- Mercredi 21 novembre 2018
- Communications diverses
- Mission de la commission en Israël et dans les Territoires palestiniens - Présentation du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Médias, Livre et industries culturelles » - Crédits « Audiovisuel » et compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public », « Presse » et « Livre et Industries culturelles » - Examen des rapports pour avis
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Crédits « Sport » et « Jeunesse et vie associative » - Examen du rapport pour avis
- Jeudi 22 novembre 2018
- Article 13 de la Constitution - Audition de M. Gilles Bloch, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
- Vote sur la proposition de nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l'Inserm
- Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l'Inserm
Mercredi 21 novembre 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Communications diverses
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Un mot avant d'en venir à notre ordre du jour proprement dit sur l'audition, demain matin de Gilles Bloch, dont la nomination en qualité de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est envisagée par le Président de la République.
Comme le prévoit l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale sont appelées à formuler un avis sur cette nomination.
Aux termes de l'article 19 bis du Règlement du Sénat, cet avis est précédé d'une audition publique. À l'issue, nous nous prononcerons par un vote à bulletin secret, sans délégation de vote.
M. David Assouline. - Il s'agit d'une procédure prévue par la Constitution mais relativement formelle. Le candidat désigné par le Président de la République n'est pas connu comme chercheur universitaire. Nous aurons donc peut-être des questions désagréables à lui poser et nous aurions pu organiser un débat en amont au sein de notre commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le temps imparti, en pleine période budgétaire, ne nous facilite pas les choses et cette procédure suppose en effet un minimum de préparation. Il n'y a pas de sujet tabou et toutes les questions sont bonnes.
M. Jacques-Bernard Magner. - Qu'en est-il du vote sur cette proposition de nomination ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il interviendra à l'issue de l'audition puis nous procéderons au dépouillement concomitant avec nos collègues de l'Assemblée nationale.
Mission de la commission en Israël et dans les Territoires palestiniens - Présentation du rapport d'information
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Une délégation de notre commission s'est rendue en Israël et dans les territoires palestiniens du 10 au 16 octobre derniers. À l'origine, le choix d'Israël était lié à la saison croisée, moment fort des relations entre deux pays, dans le contexte des célébrations du 70ème anniversaire de la naissance d'Israël. La saison a commencé en juin et se termine demain, 22 novembre. Notre choix s'était également porté sur un pays particulièrement en pointe en matière de numérique. Dans le prolongement du rapport que j'ai établi au nom de notre commission sur la formation à l'heure du numérique, il paraissait intéressant de mieux comprendre comment Israël, start up nation par excellence, faisait face aux défis du monde numérique (soit dit en passant, nous avons appris à cette occasion que « start up nation » était une marque déposée par un franco-israélien).
Mais, en définitive, le thème de notre mission a évolué et sa géographie également car nous avons passé plus de temps qu'envisagé initialement à Jérusalem et dans les territoires palestiniens. Dans un souci d'équilibre, nous avons également évalué la politique culturelle extérieure de la France, tant en Israël que dans les Territoires palestiniens.
Dans un contexte très particulier, celui d'un des plus anciens conflits ouverts au monde, nous avons eu un rapide tour d'horizon des enjeux et des difficultés de la diplomatie culturelle de la France au sens large, et c'est pourquoi j'ai souhaité vous en présenter les conclusions, avant l'examen du rapport pour avis des crédits de l'action extérieure de l'État par notre collègue Claude Kern, membre de la délégation.
Avant d'aborder les relations culturelles et scientifiques entre la France et Israël d'une part, entre la France et les territoires palestiniens d'autre part, un mot du thème premier de notre mission, celui du numérique, notamment éducatif.
Quels enseignements tirer de l'expertise israélienne ?
D'abord que pour de multiples raisons, à la fois historiques, stratégiques et économiques, Israël est résolument tournée vers des secteurs qui nécessitent peu d'énergie et de matières premières mais un savoir-faire de pointe, ce qui explique le grand nombre de laboratoires et d'incubateurs. L'excellence en matière d'applications numériques est une des conditions de la survie du pays. Plusieurs de nos interlocuteurs ont également souligné combien était grand le rôle de l'armée, les conscrits étant nombreux à se consacrer à des activités de recherche pendant leur période sous les drapeaux.
Pour autant, il est clair que le système éducatif ne s'embarrasse pas de respecter les cycles d'enseignement. Au contraire, le recteur de l'université de Tel Aviv nous a clairement expliqué que non seulement les étudiants étaient recrutés sur concours mais que des lycéens, à travers tout le pays, pouvaient parfaitement suivre des cours de licence en ligne avant même d'avoir obtenu l'équivalent du baccalauréat.
En écho à mon rapport sur la formation à l'heure du numérique, aux dires de nos interlocuteurs, les élèves sont désormais différents cognitivement parlant. En clair, ils ne prennent plus de notes, mais des photos, avec leurs smartphones, des cours dispensés à l'université ou apprennent via des cours en ligne de dix minutes. Dans ce contexte, l'université développe la recherche en neurosciences, afin de faire émerger de nouvelles façons d'enseigner. C'est le champ de l'emergent learning, tel que l'enseignement mutuel des élèves, l'enseignant ayant pour tâche essentielle de les encourager.
Autre défi, la sélection des étudiants, qui ne peuvent plus être repérés selon les méthodes traditionnelles, à savoir le bac et des tests psychotechniques. Si l'impétrant a validé trois cours en ligne, il est dispensé des tests.
Par ailleurs, nous avons été très impressionnés par l'entretien que nous avons pu avoir avec les jeunes femmes responsables d'une association d'encouragement de l'orientation des filles vers les études du domaine du numérique, ce qui souligne combien cette dimension, clairement identifiée dans notre rapport sur la formation à l'heure du numérique est importante.
De même, nous avons pu constater l'importance que nos interlocuteurs accordent à la valorisation de la recherche. En Israël, transformer un résultat de la recherche fondamentale en produit mis sur le marché est très courant. La politique générale du Gouvernement, mise en oeuvre notamment par l'autorité de l'innovation, agence indépendante sous tutelle du ministère de l'économie, consiste à ne pas orienter les choix des acteurs concernant les domaines et technologies sur lesquels concentrer les investissements. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'innovation israélienne soit financée à plus de 85 % par des fonds privés, avec une part prépondérante d'investisseurs internationaux. Ainsi Mobileye, fournisseur de systèmes d'aide à la conduite que nous avons visité a désormais atteint une taille mondiale, son rachat par Intel l'ayant valorisé à plus de 15 milliards de dollars. Si vous avez récemment acheté une voiture équipée d'un tel système, obligatoire depuis 2013 en Israël, vous êtes très probablement équipé d'un système Mobileye, comme le seront à l'avenir les véhicules de transport en commun dans le cadre des villes intelligentes, avec des bénéfices très sensibles en termes d'accidentologie ou de fluidité de la circulation.
Malheureusement, et cela me fournit une transition pour aborder les relations franco-israéliennes, la France n'est pas perçue comme un partenaire d'importance en matière technologique, même si des partenariats et échanges avec les grands organismes français de recherche existent bel et bien et que la France est le 5e partenaire scientifique d'Israël. D'autant que les entreprises israéliennes sont très courtisées au plan international.
Preuve en est la place de la France dans les échanges universitaires : notre pays n'arrive qu'en douzième position. C'est dérisoire, surtout dans un pays dont 20 % de la population parle français et qui compte une communauté française forte de 130 000 personnes, soit la plus importante après l'Europe et l'Amérique du Nord ! Pour autant, selon le président du groupe d'amitié Israël-France, que nous avons rencontré à la Knesset, ce résultat serait même inespéré, ce qui nous renvoie à l'image de la France, souvent perçue comme hostile à Israël. Elle ne peut donc capitaliser sur l'importance de la communauté francophone. Au contraire, les parents récemment arrivés souhaitent avant tout scolariser leurs enfants dans le système scolaire israélien, gage d'une intégration réussie. Dans ces conditions le français n'apparaît que comme un « plus », dont le nombre d'apprenants a rapidement décliné, passant de 40 000 à 15 000 en quelques années.
Sur le plan symbolique, le slogan de l'institut français, « et en plus je parle français », est, d'une certaine manière, révélateur de la place du français : un plus... après tout le reste. Une option parmi d'autres, tout comme d'ailleurs dans les territoires palestiniens où il se trouve en concurrence avec les enseignements professionnels. De même, très concrètement, l'entrée de l'institut français de Tel Aviv, pourtant installé dans un bel immeuble ancien de l'avenue principale, est masquée par le restaurant installé au rez-de-chaussée. De même, événement phare de la saison croisée, l'exposition consacrée à Christian Boltanski au musée d'Israël est une exposition temporaire parmi d'autres et n'est que très mal signalée en tant qu'événement de la saison croisée. D'ailleurs, tant les crédits consacrés à la saison que le nombre de manifestations montrent un déséquilibre entre la mobilisation côté français et celle de la partie israélienne, soulignant que la visibilité française demeure en-deçà de ce qu'elle pourrait être. Notre ambassadrice l'a d'ailleurs déploré.
Saluons néanmoins une initiative phare de la saison croisée, l'organisation d'un hackathon sur l'apprentissage du français, qui a rencontré un grand succès auprès des lycéens israéliens. Sans oublier la déclinaison de la Folle journée de Nantes, qui a permis de mettre en valeur le talent des musiciens français.
À l'image de l'institut français ou de la publicité donnée à la saison croisée, la diplomatie culturelle française en Israël reste discrète, ce qui ne remet nullement en cause l'implication des personnels. Signalons toutefois le lancement de plusieurs initiatives prometteuses dans des domaines de compétence qui relèvent directement de notre commission : un satellite civil d'observation et une résidence d'artistes spécialisée dans l'écriture de séries, gros point fort de l'audiovisuel israélien.
J'en viens maintenant à la partie de notre mission consacrée à Jérusalem et aux territoires palestiniens. Maintenir une diplomatie éducative et culturelle suppose une bonne volonté de tous les instants. Ainsi, chaque matin, un minibus part de Jérusalem avec à son bord un diplomate français pour aller chercher la douzaine d'élèves du lycée français habitant Bethléem, de sorte qu'ils franchissent le mur de séparation plus rapidement. De même, nos interlocuteurs de l'institut français de Jérusalem Est nous ont expliqué quelles sont les contraintes de sécurité inhérentes à toute activité, un débordement pouvant toujours survenir. Dernier élément en matière éducative, qui fait écho à une remarque de Claudine Lepage de la semaine dernière, à propos des frais de scolarité : très clairement les parents du lycée français de Jérusalem, établissement conventionné par l'AEFE, ont fait le choix de limiter les frais de scolarité payés par les familles en-deçà de ce qui avait été convenu. Ce sous-financement chronique se traduit, très concrètement, par des difficultés pour renouveler le matériel et même pour mettre en oeuvre un système de bourses locales.
Autre exemple de la fragilité de l'édifice, nous avons eu la chance de pouvoir visiter le lycée français international de Ramallah, superbe établissement ouvert à la rentrée 2017 avec une petite section de maternelle et destiné à accueillir progressivement tous les niveaux jusqu'au baccalauréat. Cet établissement est intégralement financé par un jeune homme d'affaires palestinien fortuné, désireux d'offrir un accès aux enfants non seulement à la langue mais aussi à la culture française. Cependant, comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un établissement « français international », en clair un établissement français mais dont le promoteur souhaite également qu'il permette de scolariser les enfants en anglais, en contradiction éventuelle avec la reconnaissance des enseignements par l'éducation nationale.
À Ramallah toujours, nous avons eu une bonne illustration de ce que nous avions relevé il y a un an lors de l'examen des crédits puis lors de notre débat en séance consacré à la situation de l'Institut français. Dans cette ville où sont implantés les différents services de l'autorité palestinienne, au coeur d'une agglomération qui compte plus de 200 000 habitants, l'institut est partie intégrante du centre culturel franco-allemand... mais principalement allemand tant sont sans commune mesure les moyens mis en oeuvre pour, notamment, former une jeunesse désireuse de poursuivre des études à l'étranger. De la même manière, à Bethleem, lors de notre visite de l'Alliance française, nous avons été frappés par l'extrême modestie des moyens dont elle dispose.
Pourtant, la France dispose de réels atouts, ne serait-ce que son implantation ancienne, sous des formes qui peuvent parfois surprendre en ce début de 21e siècle. Nous avons ainsi été fortement impressionnés par l'école biblique et archéologique française de Jérusalem, établissement de renommée mondiale fondé au 19e siècle et aux collections archéologiques, photographiques et livresques de toute première importance. Et nous ne pouvons qu'être fiers et heureux de constater que cet établissement poursuit ce travail et continue d'accueillir des chercheurs du monde entier. Mais tout cela a un prix que la France doit être prête à payer faute de voir sa présence s'étioler. Si la rénovation des tombeaux des rois, domaine français, vient de s'achever, comment la France compte-t-elle financer, si ce ne sont les chantiers de fouille, du moins les travaux urgents de consolidation du site de l'église Sainte-Anne, autre domaine de la France ?
L'histoire nous a confié une responsabilité particulière dans cette petite mais ô combien symbolique partie du monde et nous ne devons pas l'oublier.
Comme vous l'avez compris, mes chers collègues, nous sommes tous rentrés de cette mission enrichis d'une expérience particulière mais avec un sentiment partagé quant au sens profond de l'action de la France en matière culturelle.
Je terminerai en vous disant qu'au cours de cette mission, nous avons également vécu des moments très forts, en particulier lors de la visite du mémorial Yad Vashem et du dépôt d'une gerbe au nom du Sénat. En matière d'archives, comment ne pas être sensibles à la présentation des rouleaux de la Mer morte ? Enfin, un entretien à bâtons rompus avec la responsable de l'Agence française de développement (AFD) dans les Territoires palestiniens nous a fourni une illustration très concrète des difficultés que tous rencontrent au quotidien.
M. Jacques Grosperrin. - Cette mission a été particulièrement riche. Je soulignerai un point particulier, celui de l'attractivité de notre système universitaire. Alors qu'on pourrait penser que la perspective du Brexit susciterait un intérêt supplémentaire pour mener des études en France, en réalité les étudiants israéliens se tournent davantage vers les États Unis ou le Canada. Le montant des frais d'inscription ne constitue pas un obstacle ; au contraire, selon nos interlocuteurs, cela donne une crédibilité au système d'enseignement.
M. Antoine Karam. - Lorsqu'on franchit les frontières, les clivages politiques tombent et nous avons effectivement partagé des moments très forts. Je pense, en particulier, aux chants entonnés par les élèves de l'école de Ramallah, d'abord en français, puis en arabe.
M. Claude Kern. - Je partage pleinement l'avis de mes collègues ; cette mission restera comme la plus marquante que j'ai accomplie.
La réunion est close à 10 heures.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 10 heures.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. - Les crédits que nous examinons ce matin ont été les grands sacrifiés du précédent quinquennat : de plus de 750 millions d'euros en 2012, ils sont tombés à moins de 685 millions d'euros cinq ans plus tard. En 2018, puis 2019, ils ont été à peu près stabilisés. Mais les années qui viennent s'annoncent encore plus douloureuses, le Gouvernement ayant annoncé dans le cadre du plan « Action publique 2022 » son intention de réduire de 10 % la masse salariale de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger d'ici 2022 !
Pour 2019, les opérateurs du programme conservent des crédits sensiblement identiques à ceux de l'an dernier. L'Agence française de l'enseignement à l'étranger (AEFE) conserve une dotation inchangée (14,7 millions d'euros dédiés à la sécurisation des lycées français sont transférés sur un compte d'affectation spéciale). L'Institut français bénéficie d'une subvention complémentaire de deux millions d'euros, non reconductible, pour mettre notamment en oeuvre l'ambitieux Plan Langue française et Plurilinguisme, annoncé par le Président de la République lors de son discours à l'Institut de France le 20 mars dernier. Mais cela ne me semble pas suffisant pour mettre en oeuvre 17 des 33 mesures contenues dans ce Plan comme doit le faire l'Institut français ! Quant à Campus France, il conserve des crédits identiques à l'an dernier, dans un contexte où la mobilité étudiante internationale double tous les dix ans ... Le Président de la République avait pourtant annoncé en mars dernier qu'il donnerait « un nouvel élan » pour notre diplomatie culturelle.
Je suis réservé sur les grandes annonces du Plan Langue française et Plurilinguisme. Certes, il contient de belles intentions auxquelles je souscris bien évidemment, mais les objectifs m'interrogent, notamment au regard de moyens durablement réduits. L'annonce, par exemple, du doublement du nombre d'élèves accueillis au sein de notre réseau scolaire français à l'étranger d'ici 2030 me semble assez irréaliste : c'est l'équivalent de l'ouverture de 48 établissements tous les ans pendant 13 ans ... La dynamique naturelle de l'AEFE, + 2 % par an, devrait permettre d'atteindre à peine le quart de l'objectif. Or sur le terrain, si l'on constate bien une demande d'apprentissage de la langue française, il ne s'agit pas toujours d'une demande d'enseignement « à la française ». Même nos expatriés français ont de moins en moins recours aux écoles et lycées français.
Madame la Présidente, vous avez bien voulu me missionner avant l'été pour examiner les modalités du rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française, en lien avec mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Robert. del Picchia et M. André Vallini. Il s'agit en réalité, à mes yeux, d'une véritable « dévitalisation » de la Fondation : certes, celle-ci ne disparaît pas, contrairement à ce qui avait pu être envisagé dans certains scenarii, mais son personnel devrait être réduit à six équivalents temps plein d'ici la fin de l'année et les postes de ses délégués régionaux seront supprimés. Quant aux directeurs mis à disposition des alliances, ils sont encore environ 280 dans le monde mais leur nombre pourrait progressivement se réduire. Les synergies annoncées entre Institut et Fondation lorsqu'ils seront sur le même site seront donc très limitées compte tenu de la faiblesse des effectifs et des compétences résiduels de la Fondation. Je suis également inquiet de la méfiance qui persiste entre ces deux acteurs majeurs de notre diplomatie culturelle : manifestement ils se parlent très peu, l'Institut n'a pas tenté de reprendre les personnels dont la Fondation a dû se séparer et la question des locaux est encore loin d'être réglée avec quelques 15 millions d'euros de travaux nécessaires pour l'installation de l'Institut sur le site du Boulevard Raspail à Paris.
Sur le terrain, un institut par pays, situé dans la capitale, et des alliances dans les territoires périphériques me semblerait constituer un schéma d'organisation intéressant. Mais il faut absolument instaurer un nouvel état d'esprit à l'Institut français, dans les ambassades et les instituts français sur le terrain pour travailler main dans la main avec le réseau des alliances françaises.
Mes réserves sur ce budget sont nombreuses et je ne vous cache pas que j'ai longuement hésité, mais, prenant acte à la fois de la volonté réelle du Président de la République de relancer notre diplomatie culturelle et de la subvention à l'Institut français que je souhaite voir reconduite, je vous proposerai néanmoins de donner un avis favorable à l'adoption des crédits destinés à notre diplomatie culturelle au sein de la mission « Action extérieure de l'État ».
