Mardi 7 février 2017
- Présidence de M. Henri Cabanel, président -La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de M. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (le Cevipof)
M. Henri Cabanel, président. - Nous poursuivons les travaux de notre mission commune d'information en accueillant M. Martial Foucault, professeur des universités et directeur du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po.
Monsieur le directeur, nous vous recevons alors que le Cevipof vient de faire paraître son Baromètre annuel de la confiance politique, dont les résultats ne peuvent que nous interpeller. Cette enquête révèle, en effet, que les Français éprouvent une défiance record envers leurs hommes politiques et dans les institutions. Ils désirent un très fort renouvellement des pratiques publiques, tout en paraissant encore rester fortement attachés à la démocratie : 91 % des individus considèrent que le système politique démocratique reste « une bonne façon de gouverner le pays » et 85 % que, même si la démocratie peut poser des problèmes, « c'est quand même mieux que n'importe quelle autre forme de gouvernement ».
Quelques chiffres sont toutefois particulièrement éloquents : 70 % des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays ; 89 % d'entre eux considèrent que les responsables politiques en général ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens ; 40 % des personnes interrogées éprouvent de la « méfiance » en pensant à la politique et 28 % du « dégoût ». Seuls 11 % d'entre elles font « confiance » aux partis...
Néanmoins, les Français continuent de s'intéresser à la politique et aux débats d'idées, tandis que 60 % d'entre eux estiment que « voter aux élections est un bon moyen d'exercer une influence sur les décisions prises en France ». Il faut donc rendre compte de ce paradoxe.
Votre analyse et votre point de vue seront, à n'en pas douter, particulièrement enrichissants à l'heure où nous nous interrogeons sur les moyens d'améliorer le fonctionnement de notre démocratie représentative et de renforcer le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus.
M. Martial Foucault, professeur des universités et directeur du Cevipof. - Je suis heureux de présenter devant votre mission, qui suscite de nombreuses attentes, les résultats de notre baromètre annuel de la confiance politique. Ce baromètre, qui existe depuis 2009, constitue un outil remarquable pour enregistrer les évolutions de la société et comprendre les ressorts de la confiance. Au vu des résultats, peut-être mériterait-il, d'ailleurs, de s'intituler baromètre de la défiance... Toutefois, la défiance et la confiance ne sont pas nécessairement contradictoires. Comme vous l'avez noté, les résultats traduisent un certain paradoxe. Ils révèlent aussi un décalage entre la réalité objective et le ressenti, comme c'est le cas parfois en économie, lorsque les gens ont le sentiment que la situation ne s'améliore pas alors que la croissance repart.
Je m'inscris en faux contre la ritournelle sans cesse répétée selon laquelle la France traverserait une crise démocratique. Assurément, il y a une crise des pratiques de la démocratie représentative, mais il ne s'agit pas d'une crise de la démocratie. C'est ce que confirme notre baromètre : quelque 82 % des Français estiment que les politiciens sont corrompus. C'est plus qu'en Amérique latine, alors que la France n'est pas plus corrompue, loin de là ! La crise des pratiques est liée à une mauvaise compréhension de ce qu'est la représentation politique. Cette dernière notion exprime avant tout la capacité des institutions politiques à se saisir des changements observés dans la société. Voilà qui soulève deux questions : la démocratie représentative doit-elle nécessairement fonctionner comme une « démocratie miroir », qui serait le décalque parfait des changements sociaux ? Quel doit-être le degré de réactivité des représentants et des institutions que ceux-ci sont censés incarner ?
N'oublions pas que 85 % des Français considèrent que la démocratie, en dépit de ses imperfections, demeure la meilleure forme de gouvernement. Cet attachement est une constante depuis 2009. En revanche, 72 % des Français estiment qu'il y a trop de disputes, trop de conflits et que cela entraîne des difficultés pour prendre des décisions.
En fait, le lien de confiance entre représentants et représentés s'est dégradé au fil des années. C'est peut-être dû à un malentendu sur la nature des relations entre démocratie et représentation. Les démocraties contemporaines sont issues d'une forme de gouvernement, le gouvernement représentatif, que ses fondateurs opposaient justement à la démocratie ! La France est le seul pays qui a cherché à articuler les deux dès l'origine, dans une démocratie représentative. Depuis l'Antiquité, on s'interroge sur la compatibilité entre l'exercice du pouvoir par le peuple et sur la possibilité de prendre des décisions dans l'intérêt général, à distance des particularismes, des intérêts privés et des passions populaires. Confier l'exercice du pouvoir au peuple implique, en effet, de savoir faire la part entre les intérêts particuliers et le bien commun, c'est-à-dire de savoir raisonner le peuple souverain.
L'élection a toujours été l'institution centrale des gouvernements représentatifs. Les Français y sont très attachés ; ils y voient le meilleur moyen d'exprimer leur opinion. L'élection présente des avantages qu'aucun autre système ne peut remplacer et constitue un mécanisme de désignation accepté par tous. La défiance à l'égard de la politique ne vient donc pas de là, mais plutôt de l'insatisfaction à l'égard des résultats. Ainsi, au Canada, en Colombie-britannique, le niveau de satisfaction à l'égard des résultats est très élevé, en dépit des alternances politiques ; la légitimité de la décision publique n'est pas remise en cause. À l'inverse, au Québec, l'insatisfaction est élevée vis-à-vis des résultats, et l'on remet en cause le mode de décision publique. Il n'est pas étonnant que différentes expériences de démocratie participative aient vu le jour dans cette province.
Il n'y aurait pas de débat autour du bon fonctionnement de la démocratie si les citoyens étaient satisfaits de l'action publique. Toutefois, ne faut-il pas accepter une part d'inefficacité dans la décision politique ? L'efficacité politique consiste à apporter des réponses à des enjeux identifiés selon une hiérarchie de priorités, mais, dans un monde d'incertitude, dans un régime d'information incomplète et asymétrique, le décideur public ne peut pas toujours réagir de manière instantanée et proportionnée face à la complexité des problèmes. L'idée d'un représentant rationnel, capable de prendre en toutes circonstances les bonnes décisions, est une vue de l'esprit. Il faudrait pouvoir accepter l'idée que des mauvaises décisions sont prises parfois.
En outre, le temps peut être long entre la prise de conscience d'un problème et la décision, ce qui suscite des frustrations et accroît la défiance politique. La démocratie participative est souvent perçue comme un moyen de réduire ce délai de la prise de décision. Il serait utile d'établir une distinction entre les questions les plus importantes, qui doivent être traitées dans le cadre du processus de représentation verticale, par le Parlement et le Gouvernement, et les questions secondaires, qui sont susceptibles d'être réglées localement, de manière directe.
La restauration du lien de confiance entre le représentant et le représenté est un préalable à la restauration de la légitimité de l'action publique. La confiance politique n'est pas une notion évidente. Je la définirais comme un mécanisme qui permet de réduire la complexité sociale. Elle repose sur deux piliers : la compétence qui rejoint la responsabilité, d'une part, et la bienveillance en relation avec la proximité, d'autre part. Il est frappant de constater que 82 % des Français ont confiance dans les hôpitaux, 80 % dans les PME, 78 % dans les écoles... Les Français ont confiance dans les institutions de proximité. Inversement, 11 % font confiance aux partis politiques, 29 % aux syndicats, 24 % aux médias, 30 % aux banques. Plus on réduit la distance entre le citoyen et le décideur, plus la confiance s'accroît. Pour surmonter cette crise des pratiques de la représentation politique, il importe donc de réfléchir au moyen de réunir compétence et bienveillance, alors qu'on considère traditionnellement que l'échelon local est le lieu de la bienveillance et de la proximité, tandis que celles-ci disparaitraient à l'échelon national, au profit de la compétence, possédée par des élus considérés comme des professionnels de la chose publique, déconnectés du terrain.
