- Mercredi 30 janvier 2019
- Audition de M. Roch-Olivier Maistre, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
- Audition de M. Stéphane Bern sur le bilan de la mission sur le patrimoine confiée par le Président de la République
- Nomination de rapporteur
- Jeudi 31 janvier 2019
Mercredi 30 janvier 2019
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de M. Roch-Olivier Maistre, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Avant d'entamer l'audition publique, je souhaite rappeler à nos collègues qui ne seraient pas encore rompus à cet exercice son caractère très officiel : à l'issue de l'audition, nous devrons procéder à un vote pour lequel les délégations ne sont pas admises. Après les questions du rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel Jean-Pierre Leleux, je donnerai la parole à un orateur par groupe, puis à l'ensemble des sénateurs. Merci de vous concentrer sur quelques questions et d'éviter les commentaires.
M. André Gattolin. - Je suis étonné que la présidence du Sénat ne nous ait toujours pas demandé notre avis sur sa nomination d'un membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Le précédent collège a quitté ses fonctions. La commission aurait dû être informée.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La proposition de nomination devrait avoir lieu cette semaine ; je vous tiendrai au courant dès que j'en saurai davantage.
M. Roch-Olivier Maistre est introduit dans la salle de réunion.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaite la bienvenue à M. Roch-Olivier Maistre, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Cette nomination s'exerce dans le cadre du dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution selon lequel « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».
À l'issue de l'audition, nous nous prononcerons donc par un vote à bulletins secrets, comme l'Assemblée nationale l'a fait hier après-midi. Le dépouillement aura lieu simultanément dans les deux commissions. Si l'addition des votes négatifs représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, le Président de la République ne pourra procéder à cette nomination. Aucune délégation de vote ne sera possible.
Permettez-moi enfin de rappeler l'importance de cette audition et des missions qui sont confiées au président du CSA, notamment à la veille d'une réforme de l'audiovisuel qui devrait intervenir cette année. Jamais, sans doute, la dimension régalienne de cette autorité publique n'aura été aussi prégnante, compte tenu des menaces qui pèsent sur l'information. Rarement également les aspects économiques et sociaux du secteur de l'audiovisuel et de la création n'auront été aussi questionnés à l'heure où les grandes plateformes numériques changent complètement les usages et l'offre.
Nous avons donc besoin de connaître votre vision sur ces évolutions, Monsieur le rapporteur général, et je sais que de nombreux collègues souhaiteront vous poser des questions. En attendant, nous vous écoutons.
M. Roch-Olivier Maistre, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel. - J'ai pleinement conscience de l'importance de la mission que le Président de la République a proposé de me confier. La perspective d'oeuvrer dans un champ qui est au coeur de nos libertés publiques et de l'expression culturelle française est pour moi plus qu'un honneur, c'est une grande responsabilité.
C'est d'abord une expérience que j'entends mettre au service de cette institution. Actuellement président de chambre à la Cour des comptes où j'exerce les fonctions de rapporteur général, j'ai consacré toute ma vie au service public et en particulier au monde de la culture et de la communication. J'étais tout jeune conseiller au cabinet du ministre de la culture et de la communication lorsqu'a été élaborée, avec Michel Boyon - plus tard président de Radio France puis président du CSA - et le regretté Xavier Gouyou-Beauchamps, la grande loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, dite loi Léotard, qui, aujourd'hui encore, fixe le cadre général applicable au champ audiovisuel. J'ai vécu en direct ce moment de bascule pour l'audiovisuel et pour les Français, marqué par la fin d'un quasi-monopole public.
Depuis lors, le paysage s'est totalement métamorphosé ; par les différentes fonctions que j'occupe, par les différentes missions que les gouvernements successifs ont bien voulu me confier, j'ai eu la chance de pouvoir suivre en « spectateur engagé », pour reprendre la belle formule de Raymond Aron, cette extraordinaire évolution. J'en ai pris la mesure tout particulièrement aux côtés du président Jacques Chirac, auprès de qui j'ai suivi pendant cinq années en qualité de conseiller les questions d'éducation, de culture et de communication. J'ai vécu, entre autres, l'émergence de la télévision numérique terrestre, combat difficile où nous nous sommes heurtés à l'opposition des opérateurs historiques, et que nous avons pu mener à bien grâce notamment à la ténacité du président du CSA de l'époque, Dominique Baudis. Cela a transformé le rapport des Français avec la télévision. J'ai aussi accompagné la genèse et le lancement de France 24, qu'on appelait à l'époque la « CNN à la française ». J'ai vécu le formidable combat pour la reconnaissance de l'exception culturelle. J'ai participé, en 2017 et 2018, avec mon ami Marc Tessier, ancien président de France Télévisions, aux réflexions sur l'évolution de notre audiovisuel public.
Je pense avoir acquis aujourd'hui une bonne connaissance des acteurs et des problématiques de l'univers des médias audiovisuels, mais aussi de la presse écrite et de tous ces créateurs qui font la vitalité de notre vie culturelle et participent au rayonnement de notre pays dans le monde.
Par ailleurs, mon parcours m'a conduit à deux reprises à me confronter à l'exercice singulier de la régulation : dans l'univers du cinéma d'abord, en qualité de médiateur du cinéma pendant six ans ; dans le domaine de la presse écrite ensuite, en qualité de président de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. Cette double expérience m'a appris que la régulation est un art subtil, exigeant un équilibre permanent entre le droit et les acteurs pour préserver les principes essentiels posées par le législateur ; un art qui exige capacité d'écoute, diplomatie, impartialité, équité dans la décision, sens de l'intérêt général ; un art qui exige aussi souvent du courage.
Enfin, avec les différentes responsabilités que j'ai eues à la Ville de Paris, à la direction générale de la Comédie française, comme président du conseil d'administration de la Cité de la musique ou comme administrateur de France Médias Monde, je pense avoir acquis une solide expérience de la gestion publique et de l'animation d'une équipe de collaborateurs. Mes années passées comme magistrat de la Cour des comptes, outre l'exigence d'indépendance et de neutralité qui s'attache à ces fonctions, n'ont fait que renforcer cette expérience, mais aussi conforter une conviction que j'ai chevillée au corps : la délibération collective, la collégialité ne peuvent qu'enrichir le processus de décision. C'est donc fort de ces expériences diversifiées et d'un attachement profond aux valeurs républicaines, que je souhaite aujourd'hui m'engager dans cette nouvelle mission. Je le fais en pleine conscience des évolutions, voire de la révolution qui est à l'oeuvre aujourd'hui dans le secteur.
Je voudrais partager avec vous trois convictions. La première, c'est que le CSA est une institution qui est au coeur de la demande sociale. C'est peu de dire que l'environnement dans lequel le CSA inscrit son action est en profonde transformation : révolution numérique, multiplication et fragmentation de l'offre, transformation des usages avec la diversification des écrans et des modes de réception du média radio - lui-même engagé désormais dans le déploiement de la radio numérique terrestre - irruption de nouveaux acteurs - en particulier les GAFA et maintenant les Gafam - disparition des barrières internationales à la télévision, à la radio sur tous les nouveaux supports...
Dans ce contexte particulièrement mouvant, j'ai le sentiment que les principes posés par la loi de 1986 demeurent d'une brûlante actualité : défense du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion à l'heure où l'audiovisuel est concurrencé par les réseaux sociaux et les sites internet, vigilance sur la diversité et la juste représentation de toutes les composantes de la société et de tous les territoires, notamment l'Outre-mer, promotion inlassable de la parité, protection de l'enfance et de l'adolescence, respect de la dignité de la personne humaine et de ses représentations, lutte contre la diffusion des contenus contraires à toutes les valeurs de la République. Chacun de ces principes fait écho à de fortes attentes de notre société - éducation aux images et aux écrans, lutte contre les contenus haineux, racistes et antisémites - et aux préconisations du récent rapport de Mme Avia et MM. Amellal et Taïeb. Je pense à l'inquiétant développement du phénomène des fausses nouvelles, qui met en péril le débat public ; je pense à la liberté d'informer, quand les journalistes sont attaqués dans l'exercice de leur métier ou quand on incendie volontairement une implantation de France Bleu en région. Cette liberté fondamentale nous renvoie à l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dit si justement que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ». Avec l'explosion des réseaux sociaux, la question de la déontologie de l'information est aujourd'hui devenue centrale pour nos concitoyens et pour la confiance qu'ils placent dans l'information, mais aussi pour les professionnels eux-mêmes et pour notre vie collective et notre démocratie : la dernière étude du Cevipof témoigne en effet de la défiance qu'expriment nos concitoyens à l'égard de la sphère publique et des médias en particulier.
Par son champ d'intervention, le CSA a un rôle éminent à jouer en la matière : en amont par les recommandations qu'il émet et le dialogue qu'il engage avec les éditeurs ; en aval par les mises en demeure et les sanctions. Il nous faudra demain mettre en oeuvre la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Alors que se dessine une importante réforme de l'audiovisuel public, le Conseil doit, en toute indépendance, tenir toute sa place pour que les valeurs et les spécificités du service public, son rôle majeur en matière de transformation, d'éducation, de culture et de savoir soient préservés et confortés. Il doit être en particulier attentif à ce que le service public accélère sa transformation numérique pour rajeunir ses audiences et conforte ses offres de proximité. S'il n'appartient pas au régulateur, bien entendu, de se substituer à l'État pour définir la réforme, il lui reviendra de donner son avis et de l'accompagner.
Ma deuxième conviction est que le CSA est une institution qui a beaucoup changé, mais qui est appelée à se transformer davantage encore. Aux attentes de la société que j'ai rapidement évoquées répondent en effet celles non moins fortes de tous les acteurs de la filière audiovisuelle, qui aspirent à une régulation des rapports entre les différents maillons de la chaîne - auteurs, producteurs, diffuseurs, distributeurs - défendant la création et garantissant son financement conformément aux principes de l'exception culturelle. Beaucoup d'acteurs de la filière aspirent à la restauration d'une concurrence équitable avec les nouveaux acteurs du numérique. Si l'on veut préserver durablement notre modèle au service de la création, il faut entendre ces attentes, car nul ne saurait ignorer la dimension économique et culturelle de la sphère audiovisuelle, qui est un atout formidable pour notre pays et un puissant vecteur de rayonnement au-delà de nos frontières.
Dans le prolongement de ce qui a été fait par le passé avec l'intégration dans le champ de la régulation des chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), puis des services de vidéo à la demande, il faut poursuivre l'adaptation du périmètre de la régulation, permettre l'intégration de nouveaux acteurs dans les diverses plateformes de diffusion ou les réseaux sociaux. Des avancées importantes ont été obtenues : le projet de nouvelle directive constitue une première étape encourageante. Il faut aussi adapter les règles du jeu, une réglementation stratifiée, complexe, en partie inintelligible et souvent inadaptée à cette nouvelle donne ; il est temps de codifier les règles applicables et assouplir ce qui doit l'être. Il faut enfin adapter les modes de régulation : notre modèle fait intervenir une pluralité d'acteurs et repose sur une approche profondément normative face à des évolutions toujours plus rapides. J'ai la conviction qu'une place accrue doit être donnée - comme s'y est engagé le président Schrameck dont je tiens à saluer l'action - à ce qu'on appelle le droit souple et à une forme de co-régulation : une déclinaison des principes généraux posées par la loi, des engagements négociés avec les acteurs et mis en oeuvre sous la supervision du régulateur, une charte énonçant des principes que les parties sont engagées à respecter, la médiation et la conciliation. Dans un paysage en mouvement, il faut jouer la carte de la responsabilité des acteurs ; nous avons aujourd'hui plus besoin de régulation que de réglementation.
Dans le même esprit, une collaboration renforcée entre les différents régulateurs s'impose pour tendre vers plus de mutualisation, plus de cohérence et plus d'efficacité dans l'action. La loi annoncée par le Gouvernement pour cette année sera naturellement une échéance décisive ; le collège du CSA, qui a formulé il y a peu de nombreuses propositions pour refonder la régulation, jouera, par ses avis, tout le rôle qui lui revient.
Ma troisième conviction, c'est que le CSA est une institution qui doit être toujours plus ouverte sur l'extérieur. L'indépendance qui est sa marque et que j'entends défendre ne saurait, dans mon esprit, être synonyme d'isolement ou de repli sur soi. Comment pourrait-on bien réguler sans être à l'écoute de l'écosystème ? Le CSA doit d'abord être ouvert à la représentation nationale. En la matière, ma vision est simple et sans ambiguïté : je me tiendrai toujours à la disposition du Parlement, en particulier de votre commission pour enrichir nos travaux, pour expliquer nos objectifs et nos choix, mais aussi pour imaginer ensemble les évolutions souhaitables et utiles. Il appartient au seul législateur de définir nos missions et les ressources qui leur sont nécessaires ; il nous revient de les remplir au mieux et au meilleur coût. C'est pourquoi je considère ce dialogue permanent entre le Parlement et le CSA comme essentiel pour asseoir la pleine légitimité de son action.
Le CSA doit également être ouvert sur nos concitoyens qui sont, en définitive, les premiers bénéficiaires de la liberté de communication. Au-delà du traitement normal des plaintes, l'institution doit s'attacher à prendre en compte les attentes des Français, elle doit veiller à la transparence de ses interventions à la pédagogie de ses initiatives et de ses décisions. La régulation aura de plus en plus une dimension participative.
Il doit aussi être ouvert sur les acteurs, qui seuls permettent d'anticiper les mutations économiques, technologiques, sociologiques, de se projeter dans le futur et de prendre la juste mesure des problématiques du moment face aux incertitudes de l'avenir - qui peut dire en effet ce que sera notre paysage audiovisuel dans cinq ou dix ans ? Le CSA doit renforcer sa capacité prospective, comme il l'a fait avec la création du CSA-Lab. Il doit enfin être ouvert sur le monde et singulièrement sur l'Europe et la francophonie. Sur ce point, j'entends poursuivre les efforts entrepris pour approfondir la logique de coopération engagée avec la création du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga) et avec le réseau des autorités de régulation francophones. L'émergence d'une Europe des médias dont témoignent les initiatives en cours sur la responsabilité et le régime fiscal des acteurs du numérique, avec la future directive « droits d'auteur », constitue à mes yeux un enjeu majeur. Mais elle ne saurait se réduire à une simple régulation du marché ; elle est indissociable de l'histoire du continent et de la richesse de sa culture. Je suis confiant : l'Europe, y compris dans le domaine des médias, s'attache à toujours mieux préserver son exception culturelle.
