- Mardi 10 juillet 2018
- Mercredi 11 juillet 2018
- Audition de M. Florian Petitjean, président du directoire de Weleda France
- Audition conjointe du docteur Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et du docteur Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'Ordre des médecins
- Audition du docteur Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion)
Mardi 10 juillet 2018
- Présidence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, vice-président -
La réunion est ouverte à 18 heures.
Audition de Mmes Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique, Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé et auteure d'une enquête sur les herboristeries à Madrid et Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - Je vous prie d'excuser Mme Imbert, présidente, retenue en séance publique. Nous recevons Mme Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique où il existe un métier reconnu d'herboriste ; Mme Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé, et qui est notamment l'auteure d'une enquête sur les herboristeries à Madrid ; et Mme Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec, avec qui nous sommes en téléconférence. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est ouverte à la presse et au public.
Mme Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance). - La réglementation au Canada, et au Québec, se fait à la fois au niveau fédéral et provincial. Les règles fédérales encadrent les produits de santé naturels mis en vente. Le Gouvernement a tenté de les rendre plus strictes, mais nous sommes intervenus ! Cependant, avoir une source fiable d'information est, pour le consommateur, de première importance. Au niveau provincial, ce sont les thérapies qui sont réglementées, ce qui est plus problématique au Québec qu'ailleurs : en 1999, nous avons décidé de nous auto-réglementer et d'instaurer des formations sanctionnées par des examens afin d'accroître la sécurité des consommateurs. Pour autant, il n'est pas nécessaire de détenir une licence pour exercer.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - La qualité de la transmission étant faible, certaines parties de votre propos nous ont échappé. Y a-t-il une liste des plantes autorisées au Canada ? Son respect est-il contrôlé ?
Mme Caroline Gagnon. - Oui, nous avons une nomenclature et, par rapport à l'Europe, peu de plantes sont interdites chez nous. Il est vrai que nous disposons pour chaque plante de monographies exposant les allégations thérapeutiques, et que nous accompagnons nos patients sur la durée.
Mme Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique. - En Belgique, voilà une vingtaine d'années qu'il existe un diplôme et une formation homologués par l'État. Deux structures s'occupent des plantes chez nous : Naredi, qui représente l'industrie, et Unadis, qui fédère les détaillants. Avant 1997, sous l'influence de l'association pharmaceutique belge, la ministre de la santé a rédigé une circulaire recensant la liste des végétaux pouvant être utilisés pour la fabrication de médicaments. Cette liste, qui comprenait le blé ou les carottes, ne comportait pas de champignons - et, pour la vente libre, le principe était « pas vu, pas pris » !
Puis, la détection de plantes toxiques dans des boissons stimulantes a conduit - nous étions encore avant la crise de la vache folle - à l'arrêté royal du 29 août 1997 relatif à la fabrication et au commerce de denrées alimentaires composées de ou contenant des plantes ou des préparations de plantes, qui prévoit une procédure de notification avant la mise sur le marché : ainsi, le ministère de la santé doit autoriser le produit, ce qui est très important pour sécuriser le vendeur, qui peut aussi consulter les informations utiles sur un site internet. Cet arrêté prévoit des exigences sur l'étiquetage et la publicité. Son annexe comporte trois listes : la première recense les plantes interdites comme denrées alimentaires ou dans les denrées alimentaires ; la deuxième, les champignons comestibles ; la troisième, les plantes autorisées. Et une méthode d'analyse conseillée pour les plantes autorisées est élaborée pour les transformateurs et les fabricants de compléments alimentaires. Depuis 2000, c'est l'agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire qui effectue les contrôles.
Le ministre peut subordonner le commerce de certaines plantes et préparations de plantes, sous forme pré-dosée ou non, à la détention de diplômes ou attestations déterminés. La formation au métier d'herboriste est effectuée par le Vizo, qui est un organisme de formation permanente flamand, par Naredi ou par l'institut de formation en alternance, qui forme notamment aux métiers comme la boulangerie ou la coiffure. La formation dispensée est homologuée par l'État. Herboriste n'est pas une profession réglementée, comme le sont la médecine ou la pharmacie, régies par la loi sur l'art de guérir et le ministère de la santé. L'herboristerie, elle, dépend du ministère des affaires économiques. Pour autant, la formation nous apprend à se détacher des objectifs économiques, pour éviter les accidents. Il m'arrive souvent, par exemple, de refuser de vendre certains produits qui nuiraient à ceux qui veulent les acquérir.
La formation dispensée apprend à gérer une entreprise. Les cours y sont donnés par des professionnels de haut niveau et motivés : pharmaciens, médecins, botanistes, biochimistes... De fait, nous ne sommes pas en concurrence avec les pharmaciens. Nos ennemis sont plutôt les vendeurs non diplômés, car notre objectif premier est la sécurité de nos clients.
L'herboriste, dans la définition retenue par cette formation, n'est pas un thérapeute. C'est un conseiller. Il nous est interdit de recevoir dans un cabinet, de poser un diagnostic ou de faire une prescription, sous peine de sanctions pénales. Nous proposons, en fait, des alternatives aux médicaments, souvent avec l'accord du médecin. Certains herboristes travaillent en officine, pour aider le pharmacien à gérer la croissance de ce marché. Tous, en tous cas, affichent clairement leur diplôme, et s'en tiennent aux limites claires posées par la définition :
« L'herboriste est un professionnel du bien-être à part entière. En tant que détaillant, il assure le conseil et la vente de produits de bien-être, le plus souvent à base de plantes et de substances naturelles voire issues de l'agriculture biologique. Il veille à répondre très précisément à la demande du client par le choix d'un produit bien adapté, tout en étant conscient des limites d'utilisation et des risques liés à une utilisation abusive - personnes à risque, autres médications, etc. Le cas échéant, il est amené à dispenser des conseils d'hygiène de vie. Dans un contexte plus large, l'herboriste peut être amené à récolter et transformer les plantes dans le respect des règles de sécurité, d'hygiène et de protection de l'environnement. Pour ce faire, il utilise des techniques de protections adéquates et suit rigoureusement toutes les procédures de fabrication et de contrôle de qualité. Le métier d'herboriste requiert de la part de ceux et celles qui l'exercent : une excellente connaissance des plantes et de toutes les autres substances végétales, minérales ou animales utilisées, de leurs propriétés médicinales et du bien-fondé de celles-ci ; des connaissances de diététique et de physiologie ; une capacité à veiller à la bonne gestion quotidienne de son entreprise. »
Depuis 2009, un nouveau référentiel est en vigueur, qui tient compte des évolutions récentes du marché et du métier, notamment avec l'usage d'internet par les clients. La formation dure deux ans, à raison de deux soirées par semaine, soit un total de 550 heures. Il faut être bachelier pour y accéder, mais elle part des bases, et aucun prérequis scientifique n'est donc fixé. Elle se double de 40 heures de stage en magasin ou en industrie. Le mieux est d'essayer les deux. La difficulté du métier est de savoir poser les bonnes questions aux clients, tout en faisant preuve de la retenue indispensable. Pour obtenir le diplôme, il faut réussir les examens à la fin de chaque module, faire état d'une prestation de stage et passer l'examen intégré, qui consiste en la préparation de la monographie d'une plante et en sa présentation orale devant des spécialistes, en une mise en situation permettant de s'assurer que l'impétrant saura mettre le client en garde contre d'éventuelles contre-indications et s'en tenir à sa fonction de conseil, et en le dépôt et la présentation par oral d'un projet d'entreprise. Ces projets peuvent être l'ouverture d'une herboristerie mais aussi d'un laboratoire de transformation ou de culture.
L'objectif est de former des herboristes-conseils compétents, responsables et capables de prévenir toute mauvaise utilisation des produits contenant des plantes, et non des thérapeutes. Cela est clairement exposé lors d'une séance d'information préalable à l'inscription, ce qui en décourage toujours quelques-uns ! Les herboristes, à l'instar des pharmaciens, n'ont pas le droit de poser un diagnostic ni de prescrire, mais doivent orienter les clients vers l'utilisation judicieuse des plantes médicinales et des produits qui en contiennent. Ils ne font pas de préparations, c'est-à-dire qu'en dehors d'un laboratoire de transformation dûment déclaré au ministère de la santé, ils ne peuvent pas modifier le conditionnement dans lequel les produits leur sont livrés.
Chaque année, plusieurs dizaines d'herboristes sont diplômés, ce qui garantit le sérieux de la profession, la sécurité des consommateurs et le développement des entreprises du secteur. D'autres structures dispensent des formations en herboristerie, mais celles-ci ne sont ni contrôlées ni homologuées.
Un projet de collaboration entre la Belgique, la France et l'Italie a été lancé : le projet Belfrit. Il a conduit à une adaptation de l'arrêté royal sur les plantes en 2017. Son succès aurait pour effet d'uniformiser les procédures de notification en Europe.
Mme Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé. - Je précise d'emblée que je ne suis pas espagnole mais que, faute de pouvoir exprimer ma vocation d'herboriste en France, j'avais formé le projet d'exercer ce métier en Espagne. En tous cas, j'y ai mené une enquête ethnographique dans le cadre de mon parcours universitaire en anthropologie il y a onze ans, et je l'ai récemment réactualisée en me rendant en Catalogne. Si l'herboristerie existe bien en Espagne, elle n'y revêt pas les formes que lui confèrent les représentations traditionnelles. Les herboristes tiennent en général un magasin d'alimentation biologique et diététique, où ils proposent des plantes médicinales sèches sous toutes leurs formes. En vingt ans, le métier s'est beaucoup diversifié, comme je l'ai constaté chez Trinidad, qui tient la plus ancienne herboristerie de Barcelone, où il n'existe plus que quelques herboristeries traditionnelles du même type. Ce n'est certes pas par plaisir que les herboristes se consacrent désormais à l'alimentation biologique ; c'est que la vente de plantes médicinales sèches ne paie plus : elle représente moins de 1 % de leur chiffre d'affaires.
Les herboristes sont souvent des petits commerçants, qui, pour l'essentiel, emploient moins de cinq salariés. Moins de la moitié d'entre eux sont installés depuis une dizaine d'années. Il s'agit donc d'une activité commerciale relativement précarisée et peu viable, car menacée par l'émergence de franchises, d'où la fermeture constatée de certains commerces. Cette activité commerciale ne relève pas de la législation de la santé et du paramédical. L'absence de formation et de qualification obligatoires pose problème et préoccupe grandement les herboristes.
La communauté herboriste regroupe des profils différents. Certains ont reçu un enseignement spécifique et ont une vraie conscience éthique sur la transmission des savoirs. D'autres sont des entrepreneurs de la santé et du bien-être, qui, malgré leurs compétences, n'ont pas forcément le recul nécessaire.
La loi du médicament de 1990 est la législation la plus récente sur le commerce des plantes médicinales. Elle autorise la vente des plantes médicinales sèches ou fraîches, en vrac, sous certaines conditions. Elle interdit de vendre des plantes médicinales présentant un fort risque de toxicité, de pratiquer la vente ambulante, de préparer des formes galéniques, des gélules, de faire des allégations thérapeutiques.
En Espagne, il a fallu attendre 2004 pour que le gouvernement édite la fameuse liste de plantes toxiques interdites à la vente libre. Pendant quatorze ans, ce fut le flou total, favorisant le maintien des pratiques passées. Dans cette liste figurent : les psychotropes et stupéfiants ; les espèces végétales reconnues comme étant la matière première de médicaments, à l'image de la digitale ; les laxatifs drastiques, comme la cascara sagrada ou le nerprun ; les plantes venimeuses ; les plantes présentant un problème de sécurité ; les plantes ayant une classification douteuse, dont la badiane et le séneçon.
La préoccupation centrale de la communauté des herboristes est liée au manque de formation. Si le secteur s'est organisé dès 1977 à Madrid, les nombreuses associations d'herboristes et de diététiciens, car elles vont souvent ensemble, ont du mal à se fédérer compte tenu de l'organisation administrative du pays en dix-sept communautés autonomes.
Dans le paysage des thérapies naturelles, l'Espagne n'est pas un exemple à suivre. Elle ne reconnaît pas l'ostéopathie. Pour la médecine, la pharmacie, les métiers de la diététique et de la nutrition, la formation universitaire est semblable à la France. Il reste possible pour les médecins de se spécialiser dans la phytothérapie, même si le nombre de formations est restreint.
Depuis une dizaine d'années, le scepticisme, voire la peur, à l'égard de l'homéopathie ou de l'acupuncture, a gagné la communauté médicale, poussant de nombreuses universités à arrêter les formations dans ces domaines. L'Ined, l'Institut national d'enseignement à distance, propose des diplômes de niveau bac+5 en phytothérapie, plutôt généralistes. La Catalogne est la plus avancée et propose un master en phytothérapie à distance, sur deux années. Cette formation est accessible à toutes les personnes justifiant d'un diplôme de niveau bac+4 ou bac+5. Depuis 2015, il existe un métier d'artisan herboriste, accessible après examen. Cette petite avancée juridique, assurant une reconnaissance des compétences en matière de préparation de plantes médicinales, a été accueillie avec enthousiasme.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de vos interventions.
