Jeudi 21 juin 2018
- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Point d'étape sur le rapport « nouvelles mobilités »
M. Roger Karoutchi, président. - Notre réunion a pour objet de faire un point d'étape sur le rapport consacré aux « nouvelles mobilités ». À la demande des rapporteurs, je suggère que nous les laissions travailler jusqu'à la fin du mois de septembre pour présenter le rapport définitif. Notre réunion dans quinze jours sera consacrée au point d'étape sur le rapport dédié aux relations entre les générations et ce rapport sera aussi rendu définitivement d'ici la fin septembre. Je souhaite que les rapports suivants portent sur des questions moins générales, centrées sur un sujet plus délimité. Au passage, j'interroge notre collègue Pierre-Yves Collombat sur les suites de son rapport consacré aux crises économiques.
M. Pierre-Yves Collombat. - La crise n'est pas vraiment résolue. Je pense poursuivre mes travaux d'ici la fin du dernier trimestre 2018, en réfléchissant aux conséquences politiques de la crise, notamment la question du populisme.
M. Roger Karoutchi, président. - J'excuse l'absence de deux des cinq rapporteurs qui sont empêchés ce matin et je passe la parole aux rapporteurs présents pour leur point d'étape.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - La question des mobilités est une question très large et transversale, mais elle est aussi essentielle à la vie quotidienne de nos concitoyens.
La société des ingénieurs et scientifiques de France définit la mobilité comme « les aptitudes et les possibilités des personnes d'accéder à leurs activités quotidiennes ou occasionnelles en utilisant différents modes de déplacement, voire l'absence de déplacement lorsque l'activité est accessible au lieu où elles se trouvent ». Réfléchir aux mobilités, c'est donc aussi réfléchir aux alternatives au déplacement physique.
Le numérique bouleverse beaucoup nos vies, et plus particulièrement les mobilités, avec en particulier une information que l'on produit et que l'on reçoit en temps réel. Je m'occupe des transports dans l'agglomération lyonnaise depuis 1995 et je le constate : il y a plus de 20 ans, on regardait les fiches horaires des bus ; désormais, on veut savoir à l'arrêt de bus le délai d'attente et l'horaire de passage du prochain véhicule. L'information en temps réel vaut pour les personnes mais aussi pour les marchandises. Les services supplémentaires offerts par le numériques permettent une « mobilité augmentée », et pas seulement pour les jeunes qui sont plus habiles avec les smartphones, mais pour toute la population. Toute la journée, nous regardons des informations pour organiser nos déplacements : y-a-t-il des trains ou pas, et quand ?
C'est en milieu urbain que se déploient de manière privilégiée les nouvelles mobilités permises par le numérique : il existe de nombreux sites Internet qui informent sur l'état de la circulation ou le stationnement. Le numérique permet aussi l'intermodalité et d'aller vers la mobilité comme service (MaaS), en dépassant la question du mode de transport utilisé. Le numérique nous fait redécouvrir la possibilité d'aller vers un lieu à pied, en vélo, en utilisant des transports collectifs mais aussi en recourant aux nouvelles pratiques : covoiturage, autopartage, vélo partagé, trottinettes, monoroues et autres engins hybrides dont on ne connaît pas trop le statut juridique.
Les nouvelles mobilités sont en pleine ébullition avec de nouveaux modèles économiques portés par exemple par des start-up et des entreprises comme Uber, Blablacar, Waze. On voit aussi que les géants de l'Internet comme Amazon et Google cherchent à prendre la main. Mais les entreprises traditionnelles comme les constructeurs automobiles souhaitent rester acteurs dans les anciennes comme dans les nouvelles mobilités, par exemple en testant les véhicules autonomes. Les entreprises de transport comme Keolis ou la SNCF portent aussi les innovations. Enfin, les collectivités territoriales, qui se doivent d'aménager le territoire, se saisissent, dans ce but notamment, des nouvelles offres.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Dans ce contexte, repenser les politiques de déplacement apparaît comme une nécessité. La réflexion a été portée dans le cadre des assises nationales de la mobilité entre septembre et décembre 2017, prélude à la future loi d'orientation sur les mobilités (LOM).