Mme Claudine Lepage. - Le tableau que vous ne dressez de notre diplomatie culturelle est véritablement déplorable. Je partage vos constats même si je ne suivrai pas l'avis favorable que vous émettez sur ces crédits.
Au sein du réseau de l'AEFE, les enseignants titulaires de l'Éducation nationale sont de moins en moins nombreux, remplacés progressivement par des enseignants recrutés localement. Mais le vivier de recrutement ne présente pas toujours des garanties de qualité suffisantes et la rémunération de ces enseignants est entièrement à la charge des établissements, donc des familles. Or, dans un contexte de maintien de l'enveloppe des bourses, les familles des classes moyennes ont de plus en plus de mal à assumer les frais de scolarité de leurs enfants.
Je suis, comme vous, très dubitative sur l'objectif de doublement des effectifs scolarisés dans le réseau de l'AEFE, annoncé par le Président de la République : avec quels élèves - je rappelle à titre d'exemple que les élèves chinois ou indiens n'ont pas le droit de fréquenter un établissement étranger ? Avec quels enseignants ? Dans quels bâtiments ? Avec quels investisseurs, car il faut rester prudent sur l'origine des fonds ?
Le projet gouvernemental de réforme de l'enseignement français à l'étranger a déjà fait l'objet de deux rapports récents mais ils n'ont malheureusement pas été rendus publics. Un troisième est en préparation pour le 15 décembre, sous la plume de notre collègue députée Samantha Cazebonne.
Le rapprochement de l'Institut français et de la Fondation Alliance française se fait à Paris. En revanche, sur le terrain, les alliances françaises sont des associations de droit local, indépendantes et les instituts français sont rattachés aux services des ambassades. Entre alliances françaises et instituts français, il faut surtout éviter les doublons et travailler en complémentarité.
Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra.
Mme Sonia de la Provôté. - En décembre 2017, à l'initiative de notre commission, le Sénat a organisé un débat en séance publique sur l'avenir de l'Institut français au cours duquel le ministre Jean-Baptiste Lemoyne avait pris des engagements. Depuis, le Président de la République a, à plusieurs reprises, affiché ses ambitions concernant notre diplomatie culturelle et linguistique. Mais le budget qui nous est présenté aujourd'hui ne traduit pas ces volontés affichées.
Au cours de ce débat sur l'avenir de l'Institut français, nous avions également abordé la question de la dispersion des différents outils qui concourent à notre diplomatie culturelle : France Médias Monde mais aussi le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ainsi que d'autres organismes. Nous avions demandé au ministre de nous soumettre une étude consolidée or aucune suite n'a été donnée.
Le groupe de l'Union Centriste suivra l'avis favorable au rapporteur, en espérant toutefois des améliorations l'an prochain.
M. Damien Regnard. - Je partage le triste constat dressé par Mme Lepage.
Le plan « Action publique 2022 » qui prévoit la réduction de 10 % de la masse salariale conduit à des coupes systématiques dans de nombreux postes diplomatiques. Au sein de notre ambassade aux États-Unis par exemple, il est probable que les services culturels seront les premiers impactés.
Je suis attentivement la situation de deux étudiants de Mongolie inscrits à l'École Polytechnique qui connaissent de sévères difficultés pour financer leurs études. Comment garder ces étudiants dans nos établissements, quand nos lignes budgétaires sont à sec, et éviter qu'ils ne partent plutôt au Massachussets Institute of Technology (MIT) ?
Nous sommes dans une situation catastrophique où l'État s'est désengagé depuis des années. Les crédits du programme 185 sont « à l'os ». À titre personnel, je m'abstiendrai sur le vote de ces crédits.
M. Pierre Ouzoulias. - Le diagnostic que vous aviez établi, monsieur le rapporteur, au sujet de Campus France se vérifie et s'amplifie. La France a perdu sa troisième place mondiale dans l'accueil des étudiants en mobilité internationale au profit de l'Australie et nous nous ferons très certainement doubler l'an prochain par l'Allemagne et la Russie. Le nombre d'étudiants étrangers accueillis en Arabie Saoudite a cru de 128 %, et même de 182 % en Turquie, quand il diminuait de 9 % en France !
Si nous augmentons les frais d'inscription, les étudiants étrangers, et notamment ceux d'Afrique du Nord, se détourneront de la France au profit de l'Arabie Saoudite où ils ne payent pas de frais d'inscription à l'université, où ils bénéficient d'allers-retours gratuits en avion, où ils perçoivent un salaire mensuel de 1000 euros par mois, où ils sont logés, etc. Nous devons défendre notre culture et nos valeurs en accueillant des étudiants étrangers, autrement nous allons perdre toute influence culturelle dans certaines zones du monde.
Je voterai contre l'adoption de ces crédits.
M. David Assouline. - Le Premier ministre vient d'annoncer la multiplication des droits d'inscription des étudiants étrangers par 15, voire 17 ! Le Gouvernement estime que le prix modique de nos formations serait, pour certains étudiants, le signal de leur piètre qualité. Mais c'est faux ! Les étudiants qui se fient au prix affiché nous échappent déjà en grande partie, au profit des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. Les autres, et notamment les étudiants africains et maghrébins, se tourneront désormais vers des pays où ils risquent d'être endoctrinés, au salafisme par exemple en Arabie Saoudite. C'est une cassure majeure entre la France et les élites de ces pays.
Mme Françoise Laborde. - Le groupe R.D.S.E. s'abstiendra.
M. Claude Malhuret. - Certains de nos collègues nous donnent des leçons de morale ou, à tout le moins, de bonne gestion financière. Or jamais les crédits de la culture ni ceux du programme 185 n'ont autant baissé qu'au cours du quinquennat précédent.
M. David Assouline. - C'est faux !
M. Claude Malhuret. - À vous de me le démontrer ! Je ne me souviens pas que Mme Filippetti ait augmenté les crédits de la culture et nous venons de voir que les crédits du programme 185 ont diminué de 10 % en euros courants sur le quinquennat. La baisse s'est arrêtée avec l'actuel gouvernement.
Le groupe Les Républicains s'abstiendra.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La baisse des crédits du programme 185 depuis 2012, malgré une stabilisation depuis deux ans, a des effets que nous mesurons lors de nos missions à l'étranger. Devant notre commission, M. Bruno Foucher, alors président de l'Institut français, nous avait alerté sur la diminution de ses crédits d'intervention, qui atteignait 37 % voire 50 % dans certains domaines.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - Je partage les inquiétudes de Mme Lepage sur la diminution des effectifs d'enseignants titulaires de l'Éducation nationale et le niveau minimal nécessaire pour garantir la qualité de notre enseignement français à l'étranger. Le budget des bourses pour les élèves de l'AEFE est stable à 110 millions d'euros. Peut-être faudrait-il revoir les critères d'attribution de ces bourses ? Enfin, contrairement à l'objectif de 500 labellisations « LabelFrancEducation » qui me semble atteignable, l'objectif de 700 000 élèves scolarisés dans le réseau AEFE me semble irréaliste.
Mme de la Provôté trouvera dans mon rapport quelques éléments sur d'autres acteurs qui concourent à notre diplomatie culturelle, notamment l'Agence française de développement (AFD).
Nous avons de vrais progrès à faire en matière l'accueil des étudiants étrangers en France, que plusieurs d'entre vous ont évoqué. Outre l'Arabie Saoudite et la Turquie que M. Ouzoulias a évoquées, la Russie, la Chine et les Pays-Bas ont aussi connu de très fortes augmentations du nombre d'étudiants étrangers accueillis. L'UNESCO prévoit un doublement du nombre des étudiants en mobilité internationale dans le monde entre 2015 et 2025.
Le Premier ministre vient d'annoncer que les frais d'inscription à l'université passeraient, pour les étudiants extracommunautaires, de 170 à 2 800 euros pour une année de licence, et de 243 à 3 800 euros pour une année de master. Mais c'est à comparer aux 11 500 euros de coût moyen d'une année d'étude à l'université ! Il faudra bien entendu compenser avec un système efficace de bourses.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2019.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Médias, Livre et industries culturelles » - Crédits « Audiovisuel » et compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public », « Presse » et « Livre et Industries culturelles » - Examen des rapports pour avis
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, en remplacement de M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Comme l'année dernière, je vais vous présenter quelques données chiffrées sur les crédits de l'audiovisuel public avant d'insister sur un nombre limité de points que j'estime fondamentaux. J'ai souhaité également cette année consacrer un focus sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu qui fait suite au travail d'auditions et au déplacement à Bordeaux, en Nouvelle Aquitaine, que nous avons menés au printemps dernier.
Les crédits alloués à l'audiovisuel public en 2019 continuent à baisser. Après avoir augmenté de 100 millions d'euros sur la période 2015-2017 puis baissé de 36,7 millions d'euros en 2018, ils baisseront à nouveau de 36,1 millions d'euros en 2019 pour retrouver un niveau légèrement inférieur à celui de 2016 en euros courants hors taxes.
Le Gouvernement a fixé un objectif de 190 millions d'euros d'économies d'ici 2022. Il a aussi demandé aux sociétés de l'audiovisuel public d'augmenter leurs investissements dans le numérique de 150 millions d'euros, ce qui accroît d'autant l'effort demandé à chacune d'entre elles.
Les crédits prévus par le PLF 2019 pour le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » s'élèveront ainsi à 3780,2 millions d'euros HT contre 3816,3 millions d'euros HT en loi de finances initiale pour 2018.
Ce résultat s'explique comptablement par la suppression de l'affectation d'une part de la TOCE à France Télévisions donnant lieu à une diminution des recettes du compte de 85,5 M€ et par une prévision de ressources issues de la CAP en progression de 50,5 M€ par rapport à 2018, liée à la hausse du nombre de foyers redevables de 0,52 % en 2019. La différence aboutit ainsi à une baisse de 36 millions d'euros HT pour les entreprises de l'audiovisuel public.
Cet effort se répartit en :
- 26 M€ pour France Télévisions,
- 4 M€ pour Radio France,
- 2 M€ pour ARTE,
- 1,6 M€ pour France Médias Monde et
- 1,2 M€ pour l'Institut national de l'audiovisuel (INA) comme pour TV5 Monde.
À noter, par ailleurs - et j'y reviendrai - que les conditions de la poursuite de la réhabilitation de la Maison de la Radio ne sont pas précisées dans les documents budgétaires. Le ministre de la culture a indiqué que ce financement ferait l'objet de crédits ad hoc.
J'observe qu'avec la suppression de l'affectation d'une part de Taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) à France Télévisions, la contribution à l'audiovisuel public redevient la seule ressource affectée au secteur (comme c'était le cas avant 2016). Par ailleurs, le Gouvernement insiste sur le fait que cette trajectoire d'économies permet, pour la première fois depuis dix ans, de ne pas augmenter le tarif de la CAP pour le contribuable et de la maintenir stable à son niveau de 2018. L'article 35 du projet de loi suspend, en effet, l'indexation de la CAP en 2019, laquelle conservera par conséquent son tarif de 139 € en métropole et de 89 € en outre-mer.
Voilà ce qu'il en est des principaux chiffres. Si l'on essaye de les interpréter, on ne peut que regretter la méthode suivie par le Gouvernement qui confirme le prisme comptable au travers duquel il envisage l'avenir de l'audiovisuel public.
Faute d'avoir pu remettre à plat les objectifs et les missions de ces entreprises dans une loi de refondation de l'audiovisuel - la loi n'arrivera au Parlement qu'au second semestre 2019 - le Gouvernement taille dans les budgets de manière aveugle, sans tenir compte de la situation réelle des entreprises, des efforts déjà réalisés et des enjeux stratégiques européens et internationaux.
Votre rapporteur pour avis ne peut, dans ces conditions, que partager le souci du rapporteur spécial de la commission des finances, notre collègue Roger Karoutchi, qui a souhaité rétablir plus d'équité en augmentant les crédits de France Médias Monde de 5 millions d'euros et ceux d'ARTE de 2 millions d'euros. J'ai bien conscience du fait que cet amendement a peu de chance de survivre lors de la navette, c'est pour cela que je me suis rapproché du ministère de la culture pour examiner la possibilité de trouver un compromis. Mais faute d'avoir pu échanger avec le ministre ou son cabinet, j'ai préféré renoncer pour le moment à déposer un amendement.
Ce budget de l'audiovisuel constitue à mes yeux un budget de transition pour au moins deux raisons. Il a été préparé par l'ancienne ministre de la culture et ses équipes dans un contexte où la rue de Valois avait les plus grandes difficultés à se faire entendre de Bercy. Il ne tient pas compte, ensuite, des modifications importantes qui devraient intervenir à l'issue du débat sur le projet de loi audiovisuelle.
Le colloque que notre commission de la culture a organisé en juillet dernier, en présence de plusieurs dirigeants de sociétés de l'audiovisuel public européen, a permis de rappeler que, si des transformations et des économies étaient indispensables concernant les structures, l'existence d'un audiovisuel public de qualité nécessitait des moyens. C'est pour cela qu'au sein de cette commission, si nous avons des différences d'appréciation sur le montant des économies à réaliser, nous sommes tous d'accord pour considérer que le montant de celles-ci a vocation à renforcer les programmes et à développer les nouveaux services, pas à financer le budget général.
L'objectif de la réforme, je le rappelle, ne doit pas être de réduire les moyens de l'audiovisuel public par principe, alors même que ceux-ci sont déjà parmi les plus faibles des grands pays européens. L'objectif doit être de réaffirmer notre ambition et de réorienter les dépenses vers des programmes originaux - une offre qualitative - qui se distinguent de ce qu'on peut trouver sur les médias privés qui répondent à une logique de demande et d'audience.
Voilà pourquoi je ne peux que regretter que plus un euro de la TOCE ne bénéficie à France Télévisions. En 2019 ce sont donc 85 millions d'euros qui manqueront à l'audiovisuel public par rapport à 2018. Mais je rappelle qu'il ne s'agit là que de l'aboutissement d'une logique puisque le produit de la TOCE était évalué en 2018 par l'annexe « Voies et moyens » du PLF à plus de 266 millions d'euros après les hausses successives de son taux ces dernières années.
Non seulement la TOCE a été détournée de son objet mais l'absence de réforme de la CAP comme sa désindexation en 2019 nous privent du seul outil de transformation de ces entreprises puisque nous savons qu'un des enjeux concerne clairement l'avenir de la publicité sur les antennes du service public. Or, tant que la course à l'audience sera nécessaire sur les antennes du public pour préserver des recettes, la différenciation sera insuffisante aux yeux des Français, comme l'a montré le sondage commandé par notre commission ; et la légitimité du service public restera fragile.
Lors de son audition par notre commission la semaine dernière, le ministre de la culture a précisé ses propos tenus à l'Assemblée nationale en indiquant que la réforme de la CAP aura lieu au plus tard en 2021. Je souhaite, pour ma part, qu'elle soit arrêtée dans ses grandes lignes dès l'année prochaine même si elle doit s'appliquer progressivement afin de permettre une cohérence.
J'en viens maintenant à la situation des opérateurs. Celle de France Télévisions reste délicate. Le COM de l'entreprise qui prévoyait une hausse continue des moyens appartient aujourd'hui à l'histoire ancienne. L'effort qui lui a été demandé en 2018 s'est élevé à plus de 75 millions d'euros en tenant compte des contraintes de gestion (clauses contractuelles et évolution de la masse salariale). En 2019, la baisse de crédits de 26 millions correspondra à un effort de 50 millions d'euros.
Je souhaite rendre hommage à la direction de France Télévisions qui doit piloter une telle entreprise dans le brouillard puisque le cap n'a pas été clairement fixé. Le Gouvernement a évoqué une baisse de crédits de 160 millions d'euros d'ici 2022 et une hausse des dépenses dans le numérique qui porte l'effort à 360 millions d'euros, mais on peine encore à comprendre la logique d'ensemble.
Un plan de départs volontaires est en préparation au sein de France Télévisions qui pourrait être important. Cet outil peut être utile pour renouveler le corps social de l'entreprise mais il ne faut pas en attendre, dans l'immédiat en tout cas, un effet en termes d'économies puisque les indemnités de départ sont souvent élevées pour être attractives.
Nous savons que la suppression de la diffusion hertzienne de France 4 et de France Ô ne permettra pas de faire des économies substantielles. Je déplore particulièrement le basculement de l'offre jeunesse sur le numérique qui constitue une erreur stratégique comme nous l'a indiqué le président de la BBC en juillet dernier. J'ai d'ailleurs demandé au ministre de la culture de revenir sur cette décision et je propose, madame la présidente, que nous réfléchissions à prendre une initiative collective pour manifester notre attachement à l'existence d'une chaîne dédiée à la jeunesse sur le service public.
Un mot sur le nouveau feuilleton de France Télévisions, pour dire que le pari industriel semble réussi et que les audiences sont satisfaisantes. Cela montre que la hausse de la production dépendante, celle que la chaîne réalise en interne ou à travers une filiale et dont elle possède les droits - que nous sommes plusieurs à soutenir - fait sens, y compris pour le service public. Un point de vigilance, cependant, qui tient à la trésorerie du groupe qui se dégradera cette année du fait de la hausse de certaines charges, notamment immobilières.
J'en viens à Radio France. Il convient tout d'abord de saluer les performances en termes d'audience. La tendance haussière se poursuit et ne s'explique pas seulement par les difficultés d'Europe 1.
La direction travaille sur la maîtrise de la masse salariale pour réaliser des économies avec plus de succès sur les CDI que sur les CDD. Le repositionnement des certaines offres comme les besoins nouveaux liés à Franceinfo expliquent sans doute cette difficulté ancienne à réduire le nombre des emplois. Pour la nouvelle présidente, les leviers d'action sont à trouver dans le cadre social en faisant évoluer le temps de travail, les congés et les méthodes de travail.
Le grand sujet de préoccupation de Radio France demeure l'avenir du chantier de la maison de la radio. J'ai auditionné il y a quelques mois Jean-Pierre Weiss à qui l'État a demandé de réaliser un rapport sur l'avenir du chantier. Les difficultés rencontrées, qui se sont aggravées depuis 2015, tiennent d'abord à une mauvaise estimation du temps nécessaire pour libérer les locaux, puis pour réaliser les travaux en site occupé. Ces retards se sont accumulés avec, pour conséquences, une multiplication des malfaçons et des dépassements de coûts, l'objectif du respect du calendrier l'ayant emporté sur ceux de la qualité et du coût. Aujourd'hui, la crise juridique semble maîtrisée. Un scénario de continuité a été arrêté, qui prévoit la remise en concurrence de certains marchés seulement.