Un voeu pieux laisse à penser que toute décision publique serait parfaitement légitime. Cela relève évidemment de l'idéal démocratique, mais ce n'est pas pour autant que tous les citoyens considèrent que cela doit nécessairement impliquer le développement de la démocratie participative ! Mes deux collègues Loïc Blondiaux et Rémi Lefebvre, que vous avez entendus, ont vanté les mérites de la démocratie participative, en indiquant qu'il fallait aller plus loin. Pour ma part, je reste toujours frappé du niveau de participation dans les différentes initiatives prises au niveau local sur des projets d'infrastructures touchant de petites communautés. La démocratie participative est un élément parmi d'autres qui permettra de restaurer le lien de confiance, mais elle n'en est pas l'élément clef. J'émets des doutes sur l'efficacité des résultats obtenus par cette démarche tendant à institutionnaliser ce modèle.
En revanche, à travers la démocratie participative ou délibérative, le principe de la responsabilité devrait pouvoir être réveillé. À mon sens, la démocratie représentative repose avant tout sur le triptyque suivant : délégation de pouvoir, responsabilité et élection.
L'élection ne soulève aujourd'hui aucun problème, puisque les Français y sont attachés, comme en témoignent les taux particulièrement élevés de participation à l'élection présidentielle - et même si les élections législatives en sont le contre-exemple. Le cas de la France est unique et exemplaire à cet égard. Par ce biais, nos concitoyens manifestent clairement leur intérêt pour la politique.
La responsabilité a fait l'objet de diverses expérimentations. Dans notre baromètre, un type d'organisations fait un peu exception eu égard au discrédit frappant les corps intermédiaires que sont les partis politiques ou encore les syndicats : il s'agit des associations qui continuent de bénéficier d'un niveau de confiance très élevé. Il faudrait les favoriser et consolider leur rôle. Certes, elles peuvent être instrumentalisées, mais le tissu associatif n'en reste pas moins considérable en France.
Le principe de participation est érigé au rang des droits fondamentaux par la Constitution. Toutefois, tel qu'il est énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il ne concerne aujourd'hui que le dialogue social, auquel a été ajouté en partie le domaine environnemental. Il serait sans doute possible d'aller plus loin, pour instaurer ce qui serait un véritable dialogue politique.
La transparence sur les processus et les acteurs impliqués soulève des interrogations profondes, car la demande est très forte en la matière : je le répète, 82 % des Français considèrent que les politiciens sont corrompus.
Quant à la représentativité des acteurs impliqués et leur lien avec la réalité sociale, je n'insisterai pas sur la composition sociologique de l'Assemblée nationale. Je signalerai simplement une évolution considérable en quarante ans, par rapport à la composition socioprofessionnelle de la France. Je ne dis pas que, avec 13 % d'ouvriers au Palais-Bourbon, - pour reprendre le chiffre donné du recensement de la population -, on réglera tous les problèmes, mais la situation actuelle contribue au malaise politique.
Enfin, le suffrage universel doit rester un élément central et structurant de la décision publique. De nombreuses expérimentations peuvent être imaginées en termes de démocratie participative. Aujourd'hui, on pense que la démocratie participative débouche nécessairement sur de bonnes décisions, grâce à des contre-pouvoirs et une association plus forte des citoyens. Néanmoins, comment gérer les mauvaises décisions prises après un processus participatif ? Les exemples de sanction sont très rares en la matière.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Monsieur Foucault, merci de cette présentation très intéressante.
Je souhaite vous interroger sur cette notion de défiance et sur la crise politique que traverse notre pays. Pouvez-vous préciser encore plus nettement votre opinion ? Deux lectures nous sont présentées aujourd'hui : la première, aisément défendable, se fonde sur la crise des institutions politiques en France, et la seconde sur une crise plus globale, à la fois du monde politique, du monde syndical et de l'administration, qui serait liée à des résultats insuffisants et à des mécanismes trop complexes selon nos concitoyens. Les difficultés sont-elles concentrées sur la sphère politique ou sont-elles multiformes ?
M. Martial Foucault. - Je ne pourrai répondre en quelques minutes à cette question préoccupante pour les représentants que vous êtes. De surcroît, en dépit d'une démultiplication des bonnes volontés sur ce sujet, le milieu académique n'y a pas apporté une réponse très claire.
Les deux crises sont étroitement imbriquées, elles sont globales et touchent aussi bien les corps intermédiaires que les acteurs économiques et même associatifs. À cet égard, la crise financière de 2008 a, selon moi, constitué un terrain d'observation très fertile. En effet, après la chute du système financier aux États-Unis, on a cru durant six mois environ, en France, au Royaume-Uni et outre-Atlantique - un peu moins en Allemagne -, que le politique, seule issue possible à cette crise, avait repris la main sur l'économie, c'est-à-dire sur ces grandes organisations économiques qui n'ont pas nécessairement d'emprise locale. Il est vrai que les niveaux de confiance étaient élevés à ce moment-là. À l'issue des différents plans de garantie accordés aux établissements financiers et compagnies d'assurance, autrement dit une fois que le système avait été prémuni contre sa dislocation, les Français, les Américains, les Espagnols, les Portugais ont eu le sentiment que l'économique avait repris le pas sur le politique.
La crise des institutions politiques n'est pas uniquement française. Elle concerne aussi l'Allemagne.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - C'est paradoxal, car les résultats de ce pays paraissent plutôt bons...
M. Martial Foucault. - Absolument ! La crise des institutions politiques en Allemagne porte avant tout sur le système électoral, un point qui peut paraître secondaire à première vue. En France, faut-il introduire un peu plus de représentativité par un mode de scrutin proportionnel, afin que les citoyens aient le sentiment d'être mieux représentés au sein du Parlement ? Ce sujet me paraît essentiel, même s'il ne concerne pas directement votre mission d'information.
Compte tenu du niveau de participation très faible aux élections législatives, la question se pose de l'insatisfaction liée au mode de scrutin majoritaire à deux tours. Ce sentiment gagne également l'Allemagne, avec leur mode de scrutin qui donne l'impression que certains partis politiques sont protégés et presque immuables.
Cette crise affecte aussi les citoyens. Selon la grille de lecture très simple que nous donne le sociologue suisse Hanspeter Kriesi depuis une quinzaine d'années, l'observation des perdants et des gagnants de la mondialisation suffirait à expliquer largement les tensions populistes émergeant dans des pays qui en avaient été prémunis grâce au système démocratique. Or, de façon paradoxale, la France est l'un des pays européens qui ont le plus bénéficié de la mondialisation, mais où les citoyens y sont les plus hostiles.
Les institutions politiques auraient-elles manqué de pédagogie ? À mes yeux, ce terme n'est pas approprié, car il suppose que l'on ne dispose d'aucune autre explication. Or, il s'agit avant tout d'un problème lié à l'imaginaire des citoyens français concernant le rôle que doivent assumer leurs représentants. Il faudrait déconstruire cette vue selon laquelle le politique peut résoudre tous les problèmes.