Cette réflexion a également lieu dans les agglomérations, à Paris mais aussi ailleurs, comme à Bordeaux où la question de la congestion se pose de plus en plus et devient la préoccupation principale des habitants. La question des nouvelles mobilités bouleverse le cadre traditionnel de la politique des transports, qui repose plutôt sur une logique d'infrastructures. Or, il est nécessaire de changer d'approche et de « mettre l'utilisateur au centre » en dépassant le cadre modal, notamment en se préoccupant des questions d'information du voyageur, de billetique, de multimodalité.
La réflexion avance autour de la notion de MaaS (la mobilité comme service) avec la volonté de permettre l'accès à toute la palette de services de mobilité (voiture partagée, taxi, bus, vélo, train, etc...) à travers une interface unique indiquant les coûts, les délais d'accès, les durées de trajet, car les utilisateurs ont besoin d'informations précises et réelles.
Je rappelle quelques chiffres clefs concernant les mobilités en France : la domination de la route est incontestable : on compte plus d'un million de kilomètres de routes (16 000 km par million d'habitants, plus de deux fois plus que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, dont plus de 11 612 km d'autoroute), 33 millions de véhicules particuliers, 6 millions de véhicules utilitaires légers et 450 000 poids lourds. 80 % des déplacements de voyageurs se font en véhicule individuel et 9 % en autobus (sur un total de plus de 850 milliards de voyageurs-kilomètres). 88 % du transport de marchandises se fait par la route. Il faut avoir un regard particulier sur les déplacements du quotidien : la durée moyenne du trajet domicile-travail est d'environ 50 minutes par jour, en augmentation de 10 minutes depuis la fin des années 1990, avec d'importantes disparités régionales. 70 % des actifs utilisent la voiture individuelle pour le trajet domicile-travail (mais seulement 43 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants).
D'autres chiffres sont moins connus : Seulement 35 % des déplacements correspondent à un flux domicile-travail ou domicile-études. En Île-de-France, ils représentent 30 % des déplacements et 41 % des kilomètres parcourus. Plus de 50 % des clients des systèmes de transport des agglomérations sont des clients occasionnels (et génèrent 25 % du trafic) : touristes, utilisateurs non réguliers, etc... 70 % des déplacements s'effectuent hors heure de pointe ... et pourtant, la pointe est de plus en plus saturée.
Les enjeux de la mobilité de demain sont multiples. Le premier est environnemental avec la promotion de mobilités plus propres et soutenables, moins émettrices de CO2. Il faut savoir que près de 40 % des émissions de CO2 proviennent du secteur des transports en France. Les pistes pour faire face à l'enjeu environnemental sont plurielles : dépassement du moteur thermique à travers le moteur électrique, l'hydrogène, le vélo, la marche, le développement du covoiturage et des transports collectifs.
L'enjeu, ensuite, est économique et social, avec des mobilités accessibles, moins coûteuses pour les ménages. Les dépenses de transport des ménages sont en effet le deuxième poste de leurs budgets, après le logement, et représentent 163 milliards d'euros par an soit 14 % des dépenses de consommation des ménages, incluant l'achat de véhicule, du carburant, etc... Les pistes d'amélioration reposent sur le développement de l'autopartage ou encore la massification du transport.
Les nouvelles mobilités sont également un enjeu pour les finances publiques, car il faut pouvoir garantir des mobilités soutenables : aujourd'hui 41,5 milliards d'euros de dépenses publiques sont consacrées aux mobilités et le taux de couverture des dépenses d'exploitation par les usagers atteint à peine 33 %. Les pistes d'amélioration sont la rationalisation des investissements et la maîtrise des coûts de fonctionnement.
Nous identifions aussi un enjeu industriel : les services de transport réalisent un chiffre d'affaires de 192 milliards d'euros par an, dont un tiers, soit 63 milliards d'euros, pour le transport de marchandises. Les acteurs économiques dans le domaine des matériels de transport (constructeurs automobiles, équipementiers, entreprises du ferroviaire, de l'aéronautique, etc...) sont des acteurs majeurs de l'industrie. Une question stratégique se pose désormais : celle de la maîtrise de la donnée sur les déplacements des biens et des personnes, avec une crainte forte que la valeur ajoutée soit captée par les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).
