- Mardi 7 février 2017
- Audition du Collège National des Universitaires de Psychiatrie (CNUP) représenté par le professeur Pierre Thomas, président, responsable médical du pôle psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire du centre hospitalier régional universitaire de Lille, et Mme Marie Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, et du docteur Bénédicte Barbotin, présidente de l'Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP)
- Audition de Mme Marie-Odile Krebs, professeur de psychiatrie, chef du service hospitalo-universitaire du centre hospitalier Sainte-Anne, fondatrice du Centre d'évaluation du jeune adulte et de l'adolescent, et de Mme Aude Ollé-Laprune, directrice générale de la Fondation Pierre Deniker
- Mercredi 8 février 2017
- Audition conjointe de MM. Vincent Beaugrand, directeur général, Georges Papanicolaou, psychiatre, médecin-chef du centre de psychanalyse de la clinique Dupré, Philippe Lesieur, psychiatre, de la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF)
- Audition du Professeur Alain Ehrenberg, président du Conseil national de la santé mentale
Mardi 7 février 2017
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 15 h 10.
Audition du Collège National des Universitaires de Psychiatrie (CNUP) représenté par le professeur Pierre Thomas, président, responsable médical du pôle psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire du centre hospitalier régional universitaire de Lille, et Mme Marie Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, et du docteur Bénédicte Barbotin, présidente de l'Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP)
M. Alain Milon, président. - Lors de l'audition de la directrice générale de l'offre de soins, la semaine dernière, la nécessité d'y voir plus clair sur la formation des pédopsychiatres et la place de la pédopsychiatrie à l'université s'est imposée.
Nous avons donc sollicité le collège national des universitaires de psychiatrie dont je remercie le président, le Pr Pierre Thomas, d'avoir répondu rapidement à notre invitation. Le collège regroupant tous les psychiatres, le Pr Thomas nous a proposé d'auditionner en son sein la personne la plus qualifiée pour parler de pédopsychiatrie, qui n'est autre que le Pr Moro, que nous avons plaisir à retrouver.
Nous accueillons également le Dr Bénédicte Barbotin, présidente de l'Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie.
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - Je vous remercie pour cette invitation. Le collège rassemble effectivement les psychiatres d'adultes ainsi que les psychiatres d'enfants et d'adolescents. Nous avons par ailleurs souhaité la présence du docteur Bénédicte Barbotin, présidente de l'association des internes de psychiatrie avec laquelle nous entretenons des liens très forts et avec qui nous avons beaucoup travaillé sur la future maquette de formation des internes.
Les troubles psychiatriques concernent un français sur quatre au cours de sa vie. La moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif, comme les troubles du spectre autistique, les schizophrénies, les troubles bipolaires et les dépressions récidivantes commencent, pour moitié, avant l'âge de 15 ans et, pour les trois-quarts, avant l'âge de 25 ans.
Ces maladies ont un retentissement considérable sur la personne atteinte, sur ses chances dans la société et sur son entourage. Leur impact médico-économique est tel que l'OMS les place, à l'horizon 2020, au premier rang des maladies non-transmissibles en termes d'incapacité.
Pourtant, les forces universitaires psychiatriques sont peu nombreuses au regard des autres disciplines médicales. Il n'y a que 102 postes de professeurs de psychiatrie, 27 en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et 75 en psychiatrie d'adulte. En France, une faculté de médecine sur 5 n'a pas de professeur d'université en pédopsychiatrie ; c'est le cas des neuf facultés de Dijon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Limoges, Tours, Caen, Grenoble, Antilles Guyane et Réunion-Océan indien. Sur 2 000 internes en psychiatrie, deuxième spécialité après la médecine générale pour le nombre d'internes, un interne sur cinq, dans ces régions, n'a pas accès à la formation en pédopsychiatrie. Le taux d'encadrement est le plus faible de toutes les spécialités médicales.
L'offre en postes de chefs de cliniques, qui reflète l'avenir universitaire d'une discipline, est également parmi les plus faibles de l'ensemble des disciplines médicales, parfois dix fois moindre par rapport à d'autres spécialités.
La faiblesse de l'offre de formation génère un risque de perte d'attractivité de la discipline. La psychiatrie universitaire intervient dans la formation universitaire de l'ensemble des professions médicales, dans le cadre du DES de médecine générale, du DES de psychiatrie et de l'actuel DESC de pédopsychiatrie. Or les moyens universitaires actuels ne permettent pas de fournir cette formation de base sur l'ensemble du territoire.
La psychiatrie universitaire contribue à l'amélioration des pratiques. Son implantation dans les CHU, les universités, auprès des établissements de santé, permet une approche pluridisciplinaire des problèmes de santé mentale et une coordination des compétences. Elle traduit en hypothèses de recherche les questionnements issus des besoins de santé et des pratiques avec, pour finalité, la validation et la diffusion des innovations diagnostiques et thérapeutiques.
L'amélioration des pratiques de soin et de prévention dans le champ de la santé mentale des mineurs nécessite d'améliorer l'attractivité et l'image de la discipline par le renforcement de ses ressources universitaires aussi bien en soins qu'en enseignement ou en recherche.
Le message du CNUP est donc une mise en garde sur la paupérisation des ressources universitaires de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent qui risque d'affecter son attractivité et son dynamisme et de freiner l'amélioration des pratiques et des innovations.
Mme Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. - L'entrée universitaire est un point très important. J'ajouterai que le conseil de l'ordre des médecins a enregistré une baisse de 48 % des inscriptions de pédopsychiatres entre 2007 et 2016. C'est inédit et cela montre la gravité du problème. Il faut reconnaître davantage cette discipline à qui, paradoxalement, on demande de plus en plus. Les pédopsychiatres se spécialisent également : on distingue la périnatalité jusqu'à 3 ans, les enfants, dont les problématiques de langage et de troubles du développement sont importantes, et les adolescents pour lesquels on intègre la notion de développement, la question de la transition...
Des pays comme l'Australie et le Canada ont développé d'énormes travaux et des instituts pour articuler recherches, interventions et enseignements afin de former sur cette période de transition des jeunes adultes pour le soin mais aussi la prévention.
La France fait le chemin inverse avec une paupérisation, un interne sur 5 sans formation en pédopsychiatrie et des régions entières sans professeur. C'est un cercle vicieux : moins les professeurs sont présents, moins on risque d'en nommer. Ce qui pose la question de la représentation des différentes disciplines dans les universités.
Nos propositions sont d'abord d'ordre quantitatif.
Une des caractéristiques de la nomination des pédopsychiatres, c'est la nécessité, pour la compréhension du développement, d'un large spectre de compétences qui va des neurosciences aux sciences humaines. Le développement des enfants est aussi en rapport avec ce que la société en attend ; le contexte est très important. Les professeurs doivent maitriser les neurosciences et les liens avec les sciences humaines.
Dans notre rapport sur le bien-être et la santé des jeunes, nous avions proposé que 3 PUPH soient nommés par université pour les bébés, les enfants et les adolescents, ce qui exige une politique volontariste de nominations.
Sur le plan qualitatif, nous avons un professeur pour 63 internes. Dans d'autres disciplines, c'est beaucoup moins. Pour appréhender des choses aussi fines, aussi complexes que le développement, la transition, le langage, le comportement, le rapport à la nourriture, au savoir, il faut un nombre suffisant de professeurs, à l'image de ce que l'on trouve dans d'autres pays.
Dernier point, il faut une articulation forte entre les soins, la recherche et l'enseignement. Le besoin de recherches cliniques pour inventer des dispositifs de soins et les évaluer est une raison supplémentaire pour avoir plus d'universitaires.
Je dénonce régulièrement une forme de résignation, selon laquelle on ne pourrait rien faire. Pourquoi serait-ce impossible d'agir en France ?
Jusqu'à présent, la pédopsychiatrie n'était pas reconnue comme une discipline à part entière. La formation n'offre pas d'équivalence avec d'autres pays d'Europe, ce qui ne facilite pas la circulation, ni les échanges scientifiques. Avec la nouvelle réforme, dont on ne sait pas encore si elle sera mise en oeuvre à la prochaine rentrée universitaire, il y a une prise en compte de cette nécessité de circulation des pédopsychiatres. Nous avons beaucoup moins de stages qu'en Suisse ou en Allemagne. La question européenne doit entrer dans nos préoccupations.
Mme Bénédicte Barbotin, présidente de l'Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie. - Je partage entièrement les inquiétudes qui viennent d'être exprimées. Un vrai travail de réflexion a été engagé avec la réforme du troisième cycle. Dans les villes dépourvues de professeur, il n'y a aucune dynamique pour la recherche. Il faut contacter des PUPH dans d'autres villes, ce qui rend difficile l'organisation du travail des internes qui sont par ailleurs soumis à des obligations sur leur terrain de stage.
Il y a peu de terrains de stage en pédopsychiatrie, ce qui rend impossible d'obtenir l'équivalence européenne pour laquelle il faut 6 stages en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.
Il y a également un problème d'encadrement des stages : les encadrants ne sont pas toujours titulaires du DESC. Il y a 400 internes en Ile-de-France. C'est difficile pour eux de trouver des terrains de stage. Pour recréer une dynamique, il faut un encadrement des internes.
M. Alain Milon, président. - Quelles sont les raisons de l'absence de PUPH dans certaines universités ?
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - Les raisons sont multiples. La carrière universitaire est complexe. Pour la pédopsychiatrie, il peut y avoir un épuisement du vivier des candidats. Il y a une compétition entre les disciplines pour les nominations dans les universités.
Mme Catherine Génisson. - Nous comprenons bien la spirale infernale qui conduit à l'absence d'encadrants et de formations. Mais comment expliquer la désaffection initiale pour la discipline ? On n'observe pas ce même manque pour les psychiatres. La carrière est-elle moins attractive du fait de l'absence ou de la faiblesse de l'exercice libéral?
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - La discipline est très jeune. Elle existe depuis une génération. À la différence d'autres disciplines, il n'y a pas de tradition et, tournée vers le soin, la pédopsychiatrie n'a pas eu comme priorité de prendre en compte la dimension universitaire.
Mme Marie-Rose Moro. - La tradition joue. On sait que dans telle université, on va nommer plutôt des cardiologues et, dans telle autre, une autre spécialité. Il existe cependant une petite tradition de nomination à Paris XIII, lieu des créateurs de la discipline.
La tradition joue en médecine, sans nécessairement de prise en compte des besoins de santé publique ou les mutations de la société. L'exercice n'est pas facile en ville : il n'y a pas de reconnaissance des actes en pédopsychiatrie. En Belgique, la valorisation des actes de pédopsychiatrie est différente. Un ensemble d'éléments techniques ont conduit à ce cercle vicieux mais pas seulement. Il y a aussi un enjeu politique. La reconnaissance de cette discipline n'est pas, contrairement à ce que disent certains de nos confrères, un « petit sujet ». La psychiatrie de l'adolescent est difficile. C'est une question très politique que celle de l'objet même de la pédopsychiatrie.
Mme Bénédicte Barbotin. - D'après un sondage récent, 30 % des internes en psychiatrie souhaiteraient obtenir le DESC. Il y a donc un décalage. La difficulté de l'exercice en ville est liée à l'absence de valorisation des actes.