Face à ces défis, je suis convaincu que le CSA dispose, trente ans après sa création, de solides atouts pour se renouveler : richesse et diversité des expériences des membres de son collège et des 300 collaborateurs dont je connais la compétence et le sens du bien public. C'est donc avec conviction et détermination que je souhaite aujourd'hui, si vous en décidez ainsi, m'engager dans cette belle mission.
M. Jean-Pierre Leleux. - Parmi les centaines de questions que nous aimerions vous poser, j'en ai retenu quatre...
L'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que les contrats d'objectifs et de moyens (COM) déterminent, pour chaque société publique, « le montant des ressources publiques devant lui être affectées ». Depuis 2017, ces contrats ne sont pas respectés par l'État, et aucune annonce concernant la préparation d'avenants n'a été faite. Si l'on considère que la garantie des ressources dans le temps est aujourd'hui la principale condition de l'indépendance de l'audiovisuel public, ce non-respect est une atteinte sévère à cette même indépendance. Le CSA n'a pas cru bon de se dresser jusqu'à présent contre cette situation. Comptez-vous oeuvrer pour faire évoluer la position de l'autorité sur ce point afin de réaffirmer l'indépendance de l'audiovisuel public et donc la nécessité de garantir des moyens dans le temps ?
Le colloque européen « Comment réenchanter l'audiovisuel public à l'heure du numérique ? » organisé par notre commission le 12 juillet dernier a mis en évidence l'importance de la stabilité des ressources de l'audiovisuel public. Alors que le rendement de la contribution à l'audiovisuel public - l'ancienne redevance - est menacé par l'évolution des usages, que pensez-vous d'une réforme « à l'allemande » telle que notre commission l'a proposée en 2015, à la suite du rapport que nous avions présenté, André Gattolin et moi ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - ...laquelle réforme a récemment été déclarée conforme à la Constitution dans ce pays.
M. Roch-Olivier Maistre. - Votre observation sur les contrats d'objectifs et de moyens rejoint, vous le savez, le constat que la Cour des comptes a fait elle-même, à l'occasion de ses contrôles sur France Télévisions et Radio France. C'est une vraie difficulté. Effectivement, les contrats sont à peine signés qu'ils ne sont pas respectés. Le CSA est compétent pour rendre chaque année un avis sur l'exécution du cahier des charges des entreprises mais aussi de leur contrat d'objectifs et de moyens ; c'est l'occasion pour lui de s'exprimer sur ce point. Ces entreprises ne peuvent bien fonctionner que si elles ont une visibilité en profondeur sur leur financement. Le Conseil constitutionnel lui-même a eu l'occasion de dire que le niveau de financement en rapport avec les missions que l'État confie à ses entreprises est une condition de leur indépendance. Il faut donc être vigilant sur ce point : le service public a besoin d'un financement pérenne, stable, autonome.
La question de la contribution à l'audiovisuel public est devant nous. Elle ne relève pas au premier chef de la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel, mais de celle du législateur. Nous allons tout d'abord être confrontés à un problème de vecteur, c'est-à-dire de collecte de cette ressource, avec la réforme de la taxe d'habitation. Se posera ensuite un problème d'assiette, en raison de l'évolution des usages que vous avez soulignée.
Jusqu'à présent, la redevance ayant été relativement dynamique, la question ne s'est pas directement posée. Toutefois, dans un récent rapport, la Cour des comptes a souligné que ce dynamisme n'était pas assuré dans le temps, eu égard à cette même évolution des usages. Dès lors, plusieurs options sont possibles.
Ces dernières années, plusieurs pays européens ont réformé leur dispositif de redevance. Le choix allemand d'une assiette large est intéressant, mais délicat. Il appartiendra aux pouvoirs publics de prendre une décision.
M. Jean-Pierre Leleux. - Depuis plusieurs années, la télévision numérique terrestre, la TNT, apparaît menacée par les opérateurs de télécommunications qui souhaitent récupérer les fréquences dédiées à la télévision. Au niveau européen, l'échéance de 2030 a été fixée, mais un examen d'étape aura lieu en 2025.
Aujourd'hui, l'accès à internet n'est pas garanti pour une part importante des Français - on parle de un sur quatre -, ce qui rend tout basculement vers le numérique irréaliste.
De plus, la TNT est la seule technologie qui respecte l'anonymat, au moment où la télévision est menacée par l'exploitation des data. Quelle serait votre position sur la TNT ?
Par ailleurs, une mission importante du CSA concerne la radio. Les fréquences FM sont aujourd'hui saturées. Même France Bleu n'est pas diffusée sur tout le territoire. La qualité de réception reste mauvaise sur les autoroutes et sur certaines routes.
Les grands groupes de radio se sont opposés au développement de la RNT - la radio numérique terrestre -, qui pourrait occasionner une redistribution des cartes. La réception par IP, sur internet, se présente aujourd'hui comme une alternative que l'on ne peut ignorer. Quelle serait votre position sur la RNT qui semble, depuis peu, reprendre son envol ?
M. Roch-Olivier Maistre. - J'ai évoqué mes souvenirs personnels liés au lancement de la TNT. Vous comprendrez donc mon attachement particulier à ce vecteur de diffusion. Toutefois, ce n'est pas seulement de la nostalgie : comme vous l'avez souligné, pour beaucoup de nos compatriotes, il s'agit du seul accès à une offre élargie de télévision gratuite. Il existe encore des marges de progression sur lesquelles travaille le CSA, notamment pour aller vers la ultra haute définition à l'approche des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
Il faut défendre la TNT. Je suis conscient de ce problème de fréquences convoitées par la sphère des télécoms. Toutefois, l'échéance de 2030 est encore lointaine. Il est d'autant plus important de soutenir la TNT que la généralisation de l'accès au haut débit sur l'ensemble de notre territoire va prendre encore beaucoup de temps...
Je vous remercie d'avoir évoqué la radio. Les Français sont très attachés à ce média qu'ils écoutent environ trois heures par jour en moyenne. Pour autant, la radio est confrontée à plusieurs difficultés. Son auditorat vieillit : les plus jeunes se tournent plutôt vers les plateformes de streaming musical. Ses recettes publicitaires tendent à se contracter. Enfin, il y a la contrainte technologique que vous avez soulignée : le CSA a pu moderniser la bande FM pendant quelques années, ce qui a permis de libérer des fréquences. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'existe plus aucune marge de manoeuvre. Dans certaines zones - à Lyon, à Strasbourg ou à Lille, par exemple -, la saturation de la bande rend impossible toute attribution nouvelle de fréquence.
Pour toutes ces raisons, la radio numérique terrestre, qui a fait l'objet de nombreux rapports et qui faisait un peu figure de « belle au bois dormant », connaît une nouvelle dynamique. Le CSA a lancé des appels à candidatures à la fois sur les multiplex nationaux et locaux et a reçu plus de 40 demandes pour la partie nationale et plus de 170 pour la partie locale. Il s'agit de l'un des premiers dossiers auquel le nouveau collège devra s'attaquer.
Ce vecteur va permettre d'attribuer de nouvelles fréquences, notamment pour les acteurs locaux, d'offrir une qualité de son supérieure et surtout d'assurer la continuité du signal pour tous ceux qui se déplacent, sans rupture d'écoute. Les grands acteurs de la radio ont d'ailleurs fait acte de candidature et manifesté ainsi leur intérêt, ce qui est réconfortant.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez dit avoir participé, voilà un peu plus de dix ans, à la naissance de France 24 - CFII à l'époque.
Notre commission auditionnera demain le directeur général de Deutsche Welle, Peter Limbourg. Il nous exposera dans le détail la nouvelle ambition de l'audiovisuel extérieur allemand, notamment en Afrique et en Asie.
Quel peut-être le rôle du CSA dans la réforme à venir pour le développement de l'audiovisuel extérieur ?
M. Roch-Olivier Maistre. - Nous avons la chance de disposer d'un audiovisuel extérieur multifacettes avec une chaîne d'information en continu - France 24 -, un média radio très implanté et très efficace - RFI, en collaboration avec Monte-Carlo Doualiya - et un vecteur télévisuel très important de la francophonie, à savoir TV5 Monde.
Il s'agit d'un instrument puissant pour le rayonnement de notre pays, pour la diffusion de notre culture, de notre regard sur l'actualité et sur le monde. Cet ensemble, qui a été peu évoqué jusqu'à présent dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public, mérite une très grande attention.
Une mission sur l'audiovisuel public extérieur vient d'être confiée à un ancien collaborateur du Premier ministre, Olivier Courson. Attendons de connaître ses préconisations.
La Cour des comptes est actuellement en train de contrôler les entreprises de l'audiovisuel public extérieur, y compris Arte. Nous pourrons bientôt disposer d'une vision plus complète sur ce secteur.
Comme vous le savez, le CSA ne définit pas le cahier des charges. Il exerce une fonction de supervision et de suivi des conditions d'exécution de ces documents. C'est dans ce seul cadre qu'il peut porter une attention particulière à l'audiovisuel extérieur.
M. André Gattolin. - Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué les relations entre le CSA et la représentation nationale, en soulignant la complémentarité qui peut exister. Au-delà du fait que nous participions à votre nomination, le CSA apparaît de plus en plus comme un « colégislateur » : nous votons des lois, puis l'exécutif prend des décrets d'application. Or il semble que la volonté du CSA prime de plus en plus sur celle du Conseil d'État en matière d'orientation.
Je ne vous cache pas que nous nous sommes étonnés de certaines libertés prises par le Conseil supérieur de l'audiovisuel quant à l'interprétation, par exemple, de l'amendement de notre collègue Jean-Pierre Plancade adopté dans le cadre de la loi de 2013 sur la répartition des droits audiovisuels : nous étions très loin de ce qu'avait adopté la représentation nationale...
Autre exemple : la loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique prévoit la remise d'un rapport par le CSA. Nous ne l'avons toujours pas reçu...
Je veux bien croire qu'il s'agit de simples dysfonctionnements. Il ne faudrait pas qu'une sorte de concurrence entre le CSA et nous s'instaure en matière d'interprétation de la loi. J'aimerais connaître votre position et votre philosophie sur cette question.
M. Roch-Olivier Maistre. - Votre question m'amène à une remarque plus large sur les autorités administratives indépendantes. Il s'agit d'une question que votre assemblée connaît bien ; le rapport que le sénateur Mézard a remis dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat ayant conduit à l'instauration d'un nouveau cadre législatif en 2017.
En tant que magistrat à la Cour des comptes, j'ai contrôlé plusieurs autorités administratives indépendantes. La Cour a remis un rapport auquel j'ai participé, en décembre 2017, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur la politique de rémunération au sein de ces organismes, sujet particulièrement sensible...
Certains pensent que le développement de ces autorités s'accompagne d'une dépossession de l'autorité politique. Ce n'est pas ma lecture : le législateur crée ces autorités et leur assigne des missions. C'est particulièrement vrai du CSA : la loi de 1986 a été modifiée plus de quatre-vingts fois, ce qui donne un caractère quelque peu abscons au texte que j'ai eu la curiosité de regarder. Je ne vous en conseille pas la lecture...
Ce que j'ai dit dans mon propos liminaire n'était pas une figure de style : je pense que l'autorité du Conseil est indissociable du dialogue qui s'établit entre le Conseil et le Parlement. Je me tiendrai donc à la disposition de votre commission, madame la présidente.
Je crois que la phase de grands changements que nous allons traverser sera l'occasion d'échanges utiles et fructueux pour faire en sorte que notre paysage audiovisuel évolue de façon harmonieuse.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'attache beaucoup d'importance à ce que notre commission auditionne au moins une fois par an le président du CSA afin de dresser le bilan des travaux de l'année écoulée. Il s'agit alors d'exercer pleinement notre rôle de contrôle.
M. David Assouline. - M. Maistre et moi nous connaissons, notamment pour avoir travaillé ensemble sur le dossier Presstalis.
Je sais qu'il a oeuvré, au sein du cabinet de François Léotard, à l'élaboration de la loi qui ordonne encore aujourd'hui notre écosystème audiovisuel et à l'éclosion de la TNT. Il s'agit d'atouts essentiels au moment de repenser tout cet ensemble.
Vous avez marqué votre parcours, effectué en partie dans des cabinets qui ne sont pas de mon bord politique, de vos grandes compétences. Vous avez notamment occupé ces fonctions dans des périodes de cohabitation. Vous connaissez donc tout de l'art du compromis... Il me semblait important de souligner vos atouts au moment d'effectuer notre choix.
Ces dernières années, nous n'avons pas suffisamment vu le CSA s'affirmer dans le combat pour l'indépendance de l'audiovisuel vis-à-vis du commerce. Il s'agit pourtant d'un sujet fondamental. Le niveau de concentration du secteur audiovisuel pèse sur l'indépendance des contenus, notamment informatifs. J'aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.
Par ailleurs, cette question a également une incidence sur l'une des missions du CSA : comment assurer la défense du pluralisme dans un secteur en pleine concentration ? Où pensez-vous placer le curseur ?
Enfin, les nouveaux usages que vous évoquiez concurrencent directement la télévision. Elle ne peut continuer d'exister que si ses fondamentaux ne peuvent être dupliqués par le numérique et la télévision à la demande. Il faut donc les défendre bec et ongles : je pense à l'information, bien évidemment, mais aussi au sport, dont l'accès est devenu payant et toujours plus cher.
Comment faire en sorte que le sport, facteur de cohésion sociale, soit plus accessible à l'ensemble de nos concitoyens ? Comment assurer la défense de l'information autrement qu'à travers des chaînes d'information en continu dont on a vu, encore récemment, qu'elles ne jouaient pas toujours un rôle très positif ?
M. Roch-Olivier Maistre. - Monsieur Assouline, merci de vos propos à mon égard. J'y suis très sensible.
Vous posez la question centrale de l'environnement économique de l'audiovisuel. Je pense que la régulation économique fait partie des missions qui doivent être dévolues au CSA.
