- Mercredi 23 mai 2018
- Utilisation et ouverture des données et des algorithmes en matière fiscale - Audition commune de MM. Antoine BOZIO, directeur de l'Institut des politiques publiques, Yannick Girault, directeur du service « Cap numérique » à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Jean Lessi, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC)
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017 - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics
- Jeudi 24 mai 2018
Mercredi 23 mai 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 10 h 45.
Utilisation et ouverture des données et des algorithmes en matière fiscale - Audition commune de MM. Antoine BOZIO, directeur de l'Institut des politiques publiques, Yannick Girault, directeur du service « Cap numérique » à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Jean Lessi, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC)
M. Vincent Éblé, président. - Au cours de nos travaux législatifs ou de contrôle, nous sommes très souvent amenés à demander des données ou des simulations aux services ministériels, particulièrement en matière fiscale. Nous rencontrons parfois des difficultés pour les obtenir et il n'est pas toujours aisé de comprendre pourquoi tel ministère ne peut pas procéder à la simulation des effets d'un amendement ou d'une réforme proposée, ou pourquoi les données dont dispose l'administration fiscale ne permettent pas de répondre à nos questions.
C'est pourquoi, en lien avec le Rapporteur général, particulièrement concerné par ces problématiques fiscales, il m'a semblé utile d'aborder ce matin, sous la forme d'une table ronde, la question des données et algorithmes en matière fiscale. Il s'agit d'abord de comprendre comment travaille aujourd'hui le Gouvernement et les administrations placées sous son autorité : de quelles données ces administrations disposent, comment elles sont administrées, quels sont les traitements automatisés de données de masse qui ont déjà été mis en place.
Il ne s'agit pas seulement de faire un constat mais également d'envisager les modalités d'une éventuelle ouverture accrue de ces nouveaux outils numériques, comme y appellent de nombreux acteurs du débat public.
J'ai moi-même déposé plusieurs amendements à l'automne dernier pour que davantage de données fiscales soient publiées sur la plateforme d'open data par le Gouvernement et pour que le code source de tous les impôts soit mis à la disposition du public - dans la continuité des dispositions de la loi pour une République numérique. Nous souhaitons que ces informations nous soient fournies lors de la présentation du projet de loi de finances. L'ouverture du code source n'a pas prospéré, le Gouvernement s'y étant opposé à l'Assemblée nationale sans beaucoup d'explications.
Pourtant, l'ouverture des données et des algorithmes fiscaux permettrait de rénover l'expertise du Parlement sur l'impôt, de travailler de façon plus efficace et de légiférer en toute connaissance de cause. À l'heure où la réforme institutionnelle proposée par le Gouvernement met l'accent sur l'accélération du temps parlementaire sans répondre aux difficultés que le Parlement rencontre pour exercer pleinement son rôle, cette inflexion serait de bon sens.
Le sujet appelle aussi une grande vigilance sur le respect du secret fiscal : les données fiscales sont des données sensibles, et la politique d'ouverture des données ne doit pas conduire à méconnaître le droit au respect de la vie privée.
Nous avons donc le plaisir de recevoir ce matin Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d'information et de communication (Dinsic), Yannick Girault, directeur du service à compétence nationale « Cap numérique » qui pilote l'action de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) en matière numérique, Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP) et enfin Jean Lessi, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Pour garder un caractère interactif à nos échanges, je vais donner la parole à nos intervenants pour de brèves présentations afin de laisser ensuite le débat s'installer.
Pour commencer, je donne la parole à Henri Verdier pour un éclairage global sur la gestion des données de masse ainsi que des algorithmes par l'État et le simulateur socio-fiscal OpenFisca.
M. Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic). - La Dinsic est un service du Premier ministre en charge de la transformation numérique de l'action publique. Nous sommes une petite structure de 140 personnes chargée à la fois de sécuriser le système d'information de l'État et de porter les transformations numériques en cours.
Plusieurs de nos missions ont trait à l'objet de cette table ronde : nous accompagnons par exemple l'administration fiscale concernant le prélèvement à la source.
Chaque ressource doit être facilement utilisée par toutes les administrations et ouverte le plus possible. L'utilisation des données par l'administration elle-même lui permet de s'améliorer. Tous ces sujets traitent, d'une façon ou d'une autre, des données fiscales, qui jouissent d'un statut très particulier puisque la déclaration des droits de l'homme et du citoyen y fait allusion.
Je rappelle en effet que l'article 14 prévoit : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
L'importance accordée à l'ouverture des données fiscales est assez ancienne : depuis la Révolution, chaque citoyen peut aller vérifier dans son centre des impôts la feuille d'impôt de ses voisins. Cette transparence n'est donc pas sans racines ni traditions.
Aujourd'hui, de nouvelles questions se posent. Nous avons le sentiment d'une complexification accrue du système fiscal qui comporte de plus en plus de clauses, d'exceptions, ce qui est très compliqué pour les systèmes d'information. Je ne sais combien de définitions différentes, et parfois concurrentes, existent de la notion de chiffre d'affaires pour asseoir des dispositifs fiscaux. C'est pourquoi il est malaisé de factoriser les décisions. Ne faudrait-il pas un jour remettre à plat les descripteurs fondamentaux du système fiscal pour les modéliser et les utiliser facilement ? Nous constatons la difficulté d'anticiper les impacts d'une réforme fiscale. Difficile de dire, au moment où telle ou telle mesure est prise, combien de foyers seront affectés et encore moins quels en seront les impacts micro et macro-économiques.
M. Vincent Éblé, président. - Vous parlez du ruissellement ?
M. Henri Verdier. - Je ne suis pas certain que l'on soit capable de raisonner sur les effets systémiques profonds et diffusants en matière fiscale.
La somme des règles fiscales et sociales est transparente, mais pour comprendre les effets de bord des décisions prises, la description des caractéristiques des foyers est nécessaire. Il faut donc injecter des données personnelles dans le système pour mesurer les conséquences de toute modification de règles.
Un exemple parlant : OpenFisca. Il s'agit d'un logiciel libre qu'il est possible de télécharger et qui rassemble toutes les règles du droit fiscal et social. Les collectivités locales peuvent rejoindre cette plateforme : une quinzaine d'entre elles l'ont fait. OpenFisca a également permis de mettre en place le site mes-aides.gouv.fr sur lequel, chaque mois, 100 000 Français viennent calculer en moins de cinq minutes toutes les aides sociales auxquelles ils ont droit.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cela pourrait coûter cher !
M. Henri Verdier. - C'est possible : nous avons lancé ce projet justement pour lutter contre le non-recours. La moitié de nos concitoyens ne savent même pas qu'ils ont des droits en ce domaine. La CNAF utilise aussi ce logiciel.
Je suis frappé de constater que la plupart des mesures qui sont prises n'ont pas une grande profondeur de vision systémique. L'optimum d'une décision n'est pas recherché : je pense par exemple au travail du dimanche. Il n'est pas certain que les décisions soient prises en anticipant toutes les conséquences qui en découlent, alors qu'il existe des outils scientifiques qui permettraient de le faire. Le citoyen devrait pouvoir constater par lui-même la nécessité de la dépense publique afin qu'elle emporte son adhésion. Il ne s'agit pas seulement d'un débat entre experts : nos compatriotes doivent comprendre le sens des décisions et exprimer leur assentiment ou leur rejet en toute connaissance de cause. Il va falloir apprendre à présenter et documenter autrement ces débats.
Le 15 juin prochain, avec la DGFiP, l'Assemblée nationale et la direction du budget, nous allons faire un premier « hackathon » sur les données financières de l'État qui nous permettra de voir ce que peuvent apporter les données en question.
M. Yannick Girault, directeur du service « Cap numérique » à la direction générale des finances publiques (DGFiP). - Cette table ronde est au coeur de l'actualité : en témoignent l'évolution des textes et du cadre normatif, non seulement national mais aussi européen, dans lequel nos administrations évoluent, et les progrès des technologies.
Cap numérique est un service à compétence nationale au sein de l'organigramme de la DGFiP regroupant une grande partie de notre maîtrise d'ouvrage professionnel des applications des finances publiques, au-delà même de la sphère fiscale stricto sensu. Nous sommes également en charge de l'innovation numérique : à ce titre, nous partageons avec la Dinsic un certain nombre de travaux.
Le projet le plus emblématique est celui du prélèvement à la source dont chacun pressent que sa dimension informatique est une aventure technologique formidable qui mobilise toutes les équipes.
Cap numérique n'est pas directement en charge du suivi des travaux parlementaires mais il suit la mise en oeuvre des décisions du Parlement.
Avec la Dinsic, nous participons ainsi aux grands programmes numériques inscrits dans la loi, comme celui du « Dites-le nous une fois ». Nous participons aussi à FranceConnect, une identité numérique qui vaut pour les particuliers mais qui vaudra, demain, pour les entreprises et les agences publiques. Enfin, le site impots.gouv.fr est le navire amiral de l'offre des services numériques aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités territoriales. Il s'agit du deuxième site Internet de l'État et sa fréquentation est considérable. Nous ne cessons d'enrichir ses offres de services et nous mettrons à disposition un nouvel espace destiné aux particuliers en février prochain qui sera ensuite étendu aux entreprises.
La DGFiP entend répondre au mieux à vos attentes tout en prenant en compte la prescription de secret fiscal. Sur le site data.gouv.fr, nous avons mis à disposition un nombre significatif de données. Les fichiers de recensement des éléments d'imposition de la fiscalité directe locale et du plan cadastral ont trouvé leur public.
Il ne suffit pas de partir d'un logiciel ou d'une application informatique pour arriver à la publication du code source. Un certain nombre d'étapes doivent être respectées pour transformer et rendre exploitables lesdites données. Nos logiciels font l'objet de travaux lourds et conséquents, d'où le fait que certains estiment que nous allons trop lentement.
Lorsque nous avons publié le code source de la calculette de l'impôt sur le revenu, nous avons commencé par les années les plus proches de nous. A l'expérience de ce premier travail, nous avons pu publier l'ensemble des codes source de nos calculettes depuis 2010.
Nous poursuivrons bien sûr ces publications, notamment les codes sources de la taxe d'habitation et de la taxe foncière. Comme le souhaite le législateur, nous publions des éléments sécurisés, exploitables et réutilisables. Ce travail doit être distingué de celui de la publication des algorithmes. Cette publication s'environne de prescriptions techniques et doit être échelonnée.
En novembre dernier, lors d'un débat au Parlement sur l'évaluation des politiques publiques, la qualité de la documentation des textes fiscaux a été soulignée, notamment au niveau de l'imposition des personnes. Cette documentation à jour est un élément constituant de la publication ultérieure de l'algorithme lui-même. Nous poursuivons ces travaux. Les avis d'impôt devront mentionner l'accès à ces données.
Lorsque nous nous comparons à d'autres administrations françaises, mais aussi étrangères, nous constatons notre volontarisme et la satisfaction du public qui utilise nos publications.
M. Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP). - L'IPP est issu d'un partenariat entre l'École d'économie de Paris et le Crest (Center for research in economics and statistics), deux centres universitaires qui sont dédiés à l'évaluation des politiques publiques. L'objectif de l'IPP est de diffuser des techniques et des méthodes développées dans le monde universitaire pour éclairer l'évaluation des politiques publiques.
Dans le cas particulier des données du système socio-fiscal, nous privilégions la méthode de la micro-stimulation : il s'agit de confronter un simulateur, comme OpenFisca, à des données individuelles représentatives de l'ensemble de la population pour simuler les effets d'une modification du système socio-fiscal.
Il nous faut donc connaître les lois et règlements qui déterminent le système socio-fiscal mais aussi avoir accès aux données individuelles. Dans le monde universitaire, la plupart de ces modèles a fonctionné sur des données d'enquêtes, notamment celles de la statistique publique produite par l'Insee. Ainsi en était-il des enquêtes sur les revenus fiscaux et sociaux qui, à l'origine, permettaient de mesurer le chômage et auxquelles des données étaient ajoutées pour mener des simulations. Ces données d'enquêtes ne permettent cependant pas forcément d'évaluer de façon précise l'impact de mesures fiscales, car elles ne portent que sur un échantillon restreint de ménages.
Ces dernières années, les évolutions législatives ont permis l'ouverture de données individuelles de type administratif. Les données fiscales ont ainsi été disponibles, bien qu'elles demeurent protégées par le secret fiscal. La loi du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur et la recherche a permis aux chercheurs d'accéder à ces données dans un cadre extrêmement sécurisé. Ainsi faut-il adresser une demande auprès du Comité du secret statistique, détaillant l'objet de la recherche et les données demandées. Une fois l'autorisation accordée, par ce Comité puis par la DGFiP, les chercheurs peuvent accéder à ces données mais ces dernières ne sont pas nominatives et leur accès est sécurisé à distance : une carte à puce avec les empreintes digitales du chercheur est fournie pour ne disposer que des données demandées. Il est ainsi possible d'effectuer un travail précis sans pour autant disposer de données nominatives.
La loi du 22 juillet 2013 puis le décret d'août 2014, qui ont modifié l'article L. 135-B du livre des procédures fiscales, ont donc permis de documenter les données fiscales pour une exploitation à des fins de recherche.
Nous constituons un très large échantillon de données individuelles issues des déclarations de l'impôt sur le revenu ou d'autres bases de données afin d'élaborer un site de données qui devrait permettre, à terme, de mesurer l'impact de toute modification du système fiscal. La variation des cotisations sociales a ainsi un impact sur le revenu imposable et donc sur l'impôt sur le revenu. Les incitations de retour à l'emploi doivent prendre en compte à la fois les prestations sociales et la fiscalité. Nous faisons tourner l'algorithme à partir de ces bases de données individuelles. Nous pouvons alors chiffrer les effets d'une variation de l'impôt ou d'une prestation sociale : nous savons qui est touché et quelles sont les réponses comportementales des populations concernées ; nous pouvons évaluer l'optimisation fiscale, le retour sur le marché de l'emploi ou, au contraire, la réduction de la participation au travail.
De très grands progrès ont été réalisés ces dernières années. Certains pays étaient très en avance sur nous et ils utilisaient leurs données administratives à des fins de recherche, tandis que d'autres pays étaient très en retard. La France disposant de données administratives de grande qualité, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays, l'ouverture y a été très rentable car elle a permis d'exploiter des données précises.
Nous avons accès aujourd'hui aux déclarations d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés. Il nous manque des informations sur les taxes locales, les impôts sur le patrimoine et toutes les données sur les impôts hors impôts sur les sociétés et sur le revenu.
L'accès à ces données nous permet d'être très précis sur les impacts d'une modification de l'impôt sur le revenu. Par construction, nous disposons d'informations vieilles de un à deux ans. Il faudrait faire en sorte que ces délais soient les plus courts possibles afin d'éclairer quasiment en temps réel les débats publics.
M. Vincent Éblé, président. - Merci pour cette présentation tout à fait intéressante.
M. Jean Lessi, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). - La Cnil est le régulateur de la protection des données à caractère personnel et elle repose sur deux piliers : elle est un gendarme qui reçoit des plaintes, qui procède à des contrôles et qui éventuellement prononce des sanctions. Mais elle a aussi pour mission d'accompagner en amont les responsables de traitements de données pour que les dossiers qu'ils déposent prennent en compte celles à caractère personnel.
En matière de régulation, la Cnil dispose de deux types de compétences : juridique et technologique. La Cnil dispose de juristes spécialisés dans les politiques publiques et dans les secteurs industriels et commerciaux. Elle emploie aussi des ingénieurs experts et des auditeurs de systèmes d'information. Cette compétence technologique permet de comprendre les projets et d'avoir un dialogue éclairé avec les responsables de traitement, qu'il s'agisse des administrations ou des entreprises numériques.
Pour la fiscalité, nous accompagnons les administrations de trois façons. Tout d'abord, nous formulons des avis sur les projets de lois et de décrets. Nous gérons également les formalités préalables même si elles devraient disparaître dans deux jours avec la mise en place du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Enfin, nous nouons des dialogues informels très en amont avec les porteurs de projets publiés : nous leur demandons de venir nous voir très tôt afin que, dès le départ, la protection des données personnelles soit prise en compte.
Cet accompagnement ne se résume pas à un affrontement stérile entre objectif de politique publique versus protection des données à caractère personnel, mais sur un triptyque : objectif de politique publique, enjeu de protection des données mais aussi garanties à mettre en place. L'essentiel est de bien moduler les garanties pour parvenir à l'objectif poursuivi.
Nous nous sommes ainsi très tôt penchés sur le prélèvement à la source et nous avons traité la question fondamentale de la transmission du taux des salariés aux employeurs. Nous avons beaucoup travaillé avec l'administration et le Parlement pour cadrer les conditions d'accès par l'employeur à ce taux et pour instaurer un taux neutre.
Autre exemple : l'offre de paiement en ligne PayFiP qui a donné lieu à un arrêté publié le 19 avril 2018. La Cnil a été vigilante sur les durées de conservation des données bancaires. Elle a notamment insisté sur le nécessaire consentement des utilisateurs.
J'en viens à l'ouverture des données de l'administration fiscale. Il faut distinguer deux types d'ouverture dont les enjeux sont différents pour la protection de la vie privée. L'ouverture à des fins de recherche n'est pas en open data : il s'agit de la mise à disposition par l'administration fiscale de ses données, qui sont en effet d'une richesse considérable, à un nombre restreint de chercheurs dans un cadre très précis. Ce sont des données à caractère personnel qui doivent être protégées, d'où la création de bulles de sécurité qui permettent de manier les données tout en interdisant leur extraction et leur fuite à l'extérieur. Ensuite, il y a l'open data, c'est-à-dire la mise à disposition au grand public de données qui doivent être anonymisées, afin qu'il soit impossible de remonter à une personne physique identifiée. Pour protéger la vie privée, la Cnil développe des outils d'accompagnement pour sécuriser les données. Elle travaille avec la Cada et la Dinsic à un « pack » open data : il s'agit d'outils techniques qui accompagnent l'ouverture des données. Ainsi en est-il de l'anonymisation des jeux de données, travail mené par le G29, c'est-à-dire le groupe des « Cnil » européennes. Nous rédigeons aussi des fiches pratiques pour l'ouverture des données en matière d'urbanisme, ou de fiscalité.