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - Même à l'hôpital public, il n'y a pas de valorisation spécifique de la pédopsychiatrie. Des postes sont ouverts en psychiatrie polyvalente ou en pédopsychiatrie. Il n'est pas nécessaire d'avoir obtenu le DESC pour passer de l'un à l'autre.
M. Alain Milon, président. - Je suis surpris. Lorsque j'organise une réunion publique avec un professeur de pédopsychiatrie, l'affluence est considérable.
Mme Marie-Rose Moro. - Nous l'observons aussi. Il y a une demande indéniable de la société.
Mme Bénédicte Barbotin. - Je souligne que le post-internat est également nécessaire pour valider le DESC, ce qui n'est pas possible dans toutes les villes.
M. Alain Milon, président. - Lors de son audition, la directrice de l'offre de soins a évoqué le coDES et la validation des acquis de l'expérience, qu'en pensez-vous ?
Mme Marie-Rose Moro. - Nous n'étions pas demandeurs d'un coDES. Nous avons obtenu qu'après un DES de psychiatrie en 4 ans, une option en pédopsychiatrie le complète par une année de formation supplémentaire. Pour obtenir le diplôme, il faudra donc avoir suivi 4 semestres au total dans la discipline. Les psychiatres d'adultes qui n'auront pas fait la spécialisation ne pourront pas prendre en charge les enfants ; c'est ce qui a été arbitré.
La VAE existe comme pour les autres disciplines. Nous défendons surtout la possibilité, au cours de la carrière, de suivre des formations complémentaires pour s'occuper des enfants.
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - Je voudrais évoquer la maquette sur laquelle nous travaillons depuis 3 ans. Le DES devrait résoudre le problème de la désaffection dans le public. Le CoDES aurait conduit à deux métiers différents.
M. René-Paul Savary. - Ce n'est pas ce que j'ai compris de l'audition de la DGOS.
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - C'est pourtant ce que nous avons obtenu.
M. René-Paul Savary. - Pour répondre à ces problèmes de formation, ne pensez-vous pas qu'il faudrait augmenter le numerus clausus ?
M. Pierre Thomas, président du CNUP. - L'augmentation a déjà eu lieu. Il y a 2 000 internes en psychiatrie actuellement, il y en avait 1 200 en 2012. Nous avons plutôt un problème d'offre de formation. Dans les Hauts-de-France par exemple, le nombre d'internes permet désormais de faire face aux départs en retraite. Nous sommes plus inquiets sur la formation.
M. René-Paul Savary. - Sans augmentation du numerus clausus, nous en serons au même point dans dix ans sur le déficit de formateurs. Nous faisons venir des médecins d'ailleurs alors que nous pourrions exporter des compétences.
Mme Bénédicte Barbotin. - Les effectifs d'internes en psychiatrie ont explosé. Il devient difficile de trouver des terrains de stage. Il faudrait plutôt faire en sorte d'encadrer ceux qui se trouvent actuellement sur le terrain.
Le CODES a été évoqué brièvement mais 81 % des internes interrogés lors d'un sondage ont préféré conserver un DES de psychiatrie générale complété par différentes options facultatives en psychiatrie de l'enfant, en psychiatrie médico-légale et en psychiatrie de la personne âgée.
Mme Marie-Rose Moro. - La question de l'encadrement nous semble prioritaire, avec des postes de chefs de clinique pour les jeunes, à la fin de l'internat. Avec un bon niveau d'encadrement, nous pourrions envisager de former plus.
Nous sommes dans un paradoxe : d'autres pays forment nos pédopsychiatres.
Mme Maryvonne Blondin. - La semaine dernière, la direction générale de l'offre de soins nous a indiqué vouloir nous faire parvenir des documents au sujet du co-DES.
Le premier contact des familles est le médecin généraliste. La précocité du dépistage facilite la prise en charge et les soins. Quelle est exactement la formation en psychiatrie et en pédopsychiatrie qui est dispensée aux médecins généralistes ?
Mme Marie-Rose Moro. - Cette formation est insuffisante. Il n'existe rien d'obligatoire. Au cours des cinq années pendant lesquelles il se familiarise avec les différentes disciplines, le médecin aura une formation en psychologie médicale et pédopsychiatrie dans le cadre d'une unité d'enseignement en psychiatrie.
M. Pierre Thomas. - Pour l'enseignement pratique, nous avions demandé il y a plus d'une quinzaine d'années maintenant que dans le cadre du DES de médecine générale il puisse y avoir au moins un stage en psychiatrie, surtout sur les secteurs de psychiatrie afin de se familiariser avec l'ambulatoire et le travail avec les différents partenaires. Cela nous semblait justifié au regard des 20 % d'activité du médecin généraliste en lien avec la psychiatrie. Il nous a été répondu que dans le cadre du DES de médecine générale en trois ans, il n'y avait pas suffisamment de place pour la psychiatrie.
Mme Patricia Schillinger. - La rémunération est-elle un élément qui explique le trop faible développement de la pédopsychiatrie ? La situation devient inquiétante au regard de la situation des autres professionnels de santé, notamment celle des urgentistes.
Mme Marie-Rose Moro. - Il y a en effet de quoi s'inquiéter.
Les PU-PH sont très correctement rémunérés, il n'y a pas de différence selon les disciplines. Ce qui est en cause est plutôt la place que l'on donne à la santé psychique et mentale de nos enfants et adolescents. La question se pose de savoir pourquoi il y a si peu de thématiques de recherche dans ce domaine-là. Tout se passe comme si l'on souhaitait éviter la question. Or environ 10 à 15 % des 11-21 ans ont des difficultés psychiques. C'est énorme.
Sur le terrain, les facultés font ce qu'elles veulent, ce qui explique qu'une sur cinq n'ait pas d'expertise en pédopsychiatrie. Cela renvoie à la notion d'universalisme. Une négociation devrait se tenir au niveau national. Il existe bien une régulation ministérielle.
M. Pierre Thomas. - Pour avoir le même taux d'encadrement pour les internes en psychiatrie que celui que l'on observe pour les internes en cardiologie, il faudrait nommer en France plus de 200 PU-PH. Le décalage est abyssal, alors que les conséquences médico-économiques des troubles mentaux vont au-delà de ce qu'on observe avec les problèmes de cardiologie.
Mme Catherine Génisson. - Dans le respect de l'autonomie des universités, les pouvoirs publics ont un devoir d'exigence afin que davantage de pédopsychiatres soient nommés et pour que la filière, à la fois de formation et de soins, soit organisée. Dans les conseils d'administration des facultés, notamment de médecine, il existe de grandes rivalités. La situation de la psychiatrie s'explique peut-être également par le fait qu'il s'agit d'une spécialité uniquement médicale ou humaine, avec peu d'apports techniques. Nous devons être plus coercitifs en fixant des exigences pour les facultés. Il est inadmissible qu'aussi peu de facultés aient de pédopsychiatrie.
M. Jean-François Rapin. - La situation révèle un problème d'adaptation et un manque d'anticipation. Il existe un stage obligatoire de gynécologie obstétrique et de pédiatrie. Or aujourd'hui, les jeunes médecins généralistes ne font quasiment plus que de gynécologie. Le contenu de la formation n'est donc plus adapté aux pratiques. Un médecin généraliste installé fait aujourd'hui bien plus de psychiatrie que de gynécologie.
M. Pierre Thomas. - On nous a toujours opposé jusqu'à maintenant les trois années du DES de médecine générale. La réforme envisagée ferait passer la durée du DES à quatre ans. Dans ce nouveau cadre, il faudrait au moins un semestre de formation en psychiatrie ambulatoire.
Mme Maryvonne Blondin. - J'ai lu que le retour sur investissement dans la recherche en psychiatrie, de l'ordre de 37 %, était supérieur à celui observé pour tous les autres domaines de la santé. Confirmez-vous ce point ?
M. Pierre Thomas. - Oui. En France, depuis le milieu des années 2000, la dynamique de recherche est importante. On observe une hausse exponentielle des publications. La recherche est assez orientée vers le secteur biomédical mais également vers la santé. Parallèlement, malgré le faible nombre d'universitaires, le nombre de laboratoires labellisés avec les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) sur l'ensemble des universités, a également augmenté. Une structuration s'est mise en place entre les CHU et des établissements mono-disciplinaires comme les centres hospitaliers spécialisés (CHS) ou les centres hospitaliers généraux, qui ont créé des fédérations dans le Nord-Pas-de-Calais, en Midi-Pyrénées, dans le Sud parisien, dans les Yvelines, dans le Poitou-Charentes, ce qui permet une dynamique de recherche en santé. Un besoin d'évaluation des dispositifs de soins, actuels et innovant, existe.
Mme Marie-Rose Moro. - Il y a beaucoup de recherche clinique en pédopsychiatrie et en psychiatrie, qui trouve des traductions dans la société.
M Alain Milon, président. - Nous vous remercions.
Audition de Mme Marie-Odile Krebs, professeur de psychiatrie, chef du service hospitalo-universitaire du centre hospitalier Sainte-Anne, fondatrice du Centre d'évaluation du jeune adulte et de l'adolescent, et de Mme Aude Ollé-Laprune, directrice générale de la Fondation Pierre Deniker
M. Alain Milon, président. - La question de la recherche en psychiatrie et spécialement en pédopsychiatrie est un des aspects importants de notre mission d'information. Nous avons donc été particulièrement intéressés par la Fondation Pierre Deniker qui finance des appels à projet sur la santé mentale des jeunes.
Je remercie particulièrement Mme Aude Ollé-Laprune, directrice de la Fondation, de sa réactivité ; nous auditionnons grâce à elle le Pr Marie-Odile Krebs, dont les travaux de recherche font l'objet d'une reconnaissance internationale.
Mme Aude Ollé-Laprune, directrice générale de la Fondation Pierre Deniker. - Merci de nous avoir conviées à cette audition et de vous être emparés de ce sujet très important pour notre avenir. C'est l'occasion de partager notre expérience dans un objectif de co-construction.
La Fondation Pierre Deniker a été créée en 2007 par les professeurs de psychiatrie Lôo et Olié, de l'hôpital Sainte-Anne. Elle est née de leur indignation vis-à-vis de ce qu'ils vivaient quotidiennement dans leur pratique et de leur volonté féroce d'agir.
Rappelons quelques chiffres : un Français sur quatre est touché par des troubles psychiques au cours de sa vie ; près de 20 % des 15-75 ans vivent un épisode dépressif dans leur vie ; on dénombre trois fois plus de morts par suicide que par accident de la route ; l'espérance de vie des personnes touchées par la maladie mentale est de dix à vingt ans inférieure à celle de leurs contemporains ; l'errance entre les premiers symptômes et l'accès aux soins dure huit à dix ans.
Chez les 15-24 ans, le suicide est la deuxième cause de décès ; les pathologies psychiatriques pour cette classe d'âge constituent la première source de handicap ; trois quarts des pathologies débutent à cette période de la vie. Or plus tôt une prise en charge adaptée est mise en place, plus elle est efficace et plus les chances de réinsertion sont élevées.
Il est urgent de traiter cette problématique. La Fondation a pour mission de faire bouger les lignes, en soutenant la recherche ; en favorisant l'accès aux soins et l'insertion des jeunes sur l'ensemble du territoire ; en luttant contre la stigmatisation, afin de délier la parole, de diffuser une information libre et pertinente et d'induire un accès aux soins le plus tôt possible.
Pour les jeunes, la Fondation a élaboré le programme #psyJeunes, qui s'adresse également aux familles et aux équipes pédagogiques. Son but est d'informer et de former.