Nous avons évoqué les problèmes d'asymétrie : certains acteurs internationaux présents sur notre sol - je pense aux fameuses plateformes - ne sont pas soumises aux mêmes obligations en termes de fiscalité, de catalogue ou de contribution au financement de la création.
La question se pose également en termes de concentration. Quand on a mis fin au monopole public, on a mis en place des dispositifs de nature à préserver le pluralisme et à éviter l'appropriation de plusieurs vecteurs par les opérateurs les plus puissants. Cette réglementation a vieilli.
Toutefois, depuis trente ans que cette question est sur la table, peu d'initiatives législatives ont vu le jour pour s'y attaquer. C'est un sujet complexe : d'un côté, il faut protéger les acteurs puissants à même de faire face à une concurrence internationale vive ; de l'autre, il faut préserver le pluralisme. Cela étant dit, quand je regarde mon écran de télévision, il me semble que ce pluralisme existe et que l'offre est même surabondante... Il nous faut donc trouver le point d'équilibre permettant de préserver à la fois nos acteurs nationaux puissants et le pluralisme.
Vous êtes meilleur expert que moi dans le domaine du sport pour avoir produit un rapport en 2015, si ma mémoire est bonne, sur le sujet. Je suis tout de même frappé de l'éviction des chaines gratuites du marché des droits sportifs. Ce phénomène est bien évidemment lié à l'explosion des droits sportifs, largement captés par les opérateurs privés.
Le décret de 2004 permet de préserver certains événements d'importance majeure - Tour de France, Roland-Garros, finale de la coupe de France de football... Une question majeure va se poser, celle des Jeux olympiques, dont les droits ont été cédés à une société privée. Comme vous le savez, il est très important que nos concitoyens puissent avoir accès aux épreuves qui vont se dérouler sur notre sol. Le service public a pris des initiatives en ce sens et noue des partenariats avec des acteurs privés.
Nous menons actuellement des travaux sur le piratage des retransmissions sportives qui a pris une nouvelle ampleur, notamment pour les matches du Paris Saint-Germain, par exemple. Il s'agit, là aussi, d'un vrai sujet.
Mme Françoise Laborde. - Trente ans, le bel âge : celui de la maturité, mais aussi celui du changement.
Comme vous l'avez souligné, le législateur donne au CSA sa lettre de mission et ce dernier la met en oeuvre, avec une part importante de co-construction. J'ai retenu de vos propos que vous vouliez ouvrir cette institution vers l'extérieur.
En ce qui concerne la régulation j'aimerais savoir si vous seriez favorable, dans le cadre du projet de loi de réforme de l'audiovisuel, à une extension des pouvoirs du CSA en termes de régulation et de contrôle des contenus diffusés via les podcasts ou les plateformes en ligne, par exemple. Je pense notamment à la diffusion de fausses nouvelles...
À cet égard, comment envisageriez-vous de collaborer avec la Hadopi sur ces questions de régulation et de contrôle ?
Enfin, le Sénat a voté une proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans. Quel rôle le CSA entend-il jouer sur cette question ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette proposition de loi, qui reconnaît pleinement le rôle du CSA, est très importante à nos yeux. Elle met également en exergue le peu de moyens dont dispose le Conseil pour mener ce combat.
Voilà quelques semaines, nous avons auditionné conjointement les cinq autorités administratives indépendantes intéressées : nous réfléchissons aujourd'hui aux convergences existantes, à la mutualisation des moyens entre ces différentes agences. J'aimerais connaître votre avis sur cette question.
M. Roch-Olivier Maistre. - Mon ambition, si je devais être nommé à sa tête, serait de faire entrer le CSA de plain-pied dans l'univers numérique. Tel est tout l'enjeu du mandat qui va s'ouvrir.
Au moment de sa création, la mission principale du CSA consistait à attribuer des fréquences appartenant au domaine public en contrepartie d'un certain nombre d'obligations et de s'assurer ensuite du respect de ces dernières. C'est sans doute de là que provient son surnom de « gendarme de l'audiovisuel ».
Le monde est entré dans une ère totalement nouvelle. De nouveaux acteurs viennent concurrencer les acteurs historiques. Nous assistons à des situations de distorsion de concurrence absolument majeures. C'est la raison pour laquelle il est devenu nécessaire d'étendre le périmètre de la régulation, devenu obsolète.
J'attends beaucoup du projet de loi en préparation. Le CSA a formulé une vingtaine de propositions à la fin de l'année dernière dont je me ferai l'avocat si je suis nommé à sa tête.
Je pense, madame Laborde, qu'il faut aller vers plus de collaboration avec les autres régulateurs. Je pense à l'Arcep - les télécoms sont aujourd'hui des acteurs majeurs de l'audiovisuel, comme on l'a encore vu ce matin avec l'annonce du rachat de Molotov par Altice -, à Hadopi - cette institution, comme le CSA, se trouve sur le terrain des contenus, dans la lutte contre le piratage - et à l'Arjel.
Une collaboration renforcée face à des interlocuteurs de dimension internationale, très puissants est aujourd'hui indispensable. Comment doit-elle se faire ? Par le bas, c'est-à-dire par le développement d'échanges, de rencontres, entre services, ou par le haut, c'est-à-dire de manière plus institutionnelle, avec des rapprochements ou des fusions ?
Malgré mon lourd passé de technocrate, encore aggravé par des années passées à la Cour des comptes, je suis prudent sur les scénarios de rapprochement. Qui trop embrasse mal étreint.
Nous évoquions à l'instant la question des autorités administratives indépendantes. Imaginons ce que deviendrait un « Big Brother » de la régulation en termes de respect des libertés publiques.
Par ailleurs, si ces autorités ont des intersections de compétences évidentes, ce ne sont que des intersections. Chacune d'entre elles a des missions très spécifiques, très particulières : la régulation des télécoms, c'est un métier à part entière ; le CSA est sur un autre. De même pour la CNIL, que je n'ai pas évoquée, mais avec laquelle il existe aussi des intersections évidentes en matière de protection des données, notamment des fichiers d'abonnements à forte valeur ajoutée.
Si je devais aller absolument vers un rapprochement, qui relèverait de la seule compétence du Parlement, ce serait peut-être avec la Hadopi. Ces deux institutions sont sur le terrain connexe des contenus : l'une lutte contre le piratage et promeut l'offre légale dans toute la mesure du possible, l'autre s'assure que les conditions de financement de la création sont préservées. Encore faut-il bien évaluer les données juridiques et économiques d'un tel rapprochement.
M. Michel Laugier. - Nous sommes entrés dans une période de campagne électorale : comment voyez-vous le contrôle du temps de parole des partis politiques ?
Jusqu'à présent, nous n'avons été forcément très convaincus de l'objectivité de ce décompte.
J'aimerais revenir sur la télévision numérique terrestre. On parle beaucoup aujourd'hui de technique - THD, 4K, HDR... Comment garantir une télévision de grande qualité ?
Je voudrais enfin évoquer l'avenir de France Télévisions. Quelle votre vision du périmètre des chaînes actuelles de France Télévisions et que pensez-vous du processus actuel de nomination du président de France Télévisions ?
M. Roch-Olivier Maistre. - le décompte du temps de parole est une mission importante du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui veille au respect du pluralisme et à la diversité des expressions, singulièrement en période électorale.
Il faut distinguer deux temps : avant et pendant la période électorale.
Avant - la question se pose d'ores et déjà avec le lancement du grand débat national -, le CSA appliquait jusqu'à récemment la règle dite des « trois tiers » : un tiers pour le bloc exécutif, un tiers pour le bloc majoritaire et un tiers pour le bloc de l'opposition.
Après les élections de 2017, le CSA, après avoir mené une concertation très élargie, a revu ses règles : hors période électorale, un tiers du temps est « réservé » au bloc exécutif - le Président de la République, les collaborateurs du Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement...- et les deux tiers restants doivent être répartis en fonction de la représentativité des forces politiques à partir d'une série de critères précis - représentation parlementaire, poids dans le débat politique, sondages d'opinion...
Une obligation déclarative pèse sur les éditeurs conventionnés avec le CSA qui doivent transmettre chaque mois le décompte des temps de parole. Le CSA procède lui-même à une vérification et les éditeurs doivent ensuite procéder à un rééquilibrage des temps de parole. Cette appréciation se fait sur un trimestre.
Ainsi, le temps de parole du Président de la République dans le cadre du grand débat national est bien décompté et les éditeurs devront rééquilibrer les choses sur le trimestre.
En période électorale, environ six semaines avant le début de la campagne, le CSA émet une recommandation dans laquelle il fixe la règle du jeu. C'est le principe d'équité qui s'applique - et non celui d'égalité, lequel n'a cours que pour l'élection présidentielle, dont c'est l'une des spécificités - avec un juste équilibre entre les forces politiques en présence et les différentes listes.
J'ai déjà souligné l'importance de la TNT, vecteur d'accès gratuit et neutre à la télévision pour un grand nombre de nos concitoyens. On peut encore le moderniser en allant vers l'ultra haute définition.
Dans le même temps, certaines échéances déjà évoquées se rapprochent, le haut débit se déploie sur le territoire, même s'il est encore loin d'être présent partout... Je reste toutefois un avocat chaleureux de la TNT qu'il faut défendre.
Le CSA n'a pas de compétence en matière de gouvernance du service public. C'est à l'État, actionnaire de ces entreprises, qu'il revient de les organiser. Quant à la réforme en cours d'élaboration, on en connaît seulement les contours évoqués par le Premier ministre l'année dernière. Il est donc encore trop tôt pour porter une appréciation précise.
Il n'est toutefois pas interdit d'avoir un avis. Aujourd'hui que j'ai le privilège de l'âge, je suis frappé par cette singularité française : à chaque élection nationale est posée la question du mode de désignation des responsables de l'audiovisuel public. Il faudra tout de même finir par trouver un système pérenne, même s'il n'en existe probablement pas d'idéal.
Votre commission a déjà largement eu l'occasion de travailler sur ces questions. Aujourd'hui, la désignation des dirigeants de l'audiovisuel public incombe à une autorité indépendante dont le collège est constitué de personnalités venues d'horizons différents, nommées par des autorités différentes - Président de la République, président du Sénat et président de l'Assemblée nationale. Cette diversité est encore accentuée par le renouvellement périodique du collège.
Le choix de confier cette désignation à une autorité indépendante est lié à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui vise à préserver l'indépendance des entreprises concernées.
Dans ce système, on reproche souvent au régulateur d'être à la fois juge et partie, puisqu'il choisit les dirigeants dont il va ensuite contrôler l'action. Mais quelles sont les alternatives ?
Laisser l'exécutif nommer directement les dirigeants, comme dans d'autres entreprises publiques ? Ce système, abandonné voilà quelques années, susciterait immédiatement la défiance : on soupçonnerait une tentative de reprise en main du secteur audiovisuel par le nouveau pouvoir.
Aller vers le droit commun des sociétés et laisser le conseil d'administration des entreprises concernées choisir leurs dirigeants ? Cette approche, assez séduisante, pourrait être le signe d'une certaine maturité du secteur. Mais si les administrateurs sont désignés par l'État, on retombe dans le travers précédent...
Tout cela pour dire qu'il n'existe pas de solution optimale. C'est un choix qui revient à l'autorité politique et au législateur en particulier.
Votre commission a beaucoup travaillé sur ce sujet, a beaucoup contribué au débat, a beaucoup nourri la réflexion. D'ailleurs, si une réforme de l'audiovisuel public est sur la table, c'est en grande partie grâce à vos travaux et à ceux, ai-je la faiblesse de penser, de la Cour des comptes.
Nous verrons ce qu'il ressortira de la réforme à venir, mais je pense que nous nous dirigeons vers un concept de média global. On ne fait plus de radio sans image aujourd'hui. Cette collaboration de toutes les entreprises existe déjà : Radio France et France Télévisions ont mis en place une offre conjointe.
Les premières expérimentations vont également débuter sur la collaboration entre France 3 et France Bleu.
Je suis convaincu que ce mouvement de convergence s'inscrit dans l'histoire. Comme pour les régulateurs, la question se pose d'une convergence par le bas, projet par projet, comme vient de le faire France Info et comme vont le faire France 3 et France Bleu, ou par le haut, dans le cadre d'un rapprochement institutionnel.
La création d'une BBC à la française peut également être une option, une holding coordonnant l'ensemble des entreprises du secteur public - à moins d'imaginer un président commun et des directeurs généraux, entreprise par entreprise, ou de permettre à ces entreprises de conserver leur autonomie tout en organisant leur collaboration... On peut tout imaginer, mais, à un moment donné, il faudra qu'il y ait un pilote dans l'avion pour organiser cette convergence et en déterminer la gouvernance.
Encore une fois, il ne s'agit que d'une analyse personnelle. Ces choix relèvent du Gouvernement et du Parlement.
Mme Colette Mélot. - Vous êtes un homme de culture, ouvert sur l'Europe et sur la francophonie.
Le CSA a été créé en 1989, aux prémices de la révolution numérique. Pourtant, ses fonctions de régulateur de l'audiovisuel se limitent encore officiellement à la télévision et à la radio. Or l'essentiel de l'information est aujourd'hui véhiculé par le web et par les plateformes numériques qui concentrent désormais un pouvoir sans commune mesure sur la diffusion des contenus.
La semaine dernière, le Sénat a adopté une proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Il s'agit de les protéger du pillage de leur contenu par les GAFA.
Êtes-vous favorable à ce que le CSA dispose d'une vraie compétence en matière de droits d'auteur et de droits voisins pour l'audiovisuel ?
M. Pierre Ouzoulias. - À plusieurs reprises, vous avez justement qualifié le CSA de régulateur. Toutefois, à vous entendre, cette fonction de régulation est de moins en moins bien encadrée par l'État. Et aujourd'hui, très naturellement, le CSA assure également des missions de contrôle des politiques publiques, mission que la Constitution confie au seul législateur.
Dès lors, comment travailler en bonne intelligence pour renforcer mutuellement nos capacités de contrôle de l'audiovisuel ? Nous gagnerions à utiliser davantage vos expertises et vos données et peut-être pourriez-vous renforcer encore votre indépendance grâce aux meilleures relations que vous entretiendriez avec le Sénat...
