- Mercredi 30 mai 2018
- Proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d'intérêts des sénateurs - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie - Audition de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
Mercredi 30 mai 2018
- Présidence de M. François Pillet, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d'intérêts des sénateurs - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Bas, rapporteur. - Depuis plusieurs années, l'absentéisme est sanctionné de manière très sévère au Sénat, de manière plus sévère d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale. La sanction est entièrement automatique : quand un sénateur n'assiste pas à plus de la moitié des séances de questions d'actualité au Gouvernement ou à plus de la moitié des votes solennels, y compris les explications de vote, ou à plus de la moitié des réunions de commission du mercredi matin avec un ordre du jour législatif au cours d'un trimestre de la session ordinaire, un prélèvement est automatiquement opéré sur son indemnité de fonction au cours du trimestre suivant.
L'indemnité de fonction est une partie de l'indemnité parlementaire, la partie minoritaire. Si, au cours d'un trimestre, le parlementaire est absent à plus de la moitié des séances de questions d'actualité au Gouvernement, plus de la moitié des votes solennels et plus de la moitié des réunions de commission du mercredi matin avec un ordre du jour législatif, de façon cumulative, la retenue financière est égale à la totalité de l'indemnité de fonction et, jusqu'au 1er janvier dernier, un prélèvement automatique était également opéré sur l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). La nature de cette indemnité était hybride : d'un côté, l'instruction générale du Bureau rappelait que son usage devait être strictement consacré à la couverture des dépenses liées au mandat, dont les principales catégories étaient énoncées avec précision ; de l'autre, cette indemnité libre d'emploi était assujettie à des prélèvements sociaux, à l'instar de n'importe quel revenu de nos concitoyens. Ce caractère hybride, justifié par des dépenses de frais de mandat, mais traité par ailleurs, sur le plan des prélèvements sociaux, à certains égards comme un revenu, faisait qu'un prélèvement sur ce revenu pouvait être considéré comme une sanction, une sanction automatique.
Parallèlement, notre Règlement prévoit la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires en cas de manquement à la déontologie, sans que cela ait été explicité dans le détail. L'absentéisme était considéré comme une faute déontologique si bien que, en cas de manquement encore plus grave à nos obligations de présence, il n'était pas impossible que le Bureau décidât de sanctions disciplinaires : une procédure contradictoire permet alors à la personne de justifier les raisons du comportement réputé fautif et, éventuellement, de s'exonérer de sa responsabilité. Cela implique aussi que la sanction n'est pas automatique : elle suppose une décision motivée prise par le Bureau du Sénat, sur proposition du Président.
Le régime de la sanction automatique, incluant l'IRFM, a paru suffisant pour que le recours à la procédure disciplinaire ne soit pas envisagé comme le mode de régulation normal de la présence dans les différentes séances de travail.
Depuis la loi pour la confiance dans la vie politique, que le Parlement a adoptée l'an dernier, notamment pour réformer le régime de prise en charge des frais de mandat en supprimant l'IRFM au 1er janvier 2018 et en prévoyant la possibilité d'une avance de frais de mandat, le régime de la sanction de l'absentéisme ne vaut plus pour la partie concernant le prélèvement sur l'IRFM. Il faut donc inventer un nouveau dispositif pour que cette loi, qui crée pour les parlementaires des contraintes nouvelles, n'implique pas, paradoxalement, un relâchement des possibilités de sanction de l'absentéisme.
On aurait pu envisager un prélèvement automatique sur l'avance de frais de mandat, mais il est immédiatement apparu que cette hypothèse ne pouvait pas prospérer. À la différence de l'indemnité de frais de mandat, l'avance pour frais de mandat n'est en aucun cas assimilable à un revenu et ne peut pas faire l'objet de prélèvements sociaux. Le sénateur sanctionné ne bénéficierait plus alors du régime d'avance, mais il bénéficierait toujours du régime de remboursement de ses frais de mandat sur justificatifs, si bien que la sanction porterait sur les modalités de prise en charge des frais de mandat et ne serait pas en réalité une sanction pécuniaire.
Aussi, nous prévoyons le maintien du système de prélèvement automatique sur l'indemnité de fonction et l'engagement automatique d'une procédure disciplinaire quand l'absentéisme est plus élevé que celui qui justifie le prélèvement sur l'indemnité de fonction. Cette sanction disciplinaire, avec toutes les garanties que recouvrent la procédure contradictoire et la motivation de la décision, conduirait à opérer un prélèvement sur l'indemnité parlementaire elle-même. Ce prélèvement est déjà possible en cas de sanction disciplinaire, mais il n'était pas expressément inscrit dans le dispositif de lutte et de prévention de l'absentéisme. Ce prélèvement sur le revenu du parlementaire sera d'ailleurs potentiellement supérieur au prélèvement qui pouvait avoir lieu sur l'indemnité de frais de mandat.
Telle est l'économie générale du dispositif proposé. Après son examen par le Bureau et son dépôt, ce texte a fait l'objet d'un avis très circonstancié de la part du comité de déontologie parlementaire du Sénat, présidé par notre collègue François Pillet et composé d'un représentant de chaque groupe parlementaire. Cet avis, que j'ai tenu à adresser à tous les membres de la commission, comportait un certain nombre de propositions que j'ai reprises dans les amendements qui vous seront présentés ultérieurement.
La proposition de résolution intègre également des dispositions déontologiques qui étaient déjà prévues par l'instruction générale du Bureau, mais qui ne figuraient pas dans le règlement. La loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique exige que celles-ci soient désormais inscrites dans le règlement de notre assemblée.
Telles sont les observations préliminaires que je souhaitais formuler.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Le président du comité de déontologie siégeant parmi nous, nous allons pouvoir être éclairés sur de nombreux points. Ce texte résulte d'une obligation de transposition, en quelque sorte, de la loi sur la moralisation de la vie politique. M. Bas a parfaitement détaillé les modalités nécessaires.
Concernant la déontologie et la prévention des conflits d'intérêts, je m'interroge sur le fait que ne soit pas repris le principe de laïcité dans la liste des principes déontologiques que doivent respecter les sénateurs, à l'inverse notamment des principes d'assiduité, de dignité et de probité, car il figure dans l'instruction générale du Bureau.
Pour ce qui est des obligations déclaratives, est mis en place un système extrêmement subtil - peut-être trop ! - concernant les invitations aux manifestations culturelles et sportives modulo le fait que vous soyez élu outre-mer ou pas - vous avez d'ailleurs déposé un amendement sur ce sujet. Le comité de déontologie - je rappelle que l'avis a été adopté à l'unanimité - avait soulevé cette question : y a-t-il matière à exclure les invitations à des manifestations sportives ou culturelles ? Faut-il faire un distinguo selon que l'invitant est une personne privée ou publique ? Il faut aussi régler le problème de disparité entre les métropolitains et les ultramarins.
Sur le statut de membre du comité de déontologie, vous avez veillé à ce qu'il n'y ait pas de cumul de fonctions entre les membres du comité et les membres du Bureau, les uns devant examiner les propositions de l'autre. J'y souscris.
Quid de la capacité d'autosaisine du comité ? Quid de la publicité de ses avis ? Il serait intéressant que nous ayons des exemples anonymisés de ce qui est possible ou pas.
Enfin, vous êtes sans doute vous aussi invités dans des restaurants de haute renommée ou au restaurant du Sénat par des cabinets privés pour participer à des rencontres. Personnellement, je vérifie si ces personnes figurent sur la liste des représentants d'intérêts, mais je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas. Aussi, nous pourrions utilement demander que les invitations mentionnent que ces personnes figurent bien sur cette liste. Ce ne serait pas une mesure drastique. Des affaires secouent régulièrement l'opinion publique, telle l'affaire du glyphosate. Veillons à ne pas laisser s'installer une petite musique d'antiparlementarisme.
Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste et républicain est favorable à ce texte et fera éventuellement quelques modestes propositions.
M. François Pillet, président. - Le comité de déontologie publiera vraisemblablement à la fin de l'été un guide spécifiquement et uniquement dédié à toutes les règles déontologiques des sénateurs, y compris les incompatibilités. Celui-ci reprendra la jurisprudence anonymisée des questions qui nous sont régulièrement posées. En outre, le comité a également prévu de réexaminer l'ensemble de notre dispositif déontologique l'année prochaine, pour voir s'il y a lieu de l'ajuster.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je demanderai une précision et formulerai deux remarques, voire deux propositions.
S'agissant des sanctions, il n'y a donc pas de changement par rapport à la situation antérieure, hormis la ponction qui ne se fait plus sur l'IRFM... pour la bonne raison qu'elle n'existe plus ! Il s'agit maintenant, sans contestation possible, d'une avance pour frais de mandat, ce qui empêche cette ponction. J'aimerais avoir la confirmation, car d'autres collègues de mon groupe n'ont pas compris la même chose que moi.
Parmi les absences qui ne donnent pas lieu à sanction, il serait de bon goût de prévoir les absences dues à des stages recommandés par le Sénat dans des entreprises, l'armée, la gendarmerie, etc.
Enfin, tous les groupes politiques sont certes représentés au sein du comité de déontologie, mais ne pourrait-on pas prévoir d'en confier la présidence et la vice-présidence aux sénateurs membres respectivement du groupe majoritaire et du groupe minoritaire à l'effectif le moins important, plutôt qu'aux deux groupes les plus importants ?
M. Loïc Hervé. - Dispose-t-on de chiffres anonymisés sur la fréquence de la mise en oeuvre du dispositif relatif à l'absentéisme et le nombre de recours ?
Mme Josiane Costes. - Le groupe RDSE se félicite de ce texte et y est tout à fait favorable. Nous attachons une importance particulière aux questions liées aux conflits d'intérêts. Nous veillons à prévenir et faire cesser les conflits d'intérêts des hauts-fonctionnaires, mais il importe aussi de considérer les conflits d'intérêts qui pourraient concerner les sénateurs. Il faut être très pointilleux sur ce point.
