Mercredi 21 mars 2018
- Présidence de M. Michel Forissier, président d'âge -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Réunion constitutive
M. Michel Forissier, président d'âge. - En ma qualité de président d'âge, il me revient de présider la réunion constitutive de notre mission commune d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés. Mon rôle sera de courte durée puisque je cèderai ma place au président de cette mission dès qu'il aura été élu.
Je vous rappelle que cette mission a été créée en application du droit de tirage des groupes, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. C'est le groupe La République En Marche qui en a formulé la demande lors de la Conférence des présidents du 21 février dernier. A titre personnel, j'ai souhaité en faire partie : j'ai travaillé avec Dominique Perben, alors garde des sceaux, sur le concept d'établissement pénitentiaire pour mineurs et en ai créé un dans ma commune.
Les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, lors de la séance publique du 14 mars dernier. Nous devons aujourd'hui désigner le président de la mission. J'ai reçu la candidature de notre collègue Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle est désignée présidente de la mission d'information.
- Présidence de Mme Catherine Troendle, présidente -
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie de la confiance que vous m'accordez pour présider notre mission commune d'information.
Avant de vous donner quelques indications sur le déroulement de nos travaux, je vous propose de procéder à la désignation des membres du Bureau de la mission, en commençant par son rapporteur.
Le groupe La République En Marche, qui est à l'origine de la mission, propose le nom de notre collègue Michel Amiel, sénateur des Bouches-du-Rhône.
Comme l'indique l'article 6 bis du Règlement du Sénat, « lorsque le groupe à l'origine de la demande de création d'une mission d'information sollicite la fonction de rapporteur pour l'un de ses membres, elle est de droit s'il le souhaite ».
M. Michel Amiel est désigné rapporteur.
Notre collègue Michel Amiel est malheureusement retenu à l'hôpital, mais sera de retour parmi nous la semaine prochaine et tenait à ne pas retarder cette réunion constitutive. Dans quelques instants, je vous présenterai, en son nom, les grandes orientations qu'il souhaite donner aux travaux de la mission puis vous pourrez faire part de vos remarques et suggestions, qui lui seront retransmises fidèlement.
Auparavant, il nous reste, pour constituer le bureau, à désigner les vice-présidents de notre mission commune. Conformément à l'usage, les deux groupes ayant les effectifs les plus importants ont droit, chacun, à deux représentants au sein du bureau et chaque autre groupe a droit à un représentant. J'ai été saisie des candidatures de M. Michel Forissier, pour le groupe Les Républicains, de Mmes Laurence Rossignol et Catherine Conconne pour le groupe socialiste, de Mme Françoise Gatel pour le groupe de l'Union centriste, de Mme Josiane Costes pour le groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE), de Mme Eliane Assassi pour le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), de M. Daniel Chasseing pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires.
Le bureau est ainsi constitué.
J'en viens à quelques informations pratiques sur l'organisation de nos travaux.
Le rapporteur et moi-même envisageons une adoption du rapport dans le courant du mois de juillet, ce qui supposera de procéder à nos auditions et à nos déplacements à un rythme assez soutenu.
Les auditions auront lieu les mardis et mercredis après-midis, mais aussi certains jeudis. Nous privilégierons les lundis et les vendredis pour l'organisation de nos déplacements. Il me paraît indispensable que nous allions étudier, sur le terrain, les différentes structures de détention ou d'enfermement des mineurs et que nous allions à la rencontre des personnels qui les font vivre.
Vous serez bien sûr destinataire chaque semaine d'une convocation, envoyée par courrier électronique, récapitulant les auditions prévues la semaine suivante. Un calendrier prévisionnel vous sera également régulièrement adressé.
Je réunirai très prochainement les membres du bureau pour une réunion qui nous permettra d'affiner nos pistes de travail, ainsi que notre liste d'auditions et les déplacements envisagés.
Dès à présent, je souhaite partager avec vous les principales orientations et pistes de réflexion de notre rapporteur.
Concernant tout d'abord la délimitation du sujet, vous avez noté que l'intitulé de la mission fait référence aux « mineurs enfermés ». Le champ de notre étude sera donc plus large que celui des seuls mineurs détenus. Il englobera aussi les mineurs placés dans un centre éducatif fermé ou dans un centre éducatif renforcé, ainsi que les mineurs enfermés dans des unités psychiatriques.