M. Jean-Raymond Hugonet. - À l'heure où les technocrates sont montrés du doigt, le musicien que je suis est très heureux de vous voir accéder à cette responsabilité.
Le maintien d'une filière culturelle nationale demande non seulement beaucoup d'argent public - nous savons combien il peut être difficile d'accorder les actes aux ambitions -, mais aussi des financements privés.
À cet égard, les groupes français apparaissent très fragiles par rapport à leurs concurrents européens. Ils se plaignent souvent des réglementations sur la concurrence, sur la production indépendante, sur la publicité, sur les différenciations et sur la diffusion des films.
Seriez-vous favorable, dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel, à une remise à plat de l'ensemble de ces règles pour bien distinguer celles qui sont nécessaires de celles qui sont beaucoup trop contraignantes ? Pensez-vous que le CSA peut jouer un rôle dans le rapprochement des différents acteurs concernés ?
Mme Annick Billon. - Je vais rester dans mon rôle de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes pour vous poser quelques questions simples : quelle politique, comptez-vous mettre en place pour l'égalité, grande cause du quinquennat du président Macron ?
La délégation avait auditionné, avec la commission de la culture, Sylvie Pierre-Brossolette, alors membre du CSA sur son rapport sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio. Elle avait mis en place un certain nombre de bonnes pratiques et nous avions pu tirer un premier bilan. Imaginez-vous poursuivre et amplifier ces mesures et cette politique en faveur de l'égalité, à la fois dans les missions du CSA et en termes de gestion des ressources humaines ?
Mme Dominique Vérien. - Comme vous l'avez souligné, le périmètre et les modalités de la régulation vont beaucoup évoluer. Vous avez également évoqué un éventuel rapprochement avec la Hadopi.
Toutes ces modifications vont induire une évolution des métiers, des compétences... Comment envisagez-vous ce tournant ? Il ne s'agit pas forcément de dépenser plus d'argent public, mais de le dépenser autrement.
Je pense que le CSA doit également mener une révolution numérique et s'adapter aux nouveaux traitements de l'information. Comment comptez-vous procéder ?
Mme Laure Darcos. - Mme Laborde m'a « pris » ma question sur la fusion entre CSA et la Hadopi, véritable serpent de mer.
Aurez-vous les moyens de vous assurer de la retransmission des épreuves des Jeux paralympiques de 2024 à des heures de grande écoute, c'est-à-dire pas à trois heures du matin ? Cette question nous tient vraiment à coeur.
Mme Sylvie Robert. - Dans le cadre de la future réforme de l'audiovisuel public, la suppression de France Ô et de France 4 a été annoncée.
Nous menons actuellement une réflexion sur le coût de la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public qui pose la question des indicateurs, voire même des quotas, et des pouvoirs de contrôle et de sanction. Il s'agit d'un chantier sensible et symbolique sur lequel j'aimerais connaître votre avis.
M. Jacques Grosperrin. - Mme Laborde a déjà posé « ma » question, mais vous n'y avez pas encore répondu...
Vous avez évoqué la protection des jeunes publics. Quelle est votre ambition en matière d'éducation à l'image et aux écrans, notamment au regard de la proposition de loi de la présidente Morin-Desailly, que le Sénat a adoptée ?
M. Laurent Lafon. - Je souhaiterais connaître votre position sur l'interdiction faite aux chaînes de télévision de diffuser des films un certain nombre de soirs de la semaine.
Cette mesure, qui visait à protéger les salles de cinéma, a-t-elle encore un sens aujourd'hui quand les plateformes de streaming comme Netflix permettent de regarder autant de films que l'on souhaite chaque soir ? Comment les chaînes de télévision peuvent-elles lutter contre une telle concurrence ?
M. Roch-Olivier Maistre. - J'ai été interrogé sur la proposition de loi relative à la création d'un droit voisin. Nous verrons ce qu'il adviendra de la directive Droits d'auteur, mais je pense qu'elle constitue un progrès important dans notre paysage.
Vous avez bien compris que j'avais un tropisme culturel. Or quand on s'intéresse aux questions liées à la culture, on est un adepte de la protection des droits d'auteur à la française. J'ai participé, à plusieurs reprises, à des combats importants dans ce domaine. La directive Droits d'auteur me semble pouvoir marquer une étape importante. Il s'agit d'un texte complexe qui rejoint en partie la directive sur le commerce électronique que vous connaissez bien, madame la présidente.
Je compte m'investir sur ce sujet, notamment en étant très présent au sein du réseau des régulateurs européens pour défendre les intérêts de la France et ceux de nos créateurs.
Je pense avoir déjà répondu aux différentes interrogations sur la capacité de contrôle du CSA et sur le dialogue que j'entends développer entre le Conseil et le Sénat.
Je l'ai dit d'emblée dans mon propos introductif : nous avons besoin de nourrir nos échanges respectifs, singulièrement dans cette période de mutation que nous allons traverser. Je serai à votre disposition pour participer à ces échanges. Je crois savoir que vous organisez prochainement un débat avec la Hadopi sur le piratage ; si je devais être nommé à la tête du CSA et si vous m'invitiez, je serais ravi d'y participer.
Vous m'avez également interrogé sur les obligations qui pèsent sur le secteur privé et sur l'ampleur de la réforme à mener. Faut-il faire une réforme globale ?
Pardonnez cette lapalissade, mais la loi de 1986 remonte à 1986, même si elle a été modifiée à plusieurs reprises. Nous avons d'autant plus l'occasion de rebattre les cartes que l'arrivée de nouveaux entrants de la sphère numérique crée des situations de concurrence qui percutent directement nos mécanismes de financement de la création : nos acteurs historiques, soumis à des obligations particulières, notamment en matière fiscale, sont concurrencés par des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations ni au même régime fiscal.
Il s'agit de sujets éminemment compliqués et sensibles, raison pour laquelle je crois nécessaire d'embrasser ces questions dans leur globalité pour pouvoir avancer et combattre efficacement ces distorsions.
En ce qui concerne la place des femmes dans l'audiovisuel, le législateur a confié des missions particulières au CSA. C'est un sujet auquel j'attache beaucoup d'importance. Je veux d'ailleurs saluer l'action de Sylvie Pierre-Brossolette.
Parmi les missions du président du CSA figure l'organisation du collège et la répartition des groupes de travail entre ces mêmes membres. Je serai très attentif à ce que cette question soit suivie activement.
J'ai découvert avec satisfaction le dernier baromètre du CSA sur ce sujet : les chiffres sont encourageants, les choses ont commencé à bouger. Les femmes sont aujourd'hui présentes dans l'ensemble de l'offre - information, fiction... -, même s'il existe encore des marges de progression.
Par contre, les choses ont beaucoup moins progressé sur le terrain de la juste représentation de l'ensemble des composantes de la société. Je me souviens très bien - pardonnez-moi d'évoquer ainsi mes souvenirs d'ancien combattant - d'une réunion à la présidence de la République, en présence de tous les acteurs publics et privés de l'audiovisuel. Il s'agissait de la première réunion de ce genre, au début des années 2000. Il s'agissait déjà d'évoquer la question de la juste représentation de la diversité. Quand je regarde le dernier baromètre, je reste effaré du chemin qu'il reste à parcourir. Il s'agit pourtant d'une question de cohésion sociale absolument majeure. Nous devons être actifs sur ce terrain-là.
La question de la représentation des outre-mer rejoint ce que nous disions des contrats d'objectifs et de moyens très ambitieux, mais qui ne sont jamais tenus. Avec l'arrêt de France Ô, nous sommes dans l'obligation de rebattre entièrement les cartes.
L'outre-mer doit être présent dans l'ensemble des compartiments de l'offre du service public, de la météo à l'information, de la fiction au documentaire, et pas seulement quand une catastrophe naturelle se produit ici ou là. Il s'agit également d'un enjeu majeur de juste représentation de nos compatriotes sur le service public audiovisuel.
Une telle volonté suppose évidemment de disposer d'indicateurs précis de suivi. Nous serons attentifs à leur mise en place dans le cadre de la réforme à venir.
Vous avez évoqué, madame Darcos, la retransmission de Jeux paralympiques. J'entends votre juste préoccupation. J'aurai également l'occasion d'évoquer - si je devais prendre la tête du CSA - cette question avec la présidente de France Télévisions.
La question de la représentation du handicap se pose au même titre que celle de la diversité de la société française.
La suppression de France 4 et de France Ô me permet d'évoquer plusieurs enjeux. D'abord, celui de filières de soutien aux programmes jeunesse pour lesquels nous disposons d'un savoir-faire particulier en France, reconnu. Il faut prendre garde de ne pas nuire à la capacité à l'exportation de cette filière. Il s'agit d'un enjeu culturel au sens plein du terme : comment le service public aborde-t-il la question de la jeunesse ?
À cet égard, madame la présidente, je n'aurai pas besoin de souligner l'importance de la protection de la petite enfance. Le hasard des circonstances fait que je dois rencontrer le ministre de l'éducation nationale la semaine prochaine, quel que soit le sort qui me soit réservé à l'issue de cette audition. Je ne manquerai de discuter avec lui de cette question d'éducation à l'image, si ma candidature était confirmée. Mon dernier fils est certes un adolescent de quinze ans, mais je vois bien quelle problématique soulève la gestion des écrans, à l'instar de tous les parents.
Il me semble toutefois nécessaire de distinguer petite enfance et jeunesse. Le traitement n'est pas le même et les vecteurs utilisés diffèrent également. Les adolescents ont plus recours aux plateformes numériques, notamment pour la musique, quand la diffusion hertzienne est encore privilégiée par les plus jeunes. Il s'agit en effet d'un accès beaucoup plus sûr à l'image.
Mme Vérien évoquait les moyens humains. Sa question rejoint celle de Mme Laborde sur la collaboration avec les autres régulateurs. Dans certains domaines, la ressource humaine est rare, notamment sur ces sujets assez pointus en termes de technologie.
Chacune de ces autorités a ses propres spécialités : le CSA sur les gestions de fréquences, par exemple. L'Arcep a également un vrai savoir-faire technique. La piste de la mutualisation des forces entre régulateurs est intéressante, à l'image de ce qui se fait déjà pour les directions ministérielles mises à disposition d'un autre ministre que celui dont elles relèvent. C'est une réponse de magistrat de la Cour des comptes... Peut-être serai-je tout de même amené à demander un renforcement de mes ressources.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions, monsieur le rapporteur général. Je vais maintenant vous raccompagner à l'extérieur, le temps que les membres de la commission procèdent au vote.
M. Roch-Olivier Maistre. - Je tiens à vous remercier pour l'intensité de ces questions. Je sais combien votre commission est active sur ces sujets. Je forme le voeu que nos échanges se poursuivent dans le futur.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
La commission procède au vote sur la proposition de nomination de M. Roch-Olivier Maistre Besse par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous allons à présent procéder au vote sur la candidature de M. Maistre. Nous allons tout d'abord désigner nos deux scrutateurs. J'appelle nos deux collègues, Françoise Laborde et Jean-Raymond Hugonet.
Il est procédé au scrutin par vote à bulletin secret et au dépouillement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. -. - Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :
- votes blancs ou nuls : 1
- nombre de suffrages exprimés : 26
La réunion est close à 12 h 45.
Audition de M. Stéphane Bern sur le bilan de la mission sur le patrimoine confiée par le Président de la République
La réunion est ouverte à 14 h 10.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - C'est un vrai plaisir d'accueillir aujourd'hui parmi nous Stéphane Bern pour qu'il nous présente le bilan de la mission que lui a confié le Président de la République sur le patrimoine.
Nous tenons exceptionnellement notre réunion dans la salle de la commission des finances du Sénat, ce qui est tout à fait symbolique. Déjà, parce que c'est une salle qui met à l'honneur le patrimoine français, avec six tapisseries des Gobelins datant du XVIIIe siècle, quatre provenant de la série des Portières des Dieux et deux faisant partie de la tenture de l'histoire de Don Quichotte. Mais aussi parce que c'est à l'initiative de la commission des finances que le Sénat a voté en novembre dernier un amendement au projet de loi de finances pour 2019 exonérant le Loto du patrimoine des taxes habituellement prélevées par l'État sur les jeux et loteries de la Française des jeux, disposition sur laquelle l'Assemblée nationale est malheureusement revenue en nouvelle lecture.
Nous nous félicitons que vous soyez parvenu à mettre en place ce jeu de loterie pour le financement du patrimoine. Des ressources complémentaires sont nécessaires. Notre commission sollicitait la création d'un tel jeu depuis plus d'une dizaine d'années. Nous entendrons d'ailleurs la semaine prochaine Guillaume Poitrinal pour tirer avec lui également le bilan de cette première édition. Vous savez que notre commission a à coeur de sauvegarder notre patrimoine. Nous avons joué un rôle actif en ce sens, tant au cours de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dont Jean-Pierre Leleux fut l'un des rapporteurs, que de celui du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Je vous cède la parole sans plus attendre.
M. Stéphane Bern. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation, à laquelle j'ai répondu d'autant plus volontiers que je sais qu'il n'y a parmi vous que d'ardents défenseurs du patrimoine, dans l'exercice de votre mandat au Sénat comme dans vos territoires. Votre combat récent pour obtenir l'exonération des taxes applicables au Loto du patrimoine ne m'a pas échappé. Ma ténacité me laisse espérer que les lignes puissent encore bouger.
La cause du patrimoine est essentielle. Elle va bien au-delà d'une simple question culturelle. Le patrimoine constitue une part de notre identité - une identité, qui plus est, sereine, non-hystérisée. Il contribue à la cohésion sociale et au développement économique de nos territoires. C'est pourquoi j'ai accepté avec beaucoup d'enthousiasme la mission que le chef de l'État m'a confiée. J'y ai aussi vu une occasion de rééquilibrer le décalage actuel dans le montant des crédits octroyés, d'une part, aux projets menés à Paris et dans les grandes villes et, d'autre part, à ceux conduits dans les zones rurales. Je ne remets pas en cause la nécessité de lancer des travaux de modernisation du Grand Palais, par exemple, mais il faut avoir à l'esprit que la décision d'octroyer 460 millions d'euros de crédits étatiques pour ce projet n'est pas toujours aisément comprise dans les territoires, auxquels on oppose la difficulté à réunir 20 millions d'euros pour la restauration des églises rurales.