M. François Pillet, président. - Certains amendements répondent déjà partiellement à plusieurs de vos suggestions.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je remercie tous les collègues qui soutiennent les évolutions nécessaires de notre Règlement, afin que nous ne donnions pas le sentiment injustifié de diminuer la contrainte pesant sur l'obligation de présence.
Mme de la Gontrie, qui a souligné l'état d'esprit très positif du groupe socialiste et républicain, a notamment relevé la question de la mention de la laïcité parmi les obligations déontologiques. Je souscris pleinement à cette observation, car cette obligation figure déjà dans l'instruction générale du Bureau parmi les autres obligations déontologiques : elle suppose que, dans notre expression publique au Sénat, nous ne fassions pas preuve de prosélytisme, ce qui me semble aller de soi et se rattache à une forme de neutralité attendue de chacun, sans qu'elle vienne entraver les convictions personnelles des uns et des autres. Dès lors que nous reversons dans le Règlement le contenu de l'instruction générale du Bureau sur un certain nombre de points, je ne vois pas pourquoi la laïcité disparaîtrait. Il faut éviter toute mauvaise interprétation.
Je n'ai pas pris l'initiative de déposer un amendement sur ce point, mais je suis prêt à vous le proposer, parce que cela ne change rien aux règles actuellement applicables. Dans notre société, la laïcité est souvent attaquée. Je ne voudrais pas que l'on nous reproche d'avoir fait subrepticement disparaître notre obligation de laïcité. C'est donc une bonne suggestion, et je proposerai que l'on intègre au texte de la commission cette obligation de laïcité. Je vous demande, en conséquence, de me donner mandat de le rajouter.
M. François Pillet, président. - Sur ce point, il est donné mandat à notre rapporteur d'agir en ce sens.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il serait élégant de votre part de me permettre de cosigner cet amendement.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je n'ai pas manqué de vous attribuer la maternité de cette recommandation et je ne manquerai pas de le faire savoir...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je note cet amendement oral.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Cher Pierre-Yves Collombat, je suis très perplexe à l'idée d'ajouter de nouveaux motifs légitimes d'absence. Beaucoup de motifs d'absences possibles seraient de nature à perturber le travail de fond que nous devons réaliser en tant que législateurs. Les motifs d'absence existent déjà ; ils doivent être véritablement liés à une mission s'exerçant dans le cadre des travaux sénatoriaux. Il faut rester suffisamment restrictif. Aujourd'hui, sont prévus comme motifs d'absence les travaux d'une assemblée internationale en vertu d'une désignation faite par le Sénat ou la participation à une mission outre-mer ou à l'étranger au nom de la commission permanente dont le sénateur est membre. Le sénateur est alors réputé présent en séance ou en commission. Il n'y a pas non plus de retenue financière lorsque l'absence résulte d'une maternité ou d'une longue maladie.
M. Pierre-Yves Collombat. - J'évoquais un cas précis : nous recevons de la présidence du Sénat, relayée par la présidence de la commission, un certain nombre de propositions de stages au sein des forces armées, de la gendarmerie, etc. Je suppose que la présidence du Sénat nous transmet ces propositions parce qu'elle estime qu'elles présentent un intérêt pour le Sénat en général. Sinon pourquoi le fait-elle ? Il faut peut-être trouver une formule qui ne laisse pas à penser que tout est possible.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je rappelle qu'il est possible de s'absenter sans que cela donne lieu à sanction : un sénateur est sanctionné en cas d'absences trop nombreuses au cours d'un même trimestre de la session ordinaire. Dès lors, on devrait parvenir à organiser nos emplois du temps de telle sorte qu'une telle situation ne se produise pas trop souvent.
La question de la répartition de la présidence et de la vice-présidence du comité de déontologie a été récemment tranchée. Il n'existe pas de solution idéale ; celle que vous proposez n'est pas sans intérêt, mais ne revenons pas sur ce point dans le cadre de ce texte.
M. Hervé nous a demandé des chiffres concernant les sanctions. Je ne les connais pas, car les sanctions ne sont pas rendues publiques, pour ne pas ajouter à une sanction déjà dissuasive une forme de malédiction médiatique qui s'abattrait sur le sénateur sanctionné.
M. Pierre-Yves Collombat. - On pourrait avoir des statistiques...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Les sanctions sont des retenues financières ; ce n'est en aucun cas la mise au pilori sur la place de Grève. C'est différent pour ce qui concerne les sanctions disciplinaires, si bien que le nouveau dispositif ici proposé donne lieu à publicité, comme toute sanction disciplinaire en matière déontologique.
Enfin, je remercie Mme Costes de son intervention : elle souligne à quel point il est nécessaire que nous soyons irréprochables au regard des règles qui nous sont imposées.
Mme Josiane Costes. - Tout à fait.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - La mention de l'inscription des auteurs d'invitations sur le registre des représentants d'intérêts est-elle, selon vous, totalement saugrenue ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Cette question, qui mérite d'être examinée, ne relève pas du champ du Règlement du Sénat mais de textes d'application.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je souhaiterais que les invitations adressées aux parlementaires fassent mention de cette inscription.
M. François Pillet, président. - Cela relève d'un arrêté du Bureau ou des Questeurs. À cet égard, je rappelle qu'il est interdit à un groupe d'intérêts d'offrir un cadeau à un parlementaire.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-3 prévoit qu'un sénateur dont le déport est inscrit sur le registre public est considéré comme présent en séance ou en commission, pour éviter toute sanction. Il prévoit également un examen automatique par le Bureau de la situation d'un sénateur très souvent absent, au-delà des seuils de retenue financière automatique.
M. François Pillet, président. - Cet amendement répond partiellement à l'observation de notre collègue Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. - Non, il répond à autre chose.
M. François Pillet, président. - J'ai dit partiellement !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - C'est le même raisonnement, mais il ne s'applique pas aux mêmes cas.
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Concernant la question de la laïcité évoquée précédemment, je vous propose donc un amendement visant à modifier l'alinéa 3 de l'article 3 en insérant le terme : « laïcité » avant le terme « assiduité ».
M. Jean-Pierre Sueur. - On lirait alors ainsi cet alinéa : « Ils exercent leur mandat avec laïcité, assiduité, dignité, probité et intégrité. » On ne peut pas tout mettre sur le même plan...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous allons améliorer la rédaction.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je propose la rédaction suivante : « Ils exercent leur mandat avec assiduité, dignité, probité et intégrité, dans le respect de la laïcité. »
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est plus la même chose. Il s'agirait alors de respecter les autres obligations au regard de la laïcité... Je vous propose d'adopter l'amendement et de me donner mandat pour améliorer sa rédaction.
L'amendement COM-22 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à préciser la définition du conflit d'intérêts applicable aux parlementaires, laquelle ne concerne qu'un conflit entre un intérêt public et des intérêts privés. C'est un point très important. Un conflit entre un intérêt public et un autre intérêt public n'est pas un conflit d'intérêts au sens de la loi pour la confiance dans la vie politique et donc des dispositions du Règlement du Sénat prises pour sa mise en oeuvre.
L'amendement COM-4 est adopté, ainsi que l'amendement de précision COM-5.
Article 6
Les amendements rédactionnels COM-6 et COM-7 sont adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-8, qui reprend une recommandation du comité de déontologie, vise à supprimer l'exception faite à l'obligation de déclarer au Bureau des invitations concernant des manifestations culturelles ou sportives se déroulant sur le territoire national. Désormais, il conviendrait de déclarer les invitations à de grandes manifestations sportives ou culturelles se déroulant dans le pays que nous accepterions, à l'instar de toutes les autres invitations que nous acceptons pour d'autres manifestations dont la valeur excède 150 euros.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
Mme Brigitte Lherbier. - Et les congrès ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il s'agit uniquement de revenir sur l'exception faite en faveur des manifestations culturelles ou sportives, comme les grandes compétitions automobiles, les grands tournois de tennis, les grands festivals culturels et artistiques...
M. Pierre-Yves Collombat. - Quel flicage !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Si vous recevez un cadeau de plus de 150 euros, vous devez le déclarer. Si vous êtes invités à une manifestation impliquant une dépense supérieure à 150 euros, vous devez aussi le déclarer ; cela ne signifie pas que vous n'avez pas le droit de vous y rendre. Vous devez déjà déclarer les invitations qui ne concernent pas des manifestations culturelles ou sportives.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je suis favorable à cet amendement, mais il me semble difficile d'assimiler le public et le privé. L'utilité de l'invitation se pose lorsqu'on est invité par une personne privée, mais c'est plus compliqué quand il s'agit d'une personne publique. D'autant que l'on peut être invité ès qualités par une collectivité publique, et le déplacement peut coûter assez cher. Cette nuance me semble devoir être prise en considération. J'aurais tendance à penser qu'il convient de distinguer le privé et le public. Je livre ma réflexion à la sagacité du rapporteur...
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais où va-t-on ? Tout cela à cause des médias ! Est-ce notre travail que d'aller dans leur sens ? Pourquoi ne pas peaufiner encore la rédaction en diminuant le montant autorisé ? Il faut peut-être effectivement faire un distinguo entre le public et le privé. À ce petit jeu-là, jusqu'où irons-nous ? Le Règlement du Sénat est tout à fait correct ; on a affiné les sanctions pour non-respect des obligations de présence. Je le répète, où va-t-on ?
M. Jacques Bigot. - Droit dans le mur !
M. Yves Détraigne. - Je partage totalement le sentiment de notre collègue Pierre-Yves Collombat. J'ai l'impression que l'on est présumé suspect...
