Mercredi 10 octobre 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'Agence de services et de paiement - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Vincent Éblé, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'Agence de services et de paiement (ASP).
Le sujet qui nous réunit peut paraître technique, mais il est essentiel pour notre agriculture. L'an passé, de nombreux agriculteurs ont souffert de retards de versements très importants, qui mettaient des exploitations en grande difficulté. Le ministre de l'agriculture s'est depuis engagé à résorber ces retards, et à revenir à un calendrier normal. Toutefois, il est important de pouvoir tirer des enseignements de ce qui s'est passé et de mieux comprendre pourquoi le calendrier de paiement des aides agricoles a pu subir de tels dysfonctionnements.
C'est pourquoi notre commission des finances a souhaité demander à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur ce sujet. Nous recevons ainsi Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés. Pour nous éclairer sur le sujet, sont également présents aujourd'hui M. Stéphane Le Moing, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement, Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, et Mme Lydie Bernard, membre de la commission agriculture, alimentation et forêt de Régions de France.
Après avoir entendu la présidente Catherine de Kersauson, Alain Houpert, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin.
Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le résultat d'une enquête de la deuxième chambre de la Cour des comptes sur la chaîne des paiements agricoles effectuée à la demande de votre commission. Je suis accompagnée du rapporteur, Sébastien Lepers, de Didier Guédon, conseiller-maître, président de section à la Cour des comptes, qui a assuré le contre-rapport dans ce dossier, Stéphanie Bigas et Claire Aldigé qui ont apporté leur contribution et ont quitté la Cour à la fin de l'année 2017.
Il est important de souligner tout d'abord que le périmètre de l'enquête avait été défini avec MM les rapporteurs spéciaux, Alain Houpert et Yannick Botrel, et portait sur l'organisation de la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'ASP et les refus d'apurement. Le plan de ce rapport ne traite pas successivement de ces trois sujets. Il nous a en effet semblé plus éclairant de montrer comment les difficultés observées dans le paiement de ces aides au cours de la période examinée, marquée par des refus d'apurement et par d'importants retards de paiement, trouvaient notamment leur origine dans l'organisation et le fonctionnement de la chaîne de paiement des aides agricoles relevant non seulement de la responsabilité de l'Agence de services et de paiement, mais aussi du ministère de l'agriculture.
L'instruction a eu lieu au cours de l'année 2017 auprès de l'Agence et du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Outre les services centraux, des entretiens territoriaux ont été conduits avec les services des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie, avec les délégations régionales de l'ASP et les services déconcentrés du ministère de l'agriculture à Lyon et à Nîmes. Elle s'est également appuyée sur les travaux de l'inspection générale des finances et du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur les dépenses informatiques de l'ASP.
La contradiction écrite menée avec l'ASP, le ministère de l'agriculture et la direction du budget a été complétée par l'audition en mars 2018 de leurs représentants, ainsi que celle du président de Régions de France. Après avoir été délibéré par la deuxième chambre puis examiné par le comité du rapport public et des programmes, le rapport vous a été adressé, monsieur le président, par le Premier président de la Cour des comptes le 18 juin 2018. Ce rapport intervient à un moment utile dans la perspective de la future politique agricole commune (PAC) dont on a vu les prémices en mai dernier.
Enfin, j'insiste sur l'importance des aides agricoles européennes, qui représentent un enjeu majeur pour l'agriculture, mais aussi financier, car la France est le premier bénéficiaire des aides de la PAC. Pour la programmation 2014-2020, les aides agricoles destinées à la France s'élèvent, d'une part, à 52,3 milliards d'euros, soit environ 7,5 milliards d'euros par an au titre du Fonds européen agricole de garantie (Feaga) - premier pilier - qui finance, entre autres, les paiements directs aux agriculteurs et les mesures de soutien aux marchés agricoles, et, d'autre part, à 11,4 milliards d'euros, soit environ 1,6 milliard d'euros par an au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) - second pilier - qui contribue au programme de développement rural.
Il s'agit également d'un enjeu de bonne gestion compte tenu des risques financiers encourus et des coûts de gestion à supporter.
À ce titre, les premières années de cette programmation ont été marquées par deux difficultés majeures : d'importantes corrections financières ont été notifiées en 2015 à la France par la Commission européenne ; des retards ont affecté certains des paiements des aides directes surfaciques du premier pilier, mais plus encore du second pilier, dont ont pâti les agriculteurs.
On comprend dès lors que votre assemblée se penche sur les raisons qui ont conduit à cette situation en s'intéressant à la chaîne de paiement des aides agricoles.
J'en viens aux trois principaux messages du rapport.
Tout d'abord, des refus d'apurement coûteux pour le budget de l'État, résultent principalement de problèmes de conformité. Avec 2,35 milliards d'euros entre 2007 et 2016, la France est l'État membre qui a enregistré le montant le plus élevé de corrections financières à la suite d'apurement. Ces corrections sont compensées par l'État aux organismes payeurs et pèsent donc sur le budget général. Ainsi, l'exécution du budget de l'agriculture pour les exercices 2015, 2016 et 2017 a été fortement affectée, faute d'inscription des crédits nécessaires en loi de finances initiale, contrairement aux recommandations de la Cour. Cette sous-budgétisation faisait partie des éléments d'« insincérité » soulignés par la Cour dans son audit des finances publiques de juin 2017.
Ces refus d'apurement sont la conséquence de l'inadaptation de la réglementation française et de l'insuffisance des contrôles. Si les responsabilités fonctionnelles liées aux apurements de conformité sont difficiles à établir, il n'en demeure pas moins qu'elles reposent sur le ministère de l'agriculture et de l'alimentation du fait de son rôle dans l'établissement des règles et l'organisation de la chaîne de paiement.
Pour ce qui est des responsabilités juridiques respectives des régions et de l'État, elles n'ont pas encore été formalisées. Les régions, autorités de gestion, sont, selon la loi, responsables des corrections financières, mais demandent à aménager cette règle compte tenu des compétences étendues que conserve l'État.
Les défaillances du registre parcellaire graphique, sur la base duquel repose le calcul des aides surfaciques, sont à l'origine des refus d'apurement massifs. En effet, l'obsolescence de ce registre explique les deux tiers des 3,5 milliards d'euros de refus d'apurement que la Commission envisageait initialement de notifier à la France fin 2014. Finalement, ce montant a été ramené à 1,08 milliards d'euros, selon la décision ad hoc 47, du 7 janvier 2015, et ce après la mise en oeuvre par l'État d'un plan coûteux.
La nécessité de refonte totale du registre parcellaire graphique a ensuite contribué aux retards de paiement des aides surfaciques du Feaga et d'une grande partie des aides du Feader, et ce pendant plus d'un an. Ces retards de paiement ont beaucoup pesé sur les agriculteurs en 2015 et 2016, et leurs conséquences se sont poursuivies en 2017. Ce sont en particulier les aides relatives à campagne de la PAC 2015, payables sur 2016, qui ont dû être reportées en partie en 2017. Les paiements agricoles ont ainsi baissé de 13 % entre 2015 et 2016, l'écart de 1,2 milliard d'euros touchant moins le Feaga - 449 millions d'euros - que le Feader - 757 millions d'euros -, car la priorité avait été donnée aux paiements des aides du Feaga, soumises à une date limite de paiement dont le non-respect est sanctionné par des corrections financières.
Les retards de paiement observés sur le Feader ont été d'autant plus sensibles qu'ils concernaient des aides dont la gestion a été transférée aux régions, mais aussi des aides symbolisant les nouvelles orientations de la PAC comme les mesures agroenvironnementales et climatiques, les Maec, et l'agriculture biologique. Ces retards ont pesé sur des exploitations fragilisées, nécessitant la mise en place de dispositifs transitoires avec l'apport de trésorerie remboursable.
Ils ont également conduit à adapter les outils informatiques, dont les fonctionnalités dégradées sont susceptibles d'avoir un impact sur de futurs refus d'apurement. Ils ont aussi eu pour effet de désorganiser les contrôles sur place, augmentant les risques de corrections financières. Ainsi, si l'Agence de services et de paiement devrait avoir résorbé à la fin de l'année 2018 tous ses retards de paiement, des risques de refus d'apurement subsistent sur les campagnes 2015 et 2016. Afin de maîtriser ces risques, la Cour préconise un suivi plus fin des refus d'apurement et un plan d'action pour réduire les facteurs aggravants. Au-delà de ces mesures immédiates, il faut agir sur les dysfonctionnements à l'origine des retards de paiement et des refus d'apurement.
L'organisation et les dispositifs d'aide multiples sont complexes ; il conviendrait de les simplifier. Ses dysfonctionnements tiennent d'abord à la complexité de la chaîne de paiement des aides du Feaga et du Feader, du fait de l'imbrication des responsabilités entre les différents acteurs : l'ASP, le ministère de l'agriculture et, depuis 2014, les régions. Actuellement, l'instruction des demandes n'est pas réalisée directement par l'ASP, celle-ci délégant cette tâche aux directions départementales des territoires et de la mer qui relèvent du ministère de l'agriculture. La reprise par l'ASP des tâches d'instruction et de contrôle lui permettrait de mieux exercer ses missions, ce qui impliquerait le transfert des personnels correspondants. Cette recommandation de la Cour est ancienne et figure dans le rapport sur l'organisation territoriale de l'État.
De plus, la régionalisation du Feader présente un caractère inabouti. Les régions sont autorités de gestion, mais l'État a conservé des prérogatives quant à la définition du cadre national pour une grande partie des aides des régions. Il lui revient aussi d'assurer une large part des cofinancements des programmes de développement rural régionaux.
