Mercredi 6 février 2019
- Présidence de M. Jean-Pierre Vial, président d'âge, puis de M. Franck Menonville, président -
La réunion est ouverte à 13 h 40.
Réunion constitutive
M. Jean-Pierre Vial, président, en remplacement de M. Gérard Longuet, président d'âge. - Cette mission commune d'information a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Le groupe Union centriste en a formulé la demande le 11 juin dernier à la Conférence des présidents, qui en a pris acte et a précisé que les travaux devraient s'achever à la fin du mois de juillet prochain. Les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, lors de la séance publique du 30 janvier dernier.
Nous devons désigner le président de la mission. J'ai reçu la candidature de M. Franck Menonville. Il n'y a pas d'autre candidature.
La mission d'information procède à la désignation de son président, Franck Menonville.
Présidence de M. Franck Menonville, président
M. Franck Menonville, président. - Merci au président Vial ; et merci à vous tous de la confiance que vous m'accordez pour présider nos travaux.
Notre mission d'information s'inscrit dans la suite des travaux conduits par Alain Chatillon et Martial Bourquin sur Alstom et la stratégie industrielle du pays.
M. Martial Bourquin. - Nous ne nous sommes pas trompés sur le diagnostic...
M. Franck Menonville, président. - L'actualité le confirme.
Dans un second rapport, nous avions pris en considération la situation de l'ensemble de l'industrie française et des entreprises. Ce troisième moment analysera donc les perspectives d'une filière industrielle stratégique, la sidérurgie, en cours de mutation. Nos travaux dureront six mois.
Mais dans l'immédiat il nous faut constituer notre bureau, en commençant par le rapporteur. Le groupe Union centriste, qui est à l'origine de notre mission d'information, propose Mme Valérie Létard.
La mission d'information procède à la désignation de son rapporteur, Mme Valérie Létard.
M. Franck Menonville, président. - Nous allons à présent désigner les vice-présidents. Conformément à l'usage, les deux groupes ayant les effectifs les plus importants auront chacun deux représentants au bureau (président et rapporteur compris), chaque autre groupe aura un représentant (président et rapporteur compris). Je suis saisi des candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, MM. Jean-Pierre Vial et François Grosdidier ; pour le groupe socialiste et républicain, Mme Sabine Van Heghe et M. Jean-Marc Todeschini ; pour le groupe La République En Marche, M. Bernard Buis ; pour le groupe communiste républicain, citoyen et écologiste : M. Fabien Gay ; et pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires : M. Dany Wattebled.
La mission procède à la désignation des autres membres de son bureau : MM. Jean-Pierre Vial, François Grosdidier, Mme Sabine Van Heghe, MM. Jean-Marc Todeschini, Bernard Buis, Fabien Gay et Dany Wattebled.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je suis très heureuse de la responsabilité que vous me confiez. La Conférence des présidents a effectivement précisé que les travaux de la mission d'information devraient s'achever fin juillet. Je vous propose cependant de prévoir une adoption du rapport et une présentation à la presse avant la mi-juillet, pour une meilleure visibilité médiatique.
Notre prochaine réunion sera consacrée au calendrier des auditions. Je souhaite au préalable aborder avec vous le format et le périmètre de ce rapport. La sidérurgie est un secteur essentiel qui fait face à de nombreux défis. Aujourd'hui, le secteur des minerais, minéraux et métaux représente en France environ 350 entreprises employant directement près de 62 500 personnes et dégageant un chiffre d'affaires de l'ordre de 41 milliards d'euros. Certaines entreprises sont des champions nationaux, parmi les leaders mondiaux, positionnés sur des marchés de spécialité, mais le secteur compte également de nombreuses PME et ETI.
Ce secteur est stratégique pour l'indépendance nationale. Les deux défis qu'il doit affronter sont d'une part la sécurisation, dans un environnement de surcapacités mondiales et de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine dont l'Europe pourrait subir les dommages collatéraux, d'autre part la décarbonation, avec un objectif ambitieux de réduction de 80 % de la production de CO2 d'ici 2050.
Voulons-nous concentrer nos travaux sur l'acier ? La définition étymologique de la sidérurgie - les technologies d'obtention de la fonte, du fer et de l'acier à partir de minerai de fer ou de ferrailles mais également l'industrie qui les met en oeuvre - nous y incite. Souhaitons-nous traiter ou non de l'aluminium ou du cuivre - où les enjeux sont beaucoup plus faibles ? L'acier est déjà un sujet considérable. Mieux vaudrait à mon avis éviter de nous disperser.