M. Pierre-Yves Collombat. - Oui, et même présumé coupable !
M. Yves Détraigne. - En effet, et ce n'est pas possible !
M. François Pillet, président. - Il ne s'agit là que d'une obligation de déclaration. Permettez-moi de prendre la casquette du président du comité de déontologie : l'avis a été, je le rappelle, adopté à l'unanimité. Quelle serait la cohérence du dispositif si des invitations à certains types de manifestations échappaient à l'obligation de déclaration ? Pensez-vous normal que les invitations au festival de Cannes ne soient pas déclarées ? Personnellement, j'estime que de telles invitations doivent être déclarées.
Le comité de déontologie a prévu une clause de réexamen dans un an sur l'ensemble des mesures relatives à la déontologie. Nous verrons alors si certains points doivent être plus verrouillés et d'autres moins. J'attire sur votre attention sur le fait que nous devons justifier au quotidien nos frais de mandat et nos invitations. Pourquoi prêter le flanc à la critique dans un domaine particulier, alors que, dans tous les domaines, les invitations ou cadeaux excédant la valeur de 150 euros doivent être déclarés ? Je doute que les invitations de vos clubs sportifs locaux atteignent cette valeur...
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est une question de principe.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Précisément !
M. Pierre-Yves Collombat. - Faut-il suivre les médias ? On alimente les soupçons. Vous croyez faire oeuvre utile, mais vous renforcez là le sentiment antiparlementaire - j'en suis intimement persuadé.
Mme Lana Tetuanui. - Alors là, c'est vraiment la cerise sur le gâteau, avec tout le respect que je vous dois, mon cher collègue ! Imaginez mon territoire, vaste comme l'Europe ! On ne va pas demander à des habitants des Tuamotu qui vivent du coprah et du poisson de financer le repas lorsque nous assurons une mission liée aux travaux du Sénat. Comment vais-je faire si je suis obligée de déclarer à chaque fois les invitations ? Je suis tout à fait d'accord avec M. Collombat, nous alimentons tous les propos entendus à l'extérieur. Si l'on continue comme cela, à un moment, on ne pourra plus rien faire. C'est hallucinant !
M. André Reichardt. - Permettez-moi de rappeler une affaire : des collègues ont été cloués au pilori pour avoir participé à une exposition au Grand Palais. Certains bien-pensants ont relevé que le coût de l'entrée à cette exposition et du cocktail servi dépassait le montant acceptable pour un sénateur. Il ne s'agissait là en aucun cas d'une volonté de détournement de fonds publics. Or, avec une telle disposition, la discussion portera sur ce qu'incluent les 150 euros.
Mme Catherine Troendlé. - L'alinéa 3 de cet article me gêne quelque peu, car l'ensemble de ces déclarations seront rendues publiques, ce qui peut donner lieu à une sorte de chasse à l'homme par les médias. Je crains le pire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mme Joissains et moi-même avons reçu à Wallis un cochon entier grillé, que nous avons offert aux pauvres de la commune. Il existe des manières élégantes de s'en sortir...
M. François Grosdidier. - Se base-t-on sur le cours des monnaies locales ou de l'euro pour calculer la valeur des invitations ?
M. François Pillet, président. - Toutes les déclarations d'invitations sont déjà rendues publiques sur le site internet du Sénat depuis 2014.
M. Éric Kerrouche. - Il faut trouver un équilibre. À l'étranger, il existe de multiples chartes d'éthique, et l'attente des citoyens est de plus en plus forte. En Grande-Bretagne, la révélation du montant des frais des députés anglais...
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est pas 150 euros !
M. Éric Kerrouche. - Non, c'est à partir d'une livre sterling !
Même si j'entends bien les propos de M. Collombat, le manque de régulation accentuera aussi le soupçon. Trouvons une solution équilibrée, et il me semble que ce texte est relativement équilibré.
M. Henri Leroy. - Je prendrai un exemple concret. La fédération française de football invite actuellement les parlementaires dans le cadre des matchs amicaux de l'équipe de France qui se déroulent dans leur ville ou leur région. La place en tribune et le cocktail coûtent entre 300 et 400 euros, et la fédération invite même les épouses des parlementaires...
M. Jacques Bigot. - Depuis les années quatre-vingt-dix, chaque fois que nous ajoutons des textes de ce type, nous accréditons l'idée selon laquelle nous ne sommes pas respectueux des règles. On le fait encore ce matin !
Aux termes de l'article 6, « ces invitations et cadeaux, dons ou avantages en nature sont déclarés, dès leur réception ou leur remise, au Bureau, qui en rend publiques les listes ». Le fait d'avoir rendu le cochon, monsieur Sueur, n'empêche pas que vous l'ayez reçu ; il fallait donc le déclarer ! Les textes sont précis...
M. Jean-Pierre Sueur. - Cette règle n'était pas encore en vigueur...
M. Jacques Bigot. - Je ne suis pas passionné par le sport, mais le président du Racing Club de Strasbourg m'invite de temps en temps. Dois-je lui demander le coût de cette invitation ? On va parfois à ces manifestations sportives ou culturelles simplement par politesse.
Monsieur le président du comité de déontologie, très jeunes, nous avons été concernés par la déontologie en tant qu'avocats. La déontologie, c'est d'abord un état d'esprit, plus qu'une accumulation de règles. Mais si le comité de déontologie souhaite que je transmette, toutes les semaines, l'intégralité de mon emploi du temps... On risque d'en arriver là si ça continue...
M. Pierre-Yves Collombat. - La biographie, comme du temps de Staline !
M. Jacques Bigot. - Je comprends très bien la démarche, mais on entre là dans des détails excessifs.
Mme Jacky Deromedi. - Quand nous nous déplaçons à l'étranger, nous sommes la plupart du temps invités aux galas de la chambre de commerce et d'industrie, de l'Alliance française, etc., des manifestations où les places sont vendues entre 300 et 500 dollars. Toutes ces invitations au cours de nos déplacements doivent donc faire l'objet de déclarations ?
M. François Pillet, président. - Oui, le problème ne se pose pas, car il ne s'agit pas de manifestations culturelles ou sportives. La déclaration est déjà obligatoire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous ne modifions aucunement la règle déjà applicable dans ce cas, mais nous débattons de la suppression de l'exception à l'obligation de déclaration pour les manifestations culturelles et sportives, afin de les aligner sur la règle générale existante.
Monsieur le président, j'avoue que je suis très sensible à certaines des observations formulées. Dans le régime actuel, les invitations à des manifestations culturelles et sportives en métropole ou pour les sénateurs élus outre-mer dans leur circonscription d'élection ne font pas l'objet d'une déclaration. Le comité de déontologie s'est prononcé, me semble-t-il, à l'unanimité - son président pourra le confirmer - en faveur de la suppression de cette exception. Ce qui a motivé le comité de déontologie, c'est, je l'imagine, la participation non pas au match de football Cherbourg-Avranches, mais à de grands événements, tels que le festival de Cannes, celui d'Aix-en-Provence, les 24 Heures du Mans, des cadeaux d'entreprises ou d'institutions publiques...
À la lumière des échanges que nous venons d'avoir, je crains que, par l'amendement COM-8, nous ne jetions le bébé avec l'eau du bain. Pour éviter des situations qui mériteraient d'être déclarées, on ferait passer à la trappe des participations à des événements qui, certes, ne sont pas anodins - ce serait faire injure aux personnes qui nous invitent -, mais relèvent de bonnes pratiques. D'ailleurs, en notre for intérieur, nous nous demandons régulièrement s'il n'y a pas un lien de dépendance trop fort avec la puissance invitante si nous acceptons une invitation.
Je le dis au président du comité de déontologie, la formulation de l'amendement va peut-être un peu trop loin : il emporte obligation de déclaration pour des événements très nombreux dans l'année, qui correspondent à l'exécution tout à fait normale du mandat parlementaire. Peut-être devrions-nous remettre l'ouvrage sur le métier. Nous pourrions répondre à la préoccupation du comité de déontologie en rendant obligatoire la déclaration pour des événements qui coûtent parfois plusieurs milliers d'euros à la puissance invitante, sans que cela nous contraigne dans l'exécution quotidienne de notre mandat. Aussi, à ce stade, je retire volontiers cet amendement, avec l'idée de rechercher un dispositif permettant de répondre aux problèmes que plusieurs d'entre vous ont soulevés et qui me paraissent réels.
M. Hervé Marseille. - J'entends volontiers les propos du rapporteur. À un moment, il faut s'arrêter... Quelle sera la prochaine étape ? Bientôt 30 % de parlementaires en moins, voire davantage. Il faut raison garder. Notre assemblée a des représentants dans toutes sortes d'institutions : le conseil d'administration de la SNCF, celui d'Air France... Devrons-nous à chaque fois nous demander si nous nous compromettons en répondant à une invitation ? Que ce choix soit laissé à la libre appréciation des parlementaires : ils ont à rendre compte à leurs électeurs et pas nécessairement à une supposée opinion publique qui en réclame toujours davantage.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Dans la mesure où cet amendement va être retiré, qu'en sera-t-il pour les outre-mer ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Pour les outre-mer, l'exception est limitée à la circonscription d'élection. Un élu de Guadeloupe doit donc déclarer un déplacement en Martinique...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous n'allons pas remettre à plat l'ensemble du régime concernant les cadeaux ou avantages en nature. Nous traitions ponctuellement et de manière chirurgicale d'une exception à la règle de déclaration que le comité de déontologie voulait supprimer par cohérence. À la lumière de nos travaux, il me semble plus raisonnable d'approfondir le débat.
M. Dany Wattebled. - Je rejoins les propos de mon collègue Hervé Marseille, la presse se fera l'écho de tous les avantages des sénateurs. On sera fléché au jour le jour, alors que nous répondons à des obligations.
Mme Brigitte Lherbier. - J'ai découvert l'obligation de déclarer la participation à des congrès. Or on se rend aux congrès de notaires ou d'avocats non pas pour les défendre ensuite, mais pour participer à la réflexion.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Cela dépend de la prise en charge des frais d'hébergement et autres.
