- Jeudi 11 octobre 2018
- Économie, finances et fiscalité - Relations entre les entreprises et les plateformes en ligne : proposition de résolution européenne et avis politique de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot
- Justice et affaires intérieures - Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol : communication de Mme Sophie Joissains
Jeudi 11 octobre 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 5.
Économie, finances et fiscalité - Relations entre les entreprises et les plateformes en ligne : proposition de résolution européenne et avis politique de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot
M. Jean Bizet, président. - Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne d'André Gattolin et Colette Mélot sur les relations entre les entreprises et les plateformes en ligne. Je signale qu'André Gattolin est retenu par la session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Colette Mélot nous présente seule les résultats de leur réflexion commune.
Notre commission suit avec une grande attention, grâce au travail mené par nos deux rapporteurs, les questions portant sur les enjeux du numérique. Nous examinerons le 25 octobre leur rapport sur la proposition de résolution européenne de Catherine Morin-Desailly qui porte sur la responsabilisation partielle des hébergeurs.
Le rapport de nos collègues est très instructif et le sujet est crucial : c'est la crédibilité de l'économie numérique, dont nous souhaitons le développement, qui est en jeu.
Mme Colette Mélot. - M. Gattolin est effectivement à Strasbourg aujourd'hui, vous voudrez bien l'excuser.
Le commerce en ligne ouvre de nouveaux marchés aux entreprises, en particulier aux PME-TPE, et offre aux consommateurs un éventail plus large de biens et services. Il a connu un essor considérable au cours des dernières années. Vous trouverez quelques chiffres marquants dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Le taux de croissance du commerce en ligne est de 14 % par an, le chiffre d'affaires annuel supérieur à 602 milliards d'euros en Europe, dont 80 milliards en France.
Les relations entre les plateformes en ligne, qui fournissent ce service d'intermédiation, et les entreprises qui y recourent pour vendre leurs biens et services sont caractérisées par un fort déséquilibre, qui favorise les pratiques abusives. La pérennité des entreprises et, au-delà, la concurrence risquent d'en être fortement affectées.
Pourtant, la Commission européenne a dû vaincre, avant de pouvoir proposer un règlement, bien des résistances, de la part des grandes plateformes (même si certaines d'entre elles sont en train d'évoluer), et de certains États membres qui estimaient, au vu de la faiblesse du contentieux, qu'il n'y avait pas matière à régulation.
Après deux ans de consultations, la Commission a finalement proposé un texte « léger », mais qui a le mérite de pouvoir être adopté avant les élections européennes. La présidence autrichienne espère désormais un accord au Conseil compétitivité du 29 novembre et le Parlement devrait examiner le texte début décembre.
Que prévoit le règlement ? Il vise à rééquilibrer les relations entre les entreprises et les plateformes par des obligations de transparence, dans les conditions et modalités initiales comme dans les paramètres de classement.
Il organise en outre le règlement des litiges. Les plateformes les plus importantes devront mettre en place un mécanisme interne à cet effet. Un dispositif extra-judiciaire de médiation est également prévu. Et des actions judiciaires collectives aux fins d'injonction de mise en conformité pourront être introduites.
Que proposons-nous ? Sans modifier la philosophie du texte, le Parlement européen pourrait en préciser et en renforcer certaines dispositions. Notre proposition de résolution s'inscrit dans la même logique. Elle appelle tout d'abord à un élargissement du champ d'application du règlement. Celui-ci devrait, à notre sens, s'appliquer plus largement aux moteurs de recherche et inclure les services de média sociaux qui agissent comme des plateformes techniques pour l'achat de publicité, les services d'assistance vocale et les applications mobiles, qui sont en plein essor, ainsi que les fournisseurs de services d'exploitation. Tous ces acteurs, qui tirent profit du commerce en ligne, doivent être soumis à des obligations de transparence minimales dans leurs relations avec les entreprises utilisatrices.