Ipsos a réalisé un sondage pour la Fondation, en février 2016, auprès de 600 jeunes et 235 enseignants, selon lequel 55 % des jeunes sont un peu ou beaucoup gênés par des difficultés psychiques dans leur vie quotidienne. Or cette situation est largement sous-estimée par les parents, qui ne sont que 39 % à prendre conscience de la situation. À la question « êtes-vous prêt à partir en vacances avec une personne atteinte de maladie mentale ? », 64 % des jeunes répondent non, ainsi que 55 % des parents et 57 % des enseignants. Un jeune sur deux pense qu'une personne atteinte de maladie mentale est dangereuse pour son entourage - la proportion est d'un sur trois pour les parents et les enseignants.
L'école a un rôle à jouer dans l'orientation des jeunes en souffrance selon 82 % des parents et 76 % des enseignants ; la moitié des répondants pensent que les équipes pédagogiques sont bien placées pour détecter la maladie mentale. Enfin, 82 % des enseignants souhaitent être mieux informés sur la prévention en santé mentale, 55 % sont favorables à la désignation d'un professionnel référent pour l'établissement et 45 % favorables à une formation.
Je remercie le Pr Krebs, qui participe à #psyJeunes, de m'avoir accompagnée.
Mme Marie-Odile Krebs, professeur de psychiatrie, chef du service hospitalo-universitaire du centre hospitalier Sainte-Anne, fondatrice du Centre d'évaluation du jeune adulte et de l'adolescent. - Je suis professeur à l'université Paris-Descartes, membre du conseil scientifique de la Fondation Deniker et chef de service à l'hôpital Sainte-Anne, où nous avons mis en place depuis 2003 une consultation spécialisée dans la prise en charge des jeunes adultes et des adolescents, de 15 à 30 ans. Nous avons souhaité réduire le délai entre l'apparition des symptômes et la prise en charge. En évaluant mieux les troubles schizophréniques et bipolaires, on peut réduire le retard de diagnostic, qui est de cinq à dix ans, et éviter la phase de toxicité biologique et sociale.
Nous voyons aussi des maladies de l'enfant non diagnostiquées. Dans une consultation non spécialisée, un jeune de 18 ou 19 ans peut faire l'objet d'un diagnostic erroné de troubles schizophréniques alors qu'il s'agit en réalité de troubles du spectre autistique. Nous assurons également, pour des pathologies de l'enfant diagnostiquées, la transition entre les services de pédopsychiatrie et de psychiatrie adulte. Les pathologies de l'enfant se remanient à l'adolescence, période critique dans la maturation du cerveau, de grande vulnérabilité aux toxiques tels que le cannabis et l'alcool mais aussi d'opportunité pour mettre en place un traitement qui limite l'évolution de la maladie ou empêche la transition psychotique.
Le modèle australien d'early intervention services, qui fait référence, favorise le repérage des sujets présentant des symptômes spécifiques. La prise en charge spécialisée - pas toujours médicamenteuse - réduit le taux de transition vers un épisode psychotique de 30-40 % à 10 %. C'est rentable économiquement : un rapport de la London School of Economics montre qu'une livre investie pour la prévention de la psychose économise 15 livres.
Ces traitements sont-ils hors de portée ? Il existe des complications dans l'organisation des soins, l'interface entre les différents dispositifs. Toutefois, en réalité, des modalités de prise en charge, telles que les thérapies cognitives et comportementales spécifiques aux symptômes psychotiques ou la supplémentation en folates par exemple, pourraient être développées. Ce n'est ni irréaliste ni infaisable.
Parmi les autres défis, je mettrai en avant celui de l'accès aux soins. Il faut donner aux gens envie de venir. Pour cela, la parole doit être libérée. Il faut favoriser l'information sans faire peur, sans stigmatiser pour que les jeunes puissent être réinsérés et retrouver au plus vite le cours de leur vie.
L'école de Jean Delay, Pierre Deniker, Henri Lôo et Jean-Pierre Olié, à laquelle j'appartiens, inculque une capacité d'indignation et la volonté de tout mettre en oeuvre pour rendre possible l'amélioration des soins. Il est indispensable que des thérapeutiques faisables soient disséminées sur l'ensemble du territoire. Cela impose de réfléchir aux maisons des adolescents et aux autres mesures en faveur de la santé et du bien-être des jeunes. Quelle articulation ? Il faut des structures spécialisées en aval des maisons des adolescents. Quelques outils pourraient améliorer l'orientation des jeunes, tels des auto-questionnaires assurant une évaluation simple et légère.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Les noms de Delay et Deniker nous font penser aux traitements chimiques antipsychotiques des années 1950. Quelle place accordez-vous aux différents types de prise en charge - médicaments, psychothérapie, thérapies cognitives et comportementales (TCC), voire psychanalyse ?
Selon le modèle australien, particulièrement intéressant, un jeune repéré peut-il être guéri ? Ce modèle, qui pose la question du repérage précoce et de la prévention, va à l'encontre de l'idée selon laquelle la maladie psychiatrique est une fatalité.
Quid des recherches épidémiologiques ? L'épidémiologie n'est pas le fort des Français - en psychiatrie, c'est semble-t-il presque un tabou.
De quels travaux dispose-t-on sur la psychopathologie du bébé ?
Enfin, parlez-nous de la pédopsychiatrie et de la recherche en neurosciences.
Mme Aude Ollé-Laprune. - Permettez-moi de vous présenter d'abord notre programme #psyJeunes, qui a pour but d'informer et de former en s'appuyant sur des acteurs locaux, collectivités territoriales et rectorats, ainsi que sur des experts scientifiques, professeurs de psychiatrie et structures d'évaluation et de prise en charge, en partenariat avec des acteurs privés et associatifs. Il a vocation à être diffusé dans la France entière.
Nous informons le grand public lors de conférences destinées aux parents au sein des établissements scolaires. Les conférenciers fournissent des informations scientifiques sur le cerveau du jeune, les facteurs qui ont un impact sur son développement, l'identification des premiers symptômes, les actions à mener. Ils expliquent aussi ce que sont un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute. Le schéma de présentation a été élaboré par le Pr Krebs.
La Fondation a également le projet de réaliser un site internet présentant une carte interactive qualifiée de centres de soins. Il sera lancé avant la fin de l'année pour l'Ile-de-France. Nous espérons pouvoir en faire de même dans les autres régions d'ici cinq ans.
La deuxième mission de la Fondation est la formation. Nous formons les équipes éducatives lors de conférences scientifiques pragmatiques dont les directeurs d'établissements sont très friands.
La Fondation a également créé en 2011-2012 la ligne téléphonique Fil'harmonie, dont elle a assuré le suivi scientifique et financier. Cette ligne d'écoute gratuite destinée aux équipes pédagogiques existe pour Paris mais nous aimerions, avec la Fondation Santé des Étudiants de France, l'étendre à la France entière car elle répond à une vraie demande.
Nous souhaitons en outre réaliser une formation spécifique de référents en santé mentale dans les établissements scolaires, par e-learning. Ce dispositif novateur favorise un échange, des rencontres et une validation scientifique.
Mme Marie-Odile Krebs. - M. le rapporteur a évoqué l'invention des premiers psychotropes spécifiques. Je m'attache moins à la modalité qu'au résultat. Je constate que des patients ont pu sortir de l'hôpital et que leur parcours de vie a complètement changé. Néanmoins, aujourd'hui, nous sommes plus exigeants, à raison.
Nous vivons une révolution, en modifiant le cours des choses. Les ténors de la psychiatrie envisagent une guérison au moins fonctionnelle, si ce n'est complète, en cas de prise en charge très précoce. On me dit : « Vous allez psychiatriser trop vite ». Ce genre d'objection n'est pas formulé pour le dépistage du cancer du sein ou du mélanome. Je le répète : la diminution du taux de transition est réelle.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Qui aura une approche suffisamment fine pour distinguer un signe avant-coureur de psychopathologie avérée, d'un signe de souffrance ordinaire ne nécessitant pas de prise en charge ? Qui sera formé à ce repérage ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Aujourd'hui, grâce à des outils cliniques, on repère les personnes qui ont une chance sur trois d'évoluer vers la maladie. Nous sommes dans une médecine probabiliste. Il faut effectivement adapter la prise en charge au type d'évolution et au stade de la maladie. On ne pose qu'un diagnostic de phase. Même un premier épisode de schizophrénie n'est pas catégoriel : seule la moitié des patients va évoluer vers cette maladie. Une prise en charge très précoce impose un changement de paradigme complet. L'intérêt, pour les décisionnaires, est notamment financier puisque l'on réduit la sévérité des symptômes et éventuellement leur évolution. Les thérapies, dans ces phases, sont adaptées à la situation. La prise en charge est globale, elle prend en compte toute la personne et est faite sur-mesure pour répondre à ses besoins spécifiques.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Le modèle australien est-il transposable à une culture sensiblement différente ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Il est parfaitement transposable. L'un des outils principaux est en train d'être diffusé. Les auto-questionnaires sont en cours de traduction et de validation.
Il reste des améliorations à apporter à la recherche. Les biomarqueurs nous aident à affiner la prédiction. Il faut les étudier. Quant à l'épidémiologie, elle n'est pas taboue, mais mal faite. Pourtant, ce serait possible. La difficulté réside dans le fait que plusieurs acteurs ne mettent pas le même mot, le même diagnostic sur une même situation. Les jeunes sont aussi répartis entre plusieurs services : les cas les plus sévères et agités sont admis directement chez les adultes, où les moins de 25 ans représentent 15 à 20 %, les plus en retrait allant chez les adolescents.
Je ne suis pas qualifiée pour répondre à votre question sur le bébé.
Mme Ollé-Laprune citait l'enquête Ipsos. Si les enseignants et les parents ont exprimé leur intérêt pour un dépistage en milieu scolaire, 70 % des jeunes déclarent qu'ils ne se confieraient pas à quelqu'un dans ce cadre. C'est beaucoup.
La ligne Fil'harmonie facilite le repérage de personnes en retrait, que l'on craint toujours de manquer. En revanche, nous avons noté que tous les jeunes qui ont été signalés avaient subi une sanction scolaire, qu'il s'agisse d'une exclusion ou de redoublements, avant la prise en charge de leur souffrance psychique.
M. Alain Milon, président. - Pourquoi avez-vous parlé négativement des maisons des adolescents ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Je n'en ai pas parlé négativement. Ces maisons ont des compositions, des fonctionnements, des moyens extrêmement variés. Lorsqu'il y a une grande coopération entre la maison et le service de psychiatrie des jeunes adultes, cela peut fonctionner. Ma seule réserve porte sur le repérage des jeunes présentant un risque d'évolution sévère. Il faudrait un langage et des objectifs communs ainsi que l'implantation systématique d'une évaluation simple. C'est très faisable. Les consultations destinées aux jeunes consommateurs sont aussi un lieu de repérage.
Il y a toujours des superpositions entre les tranches d'âge, ainsi qu'entre les différents stades d'évolution des maladies. Il faut travailler sur ces articulations.
M. Alain Milon, président. - Lors de l'audition précédente, on nous a dit qu'une faculté sur cinq n'avait pas de professeur des universités en pédopsychiatrie, donc pas d'internes. Y a-t-il des internes formés à la recherche en psychiatrie ?