L'amendement COM-8 est retiré.
M. François Pillet, président. - Nous profiterons peut-être du réexamen par le comité de déontologie de l'ensemble des règles de déontologie dans un an, pour voir si nous devrons corriger ce point au regard des excès commis.
L'amendement rédactionnel COM-9 est adopté.
Les amendements COM-1 et COM-2 deviennent sans objet.
Article 7
L'amendement rédactionnel COM-10 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-11 prévoit que les membres du Bureau du Sénat ne peuvent pas faire partie du comité de déontologie.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à clarifier le régime de publicité des avis du comité de déontologie, rendus à la demande du Bureau sur une question générale ou individuelle ou à la demande d'un sénateur sur une question individuelle le concernant, tout en garantissant la confidentialité des informations nominatives qui y figurent.
L'amendement COM-12 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-13 tend à permettre au Bureau ou au président du Sénat de saisir le comité de déontologie non seulement de la situation d'un sénateur pouvant soulever une difficulté en matière de conflits d'intérêts, mais aussi d'une question déontologique concernant un sénateur. Nous procédons également à des ajustements rédactionnels.
L'amendement COM-13 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel COM-14.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-15 vise à affirmer plus clairement, par cohérence avec les dispositions déjà prévues en matière disciplinaire, le caractère contradictoire de la procédure pouvant conduire le Bureau à prononcer une sanction disciplinaire en cas de manquement déontologique. Le Bureau serait ainsi tenu d'entendre le sénateur concerné.
M. François Pillet, président. - Un principe général qu'il est bon de rappeler.
L'amendement COM-15 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-16 tend à supprimer une disposition inutile et en partie redondante.
L'amendement COM-16 est adopté.
Article 9
L'amendement de coordination COM-17 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-18 vise à permettre au Bureau de ne pas prononcer immédiatement une sanction de censure, qui pourrait apparaître disproportionnée pour un manquement pour lequel il pourrait faire preuve d'une certaine indulgence, tout en relevant que le comportement n'a pas été déontologique. Dans l'échelle des sanctions disciplinaires prévue par nos textes en matière déontologique, il n'y a pas de rappel à l'ordre, ni de rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal. Il n'existe que des sanctions plus lourdes de censure, qui visent à suspendre l'activité du parlementaire et à le sanctionner sur l'indemnité parlementaire.
L'amendement COM-18 est adopté, ainsi que l'amendement de coordination COM-19.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-20 a pour objet de faire en sorte que la sanction pour absences répétées sur l'indemnité parlementaire soit systématiquement de trois mois, et non pas d'au plus trois mois, sinon le régime de la sanction pour absentéisme sera moins sévère que le régime actuel. Avant le 1er janvier 2018, en cas d'absentéisme lourd, la sanction automatique était un prélèvement de 4 496 euros. La seule sanction automatique s'élèverait dans le nouveau système à 1 441 euros. Pour la compléter, la sanction disciplinaire pourrait conduire à un prélèvement total de 5 175 euros. Si l'on ne supprime pas les mots « au plus », la sanction pourrait apparaître comme potentiellement plus faible. D'où cet amendement.
L'amendement COM-20 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-21 prévoit une entrée en vigueur à compter de l'ouverture de la prochaine session ordinaire, en octobre 2018.
L'amendement COM-21 est adopté.
La proposition de résolution est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. François Pillet, président. - J'indique ce texte sera obligatoirement soumis au Conseil constitutionnel.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est suspendue à 11 h 15.
Projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie - Audition de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est reprise à 15 h 05.
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous accueillons le ministre d'État, ministre de l'intérieur, dans une maison qu'il connaît bien et qu'il aura à coeur de défendre lorsqu'il viendra nous présenter le projet de loi organique et le projet de loi dit « ordinaire », ce qui est un peu dévalorisant eu égard au sujet, de réforme des institutions.
Croyez bien que nous irons spontanément à votre rencontre quand il s'agira de veiller à la fois aux droits fondamentaux du Parlement, au bon fonctionnement du bicamérisme et à l'ancrage territorial des sénateurs et des députés.
Vous savez, pour avoir siégé longtemps dans notre maison, que le Sénat, représentant des territoires de la République, est particulièrement attaché à ce que le lien démocratique qui unit les représentants de la Nation à nos concitoyens dans les territoires soit fortifié et non distendu.
Toutefois, l'objet de l'audition d'aujourd'hui est autre, même si cela ne vous empêche pas de nous annoncer quelques avancées qui pourraient témoigner de cette main tendue que j'appelle de mes voeux sur la réforme des institutions. Nous sommes ici réunis pour discuter d'un projet de loi que vous avez élaboré et fait adopter en conseil des ministres, puis à l'Assemblée nationale, moyennant quelques amendements et une discussion qui n'a pas été de tout repos...
Le Sénat aborde ce texte avec un esprit constructif, qui ne nous empêchera pas d'être attentifs à un certain nombre de dispositions. Nous constatons des progrès dans les délais de traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), notamment en raison, de l'action du précédent gouvernement qui a considérablement augmenté les moyens de cet établissement.
Reste le problème de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) où 25 000 dossiers restent en instance. Vous avez certainement des propositions pour remédier à cette situation, étant entendu que, pour éloigner efficacement les déboutés du droit d'asile, qui ont tendance à demeurer sur le territoire national, il faut pouvoir traiter leur situation le plus tôt possible et éviter de trop longs délais administratifs.
Nous aurons également des questions en matière d'éloignement. Vous souhaitez allonger la durée de rétention. Si cela est réellement utile, nous ne nous y opposerons pas, mais vous aurez à nous le démontrer. Le Sénat, traditionnel protecteur des libertés publiques, ne peut consentir à des restrictions aux libertés individuelles que dans la mesure où ces restrictions sont effectivement nécessaires pour procéder à l'éloignement des personnes concernées.
En outre, nous nous interrogeons sur l'extension de la réunification familiale. Il ne faudrait pas que les dispositions qui permettent à un mineur étranger de faire venir ses parents s'étendent à la famille au sens large, à savoir les frères, les soeurs et, pourquoi pas, les cousins.
Nous aurons aussi beaucoup de questions sur la rétention des mineurs, dont la situation particulière a suscité de très vives préoccupations. Nous vous demanderons des données objectives permettant de connaître le nombre de mineurs demeurant en rétention au-delà d'une durée de quatre jours. Là encore, il nous faut prendre des dispositions pour protéger cette population particulièrement vulnérable sans entraver l'organisation de l'éloignement des étrangers et de leur famille en situation irrégulière.
Un autre sujet de préoccupation concerne les passeurs et le délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers sur le territoire national. Nous ne souhaitons pas affaiblir cette incrimination, car ce faisant nous risquerions de favoriser l'action des filières de passeurs. Il s'agit d'un instrument que les tribunaux utilisent à bon escient, sans excès. Nous nous montrerons vigilants sur cette question.
Nous vous interrogerons également sur l'accès à la nationalité française, notamment à partir de la proposition de loi de notre collègue Thani Mohamed Soihili que le président du Sénat a transmise pour avis au Conseil d'État.
Enfin, nous avons constaté que votre projet de loi ne comportait que peu d'éléments relatifs à l'intégration. Or, selon nous, une politique de fermeté à l'égard de l'immigration irrégulière doit avoir pour corollaire le renforcement des mesures d'intégration des étrangers en situation régulière sur le territoire national.
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Monsieur le président, je vois que vous avez toujours le verbe ciselé et l'interrogation précise. Je vous retrouve donc comme je vous avais quitté, lorsque j'étais membre de la commission des lois du Sénat.
Je veux saluer votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, et le rapporteur pour avis de la commission de la culture, M. Jacques Grosperrin, ainsi que l'ensemble des sénatrices et des sénateurs ici présents.
Nous abordons aujourd'hui l'examen d'un projet de loi de première importance. Il s'agit d'un texte fondamental pour contribuer à la maîtrise de l'augmentation des flux migratoires en direction de notre pays et pour permettre à ceux qui ont besoin de protection d'obtenir plus rapidement une réponse à leur demande d'asile.
Ce matin, comme la presse s'en est déjà fait l'écho, nous avons transféré les migrants du camp du « Millénaire » à Paris - soit plus de 1 000 personnes - vers d'autres lieux d'hébergement. Il s'agit de la trente-quatrième évacuation en deux ans et demi, pour un nombre total de 28 000 personnes. Cet exemple suffit à lui seul pour montrer l'étendue de la problématique.
Il subsiste encore deux campements à Paris, celui du canal Saint-Martin et celui de la porte de la Chapelle.
Pour mieux comprendre les problèmes que pose la crise migratoire, il n'y a qu'à regarder chez nos voisins : en Allemagne, l'élection de 92 parlementaires d'extrême droite a beaucoup compliqué la formation d'un gouvernement ; quant à l'Italie, la crise profonde qu'elle traverse risque de remettre en cause l'unité même de l'Europe. Ces problématiques n'ont rien de subalterne, il faut les aborder avec beaucoup de responsabilité.
Au niveau national, nous sommes passés de 50 000 demandes d'asile en 2010 à plus de 100 000 l'année dernière. Et la tendance se poursuit, puisque les demandes d'asile ont augmenté de 17 % en 2017 par rapport à 2016, alors même que la demande d'asile dans l'Union européenne a diminué de moitié l'année dernière.
J'aurai l'occasion au cours de cette audition de vous donner quelques informations sur la répartition des flux autour du bassin méditerranéen et sur la provenance d'origine des demandeurs d'asile. Nous sommes devenus cette année le deuxième pays européen en termes de demandes d'asile, juste derrière l'Allemagne.
