la définition des mesures de compensation.

M. Olivier de Guinaumont. - Pour reprendre le fil du questionnaire transmis, je précise que nous avons travaillé en étroite collaboration avec les services de l'État dans l'élaboration des arrêtés et la préparation des dossiers de compensation, y compris avec certains services qui ont pour mission habituelle de sanctionner et pas forcément d'accompagner. Les arrêtés de dérogation ministériels et préfectoraux prévoient que le suivi des mesures de compensation est de la responsabilité du préfet de région et donc de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Ils prévoient également la constitution d'un comité de suivi dont les réunions sont assez fréquentes en phase de mise en oeuvre durant les trois premières années, puis un peu plus espacées par la suite. Ces trois années nous ont été nécessaires pour disposer du foncier nécessaire aux mesures de compensation.

Nous en avons apporté la preuve et nous nous sommes ensuite penchés sur les plans de gestion, afin de garantir ces mesures dans la durée. Après cette phase, les rendez-vous se sont espacés pour devenir annuels alors que leur fréquence initiale était mensuelle. Elle a parfois été légèrement inférieure, mais les réunions du comité de suivi ont toujours été organisées en bonne intelligence avec la DREAL, les institutions et les associations de protection de l'environnement qui en étaient membres, comme la société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), par exemple.

Du fait du caractère expérimental de la démarche, ces réunions du comité de suivi ont, à chaque fois, été l'opportunité de faire état de l'avancement du projet et de valider un certain nombre de principes. Des visites sur place ont également été organisées par la DREAL et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a pris l'initiative d'un certain nombre de formations en lien avec les mesures de compensation mises en oeuvre. Je ne doute pas que cet organisme aurait fait remonter les éventuels problèmes rencontrés et aurait exercé sa mission de contrôle si l'occasion lui en avait été donnée.

Les associations locales présentes dans le comité de suivi ont également un intérêt à ce que nous respections les engagements que nous avons pris et auraient également été les témoins privilégiés d'éventuels dysfonctionnements de notre part. Je déplore néanmoins que ces associations ne soient plus aussi présentes qu'auparavant aux réunions de suivi. Peut-être considèrent-elles que les mesures sont suffisamment avancées et sécurisées ?

L'auditeur technique des banques qui nous ont financés vérifie également l'effectivité des mesures et des arrêtés sur une base trimestrielle en ce qui concerne le contrôle sur pièces et annuelle pour le contrôle sur place. Un rapport est ensuite envoyé aux prêteurs pour l'assurer que notre société ne sera pas mise en défaut de ses obligations et ne tombera pas sous le coup d'une éventuelle sanction.

Nos sources de contrôle sont donc multiples puisque tout le monde s'intéresse finalement au sujet. L'arrêt qu'a connu notre chantier a, en effet, sensibilisé les acteurs sur les conséquences possibles liées à des enjeux environnementaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Existe-t-il des contrôles inopinés de l'État ou vos relations demeurent participatives ?

M. Olivier de Guinaumont. - Nos relations avec l'État ont, sur ce projet, toujours été bonnes, au niveau local comme au niveau central. Nous avons fait l'objet d'une procédure pénale pour une atteinte liée au déversement accidentel de polluants dans un cours d'eau à enjeu. Mais cette procédure a fait suite à un signalement volontaire et spontané de notre part auprès de l'ONEMA. Les enjeux étaient suffisamment importants pour justifier une parfaite transparence de notre part et un travail collaboratif.

Mme Évelyne Didier. - Je souligne l'importance des réunions de chantier sur de tels projets. Les services de l'État et les collectivités locales y sont présents et chacun doit jouer son rôle. Car le contenu des comptes-rendus et les réserves qui y sont indiquées font foi.

M. Olivier de Guinaumont. - En ce qui concerne le bilan des mesures compensatoires mises en oeuvre sur le projet, je pense qu'il est globalement bon puisque les engagements pris ont été respectés. La démarche scientifique et intellectuelle a été plutôt remarquable. Je salue à ce titre tous les spécialistes qui nous ont entourés car il ne s'agit pas là de notre métier.

La version initiale de la séquence énonçait « éviter, réduire et si possible compenser ». Je pense que ce projet a montré que la compensation était possible et à grande échelle. On n'a jamais fait autant en aussi peu de temps : près de 1400 hectares de compensation pour 590 hectares touchés par l'impact dont 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, rapporté à 1500 hectares d'emprise.

Ces 1500 hectares d'emprise ont été confisqués à leurs propriétaires, on ne pouvait pas imaginer leur confisquer également les 1400 hectares nécessaires à la compensation. On ne peut pas, in fine, opposer le tissu industriel et l'ensemble des enjeux locaux à des sortes de zones de réserves. Il faut qu'ils fonctionnent ensemble et de manière intelligente. Là est la principale qualité du travail réalisé par la CDC Biodiversité.

Trois ans nous ont été nécessaires pour sécuriser les mesures de compensation alors que la loi prévoit que l'on doit théoriquement compenser avant de détruire. En l'espèce, c'était complètement impossible.

La mise en oeuvre de la compensation a nécessité douze personnes à plein temps chez CDC Biodiversité, sans compter les ingénieurs mobilisés chez nous et chez le constructeur. Le projet de l'A65 a une autre singularité : nous avons proposé une contribution volontaire de 1,5 million d'euros pour aller au-delà de l'obligation de ne pas dégrader les milieux, en les redynamisant. Il s'agit, selon moi, d'un échec relatif même si les fonds ont été en grande partie engagés.

L'acceptabilité du projet par les territoires est centrale car nous avons besoin des élus pour dérouler une telle infrastructure dans des délais aussi courts. L'assentiment du département, de la région, de l'État, du monde agricole et des chambres de l'agriculture, du milieu de la sylviculture et des propriétaires fonciers a été nécessaire pour accomplir les mesures de compensation liées au projet. Nous avons pu surmonter ce problème de l'acceptabilité sans outil équivalent à la DUP en matière de compensation, même s'il reste, de notre point de vue, du chemin à faire.

Notre engagement est aujourd'hui pérenne et reconnu comme effectif. Nous avons, avec la CDC Biodiversité, prévu d'en faire un peu plus que prévu afin de bénéficier d'une certaine flexibilité. Car les conventions passées avec les propriétaires des terrains utilisés ne portent pas sur une durée de 55 ans mais sur 5, 10 ou 15 ans.

Vous nous interrogiez sur les améliorations pratiques ou réglementaires que l'expérience de l'A65 pourrait nous amener à formuler. Même si l'aspect environnemental est pris en compte plus tôt, je pense qu'il faudrait les intégrer encore plus tôt dans la genèse des projets. Ça a été le cas sur la ligne à grande vitesse qu'Eiffage réalise entre Le Mans et Rennes puisque Réseau ferré de France (RFF) avait déjà commencé à constituer des mesures de compensation. Si des études et un constat avait été posés en amont, il nous a fallu les vérifier et les compléter pour l'A65. Rien de concret n'avait été fait lorsque nous avons récupéré la concession du projet, à part des réserves foncières constituées par chaque département. Nous disposions de la durée très courte de 4 ans entre la signature du contrat et la date de mise en service, qui correspondait globalement à un an et demi de travaux et deux ans et demi de travaux.

Si une prise en compte en amont devait être retenue, nous suggèrerions un mécanisme de réévaluation de l'impact de façon à inciter le maître d'ouvrage à améliorer l'évitement et la réduction. Car si la compensation est déterminée à l'avance, elle correspond à une sorte de droit à détruire pour le concessionnaire alors que si elle doit être réévaluée, le concessionnaire aura tout intérêt à favoriser l'évitement et la réduction pour que soient réévaluées à la baisse les mesures de compensation. Les mesures pourraient, ainsi, être également réévaluées à la hausse dans l'hypothèse inverse.

Un bémol toutefois existe puisque les lignes à grande vitesse n'induisent pas les mêmes souplesses dans les tracés que les autoroutes, du fait, notamment, de pentes et de rayons de courbures plus contraints.

Je vais peut-être un peu loin dans mon raisonnement, mais on pourrait également imaginer que l'État conserve la maîtrise d'ouvrage sur les mesures compensatoires, comme dans le cas de l'aménagement foncier que nous finançons, mais dont la maîtrise d'ouvrage revient aux collectivités territoriales.