Mme Marie-Odile Krebs. - La faiblesse de la représentation de la pédopsychiatrie parmi les professeurs d'université freine la recherche en neurosciences pour les plus jeunes. Il y a peu d'équipes investies dans la recherche en psychiatrie en général, face à des neurosciences très développées et très puissantes en France.
Il est évident qu'il est important de former des jeunes à la recherche, en ayant une interface forte entre la recherche modélisatrice et la clinique.
M. Alain Milon, président. - Y a-t-il un risque de sur-psychiatrisation ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Je ne sais pas ce que cela veut dire ! Cela signifierait que l'on n'adapte la réponse thérapeutique ? Il faut adapter tout traitement au stade de la maladie.
M. Alain Milon, président. - Cela revient à la question du rapporteur : qui peut faire le meilleur diagnostic ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Ces situations nécessitent une spécialisation qui soit ensuite diffusée plus largement. En deux à trois ans, les États-Unis ont mis en place le programme d'intervention précoce Recovery After an Initial Schizophrenia Episode (RAISE), qui est remarquable, en fédérant un grand nombre de centres. Il s'agit d'adopter la bonne manière de faire en assurant une prise en charge globale. Nous avons besoin d'évaluer ce modèle in situ, en France. Nous essayons actuellement de fédérer six sites déjà impliqués dans la prise en charge précoce pour valider des outils facilement diffusés, dans le cadre des investissements d'avenir.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous avez insisté sur les rapports entre Éducation nationale et psychiatrie. Voici un cas curieux : une adolescente de 13 ans dit être harcelée au sein de son établissement scolaire. Les parents, inquiets, la font accompagner par un psychologue en ville. La prise en charge se déroule bien mais l'adolescente déclare toujours être harcelée. Le chef d'établissement la convoque auprès d'un psychologue scolaire, qui atteste l'inverse du psychologue de ville. Il ne s'agit pas ici de déterminer si l'enfant présente des troubles d'affabulation mais de souligner la méthode, qui me paraît curieuse.
Mme Marie-Odile Krebs. - Il faut bien définir le rôle de l'Éducation nationale, donc du chef d'établissement, dans le repérage des personnes qui vont moins bien. L'implantation de thérapeutes dans les établissements créerait un mélange des genres, comme c'est le cas dans la médecine du travail. Les jeunes sondés par Ipsos évoquent le risque de manque de confidentialité.
Il est en tout cas nécessaire que les différents intervenants auprès d'un adolescent partagent leurs informations.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Les parents n'ont pas été consultés.
Mme Marie-Odile Krebs. - En effet, c'est une situation problématique.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Que pensez-vous de la création d'un corps de psychologues scolaires ?
Mme Marie-Odile Krebs. - Quel serait leur rôle ? J'y suis favorable s'ils procèdent à une évaluation cognitive - derrière un trouble du comportement, il peut y avoir un trouble de l'attention majeur ou une déficience intellectuelle - car il s'agit d'adapter l'accompagnement du jeune dans son parcours scolaire. Mais ces psychologues ne pourraient pas mener de psychothérapies, pour cause de mélange des genres. Qui les coordonnerait, qui les superviserait, comment seraient-ils formés ? Moi qui suis spécialisée dans l'adulte, j'ai appris récemment que les infirmiers scolaires étaient soumis au chef d'établissement quand le médecin scolaire dépend du médecin général coordonnateur.
M. Alain Milon, président. - Lors de l'audition précédente, les Pr Thomas et Moro nous ont parlé d'un diplôme spécialisé d'études complémentaires (DESC). Quel est votre avis ?
Mme Marie-Odile Krebs. - La psychiatrie est une spécialité médicale comme les autres. Il faut éviter de se sur-spécialiser trop vite et trop tôt. J'ai reçu une volée de bois vert après avoir suggéré que les internes de psychiatrie suivent un stage en pédiatrie, en médecine interniste, en génétique ou en neurologie. Cette demande n'a pas été bien acceptée, y compris des jeunes collègues. Il est absolument indispensable que les jeunes psychiatres soient formés à l'ensemble de la psychiatrie. On ne peut pas être un bon pédopsychiatre sans connaître l'évolution chez l'adulte, ni être un bon psychiatre d'adulte sans mieux connaître la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Je préfère un complément de formation lors d'une cinquième année plutôt que la spécialisation en pédopsychiatrie.
Il y a un véritable déficit de pédopsychiatre sur l'ensemble du territoire et, ce qui inquiète encore, c'est que les jeunes internes ne s'intéressent pas suffisamment à cette spécialité.
M. Alain Milon, président. - Pour ma part, j'aime bien l'idée d'un stage des internes en psychiatrie dans des disciplines comme la pédiatrie et la médecine interne, l'enjeu est clairement médical - les maladies psychiatriques augmentent nettement la mortalité.
Mme Marie-Odile Krebs. - Elles diminuent de quinze à vingt ans l'espérance de vie.
Mme Aude Ollé-Laprune. - Cette idée de stage n'est pas bien reçue partout.
Mme Catherine Génisson. - Il faut noter qu'il y a comme un mur entre les psychiatres et les autres spécialistes.
Mme Marie-Odile Krebs. - Cela est de moins en moins lié à un refus des psychiatres de parler aux autres spécialistes - il faut voir que des services d'urgence renvoient, sans même les examiner, des personnes qu'ils classent comme « grands fous », les situations sont parfois scandaleuses : ces personnes doivent être examinées avant d'être renvoyées aux services de psychiatrie.
M. Alain Milon, président. - Nous avons noté une forte demande des psychiatres pour des GHT psychiatriques.
Mme Marie-Odile Krebs. - Il faut en examiner les raisons, elles sont budgétaires plutôt qu'idéologiques. Les jeunes psychiatres ont fait des études de médecine de qualité, ils ont tous passé l'internat et ceux qui arrivent dans nos métiers ne sont pas les derniers de la liste. Mais leur nombre est insuffisant et nous nous préoccupons, comme professeurs d'université, du manque de visibilité de nos métiers et du manque de postes.
Mme Catherine Génisson. - Pour avoir bien connu des services d'urgence, je peux témoigner des réticences de psychiatres à recevoir des patients en première intention, alors que ces patients présentent des risques évidents pour le service.
Mme Marie-Odile Krebs. - Je pense qu'aucun psychiatre n'a refusé d'accompagner un patient pendant le passage aux urgences. En revanche, j'ai vu des médecins prétexter d'un passé psychiatrique de patients, pour les envoyer en psychiatrie sans les examiner, alors que ces patients pouvaient souffrir d'hypoglycémie ou d'embolie pulmonaire, ou encore de crise d'angoisse... et alors qu'un patient sur cinq, aux urgences, a un passé de soins psychiatriques.
Mme Catherine Génisson. - Certainement, les urgentistes doivent aller examiner les patients en psychiatrie mais il faut voir les dégâts que peuvent faire, dans les services d'urgence, des patients en crise psychiatrique.
M. Henri Tandonnet. - Les relations dépendent pour beaucoup de l'organisation du service.
Mme Marie-Odile Krebs. - Certainement, mais le manque de psychiatres est patent.
M. Alain Milon, président. - Merci pour toutes ces informations.
La réunion est close à 17h15.
Mercredi 8 février 2017
- Présidence de M. Alain Milon, président -Audition conjointe de MM. Vincent Beaugrand, directeur général, Georges Papanicolaou, psychiatre, médecin-chef du centre de psychanalyse de la clinique Dupré, Philippe Lesieur, psychiatre, de la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF)
La réunion est ouverte à 14 heures 30.
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues,
Nous recevons aujourd'hui la Fondation des étudiants de France représentée par son directeur général M. Vincent Beaugrand et par deux des praticiens qui travaillent dans les structures qu'elle a mis en place les Dr Georges Papanicolaou et Philippe Lesieur.
Messieurs, si notre mission d'information s'intéresse à la psychiatrie des mineurs il est difficile de poser des limites purement juridiques aux prises en charge des personnes atteintes de troubles relevant de la psychiatrie.
Ainsi la prise en charge des adolescents et des jeunes adultes, qui relève de la psychiatrie adulte si l'on prend la borne actuelle de 15 ans comme limite de la prise en charge en pédopsychiatrie, est au coeur de nos préoccupations.
Le travail de la Fondation pour la prise en charge de la santé mentale des étudiants nous paraît donc particulièrement intéressant et nous serons heureux de savoir comment vous l'aborder et quels sont pour vous les enjeux relatifs à cette question.
Je vous cède donc la parole pour un propos introductif à l'issu duquel le rapporteur, Michel Amiel, puis les autres sénateurs présents vous poseront des questions.
Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse.
M. Vincent Beaugrand, directeur général de la Fondation Santé des Etudiants de France (FSEF). - Je suis venu accompagné de deux praticiens de la Fondation. Nous avons choisi de vous présenter comment la Fondation en est venue à la psychiatrie et à quels enjeux elle répond. J'aborderai aussi la question des enjeux en matière de santé mentale tels qu'ils me semblent se poser au législateur.
Tout d'abord, quelques éléments historiques. La Fondation a été créée en 1923 par des étudiants tuberculeux qui souhaitaient poursuivre leurs études en sanatorium. Depuis les années 50, son activité s'est transformée, avec deux pôles principaux autour des soins de longue durée : les soins de suite et de réadaptation et la psychiatrie. La Fondation gère douze cliniques, dont neuf ont une activité en psychiatrie, ce qui représente 700 lits et places. Nous accueillons des patients de 14 à 24 ans.
Notre action repose sur un partenariat historique avec l'éducation nationale dont 300 membres travaillent au sein de nos établissements car chacun dispose d'un mini-lycée, lui-même annexe pédagogique d'un lycée de secteur, comme le lycée Lakanal à Sceaux par exemple. Nous disposons donc d'une expertise en ce domaine.
La Fondation est une association reconnue d'utilité publique. Son conseil d'administration est présidé par M. Christian Forestier, ancien recteur. Les associations étudiantes, qu'elles soient syndicales ou mutualistes, sont représentées au sein du conseil d'administration, ainsi que des personnalités qualifiées.
Nous assurons plusieurs types de réponses aux enjeux de la psychiatrie. Tout d'abord, la Fondation cherche à assurer une continuité et à éviter les ruptures, tant en matière de soin que de scolarité, que ce soit lors du passage de la 3e à la 2de, ou lors du passage de la Terminale à la vie étudiante. Il s'agit là d'une réponse d'aval, une fois la pathologie déclarée, voire chronicisée. Nous mettons aussi en place des solutions plutôt d'amont afin d'éviter la chronicisation des pathologies et les ruptures du parcours scolaire.
Docteur Philippe Lesieur, psychiatre, de la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF). - La Fondation des étudiants de France a mis en place des dispositifs de soins-études. Il ne s'agit pas d'associer, mais bien d'articuler, la prise en charge sanitaire et la scolarité. Le rapport des deux est en effet dynamique et l'échec de l'un peut renforcer les difficultés de l'autre.