Néanmoins, comme je le rappelai lors de l'audition du ministre de la culture, l'entreprise prévoit une fin du chantier fin 2022 seulement, avec 5 ans de retard. La situation n'est pas meilleure sur le plan financier puisque le coût final n'est toujours pas connu. Je rappellerai seulement que la Cour des comptes avait estimé dans son rapport de 2015 que le coût avait quasiment doublé à 430 millions d'euros. Le rapport Weiss, compte tenu des nouveaux problèmes soulevés, évoque un coût total de 493,3 millions d'euros auquel doit être ajouté un coût de fonctionnement lui-même en hausse de 48,1 millions d'euros. En outre, ce coût ne prend pas en compte la rénovation des studios moyens ni les délais intervenus entre la remise du rapport à l'automne 2017 et la mise en oeuvre des recommandations en 2018. Au final, le coût pourrait donc dépasser les 550 millions d'euros et même avoisiner les 600 millions d'euros compte tenu des studios moyens !
C'est une somme très importante qui doit toutefois être ramenée à sa juste proportion puisque le consortium du stade de France a estimé à 450 millions d'euros la rénovation nécessaire afin de moderniser l'enceinte construite pour la coupe du monde de 1998. Ce qui est regrettable, concernant la maison de la radio, c'est surtout l'erreur de jugement qui a consisté à vouloir engager un tel chantier en site occupé en en faisant supporter les conséquences aux salariés... et au contribuable.
Un mot seulement sur ARTE qui poursuit son développement numérique et renforce son positionnement de média européen plurilingue. La baisse des crédits en 2019 présente un double inconvénient : elle implique une baisse équivalente des crédits du partenaire allemand ; mais surtout, puisque les Allemands sont en train de programmer leur budget quadriennal, cette baisse de 2019 pourrait initier une réduction des moyens plus durable pour la chaîne franco-allemande. Je souhaite vivement que le Gouvernement prenne la mesure du mauvais signal qui est envoyé. Arte constitue aujourd'hui un modèle en termes de qualité et d'innovation. Nous ne pouvons comprendre que la France ait moins d'ambition que notre partenaire d'outre-Rhin.
Ce déficit d'ambition est également perceptible sur l'audiovisuel extérieur. Alors que les crédits cumulés de France Médias Monde et de TV5 Monde étaient déjà très inférieurs à ceux dont bénéficie la BBC, ils accusent maintenant un retard croissant sur ceux qui sont prévus pour Deutsche Welle en 2019. Vous avez souhaité, madame la présidente, que nous auditionnions le directeur de l'audiovisuel allemand en janvier prochain. Je crois, effectivement, indispensable que notre commission joue son rôle pour réaffirmer une ambition pour notre audiovisuel extérieur. Une partie de notre avenir se joue en Afrique. Nous devons accompagner le développement et la stabilité du continent et notre diplomatie culturelle peut y contribuer. Et il est regrettable que le Gouvernement se prive d'un des rares instruments disponibles pour atteindre ces objectifs.
J'en viens maintenant au rapprochement entre France 3 et France Bleu sur lequel j'ai souhaité m'attarder particulièrement cette année suite aux travaux menés au printemps dernier avec plusieurs collègues. Je crois que ce projet illustre parfaitement les espoirs, les difficultés et les ambiguïtés de la réforme de l'audiovisuel public.
Les espoirs tout d'abord. J'ai auditionné au printemps l'ensemble des syndicats de Radio France et de France Télévisions. Si des inquiétudes se sont faites jour sur la méthode et sur la façon dont le travail allait s'organiser à l'avenir, je n'ai senti aucune volonté de s'opposer à ce projet qui est perçu comme « faisant sens ».
Le rapprochement entre France 3 et France Bleu se double, en effet, d'une inversion du modèle de France 3. Cette chaîne, aujourd'hui essentiellement nationale, deviendra demain beaucoup plus régionale. L'information régionale qui représente 2 fois 30 minutes quotidiennes doit passer à 2 heures quotidiennes et les programmes inédits quotidiens doivent également doubler. De nombreux programmes communs avec France Bleu sont également envisagés.
La seconde évolution stratégique concerne une offre numérique commune. Le projet prévoit ainsi la création d'un univers numérique commun de la proximité alimenté par les deux réseaux.
Après les espoirs, les difficultés. Elles sont bien réelles. Autant dire qu'avant l'été nous pouvions nourrir de sérieuses inquiétudes sur le projet. Les difficultés à associer radio et télévision dans le cadre de deux organisations aux maillages très dissemblables ont sans doute été sous-estimées. L'annonce au printemps dernier du lancement de matinales communes dès septembre 2018 est vite apparue irréalisable.
Face à la déception qui commençait à apparaître, le projet a clairement été relancé ces dernières semaines avec des équipes en partie renouvelées, notamment chez France Bleu. Un calendrier a été redéfini. Deux matinales expérimentales seront lancées le 7 janvier prochain à Nice et Toulouse. Ces territoires ont été choisis parce qu'ils permettent de concilier les périmètres de France 3 et France Bleu. Des pilotes seront tournés mi-décembre afin de caler le dispositif.
Le concept a également été précisé, il s'agira d'abord pour France 3 de récupérer le signal radio de France Bleu et de l'habiller avec des images. L'identité de France Bleu ne doit pas être menacée. Le projet vise à s'inspirer très précisément des expériences de radio filmée qui réussissent en Belgique et au Canada. L'évaluation de cette expérience aura lieu au printemps 2019 tant sur le plan éditorial que financier.
D'autres projets d'émissions communes sont également en chantier. Notamment une émission politique mensuelle de 52 minutes et des journées thématiques communes.
Je ne peux que saluer la réorientation du projet de rapprochement qui, en se donnant du temps et en commençant par deux expérimentations sur des territoires homothétiques, permet de maximiser les chances de succès.
Je terminerai en évoquant les ambiguïtés qui demeurent fortes. Le rapprochement entre France 3 et France Bleu a été initié d'abord avec l'idée de faire des économies. Or, compte tenu des coûts induits par l'augmentation des programmes locaux et des ajustements techniques, il n'y aura pas d'économies massives. Par contre, l'évolution des méthodes de travail peut permettre des gains de productivité importants. L'évolution du modèle de production devrait également favoriser une meilleure diffusion des programmes sur tous les supports. Par ailleurs, des économies sont aussi envisagées à travers des rapprochements immobiliers comme à Rennes.
La principale ambiguïté concerne précisément le numérique. Avant l'été, lorsque le projet de matinales communes apparaissait compromis, les syndicats avaient indiqué qu'il aurait mieux valu commencer par créer des plateformes numériques communes. Le numérique constitue l'avenir de l'audiovisuel public régional, sans doute davantage que la création de chaînes de télévision locales de plein exercice qui sont très couteuses.
Or, l'expérience de Franceinfo l'a montré, pour s'imposer face à la concurrence, rien ne vaut une marque commune. Or cette hypothèse est aujourd'hui écartée par les deux réseaux qui entendent jalousement préserver leur identité au motif que les Français y seraient attachés... Bien évidemment, ce prétexte illustre d'abord la réticence des encadrements à envisager véritablement un rapprochement. Ce sera une des missions du futur projet de loi de lever ces résistances.
Une marque commune est indispensable pour faire exister cette nouvelle offre aux yeux des Français. La marque France Bleu pourrait à cet égard très bien recouvrir à la fois la radio, les programmes régionaux de France 3 et le numérique. La marque Franceinfo bénéficie également d'une forte légitimité et pourrait donc être envisagée.
Au-delà de cette question d'identification se posera également la question des structures. Comment faire travailler côte à côte dans la durée des personnels avec des statuts et des conditions de travail dissemblables ? Le rapprochement de France Télévisions et de Radio France que votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux doit très clairement apporter des solutions, peut-être à travers la création d'une filiale commune ? Les deux réseaux réfléchissent déjà à la création d'un GIE de moyens qui pourrait constituer une première étape.
Vous l'aurez compris, le rapprochement entre France 3 et France Bleu a connu un démarrage difficile mais le pragmatisme comme l'enthousiasme des équipes ont sans doute permis de dépasser les réflexes de repli et les obstacles techniques. Les personnels, comme les responsables, ont pris conscience de la puissance cumulée des deux médias et de la nécessité d'accélérer sur Internet. Le projet avance et il nous appartient de l'accompagner pour qu'il constitue une vraie chance pour nos territoires.
Madame la présidente, mes chers collègues,
Ce budget de transition n'est pas véritablement satisfaisant compte tenu de ses lacunes et de plusieurs choix contestables. Je ne souhaite pas cependant en faire grief au nouveau ministre de la culture qui n'a pas participé à ces arbitrages et qui a déclaré souhaiter pouvoir s'appuyer sur le Parlement pour préparer le projet de loi de réforme de l'audiovisuel.
Ce budget constitue pour ainsi dire le premier « épisode » d'une série qui nous occupera toute au long de la saison 2019. Il met l'accent sur les économies et oblige les entreprises à faire des efforts sur leur organisation. Nous attendons les prochains « épisodes » qui préciseront, je l'espère, comment maintenir une ambition et réaffirmer des missions. Dans cette attente - et compte tenu de l'amendement déjà adopté par la commission des finances auquel je souscris à titre personnel - je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Un mot également sur l'article 35 du PLF qui suspend l'indexation de la CAP. Comme je l'ai indiqué, je suis favorable à ce que l'audiovisuel public dispose de moyens suffisants pour son développement mais ceux-ci ne doivent pas servir à préserver des structures coûteuses et insuffisamment productives, c'est une critique qui a été faite par la Cour des comptes dans son rapport de 2017 sur la CAP et que je partage concernant les effets pervers de la sur-indexation qui peut intervenir certaines années. Je propose donc de donner un avis favorable à cet article tout en demandant que les entreprises puissent bénéficier à l'avenir de davantage de moyens pour leur développement soit numérique soit international.
M. David Assouline. - Je souscris à beaucoup de choses qui ont été dites concernant la presse. Cette commission s'honorerait à constituer une commission d'enquête sur la situation de Presstalis, comme nous l'avions souhaité. Nous avons besoin de comprendre ce qui s'est passé pour avancer.
Je ne comprends pas que le rapporteur propose de donner un avis favorable alors qu'il déplore la baisse des crédits pour la presse. On devrait fonctionner dans l'autre sens : définir les politiques publiques que l'on veut avant de décider d'une baisse ou, le cas échéant, d'une hausse des crédits. Nous sommes législateur, pas comptable. Or voilà des années que Bercy nous impose ses impératifs d'économies.
Concernant les crédits d'impôt au cinéma : je n'ai pas encore d'écho de la part des collègues de la commission des finances ou de l'Assemblée nationale. Il est vrai que les crédits d'impôt, de manière générale, représentent pour l'État une dépense. C'est donc une forme de subvention, dont il faut suivre les résultats. J'ai milité pour la création des crédits d'impôt en faveur du cinéma, à une époque où de nombreux tournages étaient délocalisés. Le résultat est sans appel : 600 millions d'euros de dépenses et 15 000 emplois en plus sur nos territoires. Dans quel autre secteur a-t-on réussi à susciter la création de 15 000 emplois ? Ces résultats sont par ailleurs vertueux pour nous car ces dépenses et emplois se répartissent très bien sur les territoires : les Hauts-de-France en profitent, l'Occitanie aussi, même s'il est vrai que l'Île- de-France conserve une place privilégiée en raison notamment de ses propres systèmes de soutien. Je veux donc militer pour que nous soyons attentifs et prêts à rejeter toute offensive de l'Assemblée nationale à l'encontre de ces crédits d'impôt.
Sur l'audiovisuel public, je ne comprends pas la position du rapporteur, dont je partage énormément d'observations mais qui conclut avec un avis favorable. La justification de celui-ci serait qu'on ne peut pas faire porter la responsabilité de ce budget sur notre nouveau ministre et qu'il s'agirait là d'un budget de transition. Ce n'est pas possible. On ne fait là qu'obéir aux injonctions de Bercy. Certes, il y avait beaucoup plus à faire en matière de réductions de dépenses, notamment sur les encadrements dont le poids peut affecter le reste des personnels. Mais même là, les baisses doivent servir à quelque chose. Il n'est pas possible de mettre fin à la filière jeunesse et animation en supprimant la diffusion hertzienne de France 4, de porter un coup à la diversité en supprimant celle de France Ô, de dire qu'on ne pourra plus s'offrir de sport, événement fédérateur. Alors que l'audiovisuel public a été un sujet de consensus depuis dix ans quels que soient les gouvernements, je trouve ce budget irresponsable.
M. Bruno Retailleau. - Nous suivrons l'avis du rapporteur sur l'audiovisuel public. Deux points peuvent toutefois engendrer des divergences. D'abord, nous soutiendrons l'amendement porté par Roger Karoutchi au nom de la commission des finances pour abonder le budget de France Médias Monde et celui d'Arte. C'est important pour la présence de la France dans le monde. Ensuite, contrairement à David Assouline, l'audiovisuel public ne relève pas pour nous d'une religion : nous sommes républicains, et nous souscrivons à l'idée d'une désindexation de la contribution à l'audiovisuel public. Nous l'assumons car nous voulons protéger le pouvoir d'achat des Français.
Mme Dominique Vérien. - Le budget de l'audiovisuel public est effectivement un budget de transition. Baisser les dotations de toutes les sociétés de l'audiovisuel public est injuste et il n'est pas normal que France Médias Monde soit traité de la même manière que les autres sociétés. Nous suivrons donc l'amendement de M. Karoutchi.
J'élargirai mon propos sur France Médias Monde à l'AFP car les deux entités jouent également un rôle de rayonnement de la culture française et de diffusion d'un regard français sur l'actualité. Je sais que des discussions sont en cours entre l'AFD et France Médias Monde pour un financement à hauteur de sept millions d'euros, et j'espère qu'elles vont aboutir.
Les projets concernant France Télévisions avancent, mais on a plus de doutes concernant le choix de supprimer France 4 et la diffusion hertzienne de France Ô, notamment vis-à-vis de la diffusion du sport féminin qui était assurée par la première.
Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle c'est en connaissant le projet de fond qu'on pourrait bien réfléchir aux crédits nécessaires. Nous voterons donc plus sur ce budget comme un budget d'attente que de transition : attente d'un projet, attente de valorisation de la culture française.
M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits « Presse et Médias ». - La situation de la presse en France demeure critique. En 2009, sept milliards d'exemplaires étaient vendus chaque année. En 2017, moins de quatre milliards. C'est dire l'ampleur des défis auxquels tous les acteurs de la filière sont confrontés. Cette baisse frappe de manière différente les canaux de diffusion, avec une division par deux des réseaux de vente et les familles de presse. La presse d'information politique et générale (IPG) qui est la plus touchée.
Le programme 180 « Presse et Médias » ne représente avec ses 113 millions d'euros qu'un peu plus de 20 % des aides attribuées, qui se composent essentiellement d'exonérations fiscales et sociales. On peut y ajouter le montant prévu sur le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » pour la compensation versée à La Poste, soit 103,8 millions d'euros, pour parvenir à environ 40 % du soutien au secteur et 217,2 millions d'euros. Les crédits s'inscrivent en baisse de 6 % en 2019 et c'est la diffusion qui supporte cette diminution.
En effet, les aides au pluralisme restent stables et l'aide postale, comme convenu dans le contrat passé avec l'État, baisse de 6,9 %. C'est l'aide au portage qui accuse la plus forte contraction, avec 5 M€ de moins.
Contrairement à ce qu'a pu nous indiquer le ministre à l'occasion de son audition le 14 novembre dernier, cette diminution de 15 % est très supérieure à celle de la diffusion, qui régresse en moyenne de 2 à 3 % par année depuis 10 ans. Elle pourrait se cumuler en 2019 avec la non compensation de la suppression du CICE pour 4 millions d'euros, si l'amendement que, avec l'aide de beaucoup d'entre vous, j'ai fait adopter mercredi dernier dans le PLFSS n'était finalement pas adopté. Cette baisse d'un vecteur de diffusion privilégié par la presse régionale ne s'explique donc pas vraiment par autre chose qu'une logique budgétaire, même s'il faut se souvenir que l'aide au portage a beaucoup augmenté depuis 2008.
Je vais maintenant évoquer la situation de Presstalis.
En effet, les très rares marges de manoeuvre du programme ont été intégralement absorbées par le sauvetage de cette société.
Le seul mouvement notable de crédit est la division par deux, avec 9 M€, du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), au bénéfice de Presstalis. Ce fonds permet à des projets innovants et d'avenir de trouver des financements. Il s'agit là, vous en conviendrez, d'une curieuse manière de répondre aux défis posés par le numérique. Presstalis bénéficie par ailleurs d'un prêt de 90 millions d'euros de l'État, déblocable par tranches, et du soutien « volontaire » des éditeurs.
La situation de Presstalis, qui a fait l'objet de pas moins de sept auditions l'année dernière devant notre commission, est en effet préoccupante.
Elle a été révélée en fin d'année dernière, avec un trou dans les comptes de 37 millions d'euros, très supérieur à ce qui était anticipé. Le déficit d'exploitation de la messagerie n'a jamais été positif. Les fonds propres, qui s'établissaient à - 65 M€ en 2010, se sont creusés, depuis, de 40 M€ par an, pour s'établir en 2017 à - 358 M€. En dépit de réformes impulsées par certains de nos collègues - je pense notamment à David Assouline - la société ne tient que grâce à des aides de l'Etat.
Les raisons de cette situation, que j'analyse en détail dans le rapport écrit, sont multiples.
La baisse des ventes n'est qu'un élément parmi d'autres. Il faut surtout y voir la succession de choix hasardeux et d'échecs coûteux. Ainsi, les plans sociaux successifs ont coûté plus de 150 millions d'euros. Les barèmes ne couvrent pas les coûts, et des initiatives lancées par les précédentes directions n'ont jamais porté leur fruit : les nouveaux systèmes d'information, la refonte de l'organisation logistique, la diversification dans le numérique etc...
Le plan de redressement est porté par la nouvelle Présidente, que nous avons auditionnée ici-même. Du côté des charges, il se déroule à peu près suivant le calendrier convenu, avec le départ de 240 salariés et la vente de 11 des 17 dépôts, qui concentrent le déficit.
Les inquiétudes portent plutôt sur le chiffre d'affaires. Les relations sont conflictuelles avec le grand concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (les MLP), et les éditeurs, échaudés, se méfient et hésitent à s'engager sur le long terme.
Le rapport remis par Marc Schwartz à la ministre en juin dernier vise en partie à répondre à cette crise.
Il part du constat que la France se caractérise par une profusion de journaux, comme vous le voyez, à un niveau très supérieur aux autres pays, mais pas par un plus grand nombre de lecteurs, d'où la très faible rentabilité de titres qui, pour une bonne partie, sont en réalité de faible qualité. L'opinion des auteurs du rapport est que cette surproduction est massivement encouragée par le système de diffusion issu de la loi Bichet.