La première partie de ma mission consistait à recenser le patrimoine en péril. Forts de l'idée que tous les Français sont les dépositaires du patrimoine, nous avons décidé de réaliser ce recensement en nous appuyant, non sur les services des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui en sont traditionnellement chargés, mais sur la création d'une plateforme participative. Nous avons reçu 2 000 signalements, qui nous ont permis d'identifier 269 sites auxquels apporter une aide. Plusieurs signalements portaient sur les mêmes sites. Nous n'avons pas soutenu les sites signalés dont les propriétaires se sont révélés défaillants, car nous ne pouvons pas aider les propriétaires qui ne veulent rien faire en faveur de leur patrimoine.
Nous avons privilégié dans la sélection les projets portés par des collectivités territoriales. Les députés nous invitent, pour la prochaine édition, à accroître la part de projets sélectionnés appartenant à des propriétaires privés dans le cadre de la mission flash sur la première évaluation du Loto du patrimoine, dont les conclusions ont été rendues la semaine dernière. Mais, je me suis rendu compte des problèmes d'ingénierie administrative rencontrés par les communes dans les zones rurales. Beaucoup de collectivités territoriales n'avaient pas sollicité les DRAC pour leur patrimoine en péril, faute soit de connaître les aides existantes ou soit de parvenir à constituer un dossier de subvention. Il y a un vrai besoin de développer l'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour les petites communes. Il faut soutenir les collectivités dans la protection de leur patrimoine.
Les projets sélectionnés représentent toute la diversité du patrimoine de la France. Nous ne nous sommes pas limités aux églises et aux châteaux, mais avons également sélectionné des projets qui sont des témoignages du patrimoine vernaculaire, du patrimoine du XXe siècle, du patrimoine industriel. Les sites archéologiques ou les maisons des illustres n'ont pas été oubliés.
Évidemment, nos propositions ont été soumises aux DRAC pour nous assurer que rien ne nous avait échappé. Je ne me suis pas caché d'avoir eu, dans les premiers temps de ma mission, des relations difficiles avec les services du ministère de la culture, qui craignaient sans doute une volonté de ma part de me substituer à la puissance publique. Les conflits se sont ensuite apaisés.
Les propositions ont ensuite été soumises à un comité de sélection. À l'origine, il nous avait été demandé de ne retenir parmi elles que 100 à 150 monuments. Compte tenu des besoins, je me suis battu pour que tous les dossiers qui nécessitaient une aide puissent l'obtenir.
Je crois fermement que le patrimoine doit redevenir une cause nationale. Notre pays est le plus visité au monde : il est important que ses trésors soient en bon état. L'objectif de mes propositions est de créer un choc pour montrer aux Français que nous sommes tous les dépositaires du patrimoine : ce n'est pas seulement à l'État et aux propriétaires d'agir. Chacun d'entre nous peut compléter leur action.
Les niches fiscales sont régulièrement pointées du doigt. Mais que peuvent défiscaliser les propriétaires quand ils n'ont de toute façon pas le premier euro pour lancer des travaux de restauration, même s'il est vrai que ceux-ci peuvent ouvrir droit à la possibilité d'en déduire le montant. Sans compter que la mise en place du prélèvement à la source s'est traduite par une véritable année blanche, qui a conduit de nombreux propriétaires à différer leurs travaux. Les effets sur les entreprises de restauration du patrimoine s'en sont fait sentir. J'ai d'ailleurs apporté mon soutien au Groupement des monuments historiques (GMH) sur ce point.
Les propriétaires sont exsangues.
Nous avons soumis notre liste au comité de sélection et privilégié volontairement les petites collectivités qui ne savent plus comment restaurer leur patrimoine : 64 % des projets sélectionnés relèvent de collectivités publiques, 25 % de propriétaires privés et 11 % d'associations.
J'ai travaillé en étroite collaboration avec le chef de l'État, son épouse, la Fondation du patrimoine mais surtout avec la Française des jeux. Nous nous sommes inspirés de la National Trust Lottery britannique mais aussi d'exemples historiques français : Louis XV avait eu cette intuition et je rappelle que le musée des Beaux-Arts de Valenciennes a été édifié grâce à un loto local. Nous avons heureusement dépassé les vieux débats séculaires sur les jeux d'argent !
Aujourd'hui, 86 % des Français adhèrent à l'idée d'un loto dédié au patrimoine et notre tirage a connu un véritable succès avec 30 % de tickets supplémentaires vendus par rapport à un tirage normal. Les tickets de grattage ont connu également un beau succès. J'ai personnellement rencontré l'une des gagnantes qui avait souhaité faire un geste pour le patrimoine de son pays et qui peut désormais financer ses études grâce au million et demi d'euros qu'elle a empoché. Quant au gagnant des 13 millions d'euros, il s'agit d'un homme qui a consacré sa vie à restaurer des églises locales et qui n'était jamais monté à Paris !
Sachez que 73 % des sommes collectées sont reversées aux joueurs. Sur les 15 euros que vaut un ticket à gratter, 1,5 euro est destiné à la Fondation pour le patrimoine. Mais, par ailleurs, 1,04 euro alimentent les caisses de l'État via les taxes. J'aurais souhaité que toute la « part de l'État » soit affectée au patrimoine et je remercie le Sénat d'avoir voté l'exonération des taxes sur ce loto exceptionnel et philanthropique. Malheureusement, l'Assemblée nationale ne vous a pas suivis. Je tiens toutefois à rendre hommage à Franck Riester qui a permis de compenser ce manque à gagner par un dégel de 21 millions d'euros de crédits via les DRAC. Mais le dispositif n'est pas vraiment équivalent et les circuits sont plus longs et plus complexes. Certains propriétaires s'en plaignent.
J'observe par ailleurs qu'au Royaume-Uni, c'est cette exonération qui a permis de pérenniser le jeu de loterie mis en place en faveur du patrimoine ; c'est donc, à mon sens, une erreur de les maintenir.
Je peux désormais vous donner les résultats de la première année de la mission patrimoine. Au total 47 millions d'euros ont été récoltés dont 21 millions provenant des crédits dégelés, 22 millions du Loto du patrimoine et 5 millions du mécénat. Cette somme a été allouée à des monuments de tous types : des églises, des ponts, des lavoirs, des fontaines, etc. Je vais désormais me déplacer en France pour constater les rénovations amorcées grâce à la mission patrimoine et soutenir les personnes engagées dans la restauration de nos monuments.
La couverture médiatique importante de la mission est également à souligner, la presse quotidienne régionale a été très attentive à notre travail et jamais on n'a autant parlé du patrimoine que durant le Loto du patrimoine. Un véritable élan a été donné, il s'agit désormais de ne pas le laisser retomber. Si plusieurs questions se posent concernant la part du coût du ticket revenant réellement au patrimoine ou bien le prix du ticket, il est important de souligner ces points très encourageants.
Le Loto du patrimoine a également rapporté à la Française des jeux et je rappelle que je suis le seul à n'avoir rien gagné. Je suis d'autant plus objectif devant vous que je ne suis pas rémunéré pour ce travail, si ce n'est par la reconnaissance du public et la relation de confiance que j'ai établie avec les maires que j'ai rencontrés.
Pour 2019 - année 2 du Loto du patrimoine - je souhaite tout d'abord encourager le mécénat en allant directement rencontrer les entreprises et je vous demande d'envisager une augmentation du plafond du mécénat d'entreprise, surtout celui des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire. En agissant sur le territoire, les entreprises gagnent en visibilité grâce à la presse quotidienne régionale et la fierté des salariés.
Enfin, les besoins en financement sont encore importants, de nouveaux monuments en péril sont régulièrement inscrits sur la plateforme, tandis que certains propriétaires de monuments ayant reçu le financement demandé en 2018 pour une première tranche, demandent en 2019 le financement pour une deuxième tranche et nous n'allons pas les abandonner.
D'autres idées peuvent également être développées : avec Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, nous avons initié un comité de pilotage afin d'essayer de transformer des bâtiments historiques, appartenant à l'État ou à des collectivités territoriales, de centres-villes et centre-bourgs en Relais de France. En effet, selon moi il ne s'agit pas seulement de sauver les murs mais de leur donner une nouvelle vocation.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour votre enthousiasme contagieux. Vous avez parlé des dispositifs de défiscalisation encourageant les entreprises à investir dans le patrimoine. Alain Schmitz interviendra plus tard sur ce sujet ; il a rédigé au nom de notre commission un rapport faisant un état des lieux des questions de mécénat.
M. Philippe Nachbar. - Je voudrais faire une remarque qui complète les propos déjà tenus. Il y a une quinzaine d'années, Philippe Richert et moi-même avions remis un rapport sur le financement du patrimoine et avions déjà proposé la création d'un loto du patrimoine à l'instar de ce qui existait déjà en Angleterre et en Italie à l'époque. Les services de l'État avaient alors reconnu l'intérêt de la mesure tout en la jugeant irréalisable. Je vous félicite donc d'avoir réussi à imposer la mise en place de ce Loto du patrimoine. Mes questions porteront sur son avenir. D'une part, j'ai lu que son champ d'application pourrait être élargi au patrimoine mobilier. Est-ce vraiment réaliste ? Par ailleurs, ne serait-il pas opportun d'associer davantage les assemblées régionales qui financent déjà le patrimoine classé et non classé ? Enfin, permettez-moi de vous féliciter pour cette initiative qui a permis, cette année, de financer de belles opérations.
M. Alain Schmitz. - Je voudrais apporter deux témoignages. D'abord, vous avez évoqué l'importance de l'ingénierie départementale : c'est ce que j'ai pu mettre en place dans les Yvelines. En effet, les communes n'ont pas les moyens suffisants pour monter les dossiers. Il faut donc inciter chaque département à développer cette ingénierie au service des communes. Dans les Yvelines, nous avons innové en instaurant un « carnet de santé » pour chaque monument qui décrit la nature des travaux nécessaires à sa pérennité et qui est pris en charge par le département.
Ensuite, je souhaite vous rendre hommage pour votre capacité non seulement à mobiliser les citoyens français autour de leur patrimoine, mais également à débloquer des dossiers jugés jusqu'à présent inextricables. L'un des exemples emblématiques est la villa Viardot, dans laquelle vous vous êtes déplacé à plusieurs reprises, notamment avec le Président de la République et son épouse à l'occasion des journées du patrimoine en 2018. Or, cette villa était au coeur d'un imbroglio politico-administratif dans la mesure où elle est la propriété de la commune de La Celle-Saint Cloud mais est située sur la commune de Bougival. Or, vous avez réussi à débloquer la situation.
Mme Dominique Vérien. - Je voulais vous remercier pour l'action que vous menez en faveur du patrimoine et en profite pour rendre hommage à tous les bénévoles de la Fondation du patrimoine qui ne comptent pas leur temps pour défendre nos monuments et qui aident les communes et les propriétaires à monter des dossiers. Je voudrais évoquer les directions générales des affaires culturelles (DRAC) qui concentrent leurs efforts sur les bâtiments classés, ce qui fait qu'un certain nombre de monuments échappe à leur attention. Par ailleurs, si j'ai bien compris, 47 millions d'euros ont été collectés, pour des besoins évalués à 54 millions d'euros. Au-delà des 269 projets retenus, d'autres projets ne risquent-ils pas d'être mis de côté ? Enfin, quand aura lieu la prochaine sélection et quelle sera la composition de la commission ?
M. Stéphane Bern. - Je partage tout à fait votre opinion quant au rôle des assemblées territoriales. Il faut qu'on revienne vers le local. D'ailleurs, le but de ma mission était de réconcilier les Français avec leur ruralité ; il ne faut pas oublier que la moitié du patrimoine se situe dans des communes de moins de 2 000 habitants. C'est ce qui fait vivre des villages entiers, avec l'ouverture d'une auberge et de commerces autour de ce monument. Les assemblées territoriales ont donc leur rôle à jouer en nous aidant à convaincre les maires de l'importance de valoriser le patrimoine de leurs communes. C'est la raison pour laquelle je me suis opposé à certaines dispositions de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) qui s'en remettait au « bon goût » du maire. Il est trop facile de dire « le monument était vétuste, il a fallu le détruire ». Habiter dans un immeuble historique rénové, cela ne doit pas être réservé aux « bobos ». C'est ce message que doivent passer les assemblées territoriales aux maires : les lotissements, c'est bien, mais il faut également préserver vos centres-villes et vos centres-bourgs. Cela signifie aussi leur apporter l'aide administrative dont ils ont besoin pour monter les dossiers de subvention.
En ce qui concerne la subvention au mobilier, il revient plutôt à l'État d'assurer la sauvegarde des biens mobiliers. Toutefois, je souhaiterais attirer votre attention sur ce que je considère comme une anomalie. En France, les oeuvres d'art sont exonérées de toute taxe, mais on ne tient pas compte de leur environnement. Or, les oeuvres d'art sont souvent exposées dans des châteaux, qui ne bénéficient d'aucune exonération. Ce n'est pas un hasard si la France est le pays d'Europe où il y a le plus de châteaux à vendre. Les familles n'arrivent plus à les entretenir. Il y aurait donc des dispositions à prendre - exonération de droits de succession et de taxe d'habitation - au bénéfice de certains patrimoines. Bien sûr, il faudrait fixer des critères, telles que l'ouverture au public ou la présence en zone rurale, afin d'éviter que les propriétaires d'hôtels particuliers parisiens bénéficient également de ce dispositif. Mais une telle disposition permettrait de faciliter l'entretien de notre patrimoine national. Il revient à l'État d'assurer l'entretien du patrimoine. Comme il n'y parvient pas, il fait porter cette charge sur les familles et cette exonération est en quelque sorte une compensation de la part de l'État de ne pas assurer son rôle.
Il me semble également qu'il faudrait davantage se tourner vers les présidents des entreprises de taille intermédiaire. Non seulement ils ont de l'argent, mais en outre ils ont ce sens de la transmission. Ils seraient donc prêts à faire plus pour le patrimoine.