La prise de charge que nous proposons se situe au moment de l'adolescence, qui est la période située entre deux bornes : la sortie de l'enfance d'une part, le passage à l'âge adulte de l'autre. L'enfant en effet se structure en se rendant compte qu'il appartient au groupe des humains, tandis que l'adolescent passe du « nous » au « je » en affirmant son identité. C'est un moment qui présente de grandes difficultés, qui se retrouvent au niveau de la scolarité. L'école en effet est le lieu de socialisation privilégié des adolescents et celui où leur sont donnés les moyens pour grandir. L'école est structurée pour scander ces temps de passage. L'école primaire permet une relation à l'adulte autre que les parents. Le collège pour sa part correspond à l'entrée dans le monde des adultes. L'identification des individus se fait au travers de la bande de copains qui crée un « nous » collectif et dont les membres s'identifient les uns aux autres, notamment par l'habillement. Le lycée prépare la période des orientations et du futur. Physiquement, c'est aussi un lieu différent du collège. Ceci se prolonge à l'université. Ainsi le temps scolaire est un temps d'accompagnement structuré pour la création de la subjectivité des individus.
Les programmes de soins-études permettent de revisiter avec les équipes pédagogiques les échecs de la scolarité dans des lieux et avec des personnes différentes. Dans le cadre d'une scolarité de un à deux ans, il s'agit, en séparant l'organisation des soins et de la scolarité, de travailler ensemble à éviter les ruptures. La Fondation tend à permettre une prise en charge continue de la Sixième au post-bac.
M. Vincent Beaugrand. - On n'effectue pas de scolarité complète au sein des établissements de la Fondation. Il s'agit d'un moment destiné à permettre de revenir le plus rapidement possible à une scolarité normale. De fait, comme on ne guérit que rarement des pathologies mentales, on apprend à vivre avec sa pathologie.
Docteur Georges Papanicolaou, psychiatre, médecin-chef du centre de psychanalyse de la clinique Dupré . - Je prendrai l'exemple de la clinique Dupré à Sceaux pour illustrer les types de patients pris en charge par la Fondation. Pour l'essentiel, ceux-ci souffrent de pathologies récentes, mais graves, comme la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive et les névroses. Nous avons aussi beaucoup de troubles du comportement alimentaires et ce que nous appelons des « états limites », entre psychose et névrose. Ceux-ci sont particulièrement difficiles à gérer car ils court-circuitent la pensée et entraînent beaucoup de passages à l'acte, que ce soit des comportements agressifs ou des tentatives de suicide. Nous cherchons à ne pas isoler ou enfermer ces patients, car ceci ne fait qu'aggraver leur état. On constate par ailleurs une augmentation des cas de troubles envahissants du comportement.
Notre action repose sur l'idée que même les patients les plus malades conservent une partie saine de leur personnalité. La scolarité renforce cette partie saine tandis que le soin limite la pathologie.
Je ne dispose pas de chiffres précis, mais d'expérience, je peux vous affirmer qu'un tiers de nos patients sort guéri de nos établissements, qu'un tiers aura besoin d'un suivi psychiatrique en ambulatoire, tandis que le dernier tiers nécessitera une assistance longue.
M. Vincent Beaugrand. - Nous constatons de plus en plus que nous arrivons trop tard dans la chaîne de soin et qu'il faut agir le plus tôt possible et faire de la prévention. Depuis 10 à 15 ans, la Fondation a amorcé une réflexion sur les nouveaux services qu'elle peut proposer en ce domaine. Nous avons donc mis en place un travail très préventif dans les milieux scolaires au travers des relais étudiants implantés dans des lycées et collèges pour permettre d'amener les jeunes qui en ont besoin vers la psychiatrie, ce qui n'est pas chose aisée. Nous nous appuyons pour ce faire sur des équipes mixtes, médicales et pédagogiques.
Docteur Georges Papanicolaou. - Les structures relais prennent en charge les enfants à partir de 12 ans afin d'essayer de mettre en place la prise en charge la plus précoce possible. Ce sont des structures sans rendez-vous, dans lesquelles on peut être reçu au bout d'une demi-heure. Les entretiens se font avec des psychologues, car on constate une moindre réticence. Ceux-ci conduisent l'évaluation, et l'orientation vers la structure adaptée. Nous organisons aussi l'accueil des familles en constituant des groupes de parents, mais aussi l'accueil des professionnels médico-sociaux et des enseignants qui font face à des difficultés.
Nos patients font face à une forte désinsertion sociale liée à leur pathologie et la mise en place d'une scolarité en parallèle aux soins permet une resocialisation.
M. Vincent Beaugrand. - Je souhaiterais pour conclure évoquer trois enjeux importants. D'une part nos structures font l'objet de financements très divers par les ARS : certaines bénéficient de fonds d'intervention, d'autres du FIR, d'autres d'une dotation annuelle de fonctionnement, et même parfois de fonds médico-sociaux. Pour une même approche, nous avons donc des modalités de financement variées. Il nous apparaît qu'il faut mettre en place un financement clair et efficient car l'impact de nos actions est mesurable : en évitant la chronicisation des pathologies à l'adolescence, elles constituent un investissement rentable pour la société qui devrait sinon supporter le coût d'une pathologie tout au long de la vie de ces personnes.
Le deuxième enjeu est qu'il y a une perte de chances pour ceux qui ne peuvent pas accéder à nos structures. Nous travaillons donc pour en créer dans le Grand Est et en Occitanie. Ceci nous est très demandé par les pédopsychiatres et les praticiens universitaires.
Le troisième axe enfin, que nous développons avec le Pr Marie-Rose Moro, est un travail sur la recherche. Nous souhaitons mettre en place rapidement des études médico-économiques pour démontrer l'impact positif de notre action.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Quels enseignements d'épidémiologie tirez-vous de votre expérience sur les 14-24 ans ?
Les jeunes que vous accueillez à partir de 14 ans ont un parcours de soins en amont. Quelle connaissance en avez-vous et comment le prenez-vous en compte ? De façon plus générale, qu'en est-il du parcours de soins, voire du parcours de vie, des jeunes, avant, pendant et après le séjour dans vos établissements ?
Quelle est votre approche de la notion de repérage précoce ?
Quelles sont les articulations entre l'Éducation nationale et les secteurs médico-sociaux et sanitaires ?
M. Vincent Beaugrand. - Nous ne disposons pas d'épidémiologie générale de la tranche d'âge 14-24 ans ; nous ne sommes pas un institut de santé publique. Toutefois, nous avons nos données de soins : nous connaissons les patients que nous soignons, ce qui est une version tronquée dans la mesure où les pathologies de santé mentale suivent un gradient social. Or les données ne représentent pas l'épidémiologie globale dès lors qu'elles portent uniquement sur les personnes ayant engagé un parcours de soin.
Docteur Georges Papanicolaou. - Les diagnostics des troubles psychiatriques se répartissent ainsi : 50 % relèvent de psychoses, 14 % de troubles névrotiques, 14 % de troubles de la personnalité, 11 % de troubles de l'alimentation, et 8 % de troubles envahissant du développement.
Docteur Philippe Lesieur. - Pour compléter l'analyse épidémiologique, il faut souligner une différence : si les familles nous consultent pour des troubles d'anxiété scolaire, nous ne prenons pas en charge les enfants sur ce critère, mais sur la base d'un projet. Nous conduisons actuellement une réflexion pour relier des symptômes divers à une problématique de soins plus globale. Par exemple, nous prenons en charge de manière indifférenciée les personnes présentant un trouble alimentaire se manifestant de plusieurs façons, car ils traduisent un mal-être.
S'agissant de l'articulation des soins dans le cadre d'un parcours, notre fondation propose trois types de structures d'hospitalisation. La première vous a été décrite : il s'agit du soins-études, relevant de l'hospitalisation à temps plein ou de jour. La seconde est un entre-deux, adaptée pour des patients ne pouvant être scolarisés, mais ne nécessitant pas une hospitalisation. La troisième concerne les jeunes en début de troubles, caractérisés par des difficultés familiales, scolaires et sociales. Il s'agit alors de les apaiser pour les réinsérer dans un cercle social classique, en associant hospitalisation de jour et projet scolaire.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment les jeunes arrivent-ils dans votre structure ?
Docteur Philippe Lesieur. - Pour les premier et troisième modes de soins, les jeunes nous sont adressés par les secteurs de soins habituels de psychiatrie, libéraux et surtout publics. Pour la plupart, ils ont donc un parcours de soins déjà ancien.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Par rapport à des jeunes pris en charge en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), existe-t-il des superpositions, voire même des formes de concurrence, même si le terme n'est pas approprié ?
M. Vincent Beaugrand. - Il n'y a pas de concurrence. Nous sommes des établissements sanitaires et intervenons donc à une étape du parcours où il est possible d'agir, alors que les ITEP traitent de situations plus ancrées, récurrentes. Un jeune qui vient dans un de nos établissements doit en sortir : la situation de handicap psychique n'est pas atteinte. Il arrive que certains des jeunes que nous prenons en charge soient ensuite orientés en ITEP. Le parcours de soins dans nos établissements permet à la famille de prendre conscience de la pathologie, de faire le deuil du désir initial de faire des études classiques et de nourrir un projet différent. C'est pourquoi nous avons des liens avec le médicosocial et le social.
Mme Maryvonne Blondin. - Que pensez-vous du plan bien-être et santé des jeunes lancé fin 2016 et opérant le rapprochement entre le monde de l'éducation et le monde de la santé ? En particulier, quel est votre avis sur la proposition d'un « pass santé jeunes » visant un accès facilité aux consultations de psychologues ?
Plus d'un jeune sur dix entre 16 et 24 ans connaît un épisode dépressif et le nombre d'enfants suivis en psychiatrie a augmenté de plus de 20 % entre 2007 et 2014.
M. Vincent Beaugrand. - La mission bien-être et santé des jeunes a été très bien menée. Nous avons rencontré les deux auteurs et notre travail s'inscrit en cohérence avec les résultats de cette mission à double perspective psychiatrie et enseignement scolaire. Une des recommandations de la mission est d'ailleurs issue d'un dispositif que nous mettons en oeuvre, le dispositif « Fil harmonie », en appui des professionnels de l'Éducation nationale pour leur permettre de travailler sur le repérage précoce.
Le « pass santé » est une solution intéressante et complémentaire au repérage précoce. Toutefois, l'accès aux psychologues n'est possible qu'après une orientation par un médecin traitant, un médecin scolaire ou un psychiatre, ce qui nécessite que le jeune ait déjà fait la démarche d'aller voir un médecin. Quoiqu'intéressante, cette mesure ne répond donc qu'à une partie du besoin.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Que pensez-vous de l'expérimentation de remboursement de dix consultations de psychologie à destination des enfants présentant un état de souffrance psychique ?
M. Vincent Beaugrand. - Il s'agit selon moi de la traduction concrète de la recommandation de « pass santé ».
Docteur Philippe Lesieur. - La relation entre difficultés psychologiques et troubles psychiatriques est difficile à établir, car il est très difficile de démontrer l'existence d'un lien. Nous savons que les patients qui ont un trouble psychiatrique ont souvent eu des troubles auparavant ou une adolescence difficile. Cependant, nous ne savons pas si la prise en charge précoce de ces jeunes en souffrance permet ensuite de diminuer l'aggravation des facteurs de risques.
Des déterminants ont été identifiés pour toutes les pathologies mentales, sans qu'il ait été possible de définir une relation de causalité : il existe des facteurs de risques qui, dans un certain contexte, vont entraîner l'émergence d'une pathologie. Par conséquent, travailler en amont permet de prendre en compte ces facteurs de risque et sans doute de diminuer la probabilité que leur interaction aboutisse un jour au développement d'une pathologie.
