Mardi 13 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Échange de vues sur les travaux de la commission d'enquête (ne sera pas publié)
Le compte rendu ne sera pas publié.
Audition de représentants de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)
M. Michel Boutant, président. - Bienvenue aux représentants de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI) : MM. Christophe Robert Dit Ganier, Abdel Aziz Sakhi, Gbenoukpo Laurent Houndegla, Thomas Nesle, Sébastien Delbaere et Mme Virginie Jacob. Cette association fédère depuis 2016 des associations locales de policiers en colère afin de porter leur expression de manière indépendante des syndicats. Elle s'est notamment illustrée par le lancement, le 6 août dernier, d'un concours de photos ayant pour objectif d'attirer l'attention sur la vétusté des commissariats et qui eut un large retentissement médiatique. Que pensez-vous des mesures déjà prises pour améliorer la situation ? Quels sont les facteurs de blocage ? Que suggérez-vous ?
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Robert Dit Ganier, Abdel Aziz Sakhi, Gbenoukpo Laurent Houndegla, Thomas Nesle, Sébastien Delbaere et Mme Virginie Jacob prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été constituée suite à l'expression d'un malaise policier par des manifestations débordant le cadre syndical et, plus tragiquement, à sa manifestation par une vague de suicide. Nous dressons un état des lieux. Les causes sont toujours multifactorielles. Quelles sont-elles, d'après vous ? Que proposez-vous ? Le législateur aura plusieurs occasions d'intervenir, au sujet de la police de sécurité du quotidien (PSQ), lors de la réforme de la procédure pénale ou encore avec le vote du budget.
La formation, initiale et continue, vous semble-t-elle suffisante ? L'encadrement est-il satisfaisant ? Il semble que les jeunes recrues soient parfois livrées à elles-mêmes. Elles sont en tous cas automatiquement affectées en région parisienne, et notamment en Seine-Saint-Denis, sans qu'aucun correctif ne doive être prochainement apporté à ce problème. Comment renforcer l'attractivité de la région parisienne ?
Que pensez-vous des conditions matérielles ? L'état du parc immobilier a suscité le concours de photos que vous avez lancé. Quid du parc automobile ? Et de l'équipement ? On nous dit que l'informatique est en cours d'amélioration. Nos interlocuteurs institutionnels nous expliquent toujours qu'ils font mieux que l'année passée, mais si la situation de départ était trop dégradée, cela peut être insuffisant.
Et le management ? La police semble avoir été ballottée entre police de proximité, objectifs quantitatifs, évolution du régime des primes... D'ailleurs, police et gendarmerie diffèrent sensiblement : on nous dit qu'à l'esprit de corps des gendarmes répond l'esprit de caste qui règnerait dans la police. Quel est le climat dans la police ? Rêvez-vous d'une autre ambiance de travail ?
Les annonces relatives à la PSQ, les 7 500 recrutements, l'allègement de la procédure pénale : tout cela vous semble-t-il à la hauteur ?
M. Christophe Robert Dit Ganier. - Il est rare que nous puissions nous exprimer devant le Parlement. En avril 2015, le médiateur de la police nationale faisait dans son rapport annuel un constat alarmant, et soulignait la nécessité de renforcer la cohésion interne de la police nationale. Malgré ce texte, et malgré un rapport l'année suivante de la commission des finances du Sénat, qui déplorait les carences financières et montrait combien le manque de moyens réduisait les capacités opérationnelles, la situation s'est encore dégradée. Vu le retard pris depuis vingt ans, les mesures annoncées ne suffisent aucunement.
L'irruption de la menace terroriste a conduit des unités qui n'étaient pas formées pour cela à s'investir pour la contrer. En effet, en cas d'attentat, ce sont les unités les plus proches qui interviennent les premières. En général, il s'agit de police-secours et des groupes de sécurité de proximité (GSP), et non des BAC ou des brigades de recherche et d'intervention (BRI). Alors que leur mission normale est de traiter les accidents, les différends familiaux, les flagrants délits ou les cambriolages, elles n'ont reçu pour faire face à la menace terroriste, en tout et pour tout, que deux heures de formation - alors que les unités spécialisées mettent des années à acquérir les logiques d'intervention et les automatismes requis par l'armement collectif - et leurs moyens de protection sont partiels, alors que l'attentat de Charlie Hebdo a montré combien une simple patrouille en VTT pouvait devenir périlleuse.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Depuis la vague terroriste, toutes les unités ont-elles bien reçu une formation sur la primo-intervention en cas d'attentat ?
M. Christophe Robert Dit Ganier. - En principe, oui.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et en réalité ?
M. Christophe Robert Dit Ganier. - Mes collègues ont reçu cette formation. Mais elle ne dure qu'une demi-journée.
M. Thomas Nesle. - Cela dépend du niveau d'intervention. Le niveau 1 correspond à police-secours, qui doit établir un périmètre de sécurité. Le niveau 2 est celui des BAC et des compagnies de sécurisation et d'intervention (CSI). Mais les véhicules des BAC ne sont pas adaptés au matériel qui leur est fourni : on ne peut y transporter, pour quatre fonctionnaires, que deux gilets lourds et aucun casque. Quoi qu'il en soit, la formation ne suffit pas à changer la vocation d'une unité. Les véhicules des BAC sont des Peugeot 308 ou des Ford Focus, parfois des Ford Mondéo. Pour lutter contre la criminalité, elles ont besoin, en effet, de véhicules compacts et qui se faufilent aisément dans la circulation. Il n'est pas facile de trouver le juste milieu...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les séances de tir sont-elles bien effectuées ?
M. Thomas Nesle. - Le strict minimum.
Mme Virginie Jacob. - Certains fonctionnaires des BAC en sont réduits à 30 cartouches par an.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est moins que la norme.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Mais cela fait des économies !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et en cas d'usage de l'arme, le magistrat vérifie que les séances réglementaires ont bien été faites...
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Le recrutement de la police nationale a longtemps souffert de la concurrence avec le reste de la fonction publique. En effet, la police offre un métier passionnant mais tarde à intégrer ses jeunes recrues, et celles-ci doivent venir en région parisienne, ce qui occasionne des frais de déplacement et de logement qui font réfléchir les candidats. De plus, la mauvaise publicité qui est faite à notre police les dissuade. Quand on voit qu'il faut 300 pages dans les médias pour que le monde politique s'empare d'un problème, et que ce n'est qu'après celui-ci que notre hiérarchie s'y intéresse, il n'est pas difficile de comprendre qu'un policier suspecté de bavure est vite lâché - ce qui fait également réfléchir les candidats aux concours. Ceux-ci, du reste, ressemblent à la moyenne des jeunes Français, et leur niveau scolaire moyen est le même. Cette année, les écoles de police n'ont pas fait le plein, car une note inférieure à 8/20 à l'écrit était éliminatoire.
La formation initiale fonctionne selon une approche par compétence, où on demande au fonctionnaire de résoudre un cas avant d'organiser une simulation qui servira de base à un nouveau cycle. Cela prend plus de temps que de simples conférences, surtout avec des groupes d'une trentaine d'étudiants au lieu de 24. Le raccourcissement de la formation initiale n'empêchera pas de traiter l'essentiel, mais fera basculer une partie de la formation vers les centres régionaux.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il faut une formation après l'entrée en service opérationnel.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - D'où l'importance de la formation continue. La formation coûte cher, sans doute, mais son prix est celui de la sécurité de nos fonctionnaires de police - donc de celle de nos concitoyens. Elle est indispensable pour que nos policiers, notamment les plus jeunes, acquièrent un certain nombre de compétences et de savoir-faire. Mais elle ne prendra toute l'ampleur nécessaire que le jour où les chefs de service pourront la comptabiliser comme de l'opérationnel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sur quoi cela joue-t-il ?
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Sur les statistiques.
M. Christophe Robert Dit Ganier. - Du temps de présence sur la voie publique dépend surtout la prime !
M. Sébastien Delbaere. - La police a besoin de s'adapter au réel, elle ne peut pas s'enfermer dans la bureaucratie. Voilà le véritable enjeu de management. Capitaine de police en service de nuit, je suis proche de mes hommes, mais une telle situation devient anecdotique, tant l'étirement du corps des officiers, corrélé à l'attrition de celui des commissaires, détache ceux-ci du terrain pour les affecter à des tâches de gestion. Quant aux commissaires, ce sont de purs hauts fonctionnaires, sans aucun contact avec le métier lui-même. En réalité, ce sont désormais les brigadiers chefs qui sont sur le terrain. Nous souhaiterions que cette structure s'aplanisse, notamment par le développement de formations communes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On nous décrit un esprit de caste qui opposerait les trois corps.
M. Sébastien Delbaere. - Un apartheid, oui !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Comme il n'y a plus d'officiers sur le terrain, les procureurs en viennent à se plaindre de la disparition des OPJ.
M. Sébastien Delbaere. - Les chefs de service se plaignent aussi et, pour certains, songent à changer de métier : s'ils sont entrés dans la police, ce n'est pas pour faire de la gestion de ressources humaines !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les commissaires sont devenus des gestionnaires...
M. Sébastien Delbaere. - Ils s'occupent aussi des moyens, dont il faudrait décentraliser et relocaliser la gestion. Ce n'est pas faire de la police.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est une des idées de la PSQ.
M. Thomas Nesle. - Dans le Val-de-Marne, les Brigades spécialisées de terrain (BST) ont tout simplement été transformés en PSQ.
Mme Samia Ghali. - Absolument.
M. Thomas Nesle. - Il faut attendre pour voir le résultat de cette évolution. Mais certains collègues ne sont pas très enthousiastes à l'idée de changer de métier, car l'objet des BST était la lutte contre les trafics dans les cités, non la prise de contact avec les commerçants...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et ce sont les mêmes fonctionnaires.
M. Thomas Nesle. - Cela risque d'être le cas dans la plupart des zones.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Dans la police, personne ne veille à la cohérence entre ce qu'apprennent les adjoints de sécurité, les gardiens de la paix, les officiers et les commissaires.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il existe pourtant une direction de la formation...
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - L'école des commissaires de police est un établissement public à part. Les formations y sont conçues séparément.
M. Michel Boutant, président. - Où est la cohérence, alors ?
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Il n'y en a pas. Un capitaine de police formé à Cannes-Écluse peut être remplacé parfois par un gardien de la paix qui, à 80 %, aura appris des choses différentes au cours de sa formation.
M. Sébastien Delbaere. - Cela ne peut qu'accroître la défiance entre corps. C'est pourquoi nous préconisons la création d'une grande académie de police, où les trois corps recevraient des formations communes, au moins pendant certaines périodes.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Cela existe déjà pour les techniciens de police scientifique et technique.
M. Michel Boutant, président. - Il existe une académie de formation pour le renseignement.
M. Thomas Nesle. - Autre sujet : la virulence contre la police ne fait que s'accroître. Il faudrait sanctuariser notre profession - comme celle des pompiers.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les peines pour outrage à policier ont été alignées sur celles relatives aux magistrats - comme celles concernant les pompiers. Le législateur a agi, donc, mais la jurisprudence suit-elle ? Votre administration fait-elle poursuivre ?
M. Sébastien Delbaere. - Non, et c'est un problème. À notre recrutement, on nous disait que le danger était désormais plus juridique que physique - mais la donne a changé avec les attentats. Pour autant, l'État a le devoir de défendre ses policiers, comme le stipule l'article R 434-7 du code de déontologie. Or il ne le fait jamais. Et le policier, qu'on attaque si souvent, ne peut se retourner contre l'État quand celui-ci ne remplit pas ses obligations. Cette injustice est de plus en plus insupportable.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Comment apporter des preuves tangibles ? Avec des caméras ?