En ce qui concerne le comité de sélection qui se tiendra en 2019, la plateforme internet est déjà ouverte sur laquelle peuvent être déposées toutes les candidatures. Ensuite, une première sélection sera réalisée par les DRAC et le ministre de la culture puis transmise pour examen au comité de sélection. Celui-ci est composé du ministre de la culture, du directeur général du patrimoine, du président de la fondation du patrimoine, de sa directrice générale et de la Française des jeux. La Monnaie de Paris pourrait également en faire partie. En effet, celle-ci m'avait demandé de créer une collection de pièces de monnaie qui rappelle les grandes dates de l'histoire de France. Au dos de ces « pièces d'histoire », il a été prévu de mettre en valeur le patrimoine numismatique de la Monnaie de Paris (sesterces, louis, etc). En contrepartie de ma collaboration, j'ai demandé à ce que pour la vente de toute pièce, un euro soit reversé au profit de la mission sur le patrimoine, ce qui permettrait de récolter près d'un million d'euros.
Le comité de sélection devrait se réunir fin février, puis présenter les dossiers qu'il a retenus au Président de la République. Je tiens à souligner que la procédure de sélection est très rigoureuse : chaque monument fait l'objet d'une fiche dans laquelle sont décrits son état de péril ainsi que les besoins de financement. Par conséquent, la sélection est toujours très consensuelle.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons été plusieurs au Sénat à afficher notre préoccupation concernant la fiscalité du patrimoine bâti. J'ai moi-même, comme Vincent Éblé, président de la commission des finances, déposé un amendement visant à prévoir une exonération partielle de l'impôt sur la fortune immobilière pour les propriétaires de monuments historiques. Ces amendements n'ont finalement pas été retenus. Il nous faudra y revenir.
Mme Marie-Pierre Monier. - Merci pour votre action en faveur du patrimoine. Si vous en avez l'occasion, pourriez-vous attirer l'attention du Président de la République sur la situation des architectes des bâtiments de France (ABF) qui se trouvent démunis face à la charge de travail qui pèse sur eux ?
M. Stéphane Bern. - Je l'ai fait, publiquement et en privé ! J'ai dit au chef de l'État ainsi qu'à son épouse à quel point les ABF remplissaient un rôle important et aidaient les maires.
Mme Marie-Pierre Monier. - Merci également pour votre position sur la loi ELAN.
La protection du patrimoine est un enjeu majeur pour les collectivités territoriales, en particulier pour les communes rurales. Le patrimoine représente pour elles un atout essentiel notamment du point de vue économique.
Le premier loto du patrimoine a été un succès. Ne craignez-vous pas que la polémique sur la part des gains de ce loto captés par l'État sous forme de taxes ne dissuade les joueurs à l'avenir ? Par ailleurs, la privatisation de la Française des jeux prévue par le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) peut-elle selon vous remettre en cause le loto du patrimoine ?
Un rééquilibrage entre la part des gains versée aux joueurs et celle qui va au patrimoine peut-il être envisagé ? Au-delà du loto, d'autres idées ou solutions innovantes en faveur du patrimoine ont-elles émergé dans le cadre de votre mission ? Enfin, quelles ont été les réactions au versement des premières sommes issues du loto, trop réduites aux yeux de certains ?
M. Stéphane Bern. - Sur ce dernier point, je peux vous préciser qu'il est possible de bénéficier de crédits supplémentaires. La déception de certains peut donc être momentanée.
Nous avons l'assurance que les taxes prélevées par l'État dans le cadre du Loto du patrimoine 2019 seront bien reversées au profit du financement de la protection du patrimoine. En revanche, nous allons devoir mener bataille pour que cette opération soit renouvelée à partir de 2020, car actuellement l'engagement du ministère des finances sur le loto ne porte que sur les années 2018 et 2019.
Le rééquilibrage entre gains des joueurs et fonds versés au profit du patrimoine pourra faire l'objet de discussions. Il dépend de la Française des jeux qui a le souci de maintenir l'attractivité de sa loterie.
Outre le loto, je me suis efforcé de faire converger vers la mission d'autres projets qui contribueront au financement du patrimoine : les pièces de collection de la Monnaie de Paris dont j'ai déjà parlé, la vente d'un carnet de timbres spéciaux par La Poste, enfin un livre qui réunira les textes de trente grands écrivains dont les droits d'auteur seront reversés.
M. André Gattolin. - Le patrimoine industriel du XIXe et du XXe siècles est paradoxalement le plus fragile et le moins protégé. Dans le département des Hauts-de-Seine dont je suis l'élu, plusieurs sites comme l'ancienne école d'architecture modulaire de Nanterre ou la Gare Lisch située à Asnières sont quasiment voués à la destruction car trop endommagés. Au contraire de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, la France ne valorise pas suffisamment ce patrimoine. Quelle est votre perception de cette question ?
M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur Bern, j'ai rajeuni grâce à vous... Je suis en effet un ancien conservateur du patrimoine et les problématiques que vous évoquez sont les mêmes que celles que j'appréhendais lorsque j'étais étudiant à l'École nationale du patrimoine. Par votre démarche, vous participez à l'approfondissement de la culture patrimoniale française.
Je m'interroge sur la capacité de l'État et des collectivités à développer des outils de recensement efficaces du patrimoine. La base « Mérimée » existe ; elle compte environ 200 000 fiches mais beaucoup de monuments n'y sont pas inscrits. Je me souviens que le service de l'État dédié à l'inventaire des monuments historiques a été confié aux régions. Continuent-elles ce travail essentiel voulu à l'origine par André Malraux ? Je voudrais également savoir si les services de la DRAC à partir des déclarations effectuées auprès de la mission ont pu identifier quels types de patrimoine étaient évoqués par rapport à ce qui est déjà connu ?
M. Stéphane Bern. - J'ai un égal intérêt pour le patrimoine des XIXe et XXe siècles et le plus ancien. Je me suis ainsi battu pour la Maison du peuple à Clichy ou le château Rothschild à Boulogne qui date du XIXe siècle.
La constitution des nouvelles régions, plus vastes, complique la tâche des DRAC en matière d'inventaire : elles doivent couvrir un territoire plus étendu alors même qu'elles connaissent une baisse d'effectifs. Certes, nous n'en sommes plus à l'époque de Mérimée qui parcourait la France à cheval. Nous disposons aujourd'hui, avec les plateformes participatives, de moyens modernes pour faire remonter l'information. Le travail réalisé dans le cadre de la mission autour des signalements qui nous ont été adressés ne doit pas échapper aux services de l'État. Il ne doit pas y avoir de substitution ! De la même façon que le ministère de la culture a sanctuarisé le budget du patrimoine, celui-ci doit réactiver d'urgence les services de l'inventaire.
Mme Colette Mélot. - On peut se réjouir que plus de 40 millions d'euros soient consacrés à une cause déterminée. Grâce à vous et à ce Loto du patrimoine on n'a jamais autant parlé du patrimoine. Il y a des petites communes qui ont de petits budgets. Je regrette la disparition de la dotation d'action parlementaire qui permettait d'aider ces petites communes dans le cadre de procédures simplifiées. Certains maires ont fait grise mine fin décembre en découvrant le montant des aides. Il faut faire preuve de pédagogie. C'était une première expérience.
Mme Nicole Duranton. - Vous nous apportez un rayon de soleil. Je salue votre passion pour défendre le patrimoine ainsi que vos « coups de gueule » afin d'obtenir l'exonération des taxes sur le Loto du patrimoine. Vous vous êtes rendu en avril dernier à la collégiale Notre-Dame de Vernon dans l'Eure qui doit bénéficier des crédits qui ont été alloués aux sites normands. Le maire de Beauficel-en-Lyons a pour sa part été déçu de ne pouvoir bénéficier que de 12 000 euros pour rénover l'église dont le montant total de la rénovation s'élève à 1 million d'euros. L'église de Saint-Martin qui a entrepris des travaux pour 73 000 euros bénéficiera quant à elle de 37 000 euros d'aide.
M. Stéphane Bern. - Plusieurs éléments peuvent expliquer cette différence. Concernant les bâtiments qui sont classés au titre des monuments historiques, une part des aides peut être versée sur les crédits « dégelés ». Par ailleurs, une règle a été établie qui conditionne l'attribution de l'aide au montant qui aura pu être déjà mobilisé par les élus. Peut-être que cette règle n'a pas été comprise. Mais sachez que nous ne laisserons pas tomber ce maire.
Mme Dominique Vérien. - Certains dossiers ont été aidés à la fois par le Loto du patrimoine et par la DRAC. Mais il n'y a effectivement pas eu de communication officielle.
Mme Laure Darcos. - Les maires sont très conscients de leur patrimoine. En Essonne, par exemple, de nombreux panneaux ont été érigés dans le département afin de permettre aux habitants de s'approprier leur patrimoine. Concernant la Française des jeux, dans la perspective de sa privatisation totale avez-vous obtenu des garanties concernant l'avenir du Loto du patrimoine ?
M. Stéphane Bern. - Les représentants de la Française des jeux ont signé une convention de deux ans. Par ailleurs, il faut rappeler que le Loto du patrimoine a eu un impact très positif sur les résultats de la Française des jeux en 2018.
M. Jean-Pierre Leleux. - Il s'est vraiment passé quelque chose cette année dans la conscience de nos concitoyens. Après les journées du patrimoine, le Loto du patrimoine a donné une dimension collective à cette préoccupation qu'il va falloir amplifier. Nous pouvons avoir beaucoup d'espoir pour l'avenir, alors que les ressources de la Fondation du patrimoine étaient en baisse, suite à la transformation de l'ISF en IFI et à la mise en place du prélèvement à la source.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis, pour ma part, très inquiète des propos tenus par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le Loto du patrimoine.
M. Christian Manable. - Je partage le souci des collègues concernant la privatisation de la Française des jeux. Je vous adresse mes remerciements pour l'aide de 12 000 euros dont a pu bénéficier le château de Pont-Rémy dans la Somme.
M. Stéphane Bern. - Le Président de la République a compris l'importance du patrimoine. Brigitte Macron joue un rôle important car elle est convaincue que « le lieu crée du lien ». Le patrimoine peut réconcilier les Français, créer des emplois et de l'activité. Je salue l'action de Catherine Morin-Desailly qui a fait beaucoup et dont j'ai pu voir les effets de sa volonté.
J'ai été très choqué par les propos du rapporteur général de l'Assemblée nationale. Je ferai valoir mon opposition s'il tente de revenir sur le Loto du patrimoine et les dispositifs en faveur du mécénat.
M. Olivier Paccaud. - Vous êtes un observateur avisé des institutions locales et vous n'ignorez pas que bien souvent, l'ingénierie des projets est très complexe à mener pour les petites communes. Sur 21 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans l'Oise, un seul, Les Sablons, a souhaité exercer la compétence du patrimoine. Les résultats ont été probants puisque tout le patrimoine a été rénové, un musée créé et de nombreuses initiatives menées, entrainant un cercle vertueux.
M. Jean-Jacques Lozach. - Je souligne la pertinence de vos propos sur les ruralités qui constituent des espaces très divers. Vous avez identifié 269 sites à rénover, avez-vous une idée du coût des opérations ?
M. Stéphane Bern. - 54 millions d'euros seront nécessaires pour mener à bien les opérations prévues. Nous devrions y parvenir alors même que dans le même temps les DRAC commencent à débloquer les fonds. L'émission sur le patrimoine que j'ai présentée après le journal de 20 heures sur le service public et a été vue par plus de 3 millions de personnes chaque soir. Cela participe de la connaissance du patrimoine, notamment en milieu rural. En ce qui concerne la complexité des dossiers à monter, je suis persuadé de l'intérêt d'associer localement toutes les initiatives sans oublier les régions. Il faut trouver de nouveaux moyens et de nouvelles idées.
M. Jacques Grosperrin. - Avez-vous pu avoir des contacts avec le ministère de l'éducation nationale ?
M. Stéphane Bern. - J'ai pu rencontrer le ministre Jean-Michel Blanquer, qui est très sensibilisé à cette question de la culture « à portée de tous » qui est une manière d'appréhender la beauté, la culture de l'histoire. A titre d'exemple, ma fondation a financé il y a deux ans des « kits patrimoine » pour les élèves de l'enseignement primaire. Cette initiative a rencontré un grand succès qui traduit l'attachement des Français à leur patrimoine, leurs villages, leurs lieux de vie. Je m'insurge quand on parle de coût de la culture alors qu'il s'agit d'un investissement amplement couvert par la hausse du tourisme et l'amélioration de la qualité de vie.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission reste mobilisée autour de ces sujets et va engager une mission sur la question des nouveaux territoires de la culture.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nomination de rapporteur
La commission désigne M. Max Brisson rapporteur sur le projet de loi n° 1481 (AN) sur l'école de la confiance (Procédure accélérée) (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).
La réunion est close à 16 heures.
Jeudi 31 janvier 2019
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Audiovisuel extérieur en Europe - Audition conjointe de Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, et M. Peter Limbourg, directeur général de la chaîne de télévision internationale allemande Deutsche Welle
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaite la bienvenue à Peter Limbourg, directeur général de Deutsche Welle - l'audiovisuel extérieur de l'Allemagne - et à Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde et habituée de notre maison... Je remercie particulièrement M. Limbourg d'avoir honoré sa promesse, faite à l'automne dernier, de revenir devant nous. Je salue également Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public de la commission de la culture, ainsi que Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur de la commission des affaires étrangères.
Alors que la France et l'Allemagne viennent de réaffirmer dans le cadre d'un traité commun leur amitié et leur volonté de travailler ensemble dans des domaines toujours plus nombreux, il était important d'examiner les stratégies respectives de nos deux pays en matière d'information internationale.
L'Allemagne a défini ces dernières années une nouvelle ambition pour son audiovisuel extérieur, qui passe par une augmentation de ses moyens, garantie de manière pluriannuelle. Il est important, pour nous, de connaître les raisons de ce choix.
Permettez-moi, monsieur Limbourg, de poser quelques questions liminaires. Les programmes de l'audiovisuel extérieur sont-ils accessibles en Allemagne également ? Comment s'est déroulé le débat qui a amené à décider une augmentation des moyens pour l'audiovisuel extérieur ? Comment est articulé l'audiovisuel extérieur allemand avec l'audiovisuel public national ? Après votre propos introductif, je solliciterai Marie-Christine Saragosse pour une réaction, avant les questions de mes collègues.