Les solutions apportées sont un véritable « big bang » et signent la fin si ce n'est de l'esprit, au moins de la lettre de la loi Bichet de 1947. Le ministre ne s'est pas encore prononcé formellement dessus. Il serait ainsi mis un terme au statut coopératif obligatoire, au profit de sociétés agréées. Les éditeurs bénéficieraient d'un droit « absolu » à être distribué pour les titres d'information politique et générale (IPG), et d'un droit négocié pour les autres titres. Cela permettrait de mieux régler la question des approvisionnements des points de vente. Enfin, il serait mis fin à l'autorégulation du secteur, qui serait désormais contrôlé par l'ARCEP. Nous sommes maintenant dans l'attente de la position du gouvernement sur ces propositions, et il nous faudra le moment venu nous saisir de ce projet de loi, avec comme optique d'apporter enfin une solution pérenne qui nous garantisse que, tous les trois ou quatre ans, une nouvelle crise et une nouvelle révision de la loi Bichet n'occupe pas l'agenda.
J'en viens maintenant aux kiosques numériques. J'ai organisé une table ronde avec leurs représentants pour essayer de comprendre leur modèle économique et les perspectives qu'ils offrent à la presse.
En effet, si nous sommes tous conscients des dangers du numérique pour le secteur de la presse, il constitue également une très belle opportunité.
La diffusion de la presse quotidienne baisse de manière continue. Cependant, on constate que la part de la diffusion numérique a pour sa part été multipliée par 10 entre 2011 et 2017. Elle a presque compensé les baisses combinées du portage et de l'abonnement postal.
Il n'est pas possible de disposer de la part des kiosques et des abonnements. Les éditeurs rencontrés nous ont indiqué que leur impact était cependant majeur depuis 2016.
Près d'un million de personnes utilisent désormais un kiosque numérique, majoritairement avec la formule du forfait. Il s'agit donc d'un mode de diffusion innovant, mais différent : les éditeurs doivent aussi y trouver leur compte. La distribution est pour eux d'un coût quasiment nul - il suffit d'envoyer un pdf -, mais ils doivent nouer des relations financières satisfaisantes avec les kiosques.
Il faut également voir deux grands avantages à cette diffusion, en ces temps marqués par les fausses informations : les informations ne sont pas filtrées a priori par un algorithme, puisque c'est le journal en intégralité qui est disponible et il s'agit d'une information payante et acquittée par le lecteur, soit une très profonde différence avec l'information disponible en ligne.
Toute proportion gardée donc, le développement des kiosques numériques ressemble un peu à ce qu'a connu la musique avec le streaming. Il reste à voir s'ils pourront trouver un équilibre économique et offrir aux journaux un relai de croissance.
La situation de l'Agence France-Presse, que je vais évoquer maintenant, est complexe, comme l'audition de son nouveau Président devant notre commission le 3 octobre dernier l'a confirmé.
Tout d'abord, son élection a été marquée par une intervention de l'État que l'on peut qualifier de tardive - le matin même du vote - et brouillonne, au-delà de son poids au Conseil d'administration. Si l'État est intervenu de si près, il est en revanche trop peu présent dans la définition d'une réelle volonté stratégique. Les trois tutelles, Culture, Bercy et Affaires étrangères, comme le souligne la Cour des comptes, ont du mal à s'entendre sur ce qu'elles souhaitent pour l'Agence. Enfin, le statut de l'Agence apparait aujourd'hui comme un frein à son développement. Là encore, aucune réponse n'est apportée pour l'instant.
Cette absence de vision est particulièrement problématique car l'Agence est confrontée aujourd'hui à des défis d'ampleur. Son résultat net est négatif, ses revenus connaissent une érosion continue et le soutien public, qui augmente pourtant de 2 millions d'euros cette année, ne pourra pas croitre au cours des années à venir. Cette situation n'est pas exclusive à l'Agence, elle est celle de toute la presse. Ainsi, la part des revenus issue des journaux, aujourd'hui de 32 %, a tendance à baisser, certaines publications n'ayant plus les moyens de s'abonner.
Le nouveau président souhaite accroitre la part de l'image, et soumis à forte contrainte budgétaire, a conçu un plan de départ de 125 personnes et des embauches dans ce secteur pour 35 personnes. Cet axe fort, qui parait par ailleurs tout à fait judicieux, ne doit cependant pas se faire au détriment de la qualité du travail éditorial, qui passe par le texte, comme me l'ont fait remarquer les syndicats de l'Agence que j'ai reçus la semaine dernière.
Il n'est pas certain qu'il existe aujourd'hui un modèle de développement viable pour une agence comme l'AFP. Ses grandes concurrentes de taille mondiale, AP et Reuters, dont les comptes ne sont pas publiés, traversent les mêmes difficultés, mais sont intégrés dans de très grands groupes ou bénéficient du soutien au moins implicite d'État qui y voient un élément d'une politique d'influence. Il faudra donc suivre avec attention les projets du nouveau Président.
Dernier point de mon propos, les projets européens de création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse.
Les éditeurs ne captent aujourd'hui que 13 % de la valeur générée par leurs publications sur internet. La Commission a proposé une nouvelle directive, dont l'article 11 permettrait aux éditeurs de mieux faire valoir leurs droits face à l'utilisation de leur production. Les négociations sont longues et complexes : le Parlement européen a une première fois rejeté le texte le 25 juillet, avant de finalement l'accepter le 12 septembre. Les États sont en cours de négociation, et le ministre nous a fait part de sa volonté d'aller vite sur ce dossier.
Deux remarques cependant. D'une part, si des droits voisins sont une solution séduisante, ils ne résoudront pas d'un coup la crise du secteur. Au mieux, ils créeront un cadre de discussion plus acceptable avec les grandes plateformes. D'autre part, l'opposition aux droits voisins n'est pas l'apanage de Google et autres, mais également de certains États qui craignent qu'ils ne contribuent à « figer » le marché au profit des plus grands éditeurs. Les représentants de la presse en ligne que j'ai reçus n'y étaient d'ailleurs pas favorables, car ils voient les risques de détournement. Il s'agit d'un sujet dont nous aurons l'occasion de largement reparler quand se présentera la transposition de la directive.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180.
Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits « Livre et industries culturelles ». - Les industries culturelles rassemblées dans le programme 334 regroupent un grand nombre de secteurs.
Le cinéma, la musique, le jeu vidéo, la lecture sont autant de secteurs qui contribuent au bien être de la population, mais sont également des acteurs économiques de premier plan, avec un chiffre d'affaires supérieur à 15 milliards d'euros et des dizaines de milliers d'emplois.
Le programme 334 comporte 268,7 millions d'euros, en baisse de 0,7 % à périmètre constant. Il convient d'y ajouter les 680 M€ de taxes affectées au CNC, 382 M€ de crédits d'impôt et 88,4M€ pour les bibliothèques, soit plus de 1,3 milliard d'euros de soutien.
Je vais commencer en évoquant le cinéma.
Le financement d'un film mobilise, comme vous pouvez le voir, un grand nombre d'acteurs et des moyens très importants, de quelques millions d'euros à des dizaines de millions pour les plus grosses productions. 56 % de ces financements reposent sur la puissance publique, par le biais des aides ou du cadre mis en place. On distingue donc les aides directes du Centre national du cinéma et de l'image animé (CNC), le financement par les chaînes de télévision, et enfin les crédits d'impôt. Ces trois piliers sont aujourd'hui soumis à des trajectoires complexes.
En ce qui concerne le CNC, le montant des taxes affectées reste stable à 680 millions d'euros. Cependant, le montant des réserves de l'organisme étant en nette baisse, il ne sera plus possible comme les années précédentes de puiser dedans. Les aides devraient donc baisser de 30 millions d'euros en 2019. Le CNC préfère faire porter l'essentiel de cette baisse sur la production audiovisuelle, avec à la clé une réforme des mécanismes de soutien dans un sens plus qualitatif, d'où des protestations des présidents des chaînes privées.
Les chaînes de télévision, pour leur part, sont les principaux financeurs, avec 36,6 % des films de cinéma et beaucoup plus pour leurs propres productions.
Elles sont durement touchées par la baisse de leurs ressources publicitaires, pour les chaînes privées, par la baisse des dotations, pour les chaînes publiques et par les incertitudes sur son modèle pour Canal Plus. Tout cela contribue à fragiliser cet écosystème. Cependant, la signature de l'accord entre Canal Plus et les organisations de cinéma, le 6 novembre dernier, apparait comme une éclaircie, car elle ouvre enfin, après six ans de négociation, la voie à la signature de la nouvelle chronologie des médias.
Enfin, il faut souligner que le cinéma et l'audiovisuel bénéficient de crédits d'impôt, rénovés et renforcés en 2016, pour un montant de 327 millions d'euros en 2019. Nous y sommes tous profondément attachés, car ils ont montré leur efficacité. Face à la volonté de certains de nos collègues de les remettre en cause, il faut d'une part rappeler que tous les grands pays de cinéma disposent de mécanismes comparables, d'autre part rappeler les évaluations toutes convergentes sur leurs effets positifs. Ainsi, les dépenses annuelles de tournage en France ont augmenté de 639 M€ depuis la réforme, avec 15 000 emplois générés. De plus, avant la réforme, 27 % des tournages de films agréés se déroulaient à l'étranger, contre 12 % aujourd'hui. Il me parait primordial aujourd'hui d'afficher notre unité, notamment quand viendra le moment du renouvellement de ces crédits d'impôt. Je suis personnellement très favorable à une pérennisation sur longue période, qui permettra justement de marquer l'attractivité du secteur.
L'impact de ces soutiens est visible dans la vivacité de la production française. Nos films représentent maintenant la moitié des sorties en salle, en hausse constante depuis 2008. Si le cinéma américain, avec une part inférieure, réalise toujours près de la moitié des entrées, la diversité de nos productions qui rassemble un large public parmi les 200 millions de spectateurs annuels, est un atout incomparable pour la France.
J'en viens maintenant à mon second point, la musique et le jeu vidéo qui sont, en France, des secteurs d'excellence.
Ces deux secteurs ont été très tôt impactés par la révolution du numérique, et ont failli disparaitre, victimes du piratage. Aujourd'hui, ils ont su se réinventer et trouver des voies de développement prometteuses.
Ainsi la musique, dont le chiffre d'affaires avait été divisé par trois en treize ans, redresse la tête, avec une hausse certes lente, mais continue de ses revenus. La musique enregistrée est maintenant principalement écoutée sous forme de streaming, avec des plateformes comme Spotify ou Deezer. Si beaucoup reste à faire sur les modalités de rémunération des artistes, on doit se féliciter que les consommateurs aient repris l'habitude de payer pour écouter des morceaux. La musique bénéficie d'un crédit d'impôt pour environ 10 millions d'euros. Il est comme pour le cinéma, d'une grande efficacité prouvée, et doit absolument être défendu par notre commission.
Le jeu vidéo s'impose comme la deuxième industrie culturelle après l'édition, mais devant le cinéma et la musique. Les ventes ont atteint en France 4,3 milliards d'euros en 2017, si on inclut le matériel.
Les usages des Français ont évolué : naguère réservé à un jeune public et à quelques passionnés, le jeu vidéo séduit maintenant une majorité de la population, avec notamment le jeu sur mobile, et presque à parité, ce qui est une satisfaction pour moi. Je ne peux pas oublier de mentionner le rapport pionnier de nos deux collègues André Gattolin et Bruno Retailleau qui, dès 2013, avaient anticipé en bonne partie ce succès et proposé des pistes novatrices.
La France bénéficie d'une position enviable dans le monde, et de quelques acteurs de rang mondial comme UBISOFT. Le jeu vidéo bénéficie d'un crédit d'impôt d'un montant élevé de 45 millions d'euros, en constante progression ces dernières années, ce qui montre son attractivité. Une évaluation de ce jeune dispositif a été confiée au CNC, qui devra rendre ses conclusions en 2019.
Je vais maintenant évoquer la question des auteurs et du soutien au livre.
L'édition en France se porte bien : plus de 47 000 nouveautés sont éditées chaque année. Pourtant, ce chiffre signifie aussi que près de 200 livres sortent chaque jour, ce que le marché ne semble pas pouvoir absorber, avec des tirages moyens qui baissent année après année. Cela a un impact très direct sur les auteurs, qui ont de plus en plus de difficultés à vivre de leur art.
Nous avons eu, avec la présidente et Sylvie Robert, un débat en séance la semaine dernière avec la Ministre des solidarités et de la santé. Nous avons été obligés, pour la deuxième année, de faire adopter un amendement au projet de loi finances de la sécurité sociale (PLFSS) afin de prévoir le simple remboursement aux auteurs en 2018 de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) qui ne leur a pas été compensée. Je précise que les crédits sont bien inscrits, pour 18 millions d'euros, depuis l'année dernière, et un décret est paru en mai. Or, aujourd'hui, il ne s'est toujours rien passé, même s'il faut donner acte à la ministre de ses engagements. Cela se surajoute aux difficultés rencontrées par cette profession, qui souffre en réalité de n'être jamais traitée à part, et ce sur tous les sujets : TVA, prélèvement à la source etc.. Même si ces thématiques dépendent de nos collègues des affaires sociales, il faudra que nous soyons en mesure de suivre ce dossier avec attention et, comme en séance publique l'autre jour, de rappeler au gouvernement ses engagements et ses obligations.
Il faut se féliciter de la densité du réseau en France, avec 5 000 librairies spécialisées qui réalisent 22 % des ventes. Les librairies bénéficient de soutien de l'État, et des collectivités territoriales. Comme élus, nous connaissons tous l'importance d'une librairie pour la vie locale. Le soutien aux librairies passe pour beaucoup par le Centre national du livre (CNL). Nous nous inquiétions l'année dernière de ce que je qualifiais de « lent étiolement » du CNL. En effet, les deux taxes qui lui sont affectées connaissaient une décrue irréversible. En 2019, heureuse réponse à nos craintes, elles sont supprimées, et remplacées par des dotations, pour un montant de 23,7 millions d'euros qui lui permettra de poursuivre ses missions.
À côté du réseau des librairies, la France dispose d'un vaste réseau de bibliothèques, très soutenu par les collectivités territoriales. Il a été « dynamisé » par deux rapports, celui de Sylvie Robert en 2012, et plus récemment d'Erik Orsenna et Noël Corbin, que nous avons auditionnés en commission le 21 mars dernier. Il reste beaucoup à faire pour étudier la faisabilité de certaines propositions, comme l'ouverture de lieux le dimanche, mais le premier effet positif s'est déjà fait sentir : les soutiens de l'État, en particulier à travers la dotation générale de décentralisation (DGD), ont été augmentés de 8 M€ en 2018 et s'établissent maintenant à 88,4 millions d'euros. Le Ministre a même annoncé une « rallonge » de 2 millions d'euros. Je l'ai interrogé sur ce point lors de son audition la semaine dernière, en soulignant que ces crédits n'apparaissaient nulle part, et il nous a été répondu qu'ils seraient dégagés « en gestion ». Cette réponse n'est ni satisfaisante, ni respectueuse de l'autorisation parlementaire, qui constitue juridiquement un plafond de dépense. Elle laisse en tout cas dans l'idée que le ministère disposerait en cours d'année de marges de manoeuvre importantes, ce que nous n'avions pas perçu jusque-là.
La Bibliothèque nationale de France maintenant (BnF) concentre à elle-seule les deux tiers des crédits du programme, avec 207,9 M€. La hausse n'est qu'apparente, à périmètre constant, les moyens restent identiques.
La vraie interrogation porte sur le fonctionnement du futur ensemble de 30 000 m² : à ce stade, aucun crédit de fonctionnement n'a été prévu, ce qui est préoccupant. Il faudra donc s'assurer que dans les années à venir, les conditions d'accueil du public et donc les personnels soient assez présents pour être à la hauteur des lieux.
Enfin, je vais évoquer la lutte nécessaire contre le piratage.
Selon une étude récente, le piratage représenterait en 2017 en France 1,15 milliard d'euros. Ce chiffre est très important. Il correspond au double des aides du CNC, à trois fois les crédits d'impôt, et à cinq fois les investissements de Canal Plus. Résoudre, même partiellement, la question du piratage, c'est répondre en grande partie aux inquiétudes du milieu du cinéma.
Nous avons auditionné le président de la Hadopi en commission, Denis Rapone le 30 mai dernier. Il nous a exposé ses projets d'évolution de la législation : établissement d'une « liste noire », adaptation de la réponse graduée. Tout cela devrait trouver sa place dans la future loi audiovisuelle. La signature prochaine de la chronologie des médias, en rendant toujours disponible une solution légale pour le visionnage d'une oeuvre, pourrait permettre de limiter de fléau.
Il faut enfin mentionner les négociations européennes en cours sur l'article 13 de la directive sur les droits d'auteur. Les négociations sont longues et complexes, il s'agit de contraindre les plateformes à assumer leurs responsabilités en passant des accords de licence ou en filtrant mieux les contenus illégaux. Là encore, les mesures de transposition devront intervenir rapidement.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme.
Mme Colette Mélot. - Ce budget contient des améliorations notables s'agissant de la presse et du livre ; par le biais du conseil national du livre, le secteur bénéficiera d'une vraie dotation, ce qui est une bonne chose.
L'année 2019 sera décisive pour l'audiovisuel et ce budget est assurément celui d'une transition. Il convient que nous nous mobilisions sur ce sujet et que nous demeurions attentifs quant à la réforme à venir.
Le groupe des indépendants est par ailleurs favorable à l'amendement de notre collègue Roger Karoutchi au nom de la commission des finances.
M. Laurent Lafon. - Nous partageons l'avis du rapporteur sur les aides à la presse, dont nous attendons avec impatience la réforme, que nous souhaitons profonde et structurelle.
La situation de Presstalis est devenue intenable et aberrante, si l'on songe que l'on prélève 9 millions d'euros pour la renflouer du fonds stratégique pour le développement de la presse, dont les crédits sont destinés à financier l'innovation et la transition du secteur.
Je regrette la baisse de 5 millions d'euros des aides au portage, qui me semblent constituer dans cette phase de transition une aide nécessaire. La disparition des kiosques de nos villes est mal vécue, aussi cette mesure ne va pas dans le bon sens.
M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaiterais vous faire remarquer, mes chers collègues, les résultats exceptionnels obtenus en 2017 par France Culture, tant en audience cumulée qu'en téléchargement de podcasts : plus de 20 millions de podcasts téléchargés par mois, soit une hausse de 29 %. Ces émissions téléchargeables sur Internet participent aussi du rayonnement de notre pays et de la diffusion de nos valeurs. Dans un pays qui interdit l'athéisme, écouter une émission de France Culture sur la laïcité est comparable à l'écoute de Radio Londres pendant l'Occupation. Or, quand les agents fournissent un travail de qualité, qui se traduit par une telle diffusion, on pourrait attendre d'un budget qu'il soutienne leurs efforts. Ce budget ne le fait pas et nourrit une certaine incompréhension.