M. Vincent Éblé, président. - Avant de passer la parole à mes collègues, je voudrais vous poser quelques questions.
S'agissant des données fiscales, comment s'organise leur production ? Quels sont les différents services impliqués et comment se coordonnent-ils entre eux ? J'aimerais demander à M. Yannick Girault comment son service se coordonne avec la direction de la législation fiscale, qui est notre interlocuteur privilégié pour obtenir des simulations, mais qui n'est pas producteur des données fiscales.
Concernant les algorithmes fiscaux, l'article 2 de la loi pour une république numérique a ajouté les codes sources à la liste des documents administratifs dont la liberté d'accès est garantie par les articles L. 300-1 et L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration. J'entends bien M. Girault nous dire qu'il faut un certain délai pour y parvenir mais la loi s'impose à l'administration. L'article 4 a créé un principe de communication des algorithmes lorsque ceux-ci ont participé au fondement d'une décision individuelle, ce qui s'applique naturellement aux impôts.
La mise en oeuvre de ces dispositions a fait l'objet de nombreuses critiques : publication du code d'Admission Post-Bac (APB) sous format PDF, ce qui est juste hallucinant. De mêmes avons-nous enregistré des réticences à publier l'algorithme de Parcours Sup.
Comment la mise en oeuvre de ces articles est-elle assurée ? Votre direction, M. Verdier, centralise-t-elle toutes les demandes en la matière ? Un suivi du nombre de demandes et du délai de réponse est-il organisé ?
La publication du code source des impôts s'inscrit dans la continuité de la loi pour une république numérique. Dans la mesure où il est communicable aux citoyens ordinaires, je ne vois pas pourquoi il serait refusé aux législateurs que nous sommes.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le portail « impots.gouv.fr » est complet et on y trouve nombre de renseignements. Ce service conduit-il à la disparition de tout service de renseignement par téléphone ? J'ai tenté de joindre par téléphone le service des impôts : impossible, alors que le numéro est surtaxé, ce qui est d'ailleurs scandaleux. Un disque disait qu'aucun agent n'était disponible. Ce service est-il toujours opérationnel ou bien l'administration fiscale a-t-elle choisi de supprimer tout accueil autre que par voie électronique ? On ne peut se contenter du portail des impôts qui ne répond pas à toutes les questions, et je ne parle même pas des bugs informatiques.
Par ailleurs, existe-t-il un recensement exhaustif des données dont l'administration dispose ? Si tel est le cas, il faudrait qu'il soit rendu public. Si non, est-il en cours d'élaboration ?
En effet, lorsque nous examinons le projet de loi de finances et que nous proposons des amendements, nos interlocuteurs nous répondent souvent qu'ils ne peuvent évaluer leurs impacts car ils ne disposent pas des données. La direction de la législation fiscale nous dit souvent qu'elle n'a pas les moyens d'évaluer les conséquences des modifications que nous proposons. L'indépendance du Parlement en souffre car avant de changer les paramètres d'un dispositif fiscal, il faut pouvoir en évaluer les conséquences.
Nous examinerons le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude prochainement et nous entendons parler de l'outil de « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR) : quel sera l'apport de cette analyse de données de masse par un algorithme ? Cet outil sera-t-il directement opérationnel et posera-t-il des difficultés en termes de libertés publiques ?
M. Yannick Girault. - Le média téléphonique reste extrêmement important dans notre relation aux usagers. Nous sommes une administration qui demeure à visage humain car nous avons encore des centres de finances publiques ouverts qui accueillent en grand nombre des usagers. La voie téléphonique est également un mode d'échange et de renseignement utile. La direction impôts service existe toujours : elle réunit 150 agents et sa compétence est nationale. Eu égard aux 35 millions de foyers fiscaux, l'accessibilité de ce service est un souci constant, plus particulièrement en période de campagne d'impôt sur le revenu.
Depuis 2014, nous avons créé au sein de la DGFiP des centres de contact qui sont à la fois des centres de renseignement téléphoniques pour les cas généraux mais qui peuvent aussi accéder en ligne aux dossiers des personnes physiques pour surmonter des difficultés simples. Ces centres sont en cours de déploiement : ils sont au nombre d'une dizaine et ils couvrent la moitié des foyers fiscaux. Ils sont appelés à se déployer dans tout le pays.
Dans le même temps, nous continuons à enrichir nos services en ligne aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises et les collectivités territoriales. Cette année, dans la partie déclarative qui suit les éléments afférents aux taux, nous avons placé des outils qui permettent à nos usagers de pouvoir contacter nos conseillers. Il s'agit donc d'outils complémentaires au service des contribuables. Comme il peut arriver que ces services ne soient pas accessibles, nous proposons des serveurs vocaux interactifs qui fournissent des renseignements pour les cas les plus simples : un cas sur trois trouve sa résolution grâce à ces serveurs.
Nous sommes organisés de façon assez traditionnelle - entre une maîtrise d'ouvrage que je représente pour l'essentiel - mais pas exclusivement, une maîtrise d'oeuvre conduite par le service des systèmes d'information et les bureaux métiers. Nous travaillons bien sûr avec la direction de la législation fiscale et avec le service de la gestion fiscale qui dispose d'un département en charge du chiffrage des mesures fiscales, des simulations et de leur exploitation.
Dans cette construction de nos systèmes d'information, nous essayons de prendre des initiatives nous permettant de faire preuve de davantage d'agilité afin de monter des programmes bien plus rapidement. C'est à l'occasion de la refonte complète du portail impots.gouv.fr que nous avons adopté une organisation en mode agile, avec sur un même plateau de travail l'expression des métiers, mais aussi la connaissance de la maîtrise d'ouvrage pour accélérer le calendrier de production et de mise en ligne des différents outils.
Ces travaux sont extrêmement denses, d'autant que la législation fiscale évolue. Les modifications auxquelles il faut procéder nous conduisent à oeuvrer dans un temps très contraint. Dès le 15 janvier, nous mettons en ligne le simulateur de l'impôt sur le revenu, opérationnel pour un très grand nombre de cas. Effectivement, nous n'avons pas la possibilité, en « presse-bouton », de répondre aux sollicitations qui nous sont adressées : encore faut-il que nous ayons les données, qu'elles soient organisées et que nous puissions les traiter.
Avons-nous connaissance de nos données et comment sont-elles organisées ? Dès septembre 2016, nous avons souhaité la nomination d'un administrateur des données. Il a demandé que des études soient conduites visant à cartographier nos données, qu'elles soient documentées et que nous disposions d'un dictionnaire des données. En premier lieu, cela nous permettra peut-être d'y voir plus clair, car il peut y avoir des redondances et nous pouvons avoir de fausses certitudes, ou alors des données acquises à une période antérieure peuvent ne plus correspondre à ce dont nous avons besoin. Un inventaire de la cartographie des données nous sera particulièrement utile. Car, en second lieu, si nous voulons être plus agiles dans la conduite de nos travaux, dans l'élaboration des outils, dans l'accompagnement des simulations, ces données ne doivent plus être « silotées » dans les applications métier. Elles doivent être organisées pour être plus directement exploitables qu'elles ne le sont quand elles sont gérées de manière informelle dans des silos de données relatifs à telle ou telle imposition.
Pour ce travail considérable, la DGFiP est bien placée puisque c'est l'ancien programme Copernic qui nous avait conduits, il y a une quinzaine d'années, à créer des référentiels. Nous avons déjà une structure de données en amont : référentiel des personnes physiques, référentiel des locaux, référentiel des entreprises, demain référentiel des éléments afférents au prélèvement à la source, référentiel d'un certain nombre d'éléments relatifs aux impositions et aux comptes bancaires. Ces référentiels d'amont nous permettront de prendre ces données aujourd'hui « silotées » dans les applications pour les rendre davantage exploitables, de manière à nous permettre de nous inscrire dans une évolution fondamentale de la société numérique : une construction d'exposition de ces données par une interface de programmation d'application (API). Autrement dit : être capable d'exploiter une donnée « silotée » à la demande de telle ou telle administration, dans un cadre juridique précisément défini.
C'est en cours, je peux comprendre votre impatience, mais cette cartographie, compte tenu de l'immensité des données acquises sur les finances publiques, nécessite un travail progressif de documentation et l'élaboration minutieuse d'un dictionnaire des données.
Mon service a pour partie la responsabilité de conduire ces travaux, sous l'impulsion de notre administrateur des données. Dès le mois de septembre au sein de Cap Numérique, une petite équipe sera chargée notamment de l'exploitation des données et de leur valorisation.
M. Henri Verdier. - Nous devons mesurer l'ampleur de la mutation que nous vivons. Antoine Bozio a rappelé tout à l'heure l'importance de la statistique publique pour connaître le réel et l'action publique. Étymologiquement, la statistique, c'est la science de l'homme de l'État. Aujourd'hui, parce que tout se numérise et parce tout s'exécute par l'informatique, chacun peut travailler directement sur les modèles et sur les outils autrefois réservés à une poignée de techniciens. C'est une révolution fondamentale.
Par ailleurs, vous nous avez demandé si l'on savait cartographier de manière exhaustive l'ensemble des données. Nous sommes en train de faire une copie digitale du monde, tout est mis en données, et probablement la production de données va plus vite que leur cartographie. L'action publique devra par conséquent être reconsidérée. Tout à l'heure, je parlais d'« État plateforme » : nous essayons de définir progressivement une politique cohérente de la donnée qui tienne compte de la protection des secrets légaux - pas seulement de la vie privée - de la nécessité d'ouverture, d'efficacité de l'État, de soutenabilité budgétaire, etc.
S'agissant des demandes d'ouverture des codes sources et des algorithmes, vous demandiez si quelqu'un en avait une vision centrale. Aujourd'hui, c'est le régime général de la loi Cada qui s'applique. Les requérants s'adressent d'abord aux administrations concernées et quand ils n'ont pas de réponse satisfaisante, ils se retournent vers la Cada. Celle-ci a donc une vision de ceux qui sont prêts à aller au contentieux, et non pas une vision exhaustive de l'ensemble des demandes d'ouverture.
En tant qu'administrateur général des données, animateur du réseau des administrateurs ministériels de données, nous nous employons à aider les administrations à ouvrir leurs codes quand elles nous le demandent, par exemple sur la taxe d'habitation et la taxe foncière. Or il n'est pas forcément facile d'ouvrir un algorithme et un code source. Vous pouvez consulter le blog de la mission Etalab, sur lequel nous avons documenté notre travail d'accompagnement à l'ouverture de l'ancien algorithme d'admission post-bac. Le système d'admission post-bac commence avec de grandes bases de données de type Oracle et se termine par des front office pour postuler dans telle ou telle université : il a fallu faire un patient travail de détourage pour dessiner le coeur qu'il fallait ouvrir, vérifier les secrets industriels éventuels.
Il faut aussi accompagner l'administration dans une culture de publication du code. Les gens du logiciel libre savent faire, ils connaissent les outils, ils savent documenter leurs codes. Ceux qui n'ont jamais travaillé ainsi, eux, sont un peu dépourvus. Ce travail d'éducation et d'accompagnement prendra quelques années.
S'agissant de la cartographie des données, une cartographie exhaustive serait une tâche sans fin puisqu'on génère des données dès qu'on ouvre un tableur Excel sur son poste de travail. Heureusement, il y a quand même un certain nombre de piliers. D'abord, la loi Cada oblige à la tenue d'un répertoire des informations publiques, nécessité rappelée par la loi pour une République numérique, qui fait obligation de les publier. Cette loi fait également obligation de publier par défaut, à partir d'octobre prochain, toutes les bases de données, présentant un intérêt social, environnemental, économique ou sanitaire.
M. Vincent Éblé, président. - Autrement dit : toutes !
M. Henri Verdier. - D'un autre côté, grâce au RGPD, la connaissance exhaustive de toutes les données à caractère personnel détenues par une administration est en train d'être centralisée auprès des délégués à la protection des données. La Cnil centralisait les déclarations préalables, dont le registre est d'ailleurs disponible en open data. Mais là, un haut fonctionnaire dans chaque administration centralise la connaissance de la totalité des données personnelles manipulées par elle. Il semble naturel qu'en octobre prochain les registres de données personnelles détenues par les délégués à la protection des données soient publiés.
La Dinsic a entrepris une tâche de très longue haleine. D'abord, elle fait l'inventaire des applications informatiques que détient l'État. Nous avons d'abord passé deux ans pour cartographier les 700 applications de gestion par métier des ressources humaines utilisées par l'État, ce qui nous a permis de trouver des redondances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Y compris Louvois ?
M. Henri Verdier. - Heureusement, il n'y a pas 700 Louvois !
Nous profitons de ce projet Philae pour cartographier aussi les données que manipulent les applications que nous cartographions.
M. Jean Lessi. - Pour qu'il y ait une cartographie, il faut qu'il y ait un cartographe. À cet égard, le RGPD crée deux outils très précieux qui sont parfois vécus comme des contraintes, mais qui sont en réalité des opportunités formidables. D'abord, le délégué à la protection des données : le RGPD impose aux organismes publics et à certains organismes privés de structurer leur gouvernance en matière de données à caractère personnel, ce qui est un progrès considérable. Ensuite, le RGPD oblige à tenir un registre de traitement des données à caractère personnel. Et pour tenir ce registre, il faut savoir ce qu'on traite. La Cnil accompagnant de nombreux responsables de traitement dans cette démarche, je puis vous dire qu'il y a bien des surprises et des découvertes quand on recense tous les traitements de données : c'est l'occasion de se poser de très bonnes questions et de faire le tri.
Une autre question portait sur le traitement « Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR). Il est très intéressant à deux titres : d'abord, parce qu'il est révélateur de ces nouveaux outils qu'on appelle aussi le data mining, ou fouille de données. À partir d'un entrepôt de données à caractère personnel, vous essayez de chercher de manière intelligente, en apprenant de vos recherches. Au passage, cela permet de faire de la lutte contre la fraude ou le non-recours.
Cet outil CFVR est également intéressant en termes de construction, progressive, avec des paliers d'expérimentation. D'abord, il ne concernait que les professionnels à titre expérimental et maintenant, il porte sur les professionnels et a atteint, sur ce champ, son « régime de croisière ». En ce moment, il est expérimenté pour les données des particuliers. Quand on dispose d'un outil nouveau, il faut voir comment il fonctionne sur un petit périmètre avant d'aller plus loin.
Après, le principal point de vigilance de la Cnil, lorsqu'elle a été saisie des arrêtés successifs élargissant le périmètre du CFVR, c'est la place de l'humain. La Cnil a insisté pour que le CFVR soit un outil d'aide à la décision et non pas un outil de décision, pour aider à mieux cibler les contrôles, à détecter des dossiers suspects ; il ne doit pas se substituer à la décision de lancer ou non un contrôle et encore moins aux résultats du contrôle. Telles sont les conséquences que la Cnil avait tirées de l'article 10 de la loi de 1978 sur l'enjeu des traitements intégralement automatisés, qui sont en principe interdits, sauf exception, le nouveau projet de loi élargissant les exceptions pour l'avenir.
M. Marc Laménie. - Merci à nos interlocuteurs. Je suis heureux que cette rencontre ait été organisée. Je veux vous parler d'une expérience personnelle, celle de ma déclaration d'impôt sur le revenu. Je reste attaché au papier, tout en ayant beaucoup d'admiration pour ce que vous faites.
Je suis élu du modeste département des Ardennes. N'ayant pas reçu ma déclaration d'impôt par voie postale, comme les autres années, je me suis rendu à la direction des finances publiques, où l'on m'a dit que, en tant que parlementaire, mon dossier était inaccessible, contrairement à l'année précédente. Aussi, j'ai dû me rendre à la direction départementale des finances publiques, où il était accessible. Et l'on m'a dit que je pouvais encore remplir une déclaration papier.
Le tout-numérique entraîne à coup sûr de la perte en ligne. Les moyens humains sont réduits, ce qui est tout de même inquiétant. Le tout-virtuel et le tout-numérique permettent-ils vraiment de réaliser des économies ?
Mme Christine Lavarde. - Actuellement, je travaille sur une proposition de loi et nous avons demandé à la direction de la législation fiscale le chiffrage d'un certain nombre de mesures. Sur les 11 chiffrages demandés, 9 ne sont pas réalisables par absence de données. Une réflexion est-elle menée sur les données qui ne sont aujourd'hui pas disponibles, mais qui pourraient l'être, par exemple grâce à une meilleure exploitation des déclarations des contribuables ?
Cette question fait écho à un rapport qu'avait commandé la commission des finances du Sénat à la Cour des comptes visant notamment à évaluer les dépenses fiscales en faveur du développement durable. Il avait été mis en avant qu'un certain nombre de dépenses fiscales étant marquées « NC » - c'est-à-dire dont le coût est « non connu » - ou epsilon dans l'annexe « Voies et moyens » seraient en fait chiffrables de manière très fine, chaque déclarant donnant les indications afférentes. La difficulté réside dans l'absence d'agrégation au niveau national de l'ensemble des déclarations, qui restent gérées au niveau départemental. Existe-t-il des marges d'évolution, notamment par l'accélération de la numérisation ?