Il paraît en outre indispensable que le texte s'applique non seulement aux contrats d'adhésion mais également aux contrats négociés. Il serait trop facile pour les plateformes de s'affranchir de leurs obligations en prétendant négocier une clause marginale.
Enfin, dans la mesure où le droit français est d'ores et déjà plus protecteur, notamment en cas de modification unilatérale des conditions d'utilisation, il est proposé de laisser la possibilité aux législateurs nationaux de fixer des règles plus protectrices, en particulier en matière de délais de résiliation.
Concernant ensuite l'encadrement des relations entre les entreprises et les plateformes en ligne, au-delà de la transparence des modalités et conditions prévues par le texte, il nous paraît indispensable d'exiger que celles-ci soient, de manière générale, « équitables et proportionnées ». Une définition des pratiques abusives et l'adjonction en annexe d'une liste de pratiques d'ores et déjà identifiées par la jurisprudence renforceraient en outre utilement ce dispositif.
Plus spécifiquement, la portée des clauses dites de parité, qui interdisent à l'entreprise de proposer le même bien ou service à un prix inférieur, doit être encadrée. L'entreprise doit pouvoir proposer, sur son propre site, une prestation enrichie à un prix équivalent, voire à des prix inférieurs par d'autres canaux de vente, comme le téléphone ou en magasin.
Le classement des offres recèle un enjeu considérable. Or les algorithmes de classement, qui font apparaître des offres en première page, sont tout sauf transparents. Sans porter atteinte au secret des affaires, les entreprises et les consommateurs doivent être correctement informés des éléments susceptibles d'influencer l'ordre d'affichage. La proposition de règlement s'en tient à prévoir une information sur les principaux critères, mais sans indication de pondération. La concurrence est faussée par la priorité donnée aux entreprises liées à la plateforme ou au moteur de recherche, et par l'achat d'un meilleur rang par certaines entreprises.
Ces pratiques affaiblissent la concurrence et conduisent à une ponction substantielle sur les produits des ventes alors même que la plateforme ou le moteur de recherche ne prennent aucun risque en matière d'invendus.
Nous vous proposons également de demander que les configurations a priori par défaut, qui donnent la priorité aux entreprises liées à la plateforme, soient prohibées. Plus généralement, même si ce n'est pas l'objet du texte, nous vous proposons d'appeler à une amélioration de l'information et des droits des consommateurs en ligne. Le « paquet » consommateurs, présenté par la Commission le 25 mai dernier, doit être renforcé sur ce point.
Le commerce en ligne comporte également des enjeux de protection des données : protection des données personnelles des consommateurs d'abord, qui nous paraît devoir être mieux articulée avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive e-privacy ; protection des données des entreprises, en particulier de leur stratégie commerciale. Les plateformes recueillent des données pour les céder à des tiers, voire concurrencer directement l'entreprise. Celle-ci devrait à tout le moins être informée de ces pratiques.
Venons-en maintenant au traitement des litiges. Les contentieux sont très peu nombreux : l'entreprise craint un déréférencement qui la conduirait mécaniquement à ne plus pouvoir vendre tout ou partie de ses produits ou services. Les coûts de procédure sont en outre trop élevés pour que des PME-TPE puissent affronter des plateformes puissantes.
La proposition de règlement, je l'ai indiqué, prévoit des mécanismes extra-judiciaires : ils pourraient être améliorés. Par exemple, le système interne de gestion des plaintes est obligatoire pour les plateformes employant plus de 50 salariés. Ce critère est inadapté et nous vous proposons de recommander un critère qui prenne en compte la spécificité du modèle économique des plateformes en ligne, par exemple le nombre de connexions, qui permet d'appréhender la présence numérique.
Quant au médiateur, il doit être indépendant, et sa désignation approuvée par l'entreprise. Pour éviter les abus, il doit pouvoir écarter la prise en charge d'au moins la moitié des coûts de la médiation par la plateforme dès lors qu'il constate la mauvaise foi du demandeur.