À défaut de revenir sur le principe de compensation avant destruction, le processus itératif développé par les maîtres d'ouvrage doit pouvoir continuer à prospérer sans contraintes excessives. Une application stricte de la loi qui impose de compenser avant de détruire impose que tout le processus soit prévu en amont du contrat de concession, avec toutes les questions soulevées, ou que du temps soit laissé au concessionnaire pour qu'il mette les mesures en oeuvre.

Afin de pouvoir anticiper, des bases de données sur les espèces sont nécessaires. Dans le cadre de l'A65, les inventaires faits par l'État ont dû être largement complétés sur une période de quatre saisons, soit un an de travail. Toutes nos études techniques et nos concertations avançant en parallèle, certains résultats disponibles au bout d'un an nous obligent à remettre en cause certaines hypothèses initiales. C'est une perte de temps et d'énergie considérable.

Il faut standardiser et baisser les ratios de compensation. Avec 1 400 hectares de mesures compensatoires pour 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, l'A65 est l'exemple de ces ratios importants. Cette disproportion est utilisée comme garantie de bien retrouver sur la surface de compensation la même biodiversité qui était présente sur la surface initiale. Certaines espèces font l'objet d'un coefficient de 10 ! On pourrait toutefois imaginer de baisser ces ratios une fois que la présence de l'espèce en cause est acquise à l'endroit de la compensation. Le même raisonnement peut être tenu pour la durée de ces mesures. 55 années de gestion conservatoire, c'est très long, a fortiori pour remplacer des territoires qui ne bénéficiaient d'aucune protection particulière. Si la compensation est, en ce sens, une opportunité de protéger les nouveaux territoires concernés, je pense néanmoins que cette durée est trop longue.

Se pose également la question du périmètre géographique des mesures de compensation. En ce qui concerne l'A65, il nous a été demandé de compenser au plus près de l'infrastructure. Toutes nos compensations ont lieu en Aquitaine car nous nous sommes interdits d'aller ailleurs. Or, cette nécessité de proximité immédiate n'est pas compatible avec une lecture cohérente et raisonnée des territoires concernés, même si la CDC biodiversité a fait tout son possible pour rendre nos actions cohérentes avec celles des départements, par exemple. Cette lecture géographique stricte relève d'une logique de mitage qui n'est pas la plus efficace en matière de redéploiement et de restauration de la biodiversité.

Se pose aussi la question de la stratégie globale de restauration. Il existe des plans par espèce, mais qui ne sont pas vraiment entrés en ligne de compte dans les débats que nous avons eus avec nos différents interlocuteurs, qu'il s'agisse de l'État ou des associations.

Une instance nationale pour piloter les compensations et garantir un maillage cohérent du territoire semble donc nécessaire. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas verser les territoires dédiés à la compensation à un gestionnaire qui possèderait cette vision globale, ou à défaut que l'État s'empare de la maîtrise d'ouvrage des mesures de compensation ?

Dans le cadre de l'A65, 200 hectares de compensation touchent spécifiquement le vison d'Europe alors que, selon les experts, il a virtuellement disparu de la région. Dans le cadre du million et demi d'euros mobilisé pour des actions volontaires, 500 000 euros ont été dédiés à la redynamisation de cette espèce. Nous avons proposé de participer au plan de reproduction en captivité mais il nous a été expliqué que ce n'était pas nécessaire. Nous avons proposé de faire de la réintroduction mais il s'avère que l'action en faveur du vison est plutôt localisée vers la Charente. Je me demande donc à quoi vont servir les 200 hectares que nous avons mobilisés si ce n'est à répondre aux dispositions des arrêtés. Même si nos engagements sont formellement caducs au regard de ces arrêtés puisque nous avons pris du retard, nous conservons l'intention d'utiliser ces 1,5 million d'euros pour aller au-delà de la simple compensation et réellement redynamiser certaines espèces. Or, je me rends compte que le million d'euros déjà dépensé n'a servi qu'à réaliser des études. J'ai donc demandé à la DREAL que le reste de la somme qui doit être débloqué le soit au profit d'actions concrètes. En ce qui concerne le vison, je souhaite qu'à défaut de réintroduction, un traitement des routes départementales soit opéré. Car il ne sert à rien de restaurer de beaux espaces si les espèces qui y vivent se font écraser sur les routes alentours.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous nous indiquez qu'il manque une autorité pour faire la synthèse de la vision globale des opérateurs ou une autorité scientifique. Il manque donc une stratégie avec un certain nombre d'acteurs dont un opérateur possédant une vision nationale de trames régionales cohérentes ?

M. Olivier de Guinaumont. - Une stratégie et un schéma directeur sont effectivement nécessaires. Un grand pas a été fait avec l'A65 mais la réflexion n'est pas tout à fait aboutie et ces éléments nous ont manqué. Ces mesures coûtent très cher et il ne faudrait pas qu'elles restent lettre morte.

En ce qui concerne la règlementation, je pense qu'il est aujourd'hui nécessaire de rassurer les propriétaires. L'hypothèse que des mesures de compensation soient assises sur des servitudes qui grèveraient définitivement les propriétés rendrait très difficile l'accès à ces terrains sur les bases d'un partenariat entre les propriétaires et le concessionnaire ou ses opérateurs. La perspective possible de perte de valeur du terrain entrainerait des résistances et minerait tout le travail de pédagogie que nous avons effectué avec les services de l'État.

M. Philippe Thievent. - L'autoroute A65 est un exemple pour travailler autour de cette dimension. Le territoire concerné est important et hétérogène et les 1400 hectares de mesures de compensation sont à la fois beaucoup, mais représentent in fine, une faible surface. Pour que les mesures soient efficaces, il est donc nécessaire qu'elles soient conçues en synergie avec les autres actions mises en oeuvre dans les territoires. Nous avons, à ce titre, veillé à la complémentarité des mesures de compensation avec les attentes des collectivités territoriales en matière d'espaces naturels sensibles ou de réserves naturelles. On débouche donc sur la question de ce que l'on appelait dans le temps les corridors écologiques, qui sont devenus les trames vertes et bleues à l'issue du Grenelle. Il faut donc évoluer vers la prise en compte de la fonction écologique des milieux car la réglementation actuelle traite des espèces protégées, mais pas de leur fonction écologique et du rôle de la nature. Sous le prisme des actions de l'homme en faveur de la nature, il faut se rendre compte que 90% des services écologiques sont fournis par la nature ordinaire. Si leur rôle d'indicateur n'est pas remis en cause, il faut néanmoins noter que les espèces emblématiques ne sont qu'une « cerise sur le gâteau ».

Un projet, même important, n'aura qu'une portée limitée s'il agit seul, malgré les montants et les efforts significatifs qui pourront être engagés.

La période actuelle est propice aux réflexions sur la manière de restaurer la nature et les mesures compensatoires ne sont qu'un levier parmi d'autres. Il est nécessaire d'avoir une vision globale du problème et que la notion d'équivalence écologique évolue progressivement. Les services de l'État, les experts, les scientifiques devraient, en ce sens, réfléchir aux priorités biogéographiques à une échelle régionale. Ces objectifs devraient, dans un second temps, donner lieu à des actions ad hoc, qu'il s'agisse de mesures de compensation, d'actions volontaires ou de l'utilisation des prérogatives des pouvoirs publics.

L'A65 a été une véritable expérimentation car elle permet de réfléchir de manière très concrète à toutes ces questions-là.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ma question peut paraître provocatrice, mais un aménageur n'aurait-il pas plus intérêt à raisonner en unités d'équivalence écologique auxquelles serait attaché un prix, même élevé auprès d'un opérateur ? Le paiement du prix pour solde de tout compte serait une garantie juridique et économique pour l'aménageur et la sous-traitance des mesures de compensation auprès d'un spécialiste en garantirait l'efficacité en faveur de la biodiversité.

M. Olivier de Guinaumont. - Le mécanisme que vous décrivez est exactement celui de l'archéologie préventive. Une cotisation est payée par le maître d'ouvrage à l'INRAP qui effectue un diagnostic et décide avec la DRAC d'un certain nombre de fouilles. Je pense toutefois qu'en matière de biodiversité il ne faut pas déconnecter un opérateur du maître d'ouvrage car ce dernier a la possibilité de faire des choix techniques qui peuvent être déterminants en matière de biodiversité. Il faut à la fois qu'un organisme apporte de la cohérence aux actions, au sein d'une stratégie planifiée, afin de créer de la valeur écologique et que les acteurs s'investissent dans cette démarche-là.