M. Philippe Dallier. - Ce débat nous ramène une dizaine d'années en arrière, quand Jean Arthuis présidait la commission des finances. Nous avions eu l'idée saugrenue de nous demander si notre commission pouvait se doter de moyens informatiques afin de disposer de ses propres simulations. Cela concernait à l'époque notamment les collectivités territoriales. Nous avions rencontré à la fois les services de Bercy et de l'Intérieur. L'idée que le Sénat se dote de ses propres outils de simulation n'avait pas suscité un grand enthousiasme. Face à la complexité des choses, nous avions renoncé.
Dix ans plus tard, le débat est finalement toujours le même : peut-on espérer, et dans quel délai, que le Parlement se dote de ses propres outils ? Cela nécessiterait de récupérer les données dont nous aurions besoin auprès des différents ministères. Ou bien est-ce utopique ? Auquel cas, que pouvons-nous envisager pour nous doter de nos propres outils de simulation ? L'idéal, ce serait que chaque amendement déposé impactant telle ou telle formule de calcul des dotations aux collectivités territoriales puisse faire l'objet d'une simulation. Est-ce que le Parlement peut imaginer se doter de ses propres outils ou serons-nous toujours dans les mains de l'administration ?
Une question un peu technique : j'ai quitté voilà quinze ans le monde de l'informatique, les choses vont vite, mais lorsque vous dites vos difficultés à fournir les algorithmes, j'ai un peu de mal à comprendre. Que voulez-vous dire ? Certes, il faut encore que le grand public sache utiliser les informations qu'on va lui transmettre.
Même question pour le dictionnaire des données : qu'il n'existe pas un dictionnaire unique qui répertorie toutes les données de l'administration française dont on pourrait avoir besoin, je peux le comprendre, mais que les informations ne soient pas disponibles silo par silo, comment est-ce possible ? Dans ce cas, comment fait-on pour maintenir toutes ces applications ?
M. Thierry Carcenac. - Pour ma part, je veux évoquer l'ouvrage Pour une révolution fiscale, publié en 2011 par Thomas Piketty, dans lequel il indique qu'on pouvait simuler sa propre réforme fiscale en connaissant son impact sur le déficit budgétaire et sur les inégalités. Alors que l'on vient d'entendre que l'on n'est pas capable de nous fournir des données, comment peut-on, dans des délais rapides, nous fournir des simulations, sachant que M. Verdier dispose à peu près 140 agents et, je suppose, M. Girault d'un millier ?
Concernant la protection des données à caractère personnel, tout est très encadré. Mais quand je vois ce qui s'est passé avec Mark Zuckerberg, ce qui se passe dans le secteur bancaire, et quand je vois que dans un pays comme le Portugal, il n'existe qu'un seul numéro d'identifiant par citoyen, qu'une seule carte de données sociales, fiscales et informatiques, comment peut-on protéger les données tout en essayant de simplifier ? Chaque secteur essaie de nous protéger au mieux, mais je ne suis pas sûr qu'on y arrive parfaitement compte tenu de la mutation de notre société, où tout le monde sait ce que je fais avec mon portable.
M. Michel Canevet. - Ce débat est intéressant dans l'objectif du déploiement des services numériques et du recours accru au numérique à l'avenir. Je lis dans le rapport de l'administrateur général des données au Gouvernement qu'il prône la construction d'une infrastructure de la donnée. Où en est-on ?
Puisque l'on parle d'ouverture des données, les conditions de leur sécurisation sont-elles effectivement réunies ? De quels effectifs dispose-t-il pour assurer ses missions ?
Sur l'aspect fiscal, je voudrais savoir si les données dont M. Bozio dispose lui semblent satisfaisantes ou s'il existe des marges de progrès. Dans ce cas, quelles sont les lignes à suivre ?
Monsieur Girault, j'ai l'impression, à vous entendre, que Bercy fonctionne en silos. Environ 6 300 personnes, en son sein, travaillent sur l'informatique, mais j'ai le sentiment que Bercy n'a pas fait sa révolution numérique, qu'on en est toujours au temps où les centres des impôts et les trésoreries étaient séparés. Les exemples et les témoignages que l'on vient d'entendre montrent qu'il est difficile aujourd'hui d'accéder à l'information. Or c'est absolument nécessaire si l'on veut prendre des décisions de qualité. Nous parlementaires sommes demandeurs d'informations parce que nous ne pouvons prendre les bonnes décisions que si nous disposons des études d'impact et des mesures d'évaluation. Il y a sans doute un effort à faire dans ce domaine.
Enfin, pour la réalisation de vos programmes, tout est fait en interne ou bien avez-vous avez recours à de la sous-traitance, et si oui dans quelle proportion ?
M. Antoine Bozio. - Les marges de manoeuvre possibles pour l'accès aux données, c'est de pouvoir accéder aux autres sources de données disponibles et d'être en capacité d'apparier les différentes bases de données entre elles : au sein de l'administration fiscale, au sein des administrations de la sécurité sociale, dont les données nous sont nécessaires pour nos chiffrages portant sur l'ensemble des modifications possibles dans un projet de loi de finances ou un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La loi pour une République numérique a levé l'ensemble des obstacles juridiques ; reste à convaincre les administrations de faire cet effort supplémentaire pour mettre à disposition ces données.
Autre point, soulevé par Mme Lavarde : la question des chiffrages. Certains pays ont organisé la production de données administratives autour d'un identifiant unique pour l'ensemble des dispositifs ; tel n'est pas le cas en France. L'organisation par silos fait que l'on ne dispose pas d'informations conjointes provenant de sources différentes. La loi pour une République numérique a permis de faciliter ce type d'appariement, mais cela reste très compliqué. Or on pourrait répondre à de nombreuses questions simplement en appariant des données issues de sources différentes au sein de l'administration.
Pour rebondir sur la question de M. Carcenac, aujourd'hui, l'Institut des politiques publiques, avec son modèle de micro-simulation, peut mener des simulations de modification du système socio fiscal, avec un degré de précision relativement fin. Cela ne veut pas dire qu'il peut répondre à toutes les questions. De nombreuses informations n'existent pas, y compris au sein des administrations. Si, par exemple, vous envisagez de modifier le régime des plus-values selon la durée de détention et que vous ne disposez pas de la répartition des cessions de titres selon leur durée de détention, on ne pourra pas mesurer l'impact de la réforme envisagée. Pour toute législation qui n'a pas de précédent, en général les données sont inexistantes, ce qui est une contrainte forte, même si elle n'est pas dirimante, sachant qu'énormément d'autres informations peuvent être mobilisées.
Pour répondre à M. Dallier, je suis convaincu que le Parlement peut se doter d'outils lui permettant de mener des évaluations rigoureuses et scientifiques des mesures socio fiscales et d'éclairer ses choix.
À l'IPP, nous sommes capables de faire des choses avec très peu de moyens et une très petite équipe ; aussi, le Parlement français peut le faire.
M. Philippe Dallier. - Chiche !
M. Henri Verdier. - Est-ce que le tout-numérique génère vraiment des économies ? Oui ! Souvent, il ne suffit pas de numériser ; le plus important, c'est de repenser aussi une relation de service, une relation de guichet. Je pense à un très beau projet, la « bonne boîte », que nous avons monté avec Pôle emploi, et qui a coûté 300 000 euros, qui a pour objet de prévoir quelles entreprises vont recruter, afin de susciter des candidatures spontanées. Les trois quarts des agents de Pôle emploi s'en servent au moins une fois par semaine, et le taux de retour à l'emploi s'améliore de 20 % à six mois quand on conjugue cet outil numérique, cette relation guichet et cette démarche de recherche personnelle.
L'optimum de la dématérialisation, ce n'est peut-être pas de fermer des guichets. Le Gouvernement est également très attentif à l'inclusion numérique et la meilleure dématérialisation, c'est celle qui garde toujours un canal d'accès humain : on peut ne pas toujours comprendre le jargon administratif, par exemple. Quand le Président de la République promet de dématérialiser d'ici à la fin du quinquennat l'ensemble des démarches administratives, cela ne signifie pas que l'ensemble des guichets va fermer ; cela signifie qu'il y aura toujours un accès par la voie numérique.
Pour prendre l'exemple de l'échange automatique de données, on économise une photocopie, une enveloppe, l'opération d'ouverture de cette enveloppe et de nouvelle saisie de ces données. Chaque échange automatique d'une information permet de gagner quelques heures de travail d'un agent public. Il y a donc des économies considérables à faire.
Sur la question de l'infrastructure de données, nous avons poussé ce concept dans le rapport de l'administrateur général des données. On a un peu trop pensé la donnée jusqu'à présent à partir de l'open data, quelque chose qu'il fallait ouvrir et quelque chose de « gazeux ». Aujourd'hui, cela devient un socle essentiel de la puissance et de la souveraineté d'un pays. Sur quel système d'information asseoir la décision et le fonctionnement du pays ? À ce jour, 90 % des start-up françaises fournissent des services nécessitant une permission de Google Maps ou de PayPal, qui sera agréablement remplacé par PayFiP un de ces jours. Cette domination est majeure. Or les interfaces de programmation d'application (API) de Google Maps vont subir une très violente augmentation tarifaire le 11 juin prochain et coûteront 1 000 fois plus cher. Ceux qui ont assis leur business model sur ces données gratuites vont se faire rattraper.
La donnée nécessite une infrastructure aussi critique que les routes, les ponts en matière d'aménagement du territoire. Nous travaillons beaucoup sur cette vision de l'infrastructure, avec trois entrées principales.
Premièrement, le service public de la donnée, créé par la loi pour une République numérique. Ce sont les données dites « de référence », celles auxquelles tout le monde se réfère tout le temps : le cadastre, la base Siren, etc. L'État n'en garantit pas seulement l'accessibilité, il en garantit également la qualité. La Dinsic, via la mission Etalab, est chargée de garantir cette qualité d'accès à la donnée.
Deuxièmement, cette stratégie technologique que nous qualifions parfois d'« État plateforme » repose sur l'idée que nous créons des systèmes d'échange automatique de données entre administrations, des interfaces de programmation d'application (API). Cela oblige à repenser assez radicalement le système d'information de l'État, non plus comme des silos, mais comme des interfaces d'échange de données. Cela commence à produire ses fruits : l'API Entreprise permet ainsi de dématérialiser chaque mois 2 millions de pièces.
Troisièmement, un très gros travail est fait sur l'identité et l'authentification pour sécuriser les échanges automatiques de données. Il faut s'assurer qu'elles vont à la bonne personne, que le consentement est recueilli si cela est nécessaire, que celui qui demande la donnée est bien celui qu'il prétend être. FranceConnect permet ainsi l'authentification de l'usager d'un service public et connaîtra bientôt une déclinaison FranceConnect Agent, qui sera assortie des droits professionnels de l'agent public et de la certitude qu'il est habilité à connaître tel ou tel secret et donc à accéder à telle ou telle donnée.
Concernant nos effectifs, la Dinsic a trois grandes missions et emploie 140 personnes. Quarante d'entre elles gèrent le réseau d'échange de données de l'État entre 14 000 bâtiments. Nous prétendons être plus résilients qu'internet lui-même ; j'espère néanmoins qu'internet ne connaîtra jamais un collapsus total vous le prouvant !
Une quarantaine de vos agents gère les trajectoires budgétaires, les cadres technologiques, vérifie les grands projets informatiques avec une implication à la marge sur l'achat public.
Un même nombre d'agents, dont ceux de la mission Etalab, s'occupe davantage de transformation numérique, notamment de développer les méthodes agiles, la data, l'usage de la donnée, etc. Une réflexion est en cours sur une réorganisation globale de la fonction numérique dans l'État qui aboutirait à densifier la Dinsic. Il ne s'agit pas de faire à la place des ministères, qui doivent conserver leurs compétences. Mais vous avez noté que le rapport du député Cédric Villani suggère la création d'un laboratoire d'intelligence artificielle (IA) au service de la puissance publique, avec une trentaine de personnes.
Enfin, vous nous avez tous demandé pourquoi il était si compliqué et si long de documenter les algorithmes. On ne trouve pas toujours des systèmes très propres avec un algorithme bien logé dans une partie du code source. La lecture de notre rapport sur l'APB vous renseignera sur ce système, lancé il y a huit ans pour gérer les inscriptions au concours des écoles polytechniques, et qui s'est ensuite enrichi de règles de décision, pour finir par gérer l'ensemble des demandes d'entrée à l'université.
M. Philippe Dallier. - Ce n'était pas documenté ? Les bras m'en tombent !
M. Henri Verdier. - Il l'était quand même un peu. Ce n'est pas le pire projet dans l'histoire informatique de l'État. Réalisé pour un coût peu élevé par quatre ou cinq personnes, il s'est montré efficace. Ils avaient conscience aussi que certaines décisions appartenaient au législateur, mais qu'il fallait bien que quelqu'un les prenne. C'est pour cette raison qu'ils ont bien pris soin de mentionner que, faute d'instruction, ils prévoyaient un tirage au sort.
J'ai rejoint les services de l'État il y a cinq ans, après avoir créé des start-up et travaillé dans un grand groupe du CAC 40. Cette conversion numérique, c'est aussi une conversion culturelle profonde et difficile. L'État est confronté à des difficultés, qui ne sont pas forcément pires que celle que rencontrent les grandes entreprises du CAC 40. Nos gouvernances, nos régulations n'étaient pas conçues dans cette optique. Avec l'informatique de l'État, jusqu'en 1986, chacun faisait ce qu'il voulait. En 1986, sous le gouvernement d'Édouard Balladur, chaque ministre était responsable du système d'information de son ministère. Ce n'est qu'en 2011 qu'on a envisagé une fonction centrale et ce n'est qu'en 2014 qu'est apparue la notion d'un système d'information de l'État. Aujourd'hui, par exemple, on a un mal fou à construire la carrière d'un grand chef de projet informatique ; pour le récompenser, on le nomme préfet, inspecteur des finances ou ambassadeur, faute de trajectoire professionnelle d'informaticien d'État, en tout cas pour les grands chefs de projet. Rien n'a été pensé pour faire face à cette métamorphose incroyable. Le travail de la Dinsic depuis trois ou quatre ans consiste aussi à pousser des choses qui semblent parfois saugrenues : les méthodes Agile pour le pilotage et la réalisation de projet, la culture du Devops (développement logiciel et administration des infrastructures informatiques), des modes de relation avec les fournisseurs historiques de l'État, qui n'ont pas tous parfaitement réussi leur conversion numérique et de gestion des ressources humaines. Nous avons besoin de professionnels aguerris et il va falloir penser autrement la question des contractuels. Faute de réussir cette conversion, tout sera bloqué.
Tout ce dont nous venons de parler ne comporte pas de difficultés majeures. On peut faire un OpenFisca avec trois ou quatre développeurs. La Nouvelle-Zélande devrait nous rejoindre pour enrichir de leurs propres règles OpenFisca. Un ancien d'Etalab a travaillé trois semaines avec eux. C'est l'irruption dans l'État de gens, de communautés, d'écosystèmes, de technologies, de cultures, de méthodes autour desquels nous n'avons pas été construits. Il va falloir sans doute un temps de transition pour organiser cette porosité.
Le Sénat et l'Assemblée nationale devraient avoir leurs propres outils informatiques et de simulation, mais aussi la Cnil, la Cada, la Cour des comptes. C'est possible avec cinq ou six bons développeurs et data scientists. La Cnil fait des choses extraordinaires !
M. Jean Lessi. - L'équilibre entre simplification et protection des données à caractère personnel est une question clé. Que recouvre le débat identifiant unique versus identifiant sectoriel, ce dernier choix ayant été fait par la France ? Le premier enjeu, c'est celui du « décompartimentage ». On pouvait déjà « décompartimenter » nos vies physiques ; avec le numérique, c'est beaucoup plus facile. Or, on peut avoir envie de compartimenter sa vie, de ne pas permettre à quelqu'un de tisser un fil entre les cloisons de sa vie.
Deuxième enjeu, un enjeu de sécurité. C'est une question d'architecture d'ensemble : plus vous centralisez, plus vous pouvez devenir une cible potentielle ; a contrario, si vous ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier, vous pouvez réduire le niveau de risques. Aucune architecture n'est condamnée par elle-même, mais plus on centralise, plus il faut développer des mesures de sécurité performantes. Dernier enjeu, celui de la disponibilité : si vous reposez sur un seul système qui tombe en rideau, les effets systémiques sont majeurs.
L'équilibre n'est pas évident à trouver. Henri Verdier a évoqué un dispositif de remarquable, FranceConnect, qui permet de ménager un équilibre entre toutes ces préoccupations et qui est encore en voie d'évolution. La mission confiée à Mme Valérie Peneau, inspectrice générale de l'administration, sur l'identité numérique, les travaux de la Dinsic, permettront de faire émerger des idées pour améliorer encore le compromis déjà trouvé.
M. Yannick Girault. - Cap Numérique compte non pas 1 000 collaborateurs, mais 300, et nos crédits baissent très fortement. Ce contexte budgétaire contraint a affecté les ressources de notre système d'information, à tel point même que la part de ce que nous confions au secteur privé en assistance à maîtrise d'ouvrage ou assistance à maîtrise d'oeuvre est réduite à la portion congrue. Il y a trois ans, nous avions même décidé de supprimer toute assistance à maîtrise d'ouvrage, ce qui est une difficulté puisqu'il y a des attentes pour que nous allions au-delà de notre système d'information. Le fait de passer en langage Java dans l'application informatique de gestion de la TVA MEDOC (« mécanisation des données comptables ») représente des travaux considérables, mais qui ne changent pas l'architecture globale de MEDOC, qui a plus de quarante ans. Nous avons aujourd'hui de grosses applications maîtresses qui gèrent des millions de données en flux tendu, et dans le même temps il nous a été demandé d'avoir un système d'information qui soit de plus en plus agile. Il y a effectivement une tension dans l'engagement de nos crédits entre ce qui est la part du futur et de l'investissement et ce qui est la part de la maintenance.