Madame Gagnon, êtes-vous effectivement « herbaliste » ?
Mme Caroline Gagnon. - Le terme d'herbaliste n'est pas utilisé au Québec et je n'en connais pas la définition précise. C'est le français Christophe Bernard qui se qualifie comme tel. Il a fait sa formation aux États-Unis, qui ressemble plus à celles que nous dispensons, à savoir entre 1 500 et 2 000 heures d'enseignement.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je vous ai posé la question, car je suis tombé sur une brochure qui vous définissait comme herbaliste. Outre votre qualité d'herboriste et de présidente de la guilde des herboristes du Québec, vous dirigez l'école FloraMedicina. Le diplôme d'herboriste sanctionne-t-il une formation diplômante ? Le métier est-il reconnu ?
Mme Caroline Gagnon. - Il n'y a pas de reconnaissance du métier, qui n'appartient à aucun ordre professionnel. Nos membres pratiquent l'autogestion, l'autorégulation. Il y a un consensus parmi nous sur ce que doit recouvrir la formation d'herboriste, qui est aussi un conseiller en santé. Nous non plus n'avons pas le droit de poser des diagnostics ni de faire des prescriptions.
Nous consacrons entre une heure et une heure et demie à chacun de nos clients, pour les accompagner dans une démarche thérapeutique. La formation s'appuie sur des enseignements assez poussés en matière de physiologie, de plantes, de pathologies, de diététique, de relationnel. Je le redis, nous ne faisons pas de psychologie.
Notre approche de la pratique clinique, de l'accompagnement, du regard sur l'autre est le fruit d'un héritage mixte, s'inspirant à la fois de l'herboristerie française, de ce qui se fait en Amérique du Nord, ainsi que de la médecine chinoise et de la médecine traditionnelle indienne, l'ayurveda.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Dans les trois pays que vous représentez, quel type de relations y a-t-il entre la profession d'herboriste, reconnue ou non, et la profession de pharmacien ?
Mme Caroline Gagnon - Le métier d'herboriste se pratique surtout en privé. Les professionnels présents en boutiques n'ont pas tous suivi la formation de cinq ans nécessaire. Il arrive que des plantes médicinales soient vendues sous forme de gélules en pharmacies. En tant que thérapeute, je m'efforce le plus possible, dans une démarche collaborative, d'aller parler aux pharmaciens de mes clients : l'objectif est de nous assurer qu'il n'y a pas d'interaction négative avec un traitement médicamenteux.
Mme Dominique Crémer. - En Belgique, cela se passe en bonne concurrence, si je puis dire, tout du moins en bonne intelligence. En général, herboristes et pharmaciens se connaissent. Il n'y pas de problèmes tant que chacun reste à sa place : l'herboriste n'est qu'herboriste.
Pour le moment, la Belgique reconnaît la formation, le diplôme, mais pas la profession, ce qui donne de l'eau au moulin de ses détracteurs. C'est dans la durée que nous montrerons le bien-fondé de notre travail. Déjà, il n'y a plus d'accidents, du fait, notamment, de la réglementation sur les plantes. Qui plus est, les pharmaciens n'ont pas constaté de baisse de leurs ventes. Certains d'entre eux emploient même des herboristes diplômés.
Chez les nutrithérapeutes, tous n'ont pas une formation reconnue, ce qui peut provoquer des tensions avec les diététiciens. Cela vaut pour tous les métiers liés à la santé.
En vingt ans d'expérience, je n'ai jamais eu le moindre problème avec les pharmaciens, bien au contraire. Je n'hésite pas à conseiller à mes clients certains produits vendus uniquement en pharmacies. Et la réciproque est vraie.
Mme Noémie Zapata. - Je rejoins les propos de Dominique Crémer, il n'y a pas de situation de concurrence entre pharmaciens et herboristes. Le consommateur espagnol trouvera plus légitime de se rendre dans une herboristerie plutôt qu'en pharmacie pour s'approvisionner en plantes médicinales. Les tensions se cristallisent davantage avec l'industrie pharmaceutique, très méfiante à l'égard des herboristes.
De ce que j'ai pu observer, les relations restent cordiales, dans la mesure où chacun fait son travail. Certains pharmaciens reconnaissent même la qualité du travail de conseil des herboristes. Tous voient d'un mauvais oeil les vendeurs de plantes sur les marchés, qui bravent l'interdit de la vente ambulante. Ce non-respect de l'herboristerie traditionnelle porte atteinte à l'ensemble de la communauté.
M. Guillaume Gontard. - La limite entre prescription et orientation peut être assez floue. Comment arrivez-vous à la gérer au quotidien ? Une personne qui se rend dans une boutique parce qu'elle n'arrive pas à dormir se voit conseiller de prendre une tisane : est-ce de l'orientation ou de la prescription ?
S'agissant des relations avec les pharmaciens et les médecins, notamment en Belgique, où la profession d'herboriste semble plus encadrée, les premiers ont-ils pris l'habitude de prescrire des plantes ou d'orienter vers un herboriste ? En France, ce n'est que très rarement le cas.
En Espagne, y a-t-il une réflexion pour aller vers la reconnaissance du métier d'herboriste, pour changer la réglementation, dans un sens ou dans l'autre ?
Mme Dominique Crémer. - Pour ce qui est de la limite entre la prescription et le conseil, je reprendrai votre exemple de la personne qui a des difficultés à dormir. Pour ma part, je vais d'abord essayer d'en savoir plus, tant il y a pléthore de plantes disponibles, et, la plupart du temps, je conseillerai plusieurs possibilités. La discussion peut se prolonger, parce que, souvent, la personne a besoin de parler et que son insomnie cache autre chose. Cela étant, je me limite à ce que je sais faire.
Nous sommes véritablement davantage dans le cadre du conseil que de la prescription. Je me contente d'insister sur le nécessaire respect de ce qui est indiqué sur les boîtes ou l'emballage. Recommander des dosages plus élevés est ridicule. La personne qui vient nous voir a une demande précise à formuler. Nous avons un rôle d'aiguilleur, mais il nous est interdit de recevoir nos clients dans une pièce à part : tout se passe en boutique, ce qui limite les possibilités de consultation.
Si certains pharmaciens orientent vers des plantes, la demande vient le plus souvent des clients eux-mêmes. Quand le produit n'est pas disponible, il arrive que le professionnel me le commande ou m'adresse la personne concernée. L'objectif tant du médecin que du pharmacien est de répondre à la demande du patient, du client, faute de quoi il risque de le perdre. Personne n'est dupe de ce point de vue.
Mme Noémie Zapata. - La situation est semblable en Espagne. Les herboristes jouent constamment sur le fil de cette limite entre orientation et prescription. Derrière leur comptoir, ils doivent réguler les savoirs et alerter leurs clients, qui parfois arrivent avec des idées toutes faites, sur la dangerosité de telle ou telle plante. L'art de l'herboriste, qui est aussi un commerçant, est de bien conseiller, quand bien même le conseil n'a aucune incidence sur le projet d'achat du consommateur. De manière officieuse, le rôle de prescripteur de l'herboriste est reconnu, y compris par les médecins et pharmaciens. Cela ne pose, a priori, pas trop de problèmes.
À ma connaissance, il n'y a pas de projet de réglementation. Chaque communauté autonome réfléchit à une possible reconnaissance du métier d'herboriste, en tout cas des habiletés requises sur le plan technique pour l'exercer, lesquelles sont liées à la transformation des plantes médicinales. Mais l'objectif n'est pas forcément de reconnaître le commerce herboriste. J'ai cité l'exemple de la Catalogne, qui reconnaît depuis très récemment le métier d'artisan herboriste. Dans d'autres communautés autonomes, la reconnaissance de ces compétences se fait plutôt au niveau de l'artisanat alimentaire, basculant ainsi du côté des producteurs et des cueilleurs de plantes médicinales, métiers auxquels les commerçants herboristes espagnols ne sont pas formés. Cela reste, comme en France, très sectorisé.
S'exprime actuellement un intérêt pour revaloriser ces savoir-faire, dans la volonté de redynamiser le milieu rural. La production de plantes médicinales et aromatiques est un secteur encore peu représenté. Les gros producteurs travaillant à l'échelle industrielle sont plutôt spécialisés dans la monoculture. Les petits producteurs, également cueilleurs, sont minoritaires et proposent d'autres activités, telle que l'hébergement touristique, des ateliers de sensibilisation à la nature, dans le cadre notamment de jardins ethnobotaniques, très à la mode en Espagne. C'est peut-être pour les soutenir qu'un projet de législation verra le jour.
Mme Caroline Gagnon. - En France, les produits de l'herboristerie, à l'instar de la valériane, étant disponibles en vente libre, le consommateur n'a pas à passer par un intervenant médical ou un herboriste pour se les procurer. Dès lors, le rôle de l'herboriste est d'aider le consommateur à bien choisir en fonction de sa situation personnelle. Même l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, le souligne, nombreuses sont les personnes à se dire insatisfaites des médicaments et à chercher une solution de remplacement. Si la valériane, associée au houblon, constitue un traitement efficace contre l'insomnie, mon rôle, en tant qu'herboriste, est de vérifier qu'il est adapté au cas de la personne qui est en face de moi.
Les médecins et les pharmaciens avec qui je travaille ne sont pas formés. Nos métiers sont donc complémentaires. La stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023 donne des balises intéressantes en vue d'aider à la reconnaissance de tous ces savoirs.
M. Joël Labbé, rapporteur. - On met souvent en avant les risques liés à l'usage des plantes qu'il y aurait sur la santé. En tant que professionnelles, pouvez-vous nous dire si des accidents surviennent liés au métier d'herboriste ?
Mme Caroline Gagnon. - Il m'est parfois demandé : « Mais où sont les cadavres ? ». Certains se plaisent en effet à invoquer le grand danger des plantes médicinales. Voilà quelques années, les critiques portaient sur l'inefficacité des plantes médicinales, pas sur leur dangerosité.
L'innocuité des plantes médicinales est indéniable. Même en comparaison de la prise excessive de caféine, les risques sont moindres. Je le répète, le rapport entre les risques et les bénéfices est excellent. Les plantes médicinales sont notamment bénéfiques aux personnes souffrant du foie ou des reins, aux femmes enceintes, aux bébés. Depuis la nouvelle réglementation en vigueur au Canada et aux États-Unis sur les produits de santé naturels et les plantes médicinales, les cas d'interactions ou de réactions néfastes sont extrêmement rares. Lorsque cela se produit, c'est souvent dû à une consommation abusive de la plante, du point de vue soit quantitatif soit qualitatif, donc à un défaut de conseil. Un tel problème de traçabilité ou de qualité du produit, une bonne législation peut l'encadrer.
Il arrive également qu'une personne abandonne son traitement médicamenteux par volonté de se soigner uniquement de façon naturelle. Or un diabétique qui cesse les injections d'insuline, par exemple, court un grave danger. Les professionnels conscients de ces risques permettent d'éviter les erreurs et de faire les bons choix, en vue de consommer en toute sécurité les plantes médicinales.
Mme Dominique Crémer. - J'abonderai dans le même sens. Avant même le début de la formation, nous précisons d'emblée, dès la première séance d'information, que nous ne formons pas des thérapeutes. Cela permet d'écarter toutes les personnes qui se complaisent dans une attitude par trop militante, criant haro sur le monde médical ou pharmaceutique.
Il m'est arrivé de dire à des personnes qui se présentaient dans mon commerce que je ne pouvais rien pour elles et qu'elles devaient aller voir leur médecin pour se faire prescrire un médicament, car une plante ne suffirait pas à les soigner. Je me souviens d'une femme et de son enfant souffrant de troubles respiratoires et de réactions inflammatoires, à qui j'ai refusé de donner en plus un traitement à base de plantes.
Nous devons pouvoir refuser une vente, poser une limite. Certes, nous faisons du commerce, mais il s'agit de prendre notre métier au sérieux : nous jouons avec la santé des gens. À l'évidence, nul ne peut empêcher les déviances dans les pratiques quotidiennes, mais, comme dans tous les métiers, un diplôme n'est jamais une assurance tous risques.
Nous travaillons à une nouvelle uniformisation de la formation entre la Wallonie et la Flandre, justement pour inciter les autorités publiques à reconnaître notre métier. C'est une question de santé publique. Ne laissons pas les charlatans prospérer, notamment sur internet. Il nous faut être encore plus stricts. D'où l'idée de nous intéresser à ce qui se fait en Allemagne avec les Heilpraktiker, totalement intégrés au système de santé publique.
Mme Gagnon le rappelait, la réglementation sur les produits en amont est très importante : les contre-indications sont mentionnées sur les emballages ; c'est une obligation européenne. D'où l'importance d'anticiper, de mettre en garde et de bien conseiller. Par exemple, si une personne qui prend du gingko biloba est sur le point de se faire opérer, il importe de lui dire de bien prévenir l'anesthésiste et le chirurgien, car cette plante est susceptible de liquéfier le sang. De même, la prise simultanée d'un psychotrope et de millepertuis ou de ginseng n'est pas toujours conseillée. C'est aussi ce qui permet de garder ces produits en vente libre et accessibles au plus grand nombre.