L'idée d'une possible réévaluation à la baisse des mesures de compensation va en ce sens puisqu'elle pourrait inciter l'aménageur qui dispose des choix techniques relatifs au projet à favoriser des solutions permettant d'éviter ou de réduire les atteintes à la biodiversité. Si ces mesures sont élaborées sans lui et en amont, le système deviendra obligatoirement répressif puisqu'il poussera à vérifier que le maître d'ouvrage les a bien mises en place alors qu'il n'y a pas forcément intérêt. Or je ne crois pas tellement à la contrainte.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Une solution pourrait être de traduire en valeur vénale les atteintes potentielle d'un projet, que le maître d'ouvrage arbitre entre les atteintes et des mesures d'évitement ou de réduction et que le montant correspondant aux atteintes effectives soit finalement versé à un opérateur spécialisé, le cas échéant public, qui mettrait en oeuvre les mesures de compensation de manière efficace. Il ne s'agit pas là exactement d'une taxe puisque l'existence d'une équivalence entre les atteintes et le coût inciterait le maître d'ouvrage à l'évitement. Seriez-vous favorable à un tel système ?

M. Olivier de Guinaumont. - Il faut servir l'objectif final et mettre chacun à sa place. Autant l'aménageur a la main sur les choix techniques qui impacteront plus ou moins l'environnement autant il n'est pas forcément le mieux placé pour mettre en place et gérer les mesures de compensation sur la durée.

Il est nécessaire d'anticiper les mesures de compensation mais confier totalement la mise en oeuvre des mesures de compensation à un organisme financé par les aménageurs donnerait une place centrale à l'État, dans une logique « pollueur - payeur » ou, en l'occurrence « destructeur - payeur ». Comme je vous le dis, je ne suis pas un partisan de la sanction. Je pense qu'il faut un effort commun de tous les acteurs et que cette tâche ne doit pas revenir uniquement à l'État ou uniquement à l'aménageur.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La logique « destructeur - payeur » n'est pas une logique de sanction.

Mme Évelyne Didier. - Je pense que le modèle que M. de Guinaumont nous expose diffère de celui qu'entend notre rapporteur. Il souhaite appuyer la nécessité de régler un maximum de problèmes en aval et concerter largement l'ensemble des acteurs concernés. Cette conception remet, à juste titre, en cause le fait de juxtaposer en silos des spécialistes en fonction de leur coeur de métier puisqu'elle associe une large concertation à des projets lourds et globaux qui influencent la vie des populations à de multiples endroits.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur ce point-là, un consensus existe.

Mme Évelyne Didier. - Monsieur le rapporteur fait référence à l'intervention d'un opérateur spécialisé. Il conviendra d'en préciser les modalités.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cette audition a pour but de poser des questions à nos interlocuteurs. Vous ne connaissez pas encore ma position de rapporteur ! Les débats internes à notre commission interviendront après. Mes questions ont pour but d'éclaircir les pistes posées par M. Olivier de Guinaumont. Lorsqu'il nous expose le fait que la compensation ne relève finalement pas de son métier, se pose la question de l'efficacité des mesures de compensation mises en oeuvre par un maître d'ouvrage. Se pose donc la question de la nécessité d'une autorité publique ad hoc garante de la cohérence globale des mesures de compensation mises en oeuvre sur un territoire et d'un opérateur spécialisé chargé de les mettre efficacement en oeuvre. Cet opérateur pourrait d'ailleurs répondre de l'obligation de résultat prévue par la loi et qui pèse actuellement sur le maître d'ouvrage. L'autorité publique pourrait également avoir pour rôle de calculer le transfert financier du maître d'ouvrage vers l'opérateur spécialisé en fonction des atteintes du projet sur la biodiversité. Le maître d'ouvrage serait donc en mesure de faire des arbitrages sur ses choix techniques en fonction de ce nouveau coût induit.

M. Olivier de Guinaumont. - En ce qui concerne l'obligation de résultat, nous avons pour obligation de remettre en place certaines surfaces. L'objectif est rempli quand les services de l'État, accompagnés d'un certain nombre d'experts, conviennent qu'un habitat a été restauré à hauteur d'une fraction de notre « dette » environnementale. Nous n'avons pas d'obligation de résultat sur la restauration des espèces.

M. Philippe Thievent. - L'objectif de résultat repose sur la qualité des milieux restaurés à l'aune de la physionomie des habitats. Au-delà de l'obligation surfacique, une typologie de milieux doit être atteinte, qu'il s'agisse de milieux propices à telle ou telle espèce de mammifères ou de pelouses sèches, par exemple. Il n'est, en revanche, pas possible d'avoir un engagement de résultat sur le retour des espèces elles-mêmes car certains facteurs nous échappent. L'exemple des visons et des routes départementales cité par Olivier de Guinaumont en est un exemple.

L'objectif de votre commission d'enquête est d'initier des changements afin de pouvoir agir concrètement, efficacement et dans la durée. J'ai toutefois l'impression que la solution esquissée par le rapporteur pour amender le système actuel ferait glisser d'un étalon écologique vers un étalon financier. Il est, en ce sens, difficile d'attribuer un prix à la dégradation d'une zone humide car toutes les zones humides ne sont pas équivalentes puisqu'elles peuvent occuper différentes fonctions écologiques. L'aspect économique est important, c'est le sens du rapport Chevassus-au-Louis, qui préconisait de faire correspondre, dans le cadre de choix amonts, un prix avec l'impact du projet, afin d'opérer des choix.

En revanche, lorsque l'on passe à l'étape de la compensation afin d'opérer des réparations opérationnelles sur le terrain, il convient de trouver des moyens de distinguer entre deux milieux de même nature mais qui n'ont pas forcément les mêmes fonctions écologiques, afin d'opérer des choix. J'entends par fonction écologique, pour une zone humide par exemple, les aspects hydrauliques ou liés à la protection des populations.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Il existe une vraie demande des aménageurs pour préciser les règles de la compensation, notamment en matière de coefficients. Il existe également la volonté de s'appuyer sur des professionnels reconnus. L'argent est donc au coeur de la question. Plusieurs hypothèses sont possibles. La première, proche de l'état actuel du droit, est de considérer que l'obligation de restauration des milieux est une obligation de résultat et qu'en conséquence, l'opérateur doit financer à hauteur de ce qui est nécessaire, pendant le nombre d'années nécessaire, pour atteindre ce résultat tant qu'il n'y sera pas arrivé. La deuxième hypothèse est que les atteintes soient pécuniairement évaluées une fois pour toute par une autorité publique et que la somme correspondante soit versée à un opérateur spécialisé en compensation.

La troisième hypothèse correspond au système mis en place pour l'archéologie préventive. Un taux fixe serait appliqué aux sommes mises en oeuvre pour les projets d'aménagement et les fonds ainsi collectés serviraient une stratégie nationale de reconquête.

M. Olivier de Guinaumont. - Une vraie filière est en train de se créer. Elle est animée par l'État, ainsi que par une multitude d'associations. L'amélioration des travers constatés en matière de compensation ne peut se résumer à la création d'une structure publique, mais doit également prendre en compte cette filière. Sur la base de l'expérience de l'A65 et de la contribution volontaire que nous avons mise en oeuvre, j'ai bien peur que la création d'une structure auprès de laquelle serait centralisés les fonds perçus conduirait à la création de beaucoup de papier, mais à peu d'actions concrètes.

Je suis par ailleurs d'accord avec vous. Notre unité de mesure commune est l'argent. Il représente la manière la plus simple de comparer deux choses qui ne sont pas comparables. Je comprends parfaitement le souci de Philippe Thievent de ne pas décorréler les prix des valeurs environnementales, mais il s'agira in fine d'une affaire d'argent.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-ce-que la fourchette de 10-15 % qui correspond, pour un projet, au coût des mesures environnementales, commence à être acceptée par les aménageurs, ou espèrent-ils encore pouvoir faire baisser cette somme ? Quel a, par exemple, été le coût des mesures de compensation mises en oeuvre pour l'A65 ?

M. Olivier de Guinaumont. - Ces informations relèvent du secret des affaires et vous seront communiquées par écrit. Je peux seulement vous dire que cela représente moins de 10% du coût global.

M. Philippe Thievent. - Le parallèle est intéressant à propos de l'exemple de l'INRAP. Il s'avère toutefois que des différences existent puisque la mission de l'INRAP relève du diagnostic et du sauvetage en matière d'archéologie. Il ne s'agit pas tout à fait de la même logique que la discipline de la réparation écologique.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces réponses.