Pour faire face à cet afflux, nous avons augmenté le nombre de places d'hébergement - 44 000 places en 2012, 80 000 en 2017. Sans compter l'extension du dispositif d'hébergement d'urgence - objet d'une circulaire qui a fait beaucoup de bruit -, passé de 82 000 places en 2012 à 144 000 en 2017 et qui profite en grande partie aux migrants, notamment en région parisienne.
C'est parce que nous ne pouvons continuer ainsi que le Président de la République et le Gouvernement se sont emparés fermement de cette problématique. Nous essayons d'agir sur tous les fronts.
D'abord au plan diplomatique. Il convient d'empêcher que de nouveaux conflits ne s'installent, lesquels conduiraient à une augmentation du nombre de demandes d'asile. Si le Président de la République se rend régulièrement dans le bassin méditerranéen, c'est pour empêcher de voir resurgir certains conflits susceptibles d'entraîner à nouveau des vagues de migrants sur notre continent européen.
Le Président de la République a ainsi réuni l'ensemble des parties prenantes libyennes pour permettre à cet État de se reconstruire. C'est une question de première importance pour résoudre la question migratoire.
Nous menons aussi, comme vous l'avez souligné, monsieur le président, en coopération avec un certain nombre de pays d'origine, une lutte de tous les instants contre les réseaux de passeurs. Il ne faudrait pas croire que les migrations résultent totalement d'un phénomène spontané !
On s'aperçoit en effet que toute une chaîne s'est organisée : les migrants sont d'abord incités à quitter leur pays, pris en charge par des réseaux structurés qui leur font traverser les frontières. Ils sont souvent dépouillés de leurs biens, devenant ainsi totalement dépendants de leurs passeurs. Commence alors un périple extrêmement dangereux, marqué par des traversées de zones désertiques, notamment entre le Niger et la Libye. Pour m'y être rendu, je peux vous dire qu'il s'agit de routes terribles sur lesquelles les migrants perdent parfois la vie - les passeurs n'arrêtent pas leur camion quand un migrant tombe au sol... Ils arrivent ensuite en Libye, dans des camps tenus par des milices, avant de tenter de traverser la Méditerranée dans des embarcations de fortune au péril de leur vie.
La France agit tant sur le plan bilatéral que sur le plan européen pour maîtriser les différents mouvements migratoires.
Nous travaillons ainsi avec les pays d'origine pour mieux maîtriser les flux et tenter de dissuader les migrants de pénétrer de manière irrégulière en France. Si l'Europe est déstabilisée par ces afflux massifs, les pays d'origine le sont aussi : à côté des trafics d'êtres humains, on trouve des trafics d'armes et des réseaux terroristes qui transforment ces lieux en poudrières.
C'est la raison pour laquelle je me suis rendu, voilà quelques mois, à Niamey, au Niger, pour rencontrer l'ensemble des ministres de l'intérieur des pays concernés et définir ensemble une stratégie commune pour mieux protéger les frontières, éviter les mouvements irréguliers et maîtriser ce flux migratoire.
Nous agissons aussi auprès des autorités consulaires des pays d'origine pour obtenir des laissez-passer et procéder à l'éloignement des personnes en situation irrégulière présentes sur le sol français.
Ainsi, s'agissant de l'allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours, le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons entamé une série de contacts extrêmement serrés avec les pays d'origine pour obtenir ces laissez-passer consulaires.
Nous agissons soit de manière bilatérale, soit avec le commissaire européen chargé des migrations. Avant-hier encore, je rencontrais M. Dimitris Avramopoulos pour définir des stratégies communes.
Nous travaillons aussi pour maîtriser les mouvements secondaires des demandeurs d'asile et faire en sorte que les personnes déboutées dans un pays européen ne formulent pas une nouvelle demande en France. Une des grandes recommandations de la Commission européenne est de déterminer le pays responsable de la procédure d'examen de la demande d'asile. Il s'agit d'éviter que ces flux à l'intérieur de l'Union européenne ne remettent en cause, in fine, les accords de Schengen.
La France est enfin engagée, à l'échelle européenne, dans le renforcement de l'agence FRONTEX. Les effectifs de cette force, qui doit contrôler les frontières extérieures de l'Union européenne, sont déjà passés de 500 à 1 000 personnes. M. Dimitris Avramopoulos m'a annoncé qu'ils atteindraient 10 000 hommes d'ici à 2027, de manière à nous doter d'une force européenne à même de contrôler les migrations irrégulières.
Cette augmentation des effectifs de FRONTEX correspond à un véritable besoin : si les migrations irrégulières en provenance de Méditerranée orientale ont cessé, c'est en raison de l'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie en 2016 ; mais cet accord peut être remis en cause à tout instant par nos partenaires. Dès lors, si nous n'avons pas les moyens de protéger nos frontières, nous risquons d'être de nouveau confrontés à de grandes difficultés. Nous avons d'ailleurs constaté, ces derniers mois, une remontée des flux en Grèce continentale, en Bulgarie et dans d'autres pays des Balkans.
Nous agissons aussi à l'intérieur de nos frontières pour les rendre les moins poreuses possible.
Depuis un an, nous avons arrêté 85 000 personnes aux frontières, dont 50 000 à la seule frontière franco-italienne. Cela donne une idée des difficultés qui nous attendent si nous ne protégeons pas notre territoire.
Pour accélérer la réponse donnée aux migrants, nous avons réduit les délais d'enregistrement en préfecture pour le premier accueil, qui sont passés de 21 jours en moyenne à 7 jours, voire à 3 jours dans certaines préfectures, y compris en Île-de-France.
Sur les quatre derniers mois, les demandes d'asile ont augmenté de 12 %, en partie à cause d'un effet de « déstockage » : à partir du moment où nous réduisons les délais de traitement des demandes d'asile, plus de dossiers doivent être examinés.
Nous avons créé, dans chaque grande région, des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) de manière à lier hébergement et lancement rapide de l'examen de la situation des personnes.
Nous avons également augmenté les effectifs pour
l'examen et le traitement de la demande d'asile : les moyens humains des
services étrangers des
préfectures
- 150 équivalents temps plein
supplémentaires - de l'Office français de protection des
réfugiés et apatrides (OFPRA), de l'Office français de
l'immigration et de l'intégration (OFII) et de la Cour nationale du
droit d'asile (CNDA) ont tous augmenté. Monsieur le président,
vous avez évoqué l'augmentation des moyens de l'OFPRA
amorcée par le précédent gouvernement, nous avons
poursuivi le mouvement.
Enfin, l'adoption de la loi du 20 mars 2018, dite « loi Warsmann » a permis de sécuriser les transferts des personnes relevant du règlement « Dublin III ».
Sur les quatre premiers mois de 2018, les éloignements d'étrangers en situation irrégulière ont augmenté de 25 %, passant de 8 695 à 10 901 personnes. Dans ces chiffres, l'éloignement forcé augmente d'un peu plus de 9 % pour concerner 5 000 personnes.
Indéniablement, des progrès ont été accomplis. Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement de cette action.
Durant la campagne électorale, le Président de la République avait pris l'engagement de réduire l'examen des demandes d'asile à six mois en moyenne, recours compris.
Il souhaitait ainsi permettre aux personnes protégées de commencer plus rapidement leur parcours d'intégration et, au contraire, à ceux qui se trouveraient déboutés de regagner leur pays d'origine sans que les liens familiaux ou sociaux se soient par trop distendus.
Les mesures figurant dans ce projet de loi visent donc à accélérer l'instruction de la demande d'asile : placement du demandeur en procédure accélérée s'il dépose son dossier plus de 90 jours après son arrivée en France ; possibilité, pour l'OFPRA, de notifier sa décision par tout moyen ; réduction à 15 jours du délai de recours devant la CNDA et développement de la vidéoaudience...
Si l'on ajoute le renforcement des effectifs que je viens d'évoquer, nous devrions être en capacité d'atteindre à terme l'objectif fixé par le Président de la République.
Il convient ensuite d'appliquer les décisions prises par l'OFPRA, par la CNDA et, le cas échéant, par les préfectures. C'est l'autre enjeu de ce projet de loi.
Ainsi le texte comporte un certain nombre de mesures visant à faciliter l'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées par les préfectures.
Pour ce faire, nous allons porter à 24 heures la durée de retenue pour vérification du droit au séjour, étendre les possibilités d'investigation pour y procéder. En effet, le temps dont nous disposions (16 heures) était trop court et nous devions relâcher les étrangers qui avaient été arrêtés sans pouvoir vérifier leur identité, au grand découragement des policiers.
Nous allons ensuite procéder à l'allongement de la durée maximale de rétention, fixée à 90 jours. Vos collègues députés ont séquencé cette durée de manière à permettre l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) lors de différentes phases.
Cet allongement est rendu nécessaire par le fait qu'un certain nombre de pays profitent de la durée actuelle de rétention pour laisser traîner les choses et ne pas remettre de laissez-passer consulaires (LPC) avant le quarante-cinquième jour de rétention.
Nous en étions arrivés à un tel point que nos préfets ne demandaient plus de laissez-passer consulaires, vu le faible taux de réponses. Les 90 jours de rétention peuvent sembler une durée relativement importante mais, dans d'autres pays, c'est bien plus élevé. Ainsi, en Allemagne, qui ne passe pas pour le pays le moins accueillant pour les réfugiés, la durée de rétention est de 180 jours. Toutes ces mesures doivent nous permettre d'accroître significativement le nombre de mesures d'éloignement exécutées. En 2017, il y a eu 90 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées, mais seulement 15 000 se sont traduites par un éloignement.
Si ce projet de loi facilite les éloignements, il accorde aussi des protections nouvelles aux plus vulnérables : ainsi en est-il de la délivrance d'une protection pour les frères et les soeurs d'un réfugié mineur ; il ne s'agit pas des mineurs non accompagnés (MNA), problème immense mais qui n'est pas traité dans ce texte.