Enfin, le dernier enjeu des nouvelles mobilités est un enjeu territorial, surtout pour les zones peu denses, moins bien desservies et moins bien reliées aux métropoles en termes de fréquence ou de temps de trajet. 75 % du territoire et 25 % de la population ne sont pas couverts par une autorité organisatrice des mobilités (AOM) et la dépendance à la voiture est très forte dans les zones rurales.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - La généralisation des AOM devrait figurer dans la future loi d'orientation des mobilités et permettre une couverture à 100 % du territoire.
M. Olivier Jacquin, rapporteur. - L'un des aspects importants de la future loi sur les mobilités réside en effet dans l'obligation de couvrir tous les territoires par des AOM. Mais cette couverture ne résoudra pas, seule, les problèmes car la question des moyens reste posée. Le sujet des mobilités intéresse beaucoup aujourd'hui, comme en témoignent les nombreux colloques organisés récemment. Il intéresse aussi parce qu'on observe un foisonnement d'innovations, par exemple les trottinettes électriques qui sont en train d'envahir Paris. Mais nous ne devons pas oublier que notre problématique est celle des nouvelles mobilités au regard des fractures territoriales : ces nouvelles mobilités vont-elles accroître ces fractures ou au contraire offrir de nouvelles opportunités aux territoires ? Cette question n'est pas totalement nouvelle : dans le Haut-Var, l'accès en train est toujours compliqué. A l'inverse, depuis le lancement du TGV-Est, dans ma région, la mobilité a progressé et je peux mettre trois heures en porte à porte pour venir au Sénat. Et mon temps de trajet en train est un temps de travail. Le télétravail reste peu développé mais en réalité nous travaillons tous tout le temps désormais, en nous déplaçant.
Notre crainte, au Sénat, est de voir les nouvelles mobilités bien s'organiser dans les territoires denses, mais beaucoup moins bien voire pas du tout dans les territoires peu denses. Une autre inquiétude porte sur la mise à l'écart des personnes qui n'auraient pas les connaissances numériques de base pour profiter des nouvelles mobilités. L'illettrisme numérique, même si l'on habite un territoire dense, bien couvert en services de mobilité, est un facteur d'exclusion.
Nous avons identifié trois critères essentiels pouvant influencer les mobilités de demain. Le premier critère est celui de l'espace : quelle sera la dynamique territoriale demain ? Va-t-on augmenter le nombre des personnes qui doivent faire la navette entre centre et périphérie ? Ou va-t-on avoir une répartition mieux distribuée des activités et de l'habitat ?
Le deuxième critère est celui des coûts des nouveaux services de mobilité : les services de transport coûtent à la sphère publique : y aura-t-il le même consentement à payer à l'avenir ?
Enfin, le dernier critère est celui du degré de régulation des politiques de mobilité qui sera mis en place, à tous les niveaux : local, comme national. La régulation est indispensable, par exemple sur la billettique, pour assurer l'interopérabilité, mais jusqu'où irons-nous ?
A ce stade de nos réflexions, nous identifions trois scenarios : le premier serait le scenario catastrophe des mobilités coûteuses, largement autofinancées, uniquement pour les populations des villes-centres à fort pouvoir d'achat.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - C'est le marché sans régulation !
M. Olivier Jacquin, rapporteur. - L'autre scenario, idéal, irait vers une offre de mobilité accrue, avec la diffusion de services à la carte dans les zones peu denses. C'est un scenario peut-être un peu trop idéal, que ma collègue Michèle Vullien appelle « le maillage pour tous ».
Enfin, un autre scénario est possible, et nous l'avons évoqué avec les rapporteurs du Conseil économique, social et environnemental, qui ont fait un rapport sur le sujet en 2015 : les nouvelles mobilités seraient pilotées par les GAFA, seuls capables de capter et exploiter la masse de données produites par les déplacements des individus connectés et de leur proposer des services intégrés, qui seraient gratuits mais pas sans contreparties : par exemple, les GAFA vous orienteraient vers des partenaires (restaurants, boutiques) avec qui ils auraient des accords commerciaux.