Cette audition inaugure un cycle sur l'audiovisuel extérieur qui se prolongera prochainement par d'autres échanges, au moment où le Gouvernement conduit sa propre réflexion sur son évolution.
M. Peter Limbourg, directeur général de Deutsche Welle. - Deutsche Welle a fêté ses 65 ans l'an dernier en présence de la chancelière ; Marie-Christine Saragosse faisait partie des invités.
Nous émettons en trente langues. Nous sommes présents à la fois à la télévision, à la radio et sur les réseaux sociaux. Nous avons quatre chaînes qui diffusent en allemand, en anglais, en arabe et en espagnol. Nous avons, en tout, plus de 162 millions d'utilisateurs par semaine et notre budget s'élève à 350 millions d'euros pour l'exercice à venir. Nous avons 3 000 collaborateurs également répartis entre Bonn, siège de notre quartier général, et Berlin.
L'audiovisuel extérieur est plus important que jamais, car le modèle démocratique et l'Europe sont aussi menacés de l'extérieur que de l'intérieur. Nous sommes confrontés à une vague de désinformation, de propagande et de division par le populisme. Il est primordial que les démocraties diffusent leur message, dans le contexte d'un conflit de l'information de plus en plus dur.
La première mission de l'audiovisuel extérieur est par conséquent d'informer là où l'information est réprimée, là où le marché des médias est fermé et bloqué par la puissance publique locale. Nous devons aussi diffuser nos valeurs de tolérance, de dialogue et de réconciliation entre les peuples. La mission de France Médias Monde et Deutsche Welle est de plus en plus importante au regard des épreuves que traverse l'Union européenne : avec le Brexit, nos médias seront les deux seuls qui comptent dans l'Union européenne.
Dans ce contexte, il est capital que l'Europe renforce sa cohésion. Le traité d'Aix-la-Chapelle l'a souligné et nous y contribuons en renforçant notre coopération et en menant des projets communs. Nous avons ainsi lancé InfoMigrants, une plateforme destinée aux réfugiés, qui ont besoin d'une information fiable et claire sur l'actualité européenne, mais aussi sur les dangers du trajet et des pays qu'ils s'apprêtent à traverser, face aux mensonges de passeurs qui leur présentent l'Europe comme un pays de cocagne.
Nous allons également lancer avec France Médias Monde un programme en Turquie, dans la perspective des élections européennes à venir. En utilisant l'expérience d'InfoMigrants, nous allons mettre en place une plateforme numérique - Enter - d'information et de dialogue avec une forte composante régionale. Elle s'adressera aux jeunes, qui n'ont pas toujours une grande appétence pour le projet européen. Nous voulons les rencontrer, leur expliquer les chances qu'offre l'Union européenne, mais aussi ses manques et ses lacunes. Notre rôle est de délivrer une information objective. Ce projet répond aux objectifs détaillés dans l'article 9 du traité d'Aix-la-Chapelle : créer « des programmes spécifiques et une plate-forme numérique destinés en particulier aux jeunes ».
Il est extrêmement important que les responsables politiques et la population européenne comprennent l'importance de l'audiovisuel extérieur. Nous sommes non pas une plus-value, mais une nécessité, face à des adversaires qui investissent des milliards en Asie, en Afrique, pour discréditer nos valeurs et faire croire qu'il est préférable de vivre dans un système non démocratique. Il faut une voix qui compte dans cette confrontation - car il s'agit bien de cela : certains parlent de guerre de l'information. La France et l'Allemagne doivent y travailler de concert. C'est pourquoi il est important que l'audiovisuel extérieur soit financé par la puissance publique. Nous allons au plus près du terrain, et si nous ne sommes pas toute la solution, nous en sommes une part importante.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Quels sont les liens de votre audiovisuel extérieur avec l'audiovisuel public national ?
M. Peter Limbourg. - Deutsche Welle est le seul média qui relève du droit fédéral : les deux autres chaînes de l'audiovisuel public, ARD et ZDF, relèvent des Länder. Nous sommes financés par l'impôt, ARD et ZDF par la redevance audiovisuelle. Nous collaborons étroitement avec eux, notamment via des échanges de contenus. Cette coopération a été intensifiée par un accord signé en 2013 par les ministres-présidents des Länder et la chancelière. Nous en sommes très satisfaits.
À la différence de la BBC, dont les pôles extérieur et intérieur sont hébergés sur le même site, nous sommes physiquement séparés de nos homologues nationaux. En Allemagne, Deutsche Welle est seulement diffusé sur internet, via le satellite Astra Deutschland. Durant la crise des réfugiés, nous avons également assuré une diffusion en langue arabe par ce canal. Avec la mondialisation, ce qui se passe à des milliers de kilomètres a un impact chez nous. La crise des réfugiés a mis en évidence notre importance alors que nous assistons à la montée du populisme et de la propagande des États non démocratiques.
Nous avons obtenu du gouvernement de coalition un renforcement de notre budget, passé de 272 à 350 millions d'euros en quelques années. Cette montée en puissance devrait se poursuivre.
Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. - Je suis sensible à la mobilisation du Sénat sur l'audiovisuel, en particulier l'audiovisuel extérieur. Je souscris entièrement à l'analyse de Peter Limbourg : cela doit être une priorité. Le poète Pierre Reverdy disait : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. » ; Peter Limbourg les a reçues de ses tutelles !
France Médias Monde diffuse en quinze langues, six ayant malheureusement été supprimées il y a quelques années. Nous avons cependant recommencé à diffuser en mandingue, et nous souhaitons y ajouter le peul. Plusieurs langues européennes ont été abandonnées, sans doute parce que l'on pensait à l'époque que l'Europe resterait toujours ce qu'elle était.
Les résultats provisoires d'audience de France Médias Monde pour 2018 nous placent à peu près au même niveau que Deutsche Welle, soit 160 millions de contacts hebdomadaires. Nous employons un peu moins de 1 800 équivalents temps plein (ETP).
Seuls les membres permanents du Conseil de sécurité - la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France - et l'Allemagne se sont dotés d'un organisme audiovisuel international. Si le Brexit a lieu, Deutsche Welle et France Médias Monde resteront les deux seuls médias européens de diffusion mondiale et réellement plurilingues.
Nous sommes au coeur du renforcement du partenariat franco-allemand : le traité d'Aix-la-Chapelle mentionne « le rôle décisif que jouent la culture et les médias dans le renforcement de l'amitié franco-allemande » et la nécessité, rappelée par Peter Limbourg, de toucher les jeunes publics européens dans l'univers numérique.
Nous travaillons très bien ensemble. La coopération franco-allemande dans l'audiovisuel a d'abord eu pour cadre le DG7, constitué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui réunit les principaux médias du bloc de l'Ouest d'alors.
Peter Limbourg et moi-même avons cependant développé une relation plus étroite et opérationnelle. Notre première rencontre a eu lieu juste après l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en 2013, au Mali. La sécurité des journalistes est l'une de nos préoccupations constantes, car ceux-ci sont de plus en plus mis en cause et menacés, y compris en dehors des zones de crise. C'est le signe d'une crise profonde de la médiatisation traditionnelle.
Notre deuxième rencontre a eu lieu en 2014, au moment où, avant même la diffusion de la photo du petit Aylan, les migrations devenaient un sujet majeur. Nous nous rendions compte des manipulations que subissaient les migrants de la part de marchands d'êtres humains. Notre mission de service public était de rétablir la réalité des faits à la fois dans les pays d'origine, de transit et d'arrivée.
Ces discussions ont eu un résultat très concret : le site InfoMigrants, qui dispose d'équipes à Berlin, Paris et Rome, dont le budget de 2,5 millions d'euros est intégralement financé par l'Union européenne. Diffusé en cinq langues, il enregistre 10 millions de contacts par mois.
France Médias Monde et Deutsche Welle travaillent ensemble de manière quotidienne, organisant régulièrement des conférences de rédaction communes. Ce partenariat ayant fonctionné au-delà des espérances, nous avons également mis en place un séminaire annuel.
L'urgence est désormais l'approche des élections européennes, qui seront celles de tous les dangers. Pour les préparer, nous allons faire le portrait de 28 primo-votants, à raison d'un pour chaque Etat membre. Deutsche Welle, RFI et France 24 iront à la rencontre de ces jeunes, en privilégiant ceux qui passent sous les radars de l'information, ont des revenus modestes et peuvent être la proie de manipulations.
Peter Limbourg a évoqué une plateforme numérique, terme auquel je préfère celui d'offre. Les réseaux sociaux sont à la fois le poison et le contre-poison ; c'est pourquoi il est indispensable d'y être présents. Pour cela, il faut inventer une nouvelle écriture journalistique. Nous avons une expérience dans ce domaine grâce à notre partenariat avec le média américain Mashable, qui a malheureusement tourné court après son rachat.
Cette offre numérique est un projet très prioritaire, sur lequel nous avons commencé l'expérimentation. Nous espérons obtenir des financements européens. France Médias Monde contribuera également à la chaîne turque évoquée par Peter Limbourg.
France Médias Monde était le seul média étranger invité à la cérémonie des 65 ans de Deutsche Welle, qui s'est déroulée au Bundestag en présence de la chancelière. Celle-ci a salué « le travail commun entre les chaînes internationales françaises et l'audiovisuel allemand » et rappelé le rôle et les enjeux de l'audiovisuel extérieur dans des termes auxquels je souscris entièrement : défendre les valeurs de liberté et de démocratie, présenter au reste du monde les perspectives et la vision des Européens sur les enjeux mondiaux. La chancelière a souligné que les médias de service public pratiquaient un journalisme sérieux et délivraient des informations fiables, avec un regard objectif. La voix de la Deutsche Welle, concluait-elle, est nécessaire à une époque où nous sommes confrontés à des falsifications que nous n'aurions pu imaginer voici encore quelques années. Deutsche Welle est aussi un vecteur indispensable de rayonnement pour la langue allemande. France Médias Monde a les mêmes ambitions, c'est pourquoi je partage entièrement ces considérations.
France Médias Monde touchera en 2019 256 millions d'euros de redevance ; avec TV5 Monde, le budget total s'élèvera à 332 millions d'euros, contre 350 millions pour Deutsche Welle. À titre de comparaison, BBC World Service, qui comprend les chaînes radio, le numérique et deux chaînes de télévision en arabe et en persan, mais n'inclut pas BBC World News, aura un budget de 431 millions d'euros en 2019.
La France a toujours investi dans ce secteur. En cette période de réflexion sur les orientations à donner, rappelons que nous sommes engagés dans une véritable guerre froide de l'information contre une concurrence qui dispose de moyens très importants. Les infox et les manipulations montent en puissance. De plus, nous dépendons des Gafa : le changement d'algorithme opéré par Facebook début 2018 a eu un effet direct sur notre courbe d'audience, que nous avons rétablie à grand-peine. Pour le moment, les législations nationales sont relativement impuissantes. La protection des données personnelles, en particulier, reste très insuffisante.
Nous sommes dans un monde dangereux. Il est dix fois plus cher et plus difficile de reconquérir un terrain, sur le plan international, que de le conserver. Peter Limbourg le sait, l'audiovisuel allemand ayant subi des coupes budgétaires importantes dans les années 2000. L'audiovisuel extérieur relève de choix politiques, plus que jamais nécessaires à la veille des élections européennes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de cet exposé important, à l'heure où nous nous engageons dans une réforme de l'audiovisuel. Concernant la dépendance aux Gafa via les algorithmes, je rappelle qu'une récente résolution européenne du Sénat invite le gouvernement français à ouvrir des négociations de révision de la directive européenne sur l'e-commerce.
M. Jean-Pierre Leleux. - L'augmentation significative du budget de Deutsche Welle va dans le sens des enjeux contemporains ; mais comment assurez-vous la pérennité de ces financements ? En France, nous préférons au financement étatique un financement par la redevance, qui est plus stable. La pérennité de votre financement est-elle garantie par un texte ?
Concernant les contenus, quels moyens avez-vous de lutter contre les fake news, et surtout quels moyens légaux ? La France a légiféré en ce sens voici quelques semaines.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La loi que vous avez votée dans ce domaine est-elle opérationnelle ?
M. Peter Limbourg. - La pérennité est un enjeu important. À la différence des médias nationaux, nous ne disposons pas de garanties sur le long terme. Les crédits sont votés annuellement par voie législative, ce qui nous contraint à monter chaque année au créneau auprès du pouvoir politique. Nous n'avons ni visibilité ni sécurité ; or nous avons de très nombreux collaborateurs au sein d'une trentaine de rédactions. Il nous est impossible d'en fermer et d'en ouvrir d'une année sur l'autre, d'autant que les visas de nos collaborateurs sont liés à leur travail. Nous devons cette sécurité à ceux qui travaillent pour nous. Le Gouvernement et le Parlement nous traitent bien, mais si la situation de la Fédération venait à se détériorer, nous en subirions les conséquences.
ARD et ZDF reçoivent 8 milliards d'euros par an, à côté desquels nos 350 millions paraissent peu, mais la croissance de notre budget est supérieure de 5 à 6 % à la leur. Grâce à l'oreille bienveillante du Gouvernement et du Parlement, nous devrions poursuivre notre progression.
Les fake news sont tout simplement des mensonges. Elles existent depuis l'Empire romain et devraient se perpétuer. Il y a toujours eu de la propagande et de la désinformation, mais désormais, grâce aux réseaux sociaux, elles se diffusent à la vitesse de la lumière. Deutsche Welle n'a pas pour vocation de les décoder, même si nous les démentons lorsque nous y sommes confrontés. Nous avons développé une plateforme, Truly Media, pour permettre aux rédactions de vérifier certaines nouvelles et déterminer la provenance de vidéos. C'est cependant un problème de plus en plus difficile à résoudre, puisque la technologie progresse sans cesse. Il est désormais possible de mettre dans votre bouche, dans une vidéo, des mots que vous n'avez pas prononcés.