Sur proposition des députés, des dispositions ont été adoptées pour améliorer les parcours d'intégration. Ainsi en est-il de l'accès au travail des demandeurs d'asile à l'issue d'un délai de six mois ou encore de la redéfinition du contrat d'intégration républicaine (CIR) pour y adjoindre un volet professionnel et réaffirmer le volet linguistique. Je pense enfin à l'extension du « passeport talent » pour les étrangers les plus qualifiés.
Le texte modifié par l'Assemblée nationale sera utile aux services, facilitera le parcours des demandeurs d'asile et prendra en compte la double aspiration des Français : humanité mais aussi responsabilité. Ce projet de loi préserve l'équilibre entre humanité et efficacité.
Sur la question de l'asile et de l'immigration, sujet ô combien difficile, trois positions coexistent : il y a ceux qui estiment qu'il faut accueillir massivement et pour qui les frontières n'ont plus lieu d'être. Cette position est intenable dans un contexte où l'Afrique va voir sa population passer de 750 millions d'habitants à 2 milliards dans les trente ans à venir. L'ouverture des frontières est difficilement tenable, bien qu'elle soit approuvée par une partie de nos compatriotes. À l'autre bout du spectre, il y a ceux qui rejettent tout accueil d'étranger, y compris pour les persécutés et ceux qui fuient les guerres. Une telle attitude n'est conforme ni aux traditions de la France, ni à nos engagements internationaux, à commencer par la convention de Genève. Il y a enfin celles et ceux qui assument de prendre en compte la situation dans toute sa complexité, qui pensent que l'asile est un droit fondamental mais que, pour garantir son effectivité, il faut se donner les moyens de maîtriser les flux migratoires et d'éloigner ceux qui n'ont pas vocation à rester dans notre pays. C'est la position du Gouvernement et j'espère qu'elle sera partagée largement par votre commission. Au moment où nous entamons nos débats, je veux dire ma confiance dans la capacité de la commission des lois et, plus largement, de tout le Sénat, à adopter un texte nécessaire pour notre pays.
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat sait répondre présent lorsqu'il s'agit de trouver le meilleur équilibre entre l'esprit de responsabilité et de fermeté qu'il convient de montrer pour traiter ces phénomènes massifs qui déstabilisent une partie de la société française. Cet esprit de responsabilité va de pair avec la protection des plus vulnérables et la défense des libertés.
Pour le Sénat, la recherche de l'efficacité la plus grande est la condition de l'adoption de dispositions qui amènent incontestablement plus de restrictions à un certain nombre de droits fondamentaux. Si nous ne sommes pas persuadés de l'efficacité de certaines mesures, nous saurons vous le dire. C'est pourquoi je vous avais demandé combien de mineurs accompagnants sont dans les centres de rétention après quatre journées et combien de laissez-passer consulaires vous parviendront si le délai maximum de rétention est allongé à 90 jours. Cet allongement doit servir à ce que la procédure aille à son terme ! Or, il nous a été indiqué que seuls 3 % des laissez-passer sont obtenus au quarante-quatrième jour, la plupart d'entre eux arrivant en début de période de rétention et non à sa fin.
Nous souhaiterions disposer de chiffres mais le ministère n'en donne pas autant que nous en attendons. C'est le cas pour les laissez-passer consulaires. Combien en obtiendriez-vous de plus si le délai maximal de rétention passait de 45 à 90 jours ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous ne disposons pas dans ce texte d'éléments budgétaires permettant de chiffrer l'impact du passage de 45 à 90 jours de la durée maximale de rétention administrative : comment assurer au mieux les conditions matérielles des personnes retenues ?
Les mineurs non accompagnés (MNA) sont pris en charge par les départements : leur accueil pèse lourdement sur les budgets. Un accord est en passe d'être conclu entre le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France (ADF). Disposez-vous d'éléments d'information ? Le texte étant muet sur cette question, je déposerai un amendement sur le sujet des mineurs non accompagnés. Je proposerai de créer un fichier national afin de faciliter les échanges d'informations entre les départements.
Sur la partie intégration, pensez-vous retenir quelques éléments du rapport déposé par le député Aurélien Taché ? Si oui, lesquels ?
Enfin, il y a moins de trois mois, nous avons adopté une proposition de loi pour éloigner plus efficacement les personnes soumises au règlement « Dublin III ». Ce texte a été voté conforme par l'Assemblée nationale, mais elle l'a modifié à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, sans que l'exécutif s'y oppose. Pourquoi être revenu sur des dispositions majeures qui permettaient de sécuriser le dispositif ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - La commission culture s'est saisie pour avis de quatre articles sur 42. Sur trois articles examinés ce matin en commission, nous avons proposé des améliorations, sans relever de problèmes particuliers. En revanche, le quatrième qui porte sur la scolarisation obligatoire des mineurs étrangers donnerait un plus grand rôle aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale. Nous souhaiterions, au contraire, réaffirmer le rôle du préfet.
En outre, la politique française d'immigration ne doit pas provoquer une « fuite des cerveaux » pour les pays en développement. Vous avez parlé des relations que vous aviez nouées avec les pays d'origine pour maîtriser les flux migratoires. Quelles sont les mesures envisagées par la France pour soutenir la réintégration des chercheurs étrangers lorsqu'ils retournent dans leur pays d'origine ?
Mme Brigitte Lherbier. - En début de mandat, j'avais interrogé le Gouvernement sur les personnes délinquantes en situation irrégulière. À l'époque, le président de la République avait affirmé son souhait de renvoyer les délinquants ayant commis des fautes lourdes dans leur pays d'origine. Avec mon collègue François-Noël Buffet, nous avons visité le centre de rétention de Lesquin et nous avons constaté que de nombreuses personnes sortaient de prison. Pourquoi attendre qu'elles soient libérées pour étudier leur droit au séjour ? Les services pénitentiaires ne pourraient-ils se pencher sur leurs cas, avant leur sortie ? Avez-vous l'intention de distinguer les demandeurs d'asile sans casier judiciaire de ceux qui occasionnent des troubles à l'ordre public en France ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le ministre d'État, je souhaite vous interroger sur la philosophie de ce texte. Je connais de longue date vos qualités intellectuelles et j'ai bien entendu votre syllogisme : vous avez dit qu'il y avait trois façons de voir les choses : ceux qui pensent qu'il faut accueillir tout le monde, ceux qui pensent qu'il ne faut accueillir personne, positions l'une et l'autre indéfendables. Il ne resterait donc qu'un seul choix ; celui que vous présentez. C'est un peu facile. Une fois qu'on a éliminé les deux premières positions, il en reste bien d'autres !
Vous voulez diminuer le nombre de personnes accueillies en France mais, dans le monde à venir, il y aura toujours plus de migrations en raison de la misère, des changements climatiques et des atteintes aux droits de l'Homme. Souvenez-vous de l'ancien député Gérard Fuchs qui, en 1987, a publié un livre intitulé « Ils resteront : le défi de l'immigration ». Je regrette l'absence de vision positive face au phénomène migratoire.
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a dit qu'il ne voyait pas dans le texte « le reflet d'une stratégie publique fondée sur l'exacte mesure des défis à relever et sur des choix structurants orientant les services publics vers un exercice plus efficace de leur mission ». Il s'est aussi interrogé sur l'absence d'évaluation concernant les effets de la loi du 7 mars 2016 et de la loi du 29 juillet 2015. Sans doute estime-t-il inutile de légiférer une nouvelle fois. Les chiffres que vous avez donnés parlent d'eux-mêmes : seules 13,5 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont exécutées. Les personnels des préfectures connaissent le fruit de leur travail. Et seulement 4 % des déboutés du droit d'asile repartent. Je ne crois pas que les mesures que vous nous présentez changeront radicalement les choses.
Un discours équilibré est nécessaire : nous devons prendre en compte la réalité des phénomènes migratoires.
Vous n'avez pas prononcé une fois le mot « Europe ». Or, je suis persuadé qu'il n'y a de solution qu'européenne. Nous devrons augmenter considérablement les moyens de l'agence FRONTEX si nous voulons maîtriser les filières clandestines. Une politique européenne équilibrée est plus que jamais nécessaire.
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Pour un certain nombre de pays européens, il n'est plus nécessaire de présenter un visa pour entrer en France. Des familles avec mineurs arrivent dans notre pays et demandent immédiatement à bénéficier du droit d'asile, alors qu'elles n'ont pas besoin de protections spécifiques. Notre législation doit permettre de renvoyer l'ensemble de la famille ; les migrants se regroupant dans certaines zones, des régions se retrouvent en grande difficulté face à cet afflux massif.
Si elles sont placées en centre de rétention administrative (CRA), ces personnes peuvent demander que leurs enfants soient pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Le droit européen rappelle d'ailleurs que la présence de mineurs ne doit pas faire obstacle à l'éloignement. Les CRA devront bien évidemment être aménagés en conséquence.
Diverses associations font remarquer que la plupart des laissez-passer consulaires (LPC) sont délivrés dans les premiers jours de placement en CRA. Ce sont effectivement les plus faciles à établir.
Pour 2017, voici quelques chiffres qui concernent divers pays dont je préfère taire le nom. Premier pays : 6 750 OQTF, 646 LPC demandés et 192 délivrés. Pour le deuxième pays, les chiffres sont respectivement de 4 741, 963 et 383. Pour le troisième pays : 1 626, 71, 37. Pour le quatrième pays : 2 674, 73, 8. Pour le cinquième pays : 2 119, 64, 30. Pour le sixième pays : 1 895, 113, 37. Nos préfectures avaient baissé les bras et d'année en année, le nombre de LPC a décru.