Je terminerai en remerciant le président d'accepter d'accorder un peu de temps supplémentaire pour terminer la mission. Je suggère également d'organiser à la rentrée un temps de débat sous forme de table ronde ou de colloque, afin de faire réagir et interagir des experts sur nos conclusions. Je suggère aussi de faire un déplacement en Suisse où les nouvelles mobilités progressent. J'ai fait l'expérience récemment de l'utilisation des nouveaux services de mobilité dans ce pays. Je me suis rendu, au hasard de mon parcours, dans un centre équestre à 30 km de Zurich. Une application m'a guidé pour prendre train et bus. La pire correspondance demandait 7 minutes d'attente. Dans le dernier bus, il y avait encore quatre passagers. Je suis également allé au tunnel du Gothard, avec un responsable de l'association « Initiative des Alpes », qui avait lancé la première votation citoyenne en 1994 afin d'interdire la traversée routière des Alpes pour les poids lourds en transit. Cette association, qui pourrait être auditionnée, est très en pointe, puisqu'elle imagine les régulations du futur. L'idée est de dépasser l'écotaxe, en envisageant sur l'arc alpin la mise en place d'une bourse du transit de marchandises. J'ai expérimenté à cette occasion la possibilité de passer d'un mode de transport à l'autre. Le bus n'était pas disponible ; avec notre carte de train, nous avons pu ouvrir et utiliser une voiture en auto-partage, sans aucune autre formalité. Enfin, je propose une démonstration de glisse urbaine dans la salle des conférences, avec le Président Larcher (sourires).
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Je rappelle que le propriétaire de la société Segway est mort au volant de l'un de ses véhicules. Plus sérieusement, notons que les nouvelles formes de mobilités urbaines, comme la trottinette ou la monoroue, ont un statut juridique très incertain et posent le problème de la cohabitation des modes de transport entre eux en ville.
M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie pour cette présentation. Laissez-moi constater, en tant que francilien, que le monde idéal des mobilités me paraît de plus en plus lointain. Certes, les choses ont évolué, mais pas forcément dans le bon sens. L'autopartage apparaissait comme l'avenir dans la ville il y a dix ans, or aujourd'hui on constate l'échec d'Autolib. Qu'en sera-t-il de la trottinette ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Le processus de modernisation des mobilités a une conséquence : l'augmentation des inégalités entre ceux qui peuvent payer et les autres. En outre, les inégalités territoriales peuvent progresser ainsi que les inégalités au sein des mêmes territoires : la région parisienne est emblématique avec de grandes disparités de temps de déplacement entre franciliens. Je suis étonné que le système de transport continue à fonctionner dans ces conditions. Seuls les grands projets « rentables » risquent d'être financés à l'avenir. Il existe aussi des inégalités en province. Lorsque l'on est à Pau, il est facile de prendre un avion pour aller à Paris. Mais lorsqu'on est dans le Lot, c'est plus compliqué. Et certaines liaisons locales ne sont possibles qu'en voiture. Je ne crois pas qu'il y aura de la régulation des mobilités. On fera plutôt payer aux intéressés leur différence de situation. Les endroits où il y a beaucoup de clients potentiels auront des services de mobilité peu chers et variés. C'est le paradoxe souligné par Ivan Illich : plus on est performants et outillés, plus les effets induits sont négatifs. Les attentes des usagers des services publics se réduisent : la SNCF était un modèle de régularité. Désormais on est content quand on arrive, comme on est content lorsque l'on reçoit un courrier par la poste ... après trois jours. Si l'on veut faire des économies et si l'on refuse de réguler ou d'apporter de l'investissement public, les nouvelles mobilités n'avanceront pas.
M. Yannick Vaugrenard. - Il faut regarder ce que font les autres pays en matière de mobilité. Il existe une double fracture des mobilités : sociale et territoriale. Si 75 % des territoires ne sont pas couverts par une AOM, les départements, cependant, peuvent agir pour les mobilités. Si les régions n'agissent pas, il faudra que les départements se chargent, le cas échéant par délégation, des missions des AOM. L'enjeu est bien de faire de l'aménagement du territoire, ce qui n'est pas possible lorsqu'on laisse les mobilités être régies par les seules lois du marché.
En matière de mobilité, il faut privilégier l'expérimentation, puis évaluer et décider. Enfin, arrêtons de vouloir des transports organisés partout : on peut faire 800 mètres à pied et non en trottinette électrique.
Mme Nadia Sollogoub. - Passons-nous de trottinette électrique si l'on peut ainsi consommer moins d'électricité ! La question des nouvelles mobilités pose aussi celle du déploiement des réseaux numériques. Dans les communes rurales, même s'il y a des aides pour installer la fibre optique, le reste à charge pour les collectivités est trop grand et les investissements ne sont souvent tout simplement pas faits pour cette raison. Nous avons trop de charges : digues, routes. La puissance publique ne doit pas venir en appui des collectivités territoriales, mais faire directement les investissements dans les zones rurales.