De façon générale, le pilotage de cette politique est délicat, car les moyens ne sont pas retracés dans un document d'ensemble. Et les rapports annuels de performance de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ne sont pas exhaustifs. Le coût de gestion des aides agricoles est estimé à 343 millions d'euros pour les deux piliers en 2017, mais il n'intègre ni le coût des refus d'apurement pour le budget de l'État ni le coût supporté par les régions qui ont recruté des personnels supplémentaires. À l'avenir, ces coûts gagneraient à être mieux documentés et à englober l'ensemble des dépenses.
Au-delà, les dispositifs d'aide dans le cadre de la PAC 2014-2020 sont très complexes : concernant le Feaga, je vous renvoie au tableau n°4 de la page 40 du rapport qui montre clairement les modalités d'adaptation des dispositifs à de multiples situations ; s'agissant du Feader, le paysage des aides s'est complexifié, puisqu'on est passé de six programmes de développement rural régionaux à 29. Les outils informatiques Isis et Osiris ont dû être adaptés à cette complexité croissante.
Dans le cadre de la préparation de la prochaine PAC, la Cour recommande que l'adaptation des mesures d'aides à la diversité des réalités agricoles prenne plus en compte les exigences des contrôles liés à la réglementation européenne et le coût de leur mise en oeuvre. Nous suggérons que l'ASP soit associée à l'élaboration des mesures réglementaires, pour une meilleure prise en compte des questions opérationnelles.
Pour conclure, l'insuffisante préparation de la France à la mise en place d'un dispositif approprié de paiement des aides de la programmation 2014-2020, doit inciter les autorités françaises à tirer les leçons de cette expérience pour préparer la prochaine programmation 2021-2027. Les sept recommandations formulées par la Cour, qui figurent à la page 11 du rapport, sont inspirées par deux objectifs : la clarification des responsabilités et la simplification des dispositifs.
M. Vincent Éblé, président. - Madame la présidente, merci de votre exposé, qui vient compléter le rapport lui-même dont nous avons pris connaissance de façon confidentielle et qui se révèle très précieux.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Je voudrais tout d'abord remercier la Cour des comptes et particulièrement sa présidente, Mme de Kersauson, ainsi que son équipe de la deuxième chambre, pour la qualité de leur travail sur un sujet qui préoccupe de longue date, et à bien des titres, les rapporteurs spéciaux chargés de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et, compte tenu de ses enjeux pour nos finances publiques, l'ensemble de notre commission des finances. Permettez-moi d'associer à ces remerciements notre collègue Yannick Botrel, avec lequel je partage étroitement le suivi du budget agricole et les interrogations que suscite la gestion des concours publics versés à la Ferme France.
Je ne reviendrai que brièvement sur les constats exposés par la Cour des comptes sur le passé. Mais il convient de souligner que les dysfonctionnements relevés ne constituent pas une nouveauté, mais plutôt l'amplification de problèmes existant de longue date. En bref, je crois qu'on ne peut souscrire à la présentation selon laquelle tous nos problèmes seraient attribuables à la mise en oeuvre de la nouvelle PAC et au transfert aux régions des responsabilités liées à la qualité d'autorité de gestion. Certes, ces transitions appellent une capacité d'adaptation et d'accompagnement plus forte que celle qui a été mise en oeuvre, mais on ne saurait conclure d'erreurs antérieures à la régionalisation du Feader, à la préconisation d'une recentralisation de la gestion des aides européennes, comme l'a fait le comité action publique 2022 que nous avons récemment auditionné.
Par ailleurs, en décalage avec une présentation politique habituelle quelque peu lénifiante, faisant ressortir le poids de problèmes techniques, en particulier celui de la tenue de notre registre parcellaire graphique, j'insisterai sur les contradictions directement liées à des choix politiques. La Cour des comptes évoque la sophistication des interventions mises en oeuvre par le ministère de l'agriculture ; de mon côté, je relève que, parmi les motifs des corrections financières appliquées à la France, figurent très largement les carences reprochées à la France par la Commission européenne en matière de contrôles. Il en ressort l'impression que nous avons adopté une politique agricole caractérisée par un perfectionnisme dicté par une sorte d' « hubris » administratif confronté à des moyens de mendiants.
À ce stade, outre la gravité extrême des conséquences des punitions financières infligées à la France, je souligne que les errements rencontrés dans la gestion des paiements agricoles n'engagent pas seulement des responsabilités administratives, souvent recherchées dans les travaux de contrôle, mais bien une responsabilité politique. Hélas, les conditions dans lesquelles fonctionne la procédure d'apurement européen présentent quelques défauts parmi lesquels des délais si longs que, fréquemment, le ministre de l'agriculture responsable n'est plus en poste depuis longtemps quand la sanction européenne tombe !
Je voudrais désormais aborder les perspectives en commençant par l'apurement du passé. Pouvez-vous nous apporter toute garantie sur le comblement du retard des paiements des aides et nous confirmer que celui-ci ne sera pas réalisé au détriment de la consommation des enveloppes budgétaires normalement programmées ? On peut en effet être pris du soupçon que la contrainte budgétaire a joué son rôle dans le décalage des paiements et qu'elle continuera à s'exercer. À ce sujet, nous avons régulièrement exprimé notre sentiment d'une budgétisation des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » peu conforme à nos principes budgétaires. La réserve de précaution de 300 millions d'euros que la Cour des comptes estime de nature à apporter une solution à ce problème n'est déjà plus que de 200 millions d'euros dans le budget pour 2019.
Compte tenu des risques d'apurement pendants, telle une épée de Damoclès, sur lesquels je souhaiterais que vous nous fournissiez des informations, peut-on estimer que cette réserve qui, je le rappelle, est censée couvrir toutes les dépenses imprévisibles, en particulier celles liées aux crises climatiques, sera suffisante ? Par ailleurs, je voudrais connaître votre sentiment sur les moyens dont vous souhaiteriez disposer pour mettre à niveau notre infrastructure de paiement. Il faudra mettre à niveau notre infrastructure de gestion des paiements agricoles, à commencer par l'informatique, sachant que le fonds de roulement de l'ASP est à l'étiage, puis les contrôles dont les lacunes nous ont valu dans le passé de lourdes sanctions financières. Sur ce point, des divergences sont apparues entre les discours ministériels selon lesquels nous sommes en mesure de respecter nos obligations européennes et ceux qui sont plus inquiets sur ce point. Manifestement, la Commission européenne, avec ses sanctions, donne plutôt raison aux seconds qu'aux premiers. S'agissant de l'informatique, permettez-moi, incidemment, de vous interroger sur la responsabilité respective des donneurs d'ordre et des prestataires de services dans les difficultés rencontrées.
Au-delà de cet héritage du passé, il convient de se pencher sur les adaptations plus structurelles nécessaires pour éviter que ne se reproduisent à l'avenir les catastrophes que nous avons connues.
Premier point : la distribution des rôles. Si nous étions spectateurs d'une pièce de théâtre, nous assisterions à une représentation un peu étrange dans laquelle le jeune premier serait aussi le vieux barbon et la jeune amoureuse, la marâtre. De l'avant-garde, cela présenterait certains charmes, mais on sortirait de là avec le sentiment d'une certaine confusion. Comment qualifier autrement un circuit où le payeur n'a pas tous les moyens d'instruire les paiements et où le contrôlé se voit déléguer le contrôle par le contrôleur ? La Cour des comptes suggère que les emplois nécessaires à l'instruction des dossiers soient transférés du ministère à l'ASP. Quelle réaction cette proposition vous inspire-t-elle ? Quelles décisions ont été prises à la suite des critiques de la Commission européenne sur la délégation aux services de l'ASP des contrôles sur l'ASP dont est chargée la commission de certification des comptes des organismes payeurs, la fameuse CCCOP ?
Deuxième point : la coordination des intervenants et la clarification des responsabilités. À l'inverse de la perspective envisagée par « CAP 2022 », je vous déclare tout de go être favorable à la régionalisation du Feader. Être proche des agriculteurs me semble plus que jamais indispensable, et je remarque que cette proximité peut être une source de simplification. Mme Bernard ne me démentira sans doute pas. Cependant, tout cela doit se faire de façon ordonnée et mérite d'être accompagné. Je souhaiterais connaître les besoins encore non satisfaits pour que le transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion ne reste pas au milieu du gué. Par ailleurs, qui dit transfert de compétences dit aussi transfert de responsabilités. La Cour des comptes ne dit rien d'autre et le ministre de l'agriculture que nous avons auditionné le 21 juin dernier nous avait informés de l'existence de négociations avec les régions afin de clarifier le régime de responsabilité applicable en cas de mauvaise exécution des aides. Où en sommes-nous ? Enfin, comment mieux intégrer les observations de la CCCOP au fil du temps afin d'éviter des sanctions financières aussi massives que tardives ?