M. Philippe Bas, président. - Une fois ce constat établi, pouvez-vous nous dire à quel moment de la rétention sont délivrés les laissez-passer consulaires (LPC) ? Qu'est-ce qui vous fait raisonnablement penser qu'en allongeant la durée de rétention, vous aurez plus de LPC ? Les pays amis dont vous n'avez pas cité le nom qui n'arrivent pas à vous transmettre de LPC ne sont pas simplement pris par le temps : peut-être n'y mettent-ils pas beaucoup de bonne volonté... Si cette hypothèse se confirme pour tel ou tel pays, vous pourrez garder plus longtemps les étrangers en rétention sans obtenir davantage de LPC. Cet allongement de la durée doit être utile et nous vous demandons de nous le prouver !
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Évidemment, la durée maximale de rétention est théorique : plus la rétention dure, plus elle coûte au contribuable. Le but n'est donc pas de prolonger à outrance ces rétentions. En revanche, nous voulons montrer aux pays avec qui nous traitons qu'ils ne doivent pas compter sur une faible durée de rétention pour faire durer les procédures. J'espère bien pouvoir vous annoncer l'année prochaine des chiffres de laissez-passer consulaires en nette augmentation. Le Président de la République a eu des entretiens avec les Premiers ministres de divers pays et nous avons enregistré des réactions positives. Prochainement, je vais recevoir plusieurs ministres de l'intérieur pour augmenter le nombre de LPC reçus. Jusqu'à présent, les pays de départ refusaient le retour de migrants, prétextant que ces derniers n'étaient pas leurs ressortissants. Nous nous penchons aussi sur l'identité des personnes : dans un certain nombre de pays, les papiers d'identité sont inexistants. Nous travaillons avec le fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique sur ces questions d'identité.
Tous les quinze jours, j'organise une visioconférence avec les préfets pour les inciter à demander des laissez-passer consulaires. Le ministère de l'intérieur a installé une task force pour centraliser les demandes qui n'ont pas abouti au niveau préfectoral. Des agents du ministère sont dédiés à chaque pays et les relancent sans cesse.
M. Philippe Bas, président. - Votre réponse laisse entier le débat que nous aurons sur les résultats que vous obtiendrez en allongeant la durée maximale de rétention. Le problème tient à la mobilisation des préfets et à la bonne volonté des pays de départ. On est donc en droit de se demander ce qu'ont à voir les délais de rétention. Il serait utile pour la défense de votre texte que nous disposions de davantage de données chiffrées sur les constats actuels et sur les estimations à venir. Nous serions alors véritablement éclairés pour nous prononcer sur votre proposition d'allongement des délais de rétention administrative.
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Le Sénat aime comparer les législations pour situer la France par rapport aux autres pays européens. Il n'y a pas que le Sénat qui fait du benchmarking : les migrants en font aussi un peu pour regarder les législations à travers l'Europe qui sont les plus fragiles. Telle nationalité se dirige plutôt vers notre pays, non pas qu'elle soit plus francophile, mais tout simplement parce qu'elle juge qu'il est plus facile de s'y implanter qu'en Allemagne, par exemple. Pour certaines nationalités, nous peinons à traiter les dossiers en trois ans alors qu'un pays voisin y parvient en deux semaines. Alors, évidemment, les gens comparent un peu et se disent : « il vaut mieux essayer dans tel pays ».
Les centres de rétention administrative (CRA) manquent de places : d'ici la fin de l'année, nous ouvrirons 400 places pour répondre aux difficultés actuelles ; le taux d'occupation s'élève à 95 %, alors qu'à mon arrivée, certains centres étaient pratiquement vides. Des escortes de police sont obligées de faire des tours de France des CRA pour trouver des places libres. Pour ne pas perdre de temps, ces places seront réalisées dans des bâtiments modulaires.
L'accord sur les mineurs non accompagnés étant en passe d'être conclu entre le président de l'Assemblée des départements de France (ADF) et le Premier ministre, je les laisserai le dévoiler. Un des points qu'il convient de traiter est qu'un jeune reconnu non mineur dans un département peut aujourd'hui aller dans un autre département et relancer la procédure, car il n'existe pas de fichier national. Un tel fichier permettrait d'économiser beaucoup d'argent et de temps. Ces dernières années, l'augmentation des demandes est tout à fait extraordinaire ; le ministère va travailler sur les mineurs non accompagnés avec les différents pays concernés afin de « casser » les filières.
Nous allons suivre certaines des recommandations du rapport du député Aurélien Taché pour proposer plus de cours de français qu'aujourd'hui et améliorer l'insertion professionnelle. L'association Forum réfugiés mène certaines expériences dans une région que je connais bien et où j'ai le sentiment d'avoir un ancrage territorial... Je peux le dire dans votre enceinte : ailleurs, cela me serait vivement reproché !
M. Philippe Bas, président. - Au Sénat, il est tout à fait recommandé d'avoir un ancrage territorial, monsieur le ministre d'État ! Mais je m'étonne : existerait-il d'autres lieux où l'on apprécierait peu l'ancrage territorial ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Certains journalistes nous reprochent parfois d'être trop attachés à notre territoire, comme si nous devions être en apesanteur...
M. Philippe Bas, président. - Je pensais que vous parliez de l'Assemblée nationale !
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Je constate les efforts des députés pour s'ancrer dans leur circonscription et je les en félicite.
M. Philippe Bas, président. - Certains ont encore du chemin à faire !
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Monsieur François-Noël Buffet, il importait d'adopter le plus rapidement possible la proposition de loi permettant une bonne application du régime d'asile européen, déposée par M. le député Jean-Luc Warsmann. Ce texte était essentiel pour tirer les conséquences d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de 2017.
Monsieur Jacques Grosperrin, le préfet est le maillon central de notre organisation administrative. Plus on resserre l'action autour du préfet, mieux on travaille. Par exemple, il y a parfois eu des difficultés pour articuler le travail entre les préfets et les agences régionales de santé. Cela va mieux aujourd'hui.
Vous parlez de fuite des cerveaux. Ce texte entend favoriser la fluidité des parcours migratoires. Si l'on veut que l'Afrique se développe, il faut aussi qu'elle puisse se développer par l'économie, il faut donc faciliter les échanges avec l'Europe. Ces échanges mutuels sont bénéfiques à tout le monde.
Madame Brigitte Lherbier, j'ai transmis une circulaire aux préfets pour éloigner les gens en situation irrégulière et fichés pour troubles graves à l'ordre public - environ 200 personnes ont ainsi été expulsées l'an dernier - et aussi des personnes en situation régulière mais qui sont responsables de troubles graves à l'ordre public - une centaine de personnes a ainsi été expulsée par les préfets et j'en ai expulsé une vingtaine directement.
Monsieur Jean-Pierre Sueur me reproche de vouloir accueillir moins de personnes. Sans doute, mais je veux surtout qu'il y ait plus de personnes intégrées. C'est un défi majeur : certains quartiers sont en grande difficulté car nous avons été incapables de faire en sorte que les gens s'intègrent culturellement, socialement, économiquement. Je suis allé à Marseille, dans les quartiers nord, ou à Toulouse, dans le quartier du Mirail. Certains quartiers se sont terriblement paupérisés et ghettoïsés. À Lyon, j'ai vu un quartier où beaucoup de gens ne vivaient plus que grâce à l'aide sociale. C'est inquiétant. Comment s'étonner dans ces conditions du développement de la délinquance ?
Il faut que l'on puisse donner un avenir aux personnes que l'on accueille. À l'Assemblée nationale un député, issu lui-même d'une famille de réfugiés venus en boat-people, m'a donné raison et m'a rappelé aussi que, lorsque l'on accueille quelqu'un, ce n'est pas seulement pour quelques années, cela nous engage pour les décennies qui suivent. Les immigrés doivent avoir la possibilité d'évoluer dans la société française.
Il faut aussi aider l'Afrique à se développer, ce continent a des atouts extraordinaires. Cela commence par le rétablissement de la sécurité. Le développement économique pourrait être beaucoup plus fort si les attentats n'étaient pas une menace permanente. Le réchauffement climatique aggrave les problèmes. Ainsi, à cause de lui, au Sahel, les pasteurs nomades sont contraints désormais de s'installer sur les mêmes territoires que les agriculteurs dont les modes de vie sont profondément différents ; cela crée des tensions.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous partageons tous l'objectif de réduire les délais pour donner réponse à un demandeur d'asile. C'est ce que nous avions fait en 2015, avec le pari qu'en renforçant les droit nous pouvions aussi réduire les délais. On l'a constaté à l'OFPRA. C'est aussi une question de moyens : on le constate ces dernières semaines dans les préfectures où vous avez augmenté les moyens pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile. Mais votre texte ne s'inscrit plus dans cette philosophie. On a l'impression que vous faites de l'affichage ! Le délai de recours devant la CNDA contre les décisions de l'OFPRA passerait de 30 à 15 jours, avec un dispositif qui s'apparente à une petite usine à gaz pour satisfaire les députés : les délais ne seront pas réduits mais les droits, eux, le seront ! Il en va de même avec la suppression du caractère suspensif de certains recours : la procédure de 2015 était simple, elle est remplacée par une usine à gaz, qui sera source de contentieux. Vous faites le pari que la réduction des droits de la défense entrainera une baisse des recours. Les audiences par vidéo peuvent parfois se justifier mais avant de les généraliser ne faudrait-il pas encadrer d'abord les procédures devant la CNDA ?
Je partage vos propos sur l'accueil sur le long terme : mais ne faut-il pas alors permettre aux demandeurs d'asile d'apprendre immédiatement le français, de travailler, de faire un bilan de compétences ? L'orientation directive, qui va au-delà de l'hébergement directif de 2015 et qui aboutit à envoyer les gens dans des certaines régions sans avoir la garantie qu'ils pourront y être hébergés ou y trouver un travail, ne va pas dans ce sens.