Docteur Georges Papanicolaou. - Le Dr. Philippe Lesieur disait que la phobie scolaire n'est pas la raison pour laquelle nous acceptons les jeunes. J'ajoute que nous prenons en charge non pas les patients qui ont une phobie scolaire, mais les patients qui ne peuvent plus aller à l'école. Cette différence est importante.
Toutefois, la phobie scolaire est quelque chose de très invalidant : ces enfants doivent aussi être pris en charge d'une autre manière. C'est pourquoi je pense que leur accompagnement par des psychologues est une bonne solution, qui répond également au manque de pédopsychiatres. Les cas les plus graves doivent être traités par les pédopsychiatres.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je m'interroge à propos de votre présence territoriale : nous nous intéressons aux modalités et à l'égalité de prise en charge sur tous les territoires de la République. Quels ont été les facteurs déterminants de vos lieux d'implantation ? Quels sont les territoires sur lesquels vous êtes implantés ? Quels liens avez-vous avec les structures existantes, à l'instar des centres hospitaliers spécialisés ? Vos structures assurent des prises en charge en hospitalisation, mais qu'en est-il des prises en charge hors les murs ? Quelles préconisations pourriez-vous faire pour améliorer l'équité territoriale de prise en charge ?
M. René-Paul Savary. - Concernant l'articulation avec les ITEP, vous dites que vos établissements se situent en amont, alors que je vous aurais plutôt vu en aval. Pourriez-vous préciser votre propos ? Comment vous situez-vous parmi les différentes structures médicosociales et sanitaires ?
Vous nous avez dit que vous prenez souvent en charge les jeunes trop tard, une fois déscolarisés. Comment expliquer cette situation ? Comment pourrait-on l'améliorer ?
S'agissant des conduites addictives, quel rapport faites-vous entre la drogue et les pathologies psychiatriques ?
Mme Laurence Cohen. - Pourriez-vous préciser quels sont les patients qui vous sont adressés ? Vous avez indiqué qu'ils vous étaient adressés après un premier suivi ; une fois qu'ils vous sont adressés, votre propre temps d'observation et de diagnostic du patient est-il long ?
Vous avez mentionné votre expérience à la clinique Dupré de Sceaux avec les jeunes de 14 à 24 ans, tout en mentionnant la possibilité d'un accueil à partir de 12 ans. Qu'en est-il ?
Docteur Georges Papanicolaou. - L'accueil à partir de 12 ans n'est possible que dans les relais.
Mme Laurence Cohen. - Concernant les financements, recevez-vous des financements privés ? Quelles sont les parts respectives des financements publics et privés ?
Vous mentionnez l'accompagnement des patients dans le parcours scolaire : par exemple pour la clinique Dupré, est-ce que ces jeunes peuvent suivre leur scolarité au lycée Lakanal voisin ?
M. Vincent Beaugrand. - Nous ne sommes pas implantés partout sur le territoire, ce qui reflète l'histoire de notre fondation, construite autour des sanatoriums. Nous ouvrons toutefois des établissements, comme à Sablé sur-Sarthe en 2012.
Nos structures psychiatriques ne nécessitent pas de se situer en centre-ville, ce qui peut constituer un avantage. En cas de fermeture de site ou de service, nous pouvons donc remplacer cette activité. Tel était le cas à Sablé-sur-Sarthe : l'hôpital fermait dans le cadre d'un regroupement avec l'établissement de La Flèche et nous avons récupéré les murs.
Il faut garder un lien avec la famille. Si le travail de soins peut d'abord conduire à rompre avec l'environnement habituel, il faut ensuite reconstruire le lien par des permissions thérapeutiques.
Il nous faut être présents avec un établissement par région dans chacune des treize nouvelles régions. Nous ne sommes toujours pas implantés dans le Grand Est et en Occitanie. Nous souhaitons également réduire au maximum les délais d'admission, qui restent encore trop longs.
S'agissant des ITEP, en réalité tous les parcours sont possibles. Nos structures sont avant tout des établissements sanitaires : le temps de soins y est beaucoup plus important que dans les ITEP. Les ITEP sont donc des structures complémentaires. Je partage votre propos sur la segmentation stérile en France entre le médicosocial et le sanitaire, alors qu'il faudrait un continuum.
S'agissant de nos modalités de financement, nos activités de psychiatrie sont totalement financées par du financement sanitaire classique : nous recevons une dotation annuelle de fonctionnement publique des agences régionales de santé. Seul un de nos établissements est financé en tarification à l'activité, pour des raisons historiques.
Docteur Georges Papanicolaou. - Au quotidien, malgré l'écart entre le sanitaire et le médicosocial, nous travaillons pour assurer la continuité du projet personnalisé du patient. Nos relations avec les partenaires du médicosocial ou du social se sont améliorées.
En tant que coordinateur médical de la clinique Dupré pendant douze ans, j'ai dirigé la commission de tri des dossiers d'admissions : nous avions 150 dossiers en attente, soit autant de familles en désarroi.
En matière d'addictions, à la clinique Dupré, nous avons développé l'extrahospitalier, avec le relais, un centre de psychothérapie, une consultation jeune consommateur. De plus, une équipe a mis en place une thérapie familiale spécifique, reprenant la technique la plus efficace au niveau international pour la prise en charge de ces pathologies. Nous souhaitons créer une unité d'addictologie en soins-études, car ces jeunes sont souvent déscolarisés.
M. René-Paul Savary. - Ma question portait sur le lien entre la consommation de drogues et les troubles psychiatriques.
Docteur Georges Papanicolaou. - Je ne pense pas qu'il y ait un lien de causalité. Qui veut ne peut pas devenir un toxicomane. Il y a sans doute une prédisposition de la personnalité, mais ce n'est pas une maladie psychiatrique qui fait qu'un sujet se tourne vers la drogue. De même, ce n'est pas la drogue qui crée une maladie psychiatrique.
Docteur Philippe Lesieur. - Les drogues font partie des facteurs de risque que j'évoquais précédemment : la consommation de stupéfiants augmente la probabilité d'avoir des troubles psychiatriques. Mais il y a également des utilisations à visée thérapeutique : par exemple, pour les timidités pathologiques, le meilleur traitement est l'alcool. Il y a une très forte comorbidité entre la phobie sociale et l'alcoolisme, puis avec la dépression et le suicide.
Une précision sur les modalités d'admission dans nos établissements : lorsqu'un enfant nous est signalé s'ouvre une phase de préadmission, pour faire connaissance avec le jeune. Il doit rédiger une lettre de motivation et un médecin référent psychiatre doit appuyer cette prise en charge comme étape dans le parcours de soins. Durant la phase de préadmission, nous élaborons un projet réaliste, notamment pour la scolarité.
L'hospitalisation dans notre structure doit donc s'inscrire dans la continuité avec la prise en charge antérieure, qui se poursuit car les jeunes vont régulièrement voir leur thérapeute à l'extérieur. Tout au long de l'hospitalisation dans nos établissements, nous veillons donc à poursuivre le parcours de soins précédent, pour préparer la sortie d'hospitalisation.
Ensuite, lors de la prise en charge dans nos structures, beaucoup de temps est consacré aux soins. Ce temps de soin long va aussi nous permettre de renouer des liens avec l'extérieur. Les jeunes sortent au moins un week-end sur deux, et rentrent chez eux. De même, pendant les vacances d'été, ils peuvent sortir et partir avec leurs parents. Ce sont là des temps très précieux en parallèle du soin pour travailler avec l'extérieur et associer les familles.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.
Audition du Professeur Alain Ehrenberg, président du Conseil national de la santé mentale
M. Yves Daudigny, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur la psychiatrie des mineurs en souhaitant la bienvenue au Professeur Alain Ehrenberg. Monsieur le Professeur, je rappelle que vous êtes sociologue, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous avez développé de nombreuses analyses sur les évolutions de la santé mentale dans notre société. C'est à ce titre que la ministre des affaires sociales et de la santé, Madame Marisol Touraine, a souhaité vous nommer à la tête du Conseil national de la santé mentale (CNSM) nouvellement créé à la fin de l'année dernière. Cette instance consultative a un champ d'investigation sans doute bien plus large que celui notre mission d'information. Des points de recoupement existent néanmoins et les frontières entre troubles psychiatriques et pathologies mentales sont poreuses et évolutives. C'est pourquoi il nous a paru indispensable de vous entendre. Nous vous serions donc reconnaissants de bien vouloir présenter à titre liminaire les missions et les axes de travail du conseil national de la santé mentale et la manière dont vous voyez la situation de la psychiatrie des mineurs dans notre pays. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur, Monsieur Michel Amiel, puis aux autres sénateurs, qui souhaiteront vous poser des questions. Avant de vous céder la parole, je rappelle que nos auditions sont publiques et ouvertes à la presse. Je vous donne la parole.
Professeur Alain Ehrenberg, président du Conseil national de santé mentale. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les sénateurs, j'ai préparé cet exposé en ayant à l'esprit les questions que vous m'avez envoyées, mais aussi le compte-rendu de votre réunion constitutive du 30 novembre 2016. Vous avez soulevé, au cours des auditions précédentes, des questions sur ce qui est psychiatrique et ce qui ne l'est pas, sur les limites entre souffrance psychique et trouble psychiatrique. Je vais essayer de clarifier quelque peu ce point parce qu'il est tout à fait central : il est l'arrière-plan à partir duquel on peut rendre explicite ce dont on parle quand on parle de santé mentale, ce qui n'est pas sans conséquence pour la conduite de l'action publique. Vous auditionnez le président du CNSM, mais c'est le sociologue qui possède une expertise. N'étant pas un spécialiste de l'enfance et de l'adolescence, j'y reviendrai au cours de l'audition pour vous informer de ce que le Conseil est en train d'élaborer. Tout d'abord, quelques mots pour présenter le CNSM et me présenter. Le Conseil est à la fois une instance de concertation, qui regroupe à peu près l'ensemble des acteurs, professionnels, usagers et familles - environ soixante-quinze personnes -, et une instance d'expertise et de stratégie pour l'action publique. Son rôle est purement consultatif.
Je travaille depuis vingt-cinq ans sur les changements des entités et catégories psychiatriques ou psychopathologiques, comme la dépression, dans leurs relations avec les transformations de la société - des idéaux, des normes, des valeurs - ; le grand changement étant le passage d'une société où l'autonomie est une aspiration à une société où elle notre condition, où elle imprègne toutes nos relations sociales. J'ai aussi comparé les manières de souffrir en France et aux États-Unis à travers le cas des pathologies narcissiques, la comparaison permettant de mettre en perspective le cas français, y compris pour les politiques publiques. Nous ne sommes pas seuls au monde. Parallèlement j'ai développé la recherche en sciences sociales sur la santé mentale, notamment avec une unité de recherche associant le Centre nationale de la recherche scientifique, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, ainsi que l'Université de Paris-Descartes. Aujourd'hui, la France dispose d'un véritable milieu scientifique, bien inséré dans la recherche internationale. Venons-en à la sociologie. On ne peut plus parler aujourd'hui de ces sujets seulement dans les termes de la psychiatrie, soit d'une spécialité médicale.
Pour formuler brutalement ce que je souhaite clarifier devant vous, je dirais que la maladie mentale était un enjeu pour la psychiatrie, un enjeu sanitaire, la santé mentale est un enjeu pour toute la société, un enjeu total. La psychiatrie, du mineur comme de l'adulte, doit donc être conçue dans le cadre de cette nouvelle donne. Je reviendrai plus directement sur ce point en exposant les intentions du Conseil en la matière.