Troisième point, pour conclure : la question de la dynamique endogène au système des paiements agricoles des pathologies observées. Les méthodes employées pour déterminer les sanctions financières, qui sont contestées dans le rapport de la mission IGF-CGAAER, et qui d'ailleurs font l'objet d'un débat entre la Commission européenne et la Cour des comptes européenne, ne tendent-elles pas à grossir les factures que nous inflige la Commission européenne ? Comment expliquer que, au cours du contradictoire, on puisse passer d'un montant de redressement de plus d'un milliard d'euros aux 34,7 millions d'euros évoqués par le ministre lors de son audition ? En lien avec ce sujet, ne serait-il pas souhaitable d'accélérer les procédures d'apurement de sorte que, si corrections il doit y avoir, elles nous évitent des rattrapages massifs portant sur plusieurs exercices déjà anciens ? Deuxième élément, la Cour des comptes juge que la simplification est « la mère de toutes les batailles ». Cela apparaît assez crédible, et il est effrayant de savoir que l'éligibilité à telle ou telle aide se trouve conditionnée à des dizaines de points de contrôle, de sorte qu'une application stricte des règlements conduirait normalement à rejeter toutes les demandes. Pouvez-vous nous indiquer si, au niveau national, vous avez entrepris une revue de la « sophistication » évoquée par la Cour des comptes ? Et dans le cadre de la redéfinition de la PAC, qu'êtes-vous en train de défendre pour que les deniers publics puissent être effectivement distribués aux agriculteurs sans que l'on encoure les foudres des instances européennes ? Nous sommes mis en difficulté face à la complexification administrative et l'aporie politique. Il est temps d'entrer dans un nouveau monde.
Mme Catherine de Kersauson. - S'agissant des carences liées au contrôle expliquant les corrections financières, le rapport mentionne notamment que les refus d'apurement sont dus essentiellement à des problèmes de conformité, y compris l'interprétation de la réglementation européenne, et à l'insuffisance des contrôles de notre dispositif qui n'est pas sans lien avec à l'inadaptation du cadre réglementaire.
S'agissant de l'apurement du passé, les questions s'adressent plutôt au ministère de l'agriculture. Pour ce qui est des responsabilités face aux difficultés informatiques, nous apportons la réponse en nous appuyant sur les travaux de l'Inspection générale des finances et du CGAAER, lesquels sont intervenus durant l'enquête de la Cour. Leur rapport indique clairement que l'organisation informatique adoptée segmente le rôle de chacun des acteurs - ASP et prestataires. L'absence de direction des opérations ne permet pas de disposer d'un pilote unique pour l'ensemble des équipes internes et des prestataires de manière intégrée et transverse. Au surplus, le pilotage du projet est complexifié par le recours à des prestataires à différents niveaux, de telle sorte que l'externalisation porte sur 80 % des équipes dédiées. Votre question est tout à fait pertinente, car elle rejoint le diagnostic posé par ces inspections.
Sur l'avenir et les méthodes employées par la Commission européenne pour gonfler les corrections financières et accueillir ensuite les réponses des États membres, le rapport apporte des précisions dans l'encadré de la page 24.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - C'est une discussion de marchands de tapis !
Mme Catherine de Kersauson. - Nous présentons la manière dont la Commission européenne travaille pour calculer les corrections forfaitaires à partir d'un échantillon réduit non représentatif et fondé sur une analyse des risques.
Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'agriculture et de l'alimentation. - Pour faire écho aux propos de Mme de Kersauson, le retard de paiement des aides de la PAC a principalement concerné les aides surfaciques des premier et deuxième piliers. Le décalage constaté en 2015 était dû à la révision complète du référentiel des surfaces agricoles pour se conformer aux exigences de la Commission européenne et limiter les apurements. Le plan d'action établi a conduit les autorités françaises à engager la rénovation complète du registre parcellaire graphique, avec une photo-interprétation systématique de l'ensemble des photos aériennes et la constitution d'une base de données graphiques répertoriant l'ensemble des surfaces agricoles et non agricoles. Nous avons photo-interprété 26 millions d'hectares et avons constitué une couche graphique de 45 millions d'objets, dont 10 ont été traités un par un par le système d'instruction et les services instructeurs entre 2015 et 2016. À la demande de la Commission européenne, aucun seuil n'avait été mis en place pour que le travail soit exhaustif. De ce fait, le décalage des paiements a porté principalement sur la campagne 2015. C'est uniquement quand l'achèvement de tous les travaux a été effectué qu'il a été possible de payer les aides dans des conditions plus sécurisées. C'est pourquoi le paiement des aides découplées de la PAC 2015 est intervenu en septembre et en octobre 2016. Le paiement des aides directes pour 2016 est, lui, intervenu aux mois de mai et juin 2017. Par ailleurs, les pouvoirs publics, qui étaient conscients des difficultés induites pour le monde agricole en raison de ce décalage, ont décidé de mettre en place des apports de trésorerie remboursable (ATR), qui sont des aides exceptionnelles financées sur le budget de l'État. Nous avons veillé à ce que ces ATR soient conformes aux règles communautaires du de minimis.
Puisque l'important c'est l'avenir, je redirai les chiffres pour la campagne 2017. Les aides couplées animales et ovines ont été payées en acompte au cours de la deuxième quinzaine d'octobre de l'année N-1 et le solde a été réglé au début de 2017. Les aides couplées bovines ont été payées en janvier 2018 et les aides découplées en février 2018. Vous pouvez déjà constater la résorption du retard. S'agissant de la campagne 2018, pour la première fois les paiements seront effectués dans le calendrier normal. L'avance au 16 octobre sera payée aux producteurs, à la fois pour les aides découplées, les aides animales et pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), selon les calendriers ordinaires, le solde de ces aides intervenant en décembre.
Pour autant, comme vous l'avez souligné madame la présidente, pour certaines aides, principalement les mesures agroenvironnementales pour l'agriculture biologique et les mesures climatiques (MAE), il est vrai que la résorption du retard ne sera pas observée avant la fin de cette année ou le début d'année prochaine. Les MAE 2015 sont maintenant totalement payées ; celles de 2016 le sont à 50 % avec un objectif de paiement de la quasi-totalité en fin d'année et les MAE 2017 sont en cours de versement, 10 % des MAE 2017 étant déjà payés.
Les difficultés sont bien réelles pour les agriculteurs. Nous avons mis l'accent sur les aides du premier pilier pour résorber le retard, car sur un montant total d'aides de près de 10 milliards d'euros annuels, les mesures agroenvironnementales représentent environ 300 millions d'euros. Donc, 3 % du volume des aides ne font pas encore l'objet d'un rattrapage total du calendrier, même si nous y travaillons avec le PDG de l'ASP pour la fin de l'année. Les difficultés pour les agriculteurs engagés dans les MAE sont réelles même si nous avons mis en place des ATR à leur intention.
M. Stéphane Le Moing, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement. - Je souhaiterais compléter les propos de Mme la directrice générale et abonder dans le sens de ceux de Mme la présidente et de M. le rapporteur spécial. La simplification est effectivement « la mère des batailles » comme vous l'avez indiqué M. le rapporteur spécial. La complexité explique que le rattrapage soit total sur les aides couplées et découplées et c'est pourquoi le seul morceau du dispositif de la PAC encore inachevé est celui des mesures environnementales et de l'agriculture biologique. Cette situation pose un problème par rapport au signal politique que constituaient ces aides dans la nouvelle PAC. Le poids de la complexité est particulièrement lourd pour ces aides. Pour les équipes techniques et pour les prestataires, pourtant des références dans ce domaine, ces aides sont particulièrement complexes. Le retour à la normale a pris trois fois plus de temps : il a fallu plus de dix-huit mois pour rattraper les 300 millions d'euros d'aides annuelles correspondants que pour les 7 milliards d'euros du premier pilier de la PAC. Le décalage du premier pilier est essentiellement dû à la refonte totale du registre parcellaire graphique.
À quoi tient cette complexité ? D'abord au nombre d'outils nécessaires, 160 pour les mesures agroenvironnementales, eux-mêmes combinables de façon illimitée et donnant déjà lieu à plusieurs milliers de mesures. Seuls quelques-uns de ces outils servent à gérer la plupart des dossiers, puisque les deux tiers des outils produits par l'ASP ne concernent en réalité que 5 % des agriculteurs. Cela signifie qu'un tiers de ces outils concerne 95 % des agriculteurs, situation qui, évidemment doit être pesée. Les raisons intrinsèques de la complexité recouvrent, entre autres, la complexité du contrôle du caractère réellement biologique des surfaces par les organismes certificateurs qui n'est ni harmonisé, ni dématérialisé, ni absorbable directement par les services instructeurs. Un énorme travail est réalisé par les directions départementales des territoires pour recaler le registre parcellaire graphique avec les surfaces en agriculture biologique telles qu'elles sont définies par ces organismes de certification. Nous avons un travail en cours avec l'Agence Bio et les certificateurs pour améliorer cette situation.
Autre facteur de complexité : les règles de calcul. Le montant de l'aide allouée à un agriculteur est défini pour chaque parcelle. Or il y en a des millions, qui doivent être traitées les unes après les autres. Pour chaque parcelle, il y a sept niveaux possibles d'engagement qui, en plus, peuvent changer d'une année sur l'autre. Cette interannualité crée une complexité exponentielle. Bref, nous ne gérons souvent que des cas particuliers. À cela s'ajoute le fait que la gestion financière des contrats relatifs à l'agriculture biologique est elle-même très complexe, car leur durée varie : l'engagement court en principe sur cinq ans, mais cela peut être moins. Nous devons donc jongler avec les différentes durées d'engagement. Enfin, les points de contrôle eux-mêmes sont complexes à calculer : rotation des cultures, surfaces en prairie sur lesquelles il faut calculer deux taux de chargement des animaux, car certains seulement sont en bio...