En matière de mobilités, on peut aussi faire des améliorations simples pour l'intermodalité : mettre un garage à vélo à côté de la gare, développer des aires de covoiturage, faire passer les bus à proximité des autres moyens de transport, etc...
Mme Marie-Christine Chauvin. - Dans le Jura, lorsqu'on est à Dôle, on est à 2 heures de Paris en TGV. Mais à l'autre bout du Jura, on met 1 heure à 1 heure 30 de plus pour rejoindre Dôle. Et lorsqu'on réclame un autre cadencement, on se heurte au problème des coûts.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Lorsque j'expliquais à mes collègues élus il y a quinze ans qu'il fallait faire des parcs relais dans l'agglomération lyonnaise et des sites propres pour accélérer le rythme de l'exploitation commerciale des bus, certains ne comprenaient pas. Il faut aussi changer de regard sur les mobilités en prenant en compte les réalités. À Lyon, pendant deux ans, on a remis à plat nos 1 000 lignes de bus et on s'est heurtés aux conservatismes. Je crois beaucoup au développement de pôles multimodaux et j'insiste sur la nécessité d'un portage politique fort de la mobilité.
M. Roger Karoutchi, président. - Depuis Louis-Philippe, a-t-on vraiment progressé ? Lorsqu'on a lancé le projet du Grand Paris Express, on en évaluait le coût à 25 milliards d'euros. J'avais exprimé mes doutes sur ce chiffrage à l'époque. Ensuite, on a chiffré le projet à 35 milliards d'euros, et maintenant on parle de 40 milliards. Si l'on fait l'ensemble du projet, on risque d'aller jusqu'à 50 milliards d'euros. Initialement, on visait une réalisation en 2024, puis 2027-2030. On parle désormais de 2035-2037, voire 2040 ! On fait donc des investissements de dizaines de milliards avec des projets à 20 ou 30 ans, qui ne peuvent être rentabilisés qu'avec une énorme fréquentation. Or, dans le même temps, les technologies changent, les habitudes de déplacement se transforment rapidement. On fait des autoroutes là où on pense qu'on aura le plus de voitures. Mais tout ceci ne sera-t-il pas obsolète ? Sera-t-on sûr que les usagers vont vraiment utiliser les infrastructures ? En Île-de-France, on a sous-calibré certains maillages actuels. Créer de nouveaux maillages est-il pertinent ? Il n'y aurait plus d'heures de pointe ? J'ai tout de même déposé une proposition de loi pour demander un service minimum à 100 % aux heures de pointe en cas de grève. Mais il est vrai que la pointe a tendance à devenir permanente. Ma question est simple : est-on capable de prévoir les modes de transport et l'organisation des transports dans 20 ou 30 ans, afin de ne pas s'engager dans des investissements coûteux qui ne serviront pas ? Concernant Autolib, j'avais estimé que l'initiative serait séduisante à ses débuts, mais que dans la durée cela ne marcherait pas. Concernant Velib, on a aussi trop compté sur le civisme pour prévenir les dégradations des vélos en libre-service.
M. Pierre-Yves Collombat. - On dispose en réalité de deux modes de transport : des transports lourds, organisés, qui nécessitent une certaine masse de déplacements et ensuite des transports plus individualisés, soit en étant propriétaire de son véhicule, soit à travers des véhicules partagés mais entre peu d'individus.
N'oublions pas que quand on crée des transports, on répond à une demande, mais on crée aussi de nouveaux moyens de développement. Les TGV ont apporté des possibilités de développement incontestables.
M. Yannick Vaugrenard. - Je reviens sur le rôle des AOM : dans les départements où il y a des agglomérations importantes, il n'est pas nécessaire que le département intervienne comme AOM. En revanche, il pourrait le faire dans les autres territoires.
Dans les territoires peuplés, les infrastructures lourdes sont nécessaires. Mais il faut faire à côté du « cousu main », en développant le vélo partagé, la voiture partagée. Mais on doit aussi prendre en compte l'envie de nos concitoyens d'avoir leur voiture individuelle.
M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie pour ces échanges.
La réunion est close à 9 h 45.