D'abord définir. Les pathologies mentales sont des pathologies des idées et de la vie de relations qui invalident de multiples manières la liberté du sujet atteint. Cela implique qu'elles relèvent certes de la santé, mais également, et tout autant, de la socialité de l'homme. La maladie, dans un sens médical, et le mal moral s'y intriquent inexorablement. La dimension morale dans le symptôme est ici fondamentale, comme la honte ou la culpabilité. La situation de ces pathologies s'est profondément modifiée depuis un demi-siècle sous le coup d'une double-dynamique : le virage de la prise en charge des pathologies psychiatriques lourdes vers l'ambulatoire et l'élargissement considérable du spectre des pathologies.
Les problèmes de santé mentale ne sont plus seulement des problèmes spécialisés de psychiatrie et de psychologie clinique. Nombre d'entités psychopathologiques sont devenues aujourd'hui des questions sociales, tandis qu'un nombre croissant de questions sociales sont appréhendées au prisme des catégories et entités psychopathologiques. C'est pourquoi, les pathologies mentales donnent matières à des débats politiques et moraux que l'on ne voit pas dans d'autres domaines de la santé. Pensez à la souffrance au travail, et plus récemment à l'état mental des terroristes. Le point important est ce déplacement général : ces pathologies étaient des raisons de se faire soigner, elles se sont étendues à des raisons d'agir sur des relations sociales perturbées, et sont donc devenues des pathologique sociales. Plus encore, ces entités sont devenues matières à des débats très généraux sur la valeur de nos relations sociales, comme les ravages du néo-libéralisme ou la crise du lien social : c'est le thème du malaise dans la société.
Nous avons affaire à une nouvelle situation de la souffrance psychique qui, dans nos sociétés, doit être placée dans une perspective sociologique globale. Mon hypothèse est que l'extension de la souffrance psychique est l'expression de changements profonds dans nos manières d'agir et de vivre en société qui se sont progressivement instituées à partir du tournant des années 1970 : valorisation forte de la liberté de choix et de la propriété de soi et de son propre corps, de l'initiative individuelle et de tout ce qui s'associe à l'idée de « proactivité », de l'innovation et de la créativité, ainsi que de la transformations de soi ; tous ces idéaux placent l'accent sur la capacité de l'individu à agir de lui-même plutôt qu'à réagir, à s'auto-activer plutôt qu'à être activé de l'extérieur. Nous entrons alors dans un individualisme de capacité imprégné par les idées, valeurs et normes de l'autonomie ; c'est pourquoi je parle de société de l'autonomie-condition. Ces idées-valeurs-normes impliquent une conséquence en lien avec l'explosion des questions de santé mentale : elles exigent un degré d'autocontrôle émotionnel et pulsionnel bien plus fort que celui d'une société où l'important, dans le travail par exemple, est de bien exécuter les ordres.
Nous avons là le contexte dans lequel les questions de santé mentale sont devenues, au-delà des pathologies psychiatriques, des soucis transversaux à toute la société, parce que nos manières de vivre et d'agir dans la société de l'autonomie-condition mettent en relief une dimension émotionnelle qui était marginale auparavant. C'est pourquoi, je dis que la santé mentale est un enjeu total pour la société. Elle n'est pas l'antonyme de la maladie, elle est plutôt un équivalent de la bonne socialisation parce qu'être en bonne santé mentale, c'est être capable d'agir par soi-même de façon appropriée, autrement dit, de s'auto-activer en montrant suffisamment d'autocontrôle émotionnel. J'ai évoqué le virage vers l'ambulatoire. Il a entraîné un changement de l'esprit du soin : la prise en charge des patients dans la cité a progressivement conduit à soulever la question des capacités à agir des personnes atteintes de psychoses ou de troubles psychiatriques lourds et invalidants. Ce changement est devenu éclatant avec la montée en puissance des problématiques portées par la réhabilitation et le rétablissement. Leur but central est de permettre aux personnes atteintes de troubles mentaux sévères et durables de surmonter leur handicap psychique en développant leurs capacités le plus largement possible malgré la persistance de symptômes. Le changement de l'esprit du soin peut se résumer en un mot : avant on compensait les handicaps du patient tandis qu'aujourd'hui, on joue sur les atouts de l'individu. Cette idée est lumineusement exprimée par un patient souffrant de schizophrénie après une séance de thérapie de remédiation cognitive. Il déclare au psychologue en charge du traitement : « Avant j'étais un handicapé, mais grâce à notre travail, j'espère devenir un handicapable. » Voilà formulée d'une façon follement lucide une définition sociologique de la nouvelle figure du malade mental qui s'est progressivement instituée avec la généralisation de l'ambulatoire, mais encore, au-delà de la psychiatrie, de la figure d'individu qui s'est également instituée avec la généralisation des idéaux de l'autonomie au cours du dernier demi-siècle. Hier, handicap et capacité étaient opposés - la capacité étant du côté de l'autonomie - : aujourd'hui, ils se combinent dans une problématique des degrés de l'autonomie. « Handicapé » était un état, « handicapable » est un itinéraire et un parcours.
Avec ce grand changement, avec ce nouvel esprit du soin, les métiers et les pratiques ont connu des recompositions parfois dramatiques et suscité toutes sortes de tensions et de frustrations, qui appellent une clarification. Pensons aux multiples « guerres des psys », la situation étant particulièrement tendue en ce qui concerne l'enfance et l'adolescence, l'autisme radicalisant ce que j'appelle les guerres françaises du sujet entre les partisans du « sujet parlant » et ceux du « sujet cérébral ». En France, on polémique beaucoup, mais on discute mal ! C'est là, j'espère, que le Conseil aura son utilité. Dans ce contexte confus et bruyant, le sens d'une politique de santé mentale et de l'action publique, c'est-à-dire à la fois ses orientations et sa signification, autrement dit, ses finalités, tout cela n'apparaît pas d'une évidence absolue. C'est sans doute l'une des raisons de la création de ce Conseil. Je vous remercie pour votre attention.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Par rapport aux nombreuses auditions que nous avons déjà organisées, vous apportez un point de vue nouveau sur le fait psychique et psychopathologique qui est celui du sociologue. Sans doute n'est-ce pas un hasard que le Conseil supérieur de la santé mentale soit présidé par un sociologue. D'après vos propos, nous sommes passés, durant les années 70, d'une approche psychopathologique à une approche socio-pathologique.
Professeur Alain Ehrenberg. - La situation de ces pathologies s'est trouvée dans une situation différente, car la société pousse partout à l'action individuelle et met en avant les dimensions émotionnelles.
M. Michel Amiel, rapporteur. - En relisant l'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault, j'ai l'impression que cet état existait déjà, avec un référentiel différent.
Professeur Alain Ehrenberg. - La maladie mentale, que ce soit la mélancolie, la paranoïa ou le désespoir, sont des sentiments universels qui ont toujours existé, mais pas dans ce sens-là. Malheureusement, le livre de Michel Foucault est truffé d'erreurs historiques et se trompe sur la naissance de la psychiatrie moderne à la fin du XIXème Siècle. On n'a pas exclu l'autre, comme il l'a écrit, au contraire, la naissance de la psychiatrie moderne, avec Philippe Pinel, considérait que la personne folle présentait un reste de raison susceptible d'être l'élément d'une réintégration par l'hôpital psychiatrique.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Le célèbre tableau, qui représente Pinel libérant les aliénés des chaînes, ne représente pas pour vous une nouvelle approche de la psychopathologie ?
Professeur Alain Ehrenberg.- Pinel s'inscrit dans un mouvement général amorcé à la fin du XVIIIème Siècle. Tout au long du XIXème Siècle, on débute par une maladie générale avant de se poser des questions de pathologie, tandis qu'aujourd'hui, les questions que l'on se pose dépassent la pathologie.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Sans vouloir retracer l'histoire de la psychiatrie, le mouvement d'anti-psychiatrie, débuté dans les Années 60, a amorcé le virage ambulatoire que vous évoquiez et sur lequel on est peut-être allé trop loin. Aujourd'hui, si l'insertion dans la société reste le but à atteindre, n'a-t-on pas fermé trop de lits au nom de ce virage ambulatoire ? Ce problème historique est devenu sanitaire.
Professeur Alain Ehrenberg.- Je ne suis pas compétent sur ce point, mais en ce qui concerne la pédopsychiatrie, la question des lits demeure tout à fait sensible. Il ne s'agit pas d'être allé trop loin. Soigner les gens en ambulatoire ne signifie pas que, dans un certain nombre de circonstances, ces personnes ne doivent pas être soignées en institution.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Nous sommes tout à fait d'accord sur ce point. Mais, sous le prétexte de soigner les gens en ambulatoire - ce qui est recevable d'un point de vue médical -, on a justifié la fermeture des lits. C'est une forme d'articulation d'une sociologie de la psychiatrie avec des choix sanitaires et, partant, financiers.
Professeur Alain Ehrenberg. - D'autres personnes plus compétentes que moi, comme M. Michel Laforcade ou des pédopsychiatres, pourront s'exprimer sur ce point. Je ne suis pas en mesure de vous dire si l'on est allé trop loin ou pas.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Le Conseil de la santé mentale rassemble un certain nombre de personnes issues d'horizons divers. Quel regard portez-vous sur la multidisciplinarité impliquée dans la prise en charge des mineurs ? En effet, le sujet de notre étude concerne la psychiatrie des mineurs et ce terme n'est pas innocent.
Professeur Alain Ehrenberg. - J'ai très peu de lumières sur la psychiatrie des mineurs. Mais le Conseil s'interroge sur les modalités de l'insertion de la psychiatrie des mineurs dans le cadre d'une politique de prévention et de réduction des risques. Il s'agit donc de la placer dans une perspective longitudinale de prévention où la question pathologique n'est pas nécessairement au premier plan. Ce conseil est obèse avec près de soixante-quinze membres dont les intérêts peuvent s'avérer contradictoires. Les pédopsychiatres peuvent s'y sentir remis en question, à l'occasion notamment des débats sur le Pass'santé. Il faut penser en termes de facteurs de protection : aujourd'hui, la question éducative est aussi centrale que la question sanitaire et il convient d'ajouter les problèmes d'inégalité sociale et de pauvreté qui représentent des contextes extrêmement favorisants pour toute une série d'autres troubles que psychotiques. Le rapport de Mme Marie-Rose Moro et de M. Jean-Louis Brison va dans le bon sens, en alliant l'éducation au sanitaire, sous toutes sortes d'aspects. Il faut penser en termes de parcours.
Ainsi, nous avons constitué trois sous-formations pour travailler efficacement : la première concerne la période allant de la grossesse au jeune adulte. Il faudrait élargir les préconisations de ce rapport à une période beaucoup plus longue. Nous proposons de penser cette question en termes d'intervention précoce dans une perspective d'investissement social. Deux thèmes carrefours doivent être considérés : le bien-être à l'école et les compétences sociales.