Audition de M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne »

La réunion est ouverte à 16 heures.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous entendons M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne ». Ce comité regroupe des associations actives sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, qui fait partie des quatre projets sur lesquels nous avons choisi de nous concentrer, avec pour objectif d'étudier la définition et la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et l'effectivité des mesures compensatoires existantes et identifier les obstacles éventuels à la bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Lantrès prête serment.

M. Jean-François Longeot, président. - Pouvez-vous nous indiquer si vous entretenez des liens d'intérêt avec l'un des quatre projets sur lesquels nous enquêtons ?

M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne ». - Aucun, si ce n'est que j'habite dans une commune traversée par la LGV et que je suis président d'un comité qui a déposé un recours auprès du Conseil d'État pour annuler la mise en oeuvre de cette ligne.

Je tiens à vous remercier de m'avoir proposé d'exposer les vues du comité « TGV réaction citoyenne ». Créé il y a 17 ans, ce comité originellement composé de cinq associations en a réuni jusqu'à 38 au fil des années. Il a été déclaré en préfecture en 2000 et j'en suis président depuis 2003. Voilà donc dix-sept ans que nous travaillons à faire valoir la biodiversité, mais aussi l'humain et le socio-économique. Comme je l'ai mentionné, nous avons déposé un recours en annulation auprès du Conseil d'État.

Le but commun de toutes les associations réunies dans notre comité était initialement de lutter contre le projet de la LGV et de proposer une autre politique de transport. Les années passant et le rouleau compresseur de Réseau ferré de France (RFF) oeuvrant, nous sommes passés du « non » au « non, sauf si... » tout en restant guidés par les principes du développement durable des territoires concernés, avec la confluence des trois piliers, social, écologique et économique.

Le comité a exposé ses vues auprès des ministres, en particulier MM. Bussereau et Perben. Nous avons eu de nombreux entretiens avec M. Raffarin et nous avons défendu nos arguments devant certains députés, maires etc. Nous avons travaillé d'arrache-pied avec toutes les communes concernées. Les associations de notre comité implantées sur la partie nord du projet de LGV ont pu acquérir une forme de renommée, synonyme de professionnalisme.

Nous avons travaillé sur toutes les composantes des impacts environnementaux de la LGV. Même si nous avons acquis une réputation de professionnalisme, nous sommes loin d'être des spécialistes, car la formation professionnelle des présidents d'association n'entretient pas forcément de rapport avec l'environnement. Nous nous sommes donc entourés d'experts.

J'en viens à la mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser sur laquelle vous m'interrogez. Pour la LGV L'Océane, de quoi s'agit-il ? Les aménageurs, et RFF en particulier, sont à mille lieues d'appliquer les principes de la séquence ERC. Les projets sont dans les tuyaux depuis 1992 et le comité ministériel a été créé en 1998. À l'époque, les aménageurs étaient bien loin de ces préoccupations.

Aux différents stades des études - car, vingt ans pour construire une ligne, c'est extrêmement long - au fil de l'avant-projet sommaire (APS) et de l'enquête d'utilité publique (EUP) de 2000 à 2005 pour le tronçon Angoulême-Bordeaux, puis en 2007, pour le tronçon Tours-Angoulême, l'impression des élus et de la population était que tout était joué d'avance. A-t-on cherché à éviter ? Non. À réduire ? Oui, mais au strict minimum et quand cela ne coûtait pas trop cher. À compenser ? Oui, mais au strict minimum légal.

Dans les analyses multicritères - soit 11 critères - pour évaluer des variantes de tracé, même si une majorité de critères était favorable ou assez favorable, qu'il s'agisse de la faune, de la flore, de l'environnement humain, etc., il suffisait que le critère du coût soit défavorable ou très défavorable pour que la variante soit abandonnée. A-t-on cherché à éviter ? Non. Combien de fois ai-je entendu le patron du projet dire en réunion devant le préfet que RFF était là « pour construire des lignes et rien d'autre » ! Lors de notre recours en annulation auprès du Conseil d'État, le rapporteur public a en substance proposé dans ses conclusions que les aménageurs prennent en compte les alternatives possibles au projet mais également l'aménagement de la voie existante plutôt que la construction d'une nouvelle ligne. Même si nous n'avons finalement pas eu gain de cause, je peux en déduire que l'évitement, dans le cadre de cette ligne, n'a pas été mis en oeuvre.

A-t-on cherché à réduire ? Oui. Sur beaucoup de sites l'abaissement du profil en long a été obtenu ou bien des banquettes sous les ponts ont été élargies à destination des animaux. Cependant, toutes ces initiatives s'appuient sur des études purement techniques, voire technocratiques, sans que les experts aillent sur le terrain. En témoigne la gestion des eaux de ruissellement. De nombreux débordements et des inondations ont été constatés, lors de pluies abondantes, il y a deux ou trois ans. Le fait est que RFF n'a pas tenu compte des avertissements répétés des « anciens », qui connaissent le terrain.

S'il y a bien eu des compensations, elles ont d'abord été a minima. Pour moi qui, sans être néophyte en matière de biodiversité, ne suis pas un professionnel, la compensation est un droit à détruire. Ou du moins un moyen de dire « je paie donc j'ai le droit ».

Le dossier de la LGV-SEA est mal parti, car lorsqu'il a été lancé, RFF ne connaissait pas la séquence ERC et était déterminé à faire valoir sa vérité sur le tracé de la ligne. « RFF, c'est l'État dans l'État », ai-je dit à un préfet.

M. Jean-François Longeot, président. - De quelle nature est l'atteinte à la biodiversité ?

M. Patrick Lantrès. - Il suffit de citer l'outarde canepetière, dans une zone de protection spéciale (ZPS) de la Vienne que la ligne devait traverser : les experts de RFF ont fait des comptages uniquement sur la population mâle, en se limitant à un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. Ils n'ont pas tenu compte de la réalité du terrain. L'État a dû nommer des experts pour trouver un accord a minima en prenant en compte la population entière et en élargissant le périmètre de 500 à 1 000 mètres. Sans ces mesures, l'outarde aurait disparu.

Que penser, dans la Vienne, du remplacement d'un arbre arraché par deux arbres replantés quand ces deux arbres le sont à 20, 30 ou 40 kms de la LGV, sous prétexte qu'il n'existe pas suffisamment de terres pour replanter ? Sauf que deux ans après, pour compenser l'arrachage d'arbres effectué sur le site « Center Parc », à une quarantaine de kilomètres du tracé de la ligne, on a trouvé une vaste zone près de la LGV. N'aurait-on pas pu aller jusqu'au bout du processus de compensation au moment où les études ont été réalisées ?

Des spécialistes vous expliqueraient cela mieux que moi, comme Poitou-Charentes Nature par exemple. Ils ont beaucoup travaillé avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons prévu une audition de naturalistes à propos de la LGV. D'après ce que vous nous dites, les premiers experts, mandatés par les maîtres d'ouvrage, se sont contentés de recenser uniquement les mâles de l'espèce sur un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. L'État a dû faire appel à d'autres experts pour exercer son contrôle.

M. Patrick Lantrès. - Il y a été poussé par le tollé des associations.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Où en est-on sur cette affaire de l'outarde ?

M. Patrick Lantrès. - Des spécialistes m'ont assuré que les mesures prises étaient un moindre mal. Bien présomptueux serait l'expert qui pourrait nous dire ce qu'il adviendra dans dix ans. D'autant que le problème a été aggravé par les effets du remembrement foncier.

L'accord sur l'outarde et l'affaire des arbres arrachés et replantés ont constitué les points de tension les plus vifs entre les associations et l'État. On a constaté d'autres carences dans les études préalables au projet, une dizaine d'espèces animales, notamment, n'étant pas comptabilisées. Si ces espèces avaient été répertoriées dès l'origine, le tracé de la ligne aurait peut-être été différent.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le maître d'ouvrage a-t-il mandaté un bureau d'études au sujet de ces espèces protégées ?

M. Patrick Lantrès. - Oui. Quand les associations ont constaté qu'une dizaine d'animaux ne figuraient pas dans le dossier d'avant-projet sommaire, le maître d'ouvrage l'a repris. Si l'étude préalable avait été correctement menée, on aurait évité certaines erreurs. Mais il fallait passer à cet endroit-là. Et pas autre part.

Vous m'avez interrogé sur les rapports avec l'État. Heureusement que les DREAL étaient là pour revoir les dossiers. Elles ont effectué un important travail et n'ont pas manqué d'appuyer là où cela faisait mal dans les études plus ou moins bien faites de RFF, qui m'a paru peu soucieux de préserver la biodiversité.