Dernier point, mais il est crucial : le suivi des pratiques et de la mise en oeuvre du règlement. Celui-ci constitue une première étape. Son adoption sans tarder, sous réserve des précisions et compléments proposés, doit donc être soutenue ; son entrée en vigueur doit être rapide.
L'étape suivante a été d'ores et déjà engagée par la Commission, avec la mise en place, initialement pour deux ans, d'un observatoire de l'économie des plateformes en ligne, composé d'experts. La Commission disposera ainsi des éléments utiles pour évaluer l'impact du dispositif et proposer des évolutions règlementaires.
Voilà pour l'essentiel nos observations et recommandations.
M. Jean Bizet, président. - Nous ne possédons pas l'avance technologique d'outre-Atlantique, mais notre réflexion éthique est plus poussée. Il ne s'agit pas de contrarier la créativité du secteur, simplement d'adapter les règles de la concurrence.
M. Claude Raynal. - La situation m'évoque celle des centrales d'achat face aux petits producteurs. On vote des lois, on a l'intelligence du sujet, mais on ne constate finalement aucun rééquilibrage, quelques centrales continuent à faire la pluie et le beau temps... Nous allons rédiger de beaux textes, démontrer une pensée profonde, et fine parce que française, mais quel en sera le résultat ? Pardonnez mon pessimisme : je pense que la loi du plus fort l'emportera. Comment les entreprises pourraient-elles se défendre contre un oligopole ? Je suis trop âgé pour croire en de tels textes.
Nos collègues prévoient qu'une règlementation nationale plus stricte que le règlement européen peut être maintenue par l'État-membre : à quoi sert alors le droit commun européen ? C'est contraire à l'idée de marché unique.
Cette résolution est intellectuellement utile, elle m'apparaît comme une base possible pour une règlementation plus solide dans l'avenir, mais les difficultés que j'ai exposées sont tout de même importantes...
M. Jean Bizet, président. - C'est un sujet fort complexe et technique. Nous partageons certes le souci de M. Raynal.
Mme Colette Mélot. - Bien sûr mais la comparaison avec les centrales d'achat a ses limites : les plateformes sont de purs intermédiaires et elles sont beaucoup plus nombreuses que les centrales, puisqu'il y en a quelque 7 000 en Europe, dont beaucoup de petites. On peut avoir la tentation de céder au pessimisme, mais il faut agir malgré tout. Une première étape, traduisant une préoccupation éthique, n'est pas à négliger : l'intégration dans le droit international viendra ensuite. Quant aux règlementations nationales, il est utile de pouvoir les maintenir quand elles sont plus protectrices. Il faudra ensuite oeuvrer pour qu'elles soient reprises dans le droit européen.
M. André Reichardt. - Félicitations à nos rapporteurs. J'ai appris beaucoup ! J'ignorais, notamment, qu'une négociation commerciale était possible avec des plateformes, que l'on n'était pas contraint de cocher pour accepter les « conditions générales ». Si l'on ne clique pas, la machine demande-t-elle ce que le client souhaite ? Il serait donc possible à ce dernier de quitter le contrat d'adhésion pour le contrat négocié ? Nous pourrions peut-être demander que cette faculté soit toujours indiquée clairement. C'est fondamental en effet !
Les associations, les fédérations d'entreprises, dans leur secteur, doivent être attentives au libellé des conditions générales, et mettre leurs moyens au service des PME.
Mme Colette Mélot. - Les conditions générales sont standardisées. Les clauses négociées ne sont pas nombreuses mais elles existent. Le contentieux est mince, j'ai dit pourquoi, mais le cadre posé par le texte est bienvenu pour les aides juridiques aux petites entreprises ... Oui, c'est une première étape, il faut aller de l'avant.