Chacun s'accorde à reconnaître que l'électeur n'est pas rationnel. Or il en est de même du décideur politique. En France, il est faux de dire que le Parlement est totalement rationalisé. Pourtant, les citoyens attendent effectivement d'une décision publique qu'elle soit totalement rationnelle. Les enjeux de l'action publique sont bien plus nombreux aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans les années cinquante ou soixante, notamment depuis l'avènement du numérique et de l'accès à l'information, et pas seulement sur le terrain de la compétence ou de la responsabilité. Un décalage s'est créé, car les attentes de nos concitoyens sont plus fortes, alors que les institutions, elles, n'ont pas changé.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous avez distingué la notion de confiance de celle de bienveillance. La bienveillance s'exprimerait par l'intermédiaire de la proximité, tandis que la confiance serait plus liée à un tandem compétence-travail. La proximité est très présente dans les discours politiques. En revanche, comment restaurer la confiance de nos concitoyens en leurs représentants politiques et syndicaux ? Comment faire partager par nos concitoyens la compétence et le travail ? Cela dépend-il exclusivement de l'appréciation des résultats économiques ou d'autres marqueurs ?
M. Martial Foucault. - Pour dégager une proposition en la matière et allier compétence et bienveillance, il faudrait réunir deux préalables.
Le premier est de s'interroger sur la relation verticale ou horizontale de la décision publique. Il est possible d'améliorer à la fois le processus de décision publique et les résultats attendus à travers une plus grande décentralisation, non pas au travers de transfert de compétences, mais grâce à la hiérarchisation des enjeux et des problèmes pour lesquels la décentralisation est justifiée.
Je prendrai l'exemple de la réforme des rythmes scolaires. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre, malgré l'intervention de spécialistes des rythmes biologiques des enfants, pourquoi leurs verdicts étaient différents selon l'endroit où vivaient les écoliers. Cette réforme s'est imposée de façon très verticale à l'ensemble des écoles primaires dont les besoins justifiaient pourtant plutôt une politique des rythmes scolaires à la carte. La décentralisation de la décision publique aurait mérité un travail plus délibératif et participatif avec les publics visés. C'est l'autre voie qui a été retenue, au nom d'un principe républicain d'égalité sur l'ensemble des territoires que l'on peut d'ailleurs entendre. Mais dans les faits, les modalités de mise en oeuvre de cette réforme des rythmes scolaires sont différentes selon les communes, certaines ayant notamment choisi le mercredi matin et d'autres le samedi matin. Cet exemple permet de comprendre la frustration des parents d'élèves pour comprendre ces décisions.
Le second préalable est de résoudre le paradoxe selon lequel nos concitoyens attendent de leurs représentants qu'ils fassent preuve de compétence, mais sans vouloir des élus experts. Les Français sont très attachés à des représentants qui puissent les faire rêver, mais ils rejettent massivement l'élu trop technicien, en quelque sorte trop compétent et dénué d'empathie. Il y a là une vraie tension.
En réalité, on ne s'improvise pas élu : l'excès de compétences est directement lié à la sociologie des représentants et à leur professionnalisation, rendue indispensable du fait de la complexité et de la responsabilité grandissantes en matière juridique, notamment à l'échelon local.
L'un de mes collègues au Cevipof, Bruno Cautrès, tente de remettre au goût du jour la théorie de la « démocratie furtive », développée aux États-Unis. Les Américains éprouvent un besoin de démocratie temporaire, très fort tous les quatre ans autour des enjeux présidentiels - le représentant doit être irréprochable, compétent et bienveillant -, mais qui est presque inexistant le reste du temps, car ils veulent être tranquilles dans cette vie démocratique quotidienne.
Je ne milite pas pour cette « démocratie furtive », et nous n'en sommes pas là en France. Mais les Français ont besoin de temps de repos à l'égard des attentes suggérées par la démocratie représentative.
- Présidence de M. Michel Forissier -
M. Bernard Vera. - Monsieur Foucault, vous avez expliqué combien la légitimité de la décision publique se heurtait à la question des résultats. Ne serait-elle pas aussi liée aux engagements souvent non tenus ? Lors de la crise financière de 2008, l'ensemble des parlementaires, toutes tendances politiques confondues, avaient conclu que le politique devait reprendre la main sur l'économique et qu'il fallait s'attaquer aux paradis fiscaux. Nous sommes loin de cette situation aujourd'hui. Rappelons-nous également le discours prononcé au Bourget par François Hollande, qui considérait la finance comme son ennemi... Les engagements non tenus, à quelque niveau qu'ils aient été pris, peuvent-ils entamer sérieusement la confiance des Français ?
Par ailleurs, la défiance de nos concitoyens s'accroît-elle depuis le passage au quinquennat ? La vie politique s'accélère, et il devient de plus en plus difficile de mettre en oeuvre les décisions prises.
Qu'en est-il de la représentativité des assemblées, notamment au regard de ce qui est développé pour le respect de l'égalité entre les femmes et les hommes ?
Enfin, je ne comprends pas pourquoi l'introduction de la proportionnelle aux élections ne ferait pas partie du périmètre de notre mission d'information.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Nous travaillons dans un temps contraint, car nous rendrons notre rapport en mai, nous ne pouvons tout aborder. En outre, peut-on pousser la réflexion jusqu'à nos institutions elles-mêmes ? Par modestie et du fait de l'ampleur des enjeux, je ne crois pas que nous puissions présenter des propositions institutionnelles. En revanche, rien n'interdira de poser la question des autres pistes de réflexion susceptibles de devoir être explorées, lorsque nous présenterons nos conclusions.
M. Michel Forissier, président. - Bien que nous ne soyons pas dans un régime présidentiel, nous n'entendons parler que des programmes des candidats à l'élection présidentielle, alors que, à mon sens, le programme ne devrait être développé qu'à l'occasion des élections législatives. La confusion suscitée par le quinquennat fait que nous nous écartons des principes fondamentaux de la Constitution.
Je vais peut-être vous choquer, mais, pour ce qui me concerne, je n'ai jamais été élu sur un programme. Ma première élection comme maire, en 2001, a reposé sur la confiance et la méthode. Je me suis engagé à consulter la population, par exemple en mettant en place un conseil de développement local. La démocratie participative revient selon moi à informer le plus tôt possible la population d'une intention de projet. Ensuite, il faut écouter, puis présenter une solution. Le travail préparatoire est essentiel, et c'est sans doute ce qui explique la réélection de certains maires alors même qu'une alternance nationale a lieu.
Enfin, monsieur Foucault, vous avez évoqué la réforme des rythmes scolaires. J'ai le sentiment que les maires ont rempli leur mission en jouant le rôle d'amortisseur.
M. Martial Foucault. - Il est difficile de prétendre que l'accélération du niveau de défiance est concomitante de l'instauration du quinquennat en 2002. Nous ne disposons d'outils pour mesurer la confiance des Français que depuis 2009.
Nous vivons dans un régime qui n'est ni présidentiel ni parlementaire ; il est semi-présidentiel, pour reprendre l'expression très juste de Maurice Duverger. Toutefois, le quinquennat a conduit à élire un président sur un programme. Mais les élections de 2017 risquent de modifier la donne, car la probabilité pour qu'aucune majorité absolue ne se dégage des urnes lors des élections législatives n'a jamais été aussi forte, sauf bien sûr sous la législature qui a correspondu au gouvernement de Michel Rocard à partir de 1988.