Tel n'est pas le cas du concessionnaire LISEA, qui a rattrapé pas mal d'erreurs de RFF et comblé un bon nombre de ses lacunes. Cela mérite d'être souligné.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - On le note, car il est rare qu'un collectif d'opposants dise du bien du maître d'ouvrage !

M. Patrick Lantrès. - LISEA n'est pas exempt de défauts. Nous avons eu d'âpres discussions. Disons, pour résumer, que RFF, c'est : « J'ai raison » et que LISEA, c'est : « On a raison, mais on vous écoute et on se parle ».

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce n'est pas anodin. Pourquoi, selon vous, le concessionnaire a-t-il fait plus attention ? A-t-il juste eu envie de vous être agréable ? A-t-il eu peur d'un éventuel blocage du projet et des pertes financières qui auraient pu résulter d'un retard ? A-t-il eu des craintes pour son image ? Je rappelle qu'un certain nombre d'associations ont intenté un procès à LISEA et que deux filiales de Bouygues et de Vinci ont été condamnées.

M. Patrick Lantrès. - Au risque de me faire des ennemis, je rappelle que chez RFF, on a affaire à des fonctionnaires, dont le raisonnement est borné. Chez LISEA, ce sont des professionnels de la négociation. C'est le jour et la nuit.

Il est possible de parler avec les gens de LISEA. Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas peur du Comité TGV, quoique... Nous avons bloqué des TGV à plusieurs reprises, nous aurions pu recommencer. Peut-être notre lobbying auprès des élus et de certaines personnes a-t-il porté ses fruits ? Le fait est que LISEA a abordé les problèmes de manière positive. Par ailleurs, RFF devait imposer le projet, tandis que LISEA n'avait plus de questions à se poser à cet égard : elle avait à se débrouiller avec le projet. Peut-être aussi cette société a-t-elle une certaine culture de l'environnement ? Ce projet n'était pas son coup d'essai. Enfin, ayant l'habitude d'être « embêtée » par les associations, peut-être sait-elle les caresser dans le sens du poil ?

RFF a aussi l'habitude de traiter avec les associations, mais les discussions ne sont pas sereines. Pour ma part, j'ai horreur de telles discussions. Même si LISEA n'est pas irréprochable, au moins nous ont-ils écoutés. C'est important.

Je vais maintenant faire le vilain petit canard. J'avoue que cela me contrarie que l'homme soit exclu de la biodiversité. Lorsque j'essaie d'expliquer notre action, je m'entends souvent demander : « Et l'homme dans tout cela ? ».

À aucun moment le public n'a été associé aux décisions, contrairement aux associations. Dans l'étude d'avant-projet sommaire, dans les enquêtes d'utilité publique, lors des réunions organisées à notre demande, à celles des communes, lors des réunions des commissaires enquêteurs, il n'a jamais été question de biodiversité. Ce n'était pas le problème.

En réunion publique, lorsqu'on dit à la population qu'on va lui accorder un double-vitrage et qu'on lui explique par ailleurs que l'on va dépenser telle somme pour acheter de nouveaux terrains pour l'outarde, elle nous répond : « Et nous ? ». Un habitant m'a fait remarquer que les dossiers des enquêtes publiques comprenaient dix à quinze fois plus de pages consacrées aux animaux qu'à l'homme. Comment la population pourrait-elle adhérer à un projet sachant que les dossiers d'enquête publique peuvent compter 2 000 pages et peser 18 kilos ?

Pour notre part, nous faisons de l'information. Pour attirer le public, il faut prendre en compte l'homme dans la biodiversité, de façon officielle.

Prévoir des compensations importantes en cas d'atteinte à la biodiversité est une bonne chose, mais ce n'est pas assez : pourquoi ne pas en prévoir un minimum pour l'homme ? Comment le public peut-il s'intéresser à la préservation de la biodiversité alors qu'on lui demande de se taire, qu'on lui dit que la ligne se fera, mais qu'on n'en fera qu'un minimum pour lui ?

J'ai lu les comptes rendus des travaux de votre commission d'enquête sur la biodiversité. Ils me confortent dans l'idée que l'homme doit être au coeur de la biodiversité. Si je ne me trompe pas, cinq hominidés sont en voie de disparition. Dans l'arbre de vie, l'homme se situe juste à côté. Pourquoi s'intéresserait-on aux hominidés et pas à l'homme ? D'aucuns penseront que je suis hors sujet, mais je ne le suis pas. On n'intéresse l'homme à ces problèmes qu'à la maternelle, où l'on fait faire des herbiers aux enfants. Ensuite, c'est fini !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce que vous dites est intéressant pour une bonne compréhension des mesures de préservation de la biodiversité.

M. Patrick Lantrès. - C'est primordial !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comment fonctionne votre collectif ?

M. Patrick Lantrès. - Nous nous sommes partagé les tâches. Il eut été improductif que chaque association travaille autant sur la biodiversité que sur l'homme. Certaines associations travaillent à 80 % sur l'homme et à 20 % sur la biodiversité, d'autres font l'inverse. Il n'y a pas d'associations de protection de la nature au sein du Comité, car ces associations étaient déjà organisées en associations nationales. Il valait mieux que les associations de protection de la nature oeuvrent dans leur domaine en se préoccupant un peu de l'humain et que nous nous intéressions de notre côté surtout à l'humain et un peu à la préservation de la biodiversité et de l'environnement.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est intéressant. Dans d'autres dossiers, un collectif réunissait tout le monde. Chez vous, il y a deux groupes, d'un côté les associations de protection de l'environnement, de l'autre le Comité.

M. Patrick Lantrès. - Les associations environnementales oeuvrent sans aucun rapport avec le Comité, et ce pour des raisons pratiques. Il y a une quinzaine d'années, nous étions tous en activité et le Comité nous prenait beaucoup de temps. Nous ne pouvions pas en plus prévoir du travail en commun avec les associations de protection de la nature.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - A quelles associations songez-vous ?

M. Patrick Lantrès. - La Ligue de protection des oiseaux, la SEPANSO, Poitou-Charentes nature sont les plus impliquées sur le dossier. Cette dernière association est d'ailleurs tout à fait prête à vous rencontrer si vous le désirez.

Pour ma part, je vous livre davantage un témoignage qu'une analyse technique. Je le répète, je pense que tant qu'on ne prendra pas l'homme en compte dans la préservation de la biodiversité, même si c'est beaucoup plus lourd à gérer, il y aura un problème.

Je vais faire un parallèle osé : pourquoi les écologistes ne recueillent-ils que 2 % ou 3 % des votes lors des scrutins ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cela nous intéresse de le savoir !

M. Patrick Lantrès. - C'est entre autres parce qu'ils s'occupent des animaux, de la préservation de la biodiversité, mais pas de l'homme. Or, il faut prendre en compte l'ensemble. Je sais bien qu'à chaque jour suffit sa peine, mais peut-être votre commission pourrait-elle se pencher sur cette question !

Vous m'avez demandé ce que l'on pouvait faire pour améliorer la séquence « éviter, réduire, compenser ». En France, on a une propension à créer de nouvelles lois sans appliquer celles qui existent. Commençons par appliquer les lois votées !

Ensuite, tout passera par l'évolution des mentalités des aménageurs. Aujourd'hui, ils commencent à s'engager dans la phase «réduire » ; ils compensent également, mais ils sont loin d'avoir intégré la phase « éviter ». J'ai lu le rapport « Corridors en infrastructures, corridors écologiques ? » de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). Il y est annoncé une « volonté et une capacité réelle d'améliorer les pratiques des entreprises ». Cela fait plaisir de lire cela. LISEA fait partie de ce club, pas RFF, sauf erreur de ma part.

Il faut inculquer aux entreprises, aux aménageurs non pas ce qu'est la biodiversité, car ils commencent à le savoir, mais ce qu'est une culture d'entreprise dans le domaine de la biodiversité. La préservation de la biodiversité doit être considérée non pas comme une mesure inflationniste, mais comme un projet d'entreprise. Le jour où les entreprises incluront dans leur projet la défense de la biodiversité, y compris de l'homme, le jour où elles auront une charte réelle, on pourra travailler sur le « éviter ». On n'aura plus tellement besoin de compenser. Le « compenser », c'est le gendarme. Il est facile de compenser, mais il est beaucoup plus difficile d'éviter.