Mme Noémie Zapata. - Les herboristes espagnols sont eux aussi clairement conscients du risque de toxicité. Mais ce dernier n'est pas plus important que dans le cadre des produits médicamenteux classiques.
Souvent, une personne se rend dans une herboristerie soit avant d'aller consulter un médecin, soit parce qu'elle a fait le tour de la médecine allopathique sans trouver de réponse. Il est fréquemment recouru à la phytothérapie pour soigner des maladies chroniques et limiter des traitements médicamenteux allopathiques beaucoup plus lourds et aux nombreux effets secondaires.
Je n'ai pas eu connaissance de problématiques de mortalité liée à l'herboristerie. Cette crainte de la toxicité et ce doute sur l'efficacité viennent nourrir le discours contre la reconnaissance des médecines complémentaires, notamment de l'herboristerie. J'évoquais ce mouvement très fort de discrédit actuellement à l'oeuvre. Au sein du collège des médecins s'est créé un observatoire pour dénoncer les dérives du charlatanisme. Le ministère de la santé a identifié 139 thérapies douteuses, dont l'acupuncture, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, plus aisément reconnues en France. Un collectif a même organisé une mise en scène voilà deux ans autour d'une tentative de suicide aux granules homéopathiques, justement pour dénoncer l'inefficacité prétendue de ces produits.
On ne prend pas les herboristes suffisamment au sérieux, on ne leur donne que trop peu de moyens pour exercer cette activité proche de celle du thérapeute, même si, en Espagne, il n'y aucune volonté des herboristes de se substituer aux médecins. Si vous ajoutez à cela les critiques sur la toxicité, l'herboristerie devient un sujet de crispation politique.
Mme Caroline Gagnon. - L'herboristerie contribue à diminuer la prise de médicaments parce qu'elle est essentiellement préventive.
M. Joël Labbé, rapporteur. -Je vous remercie vivement de vos interventions, qui ont montré combien vous êtes des professionnelles responsables. Madame Gagnon, vous avez insisté sur la recherche d'un consensus au Québec avec le monde médical, sur l'autorégulation. Madame Crémer, la Belgique se distingue par une inventivité remarquable. J'ai vu que, dans le cadre de l'examen que vous organisiez, vous alliez jusqu'à mettre directement les candidats en situation, au travers d'un jeu de rôle.
Aucun des trois pays n'est mieux placé que les autres. La situation n'est pas idéale et il va falloir avancer. Vos expériences nous intéressent donc grandement. Nous avons eu l'occasion d'auditionner des herboristes français, paysans-herboristes ou herboristes de comptoir : ils font preuve, tout autant que vous, d'un vrai sens des responsabilités. Derrière votre discours et le leur, c'est la passion pour ce métier qui s'exprime, la passion de l'humain et de la santé humaine. Vous l'avez dit, il importe de travailler en amont sur la question du bien-être, de la prévention. C'est là que peuvent se trouver les complémentarités entre les différents métiers, entre ceux qui sont liés directement à la thérapie et le métier d'herboriste.
Je vous donne rendez-vous pour une prochaine fois. Lorsque la mission aura rendu ses travaux, nous poursuivrons sans doute la réflexion.
La réunion est close à 19 h 40.
Mercredi 11 juillet 2018
- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de M. Florian Petitjean, président du directoire de Weleda France
Mme Corinne Imbert, présidente. - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant M. Florian Petitjean, président de Weleda France. Le groupe Weleda, implanté en France dans le Haut-Rhin, produit et distribue des préparations pharmaceutiques à base de plantes et des produits cosmétiques dits « naturels et bio ». Vous allez donc nous apporter un éclairage complémentaire sur les sujets qui intéressent notre mission.
M. Florian Petitjean, président du directoire de Weleda France. - Je suis président de Weleda France depuis le début de cette année, avant j'en étais le directeur général. Auparavant j'ai eu un long parcours dans le domaine des médecines naturelles, des médecines douces, des thérapeutiques complémentaires. Je n'aime aucun de ces termes, sources de confusion, même si je préfère le terme de thérapeutiques complémentaires. Qu'est-ce en effet que la médecine naturelle ? La médecine douce n'est pas toujours douce... J'ai vingt ans d'expérience dans ce domaine : j'ai commencé dans l'homéopathie au sein du laboratoire Lahning Labs, puis j'ai travaillé chez Dolisos Labs, puis chez Pierre Fabre, comme directeur général de Naturactive, et enfin j'ai rejoint le laboratoire Weleda, comme pharmacien responsable et président du directoire. C'est mon métier mais c'est aussi ma passion.
J'ai préparé un tableau qui répertorie, d'un côté, les produits à base de plantes qui sont commercialisés et, de l'autre, les différents statuts existants, afin d'illustrer la complexité de la réglementation. Parmi les produits, on trouve les plantes en vrac, les tisanes (on en compte à peu près 6 000 et elles sont assimilées à la même famille de produits), les poudres de plantes, les extraits de plantes, les huiles essentielles, pures, en mélange, ou en hydrolat, les teintures mères ou les produits apparentés, comme les dilutions utilisées en homéopathie ou les macérats glycérinés, utilisés notamment en gemmothérapie et enfin une série d'autres produits, comme les élixirs de fleurs, qui sont souvent dans un no man's land réglementaire. Si l'on considère les statuts, on a les médicaments, les compléments alimentaires, les aliments, qui peuvent avoir des allégations santé dans certains cas, les dispositifs médicaux, les biocides, l'homéopathie, les préparations magistrales, qui sont des médicaments, les préparations officinales, qui sont également des médicaments, les produits cosmétiques et toute une série de statuts ou de pseudo-statuts qui sont parfois utilisés pour des questions d'opportunité ou en raison du vide réglementaire.
Le panorama est donc assez complexe. Ainsi, une huile essentielle pourra être utilisée sous différents statuts : comme médicament, complément alimentaire, aliment, dans la mesure où elle contient des condiments, comme dispositif médical, biocide, cosmétique, préparation magistrale, voire comme préparation officinale - statut qui existe plus sur le papier que dans la réalité, parce qu'il repose sur un formulaire national ancien qui n'a pas été réactualisé alors que ce cadre offre de réelles perspectives. L'articulation entre les statuts et les familles de produits laisse souvent perplexe et les acteurs se perdent. Finalement les choix sont souvent liés à la volonté d'aller vite sur le marché et dépendent des coûts : obtenir le statut de médicament coûte beaucoup plus cher que de lancer un complément alimentaire. La partie réglementaire est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises, car le choix sera déterminant pour le cycle de vie du produit.
Le principal marché est celui des compléments alimentaires, avec à peu près 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires (CA) en France, un taux de croissance de l'ordre de 5 % par an, mais les compléments alimentaires à base de plantes ont une croissance de plus de 10 %, ce qui montre l'intérêt des consommateurs dès qu'un produit contient une plante. Le deuxième marché est l'homéopathie, qui n'utilise pas que des plantes, avec un chiffre d'affaires de 600 millions d'euros, une croissance annuelle de 2% ; c'est un marché très dépendant du climat et des effets saisonniers. Ensuite, la cosmétique naturelle représente un CA de 450 millions d'euros, avec un taux de croissance de plus de 8 % chaque année, en accélération, en raison des différents scandales sanitaires qui ont éclaté ces dernières années et des nombreux reportages dans les médias sur des produits présentés comme toxiques et qui effraient un petit peu la population. Tout cela concourt à créer un environnement propice au produit considéré comme naturel, ou entretient l'idée, contre laquelle je milite souvent, que tout ce qui est naturel est sans danger. Certes, la iatrogénie est faible avec les produits à base de plantes. Cependant les mésusages sont fréquents parce que ces produits peuvent être vendus dans de nombreux circuits : on en trouve dans les magasins bio, pionniers dans ce domaine, surtout lorsqu'il s'agit de produits biologiques, dans les parapharmacies, et dans les pharmacies, qui restent le circuit de distribution le plus important, avec un peu plus de 50 % des ventes, grâce à leur maillage territorial et parce que les consommateurs ont un besoin de réassurance, de proximité. Les ventes sur Internet augmentent aussi de façon très significative mais restent encore assez marginales, se montant à quelques centaines de millions d'euros si l'on regroupe l'ensemble des types de produits.
Le marché qui s'est le plus développé, ces dernières années, est celui des huiles essentielles, avec des taux de croissance de plus de 10 % chaque année : on en trouve aussi bien en pharmacie, que dans les magasins bio, de bien-être, sur Internet, chez Nature et Découvertes comme chez le boulanger du coin... Cela pose la question de l'encadrement et de la maîtrise ce circuit.
Le laboratoire Weleda dont la maison mère est en Suisse, est considéré comme le pionnier des cosmétiques biologiques et des médicaments conçus avec des produits d'origine biologique. Le laboratoire a un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros dans le monde, dont près de 100 millions en France, première filiale du groupe. 60 % de notre activité provient de la cosmétique naturelle et biologique, le reste provient de la phytothérapie et d'une manière générale, des produits pharmaceutiques à base d'actifs naturels. On est installé en France depuis 1924, dans le Haut-Rhin, à Huningue.
J'ai rejoint ce secteur il y a vingt ans, à la fin de mes études, ce qui n'était pas un choix évident à l'époque. Pendant les premières années de ma carrière, on me regardait souvent avec un petit sourire en coin quand j'expliquais pourquoi je travaillais dans ce domaine. Aujourd'hui, c'est plutôt tendance. La notion de naturalité éveille beaucoup d'intérêts aussi bien de la part des professionnels de santé, que de la part des patients et des consommateurs.
Les intervenants sur ce marché sont très divers. Tout d'abord, il y a les médecins. Peu se qualifient de phytothérapeutes. La plupart des médecins qui s'intéressent aux plantes sont les médecins homéopathes, ils sont entre 4000 et 5000 en France. Ils s'intéressent à une approche globale de la santé, intégrant la prévention. Ils ont recours à l'homéopathie, à des produits à base de plantes, à des produits naturels, très souvent en complément des médicaments classiques. On trouve aussi des nutritionnistes ou des micro-nutritionnistes, qui combinent les plantes, les vitamines, les minéraux ou les oligo-éléments dans une approche globale visant à guérir ou à prévenir certains déséquilibres. Finalement le nombre de médecins spécialistes est assez limité, au regard des 200 000 médecins installés en France.
À la différence des médecins, les pharmaciens ont une formation qui est assez centrée sur la chimie des plantes, la pharmacognosie, la botanique, la phytochimie, et bien sûr la santé, la physiologie, etc. En sortant de leurs études, ils ont donc des bases solides pour pouvoir faire du conseil sur les plantes. Toutefois, avec le temps, cette compétence a tendance un petit peu à s'éroder parce qu'ils font beaucoup d'autres choses. Cela a laissé le champ à d'autres professionnels paramédicaux, que je ne sais pas comment qualifier car ils ne sont pas toujours reconnus : naturopathes, herboristes, qui se spécialisent dans ce domaine et deviennent de vrais experts dans la connaissance des plantes, depuis leur culture jusqu'aux conditions d'utilisation ou aux indications appropriées, même si le mot est réservé aux médicaments. Toutefois ils n'ont pas, malheureusement, cette connaissance de la santé, à laquelle il faut être très attentif parce que les plantes ne sont pas sans danger. Il existe en effet des contre-indications, des risques en cas d'interactions entre produits. Pour garantir la sécurité du consommateur, il importe autant de vendre des produits de qualité que de savoir conseiller les patients en parfaite connaissance de cause.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci. J'aurai quelques questions. Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ?
Quelle est la contribution d'une entreprise comme la vôtre à la recherche sur les plantes et leurs effets sur la santé ?
Quels principaux aménagements des réglementations nationales ou européennes sur les produits à base de plantes préconisez-vous ?
Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien ?
M. Florian Petitjean. - Nous cultivons nos propres plantes. Nous possédons un jardin médicinal en France et un en Allemagne, pour une surface cumulée de 25 hectares. Ces terres sont cultivées en agriculture biodynamique. Nous avons aussi recours à des fournisseurs, notamment pour des plantes qui ne peuvent pas être cultivées en Europe, ou qui ne peuvent pas être cultivées, car elles doivent être cueillies dans leur milieu naturel, comme l'arnica, pour lequel nous avons passé une convention avec le département des Vosges pour une récolte raisonnée. Nous avons reçu la certification Union for Ethical BioTrade (UEBT), qui reconnaît des pratiques économiques respectueuses des ressources naturelles dans le cadre de pratiques équitables avec les producteurs.
Mme Patricia Schillinger. - Ces territoires en Alsace sont contrôlés par les brigades vertes, qui veillent au respect des pratiques et des contingents.
M. Florian Petitjean. - C'est très réglementé en effet. C'est aussi conforme à notre philosophie. Dès que les plantes sont récoltées, elles sont traitées à l'état frais, triées, mises à macérer, etc. Nous avons aussi des partenariats pour protéger la biodiversité, comme avec la petite Camargue alsacienne. Au niveau mondial, nous travaillons avec des fournisseurs qui ont aussi le label UEBT.