Notre enquête montre que les Français sont très attachés à la démocratie représentative. S'ils semblent toutefois fatigués par les disputes qui entourent une décision publique, ils n'en estiment pas moins que le compromis est une sorte de reniement ! Pour qu'un gouvernement de coalition soit accepté, il faudrait une nouvelle culture politique. Néanmoins, depuis trois ans, nos enquêtes démontrent que les Français acceptent de plus en plus l'idée d'un gouvernement composé de plusieurs sensibilités politiques, si cela se fait au nom du bien commun. En revanche, je ne crois pas que le quinquennat, qui visait avant tout à éviter la cohabitation, soit à l'origine de ce changement de culture.
Le nombre d'élections en France est un élément qui distingue notre pays de nos voisins. Avec ces nombreuses élections, on multiplie les occasions de provoquer l'insatisfaction de nos concitoyens à l'égard de leurs représentants. Les taux de participations sont très élevés pour l'élection présidentielle et pour les élections municipales. Ces dernières traduisent l'attachement de nos concitoyens à la réalité locale, quotidienne, tandis que la présidentielle symbolise la prise en main du destin de notre pays par un homme. La baisse de la participation pour les autres élections n'apporte pas la preuve d'un désintérêt pour le conseiller départemental ou régional, ou pour le député européen, mais ces instances ne sont pas perçues comme affectant le quotidien. Or, c'est ce dernier qui est le trait d'union de la démocratie représentative.
Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la représentativité et notamment l'opportunité d'étendre la loi relative à la parité homme femme. Je n'y suis pas favorable, car il faudrait alors aussi prévoir une loi de parité socioprofessionnelle, une loi pour limiter l'âge des représentants, une loi pour représenter les minorités visibles, etc. Le Canada a d'ailleurs choisi cette dernière voie. Ces correctifs sont des pansements démocratiques, mais ils ne répondent pas à une réelle demande de nos concitoyens. La composition des assemblées ne garantit pas l'empathie des représentants.
Vous vous interrogiez également sur l'impact des engagements non tenus sur nos concitoyens. Néanmoins, est-il préférable de ne pas respecter ses engagements ou de ne pas prendre d'engagement du tout ? Vous nous avez dit, monsieur Forissier, que vous aviez été élu maire sans prendre d'engagements : c'est une réelle anomalie de la vie démocratique ! Les partis politiques n'existent qu'en raison de leur programme et de leur engagement auprès des concitoyens. Pour Jürgen Habermas, la démocratie implique la confrontation permanente des opinions. Dès lors, comment enchanter les citoyens si on ne leur promet rien ? Ou alors il faut être dans une relation de proximité et les connaître personnellement, mais cela ne vaut que pour des élections locales, pas nationales.
Les engagements non tenus sont terribles pour la démocratie, mais l'élection est là pour sanctionner l'élu qui n'a pas tenu parole. À force de ne pas respecter les engagements, le capital de défiance devient considérable à tous les niveaux de la société. En revanche, nos concitoyens n'appellent pas tous de leur voeu une démocratie participative. Les citoyens prêts à s'engager dans cette voie sont très intéressés par la politique, plutôt éduqués, et ils ont aussi un niveau de confiance dans leurs représentants qui, s'il reste bas, est plus élevé que le reste de la population.
Le Cevipof interroge également les jeunes qui vont voter pour la première fois à l'élection présidentielle : leur politisation est totalement différente de celle de leurs parents et de leurs grands-parents. Elle repose sur des mécanismes totalement différents qui échappent aux institutions représentatives et les dispositifs de démocratie participative ne les concernent pas davantage.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - D'après vous, la démocratie participative ne peut se substituer à la démocratie représentative, même si vous n'excluez pas des complémentarités entre les deux. Toutefois, vous avez aussi parlé du principe de responsabilité. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quels seraient les outils d'une telle démocratie de responsabilité ?
M. Martial Foucault. - La démocratie de responsabilité a pour objectif de concilier les deux dimensions de la confiance politique, c'est-à-dire la compétence et la bienveillance. La transparence sur les processus et les acteurs en est un élément incontournable. Il serait assez facile de mieux communiquer sur la fabrique de la loi. Grâce au numérique, il est aisé de dire quels sont les acteurs impliqués, quels sont les lobbys qui s'expriment. Ainsi, les États-Unis et le Canada ont légiféré il y a respectivement 25 et 20 ans sur les groupes de pression. Ces activités y sont enregistrées et publiques, ce qui permet une réelle transparence. En France, nous avons certes la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mais les citoyens sont-ils vraiment intéressés par les conflits d'intérêts et le patrimoine de leurs élus ? Ce n'est pas parce qu'ils vont connaître le montant de ces patrimoines que le lien de confiance sera rétabli. La transparence implique surtout la connaissance des entourages politiques et professionnels des représentants. L'actualité est là pour le rappeler.
Par ailleurs, l'élection doit rester le point incontournable de la démocratie. Même si la démocratie participative prend de l'importance en amont des décisions, l'élection est le seul outil permettant au citoyen de marquer son approbation, ou son rejet, de l'action politique menée. Dans une démocratie de proximité, le moment du vote est essentiel.
Enfin, j'évoquerai le cumul des mandats : comparée aux autres pays, la France est dans une situation singulière - même la Roumanie y a mis fin... Pour ma part, je suis défavorable à l'idée d'instaurer un seul mandat en cours par représentant. Je crois que c'est le cumul dans le temps qui pose réellement problème. En effet, certains élus exercent un mandat local et un mandat national à la grande satisfaction de leurs électeurs, car ils sont compétents et bienveillants. Si nos concitoyens sont opposés au cumul, c'est en réalité surtout pour favoriser le renouvellement du personnel politique. Vous voyez que nous sommes loin des notions d'efficacité et de responsabilité. Et si l'on parle de cumul, n'oublions pas non plus celui des fonctions non électives, qui peut aussi distendre les liens de confiance. Bref, la fin du cumul des mandats simultanés ne restaurera pas automatiquement le lien de confiance démocratique entre les électeurs et les élus.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Le référendum est-il utile ? Faut-il y avoir recours comme en Suisse ?
M. Martial Foucault. - Quelque 73 % des Français estiment que le référendum permet de trancher des questions importantes. Toutefois, lorsqu'elles ont répondu à cette enquête, ces personnes avaient-elles en tête un modèle de démocratie directe ? Sans doute pas. Je ne crois pas qu'elles souhaitent être interrogées tous les quinze jours comme en Suisse ou en Californie. En outre, que penser de taux de participation de 10 % ou 15 % lors des référendums californiens ?
Démocratie participative et référendum peuvent faire bon ménage, puisqu'il s'agit d'associer les citoyens à l'élaboration de la décision publique, notamment à l'échelle locale - par exemple, pour choisir entre différents systèmes d'assainissement des eaux. En revanche, on ne peut envisager des référendums pour toutes les décisions ; où placer le curseur? En Californie, on demande aux citoyens de voter pour l'augmentation des droits de scolarité dans les lycées, pour interdire le patin à roulettes sur la plage de Santa Barbara, etc. Cette multiplicité de votes conduit à la fatigue démocratique plutôt qu'à la restauration du lien démocratique. En période de malaise politique, on a tendance à croire que les décisions seront légitimées par un référendum, mais quelle en est la légitimité si 85 % des électeurs s'abstiennent ?