M. Thomas Nesle. - Pour les unités en tenue, les caméras-piéton sont une bonne idée. En revanche, elles ne sont pas adaptables aux unités en civil qui ont besoin d'être discrètes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce n'est donc valable que pour les interpellations.
M. Thomas Nesle. - Effectivement.
Je vous ai amené un Néo: c'est un smartphone qui permet de consulter les fichiers, ce qui est un progrès, mais qui n'a pas la fonction téléphone. En civil, je suis donc obligé d'avoir mon téléphone dans une poche, le Néo dans l'autre sans oublier ma radio. C'est d'une totale discrétion... Pourquoi ne pas nous laisser téléphoner sur ce smartphone plutôt que de nous obliger à passer par les ondes ? En outre, si nous avions l'application WhatsApp, nous pourrions converser à plusieurs lors d'une intervention, mais les applications sont bloquées. Enfin, il n'est pas possible de transmettre les fichiers par une application vocale. Un fonctionnaire ne peut donc participer au dispositif puisqu'il s'occupe de la transmission des fichiers.
M. Sébastien Delbaere. - Nul besoin d'augmenter les peines pour outrage ; commençons par les faire prononcer. Mes collègues déposent systématiquement plainte pour outrage, mais notre administration ne nous soutient guère. C'est l'OPJ qui la traite.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Votre administration ne met pas à votre disposition des avocats ? Les mairies, quant à elles, soutiennent leurs polices municipales.
M. Sébastien Delbaere. - Nous devons trouver les formulaires et contacter un avocat.
M. Thomas Nesle. - La procédure est dissuasive. Certains collègues ne déposent pas plainte pour outrage en raison des lourdeurs administratives : le fonctionnaire doit être auditionné avant de déposer plainte. Une fois que le juge a rendu sa décision, nous devons saisir le service pour être indemnisé. Rien n'est automatisé.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Dans les cas d'outrage, l'État devrait saisir le juge.
Mme Samia Ghali. - Certes, il vous faut des véhicules plus performants que ceux des criminels, mais vous dites que vous ne pouvez utiliser le matériel à votre disposition du fait de son encombrement. Comment améliorer la situation ?
Face à une délinquance qui a évolué, j'ai le sentiment que votre école de formation est d'un autre âge.
Je suis atterrée d'apprendre que le chef de service encaisse les primes, et pas les agents sur le terrain. C'est choquant.
La semaine dernière, j'ai assisté à la présentation de la PSQ à Marseille : un vrai catalogue de la Redoute ! J'ai publié un communiqué de presse pour dire que je ne croyais pas une seconde que cette PSQ répondrait à tous les objectifs qu'on lui assigne. En outre, il faudrait des moyens supplémentaires. Or, j'ai plutôt l'impression qu'on déshabille Pierre pour habiller Paul...
La semaine dernière encore, des policiers à la Castellane se sont retrouvés piégés face à une centaine de jeunes. On a frôlé la catastrophe. Alors, demain la PSQ ira dans les cités ? C'est juste impossible !
M. François Grosdidier, rapporteur. - D'après ce qui est dit, la PSQ répondra à des politiques territorialisées en fonction des situations.
Mme Samia Ghali. - Le préfet a annoncé que la PSQ serait mise en place en 2019 - ce n'est pas demain ! - et qu'elle se bornerait à aller voir les commerçants, à collecter des renseignements et à mettre des amendes.
M. Vincent Capo-Canellas. - En vous écoutant, j'ai le sentiment que vous dénoncez l'absence de cohésion dans la police. Chaque corps a sa formation, ses pratiques, ses méthodes. J'ai même l'impression qu'il manque du lien dans les commissariats. Comment sortir de cette situation ? N'est-ce pas aux patrons de recréer du lien ?
Mme Virginie Jacob. - Depuis dix à quinze ans, c'est le règne du diviser pour mieux régner dans la police nationale. Ce sont nos patrons qui ont instauré ce climat. La politique du chiffre est insupportable car elle monte les unités les unes contre les autres à coups de statistiques. En Moselle, les chiffres des contraventions sont adressés à tous les commissariats, si bien que ceux qui ont de moins bonnes statistiques sont traités de faignants. Comment demander à notre hiérarchie d'introduire plus de cohésion ? Il faudrait qu'elle commence par revoir sa politique de management.
M. Sébastien Delbaere. - La réforme de 1995 a profondément modifié le visage de la police. Dès 1996, un livre écrit par un sociologue sur le management dans la police pointait les dysfonctionnements. Depuis 22 ans, rien n'a changé. Les patrons doivent parvenir aux objectifs qui leur sont assignés. Certains sont très faciles à atteindre, ce qui permet d'attribuer des primes aux fonctionnaires qui sont bien vus. Divers objectifs sont fixés aux officiers et aux gardiens, ce qui permet de distribuer primes et sanctions de façon tout à fait arbitraire. Dans ma commune, on nous demande par exemple d'effectuer des contrôles de vitesse le lundi à 5 heures : vous ne verbalisez que des travailleurs. En même temps, on nous dit qu'il ne faut pas poursuivre les délits de fuite. Pour les policiers de terrain, c'est incompréhensible. Nos chefs devraient être plus près du terrain pour mieux comprendre la réalité vécue au jour le jour par les policiers.
Dans la gendarmerie, les corps correspondant à celui des officiers et celui des commissaires ont fusionné. Chacun a donc une expérience de terrain pour ensuite pouvoir donner des ordres.
M. Thomas Nesle. -Les promotions internes devraient être plus nombreuses pour que les patrons soient plus proches du terrain. Peut-être faudrait-il aussi recréer les amicales dans les commissariats, amicales qui ont été supprimées après des abus. Cela permettrait aussi de détecter les collègues qui ne vont pas bien. Aujourd'hui, on est dans un individualisme forcené : chacun mène sa carrière sans se préoccuper de ses collègues. Ce n'est pas le cas dans la police secours et dans les BAC car nous avons besoin de travailler ensemble sur la voie publique.
Pourquoi ne pas construire des commissariats avec des casernes de pompiers ? Cela permettrait de mettre en commun les infrastructures, notamment les gymnases et les salles de sport. Les fonctionnaires de police seraient également mieux formés aux premiers secours.
Mme Virginie Jacob. - En Moselle, nous avons une belle maison de police à Woippy.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Elle se trouve dans ma commune.
Mme Virginie Jacob. - Effectivement. Cela fait 16 ans que je travaille à Metz en section d'intervention. Cette maison de police offre une belle infrastructure. La mise en commun d'équipements est une piste très intéressante.
M. Thomas Nesle. - Et pourquoi ne pas prévoir des appartements comme dans les casernes des pompiers ? En Région parisienne, ce serait extrêmement utile aux nouveaux promus dans la police qui sont souvent des provinciaux.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Au lieu de rapprocher les commissaires des lieutenants-capitaines et commandants, des grades supplémentaires ont été créés pour les commissaires. La police nationale française est une des rares polices où l'on peut devenir chef suprême sans jamais avoir fait de terrain. Un général de gendarmerie a commencé au grade de lieutenant. Un commissaire est entré au grade de commissaire. Si vous ne savez pas à qui vous parlez, vous ne parlez pas le même langage. Si le cadre de référence n'existe pas, le dialogue est impossible.
M. Abdel Aziz Sakhi. - Le général Favier est entré en 1994 avec son équipe dans un avion qui avait été détourné. C'est lui qui m'a incité à entrer dans la gendarmerie. J'ai été gendarme pendant trois ans et demi avant d'être CRS. Cet homme a fait du terrain et ses troupes le suivent les yeux fermés. Dans la police, nos dirigeants ne connaissent pas notre quotidien.
M. Michel Boutant, président. - Vous estimez donc que les commissaires sont trop dans le conceptuel, le théorique, et qu'ils descendent rarement sur le terrain.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Ils sont absorbés par la paperasserie.
M. Michel Boutant, président. - Après la tragédie de Sivens, la général Favier a soutenu dès le soir même les gendarmes qui étaient sur place. Pourquoi être passé à la police, Monsieur Sakhi ?
M. Abdel Aziz Sakhi. - J'ai passé les concours de gendarme adjoint et de gardien de la paix et j'ai choisi la police, tout en étant réserviste dans la gendarmerie.
Les CRS sont une entité à part, en dépit du fait qu'ils appartiennent à la police. Dans les véhicules faits pour six personnes, nous ne pouvons être que cinq, étant donné tout le matériel que nous devons transporter avec nous.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourriez-vous nous faire une note précise sur le sujet ? Nous avons besoin de faits précis, concrets.
M. Abdel Aziz Sakhi. - Je suis secouriste opérationnel CRS: je dois donc avoir mon sac de secours, mon gilet de secours, mes affaires de maintien de l'ordre avec mon casque, mes boucliers, mon lanceurs de grenades, mes grenades. Je devrais avoir mes jambières mais je ne les prends plus car cela prend trop de place... Un tireur de précision doit avoir avec lui tout le matériel que j'ai énuméré plus son fusil à lunette et un fusil d'assaut.
Il y a quelques mois, nous avons été pris à partie à Calais par une cinquantaine de personnes : heureusement que les portes n'ont pas lâché !
M. Thomas Nesle. - Je déplore le manque de concertation en matière de matériel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Y a-t-il comme dans l'armée un retour systématique d'expérience ?
M. Michel Boutant, président. - Disposez-vous d'une instance pour échanger avec votre hiérarchie ?
M. Christophe Robert Dit Ganier. - Le plus souvent, on nous dit qu'il n'y a plus de budget, et donc qu'il faut continuer avec le matériel dont on dispose.
M. Thomas Nesle. - En BAC départemental, aucun de mes collègues n'a été consulté au moment de la mise en place du plan BAC. Les BAC ne sont pas faites pour intervenir en cas d'acte terroriste. Et pourtant, telle est aussi une des missions qui nous est assignée, si bien que nous sommes dotés de matériels dont nous ne nous servons pas. Nous ne pouvons à la fois faire de l'anti-crime, des filatures et avoir des équipements lourds, avec par exemple un G-36 caché dans un coffre au fond de notre coffre...
M. Michel Boutant, président. - Si un acte terroriste se produit dans le quartier où vous êtes, il faut bien intervenir, d'où le matériel dont vous disposez.
Mme Virginie Jacob. - Des sections d'intervention sont habituées à travailler en unités constituées et elles suivent des formations régulières. Pourquoi demander aux BAC d'intervenir ? C'est n'importe quoi.
Mme Samia Ghali. - Les gendarmes sont mieux perçus par la population que les CRS. Pourquoi ?
M. Abdel Aziz Sakhi. -Tout est dans la formation. Gendarmes et policiers ont la même passion et les mêmes missions. Les gendarmes mobiles sont bien mieux formés que les CRS. 75 % des effectifs CRS sont sur le terrain tandis que, pour la gendarmerie, c'est 25 %. Pour les 75 % restants, ils sont en différentes alerte, comme l'alerte Puma, ou en formation. En revanche, les CRS remplissent leurs missions, effectuent leurs deux ou trois semaines de déplacements, se reposent, puis repartent en déplacement... Ne restent, par an, que quinze jours de période de recyclage des unités (PRU), c'est-à-dire de formation. Nous n'avons pas le temps d'être formés.
Par exemple, ma formation de secouriste a duré en tout et pour tout une semaine : il a fallu apprendre à mettre un garrot, réagir face à des blessures faites par des armes de guerre, créer des lits de blessés, ce qui veut dire qu'au Bataclan, j'aurais dû trier les blessés en fonction de leur état. Quelle responsabilité !
M. Sébastien Delbaere. - À Rome, les unités antiterroristes disposent de véhicules blindés. Nous pourrions en avoir un par circonscription, ce qui permettrait à cette unité de réagir en cas d'attentat. Des solutions sont possibles ; encore faut-il disposer des moyens adéquats.