La recherche commence par l'agronomie. Nous avons nos ingénieurs agronomes, nos jardiniers. Nous cherchons à maîtriser la culture des plantes protégées, ce qui contribue à préserver l'environnement, mais ce n'est pas toujours simple ou possible. La recherche vise aussi à valoriser les plantes. Il ne s'agit pas comme dans la pharmacie traditionnelle d'isoler une molécule pour fabriquer un médicament mais de comprendre comment fonctionnent les extraits de plantes. Nous travaillons sur la sécurité, avec des toxicologues. Ensuite vient le stade des études précliniques pour identifier les interactions, apprécier les conditions de sécurité, vérifier l'efficacité. En cosmétique nous n'avons pas le droit de faire des tests sur des animaux. Enfin vient le stade des études cliniques. Vu l'organisation de notre groupe, cette phase n'est pas réalisée en France. Elle est gérée par les professionnels médicaux qui travaillent sur la valorisation clinique des produits. Notre investissement en recherche n'est pas comparable à celui de la pharmacie traditionnelle de synthèse pour des raisons économiques, parce que les plantes ne sont pas brevetables. Il n'y a pas non plus de blockbusters dans le domaine des plantes. Notre chiffre d'affaires repose sur des centaines de produits.
J'en viens à la réglementation. Pour les plantes, le processus de vérification des allégations santé au niveau européen a commencé il y a de nombreuses années, on ne sait pas quand il finira. Reconnaître les usages traditionnels des plantes marquerait la fin d'une insécurité réglementaire et économique pour les acteurs.
S'agissant des médicaments, il conviendrait peut-être aussi de simplifier les procédures même simplifiées d'autorisation de mise sur le marché (AMM), qui sont longues et coûteuses, et sont, dans les faits, contournées par les acteurs économiques dans la mesure où il est possible de lancer plus simplement des compléments alimentaires. Si certaines allégations santé déposées il y a longtemps sont parfois un peu fantaisistes, souvent l'usage traditionnel, connu de tous n'est pas reconnu. Les huiles essentielles sont utilisées dans de vieux médicaments mais je ne connais pas de médicament lancé récemment qui en contienne : nul n'a intérêt à investir des centaines de milliers d'euros pour obtenir une AMM avec une allégation restrictive, alors qu'il est possible de lancer un complément alimentaire. Au final, des huiles essentielles vendues comme compléments alimentaires sont en fait des cosmétiques par destination, utilisées en mélange avec une huile végétale. Elles peuvent aussi être utilisées en diffusion. Or, si le produit est vendu sous forme de complément alimentaire, il est censé être utilisé comme tel et le fabricant ne peut pas avertir le patient sur les indications ou les contre-indications liées à d'autres usages : par exemple, la cannelle vendue comme condiment, peut aussi être vaporisée mais elle est très irritante pour les voies respiratoires. De même il n'est pas possible, si on vend une huile essentielle à base d'agrumes comme complément alimentaire, d'indiquer sur l'emballage qu'il ne faut pas l'utiliser sur la peau en s'exposant au soleil alors que chacun sait que les agrumes sont photo-sensibilisants. Ainsi, les catégories réglementaires ne tiennent pas toujours compte de la réalité des besoins et des usages et empêchent de faire figurer des mises en garde sur des produits susceptibles d'être utilisés de différentes façons. Les huiles essentielles, en dépit de leurs vertus, peuvent être toxiques en cas de mésusage. Il est dommage de ne pas pouvoir mieux informer le consommateur. Les laboratoires se sont réunis d'ailleurs au sein d'un consortium pour avancer sur ce sujet en lien avec les autorités de santé.
Je suis aussi vice-président du syndicat national de la préparation pharmaceutique (SN2P) qui regroupe les quelques centaines de pharmaciens qui font encore des préparations magistrales - produits réalisés à façon, sur prescription, avec des autorisations des agences régionales de santé (ARS) -, ou des préparations officinales, coeur du métier de pharmacien. Cette dernière pratique a quasiment disparu car le formulaire national est inadapté. Les procédures sont désormais fiables. Pourtant, le pharmacien, qui est un professionnel de santé, n'a pas le droit de fabriquer à la demande de son client un mélange d'huiles essentielles, alors qu'il a tout l'outillage pour le faire et alors que le consommateur peut en trouver dans tous les magasins de bien-être ou sur internet... Il peut juste fabriquer un mélange de plantes en vrac en respectant des monographies fixées.
Je ne suis pas un expert de la réglementation européenne, je ne peux que souhaiter que les procédures soient plus rapides, car le facteur temps est essentiel.
Faut-il créer un diplôme d'herboristerie ? Je crois qu'il faudrait d'abord sensibiliser les médecins, lors de leur formation initiale, à l'usage des plantes, aux bienfaits qu'elles peuvent apporter au quotidien, pour leur permettre de conseiller leurs patients et les mettre en garde sur les risques potentiels, en cas de multi-usages notamment. Beaucoup de patients, en effet, sont polymédiqués. Le millepertuis, par exemple, n'est pas indiqué pour une femme qui prend la pilule. Les pharmaciens ont des bases solides. Ceux qui le souhaitent peuvent suivre un diplôme universitaire.
Aujourd'hui, beaucoup de gens pratiquent le conseil sur les huiles essentielles et les plantes. C'est une réalité. Il faut fixer un cadre pour encadrer, non bloquer. Cela peut passer par la formation ou par la création d'un diplôme d'herboriste. Il ne faudrait cependant pas empêcher les pharmaciens de revendiquer leur statut car ils sont herboristes. En revanche on pourrait ouvrir cette compétence à d'autres professions paramédicales. Dans tous les cas, la sécurité du consommateur doit nous guider. Beaucoup de gens connaissent bien les plantes, mais ils ne connaissent pas forcément les médicaments, les interactions, ne sont pas compétents en santé, ne sont pas en lien avec les médecins. Il ne faut pas courir le risque d'entrainer une perte de chance pour les patients. Le conseil en matière de bien-être, de prévention, de gestion du capital santé est une chose, mais dès que l'on commence à entrer dans le champ de la maladie, c'est le médecin et le pharmacien qui sont compétents. Il faut trouver un équilibre. La formation devrait s'articuler autour des aspects réglementaires, du droit de la santé, de la botanique, de la pharmacognosie, de la physiologie, de la chimie, de la biologie, de la pharmacologie, etc. En fait cela ressemble beaucoup aux études de pharmacie ! Mais on pourrait imaginer que d'autres professionnels bien formés puissent intervenir.
Mme Marie-Pierre Monier. - Vous avez souligné votre souhait de maîtriser toute la filière depuis la culture et la production. Produisez-vous votre propre lavande ?
Les cosmétiques bio sont-ils bio à 100 % ? Vendez-vous tous vos produits en pharmacie ?
M. Florian Petitjean. - S'agissant du bio, cela dépend des cas et des certifications. Il est possible de prétendre à la certification bio si 90 % du produit est d'origine biologique mais on peut avoir le droit d'incorporer des produits qui ne le sont pas, car malheureusement on ne peut pas tout produire en bio, à commencer par l'eau... Nos produits pharmaceutiques sont vendus exclusivement en pharmacie mais nous travaillons aussi avec les magasins bioset les parapharmacies.
Quant à la production, nous ne pouvons malheureusement pas cultiver de lavande en Alsace... Nous travaillons donc avec des producteurs.
M. Daniel Laurent. - Avec un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros, quel est votre taux de croissance ? Je présume que vous achetez certaines de vos matières premières ailleurs en Europe, ou en Asie. Avez-vous des garanties de qualité ?
M. Florian Petitjean. - Nos relations avec nos fournisseurs sont contractuelles à 90 %, et encadrées par un cahier des charges. Nous sommes extrêmement vigilants. Nous avons nos propres auditeurs, mais la certification bio - il en existe plusieurs - est le fait d'auditeurs externes et indépendants. Weleda fait du bio depuis près d'un siècle ; nous avons été pionniers dans ce domaine, et cela fait partie de notre ADN. La qualité des produits n'est pas négociable.
M. Daniel Laurent. - Recherchez-vous des producteurs ?
M. Florian Petitjean. - Pas en France, où nous avons nos propres jardins. Pour le reste, les filières d'approvisionnement sont centralisées par la maison mère.
Notre chiffre d'affaires en France croît de 3 à 5 % par an, principalement grâce à la part cosmétique de notre activité, où la croissance est de l'ordre de 10 %. Cela implique de trouver des matières premières en conséquence. La part de notre activité liée à la pharmacie se développe moins vite, en partie pour des raisons réglementaires.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le marché mondial des cosmétiques, huiles essentielles et compléments alimentaires est-il très concentré autour de grands laboratoires, qui organisent et contrôlent la chaîne complète de production et de distribution, ou voit-on éclore des acteurs indépendants ?
M. Florian Petitjean. - Le marché est encore assez éclaté. 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, c'est peu pour le leader mondial de la cosmétique biologique que nous sommes. L'association professionnelle française des laboratoires de cosmétique biologique compte pas moins de 400 adhérents. Pour les producteurs émergents, il est difficile de se maintenir car le niveau d'exigence réglementaire est très élevé. Il y a peu d'acteurs mondiaux, mais un mouvement de concentration a commencé. Des fonds d'investissement commencent à s'y intéresser.
Mme Patricia Schillinger. - Il existe beaucoup de traitements naturels pour les malades du cancer. La clinique anthroposophique d'Arlesheim, en Suisse, propose des thérapies de ce type. Certains produits sont également de plus en plus utilisés en pédiatrie par les hôpitaux. Faut-il des autorisations spéciales pour ces traitements ?
M. Florian Petitjean. - C'est une question complexe. Depuis quelques années, les produits naturels font leur arrivée à l'hôpital. Un patient sur deux souffrant de maladie chronique ou grave, comme le cancer, déclare avoir recours à ces produits, non en tant que médecine alternative mais en tant que complément : j'insiste sur ce point. Or, ils font face à une méconnaissance des médecins et à une forme de déni de cette réalité. On laisse pour ainsi dire les patients dans la nature, qui peuvent alors s'orienter vers des charlatans, avec des risques de perte de chance.
Introduire ces produits dans les cliniques présente un véritable intérêt pour la qualité de vie du patient. On trouve de plus en plus d'huiles essentielles, qui ont des vertus tranquillisantes reconnues. Quant aux médicaments, ils sont soumis à l'autorisation de mise sur le marché.
La France reste conservatrice dans ce domaine, alors que l'on trouve des cliniques et des hôpitaux dits intégratifs de très bon niveau en Allemagne, comme en Chine, en Inde ou aux États-Unis. On y pratique tous types de soins classiques, mais aussi l'homéopathie, les médecines anthroposophiques, l'aromathérapie, la médecine ayurvédique. En Allemagne, les médecins sont formés à ces pratiques dès la faculté et se familiarisent ainsi avec les deux approches, classique et naturelle. En complément de la thérapeutique du médicament, on y prend en compte l'environnement, l'aspect psychosocial.
Il est difficile de démontrer l'efficacité des médicaments relevant de ces thérapies, et cela coûte très cher. Les produits peuvent être utilisés sous forme de préparation magistrale, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus autorisés... Mais dans ce cas, les patients trouvent toujours un moyen de s'approvisionner autrement que par les filières classiques, sécurisées. C'est le principal danger.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Vous avez évoqué la toxicité potentielle des huiles essentielles et le fait que la commercialisation en tant que complément alimentaire offre davantage de souplesse qu'une mise sur le marché en tant que médicament. Ne faudrait-il pas, dans ce cas, mettre en place une forme d'autorisation de mise sur le marché, même allégée, pour ces compléments ? Que pensez-vous par ailleurs de la reconnaissance de la pharmacopée traditionnelle outre-mer ?
M. Florian Petitjean. - La mise sur le marché des compléments alimentaires nécessite déjà la constitution d'un dossier très complet. Le rehaussement systématique du niveau d'exigence n'est pas, à mes yeux, la solution. L'approvisionnement est assuré auprès de grossistes capables de garantir la traçabilité. Des contrôles sont réalisés sur les produits finis. L'environnement est sérieux.
L'outre-mer a longtemps été un sujet d'intérêt au sein de Pierre Fabre. De manière générale, j'estime que la reconnaissance des traditions est essentielle.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci de votre exposé et de vos réponses très complètes.
Audition conjointe du docteur Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et du docteur Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'Ordre des médecins
Mme Corinne Imbert, présidente. - Notre mission d'information accueille à présent le docteur Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, accompagnée de M. Alain Delgutte, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d'officine et de Mme Caroline Lhopiteau, directrice générale ; et le docteur Jean-Marcel Mourgues, président de la section santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins, accompagné de Mme Cécile Bissonnier, juriste responsable de la section santé publique et démographie médicale.