S'agissant du bien-être, les scolaires français sont ceux qui se sentent le moins bien à l'école par rapport aux élèves des autres pays européens, ce qui témoigne de l'environnement anxiogène qui, en se distribuant, peut induire des conséquences pathologiques sur certains enfants. France-Stratégie note un sous-investissement important dans le pré-primaire et le primaire par rapport aux autres pays dont les résultats sont supérieurs en matière de performance globale et d'équité sociale. France-Stratégie indique par ailleurs que les mutations de la société questionnent la nature même des savoirs. Dans ce cadre, les compétences psycho-sociales représentent un élément tout à fait décisif du développement de l'enfant dans l'enseignement primaire. Si l'on pense aux crèches, à l'aune des travaux sur les politiques de lutte contre l'inégalité en termes de prévention précoce, un état des lieux dressé par Terra Nova indique que la France compte 20 % de familles pauvres dont seulement 8 % sont en crèche. Ainsi, autour du couple bien-être et compétence sociale, quels sont donc, en termes épidémiologiques, les facteurs de protection ? Penser le lien entre PMI-crèche-maternelle et la pédopsychiatrie représentent, pour notre conseil qui reste une jeune structure, deux chantiers prioritaires. Ce n'est qu'en associant l'ensemble du système professionnel à cette démarche, au sein de cette commission, qu'on parviendra à des résultats probants. Le Conseil a été constitué très rapidement, le 10 octobre dernier, je n'ai été contacté qu'un mois avant mais j'ai pensé que confier cette lourde responsabilité qu'est sa présidence à un sociologue était un geste politique qu'il fallait soutenir. Depuis cette date, nous avons élaboré le projet stratégique est constitué nos commissions. Notre programme, pour les deux prochaines années de mandature, devrait être finalisé en juin prochain.
Mme Laurence Cohen, vice-présidente. - Lorsque la ministre met en place le Conseil national de la santé mentale, elle exprime son souhait de fédérer les énergies Or, vous avez mentionné la diversité de ses domaines d'intervention et le nombre important de ses membres. Quels sont les pouvoirs réels de ce conseil ? Ses recommandations peuvent-elles être suivies d'effets ? Va-t-il définir des « bonnes pratiques » ? Je m'inquiète du fait que la psychiatrie française, précurseur dans de nombreux domaines, en matière notamment de désaliénation, ne pourrait se satisfaire d'un éventuel cadre rigide pour la définition des bonnes pratiques. Par ailleurs, vous avez salué le rapport Moro-Brison, évoqué le bien-être à l'école et les inégalités sociales ; questions qui sont extrêmement importantes à mes yeux. Je suis quant à moi soucieuse de prévenir toute forme de ghettoïsation et de favoriser, dès la crèche, la mixité sociale. Or, à tout niveau, on a tendance à empêcher la mixité sociale, que ce soit à l'école ou dans le logement. Une telle démarche ne permet pas de constituer un contexte épanouissant pour les enfants de tous les milieux sociaux et de braver les appréhensions que l'on peut avoir à l'encontre de personnes, faute de les connaître. En outre, comment les soixante-quinze membres du Conseil ont-ils été choisis ?
Professeur Alain Ehrenberg. - Notre conseil est purement consultatif. S'agissant des bonnes pratiques, nous ne sommes pas là pour évaluer les acteurs, comme peut notamment le faire la Haute autorité de santé, mais l'action publique. Notre conseil comprenait initialement quarante-cinq membres, - des représentants d'institution, des psychiatres et des directeurs d'institutions -, mais aucun spécialiste de l'action publique ou des sciences sociales. Aussi, ai-je nommé Mme Marine Boisson, de l'Agence France-Stratégie, pour nous aider à organiser la discussion et faire apparaître des lignes de convergence. J'ai proposé un certain nombre de personnes, mais je ne connais pas les motivations de certains choix qui ont été opérés. Le Conseil comprend de nombreux psychiatres, mais une telle qualification recoupe un grand nombre de pratiques différentes ! Je suis d'accord avec vous sur l'importance de la mixité sociale. Le rapport de Mme Nathalie Mons, qui porte sur le bilan des politiques scolaires et qui a mobilisé une vingtaine d'équipes de recherche, comporte des propositions sur cette thématique.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment le conseil assume sa fonction de contrôle de l'action publique, en comparant ce qui se fait dans d'autres pays développés de culture psychiatrique différente, comme l'Australie ou le Canada ?
Professeur Alain Ehrenberg. - Une tension est palpable. Nous devons à la fois nous assurer que l'action publique est bien conduite à moyen terme et assumer des fonctions de court terme qui risquent d'emboliser notre première tâche. Nous n'avons ni moyens ni budget. Nous ne pouvons enquêter et nos trois commissions, ainsi que notre groupe de travail consacré à la prévention du suicide, ne disposent que de l'appui administratif des directions d'administration centrale. Nous procéderons par auditions, sauf si les choses évoluent au cours de la mandature. Notre place est à prendre puisque, dans le même temps, ont été instaurés le Comité de pilotage de la psychiatrie et le Comité de pilotage du handicap psychique. En outre, les questions que nous abordons le sont aussi par différents comités de pilotage. Nous avons ainsi besoin d'une sorte de feuille de route nous permettant de naviguer entre ces différents comités et nous évitant de conduire des actions redondantes avec celles des autres instances.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment votre action s'articule-t-elle avec celle du comité de pilotage de la psychiatrie ?
Professeur Alain Ehrenberg.- Je ne peux vous répondre !
M. Michel Amiel, rapporteur. - Sans vouloir être provocateur, n'avez-vous pas l'impression qu'il s'agit d'une sorte d'usine à gaz ?
Professeur Alain Ehrenberg. - C'est une responsabilité délicate que de diriger une telle instance et mes fonctions sont intéressantes. Un grand conflit existe aujourd'hui entre les sciences sociales critiques - les disciples de Bourdieu qui critiquent le monde du haut de leurs chaires et dans leurs livres - et les sociologues descriptifs d'inspiration durkheimienne, auxquels je m'identifie et qui pensent que l'étude de la société implique de tirer des conséquences en termes de politique publique. Alors que les sciences sociales critiques représentent une forme de jacobinisme, la conception que je défends et qui est, du moins à gauche, relativement minoritaire, vise à l'action concrète pour améliorer les choses. J'espère que nous serons aidés dans le positionnement de notre conseil.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Sans doute, parmi nos préconisations, nous pourrions inclure l'augmentation des moyens du Conseil national de la santé mentale que vous présidez. Comment conduire une évaluation sans réels moyens ?
Professeur Alain Ehrenberg. - Le projet stratégique a été conçu par une petite équipe. Suite aux remarques contenues dans le rapport de M. Michel Laforcade, j'ai proposé que soit constitué un groupe consacré à l'intelligence collective. Ce point me permettra d'ailleurs de répondre à l'une de vos questions sur le soutien apporté à la recherche scientifique dans le domaine de la psychiatrie des mineurs, tant en matière de traitements que de prévention. Il ne faut développer ni l'épidémiologie, ni la recherche de nouveaux traitements, ni les recherches sociologiques, mais plutôt formuler des questions pertinentes. Derrière cet enjeu de l'intelligence collective, auquel le projet stratégique fait référence, se trouve celui de l'évaluation. Le rapport Laforcade recense une multitude d'initiatives individuelles à l'origine d'innovations dont certaines mériteraient d'être généralisées. L'innovation a déjà eu lieu et n'est pas un impératif à proprement parler ! Il faut plutôt favoriser l'appropriation progressive par les acteurs eux-mêmes de la recherche, de l'évaluation et du suivi. Évaluer et rendre compte, revient à se rendre compte plus que rendre des comptes ! Certains praticiens, comme le Dr Pierre Thomas dans le Nord de la France, ont, du reste, déjà pris certaines initiatives en ce sens. Il faut également améliorer l'évaluation des impacts de l'action publique afin de la rendre plus efficace. Alors qu'une telle démarche est relativement marginale en France, le National Institute for Health and Clinical Excellence (Nice - Institut national pour la santé et l'excellence clinique) britannique a lancé le programme « What's work ?» (Qu'est-ce qui fonctionne ?). A cet égard, les Anglais, qui proposent des solutions pragmatiques à partir de synthèses fondées sur les faits et disponibles aux praticiens, sont précurseurs dans ce domaine.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Dans le domaine des neurosciences, les recherches ne sont pas toujours aussi importantes que le souhaiteraient les chercheurs. En matière d'innovation, depuis l'invention des neuroleptiques, on ne peut - antidépresseurs mis à part - considérer que la psychiatrie ait connu de véritable révolution pharmacologique ! Dans votre groupe de réflexion, ces neurosciences sont-elles intégrées, ne serait-ce que par la présence de spécialistes ?
Professeur Alain Ehrenberg. - En effet, nous avons des spécialistes du secteur des neurosciences, comme le Professeur Marion Leboyer. Le Conseil n'a pas vocation à se substituer à l'Inserm ou au CNRS. Je prépare actuellement un ouvrage sur les neurosciences cognitives. Les découvertes de la pharmacologie ne sont pas celles des neurosciences qui commencent à partir des années 70. Les antidépresseurs et les anxiolytiques datent, quant à eux, des années 50. En revanche, l'innovation pharmacologique demeure faible et l'élaboration des antidépresseurs a permis de confier aux généralistes leur prescription.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Et de mieux traiter les malades en ambulatoire !
Professeur Alain Ehrenberg.- Je ne saurais dire !
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je réagis en praticien !
Professeur Alain Ehrenberg. - Tout a changé, que ce soit en thérapie et en pharmacothérapie. Aujourd'hui, les médicaments ne permettent plus seulement de soigner les épisodes dépressifs majeurs, mais d'assurer également l'inclusion dans la vie sociale. Les psychothérapies ont elles-aussi évolué du soin et du traitement vers la résolution de problèmes et incluent de nouvelles pratiques. Au changement du statut social et médical des entités de psychiatrie et de psychologie s'ajoute également celui des pratiques.
M. René-Paul Savary. - L'autisme est-il pris en compte dans le Conseil national de santé mentale ?
Professeur Alain Ehrenberg. - Initialement, l'autisme ne devait pas figurer parmi les compétences du Conseil. Cependant, la feuille de route des trois directions comprend des éléments de contexte qui listent les troubles mentaux les plus répandus, dont l'autisme. C'est là un point symptomatique des difficultés et des confusions auxquelles il nous faut faire face. Je dois ainsi rencontrer trois associations de familles et deux associations de personnes avec autisme, le 20 février prochain, afin d'évaluer les modalités de leur éventuelle collaboration avec le Conseil. Je suis ouvert à toute perspective.
M. René-Paul Savary. - J'ai perçu parmi les familles la revendication que l'autisme soit reconnu spécifiquement, tandis qu'on devrait plutôt parler de troubles évolutifs de développement.
M. Michel Amiel, rapporteur. - On parle volontiers de champ autistique.
Professeur Alain Ehrenberg. - Dans les milieux cliniques, il est dit que lorsque vous connaissez un autiste, vous n'en connaissez qu'un. L'autisme recèle une extrême variété de cas et de symptômes, ce qui implique une grande souplesse dans l'emploi des mots. Dans un tel contexte, les mots ne font pas sens, mais seul leur emploi dans une construction donnée.
M. Yves Daudigny, président. - Merci, Monsieur le Professeur, de vous être déplacé jusqu'à nous. Vous êtes le premier sociologue reçu par notre mission. Nous avons noté que le Conseil national de la santé mentale fonctionnait sans budget et moyens. Nous le retiendrons ! Nous avons éprouvé un grand intérêt à vous écouter et nous vous en remercions.
La réunion est close à 17 h 10.