M. Michel Boutant, président. - J'aimerais que Mme Jacob nous dise quel est son parcours.
Mme Virginie Jacob. - En 2013, j'ai tenté de mettre fin à mes jours et j'ai été dans le coma pendant plus d'une semaine. Dans ma section d'intervention, j'étais la seule femme et la seule gradée, ce qui déplaisait à mon supérieur direct, qui était major, et à mon officier, qui était capitaine, et qui depuis est devenu commandant ! J'avais à l'époque demandé à être reçue par le commissaire de police, ce qui m'avait été refusé, et par le directeur départemental, ce qui m'avait été également refusé. À cela s'est ajouté des problèmes personnels, d'où une dépression. Au lieu d'être entendue par ma hiérarchie, on a voulu me désarmer, ce qui signifiait être placée dans une autre unité. D'où le passage à l'acte et c'est ma fille de 15 ans qui m'a sauvé la vie.
Cette histoire est tristement banale : depuis le 1er janvier, 18 suicides dans la police. Les réseaux sociaux permettent de se parler et j'ai fait du suicide mon cheval de bataille car il peut être évité.
En cas de problème, nous avons une psychologue. Mais elle a 23 ans, aucune connaissance du métier de policier, et il faut attendre quinze jours pour un rendez-vous qui a lieu... au sein du service : autant dire que tout le monde est au courant que vous allez mal !
La police que j'ai connue en 1992, lors de mon entrée en poste, n'existe plus : aujourd'hui, elle déshumanise. Il faut être irréprochable aussi bien en service que dans sa vie privée.
À Montauban, une collègue a été défigurée il y a quatre ans à l'occasion d'une intervention. Elle ne voulait pas reprendre son service mais le médecin de l'administration l'y a obligée et elle a été affectée en police secours. Elle a tenté de se suicider mais la hiérarchie a fait courir le bruit qu'elle avait été agressée, peut-être par son mari. Lorsqu'elle est sortie du coma la semaine dernière, elle a confirmé son geste.
Savez-vous ce que m'a demandé le médecin de la police lorsque j'ai repris mon poste début mars ? Il m'a demandé comment j'avais l'intention de mourir : je l'ai enregistré car je savais qu'il avait déjà posé les mêmes questions à des collègues. Cet enregistrement ne vaut hélas rien au pénal.
J'aime mon métier, et si je pouvais modifier mes choix, je ne le ferais pas. Je recommencerais tout de la même manière. Nous vous faisons des propositions concrètes dans le document que nous vous avons transmis, qui portent sur les suicides. La mise en oeuvre de ces propositions ne coûte rien, mais ce mode de management, qui consiste à diviser pour mieux régner, cette déshumanisation, est insupportable.
Un médecin de la police peut annuler un arrêt maladie en quelques secondes, et estimer que les décisions prises par les autres médecins, par exemple le psychiatre qui a prescrit l'arrêt suite à un burn-out, ne sont pas valables.
J'ai, à l'époque, déposé plainte pour harcèlement moral et j'ai été reçu par le substitut du procureur, qui m'a indiqué que ce que je subissais était inadmissible. Ceci m'a valu 70 auditions, 263 jours d'interruption temporaire de travail, mais le procureur de la République de Metz a finalement relevé une « absence de fait ». Un des éléments constitutifs du harcèlement moral est l'intention coupable. Or, le management de la police n'avait évidemment pas cette intention, ils souhaitaient simplement me voir disparaître du service... Mais je ne le voulais pas, je faisais mon métier et j'étais bien noté. En réalité, un procureur ne voudra jamais embêter son ami directeur départemental de la sécurité publique.
J'ai aimé mon métier, mais j'ai également voulu mourir pour lui, car j'étais écoeurée. Au moment où j'étais le plus mal, on m'a mis la tête sous l'eau, et je n'étais pas la seule. Beaucoup de collègues qui ont lu mon histoire m'ont dit avoir vécu la même chose.
Nous vous faisons donc des propositions très concrètes pour que cela change, comme le fait de remettre en place les débriefings. Lors de l'intervention à Woippy contre une personne ayant fait une crise de schizophrénie et éventré sa belle-mère et ses deux enfants, les collègues sont arrivés sur place et ont assisté à une scène extrêmement choquante. Après l'intervention, ils ont dû rentrer chez eux, comme si de rien n'était.
Lorsque je suis entré dans la police, mon chef m'attendait, quelle que soit l'heure à laquelle je rentrais de l'intervention, pour parler avec moi. Nous discutions avec les anciens de la brigade. Cela n'existe plus.
S'agissant de l'accompagnement, il y a de très bonnes structures à l'extérieur dont nous pourrions tirer profit. Un flic se sentant mal doit pouvoir aller à l'extérieur. Dans un tel cas, il ne doit plus y avoir de contact avec l'administration.
M. Gbenoukpo Laurent Houndegla. - Je suis à la section des formateurs de formateurs à la division de l'ingénierie pédagogique. Nous sommes chargés de concevoir les formations. Nous sommes en contact avec les psychologues des écoles. Une jeune psychologue en poste à Saint-Malo nous a dit, lors d'un stage, vouloir apprendre aux jeunes gardiens de la paix à travailler en équipe. Nous ne savons plus faire cela dans la police nationale. J'espère donc que ce type de formations sera bientôt proposé aux gardiens de la paix.
M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie pour l'ensemble des éléments que vous nous avez apportés.
La réunion est close à 20 h 10.
Mercredi 14 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 14 h 52.
Audition de représentants de la fédération syndicale CFE-CGC police nationale - Alliance
M. Michel Boutant, président. - Nous sommes heureux d'accueillir les représentants de la fédération syndicale qui regroupe Alliance Police nationale, Synergie officiers et le Syndicat indépendant des commissaires de police, et qui est affiliée à la CFE-CGC.
La présente commission d'enquête a été créée afin d'analyser les causes du malaise qui s'est manifesté au cours de la période récente au sein des forces de sécurité intérieure et singulièrement de la police nationale.
Nous souhaitions ainsi entendre votre analyse au sujet des difficultés diverses que doivent affronter les agents de la police nationale dans l'exercice de leurs missions quotidiennes. Quels sont, selon vous, de manière hiérarchisée si possible, les principaux problèmes que rencontrent les agents ? Font-ils l'objet de mesures efficaces ? Que faire pour améliorer la situation ?
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Stanislas Gaudon, Philippe Lavenu, Mickaël Trehen, Mme Audrey Colin et M. Benjamin Iseli prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quelles sont selon vous les principales causes qui ont concouru à cette situation de malaise policier avec des vagues de suicides et l'expression d'un mouvement de colère hors du champ syndical ?
En ce qui concerne la prévention du suicide, considérez-vous que les moyens de suivi psychologique par le service dédié ou par la hiérarchie sont suffisants ? Comment améliorer ce suivi ?
Le malaise est semble-t-il plus fort dans la police que dans la gendarmerie où l'esprit de corps est plus marqué. Au contraire, l'esprit de caste qui se développe dans chaque corps de la police nationale crée un manque total de solidarité et se traduit par un moindre soutien dans les moments difficiles, situation aggravée par un mode de management qui favorise les critères quantitatifs.
Disposez-vous d'études exhaustives sur l'état de dégradation du parc immobilier, du parc de véhicules, des retards technologiques et sur le budget consacré aux conditions matérielles de l'exercice de votre métier ?
Beaucoup de vos jeunes collègues nous ont fait part des difficultés qu'ils avaient à se loger, notamment en Ile-de France. Des solutions ont-elles été esquissées ?
Où en est-on de l'application du protocole social qui a été signé en 2016 ? Quelles ont été les conséquences de la réforme des cycles de travail sur l'organisation des services et quelle incidence l'application de la directive européenne sur le temps de repos a-t-elle eu ?
On parle souvent de la dégradation des rapports entre la police nationale et la population alors que les sondages montrent que 80 % des Français vous soutiennent. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Vous sentez-vous soutenus par votre hiérarchie ?
Les dysfonctionnements et l'inadaptation de la chaîne pénale remettrait en question le sens de votre action. Partagez-vous cette analyse ? La réforme de la procédure pénale allègera-t-elle vos tâches administratives et libérera-t-elle du temps pour que vous vous consacriez à l'opérationnel ?
M. Philippe Lavenu, délégué national communication d'Alliance Police nationale. - Alliance Police nationale n'a pas attendu les mouvements de grogne orchestrés et médiatisés pour palper le malaise des policiers. Nous l'avons dénoncé à maintes reprises sans trouver aucun écho. Il semble que l'on préfère écouter les insurrectionnels plutôt que les institutionnels. Les chiffres accablants et alarmants des suicides et des burnout dans les rangs suffisent à démontrer le désarroi de nos collègues. Notre organisation a élaboré un certain nombre de préconisations qui, si elles étaient mises en oeuvre, permettraient aux policiers de redonner un sens à leur mission.
Nous avons bien sûr imaginé quelle serait la police de demain. La place de la police nationale dans la sécurité intérieure, la réforme de la justice et de la procédure pénale, la formation des policiers, le renseignement, l'ordre public, la suppression des tâches indues, le développement des moyens, le volet catégoriel et social et les relations entre la police et une frange de la population, tels sont les sujets sur lesquels nous avons travaillé. Nous tenons à votre disposition une contribution écrite détaillant nos propositions.
M. Mickaël Trehen, Secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP). - Si les trois corps actifs de la police nationale sont présents, c'est qu'ils partagent tous un même constat : les policiers ont le sentiment que leur métier manque de sens. Voilà des années que nous réclamons de redonner du sens à ce métier, tous corps confondus. Quand on est policier, on veut attraper des délinquants et les livrer à la justice pour qu'elle fasse son travail. Telle est l'essence du métier. Une minorité de délinquants est responsable d'une majorité d'infractions. Or, le travail d'interpellation est de plus en plus difficile à mener dans des conditions contestées. Le métier d'enquêteur est devenu un repoussoir aux vocations. Le travail de longue haleine qui conduit à l'interpellation est souvent sapé par la remise en liberté du délinquant.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Autrefois, le commissaire était un meneur d'hommes ; désormais, c'est un gestionnaire. Le problème tient à la formation des policiers, mais aussi à ce qu'on leur demande.
M. Mickaël Trehen. - Le problème relève moins de la formation que de ce que l'on fait de vous. On attend d'un commissaire de police qu'il soit un gestionnaire jugé sur une activité chiffrée, bref sur du quantitatif. Certains commissaires toucheraient des primes, dit-on. Ces primes correspondent en réalité à une indemnité de responsabilité et de performance (IRP) évolutive en fonction de l'échelon et du grade selon les textes de loi.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les résultats quantitatifs ne sont donc pas pris en compte ?
M. Mickaël Trehen. - Non. L'IRP peut être majorée de 20 ou 40 % sur des postes qualifiés de difficiles ou de très difficiles, en aucun cas selon l'activité des services.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Comment est évaluée la difficulté du poste ?
M. Mickaël Trehen. - Elle est établie par l'administration en fonction de la difficulté des conditions d'exercice du métier - la plupart des postes en Seine Saint-Denis sont au moins de niveau « difficile » - ou bien parce que le recrutement est difficile sur des postes de province en secteur isolé. Tous les critères figurent dans les textes. Le projet de performance individuel (PPI) a pris fin en 2013. Il offrait aux commissaires de police la possibilité de définir un projet particulier en accord avec leur hiérarchie. S'ils atteignaient les objectifs fixés, leur IRP était majorée.