Je vous remercie d'avoir accepté cette audition conjointe, qui apporte l'éclairage de deux professions médicales sur les sujets de l'herboristerie et des plantes médicinales qui intéressent notre mission.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Mon propos portera sur la complexité et le danger lié à l'utilisation des plantes, ainsi que sur ma conviction que les médecins et pharmaciens sont le mieux à même de répondre à la demande sociétale.
Les pharmaciens sont des promoteurs de la phytothérapie ; le soin par les plantes est à l'origine même de la pharmacie, puisque 70 % de notre pharmacopée est issue du monde végétal. La réglementation vise d'abord à protéger le patient en évitant tout risque pour la santé publique.
Il y a bien une attente sociétale forte de produits naturels doux, sans effets indésirables, efficaces, utilisés surtout en traitement préventif ou contre les petits maux du quotidien. 45 % des Français disaient en 2011 avoir recours à la phytothérapie, 65 % lui faisaient confiance ; mais elle recouvre des produits aux statuts très divers, à vocation médicale, mais aussi alimentaire ou de bien-être.
Or, il existe une confusion sur le statut de ces produits. Soin par les plantes ne veut pas dire soin sans danger : 5 à 10 % des intoxications traitées aux urgences ou dans les centres antipoison sont ainsi liées à l'ingestion de plantes comme l'aconit, l'if, la belladone ou le datura.
Le pharmacien est le plus à même de répondre aux exigences de sécurité liées à leur utilisation, il possède la connaissance des plantes médicinales et de leurs dérivés, qui requièrent une technicité importante. Certaines plantes ou huiles essentielles peuvent être irritantes, neurotoxiques, photo-sensibilisantes ou caustiques. Il y a aussi des contre-indications pour les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les sujets épileptiques ou allergiques.
Les plantes peuvent aussi modifier l'activité de certains médicaments. Ainsi le millepertuis, antidépresseur léger, est aussi un puissant inducteur enzymatique qui diminue l'efficacité de certains contraceptifs hormonaux et traitements immunosuppresseurs. Les patients cancéreux ont souvent recours aux plantes médicinales, principalement pour diminuer les effets des traitements mais aussi, parfois, pour se guérir. Or des interactions gravissimes entre thérapies anticancéreuses orales et phytothérapie ont été mises en évidence.
Second risque, le détournement des pratiques par des acteurs prétendant poser un diagnostic ou soigner des pathologies lourdes par la phytothérapie. Les prescriptions illégales de mélanges de plantes ou d'huiles essentielles, notamment par des naturopathes ou des guérisseurs, sont régulièrement constatées en officine. L'ordre des pharmaciens se porte parfois partie civile contre les personnes qui exercent illégalement la pharmacie.
Le pharmacien est un professionnel de santé dont la formation est fondée sur la connaissance scientifique ; il connaît aussi la réglementation s'appliquant à ces différents produits. Il a reçu 30 heures d'enseignement de pharmacognosie ; le stage de sixième année lui apprend à reconnaître les plantes. Quatorze facultés de pharmacie proposent, en formation continue, trois diplômes universitaires et diplômes interuniversitaires consacrés aux plantes. Le droit pharmaceutique est aussi enseigné.
Deuxième avantage, la pharmacie d'officine est en mesure de répondre aux attentes sociétales à travers son maillage territorial et d'assurer un accès pour tous aux plantes médicinales en toute sécurité.
Troisième point, elle est un rempart contre la falsification, par la mise en place de circuits d'approvisionnement étanches auprès d'établissements pharmaceutiques autorisés. Les pharmacies sont contrôlées par les autorités de tutelle, et, acteurs de santé publique, soumises à un code de déontologie destiné à protéger l'intérêt du public.
Enfin, le pharmacien a à sa disposition l'ensemble de l'arsenal thérapeutique. Son cursus comporte des enseignements de physiopathologie et de pharmacologie ; il est ainsi en mesure d'évaluer les interactions entre allopathie et phytothérapie susceptibles d'engendrer des pertes de chances. Lors de l'acte de dispensation, tout pharmacien procède à l'analyse de la demande ; il consulte le dossier pharmaceutique du patient contenant les médicaments dispensés au cours des quatre derniers mois. Il a le devoir de refuser la délivrance d'un produit lorsque la santé du patient l'exige.
Il n'est pas certain que les circuits basés sur la seule vente des plantes répondent aux mêmes exigences déontologiques. Il existe un recensement des interactions médicamenteuses dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit) de chaque spécialité, qui n'a pas d'équivalent en phytothérapie. Seule la connaissance du pharmacien lui permet, à ce jour, de discerner les interactions. En région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, cinq établissements hospitaliers ont bâti un outil de détection des risques liés à la consommation de plantes par les patients cancéreux.
Le pharmacien peut aussi orienter le patient dans le système de soins, le diriger vers un autre professionnel de santé lorsque la situation l'exige.
Les pharmaciens intègrent et comprennent la demande sociétale ; avec les médecins, ils sont les seuls professionnels de santé incontournables pour y répondre, sans risque de perte de chances pour le patient. Il en va de la sécurité de la prise en charge et de la santé publique.
Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins. - Je suis tout à fait en accord avec le propos de ma collègue. L'herboristerie provoque souvent l'embarras chez les médecins. La prescription de plantes médicinales renvoie à la phytothérapie qui est le plus souvent, selon l'OMS, une médecine non conventionnelle faute d'études cliniques spécifiques en prouvant l'efficacité. Il y a cependant un attrait manifeste pour une médecine dite naturelle, liée en partie aux scandales récents causés par certains médicaments.
Certains sites internet surfent sur la vague du naturel et du bio, mais aussi sur la défiance de la population vis-à-vis du médecin. Il est toutefois difficile d'évaluer rigoureusement et scientifiquement ces attentes, sur un plan qualitatif et quantitatif. L'information fait aussi défaut sur les dangers liés à l'utilisation des huiles essentielles ou des plantes médicinales, par voie orale, inhalée ou cutanée.
La phytothérapie est très peu enseignée en formation initiale. Il existe quelques diplômes universitaires ouverts aux médecins et aux pharmaciens, mais ils ne donnent pas droit au titre pour les médecins, sur les plaques comme sur les ordonnances. Les interactions médicamenteuses restent peu documentées alors que nous sommes confrontés à l'automédication, dont le patient n'informe pas toujours le médecin.
Ce manque d'information est lié au manque de connaissance de la phytothérapie par les médecins. La loi du 11 septembre 1941 a réservé la pratique de l'herboristerie aux seules personnes qui en étaient encore diplômées. Le nombre de médecins possédant un diplôme spécialisé en phytothérapie n'est pas connu.
Pour autant, l'Ordre reçoit de nombreux signalements de thérapeutes auto-qualifiés, mais peu d'un exercice déviant de médecins. Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) travaille aussi régulièrement avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
La prolifération de sites internet vendant des produits onéreux, sans contrôle possible et en profitant de la vulnérabilité des malades, est inquiétante. L'Ordre a récemment participé à un groupe de réflexion sur les faux médicaments produits à l'étranger. La production de plantes médicinales inspire des inquiétudes analogues.
Le CNOM saisit parfois la DGCCRF si les allégations sur les effets de ces produits paraissent trompeuses et dangereuses pour la santé. Seule la DGCCRF est compétente sur les compléments alimentaires. Il serait plus logique que les dossiers passent par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), puisqu'il s'agit de produits qui agissent sur la santé. Cela garantirait la qualité et la traçabilité du produit à travers la mise en place d'un système de pharmacovigilance.
À notre époque, la sécurité du médicament et des plantes médicinales est une préoccupation importante de nos concitoyens, des agences d'État et des ordres de professionnels de santé.
Le CNOM n'est pas favorable à la reconnaissance des herboristes en tant que professionnels de santé, alors que les pharmaciens possèdent les compétences nécessaires. Ce serait permettre un exercice très tubulaire, où le discernement nécessaire à la prise en charge thérapeutique globale, sans perte de chances, ferait défaut.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je vous remercie pour la clarté de vos conclusions. Nous auditionnons tous les acteurs de ces filières ; hier, nous avons entendu des représentantes des herboristes belges et québécois qui écartent toute notion de concurrence entre herboristerie et médecine traditionnelle. Elles se déclarent prêtes à lutter contre le charlatanisme car les malades se tourneront vers la phytothérapie quoi qu'il arrive, parfois auprès de thérapeutes autoproclamés. Les professionnels de l'herboristerie demandent donc des formations diplômantes et très encadrantes. Laissant le diagnostic et le traitement aux médecins et pharmaciens, ils se placent du côté de la prévention et du bien-être, en insistant sur les complémentarités. Que pensez-vous de ces propos ?
Quelle est votre position sur la notion d'usage traditionnel des plantes, et notamment les savoir-faire des outre-mer ?
Faut-il élargir les prérogatives des pharmaciens relatives aux préparations à base de plantes, par exemple pour fabriquer des mélanges d'huiles essentielles ? Enfin, ces préparations sont-elles suffisamment connues des médecins prescripteurs ?
Mme Carine Wolf-Thal. - Il faut bien distinguer allégations de santé et allégations thérapeutiques. Nous parlons, pour notre part, d'allégations thérapeutiques, pour ce qui concerne non seulement le préventif, mais aussi et surtout le curatif. Nous sommes là dans le domaine du médicament, donc de la compétence du pharmacien et du médecin.
Il existe effectivement 148 plantes que les herboristes ont le droit de vendre. Il n'y a pas de débat possible : le fait de prétendre que telle ou telle plante facilite le transit ou favorise le tonus relève des allégations de santé, pas des allégations thérapeutiques. Tant que cette distinction est respectée, il n'y a pas de problème, il s'agit de produits complémentaires.
M. Alain Delgutte. - Je ne connais pas le dispositif en vigueur en Belgique et au Canada s'agissant de la mise à disposition des plantes et de la diffusion des produits phytothérapiques au sein des officines. En France, on compte plus de 21 000 officines, réparties sur tout le territoire ; 55 000 pharmaciens y travaillent. Carine Wolf-Thal l'a évoqué, ces derniers, de par leur formation universitaire, ont une parfaite connaissance de la phytothérapie. L'ANSM, a publié le Thesaurus des interactions médicamenteuses. L'université de Grenoble a mis au point une autre base de données, dénommée Hedrine, pour Herb Drug Interaction Database, et intégrée à la base Thériaque, librement accessible en ligne, qui révèle l'ensemble des interactions médicamenteuses.
Mme Carine Wolf-Thal. - L'usage traditionnel des plantes est reconnu, notamment par le biais d'autorisations de mise sur le marché (AMM) allégées.
M. Alain Delgutte. - L'usage traditionnel relève d'un usage médical d'au moins trente ans en France et d'au moins quinze ans dans l'Union européenne. Cette notion avait été instaurée en vue de simplifier, sur le plan réglementaire, l'obtention par les laboratoires des AMM. Elle ne doit pas aller à l'encontre de la littérature scientifique à notre disposition. Nous préférons donc raisonner plutôt en termes de dangerosité pour les personnes que de nous référer à la notion d'usage traditionnel.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous n'avez répondu que sur la partie « médicaments ». Or les usages traditionnels de plantes sont parfois millénaires. Au fil du temps, les connaissances se sont améliorées, elles ont été transmises, avec bonheur souvent. C'est pourquoi je souhaiterais connaître votre point de vue sur la reconnaissance de ces usages traditionnels des plantes médicinales.
M. Alain Delgutte. - La connaissance scientifique évolue au fil du temps. Le millepertuis, par exemple, est une plante qui, comme antidépresseur, a des vertus avérées. Or on s'est aperçu que c'était un puissant inducteur enzymatique, interagissant avec d'autres médicaments utilisés notamment pour éviter le rejet des greffes ou en tant que contraceptif oral. Si la notion d'usage traditionnel des plantes est reconnue, il importe de prendre en compte l'ensemble de la littérature disponible et des avancées de la science. Je citerai ainsi le dispositif national de nutrivigilance élaboré par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement, de l'environnement et du travail (Anses) dans lequel figurent les interactions possibles avec certains compléments alimentaires. J'espère avoir ainsi répondu à votre question.
Vous nous avez également demandé s'il fallait élargir les prérogatives des pharmaciens en matière de préparation officinale à base de plantes, évoquant notamment les huiles essentielles. À l'évidence, il conviendrait d'élargir le champ de compétences des pharmaciens pour mieux répondre à l'accroissement de la demande, que j'observe moi aussi en tant que pharmacien officinal. Nous pouvons préparer des mélanges de plantes dès lors qu'ils figurent dans la monographie des préparations officinales. Pour les huiles essentielles, ce genre de monographie n'existe pas à ce jour. En 2017, un groupe de travail, mis en place par l'ANSM, a présenté trois projets de monographie, qui ont reçu un avis favorable de l'Agence et sont en attente de validation et de publication. Le premier porte sur des préparations à base d'huiles essentielles destinées à une application cutanée ; le second, sur des produits destinés à l'inhalation, à l'exclusion des aérosols ; le troisième, sur des préparations officinales destinées à la voie orale, donc présentées sous forme de gélules. Permettre aux pharmaciens de préparer de tels mélanges sécurisés à base d'huiles essentielles serait une réelle avancée.