À cet égard, notre rapporteur est sensible aux réflexions du philosophe Michel Foucault qui estimait que l'enfermement sanctionnait moins l'infraction à une loi que, plus largement, une irrégularité de comportement, une déviance, un écart, avec l'objectif de surveiller et de contrôler mais aussi de transformer les comportements individuels. Je le suis aussi.
C'est la réinsertion de ces mineurs enfermés qui sera au coeur de nos préoccupations, c'est-à-dire leur capacité à retrouver une place dans la société et à mener leur vie de façon autonome, ce qui supposera, dans bien des cas, de repasser par l'étape « formation » avant d'envisager une insertion professionnelle.
S'agissant des grandes étapes de notre travail, le rapporteur suggère d'établir d'abord un état des lieux de l'enfermement des mineurs : combien de mineurs sont-ils enfermés ? Pour quelle durée et pour quel motif ? Quel est leur profil ?
Le rapport rappellera quelles sont les règles juridiques qui gouvernent le placement en détention d'un mineur ou l'internement d'office. Il s'intéressera, notamment, à l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs et envisagera les éventuelles modifications à y apporter.
Il ne faudra pas négliger l'aspect financier dans notre analyse : les établissements pénitentiaires pour mineurs, les centres éducatifs fermés, pour ne prendre que ces deux exemples, ont des coûts de fonctionnement élevés, qu'il faudra mettre en regard des résultats obtenus en matière de réinsertion.
Le rapport pourrait ensuite procéder à l'analyse des actions mises en place pendant que les jeunes sont enfermés dans le but de préparer leur réinsertion : actions éducatives et formation professionnelle, en tenant compte de la différence de situation entre les jeunes encore soumis à l'obligation scolaire et ceux âgés de plus de seize ans ; travail en prison ; insertion par le sport et la culture ; prise en charge sanitaire et psychologique ; maintien ou rétablissement des liens avec l'entourage familial ; etc.
Puis il conviendra d'examiner quel suivi, quel accompagnement sont assurés à l'issue de l'enfermement. Le risque de récidive ou de rechute diminue si le jeune n'est pas livré à lui-même à sa sortie. Quel suivi socio-judiciaire ? Quelles perspectives de retour dans le système scolaire classique ou d'entrée en apprentissage ? Quel accompagnement vers l'emploi ? Telles sont les questions que nous devrons nous poser.
Notre objectif sera bien sûr de formuler des propositions concrètes et opérationnelles visant à améliorer les chances de réinsertion des mineurs enfermés.
Concernant les auditions, le rapporteur suggère d'entendre rapidement trois personnalités qui pourraient nous apporter une vision d'ensemble du sujet : la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan ; la Défenseure des enfants, Mme Geneviève Avenard ; et Mme Christine Lazerges, qui préside la Commission nationale consultative des droits de l'homme et qui est une ancienne universitaire, spécialiste du droit pénal des mineurs.
Plusieurs représentants d'administration devront être entendus, au premier chef la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et la direction de l'administration pénitentiaire, ainsi que la direction générale de l'offre de soins pour le volet prise en charge psychiatrique. Il serait également utile d'entendre la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) et la direction générale de la cohésion sociale.
Concernant les collectivités territoriales, l'audition d'un représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF) paraît s'imposer afin d'examiner le rôle que peuvent jouer les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE).
Il nous faudra naturellement rencontrer des acteurs de terrain, tels que des juges des enfants, des médecins psychiatres, des associations afin de bénéficier de leur retour d'expérience. Certaines associations sont spécialisées dans le travail de réinsertion des détenus, je pense par exemple à la Fédération Citoyens et Justice ou à Justice 2e chance, ou encore à l'Uniopss, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux qui regroupe de nombreux intervenants dans le domaine du travail social.
Enfin, l'apport de chercheurs, d'universitaires, pourrait nourrir notre réflexion. Dans le temps qui nous est imparti, nous pourrions donc entendre quelques criminologues, sociologues ou philosophes.
Je vais maintenant vous céder la parole, chers collègues, afin que vous puissiez nous faire part de vos observations, qui seront retranscrites dans le compte-rendu de cette réunion, ce qui permettra à notre rapporteur d'en prendre rapidement connaissance.