M. François Grosdidier, rapporteur. - En fonction de critères quantitatifs ?
M. Mickaël Trehen. - Il s'agissait de projets innovants. Par exemple, à Saint-Malo, où il y avait une recrudescence des vols sur les personnes âgées, j'ai mis en place un projet de prévention qui consistait à faire les marchés et à organiser des réunions avec les anciens. Cela ne donnait bien sûr pas lieu à une évaluation quantitative. Le principe est le suivant : aucun commissaire de police n'obtient de prime en fonction de son activité.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On ne prend jamais en compte le nombre de contraventions, par exemple ?
M. Michel Boutant, président. - La politique du chiffre serait un mythe ?
M. Mickaël Trehen. - Oui. Le seul argument qui alimente ce mythe persistant malgré des textes clairs, c'est le dispositif de la part résultat de l'IRP. Cette majoration est au bénéfice d'un tiers du corps de la police nationale, mais pas en fonction de résultats chiffrés.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sur quels critères alors ? La notation ?
M. Mickaël Trehen. - On regarde si le service est bien géré, on tient compte des difficultés particulières qui interviennent dans cette gestion, on regarde s'il y a des retours syndicats. En tout cas, il n'y a rien d'automatique. La culture policière du chiffre existe bel et bien et elle est partagée. Un policier qui travaille à la brigade anti-criminalité (BAC) comptera ses mises à disposition, et dans la police judiciaire on comptera le nombre d'écrous. Cette institution passe son temps à s'évaluer en fonction de son activité.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela pose problème, dès lors que l'on privilégie une accumulation d'affaires peu importantes au détriment de l'important. Le matin, on demandera à un policier de verbaliser des gens qui vont au boulot pour un délit mineur, et l'après-midi, il laissera filer un contrevenant qui roule sans casque.
M. Mickaël Trehen. - Nous devons assurer la sécurité des personnes mais aussi celle de nos effectifs. Les textes sont clairs en cas de refus d'obtempérer : les policiers ne pourront pas prendre en chasse un conducteur qui conduit sans casque et prend tous les risques pour échapper à la police.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela pose des problèmes insurmontables aux élus locaux. Il s'agit d'une circulaire, n'est-ce pas ?
M. Mickaël Trehen. - Elle date de 1999.
M. Stanislas Gaudon, Secrétaire administratif général adjoint d'Alliance Police nationale. - Des sénateurs nous ont déjà auditionnés au sujet de la partie budgétaire et de l'environnement premier du policier. Nous sommes les héritiers d'une concession en faillite. On a mis la poussière sous le tapis pendant une dizaine d'années et la facture est lourde. En 2013, on estimait qu'il faudrait entre 850 millions d'euros et un milliard d'euros pour construire le projet immobilier de la police nationale. Cette année, nous bénéficions d'une enveloppe de 47 millions d'euros déconcentrée sur les commissariats, grâce à un report de crédits. Les policiers souffrent d'un manque de visibilité en matière budgétaire : l'an dernier le Gouvernement a annulé 110 millions d'euros et a reporté l'application de l'accord « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR). Les policiers ont l'impression qu'on les mène en bateau.
M. François Grosdidier, rapporteur. - En clair, cette année, vous disposerez d'un budget de 50 millions d'euros.
M. Stanislas Gaudon. - On nous a annoncé 196 millions d'euros d'investissements. Dans le même temps, nous disposerons de 47 millions d'euros au titre de l'enveloppe déconcentrée grâce à un report de crédits pour « le petit coup de peinture dans les commissariats », comme a dit le ministre. Nous préférerions un plan Marshall à ces petits tours de passe-passe de comptabilité.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Peut-on chiffrer le rythme d'investissement annuel pour rattraper le retard d'investissements accumulé ?
M. Stanislas Gaudon. - Le budget de la police nationale est consacré à 90 % à la masse salariale et à 10 % aux investissements. Il faudrait un ratio de 70 % - 30 % pour que des effets se fassent sentir et que l'on commence à rattraper un retard de 20 ou 30 ans. Pour l'instant, l'effort d'investissement n'est pas suffisant, même avec les 29 projets immobiliers actés. À Boulogne-Billancourt, le maire avait proposé de participer à 50 % à la reconstruction du commissariat, soit 7 millions d'euros. Son projet n'a pas été retenu. Les policiers travaillent 365 jours par an dans des conditions inadmissibles, avec des canalisations qui ne fonctionnent pas dans les commissariats, des locaux d'accueil dans un état lamentable, etc.
Pour ce qui est du matériel, il faudrait que le plan biennal soit livré sur deux ans, pas sur trois. Bien sûr, on nous dit qu'il n'y a qu'un seul atelier national, à Limoges, pour la sérigraphie et l'équipement des véhicules, ce qui explique les délais. En attendant, les véhicules se dégradent et le service opérationnel est défectueux.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Avez-vous des chiffres à nous donner sur la moyenne d'âge du parc ? Quel kilométrage moyen faudrait-il fixer pour les véhicules si l'on souhaite revenir à une trajectoire idéale ?
M. Stanislas Gaudon. - Dans chaque PLF, on inscrit que les véhicules légers et lourds seront renvoyés à 8 ou 10 ans d'exercice. On lit dans la même phrase qu'en termes de roulage, il faut les remplacer à 5 ou 6 ans. Où est la cohérence ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel critère faut-il privilégier ? L'âge du véhicule ou son kilométrage ?
M. Stanislas Gaudon. - Les deux. Il faudrait prévoir un roulage maximal de 170 000 kilomètres pour les véhicules lourds et de 120 000 kilomètres pour les véhicules légers. Or, certains véhicules roulent encore à 300 000 kilomètres. Je vous laisse imaginer... Il faudrait prévoir un renouvellement automatique des véhicules tous les cinq ans. Plus on tarde, plus on en arrive à des situations extrêmes. La préfecture de police a dû débloquer par deux fois 500 000 euros pour faire de l'externalisation, car trop de véhicules étaient immobilisés.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et sur le caractère inadapté de certains véhicules ?
M. Stanislas Gaudon. - Récemment l'organisme qui décide du type de véhicules que la police nationale doit utiliser a organisé une concertation avec les organisations syndicales, ce qui a contribué à améliorer la cohérence des choix opérés. Une évolution est en cours qui date de cette année. La déficience par rapport à la livraison des véhicules est liée à l'organisation des plans biennaux.
Les munitions sont un autre sujet. La formation continue des agents est dérisoire avec 12 heures et 90 cartouches par an. Les policiers n'ont reçu aucune formation sur les cinq cas d'usage des armes définie par une loi récente. On s'est contenté de 12 vidéos, sans aucune intervention de formateurs en technique d'intervention et de sommation. D'ailleurs, nous attendons toujours le décret d'application de la loi sur la nomination des policiers dans les procédures. Le ministre a annoncé qu'il serait signé au mois de mars dans le cadre de votre commission d'enquête.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La possibilité pour les policiers municipaux d'avoir accès au fichier minéralogique des plaques était promise pour le 31 décembre 2016.
M. Stanislas Gaudon. - Il y a eu des évolutions en ce qui concerne le matériel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et sur l'information ?
M. Stanislas Gaudon. - On a introduit la tablette Néo. La gendarmerie l'a immédiatement généralisée. La police ne commence à le faire que cette année. Nous en sommes à la quatrième version du logiciel de rédaction des procédures pénales. Sans doute fonctionnera-t-il enfin. Quant au dossier de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), vous en avez tous connaissance. Des centaines de millions d'euros ont été déboursés pour un outil qui ne fonctionne pas. Une nouvelle version doit arriver à horizon 2024. Nous espérons que d'ici-là, nous n'aurons plus de trous dans les écoutes. Avec toutes ces difficultés cumulées, il est difficile pour les policiers d'agir. D'autant qu'ils ont à subir des attaques. La loi du 28 février dernier a aligné les outrages aux policiers sur ceux aux magistrats en les punissant d'un an de prison ferme. J'attends de voir si elle est appliquée.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les plaintes sont-elles systématiques ? Vous assure-t-on la protection fonctionnelle en cas d'outrage ?
M. Stanislas Gaudon. - Les policiers subissent des attaques et des outrages qui mènent souvent à la rébellion et à la diffusion d'images qui circulent sur les réseaux sociaux en donnant un sentiment d'impunité. Entre 2015 et 2016, il y a eu 6 000 condamnations pour outrage en moins.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Le nombre des plaintes a-t-il baissé ?
M. Michel Boutant, président. - Certains de vos collègues nous ont dit que la procédure était tellement longue qu'ils préféraient renoncer à porter plainte.
M. Stanislas Gaudon. - Il est inacceptable qu'un policier soit accusé à tort et devienne l'objet de la vindicte médiatique. Tous les vendredis, nous sommes assiégés par une association qui dénonce les positions courageuses que nous avons prises il y a un an au sujet de l'affaire Théo. Les policiers ont très mal vécu que la plus haute autorité de l'État se rende au chevet du jeune homme, mais pas à celui des policiers brûlés à Viry Châtillon. Les policiers exercent un métier difficile et subissent des violences dans leur quotidien. Un cocktail Molotov n'est pas un pétard ; c'est un engin de guerre.
Il faudra que la chaîne pénale soit plus efficace pour éviter que les individus interpellés ressortent libres faute de mandat de dépôt.
M. Benjamin Iseli, conseiller technique auprès de Synergie Officiers. - La possibilité de saisir les avoirs criminels est ouverte depuis quelques années déjà. Or, en 2018, la procédure reste extrêmement complexe et mériterait d'être simplifiée.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On a pourtant saisi de belles voitures.
M. Benjamin Iseli. - Les possibilités de saisie représentent des dizaines de millions d'euros, qu'il s'agisse des voitures, du matériel informatique, etc. Certains magistrats freinent la procédure, car ils craignent que l'on utilise certains biens en amont des décisions de justice. Notre administration la freine également, dans le cas où les véhicules saisis ne sont pas référencés, ou doivent être équipés ou révisés. Quant au matériel informatique, il faut réinstaller entièrement le système pour répondre aux critères de sécurité définis par le ministère. Les textes existent bel et bien, mais on se heurte à une certaine frilosité générale, alors qu'on pourrait récupérer du budget sur ces saisies.
La procédure pénale est un millefeuille indigeste. Il faudra un jour choisir entre l'accusatoire et l'inquisitoire. Le projet de loi portant réforme pénale est insuffisant. Une dématérialisation à horizon 2020 est beaucoup trop tardive. Nous souhaitons une oralisation de la procédure. L'Europe nous impose des règles ; pourquoi ne pas bénéficier de ses avantages ? Il suffit de disposer de caméras pour filmer les auditions, et nous pourrions établir un rapport final de synthèse, résumant en trois pages les éléments essentiels de la procédure. Bien sûr, les avocats et certains magistrats préféreront toujours lire le procès-verbal plutôt que de regarder cinq heures de vidéo. Cependant, certains officiers de police passent deux tiers de leur temps à écrire ces procès-verbaux.
Revenir sur le protocole de 2016 est vécu comme la manifestation du mépris du Gouvernement à l'égard des policiers. L'État a engagé sa parole pour venir en aide aux policiers qui doivent faire face à une augmentation phénoménale de leur activité. Il ne peut pas revenir dessus.
Mme Samia Ghali. - Pensez-vous qu'un recours aux caméras clarifierait la situation en cas d'outrage à la police ? Si les policiers avaient disposé d'une caméra dans le cadre de l'affaire Théo, on aurait évité la sélection des séquences diffusées sur les réseaux sociaux. Cela aurait protégé tout le monde.
Je voulais avoir votre avis sur la police de sécurité du quotidien, car la semaine dernière à Marseille, en préfecture de police, on me disait que cela ne servirait à rien de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
En 2016, à combien se portait le montant des avoirs criminels confisqués ? Cet argent est-il redistribué au profit du budget consacré au matériel de la police ?