La réunion est close à 15 h 10.
Jeudi 9 février 2017
- Présidence de M. Henri Cabanel, président -La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de M. Bernard Manin, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et professeur de science politique à l'Université de New York
M. Henri Cabanel, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions plénières de notre mission d'information en accueillant M. Bernard Manin.
Directeur de recherche à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), professeur à la New York University et longtemps professeur à Sciences po Paris, Bernard Manin est surtout l'un des meilleurs spécialistes français de la démocratie représentative. Il a d'ailleurs signé en 1995 un ouvrage devenu un classique, Principes du gouvernement représentatif.
Monsieur Manin, vous y montriez, développant des intuitions formulées en son temps par Montesquieu, que le principe de l'élection est par nature du côté du gouvernement aristocratique, tandis que le tirage au sort appartient pleinement au régime démocratique. Vous souligniez également que la représentation comporte tout de même des aspects démocratiques essentiels, en particulier la possibilité pour tous les citoyens de demander des comptes aux représentants à la fin de leur mandat et de les congédier si leur action au pouvoir n'est pas jugée satisfaisante.
« C'est la reddition des comptes, écriviez-vous, qui, depuis l'origine, constitue l'élément fondamental du lien représentatif. Aujourd'hui comme hier, la représentation comporte ce moment souverain où le peuple rend son verdict sur les actions passées des gouvernants. » Ces mots prennent une résonnance particulière à l'approche d'échéances électorales cruciales pour notre pays. À l'occasion de précédentes auditions, certains ont également souligné le fait que, aujourd'hui, la légitimité de l'élection ne suffisait plus à légitimer la décision prise par les élus.
Monsieur Manin, votre analyse et votre point de vue seront donc, à n'en pas douter, particulièrement enrichissants, alors que notre mission s'interroge sur les moyens d'améliorer le fonctionnement de notre démocratie représentative, de renforcer le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus et de parvenir au bon équilibre avec le développement, soutenu par certains, de la démocratie participative, qui est parfois présentée en la distinguant de la démocratie délibérative, ou bien encore de la démocratie directe.
Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une diffusion en direct sur le site Internet du Sénat. Elle est également ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
Monsieur Manin, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pour une dizaine de minutes. Je donnerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues pour qu'ils puissent, s'ils le souhaitent, vous poser toutes leurs questions.
M. Bernard Manin, directeur de recherches à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). - Merci de votre invitation, qui m'honore beaucoup. À titre liminaire, je présenterai des réflexions sur les valeurs démocratiques, puis sur les institutions démocratiques.
Le point de départ de ma réflexion est simple : les démocraties, telles que nous les connaissons, éprouvent des difficultés. Par démocratie, j'entends un régime comportant l'élection concurrentielle des gouvernants, la protection des droits civils, politiques et sociaux, l'indépendance du pouvoir judiciaire et la liberté d'expression des opinions individuelles et collectives. Cette définition ne porte pas de charge conceptuelle particulière.
Un signe des difficultés auxquelles les démocraties sont confrontées est le succès des partis ou des mouvements dits « populistes », qui concentrent leur critique sur les partis et les personnels politiques établis, dénoncés comme des « élites » ou « le système », et qui exaltent l'union entre le chef et le peuple, conçu comme une force unifiée. Toutefois, derrière ce phénomène, de façon sous-jacente ou simultanée, se produit peut-être quelque chose de plus fondamental : une érosion des valeurs démocratiques.
Selon certaines analyses, pas nécessairement très connues en France, les démocraties anciennes, dans les pays développés, connaissent aujourd'hui une « déconsolidation de la démocratie », au sens où les valeurs démocratiques, et d'abord l'attachement à la démocratie, sont en déclin. On le voit bien dans les enquêtes menées dans plus d'une centaine de pays du monde. L'une des questions régulièrement posée est : « Est-il important pour vous de vivre dans une démocratie » ? Or, si les cohortes nées avant la Seconde Guerre mondiale répondent par l'affirmative à une majorité écrasante, plus les sondés sont jeunes et moins ils expriment d'adhésion à la démocratie. De la même façon, de plus en plus de gens se disent prêts à accepter un leader ne s'embarrassant pas des élections ni du Parlement ou expriment leur défiance envers les institutions et les partis politiques en général. Il y a là un phénomène dont il faut tenir compte : même si, dans les pays qui sont démocratiques depuis longtemps, le régime n'a pas été renversé, l'érosion du soutien dont il bénéficie est notable. Enfin, cette question ne se confond pas avec celle de la crise de la représentation, qui a fait fortune dans le discours politique.
Si la batterie des indicateurs dont nous disposons est impressionnante, elle ne fournit naturellement aucune analyse causale ; en la matière, il n'existe pas encore de conclusion établie. L'une des thèses les plus fréquemment développées relie ce phénomène à la baisse du sentiment de sécurité, et d'abord de sécurité économique, parmi les individus.
Une théorie, formulée il y a quelque temps, postule que l'attachement aux valeurs de l'autonomie et de la liberté individuelle vient après l'acquisition de la sécurité matérielle. Or, au cours des trente dernières années, sous les effets mêlés, et d'ailleurs indémêlables, de la mondialisation, d'une part, et du changement technologique, d'autre part, certaines couches de la population ont fait l'expérience d'une insécurité économique plus grande. Dans ces conditions, l'affaiblissement de l'adhésion à la démocratie serait le produit des résultats des institutions démocratiques, et non pas seulement de leurs procédures. Peut-être nous focalisons-nous trop sur les procédures des institutions démocratiques, tout simplement parce qu'il est plus facile de les changer que d'obtenir des résultats...
J'en viens à quelques réflexions sur les institutions démocratiques. Dans l'intitulé de votre mission d'information, vous distinguez démocratie représentative, démocratie participative et démocratie paritaire.
On conçoit souvent la démocratie représentative et la démocratie participative comme des réalités opposées, mais cette conception repose sur une compréhension incomplète et défectueuse de ce que sont les démocraties représentatives. Le gouvernement représentatif a certes vu son caractère démocratique se renforcer au fil des siècles, mais un noyau de principes essentiels est demeuré identique. Parmi ces principes, se trouve l'idée que la représentation ne se substitue pas à toutes les expressions possibles des électeurs ou des gouvernés.
Nous avons trop souvent tendance à identifier la démocratie représentative à l'élection : les citoyens seraient censés élire leurs gouvernants, puis ils se tiendraient silencieux jusqu'à la prochaine consultation. À la vérité, cette idée, qui est simple - ce qui explique d'ailleurs son attrait -, n'a jamais été un principe du gouvernement représentatif. Grâce, en particulier, à la liberté d'expression et à la liberté d'association, les gouvernés ont toujours pu à tout moment s'organiser, manifester et intervenir, pour communiquer leurs souhaits et leurs griefs aux gouvernants, voire pour faire pression sur eux. La démocratie représentative n'a jamais reposé sur la représentation absolue, c'est-à-dire qu'elle n'a jamais été un régime dans lequel les élus se substitueraient totalement aux citoyens.