M. Jean Bizet, président. - La proposition de résolution comporte une cinquantaine de points, le sujet est touffu et complexe. Nous y reviendrons forcément, car nous entrons dans une nouvelle ère et il faudra parvenir à un équilibre, afin qu'une action coercitive ne brime pas la créativité des concepteurs - d'autant que la France n'est pas si mal placée en ce domaine.
À l'issue du débat, la proposition de résolution européenne est adoptée, à l'unanimité, dans la rédaction suivante :
Justice et affaires intérieures - Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol : communication de Mme Sophie Joissains
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de Sophie Joissains sur le groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, où elle et Jacques Bigot représentent le Sénat. Nous avons plaidé pour l'association des parlements nationaux à ce contrôle de l'agence européenne de coopération policière. Le traité de Lisbonne nous a donné satisfaction. Jacques Bigot nous avait rendu compte, le 5 avril dernier, d'une réunion du groupe de contrôle qui avait eu lieu à Sofia les 18 et 19 mars, lors de laquelle le règlement intérieur avait été adopté. Sophie Joissains a participé à une nouvelle réunion qui s'est tenue à Bruxelles les 24 et 25 septembre.
Mme Sophie Joissains. - J'ai participé à la troisième réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint (GCPC) d'Europol, au Parlement européen, les 24 et 25 septembre derniers à Bruxelles. Cette instance, prévue aux articles 88 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 51 du nouveau règlement d'Europol, est chargée d'assurer « le contrôle politique des activités d'Europol dans l'accomplissement de sa mission, y compris en ce qui concerne leur incidence sur les libertés et les droits fondamentaux des personnes physiques ». Le GCPC avait adopté son règlement à Sofia en mars dernier.
La réunion à laquelle j'ai participé était présidée par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen et la commission des affaires intérieures du Conseil national autrichien. Elle fut l'occasion d'échanger principalement avec la directrice exécutive d'Europol, Catherine De Bolle, qui a pris ses fonctions le 1er mai dernier. Nous nous sommes également entretenus avec le président du conseil d'administration de l'agence, avec Sir Julian King, Commissaire chargé de l'Union de la sécurité, avec l'adjoint du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) et avec un procureur général néerlandais spécialiste de la lutte contre le financement du terrorisme.
De nombreux parlementaires nationaux et européens ont pris la parole. Je suis intervenue sur la programmation pluriannuelle d'Europol pour 2019-2021. La convergence de vues est manifeste, sur l'insuffisance des moyens d'Europol pour faire face à des missions croissantes et complexes dans un contexte de menaces persistantes, ou sur la nécessité d'éviter des chevauchements de compétences, en particulier avec Frontex, alors que la crise migratoire est particulièrement aigüe. Nous nous rejoignons pareillement sur la protection des données, notamment dans les relations avec des pays tiers tels que la Turquie ou ceux des Balkans occidentaux, sur l'insuffisante attention portée à la lutte contre la corruption, sur la préservation de l'acquis de sécurité après le Brexit, la lutte contre le blanchiment des capitaux, le rôle d'Europol dans les futurs centres contrôlés décidés lors du Conseil européen de juin dernier.
Parmi les différents sujets, j'en aborderai plus particulièrement trois.
Europol doit devenir une plateforme de référence en matière d'échange d'informations policières, ce qui requiert un meilleur partage des données en vue d'une gestion intégrée et une préparation à l'interopérabilité des systèmes d'information. De même, l'analyse des données collectées devra être affinée. Les bases de données d'Europol devront évoluer pour répondre à des missions nouvelles tout en protégeant mieux les données. La directrice exécutive a toutefois cherché à rassurer en indiquant que les données utilisées par l'agence étaient d'ores et déjà protégées grâce à des contrôles internes. En outre, Europol fait l'objet d'un suivi attentif de la part du CEPD, notamment deux inspections en six mois et des réunions bimestrielles, à l'issue desquelles le CEPD formule des recommandations, par exemple sur les contrôles de sécurité dans les hotspots ou sur le cas des mineurs, mais il a pour l'instant estimé qu'il n'y avait pas matière à engager une procédure d'enquête. Seuls les partenaires dûment habilités bénéficient d'un transfert de données, qui demeurent la propriété des États membres. De même, Europol ne partage pas d'informations personnelles avec la Turquie.