M. Jean-Marcel Mourgues. - Il y a une méconnaissance manifeste, faute d'une documentation suffisante, des risques encourus par rapport aux bénéfices attendus des plantes médicinales.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Il y a visiblement un déficit de formation des médecins en la matière. Seriez-vous favorables à ce que ces derniers, dans le cadre de leur cursus universitaire, suivent un enseignement sur les plantes médicinales et les huiles essentielles ?
Cela été dit, le patient n'ose pas toujours dire à son médecin traitant qu'il a recours aux plantes médicinales, à l'homéopathie, à des compléments alimentaires, y compris quand il est atteint d'une pathologie grave. Le médecin, lui, ne pense pas toujours à poser la question. Si les médecins généralistes sont évidemment en première ligne, les spécialistes sont eux aussi concernés, notamment les oncologues car de nombreux patients atteints d'un cancer y ont recours.
M. Jean-Marcel Mourgues. - Compte tenu effectivement du déficit de formation initiale dans ce domaine, de la demande croissante en matière de plantes médicinales, de l'obligation qu'a le médecin d'apporter une information la plus éclairée possible et d'alerter sur le risque d'interactions médicamenteuses, il y a certainement un volume de formation complémentaire à prévoir dans le cadre de la formation initiale.
Il est fort probable que, statistiquement, les médecins aient une connaissance meilleure de l'homéopathie que des plantes médicinales.
Mme Corinne Imbert, présidente. - À l'évidence, les médecins sont davantage sensibilisés à l'homéopathie.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je me permettrai d'insister. Nous avons beaucoup entendu parler d'une nécessaire complémentarité entre les acteurs dans l'intérêt de la santé publique. Ceux qui sont passés par les cinq écoles d'herboristerie en France sont des professionnels même si leur formation n'est pour l'instant pas reconnue comme diplômante. Qu'on le veuille ou non, le métier existe, les pratiques aussi.
De plus en plus de personnes se tournent vers internet pour acheter les produits, glaner des conseils. Les personnes qui s'intéressent à l'herboristerie et au développement de la filière insistent sur l'importance de mettre en place un encadrement strict, associé à une formation diplômante, et ce à plusieurs niveaux. Certains pharmaciens souhaitent une formation spécifique en herboristerie. Les herboristes non pharmaciens sont, pour le moment, dans le flou juridique, d'où leur extrême prudence : ils sont très lucides sur le fait qu'ils ne doivent en aucun cas intervenir sur le diagnostic, même si, bien souvent, on le leur demande.
Il conviendrait de prendre en compte cette nouvelle tendance et d'essayer de travailler ensemble, nous, les politiques, qui avons notre rôle à jouer pour ce qui est d'écrire la loi, vous et tous les acteurs concernés. L'objectif est véritablement de pouvoir répondre à une demande sociétale forte, en jouant sur les complémentarités. Nous sommes lucides sur la réalité : 21 000 officines, plus de 50 000 professionnels reconnus, dont l'activité est précieuse pour le service public de la santé et l'aménagement du territoire. Il ne s'agit surtout pas de fragiliser ce qui existe et qui fonctionne bien. Il n'en demeure pas moins qu'il y a cette notion de complémentarité à prendre en compte. Il y a des attentes et nous sommes en plein questionnement.
Mme Carine Wolf-Thal. - Selon nous, reconnaître une formation uniquement consacrée à l'herboristerie représenterait une perte de chance pour le patient. L'herboriste n'ayant pas la connaissance de l'arsenal thérapeutique disponible, notamment en allopathie, cela pourrait retarder la prise en charge du patient par l'allopathie, quand elle est nécessaire. Le docteur Mourgues l'indiquait, une profession qui travaillerait de façon tubulaire sur un seul axe de prise en charge représente un danger. De tels professionnels ne pourraient pas être intégrés au parcours de soins du patient, d'où, forcément, un risque de retard dans la prise en charge, s'agissant d'un traitement initial préventif pour des pathologies a priori bénignes ou de soins complémentaires pour des pathologies plus lourdes.
Nous ne voyons pas comment l'herboriste, même s'il en a conscience ou connaissance, serait en mesure de prendre en compte l'évolution des traitements, parfois très rapide, comme dans le domaine de l'oncologie. Les polymédications sont monnaie courante dans le cas de pathologies lourdes. Cela représente pour nous un danger que d'avoir, dans le circuit de soins, un professionnel isolé n'ayant à son arc qu'une seule corde.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je comprends ce que vous dites, mais les personnes que nous avons auditionnées n'envisagent aucunement de travailler de façon isolée. Il est pour elles absolument nécessaire de faire le lien avec le monde de la pharmacie et de la médecine. Ne l'oublions pas, il est avant tout question de bien-être, de prévention, d'accompagnement. En France, dans le domaine de la cancérologie, il arrive que des herboristes accompagnent des malades, mais ils le font en liaison avec les médecins. De ce fait, le médecin est maître du jeu. Cette manière d'évoluer pourrait-elle constituer, selon vous, une perspective d'avenir, sachant que la demande sociétale est extrêmement forte ?
Mme Carine Wolf-Thal. - Je le redis, pour nous, cette démarche présente plus de risques que d'avantages. Nous craignons la perte de chance pour le patient consécutive à un retard dans sa prise en charge. Malgré le souhait exprimé par l'herboriste de faire le lien avec le pharmacien ou le médecin, il est à craindre qu'il ne le fasse trop tard, quand il s'aperçoit que son conseil n'a pas produit suffisamment d'effets ou que des effets secondaires sont déjà malheureusement apparus.
Les pharmaciens sont tout à fait en mesure de répondre à cette attente sociétale, de par leur présence homogène sur le territoire et leurs connaissances acquises dans le cadre de formations complémentaires. Le système existant garantit la sécurité, y compris de la chaîne d'approvisionnement. Le rôle du pharmacien dans la prise en charge du patient en phytothérapie est donc beaucoup plus large qu'on pourrait le penser.
M. Alain Delgutte. - La volonté des herboristes de mieux communiquer avec les médecins répond à une certaine logique. Mais comment la mettre en pratique, par quels moyens vont-ils communiquer, auront-ils à leur disposition des messageries sécurisées ?
Surtout, la communication ne suffira pas. L'essentiel, c'est de pouvoir détecter à temps les éventuels problèmes. Tous les maux, même les plus anodins, ne sont pas forcément soignables par la phytothérapie. Il importe de pouvoir avoir accès au dossier médical partagé, le DMP, au dossier pharmaceutique, le DP, pour éviter tout risque d'interaction médicamenteuse.
La Société française de pharmacie oncologique, la SFPO, a relevé un grand nombre d'interactions entre les médicaments pris pour soigner un cancer et certains produits phytothérapiques destinés à soigner des troubles mineurs, d'ordre digestif, par exemple.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens redoute cette perte de chance pour le patient. Qui plus est, il n'y a pas de besoin avéré, puisque 21 000 officines sont disponibles partout sur le territoire, permettant un accès aux produits phytothérapiques.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Par rapport à la question de la sécurisation de l'approvisionnement, il y a des filières en place et des filières qui ne demandent qu'à se développer, ce qui présente un intérêt économique pour nos territoires en termes d'aménagement et de développement local. Cette filière en émergence représente une ressource assez gigantesque, pour peu qu'elle soit encadrée et sécurisée. C'est ce que demandent les professionnels liés à l'herboristerie, producteurs comme grossistes, pour offrir des produits de qualité, tracés. En France, 80 % des plantes utilisées sont importées, d'où des incertitudes plus ou moins grandes sur leur origine. C'est un élément à prendre en compte.
Vous ne cessez de parler de perte de chance pour le patient, quand notre but est de faire en sorte que le patient soit le mieux accompagné possible. Permettez-moi de vous le dire, je vous trouve vraiment sur la défensive. Je me répète, la situation évolue, des professionnels agissent, des filières se mettent en place, des lieux de formation sont prêts à se mettre en ordre de marche.
M. Jean-Marcel Mourgues. - L'attente sociétale, vous avez raison de le souligner, est forte à l'égard des plantes médicinales, mais elle l'est tout autant à l'égard de la sécurité et de la qualité des soins. Il faut hiérarchiser les attentes : manifestement, la demande première est celle de la sécurité et de la qualité des soins. Créer un corps de métier reconnu, qui plus est, comme professionnel de santé nous paraît, à bien des égards, source de menaces pour la qualité des soins. Il ne s'agit pas de défendre je ne sais quel pré carré des médecins ou des pharmaciens. Pourquoi rendre plus complexe encore un parcours de santé qui a besoin d'être davantage coordonné, en introduisant des acteurs nouveaux, dont le rôle restera très ambigu ?
Allégations de santé, allégations thérapeutiques, santé et bien-être : chacun connaît la porosité entre ces items. Très souvent, la perte de chance naît d'une demande initiale, formulée sous le registre du vocable du bien-être mais empêchant une prise en charge la plus éclairée possible. Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens l'a très bien expliqué. Vous trouvez ses représentants sur la défensive, mais la ligne qu'ils défendent est pour nous essentielle.
Qu'il faille rendre perfectible la formation dispensée sur les plantes médicinales, y compris pour les médecins, j'y souscris bien volontiers.
La recentralisation de la production des plantes médicinales peut tout à fait avoir des effets positifs sur l'économie locale et les pharmacies. Après tout, nul n'est besoin d'herboristes pour aller dans cette voie.
M. Alain Delgutte. - Nous avons effectivement le souci de la sécurité et de la traçabilité. L'approvisionnement des officines se fait actuellement auprès d'établissements pharmaceutiques habilités par l'ANSM à distribuer en gros des plantes médicinales. J'en connais deux principalement. Ces laboratoires garantissent que ces plantes respectent la pharmacopée, s'agissant de la teneur, du principe actif, des spécificités attendues, de l'absence de contaminants extérieurs. Le pharmacien peut vendre des plantes issues d'autres laboratoires, mais il doit alors s'assurer du respect de la pharmacopée, donc procéder lui-même à des analyses. Je rappelle en outre que les pharmacies sont inspectés par l'inspection de la pharmacie.
Cela dit, monsieur le rapporteur, j'entends vos remarques et je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'améliorer le circuit d'approvisionnement en plantes médicinales. La filière a du mal à prospérer, justement parce que des normes ont été mises en place. Il serait envisageable de regrouper toutes les parties prenantes - botanistes, producteurs, recherche publique, laboratoires privés, distributeurs - dans un cadre coopératif, pour faciliter l'obtention de ce statut de laboratoire agréé par l'ANSM, qui ouvre un accès simplifié aux circuits de distribution pharmaceutique.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous dites connaître deux structures reconnues qui fournissent les pharmaciens. Nous avons rencontré un grossiste, le Comptoir d'herboristerie, dont l'un des dirigeants est M. Jean Maison, et nous irons prochainement à la rencontre des établissements Cailleau, situés en Maine-et-Loire : en termes de traçabilité et de contrôle, ils respectent scrupuleusement toutes les normes.
La question du risque et de la chance du patient est au coeur du sujet. Nous l'avons posée hier, notamment à une herboriste québécoise. Elle a reconnu que cette préoccupation revenait sans cesse dans la bouche des patients, préférant en parler de façon humoristique : « Mais où sont les cadavres ? », nous a-t-elle lancé, rappelant qu'il y a finalement extrêmement peu de risques. Pour ce qui est de la pharmacie chimique, nous ne pouvons pas oublier l'affaire du Mediator.
Mme Carine Wolf-Thal. - J'avoue être un peu étonnée par cette remarque : « Mais où sont les cadavres ? » J'espère que l'on n'attendra pas d'avoir des cadavres pour alerter sur les difficultés rencontrées. Il est arrivé qu'un oncologue, qui s'étonnait de ne pas comprendre pourquoi le traitement délivré à son patient sous chimiothérapie ne fonctionnait pas, finisse par découvrir que ce patient avait recours à la phytothérapie. Nous ne sommes pas loin du cadavre non plus, et je me permets de le dire également avec le sourire.
C'est parce que nous avons, en France, un système régulé que la sécurité est garantie.
En faisant référence au Mediator, vous semblez opposer la chimie au naturel.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Telle n'était pas ma volonté. Puisque vous avez parlé de risque, je tenais simplement à rappeler qu'en l'espèce des risques avaient été pris.
Mme Carine Wolf-Thal. - Malgré tout, la chimie a permis d'apporter une meilleure efficacité, en éliminant les effets secondaires toxiques des plantes. C'est grâce à la chimie qu'il a été possible d'améliorer l'usage des plantes. Chaque pharmacien, en tant que gardien des poisons, le sait bien, les plus grands poisons sont dans la nature.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Avez-vous une idée du nombre de pharmaciens diplômés qui ont fait le choix délibéré d'exercer comme herboristes ?
Mme Carine Wolf-Thal. - Je n'ai pas cette information et il me sera difficile de l'avoir, puisque, par définition, ces personnes ne sont pas inscrites à l'Ordre des pharmaciens.