Dans le même temps, nous essayons de conserver une certaine agilité. On évoquait tout à l'heure la nouvelle solution de paiement en ligne PayFip. Nous sommes porteurs de la vision de la dématérialisation complète du bulletin de paie et des éléments afférents aux pensionnés de l'État, à l'horizon 2020. Nous avons ouvert un espace numérique sécurisé de l'agent public en mars 2017 avec nos propres moyens. Aujourd'hui, 90 % des timbres fiscaux pour les passeports sont délivrés par la voie dématérialisée, au choix d'ailleurs de l'usager.
Le contexte budgétaire contraint nécessite de faire des choix, mais nous préservons notre capacité à aller de l'avant.
Effectivement, l'« APIsation » des données est un enjeu d'avenir. À la suite des annonces faites par le Premier ministre au sujet des fonds pour la transition numérique, et donc pour la transformation des administrations publiques, la DGFiP sera au rendez-vous. Elle a élaboré un certain nombre de projets qui rejoignent, par exemple, les domaines du contrôle fiscal. Au-delà des premiers travaux qui ont été conduits, au-delà de la question de savoir si nous avons les bonnes compétences en interne ou si nous devons recruter davantage de data scientists, nous ménageons une capacité de consolider l'existant.
Puisque le Sénat n'est pas insensible aux collectivités territoriales, je terminerai par ce dernier point. En janvier 2017, la ville de Lyon, sur son site internet, a offert aux usagers de ses services locaux tarifés la possibilité de rejoindre la communauté d'identifiants FranceConnect. La ville, sous réserve de l'accord de l'usager, récupérait dans l'instant les données précisément identifiées, ce qui lui permettait de mener une analyse en ligne de la situation et de donner très rapidement une réponse à l'usager. C'est le projet en cours PALYMA, pour les villes de Paris, Lyon, Marseille.
Nous avons été contactés par les villes de Cahors, de Strasbourg ; nous le serons peut-être par celle du Havre. L'enjeu, pour les collectivités locales, et pour leur bénéfice, c'est de mieux travailler avec nous. Cela vaut également pour la dématérialisation de la facturation.
M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 40.
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017 - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics
M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le ministre, notre commission vous a déjà entendu le 7 mars dernier sur les premiers résultats de l'exécution du budget de l'État, mais toutes les données n'étaient pas encore disponibles à cette date, notamment l'état précis de l'exécution de chacune des missions budgétaires. En particulier, nous disposons désormais des rapports annuels de performance qui vont nous permettre d'approfondir notre examen.
Comme vous le savez, notre commission des finances porte une grande attention au contrôle de l'exécution des crédits qui fait pleinement partie de ses missions, aux côtés de son rôle législatif. Ce deuxième rendez-vous sur l'exécution des crédits budgétaires en témoigne, même si l'on peut regretter que l'examen par le Parlement de l'exécution des crédits soit limité à la sphère de l'État et ne porte pas sur l'exécution des comptes sociaux et ceux des collectivités territoriales.
Depuis janvier dernier, les rapporteurs spéciaux ont engagé, chacun dans leur domaine, des contrôles budgétaires. Au cours de ce semestre, nous procédons également à des auditions pour suite à donner aux enquêtes que nous avons commandées à la Cour des comptes et qui portent sur de nombreux domaines de l'action publique.
Votre audition sera complétée la semaine prochaine par une audition du Premier président de la Cour des comptes et, si les ministres y répondent favorablement - c'est déjà le cas de Muriel Pénicaud, ministre du Travail, pour la mission « Travail et emploi » - par quelques auditions ministérielles sur les missions pour lesquelles l'exécution 2017 appelle des questions particulières.
Cette audition est ouverte à la presse.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, je serai bref afin de répondre à un maximum de questions.
J'ai présenté ce matin même le projet de loi de règlement au Conseil des ministres, et c'est devant votre chambre que je le présente en premier - même si on peut regretter collectivement que le Parlement ne s'y attarde pas davantage, malgré les propositions très importantes que vous avez faites, M. le président, ainsi que M. le rapporteur général, et le fait que les comptes sociaux n'y figurent pas, toutes finances publiques confondues.
Je voudrais souligner ici que la révision constitutionnelle pourrait permettre de consacrer plus de temps à la loi de règlement en intégrant lesdits comptes sociaux. On ne peut en effet à la fois souligner que les administrations de sécurité sociale sont responsables de la moitié de la dépense publique et ne pas s'attarder à contrôler son exécution.
Le budget 2017 a déjà donné lieu à beaucoup de débats. Votre chambre a d'abord refusé de l'examiner lorsqu'il a été présenté par mon prédécesseur.
Je suis ensuite venu plusieurs fois devant votre commission pour présenter le décret d'avance, vous dire qu'il n'y aurait pas de collectif budgétaire, présenter deux projets de loi de finances rectificative, notamment celui relatif à la contribution exceptionnelle et additionnelle à l'impôt sur les sociétés pour compenser les effets de l'annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes, et évoquer les textes que vous m'avez demandé de présenter devant vous.
Le projet de loi de règlement établi par les services de la direction du budget et plus globalement de mon ministère est un document complet et le plus didactique et efficace possible. J'en remercie les services de Bercy.
Les enseignements que le Gouvernement entend en tirer sont nombreux.
Vous entendrez bientôt le Premier président de la Cour des comptes. Je me permettrai de donner un point de vue évidemment politique, celui du Gouvernement, en constatant que le déficit budgétaire de l'État s'établit à 67,7 milliards d'euros, soit une amélioration de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2016. Il s'agit de son plus bas niveau depuis 2008, soit, par rapport aux chiffres qui vous ont été présentés lors du second projet de loi de finances rectificative, une amélioration de plus de 6 milliards d'euros.
Je rappelle que le texte présenté en novembre dernier prévoyait un déficit à hauteur de 74,1 milliards d'euros. C'est donc pour nous une très bonne nouvelle, consacrée aujourd'hui par la Commission européenne. En effet, pour la première fois depuis dix ans, la France sort de la procédure pour déficit excessif, grâce à un niveau de solde budgétaire qu'elle n'avait pas atteint depuis 2007, à la veille de la crise économique et financière.
Ce déficit public s'est réduit de 0,8 point de PIB pour atteindre 2,6 % du PIB contre 3,4 % en 2016. Les risques identifiés par la Cour des comptes au lendemain des élections législatives ne se sont matérialisés. Ceci a pu se faire grâce notamment à un ajustement du Gouvernement à hauteur de 0,5 point de PIB, soit quasiment 10 milliards d'euros, à des mesures de modération voire d'annulation de dépenses qui ont fait couler beaucoup d'encre, et à la contribution exceptionnelle concernant l'impôt sur les sociétés (IS) destinée à compenser la censure de la taxe de 3 % sur les dividendes.
Sans ces dix milliards d'euros de redressement - cinq milliards d'euros en dépenses, cinq milliards d'euros de fiscalité nouvelle exceptionnelle sur les entreprises - nous ne serions pas sous la barre des 3 % du PIB, mais à 3,1 %. Ceci démontre à quel point nous avons eu raison de recourir à ce projet de loi de finances rectificative et de prendre le décret d'avance, dont je suis témoin qu'il a été parfois l'occasion de discussions politiques intenses.
Les efforts ont payé. Nous sommes dans un processus de baisse important de notre déficit, même si nous sommes très loin du déficit zéro. C'est en effet durant de telles périodes qu'il faut faire le plus d'efforts structurels pour être au rendez-vous de la relance si nous sommes confrontés un jour - et cela risque d'arriver - à une nouvelle crise économique.
Comment en est-on arrivé là ? Les efforts ont été importants. J'entends dire que le Gouvernement n'a pas baissé les dépenses publiques en 2017. C'est un procès étonnant : sans collectif budgétaire, cela paraissait assez difficile, sauf à prendre un décret d'avance plus important que nous n'avons pu le faire.
S'il y a un débat autour de la dépense publique, il aura lieu autour du budget 2018, qui traduit déjà la décélération très importante de celle-ci.
Ce montant, la Cour des comptes l'a évoqué dans son rapport. Je n'y reviendrai pas. Les crédits reportés ont été divisés par deux par rapport à l'année dernière, soit 1,8 milliard d'euros, ce qui témoigne d'une gestion la plus assainie possible par rapport aux huit dernières années. Nous sommes, à la fois pour les reports de crédits et, en même temps, en termes de sincérité du budget 2018, « dans les clous » de ce que votre chambre a longtemps demandé.
La dynamique des recettes est plus importante en matière d'impôts sur les sociétés et de TVA, notamment durant les trois derniers mois de l'année dernière.
Grâce à la prudence du Gouvernement, et en évitant de procéder à de nombreuses hausses d'impôt, les prévisions de recettes ont été plus importantes que prévu. Nous continuons à afficher dans le budget 2018 des prévisions de croissance à la fois prudentes et responsables, ce qui permettra de continuer à abaisser fortement notre déficit et notre dette dès cette année - avant peut-être d'autres évolutions : je sais que votre chambre discute en ce moment de la situation ferroviaire de notre pays...
La situation patrimoniale de l'État suffit à démontrer que le plus dur reste à venir. Il serait difficile de crier victoire au bout d'un an seulement d'action gouvernementale. Il faut améliorer les comptes publics. Je présenterai des réformes importantes de baisse de la dépense publique dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, mais aussi dans le domaine des comptes sociaux.
L'État connaît une situation nette de - 1 260 milliards d'euros. Nous ne pouvons comparer ce bilan à celui d'une entreprise privée, mais nous savons que nous ne pouvons continuer à avoir une telle différence entre actif et passif. Nous devons donc absolument rétablir les comptes publics davantage que nous ne l'avons fait jusqu'à présent.
Ce résultat patrimonial est déficitaire de 61 milliards d'euros. Les engagements hors bilan de l'État s'élèvent à 2 210 milliards d'euros. Il s'agit là essentiellement des engagements vis-à-vis des fonctionnaires civils et militaires.
Nous pourrons également discuter, si vous le souhaitez, des provisions des contentieux juridiques sur lesquels votre commission s'est très souvent penchée.
Enfin, l'encours de dette de l'État s'élève à 1 710,7 milliards d'euros, en augmentation de 63,9 milliards d'euros par rapport à 2016. C'est l'un des points noirs de cette loi de règlement. Nous allons freiner cette augmentation dès cette année, et anticiper les prévisions de la loi de programmation des finances publiques, qui prévoyait un ressac de la dette à partir de 2020. Une estimation plus optimiste de l'évolution de la croissance économique pourrait permettre de l'imaginer dès cette année.
Ces éléments sont de nature à convaincre que nous sommes sur le bon chemin, même si nous partageons l'année 2017 avec le Gouvernement précédent, et malgré les mesures de « refroidissement » de la dépense. Sans doute le débat le plus important sera-t-il celui portant sur le budget 2018, que nous aurons exécuté intégralement, sur lequel nous aurons, je crois, une discussion plus politique et plus conforme à l'engagement de la majorité parlementaire de l'Assemblée nationale, qui a soutenu le budget que je vous ai présenté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie le ministre de venir devant nous dès la présentation en Conseil des ministres de ce projet de loi de règlement. Nous y sommes sensibles.
Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à la contribution exceptionnelle concernant l'impôt sur les sociétés. Je l'avais contestée, non sur le principe, mais à propos du fait qu'on demandait sans doute un peu trop aux entreprises, alors que l'élasticité des recettes aurait permis d'en demander un peu moins.
J'ai l'impression d'avoir eu quelque peu raison, puisque le rendement de 4,9 milliards d'euros a été supérieur à ce qui était prévu. Ceci s'explique-t-il par une accélération des recouvrements ou par le fait que le rendement total de cette taxe s'avère meilleur que prévu ?
Ma deuxième question porte sur un problème de comptabilisation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), notamment concernant les départements. Je vous remercie de nous avoir adressé une lettre d'explications. J'ai l'impression qu'il y a eu un dysfonctionnement. L'erreur est humaine mais pouvez-vous nous en expliquer les raisons et les conséquences sur le budget de l'État ? Ceci fausse en effet le solde budgétaire de l'État de 1,5 milliard d'euros. Cela induit-il aussi des retards de versement aux départements ?
Ma dernière question est plus générale. On peut se réjouir du dynamisme des recettes et de l'amélioration du solde mais vous l'avez dit vous-même : le plus dur reste à venir. Il est vrai que l'amélioration du solde repose largement sur le dynamisme des recettes.
On a du mal à voir quand sortira le chiffrage des économies. Je pense au programme « Action publique 2022 », que nous attendons. J'espère que ce programme comportera des propositions audacieuses. Nous en avons nous-mêmes fait sur le temps de travail des fonctionnaires, la masse salariale publique, les relations entre l'État et les collectivités locales... Le projet de loi de finances 2019 sera-t-il l'occasion d'infléchir significativement la croissance des dépenses de l'État ?
Je suis d'accord avec vous sur le fait que la responsabilité de cet exercice est partagée. Sans collectif budgétaire, le jugement sera forcément assez nuancé. Le grand rendez-vous sera pour l'année prochaine. Avez-vous d'ores et déjà des éclairages à ce sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - La contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés enregistre en effet un léger mieux de 200 millions d'euros de recettes par rapport aux prévisions du Gouvernement. Il a été compliqué de savoir comment ceci allait être comptabilisé. Je rappelle que c'était là une des difficultés d'interprétation comptable, la surtaxe ayant été enregistrée comme un prélèvement obligatoire. Le taux de prélèvements obligatoires s'est donc alourdi, ce qui n'est pas illogique s'agissant d'une imposition supplémentaire.
Dans le même temps, le remboursement aux entreprises ayant gagné le contentieux, qui correspond à une baisse d'impôts, prend la forme d'une augmentation de dépenses. C'est cette difficulté statistique qui explique en partie les mauvais chiffres des taux de dépenses et de prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB.
La surtaxe devait permettre de tenir un chiffre de déficit correspondant à celui que nous avions prévu, en évitant une dégradation de l'ordre de 0,2 % du PIB. De même, il existait une question autour du traitement de la recapitalisation d'Areva. Par deux fois, le comptable public européen et national nous a donné raison. Au total, il y a donc eu un léger excédent de 200 millions d'euros : celui-ci dépendait beaucoup de la façon dont les entreprises allaient être remboursées et dont nous allions toucher cet impôt. Le pilotage était donc difficile.
Enfin, si le rendement de cette taxe a été légèrement supérieur à ce que nous attendions, ce n'est pas ce qui explique les bons chiffres du déficit, puisque 2,2 milliards d'euros sont nécessaires pour améliorer les recettes à hauteur de 0,1 % du PIB.
Pour ce qui est des DMTO, il s'agit bien d'une erreur de l'administration. Je l'ai écrit à la Cour des comptes dès que je l'ai su. Elle n'a rien à redire sur la rectification qui a été opérée. Cela concerne notamment des DMTO dont 80 % sont touchés par les collectivités territoriales et qui ont été bloqués sur des comptes. Ils ont bien été récupérés, mais n'ont pas été redistribués jusqu'au bout.
J'ai moi-même écrit au président des départements de France et à tous les présidents de départements. Sur 355 millions d'euros de droits de mutation concernés, 155 millions d'euros allaient aux départements. Ils ont tous pris connaissance de ce courrier.
L'erreur est due à un nouveau logiciel de compatibilité de la DGFiP. Je me suis intéressé à la question, pour constater que les départements ont bien perçu leur part sur ces droits de mutation.
Je suis d'ailleurs fondé, monsieur le président, à vous communiquer, si vous le souhaitez, l'intégralité des montants des droits de mutation pour tous les départements, assorti d'un tableau rectificatif. Il ne s'agit pas de sommes très importantes, mais elles représentent ce que doivent toucher ces collectivités.
Ceci n'a pas modifié grandement le solde. Je vous rappelle que les droits de mutation ont augmenté de 16,6 % en 2017.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis scandalisé à l'idée que l'on augmente le taux !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je pense que l'on aura ce débat à un autre moment.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Donc cette erreur améliore le déficit en 2018.
M. Gérald Darmanin, ministre. - En effet. On a essayé de corriger cela mais ça n'a pas été autorisé. On aurait en effet pu modifier le projet de loi de règlement. Cela nous aurait bien aidés de le faire, mais nous avons essayé d'être le plus transparent possible avec vos commissions comme avec la Cour des comptes, ce qu'elle a d'ailleurs relevé, ainsi que vous l'avez noté - et je vous en remercie.
J'entends ce que vous dites à propos de la baisse de la dépense publique en 2018 et les années suivantes. Le programme « Action publique 2022 » ne constitue pas a priori une économie budgétaire caractérisée. C'est avant tout une transformation des services publics.
J'ai eu l'occasion de dire qu'indépendamment d'« Action publique 2022 », le Gouvernement a déjà fait de grandes réformes dans le budget 2018, que le Sénat, dans sa pluralité, a très peu soutenues - fin des contrats aidés pour 1,5 milliard d'euros, réforme du logement pour le même montant.
Nous avons prévu de très importantes baisses de dépenses publiques - notamment en matière de logement, avec la contemporanéité du versement des aides au logement pour environ 1 milliard d'euros.
J'ai annoncé que, profitant de la reprise économique, la question des aides aux entreprises, au moment où nous baissons leur fiscalité, est à repenser. Sur 140 milliards d'euros d'aides aux entreprises, le Gouvernement compte les réduire d'un montant maximal de 5 milliards d'euros, soit 0,3 point de richesse nationale, ce qui n'est pas rien. Nous le ferons dès le projet de loi de finances pour 2019.