Un budget est l'affirmation comptable d'une volonté politique. Nous avons longuement débattu des fausses nouvelles et des moyens de les combattre : comme à cette occasion, je ne peux dire qu'il y a des limites à la duplicité. On ne peut pas affirmer qu'il faut lutter contre les fausses nouvelles et, concomitamment, réduire les moyens des institutions qui font ce travail.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - En l'absence de notre rapporteur, je ne peux répondre à vos questions. Permettez-moi toutefois de rebondir sur la question de l'arrêt de la diffusion de France 4 sur la TNT. J'avais proposé un moratoire sur la fin de sa diffusion, car j'estimais que cette annonce isolée et désordonnée contrariait la réflexion globale qu'il convient de mener sur l'avenir de l'audiovisuel public. Le sondage que nous avions commandé à l'occasion de notre colloque sur l'avenir de l'audiovisuel public indiquait que 70 % des Français y étaient opposés. Au-delà de la chaîne, c'est l'avenir de toute une filière de production qui est en jeu.
J'ai senti que le ministre n'était pas très à l'aise sur ce sujet, s'agissant d'une décision intervenue avant sa prise de fonctions. Nous devons réfléchir aux modalités de notre action.
Je rappelle que notre commission doit donner un avis global sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi qu'au compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » et à l'article 35 du projet de loi de finances.
Mme Sonia de la Provôté. - Si je comprends bien, l'avis favorable que nous souhaitons émettre dépend de l'adoption d'un amendement en séance publique. Je m'abstiendrai donc s'agissant des crédits de la mission.
M. David Assouline. - Nous refusons la logique de prendre à l'un pour donner à l'autre, à laquelle obéit l'amendement de notre collègue Roger Karoutchi ; prendre à Radio France et à France Télévisions ne nous convient pas.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public ».
La commission donne un avis favorable à l'adoption de l'article 35 du projet de loi de finances pour 2019.
La réunion est close à 12 h 30.
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Crédits « Sport » et « Jeunesse et vie associative » - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre ordre du jour appelle la présentation de nos deux rapporteurs pour avis des crédits 2019 de la mission « sport, jeunesse et vie associative ».
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits du sport. - Le ministère des sports est probablement celui qui a connu le plus de bouleversements depuis deux ans. Cette mutation est d'autant plus profonde qu'elle est soudaine et que ses conséquences restent encore largement méconnues ou mal identifiées. Il me semble donc indispensable de remettre les différents aspects de ces changements en perspective, pour en apprécier l'importance et mieux évaluer leur pertinence.
Nous pensions l'année dernière avoir assisté à une transformation majeure avec la redéfinition des missions et des moyens respectifs du Centre national pour le développement du sport (CNDS) et du budget du sport. Le CNDS avait vu ses recettes fiscales divisées par deux à 133,4 millions d'euros tandis que les crédits du programme 219 augmentaient fortement à 348,23 millions d'euros en crédits de paiement au profit des dépenses d'intervention. Cette hausse avait bénéficié essentiellement aux dépenses de l'action n° 1 de « promotion du sport pour le plus grand nombre » et de l'action n° 2 de « développement du sport de haut niveau ».
Face à notre inquiétude concernant les engagements du CNDS, une enveloppe supplémentaire avait été prévue dans le Projet de loi de finances rectificative (PLFR), ce qui avait permis de stabiliser les crédits du sport. Pour autant, je m'étais interrogé sur l'avenir du CNDS et du financement des projets engagés en 2019 et 2020. Une rebudgétisation totale du CNDS et un changement de nom étaient évoqués. Si je reviens sur ce débat de l'année dernière, c'est que les changements annoncés cette année sont encore plus considérables que ceux initiés par le Projet de loi de finances (PLF) 2018. C'est l'organisation même de la politique du sport et le rôle de ses acteurs respectifs qui vont être profondément redéfinis suite à la consultation menée depuis janvier 2018 sur la rénovation du modèle sportif français. Différentes réflexions ont, par ailleurs, été conduites ces derniers mois, je pense notamment au groupe de travail de Claude Onesta, ancien sélectionneur et entraîneur de l'équipe de France de handball, « Performance 2024 »
L'annonce de la suppression du CNDS, ou plutôt de son intégration dans la future Agence nationale du sport qui sera créée au premier semestre 2019, constitue le fait majeur de ce débat budgétaire. Cette agence doit fonctionner sur un mode quadripartite associant l'État, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et le monde économique.
Je regrette que les commissions en charge du sport des deux assemblées n'aient pas été véritablement associées à cette réflexion alors même que nous sommes membres invités du conseil d'administration du CNDS avec voix consultative. Nous aurions pu poser des questions sur le fonctionnement opérationnel de la nouvelle agence qui reste très peu précis à ce stade. Je pense notamment au fonctionnement des commissions régionales de financement et à la façon dont les collectivités territoriales et les entreprises seront associées, mais aussi à l'articulation entre l'agence et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) qui ne sont pas clairs.
Je vous rappelle que les missions confiées à cette agence seront vastes puisqu'il lui reviendra d'assurer une cohérence stratégique entre les niveaux nationaux et locaux ; d'améliorer l'évaluation des performances des fédérations dans la détection et la formation des athlètes à fort potentiel ; de mobiliser des professionnels de soutien de très haut niveau ; de rattraper notre retard en matière de veille, de recherche et d'innovation ; d'attirer les meilleurs entraîneurs alors que cinquante d'entre eux travaillent désormais auprès d'équipes étrangères et de mobiliser les startups du monde du sport.
La création de cette agence, qui ne sera effective qu'en mars 2019, a suscité de nombreuses interrogations et inquiétudes, notamment de la part des fédérations.
Ces inquiétudes n'ont pas été apaisées par l'annonce du Gouvernement selon laquelle l'État ne rémunérera plus directement quelques 1 600 conseillers techniques sportifs (CTS). Même si cette évolution n'est pas prévue dans le présent PLF, la réaction a été vive dans le mouvement sportif comme en témoigne la lettre ouverte aux élus signée par près de 400 sportifs de haut niveau. La mobilisation a été d'autant plus forte que la réduction drastique des contrats aidés et la suppression de nombreux emplois associatifs a aussi fragilisé et va encore plus fragiliser dans l'avenir notre maillage territorial des clubs.
L'absence de moyens nouveaux suffisants pour préparer les sportifs de haut niveau pour 2024 a aussi créé un doute sur les ambitions du Gouvernement. Même le Président du Comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques de Paris (COJOP), Tony Estanguet, malgré son devoir de réserve, a fait part de ses préoccupations, rejoignant celles du mouvement sportif.
Pour autant, nous avons bien conscience de la nécessité d'actualiser, de moderniser le modèle sportif français, en intégrant le phénomène de mondialisation, l'hypermédiatisation, la diplomatie sportive. Il est urgent d'avancer afin de répondre à l'explosion du sport-business dans certaines disciplines, à la montée en puissance des collectivités territoriales, à la nécessité de densifier le sport-entreprise, en associant le monde économique, à la responsabilisation attendue du mouvement sportif, à la mise en oeuvre d'une stratégie en matière de sport-santé et aux opportunités offertes par les évolutions technologiques impactant tant l'activité physique du quotidien que le sport de haut niveau.
Plus généralement, le sport doit contribuer à l'activité économique, à l'emploi et à une société plus inclusive ; ce qui implique de moderniser la mission de service public déléguée par l'État. Dans le nouveau schéma d'organisation il est prévu que les services du ministère recentrent leur action sur les missions de stratégie, de régulation, de réglementation et de contrôle, notamment éthique. La réussite de cette mutation se mesurera à l'aune des résultats des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Nous devons être à la hauteur de l'enjeu tant pour l'organisation que pour le nombre de médailles. Nous avons une double obligation de résultat.
Avec la tenue des Jeux olympiques et paralympiques à Paris, l'occasion est belle de s'atteler à optimiser la haute performance du sport français au XXIe siècle. Depuis les Jeux olympiques de Séoul en 1988, la France s'est toujours classée parmi les dix nations ayant obtenu le plus grand nombre de médailles, oscillant entre une cinquième place en 1996 et une dixième en 2008.
Mais depuis les Jeux olympiques d'Atlanta de 1996, elle ne parvient pas à faire partie du « Top 5 » ; son ambition à chaque édition. Et elle ne vise jamais le « Top 3 », qui correspondrait pour 2024 à l'objectif de quatre-vingt médailles, exprimé par Laura Flessel, l'ex-ministre des sports, et confirmé le vendredi 16 novembre par Roxana Maracineanu, l'actuelle ministre.
J'avais proposé l'année dernière au Gouvernement de mettre en chantier rapidement une loi de programmation budgétaire pour préparer les Jeux olympiques et paralympiques au cours de la période 2019-2024, ainsi que la Coupe du monde de rugby de 2023. Faute de pouvoir disposer de cet outil qui sanctuariserait les moyens nécessaires à l'organisation de ces grands événements, le risque est grand que la baisse des crédits du programme 219, après des ajustements, soit perçue comme un transfert de crédits vers le programme 350 ; ce qui pourrait nuire à ce grand événement populaire que doivent être les Jeux olympiques et paralympiques.
Si ce sentiment est en train de devenir quelque peu réalité et que ce budget a été décrié, c'est aussi parce que le Gouvernement n'a pas pris la précaution d'isoler les crédits de la société de livraison des équipements olympiques (SOLIDEO) du reste des crédits du ministère du sport comme l'aurait souhaité également le délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, Jean Castex.
Du coup, non seulement les crédits du ministère apparaissent en baisse à 319 millions d'euros en 2019 contre 347 millions d'euros en 2018 mais, surtout, les crédits de l'action n° 1 « promotion du sport pour le plus grand nombre » chutent de 40 millions d'euros - passant de 89 millions d'euros en 2018 à 49,4 millions d'euros en 2019 - tandis que les crédits consacrés à la SOLIDEO dans le programme 350 augmentent de plus de 17 millions d'euros.
Permettez-moi à cet égard de rétablir la vérité des chiffres pour que nous puissions porter un regard objectif sur ce budget très médiatisé. À structure constante, c'est-à-dire avant transfert de crédits à la nouvelle agence du sport, le montant du programme 219, en retrait par rapport à 2018, s'explique à la fois par une baisse de 39 millions des crédits de l'action n° 1 du fait de l'évolution tendancielle des compensations auprès de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) des exonérations de charges sociales sur la rémunération des arbitres et juges sportifs. Ce montant s'explique également par des moyens nouveaux, à hauteur de 40 millions d'euros, prévus pour la nouvelle agence du sport, par la remise à niveau des dotations consacrées aux travaux d'investissement et de rénovation de la partie Sud de l'INSEP, soit une baisse de 2,33 millions d'euros en crédits de paiement, - la réalisation des travaux programmés les plus importants impliquant une baisse de 1,43 million d'euros en crédits de paiement -, et par l'ajustement aux besoins réels et à une programmation pluriannuelle des principaux dispositifs opérationnels transférés au programme 219 en 2018. Ainsi, les moyens dédiés aux grands événements sportifs internationaux (GESI) baissent de 16 millions d'euros en crédits de paiement, alors que la France doit accueillir la coupe de monde de football féminin en 2019, et ceux consacrés au soutien aux équipements structurants nationaux baissent de 6,74 millions d'euros en crédits de paiement. Enfin, d'autres dispositifs font également l'objet d'ajustements comme la prise en charge des cotisations de retraite des sportifs de hauts niveau - baisse de 1,2 million d'euros en crédits de paiement - ainsi que les aides personnalisées versées aux sportifs de haut niveau, soit une baisse de 1,27 million d'euros en crédits de paiement.
Compte tenu de ces ajustements, la ministre des sports évoque un budget « préservé » et elle revendique une « démarche de budgétisation sincère visant à mieux mettre en adéquation les moyens et les besoins ».
Je retiens pour ma part deux évolutions significatives : d'une part, la nouvelle agence du sport bénéficiera en 2019 d'un budget évalué à près de 350 millions d'euros, au lieu des 400 millions euros arrêtés par la concertation, qui intégrera les subventions accordées par le ministère des sports au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), et au Comité paralympique et sportif français (CPSF). Près de 70 % des moyens d'intervention de cette agence seront dédiés au développement des pratiques. L'enveloppe destinée à la haute performance, évaluée à 90 millions pour 2019, sera quant à elle en hausse de plus de 40 % par rapport à 2018, année pré-olympique. D'autre part, un exercice d'optimisation a été mené lors de la préparation du PLF 2019, afin de dégager des moyens nouveaux en faveur de la future agence du sport. Le sport de haut niveau et la haute performance bénéficieront ainsi de 25 millions d'euros et le développement des pratiques, de 15 millions d'euros. Pour accompagner le développement des pratiques, la ministre des sports a fait adopter, lors du débat à l'Assemblée nationale, un amendement gouvernemental augmentant de 15 millions d'euros le plafond de la taxe sur les droits de retransmission audiovisuelle des événements sportifs, dite taxe Buffet. Ces 15 millions supplémentaires seront affectés aux mesures en faveur de la lutte contre les inégalités d'accès à la pratique sportive ainsi qu'au programme « savoir nager ». Au total, les mesures nouvelles qui accompagnent la création de la future agence représentent donc 55 millions d'euros.
Ces moyens ne sont pas suffisants, si nous souhaitons véritablement donner une nouvelle impulsion au sport dans notre pays. Mais ce n'est pas parce que le « grand bond en avant » n'est pas au rendez-vous que nous pourrions pour autant évoquer un recul.
J'observe que le Gouvernement a souhaité commencer par réformer l'organisation du sport français. Je souhaite qu'il s'attelle demain aux moyens afin de ne pas faire l'impasse sur les Jeux olympiques et paralympiques d'été de 2020 et les Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de 2022, sans oublier les autres rendez-vous internationaux avant 2024.
Permettez-moi maintenant d'évoquer deux institutions auxquelles je reste attaché, l'INSEP et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).
Les moyens de l'INSEP baissent de 6,5 % à 37,3 millions d'euros. Cette baisse ne concerne pas le fonctionnement de l'établissement mais les investissements qui diminuent de 1,4 million d'euros compte tenu de l'achèvement du programme de rénovation.
J'avais indiqué l'année dernière que l'INSEP avait identifié deux types de besoins nouveaux. Le directeur général de l'établissement souhaitait internaliser la restauration qui n'était plus adaptée aux athlètes de haut niveau et il souhaitait pouvoir disposer d'un mur d'escalade, d'un dojo pour le karaté et d'une grande salle multisport pour le handball et le volley-ball. Ces trois équipements nécessiteraient à eux-seuls une enveloppe de 10 millions d'euros. Or ces projets d'investissement ne semblent pas avoir progressé, ce qui est contradictoire avec l'objectif revendiqué d'augmentation du nombre des médailles lors des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
Je remarque, par ailleurs, que la gouvernance de l'INSEP est aujourd'hui fragilisée et que sa place dans le nouveau schéma d'organisation de la politique du sport de haut niveau doit être précisée.
Un mot sur les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) auxquels nous restons attentifs. La subvention correspondant à la rémunération du personnel baisse à 49,33 millions d'euros du fait de la poursuite du transfert d'une partie du personnel de service aux régions. Mais la subvention de fonctionnement, hors personnel, augmente à 7,23 millions d'euros.
Concernant la lutte contre le dopage, vous avez accepté madame la présidente que nous organisions au premier trimestre 2019 une table-ronde, afin de faire le point sur ce sujet fondamental pour l'éthique du sport et la santé des sportifs. Ce sera aussi l'occasion de faire le bilan des suites du rapport de la commission d'enquête du Sénat de 2013.
L'Agence française de lutte contre le dopage est aujourd'hui à la croisée des chemins puisqu'elle doit impérativement se doter d'un nouveau laboratoire. Je dois dire que je suis très étonné des atermoiements de l'État qui, pour de mauvaises raisons, tarde à valider le projet élaboré par l'AFLD de création d'un cluster scientifique sur le plateau de Saclay. L'alternative, poussée par certains, d'une localisation à Évry ne présente aucun des avantages de Saclay en termes scientifiques. Je souhaite que ce dossier aboutisse dès 2019 afin de ne plus perdre un temps précieux. Il est impératif que le savoir-faire français en matière de lutte contre le dopage soit à nouveau reconnu au niveau mondial. Les moyens de l'AFLD sont, pour leur part reconduits, en 2019.
En conclusion, madame la présidente, je crois pouvoir dire que les chantiers que devra conduire la nouvelle ministre sont considérables. J'en citerai trois en particulier : la montée en puissance de la SOLIDEO doit être organisée et ses financements préservés ; la transition vers l'Agence nationale du sport ne doit pas négliger les engagements du CNDS qui doivent être honorés ; enfin, un grand plan de rattrapage des équipements sportifs doit impérativement être lancé comme le rappelle l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES). Nous équipements locaux ont vieilli et ils ne permettront pas d'augmenter la pratique du sport comme le souhaite, à juste titre, la ministre.
Compte tenu de ces points de vigilance, je retiens que les difficultés qui focalisent les mécontentements concernent à la fois le PLF 2019 et les incertitudes plus générales relatives notamment à l'avenir du ministère des sports et de ses 1 600 CTS.
Le 13 septembre 2017, à la réunion du (C.I.O.) de Lima, la France obtenait l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, soulevant un grand enthousiasme dans le pays. La préparation de ces jeux nécessite de construire d'ici 2024 un « héritage olympique », ce qui fait aujourd'hui consensus. La préparation des jeux s'accompagne également d'un objectif d'accroissement de trois millions du nombre de pratiquants sportifs initialement porté par Laura Flessel, puis confirmé par Roxana Maracineanu.
Pour atteindre ces objectifs, des moyens financiers et humains doivent être à la hauteur des enjeux. Mais après un budget des sports pour 2018 en baisse, le Gouvernement nous propose à nouveau un budget en diminution. J'ajoute que la création de la future Agence nationale du sport suscite aujourd'hui peut-être plus de craintes que d'espoirs, certains experts mettant en évidence le risque de privatisation de la politique en faveur du sport et le fait que l'État pourrait renoncer à exercer une mission essentielle qui lui incombe. Sans reprendre nécessairement cette analyse à mon compte, je considère que les incertitudes qui demeurent sont incompatibles avec le droit d'information du Parlement.
Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits, en réaffirmant la nécessité pour le Gouvernement de prendre la réelle mesure de l'effort à produire pour atteindre nos objectifs pour 2024.
M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits de la jeunesse et de la vie associative. - Deux éléments caractérisent les crédits consacrés au programme 163 « jeunesse et vie associative » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 : la poursuite de l'effort en matière de service civique et la reconduction des crédits en faveur des actions 1 et 2.
Je commencerai par l'aspect le plus positif, à savoir la poursuite du développement du service civique. 50 millions d'euros supplémentaires sont accordés dans le projet de loi de finances pour 2019, ce qui devrait permettre de financer le service civique de 140 000 volontaires. L'objectif affiché du gouvernement est d'atteindre 150 000 « services civiques », ce qui correspond à une dépense annuelle de 530 millions d'euros. En revanche, le gouvernement poursuit sa fausse bonne idée du service national universel (SNU). À sa décharge, il peut difficilement faire autrement puisque que c'était une promesse de campagne du président et que personne n'a encore réussi à le convaincre que le coût de ce dispositif était disproportionné par rapport aux effets attendus! Comme nous entendons dans deux semaines le général Ménaouine sur ce sujet, je ne vais pas en parler longtemps. Je vous rappelle juste que le SNU devrait comporter deux phases : la phase I, obligatoire, interviendrait après la classe de la troisième, entre 15 et 18 ans et comprendrait un temps de cohésion - 15 jours en hébergement, centrés sur les valeurs, les savoir-faire et les savoir-être - et un temps de projet collectif - 15 jours également, mais sans hébergement -, et la phase II, non obligatoire, reposerait sur l'engagement volontaire, pour une durée de trois à six mois, avant 25 ans.