M. Jacques Bigot. - On sait que la volonté de la garde des sceaux est de créer rapidement de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF). Sachant que certains de ces centres sont gérés par le privé, d'autres par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), il est bon de s'assurer que la mission de réinsertion qui leur est assignée est bien assurée, et d'organiser certaines visites sur place.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous nous sommes donné une date butoir en juillet et ferons donc rapidement de telles visites, qui nous donneront éventuellement l'occasion de faire remonter certaines observations à la garde des sceaux.
M. Michel Forissier. - Comme je l'ai dit, il existe un établissement pénitentiaire pour mineurs sur ma commune de Meyzieu. J'engage à y organiser une visite, pour voir quel soutien une mairie peut apporter à ce type d'établissement. Alors que les maires rechignent souvent à l'installation de tels établissements sur leur commune, c'est moi, au cas présent, qui l'ai voulu et proposé à la population. J'estime que mon rôle social de maire est de considérer les détenus comme les autres habitants de la commune et de les faire bénéficier, pour préparer leur sortie, des équipements dont dispose la commune. L'Education nationale, la PJJ et l'administration pénitentiaire collaborent au sein de ces établissements : la commune se doit d'apporter ce qu'elle peut, et l'on constate que lorsqu'elle le fait, cela évite bien des incidents.
Un problème, cependant, tient au fait que ces mineurs sont condamnés à de très courtes peines : un suivi après la sortie est donc indispensable, mais il est difficile, faute de moyens.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - En Allemagne, l'accompagnement en vue d'une réinsertion débute dès le premier jour de l'incarcération. C'est ce qui pêche chez nous.
Mme Michelle Meunier. - A Nantes, j'ai visité un établissement pour mineurs, dont les enseignants ont insisté sur l'importance d'une continuité dans le parcours éducatif. J'y ai également entendu s'exprimer des interrogations sur le sens de la sanction, souvent très courte. Se pose également la question de la mixité dans ces établissements fermés - à Nantes l'établissement n'accueille que des garçons.
M. Michel Forissier. - Ces établissements sont généralement mixtes.
Mme Michelle Meunier. - L'ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a un avis tranché sur la question : il est favorable à la non-mixité. Il serait intéressant de l'entendre.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - En effet.
Mme Michelle Meunier. - J'ajoute, pour finir, que la Loire-Atlantique projette la création d'un centre éducatif fermé, ce qui redouble mon intérêt pour cette mission.
Mme Laurence Rossignol. - Le périmètre de notre mission comporte deux volets : enfermement et réinsertion. Sur le premier, nous devrons faire un état des lieux, ce qui n'apparaît pas dans l'intitulé.
Il est bon d'entendre l'administration centrale mais aussi, à égalité, les praticiens.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Bien sûr.
Mme Laurence Rossignol. - Nous avons peu de temps : la méthode des tables rondes pluridisciplinaires ne serait-elle pas une solution, qui présente l'autre avantage de décloisonner : le drame, dans ces métiers, est que chacun reste dans son « couloir de nage ».
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous entends.
M. Daniel Chasseing. - Ma commune abrite un centre éducatif fermé pour les 16-18 ans. Nous y collaborons, avec les artisans, pour faire découvrir le travail et les métiers. A 18 ans, il faudrait que chacun de ces jeunes sorte avec un projet. De tels centres ont besoin de plus d'accompagnement pour proposer une découverte des métiers, c'est ma première observation, que j'assortis d'une question : comment continuer à suivre ces jeunes après leur sortie ?
Mme Josiane Costes. - Dans mon rapport pour avis sur le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai insisté sur les centres éducatifs fermés. La question de la mixité a été évoquée : certains directeurs s'y déclarent favorables, d'autres estiment qu'elle est ingérable. Une autre difficulté tient à la situation géographique. A Doudeville, en Normandie, le CEF accueille des jeunes filles venues du sud de la France, d'où une rupture du lien familial qui peut poser problème.
Il faudra aussi s'interroger sur la formation professionnelle, propre à orienter ces jeunes vers une voie d'avenir. On constate que le dépaysement, en milieu rural, de jeunes issus des quartiers difficiles, le contact avec les animaux, leur est très favorable. Mais le suivi, après la sortie, reste encore insuffisant, faute de moyens, si bien que malgré les efforts, la récidive persiste.