Il en va de même de l'audiovisuel public, qui représente 4 milliards d'euros de dépenses publiques - France télévisions, Radio France, etc. -, soit 1 milliard d'euros de plus que le budget de la culture. Sans dévoiler la réforme que présentera la ministre de la culture et de la communication, c'est une piste de transformation importante.
En ce qui concerne « Action publique 2022 », il est, me semble-t-il, à peu près assuré que nous serons tous informés avant de partir en vacances. N'étant pas Premier ministre, je ne me permettrai pas de divulguer le contenu ni la date de cette réforme.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce sera donc avant l'été !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Ce sera même, je pense, avant l'été administratif.
M. Vincent Éblé, président. - La parole est aux commissaires.
M. Dominique de Legge. - Monsieur le ministre, concernant le budget de la Défense, 850 millions de crédits de paiement ont été annulés à l'été 2017. Cela ne s'est pas traduit par une annulation de programmes, mais la Cour des comptes précise que 300 millions d'euros de commandes ont dû être reportés et que certains besoins prioritaires n'ont pu être satisfaits.
Pouvez-vous nous assurer que cette décision n'aura pas d'impact sur l'exécution de la loi de programmation militaire dont nous débattons actuellement dans l'hémicycle ?
M. Michel Canevet. - Monsieur le ministre, on peut se réjouir que la situation soit finalement bien meilleure que celle qui était prévue, malgré un héritage problématique, avec des dépenses supplémentaires engagées durant le premier semestre et, comme la Cour des comptes l'a rappelé, des sous-budgétisations assez significatives.
On peut également se réjouir de sortir de la procédure de déficit excessif, mais je crois néanmoins que l'amélioration du solde public est due malgré tout pour l'essentiel à la situation des collectivités locales et à l'amélioration de leurs comptes, qui joue sur le déficit et permet de réduire significativement ce taux. Pouvez-vous confirmer que c'est le cas ?
Concernant la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, une partie - améliorée d'ailleurs - a été encaissée en 2017. Reste-t-il encore quelque chose à encaisser en 2018 pour couvrir les montants restant à honorer pour le contentieux sur la taxe sur les dividendes ?
Enfin, la situation de notre commerce extérieur, malgré une embellie, reste relativement préoccupante. C'est un sujet sur lequel il faudra revenir afin de voir comment améliorer notre balance commerciale. Les entreprises françaises ne sont pas toujours compétitives à l'international : il faut donc continuer à travailler sur la baisse des charges sociales si l'on veut permettre au déficit de notre balance commerciale de se réduire et, si possible, comme en Allemagne, de se transformer en excédent.
M. Éric Bocquet. - Monsieur le ministre, ma première question porte sur la dette. Je crois savoir que, depuis quelques années, il est possible d'emprunter à des taux négatifs. Cela a été le cas en 2015, 2016 et 2017. Je crois que c'est encore vrai aujourd'hui. Vous le confirmerez ou l'infirmerez. Bizarrement, on gagne de l'argent en s'endettant ! Faire de la dette génère de la recette !
On parlait de plusieurs milliards d'euros en 2016, récoltés sous forme de primes d'émission, mis de côté pour être gérés dans les années suivantes. Est-ce que cela a été le cas pour l'exercice 2017 ? Si oui, pour quels montants ? Quelle est leur destination ?
En second lieu, le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), sorte de « cellule de dégrisement fiscal », a été fermé le 31 décembre dernier. Or votre document indique, page 21, qu'il reste des dossiers à traiter. Quel est leur montant et leur enjeu financier ? Quelle issue ces dossiers connaîtront-ils ?
M. Vincent Delahaye. - Monsieur le ministre, avez-vous calculé l'impact de la contribution exceptionnelle sur les sociétés et du remboursement de la taxe sur les dividendes ?
En second lieu, le document que vous nous avez remis présente la séparation des exercices et le rattachement des charges de façon transparente. Je vous remercie, car ce n'était pas le cas les années précédentes.
On peut noter qu'on était au plafond fin 2016 : 15 milliards d'euros de charges qui auraient dû être affectées sur 2016, ont été reportées sur l'année suivante, soit une augmentation de 4 milliards d'euros par rapport à 2015. Vous avez réduit cette somme de 600 millions d'euros en fin d'exercice. Cela représente un certain effort. Votre volonté est-elle d'en réaliser davantage à l'avenir, sachant que les charges à payer devraient être à zéro ?
M. Philippe Dallier. - Je reviendrai d'abord sur les aides personnelles au logement et la polémique de l'été 2017 - les fameux 5 euros de moins pour tous. L'enjeu était de 124 millions d'euros pour cette année-là : la mesure a finalement rapporté 79 millions d'euros, et vous avez ajouté, en loi de finances rectificative, 45 millions d'euros. 200 millions d'euros environ n'ayant pas été consommés sur l'ensemble de la mission, on peut se demander si le jeu en valait bien la chandelle !
Le Président de la République a fini par considérer que c'était une mesure imbécile. J'ai entendu Julien Denormandie confirmer que c'était une très mauvaise idée. Cela dit, en année pleine, cette mesure rapporte environ 400 millions d'euros. Que compte faire le Gouvernement ?
Vous nous avez informés que de nouvelles annonces seraient faites au sujet de l'APL en 2018, notamment concernant la contemporanéité des revenus. Cette mesure représenterait 1 milliard d'euros mais, le jour où la situation se dégradera à nouveau, on prendra plus vite en considération la baisse des revenus des allocataires. Il n'est donc pas certain que ce gain soit pérenne. Allez-vous conserver cette mesure ?
Les aides à la pierre constituent un sujet plus inquiétant. À votre arrivée au Gouvernement, vous avez sabré dans ces aides. Dans le budget 2017, période électorale oblige, on avait vu resurgir 200 millions d'euros de crédits, après une période où les aides à la pierre avaient eu tendance à diminuer. Puis vous les avez finalement réduites drastiquement.
Les conséquences sont là : l'objectif de financement du logement social était de 142 000 logements. On en aura financé 113 000, alors qu'on en avait financé 126 000 en 2013.
Établissez-vous un lien direct entre la réduction de ces aides à la pierre et la baisse des logements financés ? Je ne reviendrai pas sur ce que nous avons voté lors de la loi de finances pour 2018, mais certains risquent de déchanter lorsque nous aurons les chiffres de construction de logements sociaux.
Un mot sur l'hébergement d'urgence. Le rebasage a débuté en 2016, mais on savait que tout cela serait relativement loin des besoins, ce qui s'est confirmé. Vous avez fait un effort supplémentaire pour 2018, que j'ai également salué à l'automne dernier. Pouvez-vous nous dire, à mi-parcours, comment vous envisagez de terminer l'année ? Il ne semble pas que la conjoncture, en matière d'hébergement d'urgence, se soit améliorée. Les problèmes à Paris ne sont pas réglés. Les déclarations du ministre de l'intérieur à propos ce qu'il attendait de Mme le maire de Paris en la matière n'ont d'ailleurs pas manqué de me surprendre.
M. Gérald Darmanin, ministre. - S'agissant de la loi de programmation militaire, on peut s'accorder sur le fait que le Gouvernement a eu raison, l'été dernier, de ne pas dégeler les crédits ni de répondre à des injonctions contradictoires, quitte à connaître une difficulté forte devant votre chambre, ou des débats médiatiques dont on se souvient désormais un peu moins.
Nous avons dégelé l'intégralité des 700 millions d'euros de crédits militaires - ce que les gouvernements ne faisaient pas auparavant - durant la dernière quinzaine de décembre. Ceci a permis au ministère des armées de faire face à ses engagements. Nous avons par ailleurs divisé par deux le report de charges de ce même ministère, ce qui n'était pas arrivé depuis très longtemps.
La discussion de la loi de programmation militaire est désormais fondée sur des chiffres sincères, même si on peut continuer à diminuer le report de charges. Nous avons divisé presque par trois le taux de gel des crédits. Nous sommes aujourd'hui à 3 %, contre 8 % sous le Gouvernement précédent.
J'avais d'ailleurs pris devant votre commission des engagements en matière de baisse du gel des crédits. Je n'en ai pour l'instant dégelé aucun. Sous le Gouvernement précédent, certains dégels ont parfois eu lieu la première semaine de janvier. Indépendamment de ce qu'on pense du budget de la Nation, ce n'est objectivement pas une façon très sincère d'organiser les choses.
Ce mode de gestion rénové garantit également au ministère des armées un éventuel avantage interministériel en cas de difficultés plus fortes. À la fin du quinquennat, nous aurons réglé la question à interventions militaires constantes, et divisé par deux les reports de charges. Il n'y a aucune raison - sauf si les collègues de Mme la ministre des armées dépensent l'argent impunément, mais je veille au grain - que nous ne dégelions pas les crédits, mais nous les conserverons jusqu'à la fin pour pouvoir répondre aux interrogations de la Nation d'un point de vue budgétaire.
S'agissant des collectivités locales, ce sont elles, plus que l'État, qui ont contribué à la maîtrise des dépenses publiques, notamment durant les huit ou neuf dernières années, particulièrement sous le quinquennat précédent - même si les mauvais chiffres économiques résultaient partiellement de la crise.
En 2017, le président Hollande avait expliqué au congrès des maires de France qu'il y aurait moins de baisses de dotations que prévu. On peut bien sûr considérer que ces baisses ont contribué à permettre l'adoption du budget en 2017, mais je vous rappelle que la Cour des comptes a évalué le déficit à 3,4 % du PIB au moment où nous sommes arrivés aux responsabilités.
Ce projet de loi de règlement nous permet de discuter de la vérité des prix. Nous avons réalisé 5 milliards d'euros d'annulation de crédits et modéré les dépenses de 5 milliards d'euros.
Je me suis engagé à ne plus recourir à un décret d'avance. Je tiendrai ma promesse, mais il faut en discuter en amont. Le décret d'avance de 2017 représentait 5 milliards d'euros, soit environ 0,2 % à 0,3 % du PIB, auxquels il faut ajouter entre 0,2 % et 0,3 % de recettes concernant la surtaxe. Nous avons donc amélioré le solde de 0,5 %. Nous serions à 3 % de déficit public si nous n'avions pas pris ces mesures.
Oui, les collectivités locales ont contribué aux économies dans le budget 2017, mais ce n'est pas ce qui nous a fait passer à un déficit public de 2,6 %, sachant qu'il existe des incertitudes comptables concernant Areva et la surtaxe.
S'agissant de l'imputabilité comptable des prélèvements obligatoires - mauvaise nouvelle - la redevance télévisuelle a été considérée par l'INSEE comme un prélèvement obligatoire, soit 0,2 % du PIB de prélèvements obligatoires supplémentaires, de même que la contribution exceptionnelle d'impôt sur les sociétés pour 0,2 % de PIB, soit 0,4 % du PIB d'augmentation au total, ce qui représente quasiment 9 milliards d'euros. Enfin, le remboursement de ce contentieux lié à la taxe de 3 % sur les dividendes a été comptabilisé en dépenses publiques.
Sans doute les impôts sont-ils trop élevés en France, mais nous avons joué de malchance.
Il reste 5 milliards d'euros à rembourser aux entreprises après le 1er janvier au titre du contentieux, et 600 millions d'euros à 700 millions d'euros à encaisser sur le montant de la surtaxe du dernier PLFR.
Selon Éric Bocquet, plus on fait de la dette, plus on fait de recettes...
M. Éric Bocquet. - Il s'agit des primes d'émission !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Ceci est très mortifère pour la discussion politique et budgétaire. J'ai coutume de dire que les solutions communistes en matière budgétaire fonctionnent, mais une seule fois ! On constate dans le projet de loi de règlement que le deuxième budget de l'État est constitué par le remboursement de notre dette. Vous devriez donc être les premiers à vous élever contre l'argent qu'on donne à ceux qui nous prêtent, dont les deux tiers ne font pas partie de nos compatriotes.
On emprunte encore parfois à des taux négatifs, vous n'avez pas tort, mais il apparaît que ce ne sera plus le cas à la fin de l'année. Les choses changent peu à peu.
La BCE a pratiqué cette politique pour aider des pays comme le nôtre à se sortir des difficultés financières et économiques. Il est toutefois important de redresser les comptes publics pour éviter d'être asphyxiés en cas de remontée des taux.
Nous avons perçu 10,7 milliards d'euros de primes d'émission. C'est autant de dette en moins, mais il ne faut pas laisser croire qu'emprunter, c'est s'enrichir. Chacun voit que la réalité budgétaire risque de nous rattraper assez vite.
S'agissant de la fermeture du STDR, je ne connais pas le montant exact des sommes correspondant aux dossiers encore à traiter. Je ne sais quelle suite y sera donnée, le ministre des comptes publics n'intervenant pas dans les dossiers fiscaux particuliers.
Je vous écrirai, ainsi qu'à M. le président de la commission et M. le rapporteur général, pour vous communiquer le nombre de dossiers restant. Le rapporteur général et le président de la commission peuvent venir quand ils le souhaitent étudier ces dossiers.
S'agissant des aides personnelles au logement, Philippe Dallier, je ne regrette rien. Il y a certes plus intelligent que des mesures paramétriques. Nous avons pour la plupart d'entre nous géré des collectivités ou des budgets : ce sont des mesures d'urgence que l'on prend quand on n'a pas réalisé les réformes structurelles nécessaires, et je n'ai jamais prétendu que la réduction des aides de 5 euros était intelligente. Cependant, il s'agissait d'appliquer une mesure prévue dans le budget, qui n'avait pas été mise en oeuvre par la majorité précédente.
Par ailleurs, j'ai toujours considéré ce système comme inflationniste et propre à aider les propriétaires à fixer leurs loyers.
Enfin, lorsque nous sommes arrivés, rien ne pouvait laisser croire que nous allions connaître cette croissance, ce niveau de déficit et cette loi de règlement. Tout ce que je souhaite, c'est que nous puissions mener les réformes structurelles nécessaires pour éviter cela.
C'est pourquoi une baisse des prestations sociales ne me semble pas normale. On peut bien sûr réformer le champ social. La prime d'activité, qui était de 4 milliards d'euros en 2016 contre 6 milliards d'euros à présent, pose par exemple une question de dépense publique et de gestion des dépenses de guichet mais il est clair que la réduction paramétrique des prestations ne paraît pas une réforme économique intelligente.
S'agissant de l'hébergement d'urgence, la difficulté que vous évoquez n'est pas totalement vérifiée. Cela va bien dans toutes les régions de France, sauf en Île-de-France. Ceci tient aux prix plus qu'au nombre de nuitées. Nous l'avons rappelé à l'ensemble du corps préfectoral. Vous le savez, il existe parfois une confusion dans les crédits soumis aux préfets pour faire face à des difficultés très fortes que je ne sous-estime pas.
Nous en discuterons dans l'hémicycle, et je pourrai alors préciser des points de façon plus détaillée. C'est aussi à Jacques Mézard de le faire.
J'ai lu vos rapports avec attention, mais il ne me semble pas que l'hébergement d'urgence doive absolument être rattaché à la cohésion des territoires. Cela me paraît lié à la politique d'asile et d'immigration que mène le ministère de l'intérieur. N'y voyez toutefois aucun effet d'annonce.
Cela nécessite surtout un travail de distinction des crédits très important. On ne le fera pas cette année, mais des comptes sincères nécessitent surtout de distinguer les différentes catégories d'hébergement d'urgence.
Il faut qu'on y travaille. Je pense que Jacques Mézard y est très attentif et qu'il est très demandeur de solutions sur ce sujet, tout comme le ministère des comptes publics.
M. Philippe Dallier. - Qu'en est-il des aides à la pierre ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - On m'a expliqué que la réforme que l'on a menée amènera une baisse très forte de la construction des logements sociaux. Pour l'instant, ce n'est pas ce que je constate - mais c'est peut-être encore trop tôt.
Je ne vois pas le lien avec l'aide à la pierre. Il est sûr qu'il faut une politique du logement plus cohérente. On a multiplié la dépense, et parfois la dépense fiscale, sans grande cohérence avec la politique d'offre foncière.
Ce n'est pas ma partie. Je suis sûr que Jacques Mézard et Julien Denormandie sauront répondre à vos questions à ce sujet.
M. Pascal Savoldelli. - Monsieur le ministre, peut-on faire une assimilation entre l'hébergement d'urgence et l'immigration ? Je demande que l'on considère les choses avec sérieux !
M. Philippe Dallier. - Je ne l'ai pas compris ainsi. On parlait des crédits de l'un, qui s'appuient parfois sur l'autre, ce que je dénonce depuis un moment.
M. Gérald Darmanin, ministre. - ... Notamment en Île-de-France. Il me semble plutôt que ces propos vont dans votre sens !
M. Pascal Savoldelli. - Ce dialogue est important : cela évite des incompréhensions.
Un peu d'insolence, qu'elle vienne d'un ministre ou d'un sénateur, n'est pas gênante. Je vais donc faire comme vous, monsieur le ministre : quand Éric Bocquet vous pose une question, il faut y répondre sans idéologie. Je répète donc la question : l'État a-t-il emprunté oui ou non à des taux négatifs ? Ce n'est pas l'affaire du Gouvernement actuel.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je vous ai répondu !
M. Pascal Savoldelli. - Vous prétendez donc qu'il n'y a pas eu d'emprunt à des taux négatifs ? Je ne suis pas comptable, mais l'État encaisse bien des sommes supérieures à celles qui vont être remboursées à l'échéance...