La démocratie représentative est par conséquent un système composite et non pas mécanique. Elle ne repose pas sur un seul élément, comme on a trop souvent tendance à le penser, qu'on fasse la critique de ce régime ou qu'on s'identifie à lui, d'ailleurs. L'indépendance du pouvoir judiciaire et la liberté d'expression n'ont jamais relevé de l'élection ! Ce sont des dispositifs complémentaires, même s'ils manifestent sans doute une certaine continuité avec la liberté d'élire les gouvernants. Il y a de la place dans les institutions de la démocratie représentative pour une flexibilité et pour une innovation institutionnelle, que nous voyons précisément se développer aujourd'hui.
Au cours des vingt ou trente dernières années, s'est produite une floraison d'innovations institutionnelles : conseils de quartier, sondages délibératifs, enquêtes publiques, budgets participatifs, jurys citoyens, etc. Or ces institutions innovantes ne se sont en aucune manière substituées aux mécanismes représentatifs classiques ; elles les ont complétés.
La dichotomie entre les deux concepts repose donc peut-être sur une incompréhension de ce que sont la démocratie représentative et les potentialités d'évolution de celle-ci.
M. Henri Cabanel, président. - Force est de constater aujourd'hui que les citoyens témoignent d'une défiance croissante vis-à-vis des élus. Par ailleurs, l'abstention aux élections est de plus en plus forte. Quelles solutions proposeriez-vous pour surmonter ce problème ? Comment retrouver un peu de confiance ? Faut-il introduire un peu plus de démocratie participative ? Les outils qui existent sont-ils adaptés, ou les citoyens doivent-ils en proposer de nouveaux aux élus ?
M. Bernard Manin. - S'agissant de baisse de la confiance à l'égard du personnel politique, nous ne savons pas exactement à quoi elle est due. Il n'existe pas de théorie ou de réflexion qui fasse consensus parmi les spécialistes.
Nous avons un peu plus de connaissances pour ce qui concerne l'abstention. Celle-ci, il est vrai, a tendance à s'accroître dans l'ensemble des démocraties établies. Toutefois, en réalité elle n'augmente pas beaucoup, et, surtout, on observe des variations fortes de la participation selon les élections. Alors qu'elle était stable au cours des périodes antérieures, elle est devenue très variable. Certes, en moyenne, elle diminue, mais on retrouve parfois des taux de participation très élevés, par exemple en France lors de l'élection présidentielle. D'après les analyses qui ont été réalisées, les individus participent au scrutin lorsqu'il leur semble - tout cela est assez subjectif - qu'il y a une incertitude sur les résultats et que les enjeux sont importants. Pour combattre l'abstention, il faut donc éviter, en jouant sur des mécanismes institutionnels, l'une des plaies des élections, à savoir la réélection systématique des sortants. Aux États-Unis, le taux de renouvellement des membres de la Chambre des représentants se situe autour de 90 %, grâce à « l'avantage des sortants », qui tient à une série de dispositifs techniques et qui réduit l'incertitude du scrutin. L'autre levier sur lequel on peut jouer, ce sont les enjeux de l'élection, ce qui renvoie à la question des politiques menées. On peut certes chercher des solutions institutionnelles, mais le problème est pour l'essentiel lié aux politiques suivies.
M. Henri Cabanel, président. - Je comprends de vos propos qu'une participation politique faible s'explique par un sentiment d'insécurité et notamment par un sentiment d'insécurité économique.
Sur le plan économique, la France dépend beaucoup des règles fixées au niveau communautaire, ce qui devrait inciter les citoyens à s'intéresser aux élections européennes. Ce scrutin est pourtant celui où est l'abstention est la plus forte. Comment l'expliquer ?
M. Bernard Manin. - Les institutions européennes représentent l'un de nos problèmes.
Le Parlement européen reste invisible malgré le renforcement de ses pouvoirs et son élection au suffrage universel. En philosophie politique, le principal enjeu est la perception : les citoyens ne perçoivent pas les enjeux européens. De même, ils ne mesurent pas le travail de « codécision » entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Le système institutionnel de l'Union européenne est aujourd'hui indéchiffrable pour les électeurs.
M. Michel Forissier. - Il me semble que les citoyens ne connaissent pas assez le fonctionnement et la pratique institutionnels.
La ville dont je suis maire compte 35 000 habitants. Nous avons créé une quinzaine de dispositifs participatifs : le conseil de développement, les conseils de quartier, le conseil consultatif du sport... À chaque réunion, nous envoyons des invitations dans toute la commune mais nous sommes heureux lorsque nous avons 150 participants.
Au terme de ces consultations citoyennes, le conseil municipal prend une décision. C'est alors que la contestation commence... Les citoyens ne sont pas dans le même rythme que l'administration. Ils pensent que nous pouvons encore modifier les plans d'un projet alors que le premier coup de pelle a été donné.
Je pense, en outre, que élus locaux inspirent davantage confiance aux citoyens. Toutefois, les nouveaux moyens de communication déshumanisent la relation politique : l'interlocuteur devient abstrait et de fausses informations sont diffusées sur Internet. Je déplore un manque de contact humain entre les citoyens et les élus, alors que ces derniers sont raisonnables et parviennent à surmonter des désaccords. Aujourd'hui, les citoyens ne votent pas « pour » mais « contre » une personne ou un système.
M. Henri Cabanel, président. - Les nouvelles technologies de l'information et de la communication représentent-elles une menace pour la représentation politique ? Si oui, comment y remédier ?
M. Bernard Manin. - J'observe, comme M. Forissier, un certain décalage temporel : les citoyens ne mesurent les enjeux de la décision qu'une fois qu'elle est prise. À mon sens, cela correspond à l'un des effets de la myopie comportementale des êtres humains : sur le plan psychologique, chaque individu a tendance à se concentrer sur l'immédiat et non sur le futur. Cette distorsion doit être prise en compte par le monde politique.
S'agissant du numérique, il est vrai qu'Internet pose de nombreuses difficultés, notamment lorsqu'il facilite la circulation de fausses informations.
L'autre problème réside dans la segmentation de la communication : les internautes communiquent prioritairement avec des personnes qui ont les mêmes idées qu'eux. Cela favorise un certain type de militantisme : d'une part, il est plus aisé de partager des opinions rares, notamment grâce à la réduction des coûts de communication et, d'autre part, des « îlots de pensées » homogènes se forment, ce qui soulève des difficultés.
Des dispositifs incitatifs doivent être mis en oeuvre par la puissance publique pour encourager les sites Internet visant à confronter des opinions diverses et opposées.
Mme Corinne Bouchoux. - Au vu de votre analyse et de votre exposé, que pensez-vous des mesures qui tendent à limiter dans la durée l'exercice des responsabilités, comme pour le Président de la République avec deux mandats consécutifs ? Ces règles sont-elles nécessaires pour endiguer la perte de confiance des citoyens ? Est-ce une piste intéressante pour le renouvellement ?
M. Henri Cabanel, président. - Je voulais aussi vous interroger sur le cumul des mandats.
M. Bernard Manin. - Sur la limitation du nombre de mandats dans temps, j'ai changé d'opinion. J'ai longtemps été plutôt hostile à cette mesure : en effet, pourquoi forcer des élus qui donnent satisfaction à quitter leur poste en vertu d'une règle automatique ? Pour moi, c'était l'argument décisif. Je crois toujours à cet objectif - permettre une sélection des personnes qui réussissent dans leurs fonctions - mais un autre impératif existe : instaurer la diversité et combattre le sentiment de l'éloignement. Certes, il peut entrer du symbolisme mais il faut accepter que le symbole exerce des effets politiques et réels. Avec prudence, j'estime que le symbolisme du renouvellement serait favorable pour les institutions représentatives. À peser les deux considérations, la seconde me paraît plus forte que la première maintenant.