En outre, Europol doit être en mesure d'apporter un appui opérationnel efficace aux États membres. Par exemple, l'agence participe à 90 enquêtes relatives au trafic de migrants, soutient des projets nationaux contre la corruption, accroît sa coopération avec les agences nationales anti-corruption ou encore participe à des opérations d'éloignement. Le soutien aux États membres conduira à développer des formations ciblées, par exemple en matière de lutte contre la criminalité financière. Europol devra également partager avec les États membres son expertise en matière d'analyse des contenus illicites en ligne, la propagande djihado-terroriste en premier lieu - la Commission européenne a récemment fait des propositions en la matière.
Enfin, le fonctionnement de l'agence doit être renforcé et rendu davantage complémentaire avec celui d'autres agences européennes, en particulier Frontex et le Bureau européen d'appui en matière d'asile, l'EASO. Pour ce faire, l'action de chaque agence doit être rigoureusement définie et évaluée. Le respect des compétences de chacun justifie aussi un échange optimal des informations pertinentes entre agences. La directrice exécutive a reconnu que les moyens d'Europol allaient diminuer de plus de 8 millions d'euros en 2019 par rapport à cette année, ce qui sera incompatible avec les besoins, croissants. C'est pourquoi Europol devra établir des priorités parmi les objectifs, par exemple le retrait dans l'heure des contenus terroristes en ligne, qui nécessite d'importants équipements technologiques, la criminalité sur le darkweb ou encore le cryptage. Le conseil d'administration d'Europol a appelé l'attention des institutions européennes sur cette situation qui sera source de lourdes difficultés.
Mme De Bolle a invité les délégations nationales à la rencontrer au siège d'Europol à La Haye. Avec Jacques Bigot, nous envisageons d'y effectuer un déplacement, ainsi qu'à Eurojust, pour nos travaux sur la coopération judiciaire européenne. Des échanges plus approfondis permettront sans doute de dépasser le caractère quelque peu formel des interventions effectuées dans le cadre du GCPC.
Je voudrais terminer en évoquant deux questions, certes de nature administrative, mais non dénuées d'importance : d'une part, la nécessité d'assurer la confidentialité des documents du conseil d'administration d'Europol consultables par le collègue qui y représente le GCPC, et, d'autre part, le régime linguistique - Europol a indiqué ne pas disposer de ressources pour faire traduire ses documents, tous rédigés en anglais. Le règlement du Groupe de contrôle dispose pourtant que le français est l'une des deux langues de travail.
Le GCPC tiendra sa prochaine réunion sous Présidence roumaine, à Bucarest, en février 2019.
M. Jean Bizet, président. - Cette dimension du contrôle parlementaire sur Europol était importante.
M. Jacques Bigot. - Une des difficultés que rencontre Europol, c'est l'échange insuffisant d'informations avec certains États-membres, alors que la qualité des bases de données détermine l'efficacité de la lutte contre les trafics. Il y a encore beaucoup à faire.
M. Jean Bizet, président. - Combien d'États membres participent réellement à l'échange d'informations ? Ils sont très peu nombreux, semble-t-il.
Mme Sophie Joissains. - Leur désir d'y participer n'est pas en cause, ils souhaitent éradiquer les trafics criminels, mais ils craignent que certains États ne protègent pas correctement les informations. La coopération est meilleure au sein d'Eurojust.
M. Jacques Bigot. - Europol est laissé de côté dans les coopérations bilatérales, on le voit aux frontières des Balkans. Il faut du temps pour progresser...
Mme Sylvie Robert. - On fait appel à Eurojust lorsque l'échange d'informations ne fonctionne pas correctement entre les services de deux États!