M. Guillaume Gontard. - Je comprends tout à fait vos craintes sur les risques et les interactions possibles. C'est peut-être justement pour cette raison qu'un encadrement est nécessaire. Une pratique se développe, des attentes s'expriment. Je ne sais pas si on peut parler de flou juridique, mais force est de constater l'absence d'un cadre bien défini. Le fait d'avoir une formation véritablement diplômante, de fixer des limites, de préciser ce qu'un herboriste a le droit de faire ou non, serait plutôt de nature à répondre à vos préoccupations.
Une herboriste venue de Belgique, que nous avons auditionnée hier, nous a indiqué que, dans son pays, les herboristes travaillaient en liaison avec médecins et pharmaciens, en bonne concurrence, a-t-elle dit, et que tout fonctionnait bien.
Mme Carine Wolf-Thal. - Je ne cesserai de le répéter, le pharmacien a toutes les compétences nécessaires, de par sa formation, ainsi qu'une connaissance complète de l'arsenal thérapeutique. Pour reprendre l'exemple de l'oncologie, je ne suis pas sûr qu'un herboriste, dans le cadre de sa formation, reçoive un enseignement en pharmacologie et soit au fait de tous les médicaments nouveaux qui arrivent sur le marché, notamment les immunosuppresseurs. À quel moment l'herboriste sera-t-il capable d'identifier les interactions médicamenteuses potentielles ? Peut-être qu'en Belgique les pharmaciens n'ont pas cette compétence ou ne veulent pas la développer. Ce n'est pas la voie qui a été choisie en France, où les pharmaciens s'attachent à bien connaître la phytothérapie pour pouvoir répondre aux attentes. Alain Delgutte le rappelait, ils ont accès au DMP et au DP. N'oublions pas non plus les pharmaciens hospitaliers, qui jouent un grand rôle dans la prise en charge des patients.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Où en est la réflexion autour de la reconnaissance d'une pharmacopée traditionnelle d'outre-mer ?
M. Alain Delgutte. - La reconnaissance des plantes aromatiques et médicales d'outre-mer ne date que de 2009. C'est très récent. Les associations locales, en liaison avec l'Ordre des pharmaciens, ont permis d'inscrire ces plantes médicinales, vendues largement sur les marchés, à la pharmacopée française. Dorénavant, elles sont accessibles de manière sécurisée dans les pharmacies.
Cette pharmacopée peut encore évoluer. La dynamique engagée a permis de concilier un usage empirique populaire avec un usage encadré par les professionnels de santé.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci infiniment de nous avoir apporté ces différents éclairages sur un sujet important.
- Présidence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, vice-président -
Audition du docteur Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - Notre présidente est retenue par d'autres obligations et vous prie de l'excuser.
Nous accueillons le docteur Claude Marodon, docteur en pharmacie à La Réunion et président de l'Aplamedom, l'Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion. Nous avons profité de sa présence, exceptionnelle, à Paris. Nous entendrons la semaine prochaine, en visio-conférence, le Dr. Henry Joseph, pharmacien en Guadeloupe. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
M. Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom de La Réunion. - Je vous présenterai la situation à La Réunion. Grâce à l'audition complémentaire d'Henry Joseph en Guadeloupe, vous aurez un panorama assez complet des outre-mer.
Je préside l'Association pour la promotion des plantes médicinales des départements d'outre-mer à La Réunion, mais cette association existe dans chaque département d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti. Depuis 1999, nous travaillons à la reconnaissance des plantes d'outre-mer dans la pharmacopée française. Association pluridisciplinaire et transversale, nous rassemblons des tisaniers, des praticiens traditionnels, des agriculteurs, des botanistes, des professionnels de la santé, des universitaires... Nous mettons toutes nos compétences au service de cette reconnaissance. Nous avons des partenaires institutionnels et bénéficions de fonds de la région, du département, de l'État, des fonds européens mais aussi du pôle de compétitivité Qualitropic et d'un cyclotron, arrivé juste après l'épidémie de chikungunya en 2006.
Cette association d'ethnopharmacologie existe depuis vingt ans grâce à Jacques Fleurentin, Jean-Marie Pelt et Guy Mazars, qui ont permis de recenser les savoirs traditionnels pour en faire des médicaments, et souvent des médicaments du futur. Ainsi, pour guérir des épidémies de chikungunya, de dengue et de zika, virus de la même famille, nous faisons des recherches sur l'usage traditionnel des plantes, mais aussi dans le cas de cancers qui peuvent être soignés par des nanoparticules présentes dans des plantes médicinales qui agissent comme des cibles sur les cellules cancéreuses. Les populations ultramarines sont souvent atteintes de maladies métaboliques comme le diabète, l'obésité et l'insuffisance rénale. Nous essayons de comprendre si des plantes médicinales peuvent apporter quelque chose.
Notre association a trois buts principaux : promouvoir l'utilisation des plantes, valider scientifiquement leur usage, valoriser et développer les ressources végétales locales. Nous restituons l'information aux professionnels de santé mais aussi aux agriculteurs et au grand public qui sont dans l'attente de connaissances traditionnelles et surtout d'objectivation : lorsqu'une plante est toxique ou qu'elle peut être dangereuse pour la santé, notre devoir de professionnels de santé est d'informer le public sur la dangerosité des usages traditionnels dont la toxicité chronique n'apparaît souvent pas de prime abord.
Nous participons régulièrement à des conférences, communications, colloques et publications. La Réunion est l'un des 34 hotspots (points chauds) de la biodiversité mondiale : on y observe plus de 100 microclimats différents actuellement. L'île compte 116 habitats et est recouverte à 30% de forêts primaires ; 49% des espèces de plantes sont indigènes et 28 % endémiques. On peut extrapoler : la Guyane fait la superficie du Portugal.... On recense à la Réunion entre 550 et 600 plantes médicinales en usage potentiel thérapeutique, avec des allégations d'usage traditionnel - mais on ne peut pas parler d'usage thérapeutique tant qu'une reconnaissance n'a pas été faite à la pharmacopée française ; 73% sont exotiques - elles ne viennent pas de la Réunion - et 26% sont endémiques.
Près de 87% de la population utilise les plantes médicinales - contre 46% dans l'Hexagone, soit deux fois plus.
Ces plantes sont principalement en culture ; nombre d'entre elles sont endémiques, souvent en forêt. Pour protéger les espèces menacées, nous nous portons garants et exigeons que les cultures soient organisées pour pouvoir utiliser les plantes - nous appliquons ainsi une directive de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2002, reprise dans la stratégie de l'OMS sur la médecine traditionnelle de 2013-2014. Le Dr. Marguerite Chan y écrivait que les trois principaux piliers de la reconnaissance des plantes et de l'usage traditionnel sont d'améliorer la santé et l'autonomie des patients, de contribuer par des médecines alternatives et complémentaire à la santé, au bien-être et aux soins de santé, et de favoriser un usage sûr et efficace des médecines alternatives et complémentaires. Ainsi, l'hypericum perforatum Fleurs jaunes, sorte de millepertuis utilisé localement, est une espèce différente du millepertuis européen. Il ne contient pas d'hypericine comme en métropole et n'a ni les mêmes propriétés, ni le même usage. Cette connaissance nécessite de longues recherches.
Les Codex existaient avant l'abolition de l'esclavage. Or, dans le Code noir de l'esclavage, particulièrement aux Antilles, mais aussi à la Réunion, il était interdit avant 1848 aux gens de couleur d'utiliser des plantes médicinales et d'en faire commerce. Les Codex ont continué à être mis à jour après l'abolition de n'esclavage, mais nous avions une définition du Codex et de la pharmacopée qui ne reconnaissait pas les plantes d'outre- mer. Grâce au Dr. Henry Joseph et à Me Isabelle Robard, l'article L. 5112-1 du code de la santé publique a été modifié en 2009 dans le cadre de la loi de développement économique des outre-mer par un vote unanime à l'Assemblée nationale et au Sénat. « La pharmacopée comprend les textes de la pharmacopée européenne et ceux de la pharmacopée française, y compris ceux relevant de la pharmacopée des outre-mer qui remplissent les conditions de la réglementation en vigueur dans le domaine. (...) Elle est publiée dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. » Cela garantit aux consommateurs que les plantes utilisées avec des allégations thérapeutiques ont été contrôlées, tracées et vérifiées scientifiquement.
Le comité interministériel de l'outre-mer a été créé en 2011 et grâce à l'Office pour le développement de l'économie agricole d'outre-mer en 2011, les premières plantes ont pu être inscrites en 2013 auprès de l'ANSM avec les deux critères principaux - efficacité des plantes et innocuité. Nous avons rajouté le critère supplémentaire de l'endémicité à La Réunion pour préserver les ressources. Une île est un territoire très fragile, avec une biodiversité en équilibre précaire. L'exploitation n'est donc possible qu'avec des cultures. Sur notre site, vous trouverez les 22 premières plantes exotiques inscrites très utilisées à La Réunion. Il était nécessaire d'obtenir leur validation scientifique pour les inscrire à la pharmacopée française. Quelques plantes n'ont pas passé le cap de l'inscription à la pharmacopée parce qu'elles pouvaient avoir une toxicité chronique qui posait un problème de sécurité sanitaire. Certaines plantes, comme le bois de quivi ou le bois jaune, sont inscrites en liste B : elles nécessitent une prescription médicale parce leurs risques sont supérieurs à leurs bénéfices. Comme le disait Paracelse, toutes les plantes sont des poisons ; un poison devient une drogue pour soigner grâce à son dosage.
Notre méthodologie est très simple, c'est celle de l'ethnopharmacologie : nous faisons des recherches bibliographiques, des enquêtes, et allons jusqu'au mode de culture. Nous travaillons sur les usages traditionnels médicinaux et vétérinaires mais aussi alimentaires, diététiques et hygiéniques. Nous étudions particulièrement les procédés, les dosages, les posologies, les recommandations et les conservations des plantes qui peuvent poser problème outre-mer. Toutes ces allégations entrent dans des bases de données qui classent selon cinq critères : l'innocuité, l'efficacité, l'endémicité, la productivité agricole et l'exploitabilité.
Après une recherche scientifique des modes d'action, nous répondons aux douze questions de l'ANSM pour inscrire cette plante à la pharmacopée : l'expertise botanique, les constituants chimiques, l'usage potentiel pharmaceutique, les indications thérapeutiques éventuelles, mais surtout la sécurité d'emploi - effets indésirables, contre-indications, interactions médicamenteuses, toxicologie... Grâce à la phytochimie, nous obtenons la composition des plantes. C'est une base d'une grande richesse - nous avons 500 à 600 espèces à étudier rien qu'à La Réunion. Avec les pharmacopées des Antilles et de la Guyane, ces territoires d'outre-mer rassemblent trois fois la pharmacopée française en termes de richesses et de possibilités.
Ces plantes sont ensuite mises dans les pharmacopées. Ainsi, l'association très dynamique Tramil, qui oeuvre depuis cinquante ans, a publié une Pharmacopée caribéenne, mais on peut aussi penser à l'ouvrage Tisaneurs et Plantes Médicinales Indigènes à La Réunion de Roger Lavergne, à Zerbaz Péi - nom populaire des plantes médicinales sur l'île, Des plantes et des hommes... Nous avons une importante demande de la part des acteurs du tourisme mais aussi de congrès internationaux. Nous avons créé à La Réunion le premier diplôme universitaire d'ethnomédecine, pour les étudiants de troisième et quatrième année de médecine, et pour former les médecins en formation continue à la médecine traditionnelle et aux plantes médicinales.
Nous avons une responsabilité sur la culture des plantes. Nous accompagnons l'émergence d'une filière des plantes aromatiques à parfum et médicinales. Nous étudions si la variabilité chimique de l'espèce est atteinte lorsqu'on la met en culture pour ne plus pouvoir ensuite faire de cueillette aléatoire. Nous respectons les Bonnes pratiques de collecte et de culture pour les matières premières d'origine végétale, guide émis par l'Agence européenne du médicament, sur la base des recommandations de l'OMS. Celui-ci donne des conseils pour obtenir un produit de qualité, fiable, et éviter toute contamination chimique ou végétale - germes fécaux, insecticides, pesticides, métaux lourds - pour obtenir une production proche du bio sans l'être forcément. Cette documentation est remise à tous les acteurs de la chaîne, du producteur au distributeur, en passant par le transformateur et le transporteur.
Des étapes critiques sont en cours : il faut trois ans de jachère pour qu'une terre soit bio. Nous déterminons la qualité botanique, sanitaire et la traçabilité, et formons et encadrons le personnel, qui remplit des fiches de suivi des cultures.
Nous voulons allier santé publique et cohésion sociale. Le citoyen est exigeant en matière de qualité et veut des ressources proches du territoire. C'est une chance pour l'outre-mer d'avoir une telle économie émergente. Certains usages méritent une attention particulière, notamment lorsqu'ils font appel à des remèdes secrets, incompatibles avec la santé publique. Lorsque j'étudiais, on avait supprimé le diplôme d'herboriste en 1941 en raison de la recrudescence des charlatans. Il ne faudrait pas retomber dans le même travers actuellement en raison d'internet. Ce serait néfaste pour la santé publique mais aussi pour tous les acteurs.