M. Henri Leroy. - Vous avez établi les constats ; nous aurions souhaité entendre des propositions de solutions et disposer d'un exposé détaillé plutôt que d'un mémorandum. Tous ceux que nous avons auditionnés ont fait le même constat que vous. La gendarmerie nationale a fait 300 propositions pour résorber le problème. Quelles sont les vôtres ?
Je rencontre des policiers sur le terrain. La course aux chiffres fait partie de leur ressenti. Ceux qui ont été auditionnés ont prêté serment. Ils n'ont pas menti. Vous mentionnez les textes ; ceux qui sont sur le terrain nous disent que leur application est déformée. Le mythe que vous dénoncez est ressenti comme une réalité sur le terrain.
Quelle voie emprunter pour redonner le moral aux forces de sécurité ? Il faudrait une loi de programmation sur au moins cinq ans. Ce sont les solutions qui nous intéressent.
M. Stanislas Gaudon. - Je les ai clairement énoncées. Il faut un budget conséquent pluriannuel, programmé et respecté. Il faut une chaîne pénale qui s'organise et soit effective, car il n'est pas possible de continuer avec 100 000 peines non exécutées. Il faut une plainte systématique du ministère de l'Intérieur à chaque fois que des policiers sont attaqués. Il faut prévenir les suicides grâce à un plan qui soit respecté, car le plan Cazeneuve ne l'a pas été.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est important. C'est la première fois qu'on le dit.
M. Henri Leroy. - Il faudrait nous écrire toutes ces propositions.
M. Stanislas Gaudon. - En consacrant 8 millions d'heures aux missions périphériques, on mobilise 5 000 emplois de la police nationale. Mettons fin à ces tâches.
Nous avons toujours été favorables à la généralisation des caméras piétons, pour autant que la police en garde le contrôle. Dans l'affaire Théo, l'extraction de la police nationale est due à la généralisation du plan de vidéo protection plus qu'aux caméras piétons.
M. Benjamin Iseli. - Le montant des avoirs criminels confisqués s'élevait à 500 millions d'euros en 2016. La police d'agglomération parisienne a créé l'an dernier une sous-direction de lutte contre l'immigration. Pas moins de 11 millions d'euros en avoirs criminels ont été saisis l'an passé. Nous demandons que ces avoirs soient utilisés pour améliorer le quotidien des policiers.
Le système des caméras piétons existe déjà depuis de nombreuses années. On simplifierait la procédure en utilisant les vidéos au titre des procès-verbaux.
Les policiers travaillent dans les zones urbaines, pas les gendarmes. Il n'y a rien d'anormal à ce qu'un policier bénéficier d'une prime spéciale lorsqu'il exerce son métier dans des circonstances difficiles.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On constate un sous-encadrement et une trop grande jeunesse des policiers en Seine Saint-Denis. Cela signifie que le système d'incitations n'est pas suffisant.
M. Benjamin Iseli. - Il faudrait que le ministère de l'Intérieur revoie sa politique sociale, notamment en matière de transport. Les gendarmes bénéficient d'avantages sur les billets SNCF, pas les policiers. Sans corporatisme aucun, si vous voulez que des policiers aguerris et compétents exercent dans des zones difficiles, il faut y mettre les moyens. Il n'est pas anormal qu'un policier qui travaille à La Courneuve gagne plus qu'ailleurs. Nos collègues quittent l'Ile-de-France parce qu'ils sont moins harcelés ailleurs et que la perte financière est moindre. Un capitaine de police exerçant en Seine Saint-Denis gagne 120 euros de plus par an.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et pour le travail de nuit ?
M. Benjamin Iseli. - Il y a effectivement une majoration pour le travail de nuit. Mais qu'il s'agisse du travail de voie publique ou du travail judiciaire, les primes sont ridicules.
M. Stanislas Gaudon. - La gratuité des transports sur le réseau SNCF est une mesure incitative qui fait l'objet d'un dossier en cours entre le ministère de l'Intérieur et la SNCF. D'autant que les policiers ont aussi pour mission de sécuriser les trains.
M. Jean Sol. - On connaît le profil du policier tel qu'il existe. Quel est celui du policier de demain ? Quel rôle exercez-vous auprès de vos collègues en mal être ? Comment accompagnez-vous les demandes de mobilité ? Vos collègue peinent à les obtenir, ce qui accentue leur mal être.
M. Stanislas Gaudon. - Les mutations dans la police nationale sont régies par une circulaire. Le corps d'encadrement et d'application (CEA) est soumis à un système de points qui fonctionne sur un critère de classement à l'ancienneté. Les appels à candidature sont nombreux, mais les policiers sont limités par le contingentement de 8 ans dans la région Ile-de-France. Ce texte date de quelques années. Il assujettit les policiers à un déplafonnement des primes de fidélisation. Tous ceux qui passent le concours sont informés de ces mesures de contingentement. Nos collègues qui souhaitent partir en mutation n'échappent aux règles statutaires que dans des cas exceptionnels, comme le décès d'un enfant ou une maladie grave qui oblige à un rapprochement familial. En tant que syndicat, nous soutenons les cas dérogatoires. Dans le cas des profilés, nous négocions avec les autorités compétentes en fonction du profil et des qualifications de l'agent.
M. Mickaël Trehen. - La prime sur l'activité des chefs de service n'existe pas. Les textes sont là. Mais, effectivement, le ressenti des policiers est différent.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et sur le déficit de communication entre les corps ?
M. Mickaël Trehen. - Les chefs de service imposent le nombre de tirs obligatoires, non pas pour avoir une prime, mais parce que c'est la loi et que les conditions d'utilisation des armes ont changé.
L'avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale ne satisfait pas les attentes des policiers.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il ne retient pas l'oralisation.
M. Mickaël Trehen. - Pas même à titre expérimental. Or, on pratique déjà la vidéo ou les photos sur certaines dépositions. Les auteurs de crime sont déjà filmés. Je comprends qu'un magistrat ait besoin d'un rapport écrit pour gagner du temps. Les vidéos ne sont jamais consultées, et pourtant nous les faisons. Pourquoi ne pas envisager de créer des pools de secrétariat qui s'occupent des retranscriptions intégrales, à la manière britannique ? Ce n'est pas un travail de policier. Il faut faire un choix.
M. Philippe Lavenu. - Pour rassurer tout le monde, nous avons des propositions. Les voici par écrit. Elles sont à votre disposition. Nous vous ferons parvenir les 27 propositions pour lutter contre le suicide que nous avons remises au ministre la semaine dernière. Il faudrait envisager de créer une académie de police avec un tronc commun pour la formation.
M. Michel Boutant, président. - C'est une idée partagée aussi bien par les « institutionnels » que par les « insurrectionnels », pour reprendre votre distinction !
Audition du Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), et du Colonel Laurent Bernard, adjoint à la sous-direction administrative et financière
M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux par l'audition du général d'armée Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, accompagné par le Colonel Laurent Bernard, adjoint à la sous-direction administrative et financière de la Direction générale de la gendarmerie nationale.
Mon général, notre commission d'enquête a d'abord pour but d'établir un diagnostic aussi objectif que possible sur l'existence ou non d'un « malaise» ou d'un « mal-être » au sein des forces de sécurité intérieure, allant au-delà d'un simple phénomène conjoncturel. On peut sans doute voir dans l'expression de la colère des policiers depuis la fin 2016 l'indice le plus manifeste d'un tel malaise, mais celui-ci ne serait pas non plus absent de la gendarmerie nationale, quoique moins visible du fait du caractère militaire de cette force.
Il s'agit ensuite pour nous de comprendre les causes de ce phénomène, qu'elles soient matérielles ou morales, et d'examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède au cours des dernières années ; enfin, de proposer des pistes pour améliorer la situation.
Nous souhaiterions ainsi vous entendre d'abord brièvement sur ces différents sujets s'agissant de la gendarmerie nationale. J'inviterai ensuite nos collègues à vous poser des questions sur des points plus particuliers.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Richard Lizurey et Laurent Bernard, prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette commission d'enquête a, d'une part, été créée à la suite d'une vague de suicides, tant dans la Police que, dans une moindre mesure, dans la Gendarmerie et, d'autre part, en raison du mouvement de colère des policiers de l'année passée qui a même débordé leur représentation syndicale. Comment expliquez-vous l'absence de mouvements analogues chez les Gendarmes, même si leurs épouses se sont exprimées ? Mon général, quelles sont, selon vous, les causes à l'origine du malaise des forces de sécurité intérieure ? Sur la dimension sociale, où en est-on de l'application du protocole social parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) du 11 avril 2016 ? Quelles sont les conséquences actuelles et à venir de la transposition des directives sur le temps de repos, notamment en termes d'effectifs ? Ces mesures impliqueront-elles un nombre supérieur aux 2 500 d'emplois équivalents temps plein (ETP) supplémentaires qui vous ont été promis ? La nouvelle police de sécurité du quotidien (PSQ) risque ainsi d'être mise en oeuvre à moyens constants, sinon réduits, alors que les politiques partenariales, qui en résultent, exigent davantage de personnels.
Sur les moyens et les conditions de vie, puisque les familles sont logées en caserne, pourriez-vous nous donner votre estimation des moyens à allouer à la rénovation convenable du parc immobilier ? À cet égard, le rythme des investissements de l'exercice 2018 vous paraît-il satisfaisant ? À ce rythme, quelle serait la durée nécessaire pour assurer la rénovation, tant du parc immobilier que de celui des véhicules, qu'il s'agisse des véhicules courants, des blindés ou encore des hélicoptères ? Il nous faut mesurer l'effort que doit faire la Nation pour assurer aux forces de sécurité les conditions simplement convenables de l'exercice de leurs missions. S'agissant de la procédure pénale, les chantiers de la justice semblent s'orienter vers sa dématérialisation progressive. Une telle démarche vous paraît-elle de nature à libérer suffisamment d'ETP?
Général Richard Lizurey. - L'état de la Gendarmerie nationale semble a priori favorable. Derrière cette image d'Épinal, il ne faut pas pour autant mésestimer certains signes de mécontentement, suscités notamment par le sentiment d'un décrochage des moyens et d'une moindre reconnaissance. L'esprit de corps et la cohésion de la Maison transcendent néanmoins ces difficultés : le souci du gendarme est de s'adapter avec les moyens dont il dispose pour répondre aux besoins de la population. Les hommes et les femmes de la Maison ont le sens du service chevillé au corps et ce n'est qu'en cas d'extrême nécessité qu'émergent des mouvements collectifs, comme en 1989 et 2001. Ainsi, dans les brigades territoriales qui disposent d'un véhicule au kilométrage conséquent pour quinze personnels, les gendarmes peuvent éprouver de réelles difficultés, qu'ils compensent bien souvent par un engagement personnel et une disponibilité exceptionnels.
En 2017, la Gendarmerie a connu dix-sept suicides. Or, depuis le début de 2018, huit suicides et cinq tentatives ont été enregistrés. Cette tendance est inquiétante et c'est la raison pour laquelle je vais réunir, avant la fin de la semaine, la commission nationale de prévention afin de dresser un état des lieux et d'améliorer le dispositif de prévention qui associe trente-trois référents-psychologues, détachés au niveau des régions ou placés au niveau central, qui accompagnent les gendarmes lors d'événements traumatiques, comme les agressions de gendarmes ou les accidents très lourds, à l'instar de celui de Millas. L'année dernière, 15 000 personnels ont ainsi été pris en charge. Le suicide est un acte complexe qui mêle vies privée et professionnelle. Parfois, le centre de gravité peut être personnel, mais l'accès à l'arme de service facilite cet acte.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Depuis l'affaire de Magnanville, les gendarmes peuvent-ils garder sur eux leur arme de service ?