Un mot conclusif sur la nature de ces difficultés techniques. Il n'y a pas eu de bug informatique comme on le prétend parfois. Un bug informatique implique qu'un système, déployé, ne fonctionne pas. Il n'y a donc pas eu de bug informatique. Ce qui s'est produit, c'est le déploiement, nécessairement long, de systèmes d'informations dont le fonctionnement, depuis leur livraison, n'a pas posé de problème. Au-delà de l'aspect informatique, c'est le temps d'instruction des dossiers qui, compte tenu de leur complexité, est long ; quand bien même les solutions informatiques existent, il y a un gros travail à mener avec les directions départementales des territoires pour que les dossiers des agriculteurs soient effectivement payables.
Mme Lydie Bernard, membre de la commission agriculture, alimentation et forêt de Régions de France. - Merci de nous avoir conviés dans le cadre de cette mission de contrôle. C'est un dossier qui nous préoccupe tous en cet instant, et qui doit nous préoccuper pour l'avenir, à l'approche de la PAC 2020 : nous espérons, à Régions de France, que les leçons des dysfonctionnements actuels seront tirées d'ici là.
Quelques éléments de contexte d'abord. Les régions sont actrices sur le deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le Feader. Pour gérer les ressources de ce fonds, chaque région est liée par contrat à l'Europe au moyen d'un programme de développement rural (PDR) pour la période 2014-2020. Cette enveloppe est scellée : son montant ne peut être modifié.
Le manque d'anticipation de la régionalisation de cette politique et de ses aspects techniques de la part du ministère a été total. En outre, la confiance et le dialogue entre l'État, l'ASP et les régions, ont grandement fait défaut. Songez qu'entre la fin 2014 et la fin 2016, aucun comité État-régions ne s'est tenu. Résultat : nous avons hérité d'un système complexe ne correspondant pas aux besoins d'un système régionalisé. L'État nous a imposé une architecture de programmation et un organisme de paiement, l'ASP - qui, au demeurant, a fait un travail honnête. Reste que le manque d'anticipation et de communication a été réel. Il nous a donc fallu nous approprier, nous les élus, la logique des échanges avec l'Europe. Souvenons-nous du manque de communication sur tous ces aspects.
En dépit de ce qu'écrit la Cour des comptes, nous considérons que les régions, elles, ont été au rendez-vous. Début 2018, pour les régions, le taux de programmation moyen était de 43 %, et le taux de paiement de 30 %, ce qui place la France parmi les pays régionalisés les plus avancés. Les régions ont su déployer les moyens humains nécessaires pour instruire les dossiers. En Pays de la Loire par exemple, depuis 2016, dix personnes ont grossi les rangs des petites mains des DDT traitant les dossiers, et quatre personnes supplémentaires encore tout récemment pour les dossiers Leader.
Nous nous focalisons beaucoup sur les retards de paiement, car cela met les agriculteurs en difficulté. Certains attendent encore 60 000 euros au titre des mesures agroenvironnementales et climatiques pour 2016, et autant au titre de 2017. Ce n'est pas une paille !
Il faut cependant dire que la régionalisation a eu des impacts positifs sur des mesures du deuxième pilier peu ou pas encadrées par un règlement national - je pense aux mesures du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles. L'absence de cadre national très ferme nous permet d'être beaucoup plus réactifs sur le terrain. À l'inverse, les enveloppes bio du Feader sont dans le deuxième pilier de la PAC, autrement dit gérées par les régions, mais obéissent à des règles fixées nationalement ; donc nous sommes au milieu du gué. Il faut revoir cet équilibre ; ça ne peut pas fonctionner.
Les régions ont aussi, pour la plupart, adapté leur gouvernance en mettant en place, pour la plupart, de nouveaux dispositifs, notamment un comité technique entre la région et la direction régionale de l'agriculture et de la forêt, qui fonctionne plutôt bien. À cela s'ajoutent des réunions régulières avec la profession agricole et les différents syndicats, ce qui permet d'être près du terrain, au plus près de notre agriculture et, j'ose le dire, au plus près de notre ruralité. Le deuxième pilier de la PAC est là pour servir le monde rural. C'est d'ailleurs explicite au niveau européen, puisque l'on parle de politique agricole commune et de développement durable. Cette dimension alimentaire et rurale est à mettre davantage en avant dans la PAC 2020 si nous voulons garder notre enveloppe pour notre agriculture.
Au niveau national en revanche, nous n'arrivons pas à discuter. J'ai de bonnes relations avec M. Le Moing, car je siège au conseil d'administration de l'ASP au nom de Régions de France, et j'ai fait connaissance avec Mme Metrich-Hecquet il y a quinze jours, mais les problèmes de communication que nous avons rencontrés à l'origine ne sont pas complètement réglés. Sur la question du transfert entre les deux piliers de la PAC, Régions de France a demandé à l'unanimité un comité État-régions, qui s'est tenu, et puis la décision a été prise sans concertation. De même sur les zones ICHN. Nous devons reprendre le dialogue. Au reste, son absence ne pénalise pas le Gouvernement, ni même les parlementaires ou les élus régionaux, mais les acteurs de terrain, les agriculteurs et le monde rural. Il est donc de notre responsabilité de recommencer à échanger pour construire et avancer ensemble.
La grande nouveauté instaurée par les programmes de développement rural (PDR), ce sont les relations bilatérales entre les régions et l'Europe. Tous les six mois, la Commission européenne vient dans nos régions - c'est ce que l'on appelle le comité régional de suivi - et, contente de voir le terrain, met les pieds dans les bottes. L'Europe est demandeuse de ces rencontres, de même que nos agriculteurs, nos entreprises et nos élus, qui peuvent ainsi discuter avec l'Europe. Tout cela permet de vivre l'Europe de façon plus concrète.
Je conclurai en tâchant d'être force de proposition pour la prochaine PAC. Le rattrapage du retard des aides est une priorité, surtout pour celles du deuxième pilier. Nous estimons que le mot d'ordre doit être une PAC 2020 réactive, agile, efficiente et répondant aux enjeux de nos territoires ruraux. Nous préférons un tel intitulé à une PAC exclusivement agricole. Il faut pour cela aller au bout de la décentralisation du deuxième pilier après 2020, car ce sont bien les lourdeurs liées à l'histoire et aux directives nationales imposées par l'État qui ont retardé les paiements. Il faudrait en conséquence remplacer le cadre national par un répertoire de mesures cohérentes entre elles, répertoire défini en fonction des besoins des régions, de manière ascendante, et non imposé d'en haut. Une concertation entre les régions et l'État, et que l'ascendant enrichisse le descendant, voilà ce que demandait l'atelier 14 des États généraux de l'alimentation.
Nous proposons encore de simplifier l'architecture des programmes et des mesures, en en diminuant le nombre - il faudra en discuter avec la profession agricole qui, soucieuse de justice, plaide plutôt pour multiplier les mesures. Il faudrait également donner aux régions la main sur la gestion du fonds après 2020. Posons enfin la question de l'organisme de paiement, en réfléchissant à sa régionalisation - pour l'heure, les régions sont trop loin de l'ASP - et celle de savoir qui pilote les petites mains dans les DDT.
Du côté de Bruxelles, il faut continuer à simplifier. Osons demander à Bruxelles la simplification des contrôles. Le taux d'erreurs admises, de 1 %, est passé à 2 % : nous pouvons oser demander davantage.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - La complexification a un coût. Ce coût de gestion s'élevait pour l'État français à 342 millions d'euros en 2016, soit 3,5 % des aides reçues, et cela sans parler du coût pour les régions ou pour Bruxelles. Nous parlons de simplifier et de supprimer les doublons, mais il s'agit là de triplons...
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - La France est le pays avec l'administration la plus importante d'Europe... Nous évoquons deux sujets distincts : d'une part, les déclarations sur le registre parcellaire graphique, c'est-à-dire les déclarations graphiques de surfaces des agriculteurs, et, d'autre part, le paiement des aides. Le constat que nous faisons tous, c'est que nous avons monté une usine à gaz où il n'y avait pas de pilote dans l'avion, ce qui a conduit à des erreurs colossales. Il ne faut pas oublier que les déclarations PAC et parcellaires sont faites depuis 1992 ; ce n'est qu'en 2018 que les déclarations PAC se stabilisent ! Or la surface qu'exploitent les agriculteurs ne change pas - ou à la marge seulement -, non plus que celle de la planète...
Si nous en sommes arrivés là, c'est parce que pendant bien longtemps, personne n'a été capable de savoir exactement ce qu'il devait faire. Les agriculteurs ont ainsi déclaré leur surface pendant des années sur le registre parcellaire graphique en sachant que la déclaration du voisin pouvait engendrer des doublons. L'administration renvoyait tous les ans une feuille demandant de préciser qui débordait dans la parcelle de l'autre. Nous aurions pu traiter le problème plus tôt ! Ce sont les refus d'apurement qui ont commencé à faire bouger les choses : en 2014, 601 ETP supplémentaires ont été embauchés, et 350 en 2015, auxquels s'ajoutent 1 200 vacataires, pour traiter notamment les problèmes des surfaces non admissibles (SNA). Les SNA ont donné lieu à des aberrations sans nom : ainsi du râtelier situé, comme il se doit, au milieu de la parcelle, que l'on demandait à l'exploitant de retirer de sa déclaration !