M. Didier Mandelli. - Je partage votre analyse sur les institutions : elles ont fait preuve de leur solidité. Le constat s'est imposé que le politique a failli depuis près de trente ans et n'a pas réussi à répondre aux attentes des citoyens, ce qui conduit à des questions qui expliquent cette mission d'information qui a pour but de trouver des solutions.
S'agissant de l'éloignement et de l'abstention en matière électorale, deux scrutins se dégagent : les élections municipales et l'élection du Président de la Républiques. Dans les deux cas, les limites de la circonscription sont bien identifiées. Et le candidat est attaché à ce territoire. Pour les élections régionales et européennes, le scrutin est de liste et à la représentation proportionnelle dans des circonscriptions peu identifiées, avec des grands régions aux limites redéfinies. Il y a une difficulté à rattacher l'homme au territoire. Par exemple, avec les élections départementales, la présence de deux élus sur un même territoire perturbe fortement : qui s'exprime ? Sur quel sujet ?
Quel que soit le mode de scrutin, je retiens le faible engagement des plus jeunes, avec moins de 50 % des jeunes qui votent, et le phénomène s'aggrave : comment les intéresser à travers les nouveaux outils ? Il faut imaginer de nouvelles formes d'expression pour la population, au-delà des conseils de quartier, etc. Pour l'illustrer, lors de la consultation sur le schéma de cohérence territoriale (SCOT) couvrant 120 000 habitants, l'enquête publique a réuni 14 avis, pour passer ensuite près de deux heures à dépouiller, à discuter et à extrapoler à partir d'avis de participants très loin d'être représentatifs.
M. Bernard Manin. - S'agissant de la participation électorale, je ne comprends pas le refus en France du vote obligatoire. Il fonctionne en Belgique et en Australie et ne pose pas de difficultés particulières. J'y serais favorable, sous réserve de décompter séparément le vote blanc.
Dans l'ensemble des démocraties, les jeunes votent moins et de manière intermittente mais ils peuvent parfois se mobiliser. Globalement, ils ne sont pas sociabilisés dans la participation systématique.
Le vote obligatoire - mesure aux effets forts sans être compliquée - mériterait plus d'attention en France. Pour d'autres, l'âge de 18 ans est très mal choisi pour accorder le droit de vote parce que les individus ne sont plus dans les réseaux de socialisation - école et famille - sans être encore installés dans l'univers professionnel. Les incitations sociales, que ce soit l'entraînement par les pairs ou le fait d'en parler autour de soi, sont bouleversées à cause du cycle de vie. Il est donc proposé d'abaisser encore l'âge de la participation pour saisir les jeunes gens à un moment où ils sont davantage stabilisés, lors de leur scolarisation, ce qui permettrait de faire prendre des habitudes différentes. C'est une thèse qui n'est pas fantaisiste et défendue par d'excellents spécialistes de la sociologie du vote.
Concernant les mécanismes non électoraux permettant la participation des citoyens, leur faiblesse fondamentale est qu'ils reposent généralement sur le volontariat. Il n'est pas sûr qu'ils répondent alors à une réelle demande et il existe un risque que les personnes mobilisées par le sujet viennent en nombre disproportionné, conduisant à des personnes auto-sélectionnées. Rien ne permet de supposer que ceux qui ne sont pas intéressés participeront au dispositif. Même s'il a également ses avantages, le volontariat sélectionne donc les individus mobilisés et, par définition, « dé-sélectionne » les personnes non mobilisées. On reproduit la dynamique de la différence des intérêts.
Cette observation plaide pour les jurys citoyens avec le recrutement des échantillons statistiquement représentatifs auxquels il est présenté des matériaux et de la documentation avant de discuter et d'émettre un avis. Ces dispositifs paraissent plus prometteurs que ceux fondés sur le volontariat. Ils écartent les activistes et intègrent les non-mobilisés.
Mme Catherine Génisson. - Je souhaite réagir à votre proposition d'instaurer le vote obligatoire. Une telle mesure ne reviendrait-elle pas à traiter seulement l'un des symptômes de la crise actuelle, sans s'attaquer à ses causes ? Ne serait-elle pas très insuffisante pour réenchanter la vie démocratique dans notre pays ? Une proposition comme le non-cumul des mandats serait peut-être plus structurelle.
Par ailleurs, j'ai été frappé par vos propos sur la forte adhésion à la démocratie des citoyens nés avant la Seconde Guerre mondiale. N'est-ce pas parce qu'ils ont connu, eux, des temps vraiment difficiles ?
Plus fondamentalement, la crise de la démocratie ne vient-elle pas du manque de substance du discours politique ? Peut-être devrions-nous tous nous remettre en cause en tant qu'élus et revoir profondément nos projets politiques.
Mme Corinne Bouchoux. - Tout à fait !
Mme Catherine Génisson. - Pardonnez-moi d'être provocante, mais le manque d'intérêt des citoyens pour la chose publique vient peut-être de notre incurie. Mon propos est peut-être sévère...
M. Bernard Manin. - J'ai souligné tout à l'heure l'importance de la perception des enjeux. Or, ces derniers reposent en partie sur la différence entre les options politiques proposées.
Aujourd'hui, les alternances sont devenues routinières dans nos démocraties - des régimes qui n'ont pourtant été identifiés à l'alternance au pouvoir que de façon récente, depuis une quarantaine d'années environ. Nous sommes donc pris dans une sorte de « tenaille temporelle », par l'effet de circonstances malheureuses : les démocraties représentatives sont devenues des systèmes d'alternance au moment précis où, pour d'autres raisons qui leur sont exogènes et qui tiennent à la mondialisation et à la constitution d'entités régionales unifiées, la marge de manoeuvre laissée aux gouvernements nationaux s'est beaucoup réduite. Autrement dit, l'alternance est devenue la règle au moment où elle n'avait plus guère d'enjeux ! En outre, nous n'avons guère de raison de supposer que la similarité des politiques proposées se réduira dans l'avenir.
Aussi, il n'est peut-être plus possible de fonder notre régime sur la seule alternance. Il existe en effet deux types de démocraties : les démocraties d'alternance, comme la France, et les démocraties de consensus, comme la Suisse ou les Pays-Bas. Il faudrait que notre régime valorise davantage le consensus et les coalitions. Toutefois, j'avance cette proposition avec crainte et tremblement, car l'une des valeurs fondamentales de la démocratie est précisément de permettre de changer le personnel gouvernant. Il y a une vertu intrinsèque à ce que les équipes elles-mêmes alternent et changent, car le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Il faut donc trouver un équilibre.
M. René Danesi. - Concernant la limitation du nombre de mandats, on a critiqué, pendant longtemps, le cumul des mandats sur une même période. À présent que celui-ci est presque supprimé, on parle d'interdire le cumul dans le temps...