Général Richard Lizurey. - Absolument : 25 000 gendarmes ont reçu l'autorisation de porter leur arme en civil, au même titre que leurs camarades de la police nationale. Cependant, les gendarmes qui se suicident le font plutôt dans la caserne ou au bureau ; ce qui témoigne du lien affectif avec l'environnement professionnel. Le commandement, la vie en caserne et la cohésion du corps permettent d'assurer un contrôle social et d'identifier les éventuels signes de faiblesse. Malheureusement, nous n'avons pas été en mesure, depuis le début de cette année, d'empêcher le passage à l'acte de sept de nos camarades.
La prévention du suicide doit également être prise en compte dès la formation. Désormais, nos personnels sont initialement formés à la confrontation à la mort pour favoriser leur résilience face aux événements traumatiques qu'ils peuvent rencontrer durant leur carrière. Les gendarmes n'étaient pas, jusqu'à présent, formés à l'annonce du décès de personnes à leurs proches ; tâche difficile dont ils s'acquittent généralement avec le maire et qui laisse toujours une trace. Mieux formés, nos personnels doivent avoir moins peur d'être confrontés à la mort et être plus en mesure d'échanger sur elle.
La hiérarchie, qui doit être à l'écoute, bénéficie également d'une formation continue sur ces thématiques : le chef doit être conscient de toutes les difficultés que connaissent ses subordonnés. Notre structure militaire dispose de mécanismes de concertation qui ont également un rôle à jouer. Nous allons ainsi développer la formation initiale à l'accompagnement et à l'écoute au sein de l'école des officiers de la gendarmerie nationale et des formations continues destinées aux commandements de compagnie et de brigade. L'accompagnement des personnels est indissociable du commandement et nourrit cet esprit de corps propre à la gendarmerie.
Cette démarche va également être déclinée à l'échelle de la concertation. Le dispositif élaboré par mon prédécesseur, le général Favier, était visionnaire : en assurant l'élection des conseillers jusqu'au niveau central, les personnels élus font preuve d'un esprit constructif et doivent être associés à cette démarche de prévention des suicides. Si les facteurs de vulnérabilité individuelle sont toujours présents, la manière d'y répondre de la gendarmerie est collective ; le nombre de suicides depuis le début de cette année nous incitant à améliorer le dispositif existant.
L'application du PPCR pose la question du respect de la parole donnée. Certes, le décalage d'un an concerne la totalité de la fonction publique et participe de la régulation budgétaire : ce n'est pas un sujet. En revanche, d'autres mesures du protocole du 11 avril 2016, qui ne relèvent pas du PPCR, font l'objet de nouvelles discussions qui tendent à remettre en cause leur légitimité. Le Gendarme considère, à juste titre, qu'il s'agit d'un engagement de l'État et une forme de respect de la parole donnée. Certains signaux négatifs m'alertent à ce sujet. De telles vicissitudes ne sont pas sans nourrir la défiance du gendarme à l'égard des autres administrations. Il me paraissait important d'alerter la Représentation nationale sur ce point.
La directive « temps de travail » a conduit à la diffusion, depuis le 1er septembre 2016, d'une instruction provisoire accordant à chaque gendarme les onze heures de repos physiologiques journaliers par tranches de vingt-quatre heures. Cette mesure a induit une baisse capacitaire de l'ordre de 5,5 % des effectifs pour la gendarmerie implantée dans les départements, et une baisse plus minime chez les gendarmes mobiles. Nous avons désormais absorbé cette baisse capacitaire effective depuis plus de dix-mois. L'Inspection générale de l'administration (IGA) a estimé cette baisse à quelques 3.500-4.000 ETP que nous comptons rattraper par d'autres moyens, comme l'utilisation de nouvelles technologies et la réorganisation de certains services. Le Président de la République a indiqué qu'il n'était pas souhaitable de mettre en oeuvre comme durée maximale de travail hebdomadaire les 48 heures prévues par la directive « temps de travail » ; aucun gendarme, d'ailleurs, ne le demande. Les effets de la directive temps de travail sont ainsi intégrés dans le service et les 2 500 ETP prévus ne permettront pas de compenser la baisse capacitaire qu'elle induit.
La police de sécurité du quotidien (PSQ) implique de redonner l'initiative au terrain. La valorisation de la fonction contact vise à renouer avec la relation personnelle et affective des Gendarmes d'antan avec leur voisinage, alors que l'impératif de technicité a primé pendant des années, au détriment des relations avec la population. Si nous sommes désormais en mesure de répondre à tout incident en moins de quatorze minutes, nous avons oublié l'humain. La PSQ permet ainsi aux maires d'avoir un référent gendarmerie qui l'informe des événements se déroulant dans sa commune.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Dans le cadre actuel, pensez-vous dégager des disponibilités suffisantes pour répondre à cet objectif ?
M. Michel Boutant, président. - À ce sujet, je me fais l'écho des réservistes de la gendarmerie, parmi lesquels se trouvent aussi ses retraités, qui seraient heureux de remplir un tel rôle.
Général Richard Lizurey. - Sans les 30 000 réservistes, qui sont engagés en moyenne 30 jours par an, la gendarmerie ne pourrait fonctionner. Les contraintes budgétaires de cette année conduisent cependant à diminuer l'empreinte au sol de nos réservistes. Alors qu'en 2017, 2 800 réservistes étaient engagés quotidiennement sur le terrain, ce chiffre devrait descendre cette année à 1 900 en 2018, soit une perte de 900 réservistes par jour. Nous nous plions à la régulation budgétaire, dont les conséquences sont réelles.
Il est possible de dégager du temps en faisant preuve d'intelligence locale : il faut que nos troupes soient capables d'adapter le contenu des circulaires nationales aux impératifs du terrain. Tout ne saurait être prioritaire ! Il est ainsi essentiel de redonner les clefs de la Maison au niveau local.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Y parvenez-vous, sans passer par des décrets de déconcentration ?
Général Richard Lizurey. - Depuis un an déjà, j'ai donné des directives allant dans ce sens. Je reçois régulièrement à ce sujet les commandants de compagnie, qui sont la cheville ouvrière en cette matière. C'est à eux qu'appartient ce choix missionnel en fonction du terrain. Ne pas conduire d'actions inutiles permet de gagner du temps. À cet égard, la disposition « feuille de route » promeut depuis 4 ans la simplification du fonctionnement des services, comme la suppression des comptes rendus permanents du type « compte-rendu : néant » ou encore la quête de renseignements, lorsque l'information existe dans les bases de données. Sur les 4 000 propositions émises par le terrain, 385 ont été retenues lors de l'élaboration de cette feuille de route, laquelle a diminué de 70 % l'« autoconsommation » des États-majors, c'est-à-dire les discussions purement internes sans effet réel. Les nouvelles technologies assurent également un gain de temps au quotidien : 70 000 tablettes et smartphones NéOGEND ont été distribués aux gendarmes l'année dernière. Grâce à cette technologie, il est désormais possible de contrôler, en quelques secondes, un individu grâce à la lecture de la bande MRZ des documents d'identité.
Ces divers gains de temps sont réinvestis dans le contact qui reste la mission stratégique permettant de recréer du lien, d'obtenir du renseignement et d'assurer la prévention. De cette manière, la Gendarmerie répond à sa vocation de service public.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La réforme annoncée de la procédure pénale vous paraît-elle propice au dégagement de temps supplémentaire dont pourrait bénéficier l'opérationnel ? Est-elle à la hauteur de vos espérances ou pensez-vous possible de mieux faire ?
Général Richard Lizurey. - Je pense qu'on peut mieux faire et j'associe systématiquement les instances de concertation à toutes les réflexions sur l'évolution sur notre arme. L'oralisation des procédures me semble aller dans le bon sens et permettre de gagner du temps, même si j'entends qu'il y a des difficultés techniques, psychologiques ou juridiques. Nous sommes par ailleurs passés à une habilitation OPJ unique en début de carrière. Conférer une compétence nationale à l'officier de police judiciaire permettrait de réduire encore la complexité. La gendarmerie a également proposé que les agents de police judiciaire reçoivent une compétence générale en matière de mesures non coercitives, afin d'étaler la charge de travail, pour le moment assumée uniquement par les officiers de police judiciaire.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sur les trois cent propositions que vous avez formulées, seules trente semblent avoir été retenues !
Général Richard Lizurey. - C'est le principe même du dialogue interministériel, mais nous ne désespérons pas pour autant ! Ces 300 propositions répondaient aux situations locales. Si cette prochaine loi de simplification prévaut pour l'ensemble du territoire national, la politique pénale est conduite localement. C'est là un réel problème. Alors que nous disposons d'un logiciel de procédure validé par la Chancellerie, certains magistrats locaux peuvent émettre des doléances procédurales spécifiques. L'ensemble de nos propositions, que nous vous transmettront, entendent contribuer à la simplification et manifestent le souci d'une efficacité accrue.
La question immobilière est importante pour les personnels de la gendarmerie nationale, puisque les environnements de vie familiale et professionnelle sont confondus. Je tiens, à cet égard, à remercier les collectivités locales pour leur soutien et leurs opérations immobilières de construction ou de rénovation des casernes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Elles disposent de moins en moins de moyens !
Général Richard Lizurey. - Je les en remercie vraiment. À l'inverse du parc locatif, le parc domanial est en mauvais état, voire pire, comme à Nanterre, Satory ou encore Melun où un escadron a été dissout suite à l'état de ruine de son immeuble d'implantation !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel serait le coût nécessaire à la remise en état convenable de l'ensemble de votre parc immobilier ?
Général Richard Lizurey. - Le chiffrage précis vous sera communiqué dans les prochains jours. Un plan d'urgence immobilier a été mis en oeuvre depuis plusieurs années : en 2018, 105 millions d'euros de crédits devraient être engagés pour rénover 5 900 logements. Globalement, ce sont 5 000 logements qui sont rénovés annuellement grâce à ce plan. Depuis l'année dernière, 15 millions d'euros sont également consacrés à la sécurisation des casernes. Il est nécessaire que l'effort de rénovation du parc soit conduit dans la durée, afin de planifier la réalisation des programmes.
Ces dernières années, le remplacement annuel de près de 3 000 véhicules nous paraissait satisfaisant. Néanmoins, en raison de la régulation budgétaire intervenue cette année, seuls 1 700 véhicules ont été commandés. La flotte affectée en brigade représente un parc de 31 000 véhicules, avec une moyenne d'âge de plus de huit ans et un kilométrage moyen de 132 500 kilomètres. Les 3 000 véhicules remplacés annuellement permettent tout au plus de maintenir l'état de la flotte, sans pour autant la rajeunir.
M. Michel Boutant, président. - Les véhicules blindés nécessaires au rétablissement de l'ordre sont-ils exclus de ce calcul ?
Général Richard Lizurey. - Tout à fait ! Nos blindés ont parfois jusqu'à cinquante ans d'existence et sont encore opérationnels ! Il n'est ici question que des véhicules nécessaires aux déplacements opérationnels des brigades. J'espère que les 41 millions d'euros en crédits de paiement mis en réserve seront, en définitive, levés pour assurer la commande de mille véhicules supplémentaires.
Mme Brigitte Lherbier. - Je vous remercie d'être parmi nous. À Tourcoing qui relève d'une zone de police, la gendarmerie est intervenue pour calmer une émeute dans une zone urbaine prioritaire, en employant notamment avec succès un hélicoptère. Vous évoquiez dans votre propos l'oubli de l'humain par la gendarmerie, mais je ne l'ai jamais éprouvé en tant que tel. Du reste, la population loue la présence sur le terrain de gendarmes à la courtoisie reconnue. La vie en caserne peut également dissuader certains jeunes, tandis que d'autres la considèrent comme un avantage familial qui reste envié par d'autres professionnels des forces de l'ordre. Par ailleurs, je vous remercie de nous avoir informés de la diminution du nombre de réservistes de la gendarmerie employés sur le terrain, faute des ressources budgétaires suffisantes. Le moment n'est guère opportun pour une telle restriction !