Mme Sophie Joissains. - C'est pourquoi sur la coopération pénale, nous verrons ensemble les responsables des agences...
M. Philippe Bonnecarrère. - Nous avons évoqué ce matin dans le groupe de travail sur la subsidiarité deux propositions de règlements portant sur l'interopérabilité des systèmes d'information sur les frontières et visas, la coopération politique et judiciaire, l'asile et l'immigration. Vous pourrez nous dire après vos prochaines visites quelle est la progression de ce dossier. Les difficultés de l'interopérabilité sont réelles... On nous avait annoncé pour 2018 l'instauration d'un parquet européen, centré sur les fraudes au budget européen. Où en est-on : réalité ou espérance ?
M. André Reichardt. - Je suis membre du groupe de travail sur l'espace Schengen et nous voyons bien, sur tous ces sujets, que nous sommes en permanence confrontés à des problèmes d'interopérabilité des systèmes d'information. Certains pays ne jouent pas le jeu. Est-ce délibéré ? Je ne le sais pas. En tout cas, nous devons absolument fournir des efforts, car c'est un élément capital pour la sécurité de nos concitoyens, donc de leur perception de l'Europe.
M. Simon Sutour. - Il est vrai que l'Europe avance pas à pas, mais elle avance quand même ! Je me souviens d'avoir fait, il y a très longtemps, un déplacement auprès d'Europol et d'Eurojust ; il est clair que les choses vont dans le bon sens. Le groupe parlementaire que Sophie Joissains a mentionné n'influe peut-être pas beaucoup sur les décisions, mais il constitue toutefois un lieu d'information et d'échange.
On peut avoir l'impression que tous les États ne jouent pas le jeu, mais je crois que c'est rarement volontaire et que cela traduit d'abord leur niveau relatif de performance. Réjouissons-nous, la France est plutôt bien placée en la matière !
En ce qui concerne le parquet européen, je rappelle que nous avons dû nous battre pour obtenir la collégialité et que la Commission européenne a été obligée de revoir sa copie à la suite de la procédure parlementaire du « carton jaune » sur la subsidiarité. Là aussi, nous n'allons peut-être pas assez vite, mais nous avançons !
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle que cinq pays seulement, dont la France, contribuent à 85 % des échanges d'informations... Il y a donc une marge de progression !
En ce qui concerne le parquet européen, un comité de sélection de douze personnalités devrait être mis en place pour désigner son chef. Une centaine de candidatures est attendue ! Après ce processus, le Conseil européen devrait nommer effectivement le chef du parquet européen en mars 2019.
M. Simon Sutour. - Avant les élections européennes, c'est très bien !
M. Jean Bizet, président. - Nous le savons, l'Europe fonctionne sur le temps long, ce qui n'est pas toujours compris par nos concitoyens, mais elle avance quand même...
Mme Sophie Joissains. - L'interopérabilité des plateformes dépend finalement de la sécurisation des données et du degré de réassurance entre les États membres.
Sur le parquet européen, je partage pleinement les propos de Simon Sutour. Nous avons porté ce sujet ensemble au moment de la proposition de la Commission européenne et il nous avait fallu batailler ferme pour aboutir à une résolution européenne sur le fondement de la subsidiarité.
M. Simon Sutour. - En effet ! Et nous avions reçu des appels pressants pour ne pas nous engager dans cette voie...
Mme Sophie Joissains. - Absolument ! Mais nous avons tenu bon.
On peut évidemment regretter qu'en l'état actuel du droit les missions du parquet européen se limitent aux questions financières. Il faudrait l'unanimité pour les élargir à la criminalité transfrontalière...
Pour conclure, je souhaite saluer le travail précis et exhaustif de la commission des affaires européennes, qui nous permet de relier de manière très utile la construction européenne et le droit national.
M. Jean Bizet, président. - Ce compliment est d'autant plus précieux qu'il émane d'un membre de la commission des lois... Je vous en remercie !
La réunion est close à 10 heures.