Certes, il est question de préservation de la biodiversité dans les dossiers d'enquête publique. De nombreuses communes ont ainsi été très heureuses d'apprendre que tel ou tel animal vivait sur leur territoire. Certaines d'entre elles ont même nommé des responsables biodiversité. La LGV a de bons côtés... Cela étant dit, globalement, les entreprises n'ont pas cette préoccupation à l'esprit. Là est le problème. Avant de parler de compensation, faisons donc de l'éducation et incitons les entreprises à avoir de réels projets en matière de préservation de la biodiversité.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions de votre intervention.

Audition de M. Romain Dubois, auteur du rapport « Améliorer la séquence Éviter-Réduire-Compenser », directeur général adjoint de SNCF Réseau

M. Jean-François Longeot, président. - Après avoir entendu hier M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, nous recevons M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau et auteur d'un rapport intitulé « Améliorer la séquence Éviter - Réduire - Compenser », remis à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 3 avril 2015.

Les conclusions de ce rapport intéressent notre commission d'enquête à plus d'un titre puisque je vous rappelle que nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

J'indique à notre intervenant que nous étudions, de manière plus spécifique, quatre projets d'infrastructures, qui chacun mettent en lumière un stade différent de la mise en oeuvre ou du contrôle des mesures de compensation : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant demander à M. Romain Dubois de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Dubois prête serment.

M. Jean-François Longeot, président. - Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau. - Je n'ai aucun lien d'intérêts à titre personnel et plus de liens d'intérêts - si tant est qu'il en ait existé - en qualité de président du groupe de travail sur l'amélioration de la séquence ERC. En tant que directeur général adjoint de SNCF Réseau, mes liens d'intérêts sont les mêmes que ceux exposés hier par Patrick Jeantet, si ce n'est que, s'agissant de la LGV SEA, je n'interviens pas au titre de l'autorité concédante mais plutôt pour le partage de capacités de circulation des trains.

Notre groupe de travail, mis en place à la suite des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, a travaillé à partir d'une lettre de mission dont l'objet, volontairement réduit, était en même temps porteur d'un paradoxe sur lequel je reviendrai. Il s'agissait, pour répondre aux difficultés que rencontrent les maîtres d'ouvrage, de formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'amélioration de la séquence ERC, à droit constant. Au-delà de la séquence ERC, nous nous sommes également intéressés à des sujets connexes tels que le bruit, les pollutions ou les atteintes sanitaires. Compte tenu des délais contraints qui nous étaient impartis - trois réunions plénières entre septembre et décembre 2014 - le rapport ne visait pas l'exhaustivité. Il ne recherchait pas non plus à tout prix le consensus et des opinions divergentes ont pu être exprimées en annexe. Pour autant, les six propositions phares issues du rapport n'ont pas été contestées par les membres du groupe de travail. Le paradoxe dont je vous ai parlé tient au fait qu'un grand nombre de représentants au sein du groupe de travail étaient des juristes, qui ont par conséquent dû lutter contre leur volonté de faire davantage de droit pour formuler des propositions à droit constant.

Les travaux se sont bien déroulés. Nous avons examiné des expériences concrètes, en France comme à l'étranger, notamment sur la base d'informations fournies par les ministères de l'écologie - le Commissariat général au développement durable (CGDD) a été très investi - et de l'agriculture.

Notre groupe de travail a poursuivi deux objectifs. En premier lieu, celui de simplifier les procédures applicables, notamment par une meilleure coordination des nombreux régimes d'autorisation ou de déclaration. Nous avons considéré que l'administration pouvait être aidante sur ce point grâce à un meilleur dialogue et à la mise en place de réponses davantage coordonnées et que la séquence ERC ne pouvait pas s'appliquer de la même façon pour les grands et pour les petits projets. Le second objectif était l'efficacité. Nous avons notamment rappelé la hiérarchie entre les trois volets de la séquence ERC, aujourd'hui consacrée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité. Notre sentiment est que les maîtres d'ouvrage ne savent pas suffisamment documenter l'évitement ni communiquer sur la notion d'intérêt public majeur, deux points qui doivent également être portés par la puissance publique. La question a été posée de savoir si le meilleur évitement ne consistait pas finalement à éviter le projet en lui-même mais elle nous a semblé dépasser l'objet du groupe de travail.

Notre première proposition consistait à améliorer le partage de la connaissance pour tous et de regrouper l'ensemble des connaissances au sein d'un centre de ressources unique. Cela suppose notamment que les maîtres d'ouvrage mettent à disposition les données contenues dans leurs études d'impact. Cette proposition d'un centre de ressources a été reprise par le Président de la République fin 2014, dans son discours de conclusion des assises de l'environnement. Le Président a dans le même temps rappelé l'objectif selon lequel un bon projet doit pouvoir aller vite tandis qu'un mauvais projet doit pouvoir s'arrêter - le sentiment général étant parfois inverse. Le CGDD s'est depuis attelé à la tâche de construire ce centre de ressources.

La deuxième proposition était d'améliorer la formation de l'ensemble des parties prenantes sur la séquence ERC, notamment des bureaux d'études. Sur ce point, nous avons repris une proposition formulée en 2010 par Mme Chantal Jouanno, alors ministre de l'environnement, qui était de faire signer par les bureaux d'études une charte d'engagements. Cette proposition a été fortement débattue au sein du groupe de travail. Certains membres voulaient en effet aller plus loin que la signature d'une charte, à travers une certification ou une labellisation. Il m'a paru préférable de s'engager dans un premier temps sur la signature d'une charte avant d'envisager la mise en place de systèmes risquant de générer des difficultés de fonctionnement et des barrières à l'entrée.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur deux des dossiers qu'étudie notre commission d'enquête, des espèces protégées n'ont été découvertes qu'après la réalisation des études d'impact. Est-ce que les moyens mis en oeuvre par les maîtres d'ouvrage auprès des bureaux d'études sont suffisants ? Avez-vous proposé, par exemple de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes de temps suffisamment longues, afin qu'ils aient une vision de l'ensemble des saisons sur un site ?

M. Romain Dubois. - Sur cette question précise, le groupe de travail n'a pas fait de proposition. En revanche, je peux vous parler de notre pratique chez SNCF Réseau. Nous avons fait le choix de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes relativement longues. La difficulté qui découle de ce choix est de ne pas créer de rentes de situations qui empêcheraient les bureaux d'études les moins expérimentés de rentrer sur le marché.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je comprends votre crainte de voir quelques bureaux d'études dominer le marché s'il y avait certification. L'argument me semble moins valable s'agissant simplement du renforcement des moyens alloués aux bureaux d'études et de leurs cahiers des charges.

M. Romain Dubois. - Il y a deux sujets différents en effet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je suis étonné que votre commission n'ait pas cherché à renforcer le cahier des charges des bureaux d'études.

M. Romain Dubois. - J'en prends acte. Le groupe de travail avait bien mesuré la nécessité de disposer d'une certaine profondeur dans le temps mais cela n'a pas été décliné sous forme de proposition.

Notre troisième proposition, qui se retrouve également dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, était de mieux mutualiser les mesures ERC. Cette possibilité est ouverte en droit européen. L'espoir serait d'avoir un nombre plus réduit de régimes d'autorisations et de déclarations.

La quatrième proposition était de rendre plus lisibles les actions des maîtres d'ouvrage, y compris en en faisant un argument de communication. L'application de la séquence ERC peut être valorisée, à la fois en termes de démocratie participative et de communication par les entreprises. S'agissant de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), SNCF Réseau a créé « Carticipe », un outil de participation en ligne qui comprend une carte permettant de voir les évitements et les différents tracés envisagés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je comprends bien mais comment rendre l'action plus lisible s'agissant de l'évitement ? Est-il possible de quantifier ou de valoriser économiquement une mesure d'évitement ou de réduction ?

M. Romain Dubois. - La valorisation économique est compliquée. En revanche, la vision géographique est facile. Sur le tronçon entre Mantes et Evreux de la LNPN, il est très facile de voir que tous les tracés envisagés évitent une zone Natura 2000 : on peut communiquer sur ce point. Autre exemple, la LGV Méditerranée a été tracée de façon à éviter un nid d'aigle sauvage : le surcoût lié à la construction de deux kilomètres supplémentaires est chiffrable. Les choses sont parfois difficiles : déplacer la construction d'un ouvrage d'art pour maintenir la continuité écologique peut engendrer un surcoût mais ce surcoût ne correspond qu'à une partie du coût de la construction de l'ouvrage d'art.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-il raisonnable de construire deux kilomètres de lignes supplémentaires pour protéger un nid d'aigle ? Un raisonnement plus rationnel ne conduirait-il pas à payer le prix de la destruction de ce nid d'aigle, le cas échéant pour permettre aux associations de disposer de moyens supplémentaires pour défendre les aigles ailleurs en France ?