Je m'étonne que le rapport de la Cour des comptes insiste, 80 pages durant, sur les dysfonctionnements de l'ASP - erreurs de calcul, de paiement, retards - et n'aboutisse qu'à la recommandation principale de lui affecter les techniciens des DDT... Je pense pour ma part que l'erreur principale qui a été commise a été une centralisation trop importante. Une plus grande proximité aurait permis d'apporter des réponses à tous ces problèmes. Il fallait certes un cadre étatique, mais aussi plus de latitude donnée aux acteurs de terrain. Nous le voyons pour le programme Leader ou pour les aides du Feader : les régions sont obligées de réembaucher du monde pour faire le travail de l'ASP, de monter des systèmes d'information différents de ceux de l'ASP pour procéder aux paiements des aides européennes... Dans quel monde vit-on ? Comment accepter qu'autant de personnes soient chargées de ce travail dans les différentes structures de gestion et de contrôle, et que les collectivités territoriales soient obligées d'embaucher pour se substituer à elles ? Et ce avec l'argent public... Tout cela témoigne d'un réel fiasco, et d'un mal bien français, qui consiste à traiter n'importe quel problème non pas au niveau local - parce là, naturellement, ils n'y comprennent rien - mais au niveau central. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire !
M. Jean-François Rapin. - Je connais bien les problèmes relatifs à la pêche - qui ne sont certes pas abordés dans le rapport de la Cour des comptes. Ce secteur a connu les mêmes difficultés, les mêmes souffrances, avec le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), l'ASP et le logiciel Osiris.
La Cour des comptes a-t-elle pu évaluer le nombre d'entreprises qui ont été mises en grande difficulté, en cessation de paiement voire en liquidation judiciaire, en raison des difficultés de la chaîne de paiement des aides agricoles ?
Mme Bernard a regretté l'absence d'échanges suffisants entre l'État et les régions. Dans le domaine de la pêche, nous avions mis en place, sous l'égide du secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, Alain Vidalies, un comité d'urgence réunissant les régions et l'ASP, qui n'a hélas pas été maintenu par l'actuel gouvernement. C'est dommage, car les petites mains, comme vous dites, débloquaient des dossiers...
M. Antoine Lefèvre. - Hier soir, le journal télévisé de France 2 a évoqué la présente réunion : il est heureux que l'on parle des travaux de notre commission et du Sénat ! Le reportage qui illustrait l'information montrait un éleveur de chèvres endetté et privé de salaire car n'ayant pas encore perçu ses aides : voilà les conséquences dramatiques de ces dysfonctionnements. Et en même temps - l'expression est à la mode -, les grandes maisons de champagne les reçoivent, elles, leurs aides ! Le logiciel français est manifestement défaillant, et c'est récurrent. La Cour des comptes préconise un effort de simplification et l'abandon par le ministère de l'agriculture de l'extrême sophistication des règles nationales de mise en oeuvre de la PAC. Complexifier à l'envi, spécificité française... La France est l'un des principaux contributeurs au budget de l'Union européenne et ne consomme pas ses aides, contrairement à ses voisins, à cause de règles nationales trop strictes. Ce système contribue à donner une image très dégradée de l'Europe, alors que c'est l'État français qui est tatillon ! Il y a là, à l'approche des élections européennes, un enjeu politique majeur.
M. Michel Canévet. - Je voudrais d'abord remercier la Cour des comptes de son travail pertinent. Dans un contexte où notre agriculture se porte assez mal, que les dispositifs de soutien n'aient pu être mis en place au moment opportun a été très préjudiciable à l'équilibre du secteur.
La suradministration du dispositif a conduit à un échec total. Il n'est pas normal que les premiers programmes des opérations de développement rural, qui devaient courir de 2014 à 2020, n'aient été mis en place qu'en 2017 ! Il faut simplifier tout cela. De même pour les aides aux agriculteurs : alors que la plupart des cadastres sont digitalisés, il a fallu beaucoup de temps pour mettre en place un dispositif, qui, du reste, n'est pas toujours compris des agriculteurs - surtout lorsqu'il leur est demandé, pour la bonne visibilité du système, de tailler des haies... Ces aberrations ont dégoûté tout le monde. Je soutiens donc la proposition que vous faites : il faut absolument simplifier le dispositif, et mettant de l'ordre dans la multitude d'instructeurs. Je le vois bien en Bretagne, en particulier pour les programmes Leader : il y a des instructeurs au plan local, des instructeurs au plan régional, des instructeurs à la DDT, à l'ASP... tout cela est un non-sens. Voilà un bel exemple de gabegie d'argent public. J'espère que ce travail donnera lieu à des efforts de simplification et à des économies.
M. Thierry Carcenac. - Nous avons bien fait de demander ce rapport, qui correspond bien aux sollicitations que nous avons reçues d'agriculteurs se trouvant dans des situations complètement ubuesques.
La gestion des fonds européens pose manifestement problème, qu'il s'agisse de leurs relations avec les régions ou les départements - je songe aussi au Fonds social européen.
Par ailleurs, les systèmes d'information posent problème. Naguère Louvois ou l'Opérateur national de paie, à présent Osiris ou Isis... Quelle est la place de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic) dans tout cela, et comment faire évoluer son rôle ? Il y a un vrai travail d'harmonisation des bases de données à conduire. Le registre parcellaire est alimenté par le cadastre, l'IGN, l'ASP... Comment simplifier les choses ? La centralisation est toujours la solution à tous les problèmes. Or la décentralisation - régionalisation ou départementalisation - est parfois une réponse intéressante, sous réserve d'arriver à rendre compatibles les systèmes d'information des différentes entités pour faire remonter l'information au niveau ministériel, qui doit pouvoir disposer d'une vision globale. Bref, nous devrions nous intéresser davantage aux systèmes d'information dans une perspective plus globale.
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur spécial et la Cour des comptes pour ce travail concret, ainsi que nos invités pour leurs propos francs et passionnés. Le constat confirme ce que l'on vit sur le terrain : la situation est caricaturale et pénalise le monde agricole. La cartographie doit être simplifiée. Demander de supprimer des haies, alors qu'on reproche en cas d'orage aux agriculteurs de ne pas les avoir entretenues, c'est aberrant. Le rapport parle de gâchis financier et évoque les premier et deuxième piliers de la PAC. Avez-vous également regardé les financements européens en direction des collectivités territoriales, qui sont aussi source de complexité ? Les agriculteurs passent des heures et des heures à remplir des formulaires, à cocher des cases, pour voir leur dossier finalement rejeté, le plus souvent pour des raisons technocratiques ! Ce rapport a le mérite de mettre un coup de pied dans la fourmilière pour faire avancer les choses.
M. Jean-François Husson. - Je m'associe au concert de remerciements à l'égard de la Cour des comptes. Je partage le sentiment de mes collègues. En Meurthe-et-Moselle, il y a deux ans, la situation était devenue intenable. Un groupe de jeunes agriculteurs s'était rendu devant le bâtiment abritant l'ASP, en avait muré l'entrée, et des débordements avaient eu lieu. La situation est explosive, et elle ne s'arrange pas. Je souscris à l'exigence de simplification. Il faut des circuits de mise en oeuvre des décisions courts et efficaces. Il faut que les bonnes personnes, au bon endroit, prennent les bonnes décisions !
La PAC est un pilier historique de l'Europe. Or le monde agricole, lassé des mesures contreproductives, tourne le dos à l'Europe, au moment même où nous devons assurer la souveraineté alimentaire du continent en mettant en place les bons outils une bonne fois pour toutes. Si nous ne redressons pas la situation, le réveil sera douloureux.
Mme Christine Lavarde. - M. Le Moing a présenté un système très complexe, dont la base agriculture biologique manque d'harmonisation. Comment se préparent les acteurs pour répondre aux enjeux du développement du biologique, tels qu'ils ont été définis dans la loi Egalim ?
M. Bernard Lalande. - Il n'y a qu'à regarder le nombre de sigles expliqués en fin de rapport pour se convaincre de la complexité du dispositif...
« Cette simplification des règles nationales est absolument nécessaire pour éviter que la délicate période de transition entre la fin de gestion de la programmation précédente et la mise en oeuvre de la nouvelle programmation ne devienne ingérable », écrit la Cour des comptes. Où en est-on ?
M. Alain Joyandet. - Un certain nombre d'agriculteurs, dans nos régions, sont au bout du rouleau. Les prairies sont marron, la situation est gravissime. Nous sommes nombreux, nous parlementaires, à avoir sollicité le ministre de l'agriculture, et nous n'avons reçu aucune réponse. J'ai l'impression qu'il ne se passe rien.
Mme Catherine de Kersauson. - Merci de l'intérêt que vous portez au rapport de la Cour des comptes. Je me réjouis qu'il éclaire la réflexion et les propositions de la commission des finances du Sénat.
Sur le rôle de la Dinsic, permettez-moi de vous renvoyer au chapitre du rapport public 2018 de la Cour des comptes qui y est consacré.
La Cour des comptes n'a pas évalué le nombre d'entreprises mises en difficulté par les dysfonctionnements de la chaîne de paiement des aides européennes. Peut-être le ministère de l'agriculture l'a-t-il fait. Mme Metrich-Hecquet l'a dit, des dispositifs ont été mis en place pour éviter ces drames, tels des apports de trésorerie remboursables.
M. Duplomb semble se demander pourquoi nous n'incriminons pas l'ASP. Notre analyse nous conduit à penser que l'aspect technique du sujet ne l'épuise pas. Il y a surtout un problème d'organisation relevant du ministère de l'agriculture. Nous avons évoqué le rattachement des services instructeurs à l'ASP. Pour celle-ci, la déclinaison des aides européennes est une donnée à prendre en compte.