Deutsche Welle est une marque qui se doit d'être fiable, sûre et claire. Deutsche Welle et France Médias Monde, comme d'autres grands médias, ont de l'avance sur les autres grâce à leur crédibilité.
Nous devons aussi informer nos citoyens sur les fake news. Pour certains, la « loi d'accès à internet » votée par le Bundestag est parfaite ; pour d'autres elle est inutile. Son objectif est d'obliger les entreprises et hébergeurs qui publient une information fausse à la retirer de leurs contenus. Le législateur leur confie ainsi la responsabilité de distinguer le vrai du faux ; or la frontière est ténue et mouvante. Nous ne voulons pas d'un ministère de la vérité, ou que quelques stagiaires sur Facebook soient chargés de trier l'information.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vos remarques confortent les positions de notre commission lors de l'examen de la loi relative à la manipulation de l'information...
Mme Marie-Christine Saragosse. - L'audiovisuel extérieur français est entièrement financé par la redevance. Au Royaume-Uni, BBC World Service est financé en majorité par la redevance, et 91 millions d'euros lui sont attribués par le Foreign Office au titre de l'aide publique au développement. En France aussi, le financement a été mixte jusqu'en 2014.
La redevance est en effet une ressource stable, mais aussi dynamique, puisqu'elle augmente avec la possession de téléviseurs. Or nos dépenses sont elles aussi dynamiques : nous sommes des entreprises de main-d'oeuvre, avec des rédactions disséminées dans le monde, sans fuseau horaire. La plus grosse part de nos charges est constituée par la masse salariale.
La redevance est un gage d'indépendance pour les médias publics français. YouTube a un temps songé à faire la distinction entre chaînes gouvernementales et chaînes publiques suivant qu'elles étaient financées par des recettes affectées ou directement par l'État. Lorsque nos informations gênent, on nous qualifie de « voix de l'Élysée » pour affaiblir notre crédibilité ; d'où l'importance de donner des gages d'indépendance. Un financement mixte, à l'instar de BBC World Service, pourrait être envisagé, mais un financement exclusif par l'État serait inédit.
France Médias Monde participe à la lutte contre les fausses nouvelles avec le programme Info-intox, créé après l'attentat de Charlie Hebdo. Nous avons même une émission dédiée aux fake news qui concernent l'Union européenne. L'éducation aux médias est tout aussi importante si nous voulons éviter le ministère de la vérité évoqué par Peter Limbourg. C'est en sachant comment est construite l'information que le citoyen peut exercer son libre arbitre. C'est pourquoi nous nous intéressons beaucoup aux jeunes. Nous recevons ainsi des classes chaque mois dans nos rédactions.
M. Peter Limbourg. - Nous sommes financés par le budget national, mais cela ne signifie pas pour autant que nous sommes une chaîne du Gouvernement. Nous sommes un média public, contrôlé par un conseil de radio et par un conseil d'administration.
Mme Marie-Christine Saragosse. - Je ne parlais pas de Deutsche Welle. La problématique n'est pas la même en France et en Allemagne. La question fédérale est très importante en Allemagne. La France, elle, est un pays très centralisé. On ne peut donc pas appliquer exactement les mêmes raisonnements à nos deux pays concernant les modalités de financement.
M. Michel Laugier. - Quelle part de vos budgets respectifs est consacrée au numérique ?
Vous avez parlé de « guerre froide ». Quelles difficultés rencontrez-vous dans des pays où la démocratie est moins affirmée qu'en France ?
Des rapprochements sont-ils prévus entre les agences de presse, l'AFP et Deutsche Presse, sachant qu'elles sont présentes sur les mêmes territoires ?
Madame Saragosse, vous êtes sensible aux preuves d'amour. En manquez-vous de la part du gouvernement français ?
M. Peter Limbourg. - Nous n'avons pas de budget dédié au numérique, mais il représente au moins un quart de notre budget et cette proportion augmente chaque année. Nous investissons tous les ans des millions d'euros dans le développement numérique de nos contenus. Nous faisons également un certain nombre d'expériences. Nous avons ainsi mis en place un laboratoire numérique. Nos contenus sont accessibles via différents canaux, qu'il s'agisse de Facebook, Instagram, Twitter ou des autres réseaux sociaux, ou des vieux canaux que sont la radio et la télévision.
En réponse à votre question sur la guerre froide de l'information, il y a des pays qui bloquent notre offre de contenus. Le Gouvernement chinois est extrêmement efficace à cet égard. Nous y voyons un acte d'hostilité vis-à-vis de la République fédérale d'Allemagne et un signe de ce que le gouvernement chinois n'a pas le courage de laisser sa population s'informer. Nos valeurs nous obligent à accepter du contenu chinois, russe et iranien en Allemagne, mais la réciproque n'est pas vraie et nous faisons face à une propagande active contre notre modèle sociétal, le modèle démocratique européen.
Nous sommes dans une situation de très forte concurrence. Je suis heureux que la BBC dispose de crédits importants, mais ils sont très inférieurs à ceux des Chinois. La Chine communiste mène une véritable politique africaine reposant fortement sur l'accès aux médias, en particulier les médias locaux. Notre approche à nous est participative et coopérative. Nous ne disons pas aux médias locaux ce qu'ils doivent dire de notre pays.
Sur un rapprochement entre les agences de presse, je laisse la parole à Marie-Christine Saragosse.
Mme Marie-Christine Saragosse. - Il m'est difficile de vous répondre sur la part que nous consacrons au numérique. On intègre le numérique dans la conception des émissions. Les rédactions dédiées, qui ne font que du numérique, doivent représenter 20 % de nos programmes en coûts directs.
Le numérique n'évolue pas au même rythme dans tous les pays. En Afrique, nous passons par les ondes courtes, sinon nous ne touchons pas certains territoires qui représentent de gros volumes d'audience. Dans le même temps, nous utilisons des OTT (over-the-top television) et les dernières technologies.
J'ai parlé de guerre froide des médias, car il y a toujours eu des pays dans lesquels nous sommes interdits de diffusion, coupés ou brouillés. Parfois, nos correspondants se voient retirer leur accréditation. Nous sommes complétement interdits en Chine. On nous répond que TV5 Monde est déjà présente, mais c'est une chaîne généraliste multilatérale francophone, dont la mission est différente de la nôtre. BBC World y est en revanche présente.
Quant aux réseaux sociaux, ce sont des lieux d'attaque, de mensonge parfois. Dans certains pays - en Afrique - certains sites font de la titrologie et ne donnent plus que les titres, qui sont mensongers ; les gens ne lisent plus les articles. Nous sommes très souvent attaqués sur les réseaux sociaux, quand nos correspondants ne sont pas mis en prison, comme cela est arrivé à Amhed Abba, détenu deux ans et demi. Cela continue en Amérique latine. Selon Reporters sans frontières, 80 journalistes sont morts l'année dernière ; les auteurs de ces crimes restent impunis. Seuls 7 % des cas sont résolus. C'est de cette guerre de tranchées, de manipulation, dont je parle. Il est difficile de démentir de fausses informations, le mal est très vite fait.
Concernant les agences de presse, je dois tenir compte du fait que je suis administratrice de l'AFP et que je ne peux pas nuire à ses intérêts. L'AFP est une magnifique agence, la seule agence européenne à vocation mondiale. France Médias Monde est parmi les premiers clients de l'AFP ; nous lui achetons énormément de productions.
L'AFP a une stratégie de montée en puissance de l'image, de la vidéo et de la photo, mais aussi une stratégie internationale. L'Agence doit se réinventer compte tenu de la baisse de ses ressources. Si l'AFP se rapprochait trop de France Médias Monde, elle pourrait être considérée comme notre agence. Ce serait alors plus difficile pour elle de vendre ses productions à d'autres clients.
En revanche, nous avons des correspondants communs, dans des pays difficiles, comme cela est arrivé au Burundi. Ce sont des pigistes, qui adaptent leurs productions. Pour l'AFP, ils adoptent un angle factuel et neutre pour que leurs papiers puissent être vendus à tout le monde ; pour France Médias Monde, ils écrivent sous un angle particulier.
Maintenant que nous pouvons tagger de très près nos vidéos, nous pourrions peut-être alimenter certaines langues de l'AFP pour atteindre une masse critique. Pour ne rien vous cacher, j'ai rendez-vous la semaine prochaine avec le président de l'AFP sur ce sujet.
Enfin, j'en viens aux preuves d'amour ! Je salue la mobilisation totale du Quai d'Orsay et des ambassades sur le terrain lorsque des journalistes sont en danger, ce qui arrive régulièrement. L'État français est très mobilisé et s'est doté d'une palette assez variée, d'Arte à France Médias Monde en passant par TV5 Monde. L'amour est là, mais le budget est difficile. Cela ne tombe pas bien compte tenu du contexte international.
M. Damien Regnard. - J'étais hier à Bruxelles, où j'ai abordé les questions de sécurité, de cybercriminalité et de fake news. L'évolution sur ces questions est peu rassurante. Nous n'arrivons pas à obtenir l'accord des Vingt-huit sur le principe de supprimer les contenus terroristes. Si le texte sur ces questions n'est pas adopté avant la fin mars, il risque d'être reporté à 2021. Peut-on faire chacun quelque chose dans nos pays ?
Dans le contexte des migrations, je trouve dommage la suppression de la diffusion en langue turque, la Turquie restant un enjeu stratégique important pour l'Europe.
Ne peut-on pas envisager une chaîne européenne ? Comment toucher les populations si les pays n'ouvrent pas leur audiovisuel, si nous avons des problèmes de droits, si nos médias sont coupés ou brouillés ? Comment atteindre les migrants dans les hot spots, dans les camps - il n'y a pas de téléviseurs dans les tentes des camps au Liban -, et dans leur pays, en Libye par exemple, avant qu'ils partent ? De quels moyens disposons-nous pour y parvenir ?
M. Peter Limbourg. - Je peux répondre pour la Chine. Bien sûr, c'est difficile d'y entrer, mais il existe des possibilités de contournement de la censure, via un logiciel non-gouvernemental. Grâce à lui, nous avons un million de contacts en Chine. Nous avons également des contacts via les Chinois exilés. Nous avons un bureau à Taiwan, depuis lequel nous proposons des contenus. Notre programmation est aussi disponible dans plusieurs formats. Nous essayons technologiquement de contourner ce blocage.
Quant aux réfugiés, ils accèdent aux contenus sur leur smartphone - ils en ont tous un, avec un accès à internet -, non sur un téléviseur. C'est une bonne chose, car ils ont un besoin crucial d'information. Dans ce contexte, la télévision n'est pas si importante, contrairement à la radio, qui joue un rôle lorsque c'est possible matériellement sur le terrain. Pour notre part, nous essayons de soutenir les radios citoyennes autant que possible, dans les zones rurales, mais aussi dans les camps de réfugiés, par exemple au Sud-Soudan. Au Liban, nous encourageons les réfugiés à travailler en tant que journalistes. Nous avons ainsi mis en place, près de Beyrouth, un dispositif permettant aux jeunes Palestiniens de créer une plateforme de réseaux sociaux, qu'ils opèrent eux-mêmes.
Mme Marie-Christine Saragosse. - Vous avez parlé de problèmes de droits. Comme nous produisons nos contenus, nous n'avons pas de tels problèmes. Nous pouvons aller sur tous les supports. C'est plus difficile pour les chaînes généralistes qui ont des programmes patrimoniaux, dont les droits sont acquis territorialement ou par langue.
S'agissant des migrants, InfoMigrants, qui comptait dix millions de contacts au mois d'octobre, a été conçu pour la mobilité, car nous savions dès le départ que l'outil de la migration, c'est le mobile.
Il est vrai que ni France Médias Monde ni Deutsche Welle ne sont présents sur le bouquet officiel en Chine, mais il existe des zones grises, grâce à des bouquets en Mongolie ou aux Philippines, qui nous permettent de toucher 100 millions de foyers. Il n'est toutefois pas possible de mesurer notre audience.
Nous avons également un site numérique en chinois, qui touche 1,8 million de personnes chaque mois. Nous avons des proxy pour contourner la censure et nous sommes écoutés par une diaspora importante.
Je reviens sur les réfugiés. Nous avons créé une centaine de clubs RFI dans le monde. Il y en a dans pratiquement chaque camp en Afrique. Ces clubs mettent en place des activités pour les réfugiés, tels des concours de dictées, en lien avec les émissions sur la langue française. Nous travaillons avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui soutient notre action, notamment auprès des jeunes. L'enjeu reste les équipements. On nous demande fréquemment des supports écrits, alors que nous proposons des applications mobiles. Nous allons donc en développer.
Vous m'avez interrogé sur le rôle de l'Europe. Nous touchons beaucoup de gens - 360 millions de contacts à nous deux -, en particulier les Européens, qui représentent le plus gros volume de fréquentation de RFI en numérique. Nous ne pouvons évidemment pas légiférer, mais nous luttons à notre niveau, en touchant les gens et en contrecarrant les infox. Nous avons ainsi dédié une émission entière aux infox - c'est le terme qu'il faut utiliser, mesdames, messieurs les sénateurs ! InfoMigrants permet également de lutter contre les infox. L'une de nos missions est de rappeler ce qu'est l'information certifiée. À cet égard, le service public est un label en soi.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie, madame, monsieur le président.
J'ai beaucoup aimé l'expression « guerre froide », car c'est la réalité aujourd'hui, compte tenu de la mondialisation de notre économie et de l'information. Internet est devenu un terrain d'affrontement mondial.
Je vous félicite pour votre rapprochement dans la perspective des élections européennes. On voit bien que des tentatives de déstabilisation sont déjà en cours. L'élection américaine et le vote du Brexit nous incitent à la plus grande vigilance. Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public en France, il nous faudra porter un intérêt extrêmement fort à l'audiovisuel extérieur, compte tenu des enjeux politiques.
Enfin, je tiens à dire à notre ami allemand que je me réjouis du traité d'Aix-la-Chapelle, qui a été beaucoup dénigré par certains populistes. C'est l'approfondissement du traité de l'Élysée. Les dispositions de ce traité, s'agissant notamment de l'éducation aux médias, démontrent toute l'utilité de ce traité entre nos deux grands pays européens.
Merci des efforts que vous faites pour remplir vos missions au service de l'intérêt général.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 35.