M. Romain Dubois. - La réflexion peut évoluer, en particulier s'agissant des ouvrages existants. Je pense en particulier à la découverte de cigognes sur la ligne Bordeaux-Dax : il n'est pas envisagé de fermer la ligne ni de ne pas rénover la caténaire « midi » ; en revanche, au moment de la rénovation de celle-ci, nous prévoirons des solutions pour faciliter la nidification des cigognes.

Notre cinquième proposition était de développer des éléments méthodologiques sur la compensation. Nous avions en effet constaté que la connaissance scientifique sur les mesures de compensation était encore partielle. Les choses se sont améliorées depuis.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Regardez-vous l'exemple américain ?

M. Romain Dubois. - Nous avons en effet regardé l'expérience américaine, sans pour autant y voir un modèle à reproduire. Les grands maîtres d'ouvrage et les représentants du monde agricole se sont émus du recours trop systématique à la compensation surfacique. Mais il nous a paru nécessaire de prolonger la réflexion sur d'autres modes de compensation avant de proposer des solutions.

La sixième proposition était de permettre la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets et différents maîtres d'ouvrage, notamment pour éviter qu'un maître d'ouvrage ne vienne contredire les actions de compensation menées quelques années auparavant par un autre maître d'ouvrage. L'idée du centre de ressources est à ce titre importante, tout comme la valorisation géographique et cartographique, notamment auprès du public.

Quelques pistes d'approfondissement avaient également été envisagées par le groupe de travail, certaines d'ordre juridique telles que la consolidation en un même endroit du code de tous les éléments de la séquence ERC. Je crois que c'est aujourd'hui le cas s'agissant de la biodiversité. D'autres sujets nous ont semblé mériter un approfondissement : l'application de la séquence ERC au bruit, sujet pour lequel la compensation peut s'avérer difficile ; l'utilisation des friches industrielles, agricoles ou commerciales pour la compensation. Le monde agricole a beaucoup insisté sur le fait que le foncier disponible qui est le plus systématiquement regardé pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires est le foncier agricole quand d'autres éléments du foncier, notamment les friches, pourraient être utilisés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Aucune proposition n'a été formulée pour autant ?

M. Romain Dubois. - Des questions demeuraient sur la façon dont devraient être traitées ces friches et il n'était pas évident qu'un consensus pourrait être trouvé sur ce point. Le CGDD continue cependant d'y réfléchir.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Au fil de nos auditions sont déjà apparues un grand nombre de questions que vous n'abordez pas : la question des trames écologiques par exemple, celle de l'équivalence écologique ou encore celle des flux financiers. Quels étaient les points de blocage pour construire des consensus au sein de votre groupe de travail sur ces sujets ? Qu'est-ce qui vous a empêché d'aller plus loin que les propositions que vous énoncez ? Les opérateurs se méfient-ils d'un système qui risque de les amener demain à des coûts financiers plus importants ? Les associations étaient-elles réticentes à s'engager dans des équivalences qui auraient entraîné la mise en oeuvre de mesures compensatoires plus loin qu'à proximité immédiate du projet ? Où sont les difficultés pour trouver les consensus ?

M. Romain Dubois. - Je rappelle tout d'abord que le groupe de travail s'est réuni pendant trois mois seulement, avec une demande de la Ministre de faire quelques propositions concrètes et opérationnelles. Notre groupe de travail s'est donc inscrit dans une séquence de réflexion sur le triptyque « éviter-réduire-compenser » beaucoup plus longue, qui a commencé dans les années 2000 et qui se prolonge encore aujourd'hui. Par ailleurs, au sein du groupe de travail, tous les membres n'avaient pas le même niveau de connaissances sur des questions comme l'équivalence écologique : un certain nombre de séances ont été consacrées à la précision des concepts. J'ajoute que la lettre de mission de la Ministre ciblait spécifiquement les difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage. Enfin, certains sujets n'étaient alors probablement pas assez mûrs : c'est le cas par exemple de la question des garanties financières.

Je le redis, le mandat confié au groupe de travail était de faire des propositions concrètes pour remédier aux difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ». J'ai l'impression que le groupe de travail a répondu à la commande.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Certaines dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité, comme par exemple la géolocalisation, viennent donc de propositions que vous avez formulées. Cette idée d'aller vers davantage de méthodologie commune, décrite par le Commissariat général au développement durable (CGDD), se retrouve aussi dans vos propositions. Retrouve-t-on d'autres de vos recommandations dans la loi ou dans les travaux actuels ?

M. Romain Dubois. - De toute évidence, oui, sur la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets ou entre différents régimes d'autorisation. Les représentants des maîtres d'ouvrage et des grands gestionnaires d'infrastructures linéaires au sein du groupe de travail étaient RTE et LISEA, au titre du club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). LISEA avait fait valoir les difficultés rencontrées par le maître d'ouvrage. Aujourd'hui en surfacique, on a près de 3 500 hectares de compensation pour la LGV SEA ; mais si l'on avait additionné tous les régimes, sans pouvoir mutualiser les mesures compensatoires, on arrivait, je crois, à entre 22 000 et 25 000 hectares pour une ligne de 300 kms.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avait-on besoin de changer le droit pour cela ?

M. Romain Dubois. - Non, mais les maîtres d'ouvrage avaient du mal à mettre cela en place. Je comprends que la loi pour la reconquête de la biodiversité a finalement permis d'ancrer juridiquement certaines pratiques. Autre exemple, la mise en commun des données, y compris par le biais du Muséum national d'histoire naturelle, ne nécessitait pas forcément de passer par la loi. La loi a pourtant réglé des questions sous-jacentes de propriété de données des maîtres d'ouvrage.

En ce qui concerne la façon de contrôler ou d'apprécier le suivi de ces mesures de réduction et de compensation, nous avions clairement mis en évidence que les maîtres d'ouvrage ne suivaient pas bien eux-mêmes leur projet une fois celui-ci mis en route. Finalement, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ancre cette nécessité de contrôler et de mieux suivre les actions des maîtres d'ouvrage.

Je continue à penser que certaines actions auraient pu exister sans la loi mais celle-ci leur a apporté une traduction plus juridique, et accessoirement plus opposable, qui sécurise l'ensemble des acteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur des points comme la maîtrise foncière ou les obligations de longue durée, vous n'aviez pas non plus de consensus ?

M. Romain Dubois. - Si. Aucun maître d'ouvrage n'a jamais contesté au sein de notre groupe les obligations de longue durée. Mais c'était la façon de le faire qui était compliquée. Nous avons évoqué la question du contrat-type dès lors qu'il s'agit de confier une zone de compensation à un agriculteur, dans la mesure où le risque est alors grand de se retrouver dans un conflit du fort au faible, avec un grand maître d'ouvrage face à un petit agriculteur : le contrat passé pour entretenir une zone de compensation peut en effet être déséquilibré. J'ai le sentiment que ces sujets ont continué à être travaillés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Y a-t-il d'autres points sur lesquels vous voudriez insister, notamment sur la question du contrôle par l'État ?

M. Romain Dubois. - Oui, nous avions regardé comment l'État pouvait améliorer sa réponse. Une des propositions portant sur la formation visait d'ailleurs en premier lieu les agents de l'État. Le sujet de la qualité du dossier d'étude d'impact et de la capacité à discuter avec l'État en amont sur les études d'impact avait également fait consensus dans le groupe de travail. Je vois que l'évolution des missions de l'autorité environnementale a consacré cette ambition. Le rôle de l'autorité environnementale sur les études d'impact ou encore la saisine automatique au lieu d'une saisine au cas par cas sont des pistes que l'on avait tracées.

Il est certain que ce groupe a permis de faire décanter certaines tensions. En 2013 étaient parues les lignes directrices de la doctrine « éviter-réduire-compenser » : au sein du groupe de travail, plusieurs positions se sont affrontées sur la valeur réglementaire ou non de ces lignes directrices. Certains représentants de l'administration considéraient que ces lignes directrices avaient quasiment valeur réglementaire ; les maîtres d'ouvrage considéraient, eux, qu'elles étaient seulement des lignes directrices, qui nécessitaient d'ailleurs d'être déclinées par secteur. Des expérimentations de déclinaisons, pour le secteur des carrières par exemple, ont été envisagées depuis par l'administration.