Les personnels de la gendarmerie sont réellement compétents pour lutter contre la cybercriminalité. Aucune autre institution ne peut rivaliser avec elle dans ce domaine. Cependant, la gendarmerie ne communique pas suffisamment sur ce savoir-faire exceptionnel !
M. Dominique de Legge. - Je m'associe au témoignage de ma collègue pour avoir vécu des expériences similaires dans mon département d'Ille et Vilaine. Les militaires qui se suicident présentent-ils sinon un profil type, du moins des caractéristiques communes ? Quelle est la réalité des relations entre la gendarmerie et les magistrats, la réponse pénale ne semblant pas toujours en phase avec l'énergie déployée par vos personnels ? Quel est enfin l'impact de l'Opération sentinelle dans la sur-mobilisation de vos équipes ? Cette opération contribue-t-elle à cette lassitude constatée dans vos rangs ?
Général Richard Lizurey. - Ce manque d'humanité, que j'évoquais dans ma présentation liminaire, résultait d'une approche déshumanisée du service public. Même si le gendarme a su conserver son humanité, je souhaite qu'il puisse désormais l'exprimer davantage. C'est sur cette résurgence de la relation avec l'autre que s'appuie cette fonction contact qui est essentielle.
La caserne est parfois vécue comme une contrainte, mais elle permet une solidarité et une cohésion dans les moments difficiles. La force de l'institution résulte du collectif qui définit également notre ADN. Lorsque des familles sont en difficulté, il y a toujours un collègue proche qui offre ses services. Outre la place au sein d'un collectif qu'elle offre à l'individu, la caserne est d'une extrême importance pour l'État, puisqu'elle garantit la disponibilité des gendarmes en cas d'urgence, quelle que soit leur situation administrative. Que ce soit lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en 2001 ou lors de l'attentat d'Orly l'année passée, j'ai pu moi-même le constater cette disponibilité exceptionnelle. Vivre en caserne permet aux gendarmes en permission d'offrir leurs services et de servir, en définitive, la collectivité.
La baisse du nombre de réservistes déployés sur le terrain est dommageable à l'empreinte au sol globale de la gendarmerie.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien coûte un réserviste ? Cette économie semble concerner ceux qui coûtent le moins cher tout en assumant une tâche essentielle !
Général Richard Lizurey. - Les réservistes sont payés en fonction de leurs grades ; leur coût quotidien moyen, toutes catégories confondues, est de 100 euros par jour.
La cybercriminalité représente un enjeu d'avenir : la quasi-totalité des actes de délinquance devrait progressivement recourir à la technologie numérique. On peut, dès à présent, voler des véhicules sans effraction en entrant numériquement dans le calculateur ! Il sera possible, avec la domotique, de cambrioler demain un appartement avec un logiciel ! Tous les objets connectés du quotidien sont autant de sources de vulnérabilité, à l'instar des cartes bleues sans contact piratables sans aucune difficulté avec un terminal de paiement situé à proximité. La gendarmerie, en partenariat avec le groupe AXA, a organisé une opération de sensibilisation aux risques de l'internet auprès de plus d'1,2 million d'élèves de cours moyen deuxième année (CM2). La prévention passe par l'éducation des plus jeunes à ces menaces. Le recrutement de scientifiques comme officiers opérationnels, déjà mis en oeuvre par le passé, devrait être accru : un ingénieur peut ainsi assumer des fonctions de commandement et développer des applications numériques. Nos applications sont ainsi développées par des ingénieurs qui commandent des brigades. Je rends hommage à ces personnels, officiers et sous-officiers, qui contribuent à la performance de notre institution. Ce sont eux, et non des prestataires, qui ont développé NéoGEND !
M. Michel Boutant, président. - Les smartphones NéoGEND ont-ils la fonction téléphone ?
Général Richard Lizurey. - En effet, celle-ci fonctionne.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Vos homologues de la police nous ont indiqué qu'ils ne disposaient pas de cette fonction !
Général Richard Lizurey. - Ils disposent du même produit que nous. Le service des technologies et de l'information est commun à nos deux services. Les produits sortent des mêmes chaînes du Mans. C'est donc un choix de la police nationale.
M. Henri Leroy. - Je tiens à rendre hommage, tout comme l'a fait Mme Lherbier avant moi, au Général Hébrard qui est le père de NéoGEND.
Général Richard Lizurey. - Si je devais tenter de dresser un portrait type des gendarmes qui se suicident, je dirai qu'il s'agit d'abord probablement d'un gendarme départemental. Le taux de suicide est en effet beaucoup plus élevé en gendarmerie départementale qu'en gendarmerie mobile, où il y a une logique de cohésion plus forte, chacun étant à chaque instant sous les yeux du collectif. En gendarmerie départementale, on a tout d'abord une action quotidienne par patrouille de deux ou trois, souvent dans des conditions difficiles. L'importance de la charge missionnelle contribue parfois au passage à l'acte. Même lorsque celui-ci est explicable par des circonstances personnelles, on ne peut jamais totalement, selon moi, décorréler la motivation personnelle du contexte de service. En 2017, la quasi-totalité des dix-sept gendarmes qui se sont suicidés viennent de la gendarmerie départementale. C'est un vrai sujet. Je souhaite rendre à la brigade territoriale la noblesse qui est la sienne. Elle effectue le travail le plus difficile et le plus ingrat. Ce sont eux le point de contact et le réceptacle de toutes les récriminations et la misère humaine. Il y a un véritable effort à faire pour redonner aux brigadiers la noblesse du métier. Or, nos gendarmes demandent seulement d'avoir les moyens nécessaires pour leurs actions, par exemple des véhicules qui fonctionnent. C'est à moi de tout faire pour qu'ils les obtiennent.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On m'a fait part, il y a quelques temps, du fait qu'en fin d'année, les parcours des patrouilles étaient déterminés en fonction du carburant disponible.
Général Richard Lizurey. - Le carburant n'est plus une problématique aujourd'hui. En effet, j'ai débloqué une enveloppe de 2,2 millions d'euros supplémentaires pour ce poste de dépense. En revanche, nos gendarmes sont confrontés à des difficultés, en fin d'année, liées aux véhicules que l'on ne peut pas réparer. Ainsi, à partir de septembre, les véhicules en panne ou accidentés ne peuvent plus être remplacés.
Les relations avec les magistrats sont complexes et varient en fonction des unités. Les unités de recherche et de police judiciaire entretiennent de bonnes relations. En revanche, ces dernières sont un peu plus délicates avec les unités territoriales, qui ont parfois le sentiment d'investir beaucoup de temps dans les investigations, avec des résultats pénaux décevants. Je ne remets pas en cause les décisions judiciaires. Toutefois, je comprends que cela puisse ici ou là créer un sentiment de frustration pour nos gendarmes de voir à nouveau dans la rue, quelques jours à peine après leur passage devant le tribunal, des personnes qui ont fait l'objet d'une procédure longue et difficile.
Un autre point de frustration concerne les transfèrements. En effet, cette mission a été transférée à la pénitentiaire avec les ETP et les crédits correspondants. Or, dans de nombreux cas, on demande quand même aux gendarmes de l'assurer. J'ai donné la consigne de refuser les transfèrements indus, sauf bien entendu quand il s'agit de criminels de haut vol. Nous avons au quotidien des magistrats qui emploient des termes menaçants à l'égard des commandants de groupement ou de région, avec des termes discourtois, ce qui influe indéniablement sur le moral des troupes. On nous a enlevé les effectifs, et on nous demande quand même d'assurer cette mission ! Au final, la mission de transfèrement coûte aujourd'hui plus cher à l'État que ce qu'elle coûtait auparavant. Sur ce sujet, je défends mes personnels. Ce transfert est un échec collectif.
M. François Grosdidier, rapporteur. - L'administration pénitentiaire dispose-t-elle des moyens et des compétences pour assurer cette mission ?
Général Richard Lizurey. - Elle a fait des efforts importants. Des audits ont été menés, avec des propositions pour procéder à une réorganisation en interne. Mais je ne suis pas assez connaisseur de l'administration pénitentiaire pour pouvoir dire où se trouvent les marges de progression.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Je connais des gendarmes qui continuent à être sollicités quasiment au quotidien pour intervenir en centre pénitencier, alors que les missions demandées devraient être accomplies par l'administration pénitentiaire.
Général Richard Lizurey. - Il est toutefois de notre mission d'intervenir en cas de troubles. Nous l'avons d'ailleurs vu lors des évènements intervenus dans les prisons le mois dernier. Ce n'est pas là qu'est la critique majeure des gendarmes. Dans les situations d'urgence, bien évidemment, il y a une solidarité avec les collègues de l'administration pénitentiaire.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Je parle de sollicitations hebdomadaires, voire quasi quotidiennes.
Général Richard Lizurey. - Je n'ai pas de remontées du terrain en ce sens.
Vous m'avez interrogé sur les conséquences de l'opération Sentinelle sur notre mobilisation. Il est vrai que nos escadrons de gendarmeries mobiles sont actuellement suremployés : 21 escadrons sur 109 sont en permanence en outre-mer, soit un cinquième des effectifs globaux. Mais, si l'on considère que le nombre d'escadrons disponibles est plutôt de 61 en moyenne, cela signifie qu'un tiers de mes escadrons disponibles sont déployés outre-mer. Les évènements à Mayotte font que le nombre d'escadrons déployés en outre-mer va passer à 23. Nous sommes également mobilisés sur Notre-Dame-des-Landes, Bure, ou encore pour la lutte contre l'immigration irrégulière. Depuis deux ans, je n'ai plus d'escadrons de renfort pour les missions de sécurité publique générale.
M. Michel Boutant, président. - Avez-vous reconstitué certains des escadrons dissous ?
Général Richard Lizurey. - 15 avaient été dissous. Nous en avons reconstitué un seul, à Rosny-sous-Bois. Nous avons ainsi un déficit de 14 escadrons. Cette situation conduit à l'annulation de stages de formation. Ainsi, l'année dernière, à peine 84% des escadrons ont pu bénéficier d'une semaine de formation. Or, une semaine c'est pourtant court. La tension opérationnelle est très forte. Mais, l'opération sentinelle n'occupe que 8 à 10% de nos effectifs, principalement à Paris et dans les grandes métropoles.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Une création de 2 500 postes a été annoncée pour la gendarmerie. Comment vont-ils être répartis ?
Général Richard Lizurey. - Je souhaite donner la priorité aux unités territoriales. Une partie sera par ailleurs destinée aux écoles de formation. En effet, à l'heure actuelle, pour répondre aux besoins de formation, nous devons détacher des membres des unités territoriales. Je souhaite limiter les détachements afin de ne pas pénaliser les effectifs des unités territoriales. Une autre partie sera également consacrée au soutien, qui a beaucoup souffert ces dernières années. Il n'est pas prévu d'augmenter les effectifs des gendarmes mobiles. En effet, si l'on veut récréer des escadrons, il faut une caserne. Aujourd'hui, il n'y a pas de caserne disponible. La construction d'une caserne prend trois ans.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a pourtant de nombreuses casernes désaffectées.
Général Richard Lizurey. - Tout dépend de l'état de ces casernes. Ainsi, la rénovation de la caserne de Dijon a coûté 15 millions d'euros.
M. Michel Boutant, président. - Les anciennes casernes ont-elles été vendues ?
Général Richard Lizurey. - Nous avons rétrocédé celle de Carcassonne à la commune. À Melun, l'immeuble menaçait ruine. Il faut savoir que de nombreuses casernes étaient dans un état déplorable. La seule caserne disponible et réutilisable était celle de Rosny-sous-Bois.