Le chiffre de la Cour des comptes, qui n'est pas particulièrement d'obédience communiste, évalue ce montant à plus de quinze milliards d'euros pour 2016. C'est peut-être une erreur...
Je ne doute pas de la sincérité des uns ou des autres. Y a-t-il un matelas, qui n'est pas le fait du Gouvernement actuel ?
Par ailleurs, je déplore que nous n'ayons eu votre document que cet après-midi. Je suis issu des classes laborieuses : il me faut donc du temps pour l'analyser. Par exemple, concernant les dépenses d'intervention, sont-elles analysées à périmètre constant ? Il s'est en effet passé énormément de choses depuis 2008 - évolution des politiques publiques, effets du CICE, dont le montant semble avoir évolué plus vite que prévu, allégements sociaux, etc.
Comparaison n'est pas raison, mais laissez-nous le temps de prendre connaissance de ces chiffres pour avoir un débat le plus sérieux possible. Nous en débattrons ailleurs qu'en commission.
Vous dites que les impôts sont trop élevés. Cependant, la TVA a progressé de 8 % depuis 2008. Son rendement de 152 milliards d'euros confirme sa position de première recette de l'État. S'agit-il d'un impôt trop élevé ?
Certes, les taux peuvent remonter, mais êtes-vous satisfait des dépenses d'investissement de l'État ? 3 % d'investissement, c'est très faible du point de vue de l'action publique et cela a des conséquences sur la population.
Enfin, vous affirmez que les collectivités territoriales ont été mises à contribution. On n'est pas loin de la vérité, mais la réduction des déficits tient aux prélèvements sur recettes, en baisse de 5,3 milliards d'euros : 2,7 milliards d'euros pour les collectivités territoriales, et 2,6 milliards d'euros pour la contribution au budget européen.
Vous avez employé le terme de contraintes, monsieur le ministre : je me sens plus proche de votre formulation que de celle de mes collègues. On a tous fait des efforts, mais cela a des conséquences sur les politiques publiques dans les territoires.
M. Thierry Carcenac. - Monsieur le ministre, il s'agit d'un projet de loi de règlement qui, comme chaque fois, permet au Gouvernement de dire ce qu'il a fait de mieux et de meilleur.
Cependant, 2017 est une année de cogestion. Lorsqu'on examine la trajectoire au cours des années qui viennent de s'écouler, on se rend compte que les engagements européens ont été respectés sous le dernier mandat. Je ne doute pas que ceci aurait continué.
On nous dit que l'impôt sur les sociétés va encore baisser. C'est une orientation qui avait été prise par le précédent Gouvernement et cet impôt rapporte très peu par rapport aux autres impôts - de l'ordre de 35,7 milliards d'euros.
Le CICE, quant à lui, a permis à nos entreprises de mieux se comporter et d'être plus compétitives.
Par ailleurs, la forte hausse de la masse salariale, dans ce cadre, est liée notamment au nombre d'équivalents temps plein (ETP) qui ont été recrutés dans des secteurs importants qui ont connu de fortes baisses. Je ne doute pas que l'on va connaître, dans les années à venir, une augmentation de fonctionnaires dans ces secteurs, comme la défense, l'éducation, ou l'intérieur.
J'ai ainsi relevé la création de 11 700 ETP supplémentaires. L'augmentation de la masse salariale, devrait encore se poursuivre à l'avenir.
Votre rapport traite des « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) qui ont eu des conséquences en 2017, mais qui sont gelés en 2018. Je ne doute pas non plus que cela entraînera des augmentations de la masse salariale.
Enfin, votre rapport évoque une augmentation du point d'indice que vous faites remonter à dix ans : il me semble que s'il n'y avait pas augmentation du point d'indice les autres années, les rémunérations étaient cependant actualisées par le biais de la garantie de pouvoir d'achat pour certains fonctionnaires. Pourrait-on savoir ce qui se passe en la matière ?
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce débat. Cette année partagée comporte quelques éléments positifs, mais tout n'a pas commencé à partir du mois de mai.
M. Rémi Féraud. - Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger dans le cadre du rapport de contrôle sur l'action extérieure de l'État que nous réalisons avec Vincent Delahaye.
On constate, dans projet de la loi de règlement, que le ministère des affaires étrangères a contribué à la réduction des dépenses au-delà de ce qui était prévu par la loi de programmation des finances publiques : 6 % de 2016 à 2017, au lieu d'un peu plus de 3 %.
Par ailleurs, l'enseignement français à l'étranger a été mis à très forte contribution, ce qui a créé une grande émotion. Le Gouvernement s'est engagé à ne pas effectuer de régulation budgétaire supplémentaire en cours d'année. Pouvez-vous notamment nous confirmer que l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ne connaîtra pas de surgel en cours d'année ?
De même, le taux de réserve sur les bourses était d'habitude de 8 % en début d'année. La part de crédits gelés a été augmentée de plusieurs millions d'euros l'an passé. Cette année, le taux n'était que de 3 %. Les frais de scolarité augmentent par ailleurs. Pouvez-vous nous confirmer que vous en resterez à ce taux de mise en réserve et qu'il n'y aura pas de mesures supplémentaires de régulation budgétaire ?
M. Claude Raynal. - Monsieur le ministre, je serai exceptionnellement bref, et ce pour une bonne raison : ce débat, on l'a déjà quasiment esquissé lors du programme de stabilité 2018-2022. Je pense que le document que vous nous avez remis aujourd'hui contient beaucoup d'éléments présentés lors de ce programme de stabilité.
Je voudrais vous donner acte du fait qu'il ne faut pas crier victoire. J'en prends bonne note. Ce n'était pas tout à fait le cas au moment de la présentation du programme de stabilité, qui était plutôt emphatique. Je considère que le document remis aujourd'hui gomme un certain nombre d'excès, que j'ai déjà pu signaler pour une large part, où l'on pouvait parler de l'arrivée, en mai, du « Roi-Soleil » et du passage de l'obscurité à la lumière.
Aujourd'hui, la tonalité générale est moins démonstrative de ce point de vue. Il est logique que le Gouvernement défende sa politique. Il le fait de manière me semble-t-il plus modérée. J'en prends acte.
On a quelques difficultés malgré tout avec un certain nombre de points, comme l'indice de confiance des entreprises. Vous citez des chiffres. Malheureusement, cet indice retombe en avril 2018. Je ne suis pas sûr que les mesures que vous avez prises - qui ne nous conviennent pas par ailleurs - soient de nature à recréer la confiance dont se targue assez facilement le Gouvernement.
Vous dites que les engagements qui ont été pris dès mai 2017 ont été tenus. S'agissant d'une année commune, vous auriez tout aussi bien pu dire que les engagements pris dès janvier 2017 ont été tenus. On a toujours prétendu que les objectifs du gouvernement précédent ne seraient jamais atteints : ils l'ont pourtant toujours été, et même un peu mieux que prévu !
Nul doute que, sans les élections, ce Gouvernement aurait corrigé certaines choses. Ses engagements, avec l'aide de son administration, qui est toujours la même, auraient été respectés, et auraient sorti la France des déficits.
Je crois à l'honnêteté intellectuelle des gouvernements et à celle des ministres ! Je pense sincèrement que, lorsque vous agissez en tant que ministre de la France, vous faites au mieux dans l'exercice de vos fonctions, comme vos prédécesseurs dans une période extrêmement difficile.
En 2009, juste après la crise mondiale, le déficit de la France était à environ 8 % du PIB. En 2012, on était à 5,2 %. On ne peut dire que les gouvernements précédents n'ont pas essayé de combler ce déficit. Le dernier gouvernement de François Hollande a fait sa part du travail en ramenant ce déficit de 5,2 % à 3 %. Aujourd'hui, vous poursuivez sur la même trajectoire, avec une perspective pour 2022 à peu près du même ordre.
J'en suis très satisfait. Heureusement qu'il existe une continuité de l'État sur des questions aussi importantes que celle du budget de l'État et de l'action des ministres ! Nous sommes à 2,6 % de déficit public cette année. Beaucoup de choses sont dues à la croissance, vous l'avez indiqué plusieurs fois, en particulier à la croissance mondiale.
Un point me chagrine cependant. Il porte sur la réduction de 5 euros des aides personnelles au logement qui, dans votre majorité comme au sein du Gouvernement, a créé une difficulté. Ce n'est pas déchoir que de reconnaître après coup qu'on a fait une erreur politique, une erreur d'analyse, une erreur financière.
Beaucoup de vos collègues l'ont reconnu. Beaucoup de députés de votre majorité sont assez gênés - pour ne pas dire plus.
Vous avez précédemment contesté la somme de 100 millions d'euros que j'évoquais, prétendant que cela représentait 400 millions d'euros. Pas du tout ! 400 millions d'euros, c'est pour une année pleine. Philippe Dallier l'a d'ailleurs confirmé tout à l'heure.
Compte tenu de l'amélioration finalement constatée du solde budgétaire, on peut reconnaître sans déchoir que cette réduction du montant des aides au logement constitue une erreur d'appréciation ! L'imputer à vos prédécesseurs n'est pas correct. Il s'agit d'une proposition de l'administration que n'a pas retenue l'ancien Gouvernement. Une note très précise de Philippe Dallier à ce sujet démontrait clairement les choses. Il faut arrêter une fois pour toutes cette polémique, reconnaître qu'il s'agit d'une erreur technique et politique - ce qui m'étonne de vous !
M. Bernard Delcros. - Monsieur le ministre, la situation financière s'améliore globalement. Il y a différentes raisons à cela. Vous les avez rappelées de manière objective.
Vous êtes sur une trajectoire de diminution de la dépense publique. Tout le monde est d'accord. Vous avez indiqué quelques pistes.
Ma question porte sur une éventuelle hausse des taux d'intérêt, toujours possible, qui constitue la deuxième dépense du budget de l'État.
Anticipez-vous d'éventuelles hausses dans la trajectoire des dépenses publiques ?
En second lieu, page 49 de votre document, figure un écart très important entre la prévision et l'exécution des dépenses de la mission « Agriculture, alimentation, forêt, affaires rurales ». Y a-t-il une explication à cela ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Pascal Savoldelli a repris la question posée par Éric Bocquet.
Il me semble que vous n'êtes pas le dernier, monsieur le sénateur, dans l'hémicycle comme dans cette commission, à faire de la politique. Permettez-moi donc de tenir également des propos politiques !
J'ai répondu à Éric Bocquet, mais je vais recommencer avec plus de précisions. Nous empruntons encore à taux négatif, même si ce n'est pas le cas de la moyenne des emprunts contractés par la France. Nous sommes aujourd'hui à 0,65 %. En 2016, nous étions à 0,37 %.
Nous pensons que les taux d'intérêt vont continuer à augmenter. Pour l'instant, ils sont encore inférieurs au taux d'intérêt autour duquel nous avons construit le budget 2018. La question du delta entre le taux d'intérêt prévu et le taux d'intérêt constaté peut se poser, mais nous ne sommes qu'au début de l'année. Ce n'est pas parce qu'on emprunte de temps en temps à des taux négatifs que c'est le cas de tous nos emprunts.
Le besoin de financement de notre pays s'élève à 185 milliards d'euros. C'était le cas l'année dernière. Les primes d'émission, quant à elles, sont d'environ 11 milliards d'euros. Cela présente quand même une différence par rapport à votre démonstration. C'est pourquoi je me suis permis d'ironiser. On ne peut pas dire que, plus on emprunte, plus on est riche. Ce système, quand bien même il fonctionnerait au cours d'une année budgétaire donnée, n'est pas culturellement positif dans la façon de gérer les comptes publics, et s'arrêtera par ailleurs.
On a en effet baissé la charge de la dette de 300 millions d'euros, du fait notamment d'emprunts négatifs, mais tout le monde s'accorde à dire que ces taux d'intérêt vont augmenter et que la politique de la BCE va sans doute changer.
Si on laisse à penser que, plus on emprunte, plus on peut s'enrichir, on peut se poser la question de savoir pourquoi on cherche à réduire la dépense publique ! Je le dis d'autant plus que nous sommes encore à 2,6 % de déficit. C'est bien que nos recettes restent inférieures à nos dépenses.
Depuis 40 ans, la France dépense en moyenne 25 % de plus qu'elle ne reçoit. Relativisons donc ces taux d'intérêt très bas, voire négatifs. En moyenne, emprunter nous coûte de l'argent. Cela a servi la France au moment où elle a emprunté, mais non la culture générale. Ces perspectives s'amenuisent aujourd'hui, chacun peut le constater.
L'intervention de Thierry Carcenac portait sur le coût des dépenses de personnel. Celles-ci ont très fortement augmenté en 2017, avec 14 000 créations d'emplois publics, ce qui relativise le discours selon lequel nous ne diminuons pas assez le nombre d'agents publics.
Le Gouvernement précédent a créé l'année dernière 14 000 postes. Nous en avons supprimé en net 1 600 en 2018. Certains estimeront que ce n'est pas assez. D'autres penseront que c'est trop. L'amplitude est de 15 600, mais il est difficile d'arrêter les créations de postes. C'est un vrai débat politique.
Il n'est donc pas vrai de dire que nous saignons le service public ni que nous ne baissons pas la dépense liée à la création d'emplois publics. Je suis heureux de pouvoir avoir cette discussion. Thierry Carcenac a raison de dire que c'est une partie des réponses à la question de l'augmentation de la masse salariale de l'État.
Il y a d'autres raisons - augmentation du point d'indice, PPCR qui représente 80 % de la dépense prévue dans ce quinquennat au titre des mesures en nature de rémunération des fonctionnaires. Le plus dur est devant nous - 11 milliards d'euros. C'est pourquoi nous avons décalé l'application du PPCR, l'année 2018 étant difficile. Tout ceci représente une augmentation de 3,6 % de la masse salariale de l'État.
Rémi Féraud, il n'y a pas de surgel. Nous avons appliqué le gel de 3 % à tout le monde. Il est important de rappeler que nous ne l'avons pas diminué pour qui que ce soit. Le dégel n'interviendra qu'en fin d'année. Si nous devions récupérer des crédits, nous le ferons sur ceux qui permettent potentiellement de le faire. Si chacun fait attention à son propre budget, alors nous dégèlerons pour tout le monde.
Le ministère des affaires étrangères est également concerné. Le Premier ministre a annoncé, après la réunion interministérielle, la baisse de 10 % des effectifs des fonctionnaires à l'étranger. C'est la plus grande économie que le Quai d'Orsay et les autres services qui concourent à l'action extérieure de la France auront à apporter, indépendamment de l'enseignement, qui devrait faire l'objet d'une réforme sur laquelle travaille le ministre des affaires étrangères. Cette baisse de 10 % n'englobe pas les personnels éducatifs de l'AEFE. Ce sera l'objet d'une autre réforme dont vous discuterez avec le ministre des affaires étrangères.
Claude Raynal, vos propos sont aussi vrais que votre intervention a été courte ! Je ne crois objectivement pas - et j'essaye d'être honnête intellectuellement - que vous auriez eu les mêmes résultats en termes de comptes publics.
Il est difficile de savoir si la confiance a été décrétée du fait de l'élection du Président de la République. On peut imaginer que les mesures de baisse des impôts ont amélioré la croissance. Si la confiance avait été telle que François Hollande se soit représenté et ait été élu, vous n'auriez sans doute pas pris les mesures de restrictions des dépenses adoptées au cours de l'été, que vous avez assez fortement combattues - ou alors le jeu politique faisait que vous vous êtes opposés à des choses que vous auriez acceptées en cas de majorité différente ! Je ne le crois pas, puisque je sais très bien que vous ne faites pas de politique...
Je ne sais par ailleurs pas si vous auriez pris la mesure concernant la taxe à 3 %...
M. Claude Raynal. - Nous l'avons votée !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Vous l'auriez sans doute fait, mais vous n'auriez pas recouru aux 5 milliards d'euros d'économies. Vous seriez donc aujourd'hui entre 2,9 % et 3 % de déficit public selon la conjoncture. Il vaut mieux être à 2,6 % avec nous qu'à 2,9 % avec vous, pour résumer le propos et être tout à fait honnête !
Quant aux crédits du ministère de l'agriculture évoqués par Bernard Delcros, la dérive cumulée s'est élevée à 7 milliards d'euros sous le quinquennat précédent. De manière surprenante, il n'existait pas de provisions pour risques, alors que le ministère doit parfois débloquer des centaines de milliers d'euros en cas de crise.
Nous avons « sincérisé » les crédits de ce ministère dans le budget 2018 en créant une provision pour risques. Nous pourrons donc débloquer des fonds rapidement sans creuser le déficit de l'État.
Nous avons cependant, de manière générale, une difficulté à bien répondre aux questions touchant la politique agricole commune (PAC). Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas se battre pour ne pas diminuer ce budget, mais il s'agit d'un système assez technocratisé où le ministère de l'agriculture alloue parfois des aides à des personnes qui n'en ont pas forcément besoin. Lorsque la Commission européenne réclame ensuite l'argent qu'elle considère comme indûment distribué, c'est la France qui rembourse.
Le ministre de l'agriculture travaille à davantage professionnaliser son ministère afin que les aides relatives à la PAC soient bien utilisées et qu'on n'ait pas à les rembourser deux à trois ans plus tard.
Par ailleurs, la filière bois et la façon dont est gérée l'Office national des forêts constituent des points de vigilance importants. Le ministre de l'agriculture est responsable d'une multiplicité de politiques publiques, difficiles à appréhender, qui ne sont pas toujours sincèrement budgétisées. La complexité des démarches administratives fait qu'on ne les a pas toujours bien suivies. Stéphane Travert et le ministère de l'action et des comptes publics travaillent à cette sincérisation. Nous ne devrions pas avoir les mêmes problèmes dans la loi de règlement pour 2018 par rapport au budget de l'agriculture.