La seconde caractéristique de ce budget est la stricte reconduction des crédits en faveur de la vie associative et de la jeunesse portées par les actions 1 et 2 du programme 163, à l'exception de l'augmentation de deux millions d'euros des crédits accordés à l'Office franco-allemand pour la jeunesse et de la diminution de 2,8 millions d'euros des crédits finançant le compte d'engagement citoyen, afin d'ajuster la dotation à la consommation réelle de crédits.
Cette stagnation des crédits correspond de facto à une baisse si on tient compte de l'inflation. Certes, elle n'est pas nouvelle : ainsi, les crédits du fonds de développement pour la vie associative (FDVA) destinés à former les bénévoles n'ont pas été réévalués depuis 2001 ! Moins de 29 % des demandes de formation sont satisfaites, et ce pour seulement la moitié du montant des demandes, permettant la formation de 1,2 % des bénévoles uniquement ! Par rapport aux législatures précédentes, cette baisse des crédits a été accentuée par la suppression de la réserve parlementaire intervenue l'année dernière, soit 52 millions d'euros en moins pour les associations, qui n'a été compensée que partiellement à travers l'octroi de 25 millions d'euros au FDVA. Les exemples suivants illustrent le manque à gagner pour le monde associatif.
Dans le Val d'Oise, département qui compte plus d'un million et demi d'habitants, sur 248 dossiers de demandes de subvention déposés, 43 ont été retenus. Dans le Val de Marne, 340 402 euros ont été attribués en 2018, contre 2,9 millions d'euros par les parlementaires en 2016. Dans l'Oise enfin, 234 900 euros ont été attribués en 2018, contre plus d'un million d'euros par les parlementaires les années précédentes.
Je regrette donc que le gouvernement n'ait pas augmenté cette année la contribution au FDVA. À défaut de pouvoir profiter de crédits budgétaires supplémentaires, le FDVA pourrait néanmoins voir son budget augmenter s'il pouvait bénéficier des fonds et avoirs issus des comptes inactifs des associations en déshérence, estimés à 80 millions d'euros. Je vous proposerai donc un amendement qui reprend une disposition qui avait été adoptée par le Parlement à l'occasion de l'examen du projet de loi « égalité et citoyenneté » mais qui avait été malheureusement sanctionnée par le conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Elle vise à obliger les établissements de crédits à distinguer les comptes des personnes physiques des comptes des personnes morales et, parmi ces derniers, ceux des associations. L'objectif, à l'issue de la prescription légale qui est de trente ans, est de verser les sommes qui figurent sur les comptes inactifs des associations sur un compte d'affectation spéciale destiné à financer le fonds de développement de la vie associative.Malheureusement, proposer la création de ce compte d'affectation spéciale est irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, car le fléchage de recettes vers un fonds est interprété comme une incitation à la dépense supplémentaire. C'est la raison pour laquelle la seconde partie de mon amendement demande au gouvernement d'étudier cette question et de remettre à la représentation nationale un rapport sur l'opportunité d'affecter les dépôts et avoirs des comptes inactifs des associations sur un compte d'affectation spéciale au bénéfice du fonds pour le développement de la vie associative. Il s'agit de sensibiliser le gouvernement à cette question afin qu'il prenne rapidement les mesures qui s'imposent. D'ailleurs, la secrétaire d'État ne semble guère hostile à l'examen de cette proposition.
La politique du gouvernement en direction de la vie associative et de la jeunesse ne se réduit pas aux crédits du programme 163. Comme aime le faire remarquer chaque gouvernement, près de 90 milliards d'euros sont consacrés à cette politique, notamment si on inclut les dépenses de l'Éducation nationale ! Plus sérieusement, les dépenses fiscales, à travers les réductions d'impôt accordées sur les dons aux organismes à but non lucratif, représentent plus de 2,4 milliards d'euros. De même, la transformation du crédit d'impôt de taxe sur les salaires (CITS) en baisse des cotisations devrait représenter une économie de 900 millions d'euros pour les associations au volume d'emplois important.
Toutefois, ces avantages fiscaux et sociaux doivent être mis en regard de la forte baisse des crédits finançant les contrats aidés : entre 2016 et 2019, ils seront passés en crédits de paiement de 4,2 milliards à 600 millions d'euros. Cela constitue pour les associations, qui emploient 38 % des emplois aidés, une perte d'1,6 milliard d'euros de subventions indirectes !
Certes, la politique de l'emploi n'a pas à financer les missions d'intérêt général. Mais, et c'était l'une des conclusions à laquelle Alain Dufaut et moi-même étions parvenus dans notre rapport d'information sur les contrats aidés, il est regrettable qu'aucune initiative ne soit prise afin d'introduire un soutien direct aux emplois associatifs au regard de leur utilité sociale, ce qui met en péril de nombreuses associations, notamment dans le domaine du sport et de la culture, et entraîne de graves répercussions en matière de cohésion sociale et de réponse à des besoins non couverts par les pouvoirs publics.
Plusieurs pistes sont envisageables : créer un fonds qui s'inspirerait du Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (FONJEP) et qui permettrait de financer du personnel associatif auprès des associations ou encore créer une ligne budgétaire spécifique dans le fonds d'inclusion dans l'emploi permettant le financement de 38 000 emplois utiles socialement afin de soutenir la professionnalisation des projets associatifs, tout particulièrement dans les petites et moyennes associations.
Si le Gouvernement ne souhaite pas aggraver le déficit pour financer cette politique, nous avions proposé, avec notre collègue Alain Dufaut, de financer ces emplois socialement utiles via un transfert d'une partie des exonérations générales des cotisations patronales et des dépenses fiscales qui relèvent de la politique des « services à la personne ».
Je rappelle que la fragilisation du monde associatif par la réforme des contrats aidés est accentuée par l'impact négatif des dispositions fiscales mises en oeuvre par la loi de finances pour 2018 que le rapport sur le mécénat culturel présenté par notre collègue Alain Schmitz avait déjà soulevé. Ainsi, le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) se traduit par une baisse moyenne d'au moins 50 % des dons par rapport à 2017. Cela représenterait pour l'année 2018 une perte de l'ordre de 130 à 150 millions d'euros.
Cette baisse de la collecte auprès des particuliers fortunés doit être replacée dans le contexte d'une baisse générale de la collecte grand public en raison de la réévaluation du taux de contribution sociale généralisée (CSG) - qui touche également les retraités, donateurs traditionnels - et les inquiétudes soulevées par la mise en oeuvre du prélèvement à la source à partir de 2019. Pourtant, qu'il s'agisse de la mise en place du service national universel, de la lutte contre la pauvreté, ou encore du développement du sport pour tous pour ne prendre que ces trois exemples, les associations sont censées être au coeur du dispositif gouvernemental. On demande beaucoup au secteur associatif qui reçoit peu en échange.
Il est donc urgent que le gouvernement donne un signal positif en direction des associations et les soutienne dans le financement des missions d'intérêt général qu'elles remplissent. Pour ces raisons, et en dépit d'une hausse des crédits du programme 163 liée toutefois essentiellement à la poursuite de la politique initiée sous le quinquennat précédent en matière de service civique, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la jeunesse et de la vie associative.
M. Michel Savin. - Je partage en totalité l'avis de nos rapporteurs sur le budget. Alors que la France accueillera, dans six, ans les Jeux olympiques et paralympiques, ce budget, pour la deuxième année consécutive, est en baisse. Dans le même temps, une nouvelle gouvernance a été pensée, avec notamment la création d'une agence nationale. La direction prise par le Gouvernement manque de clarté. Le désengagement de l'État est dramatique ! L'État appelle au sursaut du milieu économique, mais oublie que celui-ci est déjà appelé à soutenir les jeux olympiques et paralympiques. Aussi, je souhaite présenter des propositions que nous ferons sur le financement du sport dans ce budget. Nos amendements portent, d'une part, sur le déplafonnement de la taxe Buffet qui visait initialement à faire financer le sport amateur par le sport professionnel. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, et nous souhaitons rendre à cette taxe son objectif initial.
Pour renforcer le mécénat dans le sport, auquel il ne contribue qu'à hauteur de 2 %, nous proposons de simplifier les dispositifs de soutien au sport adapté et au handisport. Après la loi dite « loi Braillard », nous souhaitons étendre le pacte de performance à l'accompagnement des sportifs de haut niveau, inciter le mécénat à soutenir le sport féminin et ouvrir le 1 % artistique aux collectivités pour le financement de leur équipement sportif. Enfin, nous souhaitons la suppression du prélèvement additionnel, créé pour le financement des stades de l'Euro de 2016, ainsi que la candidature de Paris pour 2024 ; le fruit de cette contribution, pourtant inscrite au budget, ne bénéficie plus au sport, mais est désormais affecté au budget général. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains soutient l'avis défavorable exprimé sur le budget 2019.
M. Claude Kern. - Je partage les différents points soulevés par nos collègues. Ce budget voté à l'Assemblée nationale fait la part belle aux élites sportives au détriment du sport amateur. Pourtant, ce dernier est une étape obligée pour devenir un sportif de haut niveau ! Quelle sera l'utilité du ministère des sports si la nouvelle agence assume toutes ses missions à partir de mars prochain ? Les associations sportives sont en grande souffrance financière, notamment en raison de la disparition de la réserve parlementaire. Le fonctionnement du FDVA est opaque et les collectivités territoriales doivent faire face à des difficultés budgétaires. Enfin, les politiques publiques de jeunesse et de vie associative doivent être transférées aux collectivités territoriales dans le cadre du programme action publique 2022. Le transfert de ces nouvelles charges est inacceptable ! La vie associative est menacée, alors qu'elle joue un rôle sociétal de premier ordre. De ce fait, le Groupe Union centriste suivra l'avis défavorable de nos deux rapporteurs.
Mme Sylvie Robert. - Le groupe socialiste et républicain suivra lui aussi l'avis défavorable de nos rapporteurs. Ce budget est symptomatique de l'incohérence gouvernementale. Pourtant, l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques ouvre également des perspectives pour l'insertion des jeunes de filières actuellement en tension, comme les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Or, pour la seconde année consécutive, le programme 219 est en baisse. Le sport de haut niveau sera privilégié au détriment du sport amateur. Cette baisse brisera également les dynamiques du secteur sportif et, au niveau des collectivités territoriales, des fédérations et des associations. La portée symbolique et politique de notre refus commun pour le Gouvernement est réelle !
M. Pierre Ouzoulias. - Le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) vous accompagne dans ce vote négatif. Nous déposerons également un amendement sur la taxe Buffet. Notre cohésion peut, à bon droit, s'inspirer du rugby : lorsque le pack est dans l'en-but, l'essai est collectif !
Mme Françoise Laborde. - Le groupe Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE) soutiendra votre avis négatif. Le mécénat n'est pas la panacée pour pallier les faiblesses du FDVA et les coupes budgétaires ! Les modalités du choix d'affectation du 1 % culturel, qui vient d'être évoqué, me semblent cependant devoir être débattues, afin que la culture ne soit pas pénalisée en rapport au sport.
M. Antoine Karam. - Je vais m'exprimer à titre personnel et ne pas engager le groupe La République en marche. Personnellement, je donnerai un avis défavorable à l'adoption des crédits. Né dans le milieu associatif, je me suis engagé, depuis près de cinquante ans, en faveur du sport. Je suis tout particulièrement fier d'avoir reçu la médaille d'or de la mission de la jeunesse et des sports. Cependant, le sport a toujours été le parent pauvre des gouvernements successifs. En 1977, comme jeune président de la ligue guyanaise d'athlétisme, j'ai fait descendre 2 000 personnes dans les rues de Cayenne pour obtenir une piste synthétique ! À chaque fois qu'il faut arracher des équipements, c'est le parcours du combattant, tandis que les Ultramarins, notamment les Guyanais dans les disciplines les plus réputées, récoltent souvent de très belles médailles olympiques pour la France ! Les Outremer sont encore plus oubliés, parce que lointains. Madame la présidente, je vais vous remettre le rapport de la délégation sénatoriale pour l'Outremer qui porte sur le sport à la croisée des défis majeurs des territoires. Les crédits ne sont pas au rendez-vous, et on ne peut, dans le contexte de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques, réclamer la performance de nos territoires tout en réduisant leurs crédits.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous sommes tous des élus locaux et connaissons l'importance du milieu associatif. Les crédits ne sont qu'apparemment stabilisés, du fait de la reconduction du FDVA. À l'inverse, la fragilisation du mouvement associatif est manifeste et la diminution des contrats aidés, amplifiée en 2018, menacent nos clubs locaux. L'actualisation tardive du décret relatif au FDVA n'a pas permis de compenser la réduction brutale de nos moyens au premier semestre 2018. Certes, comme à son habitude, le Gouvernement promeut la concertation en créant de nouvelles structures. En réalité, les moyens affectés au sport baissent. Personnellement, je souhaite que soit mise en valeur cette unanimité sur ce sujet central. Je ne voudrais pas que la culture continue à être opposée au sport, toujours choisi comme une variable d'ajustement budgétaire. D'ailleurs, l'intitulé de notre propre commission devrait inclure expressément le sport parmi ses compétences. Enfin, il est dangereux d'opposer sport professionnel et sport amateur. Tout grand sportif de haut niveau est passé, à un moment de sa carrière, dans un club local. Aussi, m'inspirant de la stratégie du football, je rappellerai qu'en jouant haut collectivement, la pression est mise sur l'adversaire, et le bloc a une chance de gagner.
Mme Maryvonne Blondin. - Le sport est trop souvent utilisé comme une variable d'ajustement. Les élus locaux que nous sommes connaissent les difficultés des clubs et centres sportifs implantés dans nos collectivités. Or, le vivier des sportifs des prochains Jeux olympiques et paralympiques s'y constitue. Un tel budget va ainsi à l'encontre des attentes de la société et de la diffusion des activités sportives qui contribuent à la santé publique. En outre, le budget consacré aux activités culturelles et sportives des étudiants est désormais reversé au budget général de l'État. Ces pratiques sportives doivent être maintenues dans nos universités. S'agissant du mécénat, le club de handball de ma ville, de niveau national, reçoit des dons de plus de deux cents entreprises locales. Qu'adviendra-t-il si les dons continuent à baisser ? Enfin, que sont devenus les postes FONJEP (fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire) ?
M. Alain Dufaut. - La situation du milieu associatif et sportif est catastrophique. Il est inadmissible d'ignorer quels seront les représentants du monde économique dans la nouvelle agence du sport ! Il faudrait également auditionner Jean Castex sur la préparation des Jeux olympiques et paralympiques qui suscite de nombreuses inquiétudes. Le choix du lieu d'implantation du futur laboratoire de l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD) n'est pas non plus connu. Le pire serait d'aborder les Jeux olympiques avec une agence non opérationnelle. Enfin, le déplafonnement de la taxe Buffet me semble impératif. Ce sont là des moyens financiers détournés du sport à un moment crucial. Le changement de ministre ne facilite pas les choses.
M. Jacques Grosperrin. - Nous en venons à regretter Marie-George Buffet comme ministre des sports. Le discours de l'actuelle titulaire de ce poste est loin d'être cohérent et semble parfois soufflé par le ministre en charge du budget. D'ailleurs, la jeunesse ne relève officiellement plus des compétences du ministère des sports. Ce budget est une vraie catastrophe pour le sport français, avec une baisse de 45 % des financements alloués au développement du sport pour tous. Les programmes de détection et de formation semblent avoir disparu. Comment allons-nous trouver le milliard d'euros promis pour l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques ? La nouvelle agence proposée ne repose sur aucun modèle économique viable. Ce budget des sports va nourrir la crise de confiance durable des Français vis-à-vis du Gouvernement. Comment se déroulera la suppression des 1 600 postes du ministère ? Comment la gestion des CTS va-t-elle évoluer ? Le Sénat doit faire bloc contre de telles dérives.
M. Olivier Paccaud. - Nous regrettons tous cette fragilisation du maillage des associations sportives qui semblent exclues du FDVA. Le nombre d'associations déboutées de leur demande de crédits évoqué par notre collègue rapporteur illustre les conséquences du processus de recentralisation à l'opacité totale. Ne pourrions-nous pas, par un amendement, exiger la transmission d'un rapport retraçant annuellement les choix des commissions préfectorales ? L'argument selon lequel le mécénat peut suppléer la baisse des financements n'est guère valable dans les petites communes où les artisans et les entreprises, déjà amplement sollicités, n'ont plus les moyens ni d'augmenter ni de pérenniser leur soutien. Le sport de proximité en zone rural est en train de s'éteindre. Non, à ce budget !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission entendra prochainement Tony Estanguet et Jean Castex, dans le cadre du suivi de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Je rappellerai un point concernant la vie associative en danger. Outre la suppression des emplois aidés et la fin de la réserve parlementaire, la baisse des dotations aux collectivités territoriales, amorcée lors du dernier quinquennat, a provoqué la diminution des subventions à la fois pour le sport et la culture. En outre, l'obligation du plafonnement des dépenses des collectivités - dite du « 1,2 % » - conduit à de nouvelles économies qui frappent, de nouveau, le milieu associatif.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Je salue l'unanimité de nos collègues, ainsi que l'attitude courageuse de notre collègue Antoine Karam. Quelques chiffres démontrent ce hiatus entre l'importance du mouvement sportif, pourtant présenté par le président du comité national olympique et sportif français, Denis Masseglia, comme « le premier mouvement social de France », et le budget qui lui est réservé. Rassemblant 300 000 associations, 17 millions de licenciés et 300 000 bénévoles, ce secteur emploie 200 000 personnes et représente 2 % du PIB. Or, son budget se limite à 0,13 % de celui de l'État ! Si le budget du sport était à la hauteur de ses enjeux économiques, il devrait en avoisiner les 2 %. Le déplafonnement des trois taxes affectées au CNDS - la taxe Buffet, la taxe sur les paris sportifs et celle sur la Française des Jeux - aurait procuré, cette année, 240 millions d'euros de recettes supplémentaires pour le sport, ce qui aurait permis d'atteindre un montant global de dotations de 385 millions d'euros, plus proche des 400 millions d'euros demandés par l'Agence nationale du sport. Malgré la tribune cosignée par les députés de La République en Marche dans Le Journal du dimanche en faveur de ce déplafonnement, à la veille du débat budgétaire, les amendements proposés en ce sens ont tous été rejetés, ce qui témoigne des contradictions de l'actuelle majorité à l'Assemblée nationale.