Mme Brigitte Lherbier. - Dans le Nord, le conseil départemental est le propriétaire de la caserne, et fait payer un loyer lourd.
Général Richard Lizurey. - L'avantage des casernes que l'on loue est qu'elles sont bien entretenues. Le casernement domanial est celui dans le plus mauvais état.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je souhaite que vous reveniez sur le recrutement et la formation initiale. L'une des grandes richesses de cette ressource humaine est sa grande capacité d'adaptation, dans un monde changeant très rapidement. Il faut ainsi conserver un recrutement large, avec des expériences humaines et des formations initiales importantes.
J'ai été confrontée, alors que j'étais élue locale, à un suicide dans une brigade départementale. Quel sont les dispositifs d'accompagnement qui sont mis en place ? J'avais ressenti la détresse des gendarmes pour affronter cette situation. Il y a en outre un engrenage du fait de cet évènement, qui touche humainement les personnels, qui entraîne de surcroît une baisse d'effectifs, avec des répercussions sur la vie de famille. La situation peut très vite se détériorer.
Nous avons évoqué les problèmes matériels auxquels sont confrontés les gendarmes, en matière de carburant, de véhicules. Or, les communautés de brigade sont de plus en plus grandes, et l'on constate un turn-over important. Comment trouver le juste milieu entre rester suffisamment longtemps pour connaître le territoire et conserver l'impartialité nécessaire ? Enfin, les brigades départementales ont des activités compliquées au quotidien. J'ai ainsi le sentiment d'un certain malaise.
M. Philippe Dominati. - L'un des points majeurs est le logement. Parmi les forces de sécurité, les policiers ne bénéficient pas de logement, alors que les gendarmes, qui sont des militaires, bénéficient d'un logement. Or, la directive « temps de travail » entre en contradiction avec la disponibilité 24h/24 et 7 jours sur 7 des gendarmes. Assiste-t-on ainsi à une modification des conditions de travail entraînant un déséquilibre des statuts entre policiers et gendarmes ?
À vous entendre, et je reconnais là la réserve dont fait toujours preuve la gendarmerie, on a l'impression que la gendarmerie n'est pas confrontée à des problèmes majeurs. En effet, vous nous avez dit qu'un effort avait été fait en termes de logement et que la situation des véhicules s'améliorait. Or budgétairement, cela ne se traduit pas dans les chiffres. Doit-on en conclure, dans le cadre de notre commission d'enquête, qu'à part un spleen de temps en temps, il n'y a pas de difficultés majeures pour la gendarmerie ? Y a-t-il eu un effet miroir entre la police et la gendarmerie, ou la gendarmerie a-t-elle été préservée ces dernières années ? En tant que numéro un de la gendarmerie nationale, pensez-vous qu'il y a un malaise, que la situation s'est dégradée ? Par exemple, en ce qui concerne le matériel, y a-t-il eu un vieillissement, un statut quo ou un rajeunissement de ce dernier ?
Mme Brigitte Lherbier. - Par exemple, des magistrats nous disent très concrètement ne plus avoir les moyens de payer le loyer du tribunal. En est-il de même pour la gendarmerie ?
Général Richard Lizurey. - La formation initiale est l'une des forces de notre corps. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour le maintien de la formation dans le giron militaire. L'ADN militaire est à délivrer tout au long de cette formation initiale. La loi qui a transféré la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur a ainsi pris soin de laisser la formation initiale au ministère des Armées.
Il existe des dispositifs d'accompagnement important pour les suicides. Ainsi, le commandement s'implique immédiatement auprès de la famille de la personne décédée et auprès de l'ensemble du personnel. Un psychologue intervient également au sein de la brigade pour aider face à ce choc collectif, et auprès de la famille. Outre cette prise en compte immédiate, il y a également une prise en compte dans la durée. Ainsi, nous avons procédé à des mutations pour des personnes ne supportant pas de rester dans une brigade où l'un de ses collègues s'était suicidé.
Je me suis certainement mal exprimé en ce qui concerne les moyens. Nous avons eu 3 000 véhicules neufs chaque année en 2015, 2016 et 2017. Cette année, il n'y en aura pas 3 000, c'est un fait. Ils sont à mettre au regard des 24 000 voitures environ dont nous disposons. Nos véhicules sont ainsi renouvelés tous les 8 ans, ce qui permet le maintien, mais pas le rajeunissement du parc.
M. Michel Boutant, président. - Qu'en est-il des 7 000 autres véhicules ?
Général Richard Lizurey. - Il s'agit de deux roues, des véhicules de la gendarmerie mobile, des utilitaires ou encore des bus. Pour les véhicules de la gendarmerie mobile, nous travaillons sur un programme. Pour le moment ils vieillissent au fil de l'eau, comme les blindés. Ils sont utilisés au maximum et renouvelés ensuite de manière concomitante lors de la mise en place d'un nouveau programme.
Pour l'immobilier, il y a eu une amélioration, mais les efforts restent insuffisants. Selon moi, il y n'a pas de malaise général au sein de la gendarmerie nationale. Il y a des interrogations ou parfois un malaise ici ou là en raison d'un manque de moyens, mais il ne s'exprime pas de la même façon que dans la police nationale. Les gendarmes me font remonter leurs doléances par le biais de la concertation. En termes de moyens par exemple, je n'ai pas suffisamment de gilets pare-balles pour équiper tous mes réservistes. L'asymétrie entre la mission à effectuer et les moyens qui y sont consacrés conduit ici ou là à des expressions de malaise. Il peut y avoir des interrogations et une inquiétude au sein des brigades territoriales, car elles sont en première ligne dans la mission de sécurité publique. C'est bien d'abord pour ces brigades que j'ai besoin de véhicules, de moyens informatiques et de moyens de protection. Or, le contexte actuel ne permet pas de leur donner tous les moyens de leurs missions.
Ainsi, si l'expression « malaise global » me semble excessive, en revanche, il y a ici ou là des interrogations, des incompréhensions, parfois des revendications légitimes. Il faut les reconnaître.
M. Philippe Dominati. - Le malaise est-il uniquement matériel ? Y-a-t-il un problème moral, de commandement ?
Général Richard Lizurey. - Il est clair qu'il y a un problème matériel. Le CFMG a dû vous le dire. Ses membres me le disent également. Ils ressentent de manière négative le fait de ne pas avoir des moyens suffisants pour leurs missions. En revanche, les relations avec le commandement se sont améliorées. Il y a une cohésion dans l'institution qui transcende les corps. Trois quart des officiers viennent du corps des sous-officiers. Cette cohésion globale est un antidote face à des difficultés opérationnelles réelles. L'essentiel est donc l'aspect matériel. Mais c'est aussi la reconnaissance. J'évoquais le protocole du 11 Avril. Pour nous, c'est un élément déterminant pour la confiance du gendarme. J'ai vécu sur le terrain les revendications de 2001. Le gendarme n'a pas l'habitude du combat syndical. Il raisonne en fonction de la parole donnée. Si cette dernière n'est pas tenue, cela décrédibilise celui qui l'a donnée. En outre, il n'y a pas de demi-mesure. On passe alors très rapidement en zone rouge.
M. Philippe Dominati. - Y-a-t-il un risque important si le Gouvernement ne respecte pas le protocole signé par le précédent gouvernement ?
Général Richard Lizurey. -
Bien sûr. J'ai défendu à la fin de l'année
dernière en réunion interministérielle le taux
« promu-promouvable » dans le cadre de l'avancement, car
des engagements ont été pris par l'État. Pour le gendarme,
c'est un ministre qui l'a signé
- peu importe de quel gouvernement.
Il y a un sens à la parole donnée.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Ma question portait sur la gestion des sous-effectifs et du renouvellement. Comment cela se passe-t-il ? Quand une communauté de brigade est confrontée à un suicide, est-elle prioritaire en termes de renouvellement ? Ces gendarmes ont parfois l'impression d'être laissés pour compte.
Général Richard Lizurey. - En l'absence de volontaire pour venir, le remplacement du personnel se fait en fonction des sorties d'école suivantes. Outre les suicides, les départs à la retraite par exemple font également l'objet d'un programme de remplacement en fonction des sorties. Il peut ainsi y avoir un delta, mais qui dure de deux-trois mois.
Le gendarme travaille un peu plus de 8 heures par jour, et a une astreinte de 11 heures. Au final, malgré l'application de la directive « temps de travail », nous restons très compétitifs sur l'année. Cela compense l'avantage en nature que représente selon certains le logement. La disponibilité du gendarme, malgré les 11 heures de repos compensé, continue de justifier ce logement.
Pendant la discussion budgétaire, j'ai été amené à évoquer notre dette de 89 millions d'euros. Dans le cadre d'un dispositif de surendettement, nous rembourserons, en 2018, 13 millions d'euros. Cette dette s'explique notamment par le fait que les loyers étaient gagés sur la mise en réserve de l'année dernière. Or, 100 millions d'euros de cette réserve ont été gelés. Il faut savoir que ces 13 millions d'euros s'imputent sur nos frais de fonctionnement.
M. Henri Leroy. - La police de sécurité du quotidien n'est pas un problème pour le gendarme. La proximité est dans son ADN. D'ailleurs, cette réforme a été anticipée par la mise en place des brigades de contact.
En outre, je constate que depuis que la direction nationale de la gendarmerie nationale est dirigée par quelqu'un issu de ses rangs, après avoir été dirigée par des hauts magistrats, elle ne s'est jamais aussi bien portée.
L'un des problèmes à venir du fait de la directive « temps de travail » est qu'elle va à contrepied de l'effort de renforcement des effectifs. Sa mise en application partielle ou totale va vous amputer de 6 000 ETP. Or, le gouvernement a annoncé un renforcement de 10 000 ETP, répartis entre 2 500 pour la gendarmerie nationale et 7 500 pour la police nationale. Cette annonce ne va pas permettre de combler le déficit produit par l'application de la directive. Aussi, en 2020-2021, vous serez dans la même situation qu'actuellement, voire dans une situation pire.
Général Richard Lizurey. - La directive « temps de travail » entraîne une diminution de nos effectifs. L'annonce des 2 500 ETP ne va pas compenser cette baisse capacitaire. Ainsi, en 2022, on en sera au niveau d'avant la RGPP. En effet, la RGPP a entraîné une diminution de 6 200 personnes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - N'y avait-il pas eu une augmentation des effectifs auparavant ?
Général Richard Lizurey. - On a perdu avec la RGPP ce que l'on avait gagné avec la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Il y a également un sentiment d'inégalité dans la répartition qui a été annoncée entre la police et la gendarmerie, pour cette hausse d'effectifs. Cette répartition 2500/7500 n'est pas documentée. Le CFMG le rappelle régulièrement.
M. François Grosdidier, rapporteur. - L'avenir des retraites agit-il sur le moral des gendarmes ?
Général Richard Lizurey. - La question des retraites est généralement la première que l'on me pose lorsque je me rends dans une brigade. Il y a un aspect à la fois objectif - car c'est un vrai sujet - mais aussi irrationnel. En effet, ceux qui me posent la question souvent sont des personnels âgés, et ne seront pas certainement pas concernés. On connait la manière dont se font ces évolutions. Généralement, il n'y a pas de modifications pour les personnes à moins de cinq ans de la retraite.
M. Delevoye a reçu un certain nombre d'organisations syndicales. En revanche, il n'a pas reçu, à ce stade, le conseil supérieur de la fonction militaire. Ce dernier s'en est fait l'écho auprès du ministère des Armées. Nos personnels sont chagrinés par le fait qu'on ne les entende, ni ne les écoute sur ce sujet.
M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie, mon Général, pour l'ensemble de ces informations.
La réunion est close à 17 h 40.