M. Vincent Éblé, président. - M. Travert fait partie de ceux que nous avons sollicités pour venir examiner plus attentivement les crédits de son ministère.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voulais revenir sur les bugs que l'on rencontre en matière de déclarations fiscales, que je déplore, avec des instructions fiscales sur l'année de transition du prélèvement à la source qui ne sont toujours pas publiées ou encore votre plateforme téléphonique qui ne répond jamais.
Enfin, je voudrais aussi saluer ici l'effort de présentation du budget. Cette année, on comprend bien mieux l'exposé général des motifs du projet de loi de règlement. Il faut en remercier les services.
M. Pascal Savoldelli. - Monsieur le ministre, j'apprécie que vous ayez répondu aux questions que nous avons posées.
Mon collègue Éric Bocquet n'a cependant pas voulu dire qu'on s'enrichit en s'endettant.
La dette publique représente 95 % de notre PIB. Ainsi que je l'ai indiqué dans l'hémicycle en présence de M. Le Maire, je vais travailler sur la question de l'endettement des entreprises, des commerçants, des artisans et des citoyens, dont personne ne parle. Je suis en effet soucieux de la solvabilité de ces catégories.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je remercie le rapporteur général pour ses propos encourageants.
J'ai senti chez Pascal Savoldelli une pointe de reproche à propos du fait qu'il n'a pu disposer du document qu'aujourd'hui. J'insiste sur le fait que vous l'avez eu en même temps que le Conseil des ministres. Vous êtes donc traité comme le Président de la République !
Le débat dans l'hémicycle permettra sans doute de travailler ce texte plus en amont. S'il est important de poser des questions au ministre des comptes publics, il faut aussi le faire pour chacun des autres ministres.
Enfin, la plateforme téléphonique qu'évoque M. le rapporteur général connaît un léger problème technique depuis quelques jours. J'ai pris la décision de faire décaler les déclarations concernant l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), étant donné les difficultés de la direction de la législation fiscale. C'est une erreur de l'administration.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Qu'en est-il des instructions fiscales sur le prélèvement à la source et l'année de transition ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je sais que vous avez posé une nouvelle fois la question à ma directrice adjointe de cabinet. Je convoquerai d'ici la fin de la semaine les deux directeurs en charge de ce sujet pour leur rappeler que des instructions doivent en effet être données.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures 10.
Jeudi 24 mai 2018
- Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Vincent Eblé, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Audition de M. Günther Oettinger, commissaire européen au budget et aux ressources humaines
M. Jean Bizet, président. - Merci d'avoir répondu à notre invitation à venir vous exprimer devant nos deux commissions des finances et des affaires européennes. Votre audition tombe à point nommé. Vous avez, en effet, présenté, le 2 mai dernier, vos propositions en vue du prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Celles-ci ne sont pas passées inaperçues. Reconnaissons d'emblée que l'exercice est difficile. Vous devez gérer les conséquences financières du retrait du Royaume-Uni. Vous devez financer de nouvelles priorités, notamment en matière de sécurité ou de migrations. Vous devez enfin assumer le financement des grandes politiques européennes que sont la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion - des politique anciennes mais qui ne sont pas, pour autant, de vieilles politiques ! -, le tout avec un budget qui ne dépasse pas jusqu'à présent 1 % du PIB européen, et qui est financé, pour l'essentiel, par les contributions des États membres, lesquels sont traditionnellement plus que réticents à augmenter leur participation.
Je crois exprimer un sentiment largement partagé au Sénat en disant que l'on ne peut continuer avec un budget aussi faible. Il faut identifier de nouvelles ressources propres et revenir à la lettre et à l'esprit des traités. Nous soutenons par ailleurs la prise en compte dans le budget des nouvelles priorités, par exemple pour renforcer l'agence Frontex, financer l'effort indispensable en matière de défense ou encore encourager l'innovation.
Mais nous sommes aussi persuadés que tout ceci ne doit pas se faire au détriment du financement de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Politique fondatrice, la politique agricole commune est le support indispensable à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de l'Union. Il serait paradoxal que l'Europe se désarme dans ce domaine au moment où, au contraire, les grandes puissances économiques renforcent le soutien à leur agriculture. Quant à la politique de cohésion, elle exprime une solidarité territoriale qui répond aux objectifs mêmes de la construction européenne. Elle est souvent le levier indispensable pour la concrétisation de projets structurants dans les territoires. À cet égard, les propositions que vous avez présentées nous préoccupent quant au financement de ces deux grandes politiques européennes, même si nous demeurons ouverts et constructifs sur tout ce qui peut renforcer leur efficacité. C'est pourquoi nous écouterons avec beaucoup d'attention les explications que vous voudrez bien nous donner.
M. Vincent Éblé, président. - Nous sommes très heureux de vous entendre ce matin, Monsieur Oettinger, compte tenu des enjeux très importants liés aux négociations du prochain cadre financier pluriannuel. Ces négociations s'inscrivent en effet dans un contexte singulier. Tout d'abord, le retrait du Royaume-Uni entraîne une perte de recettes conséquente pour le financement du budget de l'Union européenne. Vous proposez donc de nouvelles ressources propres et une évolution des contributions nationales avec la suppression des « rabais » obtenus par plusieurs États-membres. Ensuite, de nouvelles priorités politiques doivent être financées, ce qui conduit la Commission européenne à proposer des évolutions significatives de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Enfin, vous formulez des propositions nouvelles comme le mécanisme de stabilisation pour surmonter les chocs économiques asymétriques, à défaut de mise en place d'un « budget » de la zone euro qui ne fait pas consensus.
Notre commission des finances s'intéresse de très près à ces sujets, puisqu'elle examine chaque année, sur le rapport de notre collègue Patrice Joly, rapporteur spécial, la contribution de la France au budget européen, contribution qui s'élève à 19 milliards d'euros en 2018 et présente donc un enjeu très significatif pour nos finances publiques. Notre collègue Bernard Delcros, rapporteur spécial de la mission « cohésion des territoires » pour ce qui concerne les politiques territoriales, va également travailler sur la politique de cohésion.
M. Günther Oettinger, commissaire européen au budget et aux ressources humaines. - Je suis ravi de venir à Paris m'exprimer devant vous. Il y a quelques années j'avais déjà eu des échanges avec des sénateurs français, comme Mme Keller, en tant que représentant du Bundesrat. Je suis très désireux d'entendre vos réactions à l'égard du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027. Le 2 mai, nous avons présenté nos propositions avec les chapitres et les programmes ; au cours des prochaines semaines, jusqu'au 14 juin, nous allons les préciser, programme par programme, au rythme d'un paquet par semaine, en commençant par la PAC et la politique de cohésion la semaine prochaine. Sur cette base nous pourrons ensuite mener les négociations avec le Conseil et le Parlement européens, et recueillir les suggestions des parlements nationaux.
L'Union européenne a l'interdiction de s'endetter. Toute dépense doit correspondre à une recette. Avec le départ des Britanniques, contributeurs nets, le budget sera amputé de 12 à 14 milliards d'euros par an. Nous devons aussi répondre à de nouveaux défis pour financer la politique migratoire, le contrôle et la protection des frontières, la recherche dans le domaine de la défense, etc. C'est donc une quadrature du cercle : sans dette, nous devons financer de nouvelles missions, tout en assurant la poursuite des anciennes missions. En outre, les États membres nous ont clairement indiqué qu'une plus petite Union signifiait un plus petit budget. Pour entrer en vigueur, le CFP doit être adopté à la majorité au Parlement européen et doit recueillir l'unanimité des 27 États membres au Conseil de l'Union européenne. Nous avons fait tout notre possible pour trouver un équilibre entre des attentes très contrastées. Finalement tout le monde est déçu : les uns parce que nous ne faisons pas suffisamment de coupes budgétaires, d'autres parce que nous en faisons ; certains sont déçus parce que nous réduisons, modérément, la PAC, d'autre parce que nous réduisons, modérément, la politique de cohésion, d'autres parce que nous n'investissons pas assez dans la recherche ou la gestion des migrations... Les journaux économiques se demandent tous pourquoi les coupes budgétaires de la PAC sont aussi peu élevées tandis que la presse agricole et ruraledéplore ces coupes... Que feriez-vous si vous étiez à ma place ?
S'agissant des recettes, je pense qu'un plafond de 1 % du revenu national brut (RNB) n'est pas suffisant. Nous proposons un plafond de 1,114 % du RNB, soit une augmentation très modérée, alors même que les États membres se sont engagés à porter leur effort de défense à 2 % du PNB. Cette faiblesse du budget européen est à souligner. Pour porter l'effort à 1,114 % du RNB, je me heurte à une opposition farouche de Vienne, de Stockholm, de Copenhague, de La Haye ou encore d'Helsinki. Je vous demande de comprendre que si notre budget doit financer de nouvelles missions, si l'on veut développer certains programmes comme Erasmus plus, il doit également comporter certaines réductions budgétaires. Le départ des Britanniques aggrave encore l'équation.
La politique de cohésion et la PAC évoluent, mais restent les deux plus grands postes budgétaires. Entre 2021 et 2027, nous prévoyons 373 milliards d'euros pour la politique de cohésion, soit autant en valeur nominale qu'entre 2014 et 2020, mais pour 27 États membres et non 28. Depuis plusieurs années les crédits de la PAC sont déjà gelés en valeur nominale. Les subventions par hectare baisseront, en moyenne, de 3,7 %, en valeur nominale. Nous proposons de limiter la subvention des grandes exploitations pour protéger les plus petites.
Nous proposons aussi de créer de nouvelles ressources propres pour les diversifier. Certains veulent créer une taxe sur les transactions financières ; nous avons soumis une proposition en juin dernier mais tous les États ne sont pas d'accord. Une dizaine d'États réfléchit à instaurer une telle taxe au niveau national, mais il y a de grandes divergences sur le taux entre Paris, Rome ou Berlin. Je ne crois pas que nous pourrons instaurer une telle taxe dans les deux prochaines années. Quant à la taxe sur le numérique, la Commission a transmis une proposition au Conseil au mois de février qui doit l'analyser. Si le résultat des discussions est positif, je l'inscrirai dans le prochain cadre financier. J'écoute très attentivement les positions des États-membres. Je ne suis pas sûr que cette taxe sera véritablement créée. Serons-nous prêts à une escalade dans nos relations commerciales avec les États-Unis ? En juin, des droits de douane sur l'acier, l'aluminium et les voitures seront peut-être instaurés, la taxe numérique constituerait alors une escalade supplémentaire dans cette nouvelle relation avec les États-Unis. Je ne sais pas si nous pourrons parvenir à une unanimité sur le sujet.
Les propositions de la Commission européenne ne constituent qu'un point de départ. J'ai hâte de vous écouter, d'entendre vos suggestions, vos réactions et de répondre à vos questions.
M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances. - Il semble indispensable de renforcer la cohésion européenne pour faire face aux désordres mondiaux, au repli des États-Unis ou pour répondre au désarroi des Européens qui se traduit régulièrement dans les urnes. Un besoin de solidarité s'exprime. Le Brexit entraîne une perte de recettes pour l'Union européenne de 12 milliards d'euros par an. Il me semble que vos propositions ne tiennent pas assez compte des difficultés des territoires ruraux, et de manière plus globale des territoires non métropolitains. Ainsi les crédits de la PAC sont réduits de manière significative, puisque si l'on raisonne en euros constants, la baisse des aides directes atteindra 16 %, alors même de nombreux secteurs de l'agriculture sont en difficulté.
Il faut aussi accompagner nos agriculteurs dans la reconversion de leur exploitation. Le 2e pilier qui participe au financement de la reconversion des territoires ruraux sera fortement impacté avec une diminution sensible des aides européennes et avec une augmentation des cofinancements nationaux. Quelle sera la part de ces cofinancements ? En euros constants, les crédits de la politique de cohésion diminuent sensiblement, avec une baisse de 12 %.
Nous constatons aussi au niveau français une sous-consommation des crédits européens. Alors que la contribution de la France oscille entre 15 et 19 milliards d'euros, la sous-consommation était d'environ un milliard d'euros en 2016. Envisagez-vous d'améliorer les modalités de prévision de consommation des crédits européens dans la prochaine programmation budgétaire ?
Enfin quelles sont les perspectives s'agissant des recettes propres qui permettraient d'accroître l'autonomie et de sécuriser le budget européen ? Le rapport Monti, publié en janvier dernier, avait présenté un certain nombre d'orientations.
M. André Reichardt. - Vous nous demandez de vous faire des propositions et de vous aider à résoudre les difficultés. Au risque de vous décevoir, je n'en ferai pas et j'ai peur d'accroître encore la confusion avec mes questions... Je suis rapporteur sur les fonds de cohésion à la commission des affaires européennes. Vous estimez que les crédits de la politique de cohésion sont satisfaisants et stables, en valeur nominale. Ce n'est pas tout à fait notre analyse. Au-delà, notre inquiétude porte surtout sur le contenu de cette politique. La politique régionale est basée, en effet, sur trois catégories de régions, chaque catégorie bénéficiant d'un taux de cofinancement européen spécifique. Gardera-t-on les trois mêmes catégories de régions pour 2021/2027 et quels seront les nouveaux taux de cofinancement ?
La politique régionale doit aussi être simplifiée, en particulier pour ce qui relève des multiples procédures d'audit, de contrôles comptables et de vérifications, effectuées souvent de façon redondantes tant par Bruxelles que par les États membres. Comme je l'ai constaté au conseil régional d'Alsace, une telle complexité décourage les porteurs de projets. Que propose concrètement la Commission pour simplifier cette politique ? Pourrait-on différencier les contrôles, non seulement entre les différents types de projets, mais aussi en fonction du degré de confiance dans les capacités administratives des États pour gérer les fonds ?
M. Didier Marie. - L'Europe est à la croisée des chemins. Partout le populisme et l'euroscepticisme progresse. Nous devons montrer que l'Europe est notre avenir. Votre tâche est compliquée car certains États veulent moins d'Europe. Nous voulons au contraire plus d'Europe.
Le cadre financier pluriannuel que vous proposez représente 1,114 % du RNB des États membres. C'est moins que ce que le Président Juncker proposait (1,2 %) et moins que l'objectif de 1,3 % appelé de ses voeux par le Parlement européen. Il reste donc des marges de manoeuvre. Si les ressources propres augmentaient significativement la question du volume du budget pourrait être abordée différemment. Celles-ci représentaient 61 % du budget de l'Union européenne en 1988 ; aujourd'hui, elles représentent environ 10 %. Les droits de douane ont largement disparu. Plusieurs propositions ont été faites. La Commission n'en a retenu que certaines, de manière minimaliste. La création d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) est une avancée. Quel sera son rendement ? La taxe sur les plastiques non recyclés est aussi une bonne idée, même si ses modalités de mise en oeuvre semblent très complexes. La petite contribution sur les émissions de carbone va aussi dans le bon sens. Toutefois, je déplore la timidité de la Commission sur la taxe sur les transactions financières. Votre texte est muet aussi sur une éventuelle mobilisation des bénéfices de la Banque centrale européenne et sur une éventuelle taxe sur les produits à usage unique. Il pourrait aussi être possible de récupérer le produit des amendes pour entorse au droit de la concurrence. Comment la Commission entend-elle aussi développer la lutte contre l'évasion fiscale, qui est estimée à 150 milliards d'euros rien que pour la TVA ?
Nous regrettons la baisse des crédits de la PAC et de la politique de cohésion. Les chiffres avancés par la Commission étant en euros courants, la baisse réelle des crédits sera beaucoup plus importante que ce que vous prétendez. Quelle sera aussi la future répartition des fonds de la politique de cohésion entre États et entre États et régions ? En particulier, avec la création des grandes régions en France, nous craignons que certaines d'entre elles perdent l'accès à ces crédits.
Enfin pensez-vous qu'un accord sur le cadre financier pourra être conclu avant les prochaines élections européennes de juin 2019 ?
M. André Gattolin. - Merci pour votre présentation. Beaucoup de points restent en suspens, dans l'attente d'évaluations. Il y aura des concertations pour préciser ou redéfinir les différentes politiques sectorielles à l'intérieur du budget. J'ai suivi lors du précédent cadre pluriannuel les questions d'innovation et de recherche : j'ai vu sur le site de la Commission européenne qu'une consultation était lancée sur le sujet. Je note en tout cas avec intérêt la progression de ce budget, même si j'ai du mal à faire la distinction, dans les crédits présentés, entre l'innovation et la recherche fondamentale, essentielle car cette dernière n'est pas toujours assurée par les acteurs privés.
Membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je suis très favorable à la conditionnalité liée au respect de l'État de droit et à l'indépendance de la justice qui concernera les fonds européens. Certains États ont trop tendance, hélas, à considérer l'Europe comme un guichet sur lequel ils auraient un droit de tirage, sans toujours se plier à ses règles. Toutefois, je suis un peu dubitatif sur la mise en oeuvre d'une telle procédure, puisqu'elle sera lancée à l'initiative de la Commission et soumise à un vote à la majorité qualifiée inversée au Conseil, qui fait que, dans les faits, c'est la Commission qui décide. Je vois mal comment, politiquement, la Commission pourra lancer une telle procédure même si des infractions avérées sont constatées. C'est dommage car l'Europe n'est pas qu'un marché, c'est aussi une communauté de valeurs et certains l'oublient un peu facilement.