M. Philippe Bonnecarrère. - Vous avez distingué les niveaux international, européen et national. Finalement peut-on considérer que l'asile et l'immigration relèvent de votre compétence ou bien du droit européen ? Depuis 25 ans, il y a eu une réforme par an en la matière avec des résultats modérés. Le contrôle des frontières est européen, avec notamment l'agence FRONTEX. La définition du droit d'asile peut également être du niveau européen. La reconnaissance réciproque des décisions des juridictions nationales compétentes en matière d'asile, la procédure de révision du règlement « Dublin III » ou la création de la base de données EURODAC donnent le sentiment que ces sujets ne peuvent être traités qu'au niveau européen. Je crains que ce texte n'entraîne des déceptions au regard des attentes et des objectifs affichés de mieux réguler les flux migratoires. Ne faut-il pas s'employer d'abord à régler cette question au niveau européen ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Il y a plus de reconduites à la frontière à Mayotte que dans tous les départements de l'Hexagone réunis. La moitié de la population mahoraise est d'origine étrangère et une grande partie de la population est en situation irrégulière. Nos hôpitaux et dispensaires enregistrent désormais 10 000 naissances par an, dont 70 % sont le fait de femmes en situation irrégulière. Nos hôpitaux comme nos écoles sont saturés. L'insécurité se développe : la plupart des personnes en situation irrégulière vit dans des conditions de précarité inquiétante.
Il faut réagir. J'ai déposé une proposition de loi pour modifier le régime du droit du sol applicable à Mayotte, afin de mettre un terme à cet appel d'air qui entraîne des milliers de femmes à venir accoucher dans ce département pour que leurs enfants bénéficient de la nationalité française. Le président du Sénat a bien voulu transmettre cette proposition de loi au Conseil d'État pour qu'il rende son avis sur la constitutionnalité de ses dispositions.
Même si cette proposition de loi était adoptée, elle ne résoudrait pas tous les problèmes. À la suite de la crise sociale, le Gouvernement a présenté un plan ambitieux. Nous verrons comment il sera exécuté, notamment dans son volet de lutte contre l'immigration clandestine et l'insécurité. Nous attendons d'ici le mois de septembre deux nouveaux bateaux intercepteurs pour les forces de la police aux frontières. Toutefois ce plan risque d'être mis en péril par la récente décision des autorités comoriennes de refuser la réadmission de leurs concitoyens. Quelle sera la réaction du Gouvernement ? Que préconisez-vous pour continuer la lutte contre l'immigration clandestine ? Les Mahorais sont fatigués de voir chaque jour débarquer des kwassa-kwassa chargés de dizaines de clandestins. Comment impliquer l'ensemble de la population face à cette problématique ? Mayotte étant une petite île, une politique de lutte contre l'immigration irrégulière impliquant l'ensemble de la population aurait toutes les chances de réussir. Enfin pourquoi ne pas inclure les chiffres de l'immigration de Mayotte, de la Guyane et de l'outre-mer en général dans les statistiques nationales de l'asile et de l'immigration ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Hasard du calendrier, les forces de l'ordre ont évacué ce matin le plus gros campement de migrants de Paris, le campement du « Millénaire ». Si je l'évoque ce n'est pas pour regretter qu'il ait fallu attendre des semaines avant qu'une solution soit trouvée, mais plutôt pour vous demander comment vous analysez la situation. Comment allez-vous gérer la situation des personnes soumises au règlement « Dublin III » ? Comment ce projet de loi permettra-t-il d'éviter la répétition de ce phénomène ?
Paris est devenu la « base arrière » des migrants qui ne peuvent aller à Calais. Ne pensez-vous pas qu'il conviendrait d'examiner, sans polémique, la proposition faite par la maire de Paris de créer un lieu d'orientation et d'accueil qui permettrait d'orienter immédiatement les personnes, sans attendre qu'elles restent à la rue pendant des semaines ? Enfin, quelle est votre position sur la révision du règlement « Dublin III » ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Monsieur Jean-Yves Leconte, une politique d'affichage ne fonctionne qu'un temps. Au bout d'un certain temps, cela se voit car les chiffres sont là. J'espère que les dispositions de cette loi nous permettront de mieux maîtriser l'immigration qui peut créer de nombreuses difficultés, comme c'est le cas en Italie et dans d'autres pays européens, avec des conséquences politiques lourdes, à tel point que l'Europe risque de se démanteler sur ces problèmes-là.
Les audiences par vidéo sont déjà utilisées dans un certain nombre de tribunaux. Nous étendons ce dispositif pour des raisons d'efficacité mais nous n'innovons pas. Il était difficile d'organiser pour la CNDA, comme on a pu le faire pour l'OFPRA, des audiences foraines sur tout le territoire, car il faut aussi prévoir des escortes policières. Or, on manque d'effectifs pour assurer à la fois ces escortes et la sécurité du quotidien.
Je suis tout à fait partisan de consacrer davantage d'argent à l'intégration des demandeurs d'asile, pour faciliter l'apprentissage du français, pour améliorer la qualité de l'accueil, quitte à ce que l'on accueille moins de personnes, mais mieux.
Les Allemands orientent de manière obligatoire les demandeurs d'asile vers certaines régions.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous aussi !
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Nous voulons nous en inspirer. Les problèmes liés à l'asile sont concentrés sur certaines régions. Pourtant d'autres zones, en déprise démographique notamment, seraient prêtes à accueillir davantage de demandeurs d'asile. Pourquoi dès lors ne pas organiser cette répartition ? S'il n'y a pas de logement disponible, les personnes touchent un montant additionnel de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) pour se loger, et certaines communes sont d'ailleurs prêtes à mettre à disposition des locaux gratuitement. C'est pourquoi la répartition directive des demandeurs me semble être une bonne idée.
Monsieur Philippe Bonnecarrère, il faut travailler à tous les niveaux : français, européen, et international. Au niveau national, nous cherchons à rapprocher notre législation de celle en place chez nos voisins. Le Président de la République travaille beaucoup pour trouver un accord sur le règlement « Dublin III » : ce n'est pas facile, il y a des divergences entre les pays de premier accueil, qui n'ont pas toujours les structures d'enregistrement adéquates et les pays du groupe de Visegrád, qui ne veulent accueillir aucun migrant. Des négociations sont en cours. Il y aura une réunion la semaine prochaine du Conseil « justice et affaires intérieures » (JAI) regroupant les ministres de l'intérieur et de la justice. La France pousse pour trouver un accord. M. Dimitris Avramopoulos était à Paris il y a quelques jours car nous sommes avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie (du moins avant la crise politique) ses partenaires les plus stables pour trouver une solution.
Nous travaillons aussi beaucoup sur l'interconnexion des différents fichiers : nous avions du retard et avons failli être sanctionnés par l'Union européenne. Nous sommes en train de rattraper ce retard.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, comme ministre de l'intérieur, j'ai suivi de près la crise à Mayotte et j'ai échangé avec le préfet en visioconférence. Cette crise appelle une réponse globale. Mayotte est la preuve que lorsque vous n'arrivez pas à maitriser les flux migratoires, la situation finit par vous échapper. Je comprends les sentiments des Mahorais. Nous avons pris des mesures concernant les visas avec les Comores, ainsi que d'autres mesures que je ne détaillerai pas ici. Il faudra que les Comores se mettent autour de la table pour examiner la question. J'attends les analyses du Conseil d'État sur votre proposition de loi. Nous aurons l'occasion de discuter de vos amendements au Sénat. Comme en Guyane, les difficultés à Mayotte sont importantes. Nous devons trouver des solutions. Le Gouvernement a défini un plan interministériel pour trouver une réponse globale. Le problème migratoire est au centre de tous les débats et des affrontements.
Les chiffres concernant l'immigration à Mayotte et en Guyane figureront dans les statistiques : désormais, le rapport sur la situation des étrangers en France sortira en octobre de chaque année.
M. Philippe Bas, président. - Il va falloir alors reporter notre vote jusqu'à octobre !
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Je suis pour des relations partenariales entre le ministère de l'intérieur et les collectivités territoriales. Calais est un exemple parfait. Notre crainte était de voir se reconstituer la « jungle ». Nous sommes vigilants, avec les forces de l'ordre, pour éviter ce scénario. Il faut faire de même à Paris. Mais on ne peut pas laisser les camps grossir et subitement demander une évacuation... On en est à la trente-quatrième évacuation en deux ans et demi. Il est temps de trouver un modus vivendi.
Des tracts ont été distribués aux migrants hier pour les prévenir de l'évacuation, conseillant aux « dublinés » de partir, de ne pas suivre les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)... C'est la première fois que l'on délivre un vademecum expliquant comment échapper aux contrôles ! Comment régler la situation dans ces conditions ? Si l'on ne contrôle pas les gens, la situation échappera vite à tout le monde.
Paris concentre 40 % des demandes d'asile pour seulement 2 % des places d'hébergement fixes. Il y aussi l'hébergement d'urgence mais celui-ci est fait en priorité pour un public en situation d'urgence. Les demandeurs d'asile et les déboutés doivent aller dans le dispositif national d'asile (DNA). Certaines places en hébergement d'urgence sont occupées par des personnes qui relèvent de l'asile et on finit par tout confondre... Mieux vaut que chacun soit logé dans le régime adéquat. Beaucoup de personnes qui pourraient être régularisées vivent dans des hôtels... D'où ma circulaire de décembre 2017, qui avait fait couler beaucoup d'encre et qui visait à régulariser ces situations.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Quels sont les apports du projet de loi ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - L'Allemagne a 300 000 déboutés du droit d'asile. Ces personnes sont susceptibles de venir tenter leur chance en France, d'autant plus si on les prévient en cas d'évacuation en leur distribuant une guide pour éviter les contrôles... S'ils viennent en France, je ne sais pas comment nous pourrons faire. Construire chaque année 80 000 places d'accueil me semble irréalisable, sauf à cantonner ces personnes dans des quartiers déjà paupérisés, ajoutant des difficultés aux difficultés. Il faut éviter que les quartiers ne se ghettoïsent. Nous devons donc tous faire preuve de responsabilités.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 10.