Ce groupe de travail a représenté un moment, court, où les maîtres d'ouvrage ont admis la nécessité de la séquence « éviter-réduire-compenser » et où l'administration a admis qu'elle pouvait parfois faire preuve de rigidité dans sa capacité à aider les maîtres d'ouvrage, tout cela en présence de parties prenantes soucieuses de la préservation de l'environnement.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quels sont selon vous les points qui mériteraient d'être améliorés à droit non constant ?

M. Romain Dubois. - La définition de la compensation et de ses modalités pourrait être améliorée. Le groupe de travail avait par exemple constaté que d'un expert à l'autre, le traitement d'une mare ou d'une zone humide ne se faisait pas de la même façon, ou que d'une administration à l'autre, la réponse n'était pas la même.

Lorsque l'on compare deux projets, on observe de grandes différences : ainsi, en compensation surfacique, sur SEA, le ratio est de un pour un de compensation puisque l'empreinte foncière du nouveau linéaire est de 3 000 hectares et que l'on aura 3 500 hectares de compensation ; mais sur la ligne nouvelle de contournement de Nîmes-Montpellier, on a plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'hectares de compensation pour une ligne qui fait 90 kilomètres, au motif de la préservation de l'outarde canepetière.

Avec ma casquette de maître d'ouvrage, je vous dirais que cette insécurité dans la réponse opérationnelle de l'administration pose des difficultés.

À droit non constant, la recommandation principale serait une plus grande sécurisation juridique des porteurs de projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous sommes sur une question essentielle. Votre commission ne s'est pas orientée vers un transfert de la responsabilité du résultat vers un opérateur, qui pourrait sécuriser le maître d'ouvrage. J'ai l'impression qu'il y a une ambiguïté. Si l'on raisonne en équivalence écologique, un peu à l'américaine, c'est-à-dire si on définit les équivalences, le maître d'ouvrage regarderait ses coûts, même au niveau de son tracé, et il aurait le droit de faire un chèque, pour parler franchement, à un opérateur qui, lui, assumerait la responsabilité du résultat. Cela sécuriserait le maître d'ouvrage mais on a l'impression qu'il a tout de même peur du montant du chèque et qu'il ne souhaite pas dépasser un ratio de 3 à 5 % du coût du projet pour les mesures compensatoires alors que l'État souhaiterait l'amener à 10 %.

M. Romain Dubois. - Ce serait une sécurisation mais peut-être aussi une déresponsabilisation du maître d'ouvrage. Ce serait un peu comme le droit à polluer avec les crédits CO2. Pour en avoir discuté avec Patrick Jeantet, que vous avez auditionné, lui est plutôt favorable à une responsabilité du maître d'ouvrage quitte à avoir un porteur de projet qui assure la continuité. Pourquoi pas l'offre de compensation, mais pas forcément systématiquement. Acheter des unités dans la plaine de Crau si on trace une ligne en Bretagne...

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Là il n'y a pas d'équivalence écologique, ce n'est pas le débat.

Je n'ai pas la réponse à ma question. J'essaye de comprendre. Vous voulez de la sécurisation. Or, la sécurisation la plus simple, c'est le flux financier. Mais on sent malgré tout une résistance. Est-ce parce que vous considérez que vous allez faire du meilleur travail en proximité ? Mais la loi vous astreint aujourd'hui à une obligation de résultat. Transférer la responsabilité vous sécurise donc. Mais vous ne voulez tout de même pas être déresponsabilisés. Je vais poser la question crûment : n'est-ce pas tout simplement parce que les coûts seraient plus importants ? Parce que vous vous retrouveriez dans un rapport de force modifié avec un risque de surcoût et d'inflation ? À l'inverse, si vous restez en proximité, votre risque d'inflation des coûts est lié à la pression foncière. Je n'ai pas de position. Je vous pose simple des questions par rapport à un tel système à l'américaine. Quelle est donc votre proposition de sécurisation ?

M. Romain Dubois. - Je ne suis pas sûr que le frein soit financier. S'il l'était, on aurait déjà commencé à mieux documenter ces coûts. La somme des mesures de l'ensemble de la séquence ERC pour un projet est entre 5 et 10 %. Sur les compensations strictement, le CGDD a calculé le coût à 2,5 % environ. Peut-être que les maîtres d'ouvrage ne sont pas suffisamment mûrs dans leur réflexion aujourd'hui sur ces sujets.

Je reprends ma casquette SNCF Réseau. Nous sommes un maître d'ouvrage aménageur du territoire. Nous sommes en grande proximité avec l'ensemble des élus locaux, notamment les régions, qui sont autorités organisatrices de transports et les métropoles. Nous avons beaucoup d'actions de proximité. Je crois que nous assumons l'idée que nous continuions à être responsabilisés sur ce sujet. Peut-être que si l'équivalence écologique était très encadrée, nous pourrions évoluer dans cette pratique.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous êtes tout de même favorables à ce que l'on aille vers des grilles d'équivalence ?

M. Romain Dubois. - Oui, et nous ne sommes pas non plus fermés à l'idée de l'offre de compensation. Il y a un panel d'outils qui peut être mis à disposition du maître d'ouvrage. La plupart de nos zones de compensation, nous ne les gérons pas nous-mêmes. Nous les avons confiés à un parc naturel ou autre dans le cadre de contrats. Nous n'avons pas la prétention de pouvoir tout faire bien tous seuls.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les coûts de fonctionnement dans la longue durée ne vous inquiètent-ils pas plus que les coûts d'investissement d'ouvrages d'évitement ?

M. Romain Dubois. - La réponse est compliquée. Oui, car en tant qu'établissement public, nous sommes davantage contraints en dépenses de fonctionnement qu'en dépenses d'investissement. On le voit dans le contrat de performance approuvé par le conseil d'administration de SNCF Réseau, le gouvernement a autorisé un effort de régénération sur le réseau structurant, c'est-à-dire des investissements. C'est vrai que les coûts de fonctionnement risquent d'être importants pour un opérateur comme nous.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons interrogé les syndicats agricoles. Il semble clair aujourd'hui qu'il y a une négociation qui n'est pas aboutie sur le coût à l'Etat. Si un grand nombre d'acteurs agricoles nous disent que s'ils s'engagent dans des mesures environnementales de compensation, la valeur de leurs terrains baisse en conséquence, c'est parce qu'ils n'ont pas le sentiment qu'intégrer cette contrainte leur crée une ressource qui valorise leurs champs. Si, à l'inverse, ils peuvent démontrer qu'ils gagnent quelques milliers d'euros par an par hectare garantis sur 55 ans, leurs terrains gagnent en valorisation.

M. Romain Dubois. - C'est pour cela que le groupe de travail avait beaucoup plaidé, en dehors des propositions que nous avons formulées, pour un contrat-type pour protéger l'agriculteur face au grand maître d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous une idée du coût de fonctionnement moyen à l'hectare par an ?

M. Romain Dubois. - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est pour nous un point important, même si nous avons conscience que les situations sont différentes.

M. Romain Dubois. - SNCF Réseau pourrait essayer de vous apporter une réponse sur le coût moyen à l'hectare de gestion, de fonctionnement.

Finalement, j'ai été un témoin ponctuel de cette séquence. Deux ans après, j'ai le sentiment que certaines des propositions de notre groupe de travail ont été traduites dans la loi ou que l'administration s'en est emparée. Si notre rapport manque peut-être d'ambition, certaines mesures ont été directement mises en oeuvre. Le Président de la République et la ministre de l'écologie ont demandé à l'administration de s'en saisir. Même sur la question de l'absence de connaissance de ces coûts, identifiée dans nos conclusions, le CGDD a lancé une enquête qui est en cours.

Après, il faut continuer de faire bouger les lignes, stabiliser le droit et les pratiques, inciter les maîtres d'ouvrages à continuer à être responsables une fois l'infrastructure construite. En effet, chez un maître d'ouvrage public, l'équipe-projet qui a construit l'ouvrage n'existe plus six mois après la fin des travaux et la connaissance des enjeux disparaît. Ainsi, confier à un porteur de projet les mesures compensatoires me paraît de bon aloi.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je suis d'accord, on retrouve une partie de vos conclusions dans la loi et dans l'évolution des pratiques.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour votre éclairage. Nous attendons donc un retour de SNCF Réseau sur la question des coûts.

La réunion est close à 18 h 45