Que deviendra le ministère des sports à partir de 2020, après la création de l'Agence nationale du sport ? Il faudra bien que l'État intervienne sur la légalité des règlements fédéraux, la sécurité des événements, mais aussi à l'international et sur la transversalité des politiques publiques, à l'instar du plan vélo lancé dans le cadre de la loi d'orientation sur les mobilités.
Une réelle solidarité entre le sport de haut niveau et le sport pour tous doit également être insufflée.
J'attire l'attention de nos collègues de la région Île-de-France sur le financement de la SOLIDEO, qui va porter les grands équipements sportifs des Jeux olympiques et paralympiques. Son budget ne s'élève qu'à 113 millions d'euros, alors que l'engagement de l'État auprès du Comité international olympique porte sur 1,1 milliard d'euros d'ici 2022 !
La meilleure porte d'entrée pour le développement de la pratique sportive reste le sport santé.
Si les petites et moyennes entreprises contribuent, localement, au financement des associations sportives, le mécénat sportif, à l'échelle nationale, connaît un échec retentissant, comme en témoignent les maigres recettes de l'actif de la Fondation nationale du sport.
Le titulaire du ministère en charge des sports a changé neuf fois en dix ans. D'ailleurs, l'expérience de champion de haut niveau ne présage pas de qualités ministérielles ! En revanche, Jean Castex, en raison de ses fonctions actuelles et à venir, me semble devoir être auditionné prochainement.
S'agissant de l'AFLD, l'inquiétude porte sur la réduction, d'année en année, du nombre des contrôles passés sous la barre des 8 000. Désormais, conformément aux exigences internationales, 70 % des contrôles devront être réalisés sur les sportifs de haut niveau. Enfin, vos réactions unanimes, mes chers collègues, prouvent que le sport permet de dépasser les clivages, parfois artificiels, entre nous.
M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits de la jeunesse et de la vie associative. - Si le FDVA devrait bénéficier aux associations sportives, dans les faits, les plus petites devraient pâtir de la baisse générale des moyens induite par la fin de la réserve parlementaire. Dans mon rapport écrit, je démontre la réalité des pertes pour les clubs sportifs : les montants de la réserve parlementaire n'ont donc pas été réalloués sous d'autres formes comme cela nous avait pourtant été annoncé. Les collectivités, confrontées à la baisse de leurs moyens, ne peuvent soutenir comme auparavant les associations sportives. On compte 3 600 emplois FONJEP pour 3 000 associations bénéficiaires. Leur nombre est en diminution. Chacun de ces emplois représente une subvention de 7 000 euros. Leur attribution relève des préfets. Au-delà des chiffres, ce budget traduit une perte de puissance du monde associatif sur laquelle je souhaitais vous alerter.
La commission émet unanimement un avis défavorable à l'adoption des crédits 2019 de la mission « sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances 2019.
M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits de la jeunesse et de la vie associative. - Comme je l'ai précédemment évoqué, cet amendement propose d'adapter le dispositif de la loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance-vie en déshérence au monde associatif. Il vise ainsi à permettre aux fonds pour le développement de la vie associative de récupérer les dépôts et avoirs des associations en déshérence. Dans ce but, il est indispensable de distinguer les comptes inactifs des associations. C'est pourquoi, nous proposons d'obliger les établissements de crédit à distinguer les comptes des personnes physiques des comptes des personnes morales et, parmi ces derniers, ceux des associations. L'objectif à rechercher, à l'issue de la prescription légale, serait de verser les sommes qui figurent sur les comptes inactifs des associations sur un compte d'affectation spéciale destiné à financer le fonds de développement de la vie associative. Malheureusement, en tant que tel, un tel dispositif serait irrecevable au titre de l'article 40 de la constitution, car le fléchage de recettes vers un fonds est interprété comme une incitation à la dépense supplémentaire. C'est la raison pour laquelle le présent amendement propose que le gouvernement étudie cette question et remette à la Représentation nationale un rapport sur l'opportunité d'affecter les dépôts et avoirs des comptes inactifs des associations sur un compte d'affectation spéciale au bénéfice du fonds pour le développement de la vie associative. Il serait temps que l'argent des associations en déshérence profite aux associations, par le biais du FDVA !
La commission adopte l'amendement.
Jeudi 22 novembre 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Article 13 de la Constitution - Audition de M. Gilles Bloch, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour auditionner Gilles Bloch, candidat désigné par le Président de la République pour assurer les fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en application des dispositions d'une loi simple et d'une loi organique du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Comme le prévoit l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination.
Aux termes de l'article 19 bis du règlement du Sénat, cet avis est précédé d'une audition publique. À l'issue de cette audition, nous nous prononcerons par un vote à bulletins secrets, sans délégation de vote.
La commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a entendu M. Bloch hier matin et a déjà procédé au vote. En revanche, le dépouillement des deux scrutins aura lieu simultanément à 11 h 30, heure à laquelle le résultat de ces consultations sera annoncé.
J'ajoute que le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination envisagée si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Je vous rappelle que l'Inserm, avec ses 13 000 collaborateurs et son budget de 957 millions d'euros, est la première institution de recherche biomédicale au niveau européen et la deuxième au niveau mondial. C'est également le premier déposant européen dans le secteur pharmaceutique et le neuvième organisme public de recherche le plus innovant au monde.
Je vais demander à M. Gilles Bloch de se présenter et de nous exposer les projets qui seraient les siens en tant que président de l'Inserm. Ensuite, les membres de la commission qui le souhaitent pourront lui poser leurs questions.
M. Gilles Bloch, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un grand honneur d'être devant vous. Je vais essayer de vous faire partager la conviction que mon parcours me qualifie pour occuper cette fonction, avant de vous présenter les actions que je propose pour l'Inserm.
Ma formation est à la fois celle d'un scientifique, passé par l'École polytechnique, docteur en biophysique moléculaire, et celle d'un médecin. Assez vite, j'ai réalisé que c'était la recherche qui me passionnait. En 1989, j'ai été recruté par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), au service hospitalier Frédéric-Joliot, pour travailler sur une technologie à l'époque pionnière, la spectroscopie de résonance magnétique, cousine de l'imagerie par résonance magnétique (IRM). J'ai appliqué cette technologie à l'exploration du métabolisme musculaire, puis du métabolisme cérébral.
Pendant plus de dix ans, j'ai parcouru les étapes classiques d'un chercheur, en devenant directeur de laboratoire, avant d'évoluer, en 2001, vers des fonctions de définition et de mise en oeuvre des politiques publiques. En 2002, j'ai été appelé au cabinet de la ministre chargée de la recherche en tant que conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique. J'ai quitté le cabinet pour créer l'Agence nationale de la recherche (ANR), en 2005. Un an plus tard, j'ai été rappelé par le ministère pour diriger et réorganiser l'administration centrale, la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), que j'ai quittée en 2009 pour devenir directeur des sciences du vivant du CEA.
Cette dernière direction s'apparente à un petit Inserm à l'échelle 1/4 ; elle est très fortement implantée à Saclay. J'ai donc naturellement été amené à m'intéresser au projet d'université qui se dessinait à Saclay, et on a fait appel à moi pour devenir, en 2015, le premier président de l'université Paris-Saclay. Cette construction dont la genèse a été parfois turbulente est aujourd'hui sur les rails.
Il me semble, au terme de ce parcours, avoir acquis des compétences qui pourraient être utiles au service de ce magnifique établissement qu'est l'Inserm.
Mes priorités d'action à la tête de cet institut répondent à quelques grands défis globaux ou opportunités : l'accroissement de la compétition pour les talents, avec des pôles très puissants qui émergent, par exemple, en Asie ; l'adossement croissant de la biologie et de la médecine à des équipes multidisciplinaires, à des infrastructures technologiques lourdes et à de grands réseaux internationaux ; une politique de site affirmée dans notre pays depuis maintenant une décennie ; la forte contrainte sur la subvention d'État, qui existe en France plus que dans d'autres pays - certains États renforcent considérablement l'investissement public dans la recherche biomédicale.
Pour faire face à ces défis, j'envisage des priorités d'action qui s'inscrivent largement dans la continuité de ce qu'ont fait mes prédécesseurs à la présidence de l'établissement, André Syrota et Yves Lévy, et qui s'inscrivent aussi, avec quelques souhaits d'inflexion, dans le contrat d'objectifs entre l'État et l'Inserm.
Première grande priorité d'action : l'Inserm joue un rôle pivot au niveau national pour produire au meilleur niveau des connaissances dont l'impact est positif sur la santé et la société, mais ce rôle ne peut être crédible et efficace que si l'institut continue de s'appuyer sur une large base d'excellence scientifique. Il doit donc laisser à ses équipes une très grande marge d'initiative pour définir des programmes de recherche sur les fronts de la connaissance. Il faut maintenir cet investissement, nécessaire à l'obtention de résultats de rupture, au travers du renouvellement des compétences, dans le cadre des unités mixtes de recherche, qui sont la brique de base de l'organisation, mais aussi d'autres structures, comme les instituts hospitalo-universitaires.
Deuxième et troisième priorités d'action : le rôle pivot de l'Inserm à l'échelle nationale, d'une part, pour lancer de grands programmes, et à l'échelle locale, d'autre part, en accompagnement des politiques des grands sites universitaires.
À l'échelle nationale, l'Inserm est le seul grand organisme spécifique de recherche en santé. Cette situation lui donne une vision thématique extrêmement large, unique dans notre pays. Vous avez certainement en tête tout ce qui se fait déjà, le plan Cancer, le plan « Médecine France génomique 2025 », le plan récent sur l'antibiothérapie ; d'autres plans sont en construction. J'ai un attachement particulier pour les questions qui lient santé et environnement, l'exposition aux polluants par exemple. D'autres plans étaient esquissés dans le contrat d'objectifs - je pense aux recherches sur les services et les systèmes de santé. Plus généralement, un grand plan national en santé publique serait vraiment le bienvenu.
Toujours au titre de ce deuxième point, au niveau national, l'Inserm est bien positionné pour développer des infrastructures d'intérêt national. Il faut aller plus loin dans le domaine de la recherche technologique, en lien avec les grands organismes que sont le CEA et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sur le modèle de ce qui se fait actuellement autour du plan sur l'intelligence artificielle, celle-ci étant à la fois un outil d'aide à la découverte, via l'exploitation de données massives, et un outil de diagnostic notamment, à la disposition des soignants.
L'Inserm a également un rôle particulier à jouer sur le développement des grands réservoirs de données, outils essentiels pour la découverte dans le domaine biomédical. Le Health Data Hub, qui rapproche les bases de données de la santé et de l'assurance maladie, vient d'être lancé par les ministères de tutelle. Il faut aller plus loin, en intégrant notamment des données précliniques. Nous vivons un moment historique dans le développement des sciences des données - une philosophie du partage s'est notamment développée, dans le cadre de l' « open science ». L'Inserm doit entraîner la communauté de recherche biomédicale sur cette voie.
Troisième priorité d'action - mon passé récent me rend particulièrement sensible à ce sujet : la construction des politiques de site, à la fois avec les grands partenaires universitaires et avec les centres hospitalo-universitaires. Ainsi, 80 % des forces de l'Inserm sont implantées sur douze sites seulement en France. Il est donc assez simple de cartographier et de dialoguer. C'est au niveau des sites que l'on peut construire la multidisciplinarité nécessaire à la promotion de découvertes de rupture : l'Inserm peut, au niveau local, améliorer le fonctionnement des écosystèmes de recherche.
Par ailleurs, le premier levier pour maintenir et orienter l'excellence des recherches consiste à recruter les bonnes personnes aux bons endroits. L'Inserm doit mieux articuler localement son dispositif national de recrutement, via des politiques de viviers communs avec le CNRS, les universités et les écoles, des mécanismes de complémentarité des filières de recrutement ou encore des co-recrutements.
C'est vraiment au niveau local, également, que l'on peut le mieux mobiliser les personnels de l'Inserm sur les enjeux de formation. Des choses ont été faites pour « remédicaliser » l'Inserm - vieux sujet. Aujourd'hui, avec la réforme des études de santé, une opportunité exceptionnelle s'ouvre pour impliquer l'Inserm dans les formations, et en particulier pour attirer plus de profils médicaux vers la recherche.
Quatrième priorité d'action : la valorisation et le transfert. C'est au niveau local, là encore, que les choses se jouent, s'agissant en particulier de la bonne articulation d'Inserm Transfert, la filiale de valorisation de l'Inserm, avec les structures de site, notamment les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT).
Quelques grandes initiatives pourraient être proposées. Je pense d'abord - cette idée figure dans le rapport récent pour la médecine du futur - à la nécessité de promouvoir des plateformes collaboratives avec les industriels implantées au sein des hôpitaux. Un bon exemple de ce genre de couplage avec les entreprises, en France, serait celui de l'Institut de la vision, récemment labellisé.
Dernier point en matière de valorisation : l'Inserm est bien positionné pour porter des partenariats de grande ampleur avec les industriels - je pense au travail qui se développe en ce moment dans le cadre de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) pour renforcer au niveau national une filière de bioproduction.
Pour conduire toutes ces actions que j'ai rapidement esquissées, il faut des femmes et des hommes bien choisis et placés dans un environnement favorable, ainsi que des moyens financiers. J'en viens donc aux questions de ressources humaines (RH) et de finances, que le président d'un tel établissement ne saurait ignorer.
Concernant les RH, j'ai déjà évoqué l'articulation avec les politiques de site, pour les chercheurs en particulier. Il est tout aussi important de reconsidérer les mécanismes de recrutement et d'affectation s'agissant des autres catégories de personnels, ingénieurs, techniciens, personnels administratifs. Le système actuel fonctionne, mais mériterait d'être amélioré, en étudiant notamment les possibilités de mobilités croisées entre les établissements.
Autre chantier important : celui de la réforme du régime indemnitaire de l'Inserm, moins favorable que ceux des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Il faut viser, en la matière, à davantage de cohérence.
Dernier point : l'Inserm accueille dans ses laboratoires plus de 2 700 contractuels ; ces collaborateurs doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ils sont indispensables au fonctionnement de l'institut.
J'en viens à mon dernier point transversal, les finances. Il faut inlassablement mobiliser plus de ressources externes. L'Inserm bénéficie déjà de 30 % de recettes externes, mais il faut explorer des pistes pour faire mieux, en cherchant des financements auprès de l'assurance maladie, par exemple, pour financer les grands plans nationaux de santé, une nécessité que je porterai auprès de vous. On peut également engager des partenariats de haut niveau avec des industriels. Il convient de montrer que l'Inserm est capable de mobiliser la communauté nationale. Les grandes mutuelles constituent une cible pour ce qui concerne les objectifs de santé publique et de prévention.
Par ailleurs, il existe des marges d'amélioration quant à la mobilisation des financements européens. Des outils sont déjà efficaces, mais il faut encore renforcer cette mobilisation dans le prochain programme-cadre, en faisant plus de lobbying pour soutenir les priorités scientifiques qui sont les nôtres.
Permettez-moi de clore mon propos en évoquant un sujet quelque peu sensible. L'Inserm pourrait réfléchir à l'idée de développer une fondation propre pour mobiliser des dons plus efficacement. Il ne s'agit pas de concurrencer des acteurs caritatifs déjà actifs dans notre pays, mais l'Inserm pourrait se doter d'un fonds spécifique pour intervenir dans le cadre de certaines grandes actions relatives à la santé publique et à la prévention.
Il conviendra d'approfondir encore les priorités d'action que j'ai définies à la lumière des discussions que j'aurais en interne avec les personnels de l'Inserm et les partenaires dès que ma légitimité sera suffisamment établie pour lancer ces discussions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie de votre présentation. Je donne d'abord la parole à Mme Laure Darcos, rapporteur de notre commission pour les crédits de la recherche.
Mme Laure Darcos. - Concernant les financements, je suis heureuse de constater que vous partagez mon avis et, surtout, celui d'Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, dans la mesure où, depuis l'année dernière, nous essayons de convaincre le Gouvernement de flécher via l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) un véritable financement des plans de santé publique.
Vous avez indiqué que certains nouveaux plans de santé vous tiennent à coeur. Permettez-moi de relever que certains plans ne sont même pas mis en place. Je pense notamment à la maladie de Lyme - aucune cohorte n'a été organisée à ce jour - ou au plan Médecine France génomique 2025, qui est, à mon avis, l'un des plans les plus importants des prochaines années.
Vous devez le savoir, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation vient d'annoncer l'ouverture de 17 millions de crédits supplémentaires pour l'Inserm - cela m'évitera de déposer un amendement en ce sens. Si vous sollicitez l'assurance maladie au travers de l'Ondam, vous aurez mon soutien lors de l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dans le cas contraire, comment envisagez-vous de remettre à plat les financements des plans de santé publique, qui sont le coeur du réacteur de l'Inserm ?
M. Gilles Bloch. - Permettez-moi d'être relativement prudent dans la mesure où je ne suis pas encore en position de négocier avec l'État. Il est évident que le ministère de la santé et l'assurance maladie doivent pouvoir commanditer des plans. Je le sais, il y a des résistances, mais des solutions existent, telles que la création d'un fonds. Recourir en fin de gestion à la réserve de précaution ou aux reliquats ne peut être qu'un one shot, mais cette solution ne relève pas d'une gestion très saine quand il s'agit de programmer des actions de grande ampleur, des investissements, de procéder à des recrutements.
Mme Laure Darcos. - Pouvez-vous nous donner des précisions sur votre stratégie en matière de ressources humaines ? L'Inserm s'est engagé, dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020 (COP), à embaucher chaque année 60 chercheurs et 75 ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA), en dépit pourtant d'un nombre de départs à la retraite des chercheurs inférieur au cours de cette même période. Cette année, le CNRS a privilégié l'embauche de doctorants. Quelle sera votre stratégie pour trouver un équilibre entre ces statuts ?
M. Gilles Bloch. - L'Inserm est largement inséré dans tous les sites universitaires, qui présentent beaucoup d'opportunités en matière de recrutement de doctorants. Je n'envisage donc pas aujourd'hui - je l'ai dit, je suis prudent - de lancer des programmes de doctorants pilotés par l'Inserm. De plus, le secteur biomédical a la chance de bénéficier de financements par le biais de fondations. En revanche, il faut absolument maintenir le recrutement de chercheurs et d'ITA parce qu'il est nécessaire de renouveler les compétences et qu'il faut retenir les meilleurs doctorants. Si vous présentez cela comme une alternative, je privilégierais donc, dans les années à venir, le maintien de recrutements de personnels statutaires.
Mme Laure Darcos. - Vous n'avez pas du tout parlé du programme européen de recherche Horizon 2020. Comment évaluez-vous la performance de l'Inserm au niveau européen ? Vous le savez, on ne dépose pas suffisamment d'appels à projets. Avez-vous l'intention, en lien avec d'autres organismes, de revoir la stratégie française en la matière ?