M. Vincent Éblé, président. - L'existence de déséquilibres entre le montant des contributions versées par plusieurs États membres et leur taux de retour sur les politiques européennes a conduit ces États à solliciter une limitation de leur contribution au budget européen. Outre le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark bénéficient ainsi de « rabais », ce qui rend illisibles les modalités de contribution de chaque État membre au budget européen. La simplification de ce régime existant est d'autant plus importante pour la France qu'elle est le principal contributeur à ces rabais : elle est le seul contributeur net, avec la Finlande et l'Italie, à ne bénéficier d'aucune correction. La Commission européenne a annoncé, à plusieurs reprises, son intention de supprimer d'ici cinq ans l'ensemble des rabais existants. Pourquoi n'envisagez-vous pas une suppression plus rapide, compte-tenu de la disparition du chèque britannique qui interviendra dès le retrait du Royaume-Uni ?
En outre, la Commission européenne prévoit l'adoption du prochain cadre financier pluriannuel avant les prochaines élections européennes qui se tiendront en mai 2019. Ce calendrier vous semble-t-il réaliste ? Ne craignez-vous pas un retard dans la mise en oeuvre en cas de désaccord des nouveaux députés européens avec les orientations décidées avant les élections ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Conformément aux recommandations formulées par le rapport Monti présenté en janvier 2017, la Commission européenne propose de simplifier le système des ressources propres existant, notamment en modifiant les modalités de calcul de la ressource TVA. Dans la communication en date du 2 mai, elle indique que la ressource propre fondée sur la TVA serait modifiée de sorte que celle-ci repose uniquement sur des prestations taxées au taux normal. Par ailleurs, elle a annoncé son intention de donner plus de liberté aux États membres pour déterminer des taux réduits de TVA. Par conséquent, comment ces deux pistes d'évolution de la TVA vont-elles s'articuler ?
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat porte une attention particulière au taux de TVA réduit au bénéfice de la filière équine.
M. Daniel Gremillet. - Je m'avoue surpris par le positionnement budgétaire que vous défendez à l'heure où nous souhaitons une Europe forte et affirmée. La PAC fut la première politique communautaire à la naissance de l'Europe. Hélas, l'Union européenne, à rebours de territoires concurrents, se voit désormais privée d'une stratégie agricole à moyen comme à long terme : le soutien au développement agricole et aux entreprises agricoles et agroalimentaires promet d'être réduit par le prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Le Sénat s'est investi sur ce dossier ; les commissions des affaires européennes et des affaires économiques ont, à l'unanimité, adopté une proposition de résolution européenne demandant le maintien des crédits de la PAC dans le cadre d'une stratégie agricole ambitieuse. L'agriculture représente un atout pour nos territoires et notre économie : saisissons-le !
M. Franck Menonville. - Je vous remercie, monsieur le commissaire européen, de vos éclairages sur le prochain CFP. Le Sénat est particulièrement attaché à la cohésion des territoires, au soutien à l'agriculture et à la construction européenne. À un an des élections au Parlement européen, nous portons une responsabilité forte face à la montée de l'euroscepticisme dans de nombreux États membres, notamment en Europe centrale. Dans ce contexte, le projet de budget de l'Union européenne n'apparaît pas à la hauteur des attentes. Je partage l'analyse de Daniel Gremillet : l'Europe a besoin d'une stratégie agroalimentaire et agricole ambitieuse assortie d'une dynamique budgétaire incarnée dans la PAC. À cet effet, le budget de l'Union européenne doit être suffisamment élevé et, quoi qu'il en soit, supérieur à 1,114 % du revenu national brut (RNB) des États membres. La préconisation de Jean-Claude Juncker me semble à cet égard représenter un minima, sans aller jusqu'au montant prôné par le Parlement européen. Une telle augmentation nécessite l'établissement de nouvelles ressources propres, telles que la taxe carbone ou celle sur les géants de l'Internet, ainsi qu'une dynamisation de la ressource TVA.
Mme Laurence Harribey. - J'ai grandement apprécié votre franchise et votre ouverture au dialogue. Vous êtes à l'aise dans la difficulté, avez-vous affirmé. Plutôt que de demeurer dans la difficulté, je préfèrerais pour ma part que nous trouvions une issue aux problèmes que nous rencontrons ! Nous devons faire du CFP, en cours d'ébauche, un acte politique fort dans la perspective des élections de 2019 et à l'heure où l'Europe, comme l'indiquait Didier Marie, se trouve à la croisée des chemins. Hélas, il semble plutôt reposer sur une somme de contradictions, où se confrontent, dans un contexte financier marqué par le Brexit, les politiques traditionnelles et les nouvelles priorités que constituent la défense, la recherche et l'immigration. Le projet de CFP se pose davantage en réaction qu'au service d'une vision stratégique européenne, qui manque cruellement. Quel meilleur argument pour les partisans d'une Europe en retrait ? Je vois en particulier une contradiction dans la conditionnalité, conçue davantage comme une sanction que comme un élément favorable à l'extension, sur le territoire de l'Union, de l'État de droit et du modèle social européen. Je suis une fervente partisane de la croissance inclusive qui concerne à la fois le développement des territoires, la stratégie agricole et agroalimentaire, la recherche et l'innovation, avec ses enjeux numériques, bioéthiques et technologiques. Il aurait fallu, dans le projet de CFP, décliner ces politiques au service de la croissance inclusive. Écoutons les populations européennes ! Elles souhaitent le maintien de la politique de cohésion, dont les crédits diminuent pourtant de 12 %, après une première annonce à 7 %. Certes, le fonds européen de développement régional (Feder) reste stable, mais le fonds de cohésion accuse un recul de 46 %. Ce choix est absolument incohérent au regard de l'objectif de croissance inclusive.
M. Philippe Bonnecarrère. - Jusqu'où, monsieur le commissaire européen, l'Union européenne est-elle prête à s'investir dans la défense de nos entreprises contre les sanctions unilatérales américaines ? Envisage-t-elle de réviser, pour le renforcer, le règlement de 1996 et de saisir l'organisation mondiale du commerce (OMC) ?
M. Claude Raynal. - Il est évidemment fort délicat de rechercher l'unanimité avec vingt-sept États membres, notamment sur un sujet à risque politique tel que le CFP. Souhaiter terminer les négociations afférentes à son adoption au mois de mars 2019, même si l'intérêt général l'exige, me semble en conséquence représenter une position difficilement tenable pour la Commission européenne. Toute tentative en ce sens avant les élections au Parlement européen, alors que la situation italienne à l'égard de l'Europe apparaît incertaine, pourrait être dénoncée comme un passage en force par les eurosceptiques, qui y verront le signe d'un mépris pour le Parlement européen. La Commission européenne devrait, me semble-t-il, annoncer sans délai qu'un débat sur le CFP pourra se tenir devant les parlementaires élus en 2019. Le second sujet de mon intervention sera plus technique ; il concerne le fonds d'investissement Invest EU, qui pourrait prendre le relais du fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et serait assis sur une garantie de 15 milliards d'euros pour assurer une capacité de prêt à hauteur de 650 milliards d'euros. L'objectif, si je l'ai bien compris, serait de regrouper en un seul outil les instruments financiers de l'Union européenne, y compris le Feder. Quelle est la valeur ajoutée de ce nouveau mécanisme par rapport au FEIS ? Comment s'organiserait la répartition des rôles, en matière d'investissement, entre la Commission européenne et la banque européenne d'investissement (BEI) ?
M. Olivier Henno. - Il n'est pas simple de trouver le juste équilibre entre les pays qui souhaitent augmenter la contribution des États membres au budget européen et ceux qui s'intéressent plutôt aux bénéfices qu'ils peuvent tirer de l'Union européenne. De la même manière, n'est pas évident l'équilibre entre politiques traditionnelles et ambitions nouvelles, que l'opinion européenne, notamment en matière de sécurité et d'immigration, appelle de ses voeux. Il n'est que de lire l'affolant accord programmatique du gouvernement italien... Pourriez-vous nous préciser les volumes budgétaires qui seront attribués à ces nouvelles priorités ?
M. Jean-Yves Leconte. - La situation de nos entreprises en Iran nécessiterait un soutien financier de l'Union européenne, malheureusement contraint. Vous avez à plusieurs reprises fait valoir que, si l'Union européenne prend en charge certaines politiques, elles pèsent d'autant moins sur le budget des États. En réalité, si l'on prend l'immigration, l'action de l'Union ne se substitue pas aux obligations des États en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Ne conviendrait-il pas d'avancer sur ce point ? Par ailleurs, de nouvelles adhésions pourraient intervenir d'ici 2027. Comment intégrez-vous cette hypothèse dans le CFP ?
M. Günther Oettinger, commissaire européen. - Je répondrai volontiers à vos questions et à vos critiques, bien que vos remarques ne forment pas, loin s'en faut, un ensemble cohérent. Certains se disent surpris, d'autres s'affirment déçus pas l'absence de proposition dynamique et innovante... Mais ne croyez-vous pas qu'une réduction des crédits de la PAC représenterait justement une innovation ? J'ai récemment assisté à des sessions de négociations budgétaires au cours desquelles la France, systématiquement, prône la diminution des dépenses européennes. Le représentant de la France au sein du Conseil s'est toujours, à cet égard, illustré par une position ferme sur le CFP 2014-2020. Jamais je n'ai entendu la France proposer une augmentation des contributions des États membres ! Habituellement, les instances régionales, à l'instar des Länder allemands, sont favorables à un renforcement du budget européen car son financement ne leur revient pas. Je rencontrerai, cet après-midi, Édouard Philippe et Bruno Le Maire, ce qui me permettra, je l'espère, de disposer d'une vision d'ensemble de la position française. Rassurez-vous : je ne suis pas mieux reçu à Stockholm ou à La Haye, qui souhaitent a contrario de votre assemblée, en raison du Brexit, que l'Europe opère des coupes budgétaires... Vous devriez vous y rendre !
M. Jean Bizet, président. - Nous y sommes allés !
M. Günther Oettinger, commissaire européen. - L'Autriche, également favorable à une réduction des dépenses européennes, va prendre en juillet la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne et risque de faire, pour des raisons différentes, autant de surpris que de déçus. Voyez, je suis au coeur de toutes les déceptions ! Il nous faut, quoi qu'il en soit, voter un budget, sinon les autocrates à Washington, Ankara et Moscou auront gagné ! Nous avons également besoin d'une simplification durable et d'un unique corpus réglementaire, notamment pour que les petites entreprises et exploitations cessent de supporter une trop lourde charge administrative.
S'agissant des politiques de cohésion, l'enveloppe de 373 milliards d'euros qui y est consacrée par le présent CFP sera reconduite à l'identique, ce qui représente un bel effort compte tenu de la sortie du Royaume-Uni, deuxième contributeur national au budget de l'Union. Les régions en difficulté doivent évidemment être soutenues pour compenser les déséquilibres au sein de l'Union européenne. Je pense notamment aux régions rurales de Bulgarie, de Croatie et de Roumanie. La France et l'Allemagne devraient davantage investir dans ces territoires, mais leur motivation est limitée par rapport à l'intérêt qu'elles portent aux retours financiers de l'Union européenne à leur profit. Pourtant, le produit intérieur brut (PIB) par habitant ne dépasse pas 27 000 euros en Bulgarie, contre 40 000 euros en Allemagne.
Quant aux investissements en faveur de l'innovation, nous portons l'enveloppe destinée au programme digital à 9 milliards d'euros, contre un milliard initialement prévu, pour des projets relatifs à l'intelligence artificielle, à l'ordinateur haute performance, aux micro et aux nanotechnologies.
La gestion des frontières sera, par ailleurs renforcée. Frontex verra ainsi ses effectifs passer de 1 400 à 10 000 agents et les pays concernés par une immigration massive - la Bulgarie, la Grèce, Malte, Chypre, l'Italie et l'Espagne - seront davantage soutenus.
Vous avez également évoqué les recettes de l'Union européenne. À cet égard, dès que le Conseil aura progressé sur la taxe numérique ou sur celle relative aux transactions financières, croyez bien que je ferai le nécessaire pour y adapter le CFP. Mais vous savez comme moi combien il est difficile d'obtenir l'unanimité imposée sur les questions fiscales... La majorité qualifiée serait plus aisée à atteindre, mais les États membres ne sont pas favorables à une telle évolution.
Le fonds Invest EU est destiné au financement de projets innovants, qui ont besoin de liquidités ou de prêts garantis. Il interviendra en relation avec la BEI, mais également avec les banques publiques et privées nationales. Nous essaierons de progresser encore pour apporter aux entreprises des aides de nature différente. Le programme Horizon sera, quant à lui, doté de 100 milliards d'euros, avec un maintien des crédits destinés à la recherche fondamentale et appliquée.
J'aimerais rappeler, s'agissant de la conditionnalité, que l'Europe accorde chaque année des financements à des projets, dans le cadre d'une nécessaire relation de confiance, qui ne supporte ni abus ni fraude. Or, nous savons, via l'office européen de lutte anti-fraude (OLAF), que les fraudes existent. Il semblerait par exemple, et une enquête est en cours, que la mafia italienne détourne des fonds agricoles en Slovaquie. Lorsque l'Europe souhaite demander le remboursement des sommes indûment perçues, le litige est porté devant la justice du pays concerné. Il est donc indispensable que celle-ci présente des garanties d'indépendance, ce qui justifie la politique européenne de conditionnalité des aides. Il ne s'agit donc pas d'une sanction mais d'un outil de protection des contribuables européens.
Vous vous êtes préoccupés du soutien des entreprises européennes en Iran. Sachez toutefois qu'une entreprise comme Total, qui exploite du pétrole en Iran, investit également aux États-Unis : je suppose qu'elle réfléchit actuellement à ses intérêts prioritaires... Dans 99 % des cas, les intérêts commerciaux avec les États-Unis sont supérieurs à ceux liés à l'Iran, puisque les États-Unis représentent le premier partenaire commercial de l'Union européenne. Nous devons certes protéger nos entreprises, mais veillons à ne pas devoir compenser un désavantage encore plus grand en provenance des États-Unis. En outre, les moyens de l'Union sont limités à environ 1 % du RNB national : n'en attendez pas trop ! Il en va de même avec la BEI, dont les moyens sont bien inférieurs à ceux du Crédit Agricole par exemple.
Deux écoles existent concernant les négociations relatives au CFP : les achever ou non avant les élections du Parlement européen en 2019. En application du règlement budgétaire, nous aurions dû présenter un projet en décembre dernier. Or, en raison du Brexit, nous n'avons été prêts qu'au mois de mai. Selon certains d'entre vous, nous aurions dû attendre jusqu'en juin 2019 ! Nous avons préféré prendre le temps du débat et, surtout, éviter que le CFP ne constitue une problématique de la campagne électorale au profit des partis populistes de droite comme de gauche. J'ignore quelle sera la prochaine majorité au Parlement européen mais, quoi qu'il en soit, si nous attendons 2019, voire 2020, pour débattre du CFP, nous commettrons la même erreur que lors des dernières négociations budgétaires et verront à nouveau des projets européens retardés. Nous avons neuf mois pour débattre, ne soyons pas défaitistes et faisons preuve de bonne volonté ! La France vote bien en deux mois un budget autrement plus volumineux ! Le Conseil doit établir le CFP comme prioritaire et les ministres des finances faire l'effort de venir une quarantaine de jours à Bruxelles pour participer aux négociations.
M. Jean Bizet, président. - Vous êtes au coeur de toutes les déceptions, dites-vous ; nous aussi ! Quelle déception en effet d'apprendre que le Gouvernement français tient un double discours entre Bruxelles et Paris ! Ce n'est certes pas nouveau, mais toujours aussi décevant et dévastateur, en particulier à quelques mois des élections européennes. Nous allons tirer cela au clair ! Le ministre de l'agriculture s'alarme de la diminution des crédits de la PAC sans réellement la défendre : ce n'est pas convenable !
Il nous faut une Europe réactive, même si cela oblige à ce que les instances actuelles adoptent le CFP avant 2019. Nous tenons également à une Europe innovante et protectrice, raison pour laquelle nous défendons la PAC et nous opposons au recul de ses dotations. Nous refusons, en revanche, une Europe privée de stratégie. Je regrette, à cet égard, que la Commission n'ait pas retenu la proposition du Sénat relative à la taxation des géants de l'Internet. Certes, elle différait de la préconisation de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais elle avait le mérite d'être immédiatement opérationnelle et de rapporter sans délai 5 milliards d'euros. L'Europe doit également affirmer sa puissance sur la scène internationale, en particulier vis-à-vis des États-Unis, même si la réserve entre le dollar et l'euro est loin d'être avantageuse pour celui-ci. L'exemple de Total, que vous avez cité, est compréhensible, mais choquant : nous ne devons pas nous interdire d'investir en Iran par peur des sanctions américaines ! Il convient donc de revoir le règlement de 1996.
Vous nous avez invités à faire des propositions : vous ne serez pas déçus par les travaux que nous publierons à l'automne. Nous ne pouvons accepter que la France tienne un double discours sur l'avenir de l'Europe !
M. Vincent Éblé, président. - Je suis admiratif, monsieur le commissaire européen, non pas encore de vos résultats - il est trop tôt - mais des responsabilités que vous assumez dans une période critique sur l'Europe, à l'heure du Brexit et de l'éventuelle instabilité italienne. L'Europe ne doit pas rester immobile : favorisons l'innovation, tout en veillant au respect de l'équilibre budgétaire et à nos responsabilités en la matière. L'esprit d'innovation doit également souffler sur les recettes de l'Union, en gardant à l'esprit que le niveau des prélèvements obligatoires doit demeurer acceptable pour les populations. Le Sénat est habituellement attentif à conduire des politiques innovantes sans sacrifier les actions traditionnelles de l'Europe, essentielles, comme la PAC, à la cohésion des territoires. Veillons à ne pas détruire les acquis au profit de nouvelles priorités !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 50.