J'en viens à mes propositions. Distinguons bien les outre-mer de l'Hexagone ; nous avons des singularités, même si nous sommes Français, et nous souhaitons libéraliser les plantes de la pharmacopée de la liste A qui ont le maximum d'innocuité - elles n'ont pas selon moi de raison d'être dans un monopole, et je suis pharmacien. Réhabilitons le remboursement des préparations à base de plantes médicinales : le déremboursement a abouti au désintérêt des plantes médicinales et le tout chimique a repris le dessus. Les préparations à base de plantes médicinales sont une source d'économie pour la santé publique, parce qu'elles apportent des réponses - certes non dénuées d'effets secondaires - à des problématiques simples comme l'absence de sommeil ou la grippe. À la Réunion, il n'y a parfois pas d'autre remède pour les épidémies de chikungunya et de dengue que des remèdes traditionnels. Nous avons des conditions sanitaires très différentes de celles de la métropole, qui sont aussi à l'origine d'une centaine de programmes de recherche scientifique. Nous souhaitons encourager les formations dans les facultés de pharmacie, les écoles de préparateurs, les facultés de médecine, les écoles et les lycées en agronomie. Il faut décloisonner tous les professionnels qui travaillent ensemble mais communiquent peu entre eux.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je vous remercie de cet exposé dense et complet. Des intervenants ont suggéré d'élargir aux plantes des outre-mer inscrites récemment à la pharmacopée la liste des plantes pouvant être vendues hors monopole officinal ou pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires : cela est-il souhaitable ?
Si un ou plusieurs métiers d'herboriste - paysan-herboriste, herboriste de comptoir ou pharmacien-herboriste - devait être reconnu avec une formation diplômante obligatoire, comment faudrait-il adapter ce cadre aux usages et pratiques dans les outre-mer, notamment celle des célèbres tisaniers de La Réunion ? Avez-vous à La Réunion des formations spécialisées ?
Un travail de recensement des propriétés des plantes comparables à celui du réseau Tramil dans la zone où Caraïbes existe-t-il à la Réunion, et si oui, avec quels soutiens financiers ?
Dr Claude Marodon. - Lorsqu'une plante est étudiée, avant même d'avoir sa composition, nous examinons son innocuité, c'est-à-dire sa toxicité, à titre aigu - en usage primaire - et à titre chronique - en usage prolongé. Lors de la reconnaissance récente de ces plantes, nous n'avons fait qu'introduire dans les pharmacies et en médecine des plantes qui sont utilisés largement. Cela paraîtrait aberrant d'interdire un usage courant et populaire. Cette reconnaissance est nécessaire non pas pour limiter cet usage mais pour donner à la population des informations claires : soit la plante est toxique et ne devrait pas être utilisée, soit elle ne l'est pas et on peut continuer à l'utiliser avec des recommandations ou des dosages, pour un usage thérapeutique. Ce n'est pas pour l'inclure dans le monopole.
Il y a des formations pour les médecins qui s'intéressent aux demandes des patients d'utiliser les plantes. Certains les prescrivent en complément de traitements, notamment pour du diabète ou des insuffisances rénales. Nos tableaux nous permettent de répondre précisément si la plante contient, par exemple, de l'oxalate et si elle est un risque pour les reins ou si, au contraire, elle peut modifier dans un sens ou dans un autre le taux de glycémie dans un diabète. Plusieurs thèses de médecins et pharmaciens ont été réalisées ou sont en cours pour avoir tous les outils pour y répondre. Les professionnels de santé se sont investis pour répondre aux questions de leurs patients. Encourageons ce mouvement.
Nos tisaniers participent à nos formations et collaborent à la reconnaissance des plantes, tout en connaissant leurs limites. Certains ont abandonné l'usage de certaines plantes. La Badula borbonica ou bois de savon, était une plante de la Réunion utilisée pour maigrir. Mais les saponosides détruisent les globules rouges et provoquent une anémie en deux mois. De plus, cette plante est protégée et ne peut être mise en culture. Il n'est pas à l'ordre du jour de recréer de diplôme d'herboriste. Il faut plutôt former les professionnels de santé à la connaissance des plantes et les décloisonner.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - Nous avons la chance d'accueillir notre collègue Viviane Malet, sénatrice de la Réunion.
Mme Viviane Malet. - Je tenais absolument à venir saluer le Docteur Claude Marodon. Merci de faire connaître les herbages de notre pays. L'ayapana, le faham ou la fleur jaune poussent en milieu naturel et sont utilisées par les personnes âgées. Comment protéger ces plantes pour que tout le monde ne se précipite pas pour les cueillir, ce qui aboutirait à leur extinction du milieu naturel ? Le faham, selon le lieu de collecte, peut être toxique. Qu'en est-il si on le fait pousser en jardin ?
Dr Claude Marodon. - Merci de ces excellentes questions. Chaque plante est un cas particulier. Pour chacune des plantes, nous avons une fiche avec un itinéraire technique qui va lui permettre soit d'être cultivable, soit de voir sa production végétale compromise. Avant d'inscrire la plante, nous y travaillons afin de ne pas encourager de cueillette sauvage et une destruction de la ressource.
Le faham est une orchidée sur laquelle nous avons réalisé des essais culturaux pour distinguer la bonne espèce. Sa composition très riche permet de lutter contre les migraines, les coups de froid et les grippes.
Nous avons étudié en détail la fleur jaune, sorte de millepertuis non toxique, qui se développe magnifiquement bien dans les Hauts dans les cultures à Grand Coude, à plus de 1 500 mètres d'altitude, à la plaine des Palmistes à plus de 1 000 mètres d'altitude. Nous avons réussi à assurer la garantie de la ressource. Nous devons assurer, par un certificat de traçabilité, que les plantes achetées ont une origine garantie, et qu'elles ne sont pas sauvagement cueillies en forêt. Il faudrait disposer de ce certificat sur les plantes commercialisées pour éviter le pillage de la ressource.
Mme Viviane Malet. - J'ai découvert il y a deux mois que le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Sainte-Marie travaille avec l'université de Gif-sur-Yvette. Suivez-vous ce projet de préservation de la ressource ?
Dr Claude Marodon. - Il y a, sur l'île de la Réunion, trois ou quatre initiatives de cet ordre. Celle du CCAS de Sainte-Marie est intéressante car elle développe des stations de culture de plantes médicinales. Cette commune s'étend du bord de la mer jusqu'à la montagne, et certaines personnes peuvent ainsi vivre de cette économie.
Deux autres initiatives sont intéressantes : celle du Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA), et celle d'Armeflhor, un pôle de recherche sur les parcours techniques au Tampon, dans le sud de l'île qui, sur trois sites, avec l'Office national des forêts et le Parc national, permet de développer des cultures de plantes plutôt sauvages. D'autres initiatives sont liées à l'abandon de la canne à sucre et permettent aux éleveurs et aux agriculteurs de se reconvertir dans une plantation. Des transformateurs ont investi dans des unités de séchage, comme Habemus papam, entreprise capable de commercialiser les plantes, et une association de producteurs de plantes médicinales s'est créée il y a deux mois.
Mme Élisabeth Lamure. - La cueillette des plantes est-elle entièrement réglementée ? Comment les plantes sont-elles commercialisées ? Quelle est la différence entre plantes bio et « se rapprochant du bio » ? Y a-t-il également des cultures conventionnelles de plantes ? Comment assurer la traçabilité ?
Dr Claude Marodon. - Nous observons la plante dans son milieu naturel. Nous privilégions les grands espaces de culture autour, en bordure de forêt, ou à la même altitude sur le même versant - nous avons un gradient d'humidité et de température avec l'altitude permettant, grâce à l'agroforesterie, de retracer des cultures en correspondance quasiment parfaite avec les conditions naturelles.
Nous évitons de promouvoir les cultures de plantes dont on doit arracher l'écorce ou des branches entières : nous préférons tailler des feuilles ou récupérer les fruits ou les fleurs.
Pour assurer la traçabilité, le cahier technique du producteur doit faire figurer les pesées effectuées lorsqu'il livre les plantes aux transformateurs pour le séchage. La plante est ensuite conditionnée dans un lot dont le numéro demeure identique jusqu'au consommateur. L'exigence bio est un plus mais l'important est qu'il n'y ait pas de germes toxiques ou fécaux dans la plante, puisqu'elle est peut être consommée par des malades, des enfants ou des femmes enceintes. L'absence de ces produits toxiques dans le contrôle final est une garantie.
Mme Élisabeth Lamure. - La vente de plantes issues de cueillettes sauvages est-elle règlementée ?
Dr Claude Marodon. - Certaines plantes endémiques sont protégées, et on ne peut les cueillir - mais rien n'empêche de les cultiver ! C'est d'ailleurs souvent ce qui les sauve : c'est le cas du bois de senteur, dont quelques exemplaires ont été envoyés à Brest pour y être reproduits avant d'être renvoyés à l'île de la Réunion. Certes, vu le choix disponible, nous évitons de choisir d'utiliser une plante protégée lorsqu'il y a une alternative.
Mme Angèle Préville. - A la Réunion, quelle est la proportion de la population qui se soigne avec des plantes ? Leur usage s'accroît-il aussi massivement qu'en métropole ? Je comprends que vous menez des recherches sur l'usage des plantes face aux épidémies : qu'en est-il ? En Belgique, le métier d'herboriste se limite à du conseil. Qu'en pensez-vous ?
Dr Claude Marodon. - Parmi les plantes inscrites à la pharmacopée, 22 sont à l'origine d'une centaine de programmes de recherche : les grands organismes attendent cette inscription avant d'investir. Nous avons eu l'épidémie du chikungunya en 2006 et 2007, et à présent sévit la dengue. Dans ces deux cas, il n'existe aucun remède ni aucun vaccin. La seule option est donc de recourir aux remèdes traditionnels, qui doivent encore faire l'objet d'une validation scientifique mais ont déjà montré leur efficacité dans l'amélioration des symptômes. En tous cas, refuser d'utiliser les plantes médicinales, alors qu'on n'a rien d'autre, serait une absurdité.
Il est important aussi de signaler les toxicités. Par exemple, trompées par des fake news sur Internet, où l'on prétend que le corossol soigne le cancer, des familles viennent souvent m'en demander. C'est notre rôle de professionnels de santé que d'expliquer aux patients pourquoi certaines plantes sont des poisons et des toxiques violents. Nous travaillons aussi autour de la pathologie, sur la récupération, l'activité physique, les régimes et l'hygiène de vie.
Quant aux statistiques d'utilisation, une enquête a été réalisée par le département en 2004 et 2005, d'autant plus intéressante que c'était avant l'épidémie de chikungunya. Sur 1 000 personnes, 870 utilisaient alors les plantes pour se soigner.
L'île de la Réunion est habitée par une population multiraciale et d'origines diverses, avec des apports de l'Inde, de Madagascar, de la Chine, de l'Australie, d'Europe et d'Amérique du Sud. Cela explique en partie la richesse exceptionnelle de notre pharmacopée.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - L'usage des plantes s'y développe-t-il ?
Dr Claude Marodon. - Le scandale du Médiator y a contribué. À la Réunion, un tiers des patients sont diabétiques ; c'est un véritable fléau. L'alimentation traditionnelle doit être réhabilitée : manioc, ignames et toutes les plantes à indice de glycémie faible ont cédé la place à une alimentation très riche et, avec la voiture, on ne fait plus d'exercice physique. Or les conséquences du diabète - insuffisance rénale, cécité, amputations - peuvent être sérieuses. La prévalence du diabète est cinq fois supérieure à la métropole, et plus de 120 de nos plantes sont utiles en accompagnement. Il faut donc les inclure dans les fiches patient, et nous travaillons beaucoup en ce sens avec les hôpitaux de Saint-Denis et de Saint-Pierre : il faut au préalable vérifier scientifiquement si ces plantes ne sont pas toxiques.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - Quelles sont vos relations avec Madagascar, où les plantes, dit-on, foisonnent ?
Dr Claude Marodon. - Elles sont étroites, puisqu'un tiers de la population réunionnaise est originaire de Madagascar. On constate ce métissage et cet apport dans notre alimentation, où foisonnent les brèdes et autres plantes et huiles essentielles issues de Madagascar. Nous travaillons avec deux instituts de Tananarive pour consolider nos connaissances, sans oublier les autres îles de l'Océan indien, comme l'île Maurice et sa dépendance Rodrigues, les Comores et les Seychelles. Nous travaillons moins avec l'Afrique du Sud et le Mozambique, peut-être pour des raisons de langue. Bref, il y a une vraie coopération régionale.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci. Vous nous avez fait voyager et nous avez donné un aperçu de l'immense richesse que constituent les plantes médicinales de nos outre-mer, sans parler de la biodiversité qu'on y trouve, et qu'il faut préserver. Vous avez parlé d'alliance entre santé publique et cohésion sociale, à juste titre.
La réunion est close à 17 h 15.
Ces points de l'ordre du jour ont fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.