M. Laurent Duplomb. - C'est la centralisation à l'ASP qui pose question !
Mme Valérie Metrich-Hecquet. - Permettez-moi de répondre à présent à M. le rapporteur spécial sur le suivi des corrections financières : nous connaissons à présent leur imputation définitive sur le budget 2018, qui s'élève à 178 millions d'euros, chiffre en diminution. C'est une somme qui pourra être totalement financée par la provision pour aléas prévue par la loi de finances pour 2018 pour faire face au refus d'apurement. Cette provision s'élevait pour 2018 à 300 millions d'euros. Pour 2019, ce montant est calibré en fonction des informations dont nous disposons. Il est difficile d'évaluer très précisément les crédits nécessaires, notamment les sanctions qui seront imputées sur le budget. D'une part, en raison du décalage entre ce que la Commission européenne considère comme une anomalie et la sanction définitive, qui peut atteindre plusieurs années ; d'autre part, en raison du mode d'estimation de la sanction : l'approche forfaitaire de la Commission européenne se fonde d'abord sur un taux de redressement de 100 %, qui a pu être ramené à 3 % à l'issue de la négociation.
Je confirme ce que disait Mme Bernard : du début de la programmation à juin 2018, la France a consommé 40 % de ses enveloppes, ce qui nous place en position médiane en Europe. L'Allemagne et l'Espagne affichent des taux de consommation inférieurs. L'ICHN, mécanisme de solidarité au profit des zones plus fragiles, représente 55 % du montant du second pilier : c'est donc un peu grâce à l'ICHN que le taux de consommation du Feader atteint ce niveau en France.
L'ASP comme le ministère de l'agriculture s'attachent à payer le plus rapidement possible et dans les conditions les plus sécurisées possible les bénéficiaires des aides. Nous sommes à présent en train de faire un retour d'expérience pour répondre à la demande formulée par la Cour des comptes et par vous-mêmes, monsieur le président et monsieur le rapporteur spécial, visant à disposer d'une catégorisation des mesures pour voir celles qui sont utilisées et celles qui le sont moins. Ce travail fait, le ministre aura à coeur de le porter à la connaissance du Parlement.
Je confirme que le président de l'ASP et l'administration centrale du ministère de l'agriculture portent, en perspective de la prochaine programmation, le chantier de simplification, qui est une condition de l'adhésion des agriculteurs et des citoyens à cette belle politique agricole commune.
M. Stéphane Le Moing. - Il faut en effet préparer l'après 2020, et nous avons commencé à le faire. Les discussions ont été engagées sur la base du retour d'expérience que nous avons déjà, au niveau local, région par région, pour coller au plus près du terrain.
Mme Lydie Bernard. - Il faudra ouvrir rapidement le dossier du Feamp pour l'après 2020. Son articulation n'est pas la même que celle du Feader. Le monde de la pêche, dans notre région, s'est déjà positionné ; Régions de France devra se positionner également.
Une vraie question se pose pour les fonds Leader pour l'après 2020. Est-il pertinent d'aller chercher 2 000 euros en fonds Leader pour un traitement de dossier qui coûte 5 000 euros ? C'est la réalité ! Il faudra trouver une articulation entre les fonds régionaux et les fonds européens pour un montage efficient de ces dossiers.
Sur l'agriculture biologique, c'est plutôt au ministre de répondre. Il a évoqué un montant d'1,1 milliard d'euros, mais cette somme inclut la contribution des crédits du Feader à hauteur d'environ 700 millions d'euros... Or les régions n'ont plus guère de crédits du Feader à mobiliser ! Il faudra éclaircir ce dossier, ce qui nécessitera une vraie transparence.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Notre commission des finances prépare un rapport sur l'agriculture biologique.
M. Vincent Éblé, président. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur participation à nos travaux de contrôle.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Contrôle budgétaire - Financement de l'aide alimentaire - Communication
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues. Cette matinée est décidément placée sous le signe des relations entre la Commission européenne et l'administration française. Dans le cadre du large périmètre de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », nous avons donc décidé de conduire des travaux de contrôle sur le sujet de l'aide alimentaire. Plusieurs raisons à ce choix : d'abord les difficultés financières exprimées par les associations d'aide alimentaire, ensuite l'exécution problématique - que nous avions identifiée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 - du FEAD, fonds européen d'aide aux plus démunis, qui finance une partie de l'aide alimentaire en France, puis le rôle essentiel de l'alimentation dans les politiques de lutte contre la pauvreté.
En France, une personne sur cinq est dans une situation de précarité alimentaire, tel est l'enseignement du baromètre de la pauvreté Ipsos/Secours populaire de septembre 2018. 21 % des Français interrogés estiment effectivement rencontrer des difficultés pour se procurer une alimentation saine leur permettant d'assurer trois repas par jour.
En 2017, 5,5 millions de personnes bénéficiaient ainsi de l'aide alimentaire en France, un chiffre qui a plus que doublé depuis 2009, qui comptait 2,6 millions de bénéficiaires. Cela représentait, en 2017, 301 000 tonnes de denrées distribuées. La part des femmes et des enfants bénéficiaires est en constante augmentation, confirmant ainsi le lien entre précarité alimentaire et situation de pauvreté.
À ce titre, et avant de rentrer plus en avant dans les observations liées à ce contrôle, nous tenions à exprimer notre regret s'agissant de la quasi-absence de l'aide alimentaire des propositions faites par le Président de la République dans le cadre de son plan Pauvreté, alors que l'alimentation et son financement constituent un levier essentiel des politiques de lutte contre l'exclusion.
Mais revenons-en au périmètre du contrôle. Avant 2010, l'aide alimentaire ne disposait pas de cadre juridique. C'est la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche qui la première définit le cadre légal de l'aide alimentaire, cadre qui fut récemment modifié par la loi « EGAlim ». L'aide alimentaire a désormais pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes « en situation de vulnérabilité économique ou sociale » - et non plus aux personnes « les plus démunies » - et doit être assortie « de la proposition d'un accompagnement ». Cette nouvelle définition met ainsi l'accent sur les notions de « temporalité » et de « parcours de vie » attestant du caractère transitoire de l'aide mais également de son utilité sociale.
L'aide alimentaire repose en France sur un tissu associatif extrêmement dense, qui est l'indispensable pilier de cette politique publique. Ce sont environ 9 000 structures ou associations qui contribuent à l'aide alimentaire sur l'ensemble du territoire, par la distribution de colis, de chèques alimentaires, de repas chauds dans des centres fixes ou lors de maraudes.
L'objet du présent contrôle est ainsi d'examiner les ressources mobilisées, en matière d'aide alimentaire, et de mesurer l'efficacité du dispositif au regard de ses objectifs et des financements utilisés.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Sur la base des indicateurs fournis par les quatre principales associations oeuvrant dans le domaine de l'aide alimentaire (Restos du Coeur, Fédération française des banques alimentaires, Secours populaire français, Croix-Rouge française), l'aide alimentaire représente une masse financière estimée à près d'1,5 milliard d'euros en 2017 se décomposant comme suit :
- un tiers de financements publics (aides européennes, dépenses budgétaires de l'État et des collectivités territoriales, dépenses fiscales) ;
- un tiers de financement privés (dons en nature et numéraire des particuliers et entreprises) ;
- un tiers correspondant à la valorisation du bénévolat au sein des associations intervenant dans le domaine de l'aide alimentaire.
Revenons sur les détails des financements. S'agissant des fonds publics, ce sont à la fois des crédits européens et nationaux qui sont mobilisés :
- s'agissant du financement de l'Union européenne, il se fait par le biais du fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) instauré en 2014 à la suite du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD). On est ainsi passé d'un outil de régulation agricole à une vraie politique sociale européenne. La France dispose ainsi de 499 millions d'euros de crédits européens FEAD sur la période 2014-2020, soit 72,7 millions d'euros en 2018. Ces crédits sont entièrement consacrés à l'achat et la distribution d'aide alimentaire, complétés par une part obligatoire de cofinancement national (15 % du total, provenant du programme 304). Ces crédits sont délégués à l'établissement public FranceAgriMer qui achète les denrées, pour chaque campagne annuelle, par la voie de marchés publics. Ces denrées sont ensuite livrées à quatre associations partenaires (Croix-Rouge française, Fédération Française des Banques Alimentaires, Restaurants du Coeur, Secours Populaire Français), qui en organisent la distribution.
Le FEAD constitue ainsi une source d'approvisionnement indispensable pour les associations, fournissant des produits de base, (farine, beurre, conserves, viandes surgelées...) qui compense l'instabilité des autres sources d'approvisionnements. La part des collectes et des dons est essentielle mais reste fluctuante et surtout inégale selon les territoires. Le FEAD représente ainsi entre 25 et 30 % des approvisionnements des associations bénéficiaires.
Le financement national de l'aide alimentaire - d'un montant de 51,9 millions en 2018 inscrit à l'action 14 du programme 304 de la mission - comprend donc le co-financement du FEAD mais également des crédits complémentaires destinés à financer les épiceries sociales, les services déconcentrés de l'État (qui financent des actions d'aides alimentaires locales), les têtes de réseau nationales d'association, ainsi qu'une subvention pour charges de service public à FranceAgriMer. Les collectivités locales, à travers notamment les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS), participent également activement au financement de l'aide alimentaire, par des aides directes aux bénéficiaires mais également aux associations via des aides matérielles ou financières.