Toutefois, de quels mandats parle-t-on ? Un maire ne joue pas le même rôle dans les territoires ruraux ou à Paris. De même, qui en ville connaît son conseiller départemental ? Personne, alors que cet élu est très bien connu à la campagne. Pour le président de la République, la question est réglée : ce sont deux mandats au maximum, ce qui en fait déjà un de trop, me semble-t-il, car le chef de l'État consacre son premier mandat à se faire réélire, au lieu d'agir pour le pays... Selon moi, un pays qui ne s'est jamais pardonné d'avoir décapité son roi devrait avoir un président élu pour sept ans non renouvelables.
Je le constate dans le Haut Rhin, les communes qui connaissent une forme de stabilité, parfois avec la même équipe municipale depuis vingt ou trente ans, progressent plus vite et prélèvent moins d'impôts que celles qui ont connu de fréquents changements de municipalité. Je suis donc très réservé sur le cumul du nombre de mandats dans les petites communes ; dans les grandes, de toute façon, il est plus difficile de se faire réélire.
Il est peut-être plus pertinent de se poser la question de l'origine sociale des élus. Dans les conseils départementaux et régionaux, si l'on enlève les fonctionnaires, les enseignants et les retraités, il ne reste plus grand monde... Il n'y a pas d'adéquation entre la représentation du peuple et le peuple lui-même. Au Sénat, il n'y a plus d'ouvrier et peu d'agriculteurs. Plutôt que de limiter le nombre de mandats dans le temps, il faut donc donner à tout un chacun la possibilité d'être élu.
En Allemagne, les élus sont moins nombreux - il est vrai que ce pays compte à peine 5 000 communes -, même si, contrairement à une idée reçue, il y a autant de niveau de collectivités qu'en France. Surtout, ces élus ont un statut qui leur évite le chômage puisque, s'ils sont battus aux élections, ils ont la possibilité d'intégrer la fonction publique territoriale, à laquelle ils apportent d'ailleurs leur expérience. En France, le cumul est rendu en quelque sorte obligatoire par les difficultés de réinsertion à l'issue du mandat. Il faudrait que les élus disposent de la possibilité de se reconvertir dignement et d'un statut, sinon plus personne ne se présentera aux élections.
Mme Catherine Génisson. - Nous n'avons jamais eu le courage d'aborder la question du statut de l'élu !
M. Bernard Manin. - Je suis entièrement d'accord avec vous concernant le statut de l'élu et les garanties à prévoir pour les candidats battus. Nous n'avons pas eu le courage de de proposer cette réforme, sans doute par peur de l'impopularité.
La question de la représentativité des élus est un sujet important. Vouloir que les assemblées délibérantes constituent le parfait miroir de la société n'est pas le bon objectif car la définition des catégories à représenter ne peut être qu'arbitraire. À titre d'exemple, les chômeurs ont des préoccupations et des intérêts propres. Doivent-ils, pour autant, être représentés en tant que tels par d'autres chômeurs dans les assemblées délibérantes ?
L'enjeu est surtout de limiter les avantages accordés à certaines catégories favorisées et de supprimer les distorsions manifestes. Pendant longtemps, les fonctionnaires étaient les seuls à retrouver leur poste à l'issue de leur mandat.
Mme Karine Claireaux. - Je pense que la loi limitant le cumul des mandats a été une erreur et qu'elle est susceptible d'augmenter le nombre d'apparatchiks. Nous aurions dû nous laisser plus de temps de réflexion.
Alors que les citoyens se désintéressent de la politique, ils réagissent avec force pour s'opposer à certaines décisions. Je ferais un parallèle avec la société de consommation : sans aucune acrimonie dans les termes utilisés, l'électeur ne se dit-il pas qu'il peut « jeter » son élu comme il le fait avec un mouchoir en papier ?
Je m'interroge sur la manière de redynamiser le débat public. Comment faire comprendre les enjeux politiques aux citoyens ? Cela passe-t-il par l'éducation, par l'école, par des associations structurées s'adressant aux jeunes ? Comment responsabiliser les citoyens et les inciter, même lorsqu'ils ne sont pas candidats à une élection, à avoir une démarche constructive en proposant des choses ?
M. Bernard Manin. - Pendant longtemps, le principe de déférence a régi la sélection du personnel politique : les électeurs choisissaient un « leader naturel », y compris à gauche ou à l'extrême gauche. Ce sentiment de déférence s'est érodé avec l'élévation générale du niveau d'étude. Ce mouvement me semble irréversible : il ne s'agit pas, aujourd'hui, de réinstaurer un sentiment de déférence.
Nous pouvons envisager de concilier la dignité la fonction politique et le sentiment de responsabilité des citoyens. Des élus peuvent perdre une élection mais ils ne doivent pas être rejetés de manière capricieuse ou arbitraire.
Mme Karine Claireaux. - Je suis choquée par le peu de respect des citoyens envers les élus, que ce soient le président de la République, les ministres... En politique, les désaccords existent mais les élus doivent être respectés !
Mme Corinne Bouchoux. - Pour ma part, je ne suis pas une apparatchik. Issue de la société civile, j'ai été élue en 2011. J'ai beaucoup travaillé au Sénat et je ne ferai qu'un mandat, comme je l'ai toujours promis. À ce titre, depuis deux mois, je reçois beaucoup de sollicitations, notamment de la presse ou encore pour intervenir dans des universités. J'ai l'impression que le regard sur les élus change une fois qu'ils ont annoncé leur départ. Ce phénomène est à la fois inquiétant et porteur d'espoirs.
M. Bernard Manin. - Il existe, dans notre société, une véritable demande de renouvellement, l'élu devenant parfois plus populaire à l'annonce de son départ. C'est l'état des choses même si cette réaction des électeurs peut paraître purement symbolique. Il n'y a peut-être pas très grand mal à accéder à cette demande sociale.
M. Michel Forissier. - Je suis entièrement d'accord sur le droit de vote à seize ans et je vais même plus loin puisque je suis favorable à l'abaissement de l'âge de la majorité. Je pense, qu'aujourd'hui, on devrait pouvoir passer le permis de conduire à seize ans, ce qui présenterait beaucoup d'avantages !
À mon sens, le renouvellement de la classe politique ne passe pas par la loi mais par un ensemble de bonnes pratiques. Pour ma part, je n'ai jamais été candidat de moi-même, on me l'a demandé. Désormais, je vais bientôt quitter mon mandat de maire pour passer le témoin et notamment me concentrer sur l'avenir de la métropole de Lyon afin que mes successeurs disposent d'un outil institutionnel en état de marche.
Le renouvellement de la classe politique est nécessaire. Il existe toutefois des cas spécifiques comme dans les petites communes, où trouver des candidats aux élections municipales est un sacerdoce car la fonction est très prenante.
M. Henri Cabanel, président. - Le numérique peut-il contribuer à rendre plus démocratique la démocratie représentative ? Quels outils peut-on imaginer pour aller en ce sens ?
M. Bernard Manin. - Nous n'avons pas le choix ! Le numérique est une révolution technologique qui apporte beaucoup, dans bien des domaines. Nous sommes en quelque sorte obligés de l'appliquer à la politique. Dans l'immédiat, les effets négatifs sont très visibles mais, d'un autre côté, les minorités et tous ceux qui avaient du mal à agir ensemble profitent de ces technologies. Il faut aussi noter que les mouvements politiques qui font le plus grand usage du numérique, comme le Mouvement Cinq étoiles en Italie, posent problème dans le cadre de la démocratie représentative. Nous devons donc inventer un usage positif du numérique.
La réunion est close à 14 h 55.