Mme Éliane Assassi. - Je me réjouis de la création de cette mission d'information, tant il y a à faire sur le sujet. Les jeunes qui sont enfermés ont aussi des droits : il serait bon de prévoir une audition du Défenseur des droits.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous avons prévu d'entendre la Défenseure des enfants, Mme Geneviève Avenard, qui travaille aux côtés du Défenseur des droits.
Mme Françoise Gatel. - Je souscris à la proposition de Mme Rossignol : confronter les points de vue autour d'une table ronde enrichit la réflexion.
Il faut attacher la plus grande importance à la réinsertion et à la mesure de sa réussite. Dispose-t-on de chiffres en la matière ? La réinsertion est souvent difficile, tant sont lourdes, parfois, les carences éducatives et familiales.
M. Daniel Chasseing. - Comme médecin, dans le centre dont j'ai parlé, où j'ai constaté que beaucoup de cannabis circulait, je n'ai pas le droit de faire doser les urines, pour savoir si un jeune en a consommé. Ce serait pourtant une première étape nécessaire pour faire évoluer les comportements.
Mme Véronique Guillotin. - Pourquoi n'avez-vous pas le droit ?
M. Daniel Chasseing. - Il faut l'accord du mineur.
Mme Laurence Rossignol. - C'est le cas général : pour doser un taux de glycémie ou de cholestérol, il faut l'accord du patient.
M. Daniel Chasseing. - Il n'est pas question de cholestérol ici !
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Vous avez raison, nous prendrons en considération cette problématique comportementale et ferons le point sur les règles applicables.
Mme Jocelyne Guidez. - On arrive, dans le cadre du service militaire volontaire, à remettre à niveau des jeunes déscolarisés, avec 72 % de réussite. Ne faudrait-il pas s'en inspirer ?
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Absolument. En matière de réinsertion, il y a beaucoup de dispositifs à explorer. je pense à la Garde nationale, au volontariat chez les sapeurs-pompiers. Il ne faut en négliger aucune.
M. Jacques Bigot. - Ne devrions-nous pas entendre les services de police et de gendarmerie ? Souvent, ces mineurs sont issus des quartiers de la politique de la ville. Quand ils reviennent dans leur quartier, la question de leur réinsertion se pose. Or, ni les autorités locales ni les services de police n'en sont informés. Il serait intéressant d'organiser une table ronde lors de l'un de nos déplacements, pour réunir les acteurs autour de cette thématique.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je suis une adepte de cette façon de faire, y compris localement.
M. Michel Forissier. - Il ne faut pas perdre de vue les différences entre les tranches d'âge : on parle ici de mineurs entre 13 et 18 ans, qui n'appellent pas tous le même traitement. La question psychiatrique vient se surajouter : l'accompagnement doit être d'autant plus personnalisé. Cela aide à décider, par exemple, si la réinsertion dans le quartier est possible, ou si elle est, au contraire, à éviter.
Pour avoir participé aux travaux qui ont présidé à la création des établissements pénitentiaires pour mineurs, j'indique qu'était prévu un quartier pour les filles, mais il n'en va pas de même pour les CEF. Il reste que l'administration pénitentiaire, interégionale, reste trop cloisonnée, et même lorsque les services déconcentrés appliquent des directives nationales, on y trouve bien des divergences. Ceci pour dire qu'il faudrait mettre beaucoup d'huile dans les rouages.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Les détenus atteints de troubles psychiatriques peuvent être contraints à un suivi.
Mme Brigitte Micouleau. - Vous pensez aux unités hospitalières spécialement aménagées ?
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Non, plutôt à ces structures externalisées que sont les centres médico-psychiatriques. Il en existe un peu partout, et ce serait peut-être un moyen de prendre en charge les jeunes en difficulté à leur sortie.
Mme Corinne Imbert. - Nous sommes un certain nombre à avoir travaillé, avec Michel Amiel, qui en était le rapporteur, au sein de la mission sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France. Sans doute y a-t-il des éléments que nous pourrons reprendre ici.
Une question sur les auditions : envisagez-vous d'entendre des représentants de l'Education nationale ?
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Bien sûr. Plusieurs ici ont évoqué le rôle central des enseignants.
La réunion est close à 14h25.