M. Gilles Bloch. - Je l'ai dit brièvement, l'Inserm fait bien, mais peut faire mieux, si on le compare à d'autres organismes. Le taux de retour par rapport à l'investissement national n'est pas encore satisfaisant. Deux leviers à actionner : mieux préparer les équipes de chercheurs à déposer leurs dossiers - Inserm Transfert assure déjà cet accompagnement - et, en lien avec les universités, conduire des actions locales de proximité.
Le programme de recherche Horizon 2020 touche à sa fin ; le programme Horizon Europe va bientôt démarrer : défendons nos priorités ! Je l'ai mentionné, un certain nombre de sujets me tiennent à coeur tels que la recherche en santé et environnement. Il faut mettre l'accent sur les études cliniques du génome, sur un certain nombre de maladies émergentes ou ré-émergentes, sur l'antibiorésistance. Portons ces sujets pour trouver les bonnes opportunités dans le cadre des appels d'offres.
Pour l'avoir vécu en tant que directeur des sciences du vivant, il faut mobiliser les candidatures ERC - European Research Council, Conseil européen de la recherche -, qui apportent des moyens importants aux équipes, en identifiant un par un les chercheurs avec les bons profils. Certes, c'est sans doute plus facile de le faire à l'échelle d'une direction dont l'effectif représente un cinquième ou un quart de celui de l'Inserm, mais, en s'organisant bien, on peut identifier, avec un repérage bibliométrique et le suivi des évaluations des chercheurs, tous les profils susceptibles d'être lauréats ERC et les solliciter individuellement. J'organisais à cet effet deux fois par an une session avec tous les jeunes ayant ce profil. Il faut vraiment stimuler et accompagner les jeunes et les moins jeunes d'ailleurs : il y a un peu de résistance pour les ERC seniors.
M. Pierre Ouzoulias. - L'exercice est un peu compliqué : il eût été de bonne politique que nous entendissions préalablement le Gouvernement pour connaître sa politique par rapport à l'Inserm. Nous aurions pu alors juger de l'adéquation de vos propositions avec le mandat que vous a donné le Gouvernement dans la mesure où il propose votre candidature. En répondant à nos questions, vous engagez, d'une certaine façon, la responsabilité du Gouvernement. Vous nous informez donc à la fois de votre projet personnel, mais aussi de celui du Gouvernement.
L'Inserm est encore un organisme national, à l'instar du CNRS. Vous le savez, la grande difficulté réside dans l'interaction de ces organismes nationaux avec les sites universitaires - 80 % de vos moyens humains sont répartis dans douze sites, avez-vous dit. Je poserai ma question de façon très abrupte : votre mandat consiste-t-il à créer une agence nationale de la recherche (ANR) de la santé ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mon cher collègue, l'auditoire de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation puis l'examen des crédits de la MIRES nous ont permis d'avoir une idée sur la politique du Gouvernement en la matière.
M. Gilles Bloch. - Certes, il n'y a pas de fiche de poste listant les priorités, mais le candidat doit regarder avec attention certains documents : le plan stratégique de l'Inserm, le contrat d'objectifs et de performance (COP) avec l'État en vigueur jusqu'en 2020, des documents de cadrage de l'État. C'est en tout cas ce que j'ai fait. Dans ma déclaration d'intention, j'avais d'ailleurs mis les actions que je souhaite mener en regard des grands items du COP. Je n'ai lu nulle part la volonté de faire de l'Inserm l'ANR de la santé. Le Gouvernement a la volonté d'avoir un organisme qui porte une vision nationale, tout en ayant un rôle complémentaire spécifique sur les sites dans le soutien de grands programmes, d'infrastructures de recherche. Sur le terrain, on peut vraiment développer des synergies extrêmement fortes entre les organismes, les universités et les écoles - je l'ai vécu en tant que président d'université.
M. Pierre Ouzoulias. - Aujourd'hui, environ 30 % de vos laboratoires sont dirigés par des chercheurs de l'Inserm et 40 % par des professeurs des universités et praticiens hospitaliers, les fameux PU-PH. Quelle est l'interaction entre ces deux communautés ? Eu égard à votre ambition nationale, ne serait-il pas raisonnable de prévoir une augmentation du pourcentage de laboratoires dirigés par des chercheurs ?
M. Gilles Bloch. - Quand il s'agit de diriger une unité, j'avoue que je ne fais pas de distinction catégorielle entre les PU-PH et les chercheurs de l'Inserm. Il faut associer les autres établissements en cotutelle des unités mixtes de recherche (UMR) - tous nos laboratoires sont des UMR - dans le choix de la meilleure personne ayant la meilleure vision pour assurer le pilotage d'une unité et y développer la stratégie. Je n'adhère pas a priori à l'idée de fixer des quotas et je n'en vois pas la nécessité. L'Inserm dialogue avec les établissements en cotutelle, qui décident, par consensus, de la nomination d'un directeur.
M. Pierre Ouzoulias. - Dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), je travaille sur un dossier concernant l'Agence européenne qui s'occupe de la veille sanitaire (ENSA), qui a absolument besoin du concours du CNRS, mais aussi, et surtout, de l'Inserm. L'agence souhaite trouver des chercheurs qui ne puissent pas être soupçonnés de conflit de compétences, c'est-à-dire qui ne travaillent pas avec le privé. Vous avez indiqué que vous vouliez développer les relations avec les industries privées. Comment allez-vous faire ? Il y a une forme de contradiction entre ce que vous demande le Gouvernement, une demande légitime pour développer les fonds, et ce que souhaitent les institutions européennes.
M. Gilles Bloch. - J'avoue que je ne connais pas encore bien ce sujet. Toutefois, n'allons pas trop loin dans la chasse aux sorcières concernant les conflits de compétences ! Il importe de déclarer ses liens avec l'industrie. Très souvent, quand on est compétent dans un domaine, notamment dans la recherche clinique, on est sollicité pour participer à des grands projets impliquant des industriels. Si l'on en arrive à ce que tout chercheur ayant travaillé une fois avec un industriel soit exclu du champ de l'expertise, on va avoir du mal à trouver des personnes. Il faut de la transparence sur les liens d'intérêts, mais n'allons pas jusqu'à exclure tout chercheur ou enseignant-chercheur ayant eu un lien avec l'industrie
Mme Annick Billon. - Merci de votre présentation, monsieur Bloch. Vous avez identifié plusieurs défis, notamment celui des finances, avec deux messages un peu contradictoires, me semble-t-il. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez l'augmentation ou, à tout le moins, à terme, la stabilisation de la subvention de l'État et, dans le même temps, la création d'une fondation. Quelle serait la répartition la plus intelligente et la plus performante des moyens pour que l'Inserm affiche des résultats à la hauteur de sa mission ?
M. Gilles Bloch. - Il ne s'agit pas de créer une fondation avec de l'argent public. Je souhaite mobiliser des dons auprès d'acteurs privés. Je ne vois donc pas où est la contradiction. Je constate la difficulté de voir augmenter la subvention versée à l'Inserm, au travers du programme 172. Les plans de santé financés au travers de l'assurance maladie, sur lesquels on peut attendre des retours sur investissement, sont un autre sujet.
Il faut avoir plusieurs fers au feu. Mon ambition est mesurée : il ne s'agit pas de mobiliser des centaines de millions d'euros, mais il faut chercher des moyens auprès d'un nombre de grands comptes - je pense au monde de l'assurance, aux mutuelles - pour financer de façon ciblée des programmes de santé publique, des programmes de prévention. Cette piste n'est pas incompatible. Mais peut-être ai-je mal compris votre question...
Mme Annick Billon. - Plus précisément, pensez-vous que la subvention de l'État ait atteint son maximum ? A-t-elle vocation à augmenter ou pas ?
M. Gilles Bloch. - Je serai un avocat infatigable du soutien de l'État à l'Inserm, mais il faut être pragmatique. L'État doit vraiment nous accompagner sur certains sujets ; j'ai parlé de la politique indemnitaire. Mais je suis conscient que les marges de manoeuvre sont parfois totalement bloquées pour quelques années. Dans ce cas, les opérateurs doivent essayer de trouver des fonds par eux-mêmes. Je ne serai pas résigné : j'argumenterai des demandes auprès de l'État si elles peuvent présenter des retours sur investissement - les plans Santé peuvent en présenter en l'espace de quelques années.
Mme Annick Billon. -Vous avez peu parlé du statut de l'étudiant chercheur, un statut peu valorisé. J'ai visité l'institut Imagine ; des étudiants ont lancé des projets, mais ne sont pas sûrs d'avoir des bourses pour les mener à terme. Doit-on se pencher sur cette question ? Allez-vous le faire ? Le métier de chercheur est-il suffisamment attractif en France ?
M. Gilles Bloch. - Vous évoquez sans doute les doctorants, voire les étudiants en master qui, pour certains, cherchent des financements.
Je suis convaincu que les jeunes doctorants sont des collaborateurs précieux, qu'il faut accompagner. Il faut faire la chasse aux financements précaires. Il faut appliquer une certaine rigueur - c'est, me semble-t-il, le cas à l'Inserm - pour avoir de véritables contrats permettant aux doctorants de mener à terme leur thèse. Malgré tout, il faut le savoir, tous les étudiants en thèse n'ont pas vocation à travailler dans la recherche publique. Aussi, il convient d'assurer aux doctorants dans les laboratoires de l'Inserm une formation complémentaire - c'est l'une des missions des écoles doctorales - pour augmenter leur employabilité. On peut faire beaucoup de choses avec les moyens qui existent pour améliorer l'insertion des doctorants, y compris dans le domaine des sciences de la vie et de la santé.
Mme Colette Mélot. - Je vous remercie pour votre présentation. Votre parcours, vos compétences, les responsabilités que vous avez exercées, ainsi que celles que vous exercez actuellement en tant que président de l'Université Paris-Saclay témoignent de la solidité de votre candidature. Je voudrais néanmoins vous poser deux questions. Quel plan envisageriez-vous pour renforcer la prévention en matière de santé publique, notamment en matière d'alimentation ? Je pense aux travaux complémentaires nécessaires pour donner suite à l'étude de l'Inserm faisant valoir une diminution de 25 % du risque de cancer chez les consommateurs réguliers d'aliments bio.
M. Gilles Bloch. - Ce sont typiquement des sujets sur lesquels on ne travaille pas assez en France. En dépit d'équipes compétentes, l'effet de masse n'est pas encore là. Au Royaume-Uni ou en Suède, par exemple, de telles recherches sont beaucoup mieux organisées. C'est pourquoi je demanderai au Gouvernement des moyens dédiés - j'espère que vous m'aiderez à les obtenir - pour accompagner l'Inserm et, plus globalement, la communauté biomédicale à travailler sur la prévention. Dans notre pays, le système médical est très orienté sur les soins et pas assez sur la prévention. Je me pencherai dans les semaines qui viennent sur les travaux que vous avez évoqués, mais j'ai entendu dire que ces données scientifiques n'étaient pas avérées. Il y a un véritable besoin de recherche en la matière, et la recherche en prévention doit faire partie des plans sur lesquels l'Inserm doit être accompagné.
Mme Colette Mélot. - Le groupe Les Indépendants - République et Territoires que je représente a été à l'initiative d'une mission d'information sur les pénuries de médicaments et de vaccins. Quelle est votre vision sur ce problème de santé publique majeur, qui connaît une forte recrudescence ces dernières années ?
M. Gilles Bloch. - L'Inserm est un organisme de recherche ; il n'est donc pas chargé de la prévision de la production des médicaments et de leur distribution. Toutefois, on peut faire de la recherche sur l'organisation des soins. Il faut négocier avec le Gouvernement un plan d'action pour la recherche en santé publique incluant le volet organisationnel des soins. On peut imaginer que des équipes de recherche se saisissent de la question de la défaillance de production et d'approvisionnement dans ces secteurs, en y portant un véritable regard scientifique. Les politiques publiques doivent être fondées sur des faits scientifiques. Cela fait sens que des scientifiques examinent la question de la pénurie avec toute l'expertise requise.
M. Antoine Karam. - L'une des priorités de votre plan d'action est de donner toute sa place à l'Inserm au niveau local ; je ne peux que vous soutenir. À mon sens, la recherche est un atout fondamental dans le développement et l'attractivité de tous les territoires. Le Centre d'investigation clinique interrégional Antilles-Guyane, qui dépend de l'Inserm, réalise un travail considérable en matière de recherche épidémiologique, notamment sur les maladies infectieuses et tropicales. Pour autant, on a l'impression que le millefeuille constitué par toutes les autres entités de recherche complique la reconnaissance de la recherche en santé tropicale. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Ne faudrait-il pas mieux valoriser l'identité de recherche dont nous disposons outre-mer ? Cela doperait l'attractivité de nos universités et nos hôpitaux.
M. Gilles Bloch. - Les territoires d'outre-mer, par la présence de pathologies spécifiques, de populations avec des fonds génétiques différents, de liens avec un environnement différent de l'environnement métropolitain, sont des territoires de niches au sens positif du terme. Il faut que l'on y aborde les questions de maladies infectieuses ou relatives au lien entre la santé et l'environnement avec un regard particulier. Je serai extrêmement attentif à ce que l'on profite de la richesse de ces territoires.
Mme Maryvonne Blondin. - Merci, monsieur Bloch, de votre présentation. L'une de vos priorités est de développer les sites. Je voudrais vous interroger sur les recherches dans le domaine maritime et le monde marin, un monde encore méconnu, qui offre pourtant des potentialités énormes. L'arénicole, un ver marin, présente des propriétés pour le liquide de préservation des greffons. Quelles orientations souhaitez-vous mettre en place pour travailler en partenariat avec ces laboratoires privés et aussi avec l'Institut universitaire européen de la mer (IUEM) ?
Par ailleurs, la communication avec le monde scientifique est certainement convenable, mais il conviendrait de développer la communication avec le citoyen. Vous avez travaillé sur le plan Antibiothérapie, mais les résultats ne transparaissent pas dans les plans régionaux de santé.
M. Gilles Bloch. - En termes de biodiversité, il est clair que le domaine maritime, la biosphère dominante au niveau de la planète, présente des réservoirs extraordinaires de molécules, d'activités enzymatiques qu'il faut explorer. L'Inserm doit travailler en lien avec le CNRS, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), l'IUEM. Au cours des dix ou quinze dernières années, on a découvert des écosystèmes marins profonds ; je pense à la lithosphère où vit un monde microbien florissant, avec des activités enzymatiques insoupçonnées. Il faut exploiter cette richesse. L'Inserm peut travailler avec des opérateurs pour récupérer des échantillons en vue de développer de nouvelles activités : je pense en particulier à l'antibiothérapie et à la bioproduction de molécules thérapeutiques. N'oublions pas non plus les biomatériaux, même si les coraux ont déjà été exploités. Le monde marin constitue à l'évidence un gisement d'opportunités pour la recherche biomédicale.
Concernant la communication avec les citoyens, j'ai le sentiment que l'Inserm s'est saisi du sujet depuis quelques années, en organisant des manifestations : 150 000 personnes par an participent aux conférences et aux expositions qui ont lieu sur l'ensemble du territoire. Mais il y a toujours des marges de progrès. Il s'agit non pas de promouvoir l'image de l'Inserm ou les plans de santé publique qu'il porte, mais de faire partager à nos concitoyens ce qu'est la science et ce qu'elle peut apporter au service de la santé. En témoigne le sujet sensible de la vaccination.
D'ailleurs, l'Inserm s'est récemment approprié YouTube et les réseaux sociaux et développe via Canal Détox des petits films destinés aux jeunes pour lutter contre les fake news. Il faut que l'Inserm continue à jouer, j'en suis bien conscient, un rôle de médiation et d'éducation, au sens noble, auprès de nos concitoyens.
Mme Marie-Pierre Monier. - J'évoquerai un autre domaine, celui des plantes médicinales. J'ai fait partie d'une mission d'information du Sénat tout à fait passionnante sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales et les métiers d'herboriste. Vous le savez, la population a, à l'heure actuelle, un véritable engouement pour se soigner autrement. Quelques chiffres : 25 % d'acheteurs, et le marché des médecines naturelles représenterait plus de 3 milliards d'euros. Au-delà des chiffres, j'ai rencontré des gens passionnés. Le métier d'herboriste existait jusqu'en 1941. Il faut expliquer les bénéfices des plantes pour la santé. La recherche devrait peut-être se saisir de ce sujet.
M. Gilles Bloch. - Je suis assez sensible au sujet que vous évoquez : j'ai une fille anthropologue, qui travaille en Chine, sur les questions de médecine traditionnelle notamment - L'État chinois a quelques travers, mais une santé publique de très bon niveau. Les pharmacies chinoises traditionnelles sont extraordinairement riches, avec une organisation très efficace de la collecte des plantes médicinales.
La difficulté est que, en la matière, les principes actifs sont souvent multiples : cette médecine ne s'est pas construite sur le dogme selon lequel un agent actif unique soigne une cible elle-même unique. Or, pour les approches multifactorielles, la science occidentale n'était pas très bien outillée. Les choses sont néanmoins en train de changer, et il devient possible, aujourd'hui, grâce à l'intelligence artificielle notamment, d'identifier des relations de causalité plus complexes. Il pourrait donc être pertinent de réinvestir le champ de la recherche sur les plantes médicinales. Il faut le faire avec prudence et avec méthode, mais il s'agit véritablement d'un sujet intéressant.
M. Jean-Marie Mizzon. - Vous avez dit tout à l'heure que l'Inserm devait mobiliser davantage les fonds européens pour pallier la pénurie de crédits nationaux. Vous avez ajouté qu'il fallait que nos priorités deviennent des priorités communautaires - d'autres, en Europe, y songent également. Comment comptez-vous vous y prendre pour que l'Europe fasse siennes vos priorités ?
M. Gilles Bloch. - Les appels d'offres européens comprennent toute une phase de consultation, avec des draft papers qui circulent. Nous ne sommes pas assez présents dans cette phase ; nous avons donc des marges de progrès s'agissant de notre mobilisation et de notre capacité à faire remonter nos messages.
Par ailleurs, la présence de Français dans les comités d'experts de la Commission est insuffisante. Ce travail est de longue haleine ; nos collègues ont parfois des réticences, liées à des problèmes de langue de travail ou d'interruption de la carrière académique. Mais nous devons nous mobiliser sans relâche sur ce problème de la présence de Français dans les instances européennes qui définissent les programmes de recherche.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur Bloch, d'avoir répondu à nos questions. Nous allons maintenant délibérer.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l'Inserm
La commission procède au vote sur la proposition de nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l'Institut national de santé et de recherche médicale (Inserm).
La réunion est close à 9 h 55.
- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président -
La réunion est ouverte à 11 h 30.
Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l'Inserm
M. Pierre Ouzoulias, président. - Nous allons procéder au dépouillement du scrutin, simultanément avec la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. J'invite Dominique Vérien et Alain Schmitz à décompter les résultats.
Les résultats du vote à bulletin secret sont les suivants :
- nombre de votants : 18
- nombre de suffrages exprimés : 13
- pour : 12.
- contre : 1.
La réunion est close à 11 h 35.