Outre ces crédits nationaux et locaux, le secteur de l'aide alimentaire génère également d'importantes dépenses fiscales pour l'État, au titre des réductions d'impôts sur les dons des particuliers et des entreprises, qui sont en augmentation. Cette hausse des dons, dans le secteur de l'aide alimentaire, s'inscrit dans une dynamique globale de hausse de la générosité publique, mais s'explique également par l'impact des politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire, et notamment la mise en oeuvre de la loi « Garot » qui a rendu obligatoire le don des invendus des grandes et moyennes surfaces de plus de 400 m². Les denrées sauvées du gaspillage alimentaire représentent ainsi 65 % des denrées collectées par les banques alimentaires en 2017.
Parmi ces contributions privées qui participent au financement de l'aide alimentaire, doit également être comptabilisé le bénévolat - clé de voûte du système d'aide alimentaire français. La valorisation financière du bénévolat s'élève ainsi à environ 500 millions d'euros, soit près du tiers du coût total de l'aide alimentaire en France. Le taux de salariés, dans les structures d'aide alimentaire, étant très faible voire quasi-inexistant pour certaines associations, les bénévoles peuvent occuper tous les postes-clés inhérents à la gestion de l'aide alimentaire (approvisionnement, tri, hygiène et sécurité alimentaire, informatique, mécénat etc.).
Autant dire que le modèle associatif fondé sur le bénévolat est financièrement indispensable mais également socialement essentiel.
Au-delà de sa mission consistant à répondre à un besoin vital, l'aide alimentaire constitue en effet un dispositif aux vertus plus larges. En intégrant de plus en plus l'impératif nutritionnel dans ses modalités d'action, l'aide alimentaire permet aux plus démunis de bénéficier de repas équilibrés, et contribue ainsi à diminuer la prévalence de certaines pathologies (obésité, diabète) liées à l'insécurité alimentaire. L'aide alimentaire est aussi considérée comme une porte d'entrée vers l'inclusion sociale, puisqu'elle permet d'identifier des personnes qui n'auraient peut-être pas sollicité d'aides, pour leur proposer un accompagnement personnalisé et d'autres types d'actions d'aide à la personne (accompagnement à la gestion budgétaire, soutien à la recherche d'emploi etc.).
En intégrant le travail des bénévoles et la générosité publique, l'aide alimentaire apparait ainsi comme particulièrement efficiente, car peu coûteuse sur le plan des finances publiques, au regard du nombre de bénéficiaires (5,5 millions), des 301 000 tonnes de marchandises distribuées mais également de son utilité sociale. L'aide alimentaire atteint ainsi près d'1,5 milliard d'euros pour environ 465 millions d'euros de financement public.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Cependant, les associations - qui constituent les piliers essentiels de cette politique publique - font face, depuis quelques temps à des difficultés certaines, en raison, notamment de :
- la suppression de la « réserve parlementaire » qui constitue un manque à gagner de près de 2,2 millions d'euros pour les associations d'aide alimentaire, alors que l'abondement du Fonds de développement pour la vie associative (FDVA) ne compense que très partiellement cette perte et ses conditions de mise en oeuvre ne s'avèrent pas satisfaisantes ;
- la diminution « brutale » du nombre de contrats aidés. Ainsi, dans les 79 banques alimentaires, près de la moitié des salariés sont en contrats aidés. Il s'agit souvent de salariés sur des postes stratégiques. Certaines épiceries sociales se sont trouvées sur le bord de la fermeture ;
- enfin les conditions d'exécution du FEAD, qui occasionnent pour les associations des retards de livraison, et fragilisent également financièrement les associations.
Fragilisant les associations mais également les finances publiques, la gestion française du FEAD fait peser de vrais risques sur la France, pouvant mettre en cause l'efficience du dispositif et surtout occasionnant des risques de pertes budgétaires significatives. Ce constat sur le FEAD semble ainsi faire écho aux observations faites ce matin à propos de la gestion des fonds agricoles.
La mise en oeuvre du FEAD, en 2014 - se substituant au PEAD - a ainsi imposé de nouvelles obligations aux acteurs nationaux de l'aide alimentaire, conduisant ainsi à la désignation d'autorités françaises de gestion (direction générale de la cohésion sociale - DGCS - à la place de la direction générale de l'alimentation - DGAL -), d'audit (comité interministériel de coordination des contrôles - CICC -) et de certification (DGFiP). Malgré cette nouvelle architecture institutionnelle, l'entrée dans le FEAD fut difficile, nécessitant des ajustements assez lourds de la part de la France. La France - qui avait déjà lancé deux appels de fonds à l'automne 2015 - fut le premier pays à accueillir un « audit préventif » de la Commission européenne en mai 2016 ; un audit qui conclut à de nombreuses irrégularités. En cause l'impréparation de la France, entrée trop vite dans le FEAD sans une adaptation suffisante de son mode de gestion. Le passage du PEAD au FEAD a ainsi constitué un saut qualitatif, que les autorités françaises ont sous-estimé.
Cet audit de la commission a conduit la France à mettre en place un plan d'urgence et à suspendre ses appels de fonds, sous peine de suspension de paiement de la part de la Commission européenne. Des mesures ont ainsi été prises par la France, mais la gestion du FEAD fait néanmoins encore peser sur la France de vrais risques de pertes budgétaires, qu'il ne faut pas sous-estimer.
On observe, en effet, une sous-consommation inquiétante des crédits européens. En juillet dernier, le taux d'exécution du budget était de 18 % alors que le taux de programmation du FEAD était de 84,16 %. Cette sous-consommation résulte de la suspension des appels de fonds décidée par la France - évoquée précédemment - mais également des corrections financières imposées par la Commission européenne et l'autorité d'audit française, la CICC. Depuis 2014, les contrôles de la Commission européenne et des autorités d'audit et de certification nationales ont ainsi fait apparaitre des « dépenses inéligibles » qui, bien qu'ayant été acquittées par FranceAgriMer, n'ont pas pu être déclarées en remboursement à la Commission européenne. Ces « dépenses inéligibles » se traduisent ainsi en « corrections financières », correspondant à des montants de crédits FEAD non déclarés par les autorités françaises.
Il en résulte ainsi un décalage très important entre l'exécution des marchés et l'arrivée des remboursements européens, ce qui a conduit à placer FranceAgriMer dans une situation financière très difficile : son déficit de trésorerie a atteint 105 millions d'euros en mars 2018. La France est ainsi dans l'obligation de compenser l'absence de ces crédits européens par des crédits budgétaires nationaux et de mobiliser des lignes de prêts de l'Agence France Trésor afin que FranceAgriMer puisse payer les fournisseurs.
Ce décalage entre exécution des marchés et remboursements européens s'explique aussi par la lourdeur des procédures européennes à mettre en oeuvre et la spécificité du système d'achat des denrées français. Le degré d'exigence requis par la Commission européenne est très, même trop élevé ; il s'illustre notamment par le seuil d'erreur toléré qui a été fixé à 2 %. Ce seuil est extrêmement sévère au regard de la taille de ce fonds dont le budget est 20 à 50 fois moins important que ceux des autres fonds structurels comme le FSE ou le FEADER. Par ailleurs, ce niveau d'exigence est difficile à respecter pour un secteur associatif fondé sur le bénévolat souvent insuffisamment outillé pour y répondre et surtout un peu perdu par l'existence de tous ces contrôles, dont les règles frisent parfois l'absurde. À titre d'exemple anecdotique mais révélateur, la Commission impose le format A3 et non A4 des affichettes avec le drapeau de l'Union devant être exposées dans les centres de distribution.
C'est donc une chaine de contrôle extrêmement lourde, trop lourde qui existe pour la gestion du FEAD, et il serait trop long de vous en exposer le détail. Un chiffre illustre cette complexité : 1 million, c'est le nombre de points de contrôles que FranceAgriMer doit vérifier, pour chaque campagne annuelle d'achat de denrées, sur les 22 000 pièces justificatives générées par les livraisons.
Non seulement ces contrôles disproportionnés conduisent à un ralentissement des déclarations en paiement à la Commission européenne, mais ils ont également un coût en termes de moyens humains - dont les autorités de gestion nationales ne sont cependant pas capables d'estimer le montant.
À cette rigueur imposée par la Commission européenne - amplifiée par l'autorité d'audit française, la CICC - qui fait, dans certains cas, preuve de « sur-transposition » - s'ajoute la complexité du système d'aide alimentaire français, qui constitue une difficulté supplémentaire de gestion. Le modèle français d'achat des denrées FEAD se caractérise, en effet, par :
- un nombre élevé de produits bien qu'il soit en diminution depuis 2009 : 33 produits en 2017 alors que la moyenne européenne se situe entre 10 et 20 produits ;
- un nombre élevé de points de livraisons, plus de 300 dans toute la France ;
- un nombre élevé de lots dans les marchés publics : 94 en 2017, chaque lot correspondant à un produit par association, il y ainsi autant de lots que de produits et associations.
Cette spécificité du système d'aide alimentaire est certes une richesse qu'il faut préserver mais il semble nécessaire de trouver un juste équilibre entre les souhaits des associations en matière de denrées et les coûts de gestion pour l'État.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Cette recherche du juste équilibre a ainsi irrigué l'ensemble des recommandations formulées dans le rapport. Au vu des observations que nous avons pu faire, il est essentiel, pour nous, de sécuriser l'organisation nationale du FEAD afin d'assurer la pérennité des crédits européens sans, toutefois, remettre en cause le modèle associatif fondé sur le bénévolat. Plusieurs axes de travail doivent être envisagés.
Premier axe, le renforcement de la gestion opérationnelle du FEAD qui doit passer par la poursuite et l'amplification des plans d'actions mis en oeuvre par la France - le dernier datant de mai dernier nous semble insuffisant. Les efforts entrepris sont louables, nous les saluons, mais il faut aller plus loin afin d'éviter tout risque de dégagement d'office de la part de la Commission européenne. Il convient de rechercher, auprès de la Commission, un maximum d'assouplissements des exigences réglementaires mais également, au plan national, de veiller à ne pas « sur-interpréter » les obligations communautaires. La sécurisation de la gestion opérationnelle du FEAD passe également par la poursuite de la simplification du système d'achat des produits (diminution du nombre de produits, simplification des clauses des marchés) tout en maintenant une gamme diversifiée de produits pour les associations.
Deuxième axe, l'adaptation du modèle associatif à ces nouvelles exigences sans remettre en cause le modèle associatif fondé sur le bénévolat : il s'agit de trouver un équilibre entre exigence administrative et travail sur le terrain fait par des bénévoles parfois sous-équipés :
- cela passe par une meilleure sensibilisation des associations aux exigences européennes (formation, actions de communication, soutiens financiers pour le déploiement d'outils de gestion) et une meilleure prise en compte de la spécificité de l'action bénévole de la part des autorités nationales et européennes ;
- cela passe également par le maintien d'un niveau de financement public satisfaisant tout en encourageant la diversification des sources de financement des associations. Doit être encouragé le développement qualitatif et quantitatif des ressources en provenance du gaspillage alimentaire. Le levier fiscal pourrait ainsi être utilisé, notamment par le biais d'une régularisation de la TVA par les magasins lorsque les marchandises sont détruites ou l'augmentation du plafond des réductions d'impôt fixé actuellement à 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxes pour les magasins entre 400 et 2 000 m², soumis à la loi « Garot ». Outre les mesures fiscales, à l'instar de certaines associations qui recourent déjà à des opérations de financement participatif, l'économie numérique constitue un formidable levier à actionner en matière de générosité publique dans le domaine de l'aide alimentaire.
Enfin, troisième axe, peser dans les négociations concernant le futur du FEAD et obtenir un assouplissement de ses modalités de gestion. Les négociations concernant l'après 2020 - date jusqu'à laquelle le FEAD actuel est garanti - ont commencé, avec la publication de la proposition de la Commission européenne prévoyant de regrouper sous la dénomination « FSE+ » tous les fonds structurels, y compris le FEAD. Le volet FEAD de ce nouveau fonds suscite de nombreuses interrogations et craintes quant à son montant, le taux de co-financement et le risque de régionalisation. Nous estimons que la pérennisation du FEAD est essentielle au regard du système français d'aide alimentaire et de la progression du nombre de bénéficiaires tout comme un assouplissement de ses modalités de gestion. Sur un tel sujet - constituant un enjeu extrêmement important de la politique nationale de lutte contre la pauvreté - nous souhaiterions, comme les associations bénéficiaires - que le Président de la République s'engage clairement et prenne position publiquement pour la préservation du FEAD et de ses financements.
M. Michel Canévet. - Ce rapport va me permettre de fournir des informations précises au collectif des associations de l'aide alimentaire du Finistère que j'ai reçu la semaine passée : l'après 2020 constitue, pour eux, un véritable sujet de préoccupation.
Nous avons examiné lors de l'audition précédente le désastre de la répartition des aides européennes en matière agricole, et il en va de même pour l'aide alimentaire, avec des contraintes très difficiles à supporter pour ceux qui interviennent sur le terrain. Il n'est dès lors guère surprenant que les associations aient des difficultés à recruter des bénévoles, alors qu'ils sont pourtant indispensables pour assurer la continuité du service.
Le taux de pauvreté dans notre pays reste de 14 %, ce qui signifie que les besoins en matière d'aide alimentaire sont particulièrement avérés. Des dispositifs existent - je pense notamment à la répartition des surplus des grandes surfaces - mais il est très difficile de les mettre en oeuvre car ces magasins ont aujourd'hui tendance à proposer à leurs clients les produits en date limite avec rabais, si bien que les associations doivent faire preuve d'une très grande réactivité, elles qui n'ont pas le droit de distribuer des produits dont la date limite est dépassée. On a là un gâchis alimentaire très conséquent et sur lequel il faudrait que l'on travaille pour trouver des solutions plus satisfaisantes.
Comme nous l'avons vu la semaine dernière avec l'audition consacrée à la générosité publique, malgré un dispositif fiscal particulièrement avantageux de 75 % de déduction d'impôt pour l'aide alimentaire, on s'aperçoit que les dons en faveur de l'aide alimentaire n'augmentent pas, ce qui fait que les associations manquent de moyens, par exemple pour louer les locaux dans lesquels la distribution s'opère, dans le respect de règles d'hygiène très strictes.
Je voulais demander aux rapporteurs spéciaux de nous indiquer les perspectives budgétaires de l'aide alimentaire dans le projet de loi de finances pour 2019 et avoir leur sentiment sur le regroupement au sein du FSE. S'agit-t-il d'une bonne chose ? Les acteurs de terrain peuvent-ils être rassurés quant à la prolongation des aides européennes, qui sont nécessaires pour effectuer un travail de qualité ?
M. Marc Laménie. - Je souhaite m'associer à l'hommage qu'ont rendu les rapporteurs spéciaux aux bénévoles des associations de l'aide alimentaire, qui compte 5,5 millions de bénéficiaires, sans compter tous ceux qui n'osent pas y avoir recours. En ce qui concerne les aides européennes, la gouvernance du FEAD vous paraît-elle pertinente ? Quels sont les liens sur le terrain avec nos départements respectifs, avec les centres communaux d'action sociale et avec nos associations ?
M. Bernard Lalande. - Je me suis toujours étonné de la générosité liée au levier fiscal. Je voudrais connaître le gain d'impôt réel des donateurs sur la somme totale qu'ils versent. J'ai tout de même l'impression que l'exonération d'impôt dont ils peuvent bénéficier n'est pas significative. Autre question : ne faudrait-t-il pas prévoir une sanction en cas de non distribution des produits alimentaires invendus plutôt que de prévoir une exonération de TVA ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Les crédits de l'État destinés à l'aide alimentaire seront stables en 2019, à 51,6 millions d'euros. S'y ajoutent des dépenses fiscales que nous avons évaluées approximativement à 220 millions d'euros.
La déductibilité de 75 % des dons des particuliers fait suite à un amendement dit « Coluche », qui avait voulu favoriser et faciliter les dons. Mais, en effet, beaucoup de dons ne font pas l'objet d'une réfaction fiscale, que les gens n'y portent pas attention ou jugent que les sommes en jeu sont trop peu importantes.
Au total, l'intervention publique en faveur de l'aide alimentaire représente donc moins de 300 millions d'euros, alors que son montant total est supérieur à 1 milliard d'euros : l'effet de levier de l'intervention publique est donc très important. Il faut défendre ce modèle français qui est essentiel.
Sur la commercialisation des produits périssables dans les grandes surfaces, il y a un vrai risque de diminution des dons aux associations d'aide alimentaire en raison d'une meilleure gestion des ventes à prix cassés à l'approche de la date de péremption grâce notamment au numérique, sachant que seuls peuvent être donnés des produits qui ne sont pas périssables dans les quarante-huit heures. Mais le numérique peut aussi être une chance pour les associations permettant de valoriser les dons des grandes surfaces.
La question de l'après 2020 est très importante. La perspective de raccrocher ce fond au FSE est plutôt inquiétante. Vous en avez probablement tous fait l'expérience sur votre territoire, les délais de traitement extrêmement longs du FSE fragilisent les associations. Le maintien, dans un système simple et souple, du niveau des crédits de l'aide alimentaire au niveau européen devrait être un sujet de négociation pour notre Gouvernement.
Je souhaiterais conclure en disant que l'on n'insistera jamais assez sur l'originalité du modèle français, qui se caractérise par la diversité des produits distribués, la stabilité des associations mais également par sa capacité d'inclusion. Inclusion des personnes qui reçoivent l'aide alimentaire bien sûr mais également des bénévoles, dont la moyenne d'âge est de 61 ans environ. Ce mouvement social, fort et inclusif pour toutes ses parties prenantes, mérite d'être soutenu.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le bénévolat joue vraiment un rôle clef dans le système français d'aide alimentaire. Il n'est d'ailleurs pas toujours simple de recruter de nouveaux bénévoles, d'autant qu'il est souvent nécessaire qu'ils disposent de certaines qualifications, sachent par exemple respecter la chaîne du froid, des règles d'hygiène, etc. Par ailleurs, le rôle des épiceries sociales est à encourager puisque la participation citoyenne symbolique participe de la dignité de la personne.
Pour toutes les raisons évoquées, je considère également que ce modèle français doit être préservé, puisqu'il a démontré toute sa pertinence.
La commission donne acte aux rapporteurs spéciaux de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Actualisation du programme de contrôle budgétaire de la commission
M. Vincent Éblé, président. - Je souhaite vous faire part d'une demande d'actualisation de notre programme de contrôle budgétaire. Les rapporteurs spéciaux de la mission « Relation avec les collectivités territoriales », Charles Guené et Claude Raynal, souhaitent en effet conduire cet automne une mission de contrôle budgétaire sur les conséquences financières d'une fusion des métropoles avec leur département, en anticipation de la réforme annoncée.
Je vous propose donc d'actualiser le programme de contrôle budgétaire de la commission en conséquence.
La commission donne acte au président de sa communication et adopte le programme de contrôle ainsi modifié.
La réunion est close à 11 h 35.