Je propose de ne pas évoquer non plus la question des terres rares, qui a déjà fait l'objet d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en mai 2016. Elle constitue en effet une problématique à part entière.
Quels grands thèmes aborder dans le rapport ? Le premier serait la recherche-développement. Pas d'avenir pour la filière sans innovation. Or, en 2011, l'Académie des sciences et l'Académie des technologies avaient alerté sur le vieillissement et la diminution du nombre de chercheurs dans un secteur qui n'attire plus. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que toute la filière industrielle fait des efforts d'attractivité ? Je pense à l'Usine extraordinaire, exposition itinérante que les Parisiens ont pu découvrir au Grand Palais en novembre dernier.
Le deuxième thème concerne l'articulation des stratégies. Au niveau européen, quelle est la politique suivie par la Commission européenne ? Elle avait imaginé un Plan acier en 2013 et avait présenté une communication en mars 2016. Au niveau national, nous pourrions commencer par examiner la place de la sidérurgie dans le tout récent contrat de filière du 18 janvier 2019. Ce document a été élaboré par le comité stratégique de filière « Mine et métallurgie », constitué en mai 2018 et présidé par Mme Christel Bories, PDG d'Eramet. Nous pourrons également faire le point sur la prise en compte de cette filière dans les contrats territoriaux de transition énergétique et dans les 124 « territoires d'industrie » définis en novembre dernier par le Gouvernement. Il ne faudra pas oublier l'économie circulaire - ferraille, recyclage - car elle est importante à la fois pour la réduction des émissions de CO2 et pour l'emploi.
Au niveau régional, quelle place cette filière occupe-t-elle au sein des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation ? Enfin, au niveau des entreprises, certaines ont des stratégies mondialisées : quel rôle assignent-elles à leurs filiales françaises ? Comment assurer la montée en gamme et la spécialisation ? Comment rester compétitif ? Il ne sera sans doute pas facile d'obtenir ce type d'informations, qui relève parfois du secret des affaires.
Bref, nous nous interrogerons sur la place de cette filière dans l'industrie du futur.
Troisième question, la fiscalité du carbone et son impact sur la modernisation d'une filière forte consommatrice de quotas carbone. Je rappelle que la taxe carbone aurait dû augmenter de 44,60 à 55 euros la tonne en 2019, et jusqu'à 86 euros en 2020... Le défi concerne la réduction massive de ses émissions de CO2, qui était l'ambition du projet Ulcos à Florange. Il y a aussi l'impact du coût de l'électricité, dont la filière est là encore grosse consommatrice.
Quatrième point, l'impact social et territorial de la filière dans le processus de désindustrialisation de la France. Nous pourrons auditer la manière dont l'État et les collectivités territoriales sont intervenus et peuvent intervenir en soutien des entreprises.
Nous pourrons examiner si cette filière peut bénéficier d'un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC), autrement dit un accord annuel ou pluriannuel conclu entre l'État et une ou plusieurs branches professionnelles pour la mise en oeuvre d'un plan d'action négocié, sur la base d'un diagnostic partagé sur les besoins. Il s'agit d'anticiper les conséquences des mutations économiques, sociales et démographiques sur les emplois et les compétences et de mener des actions concertées dans les territoires.
Nous pourrions entendre dès le jeudi 14 février prochain M. Julien Tognola, chef du service de l'industrie de la direction générale des entreprises au ministère de l'Économie et des finances ; puis, très rapidement, Mme Christel Bories, PDG du groupe Eramet, en sa qualité de président du comité stratégique de filière Mine et Métallurgie, ainsi que Mme Catherine Tissot-Colle et M. Philippe Darmayan, co-présidents de A3M, Alliance des Minerais, Minéraux et Métaux. Celle-ci résulte d'une alliance entre la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (Fedem) et la Fédération française de l'acier (FFA).
M. Martial Bourquin. - Ce plan de travail me semble excellent. Il serait bon de connaître les besoins du marché intérieur en aciers divers, à comparer avec nos capacités de production. Il serait utile également d'appréhender l'ensemble des produits du laminage, les aciers spéciaux, etc. Que produisons-nous ? Qu'avons-nous cessé de produire ? Pourquoi ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Un bilan de l'existant, donc, concernant les produits longs, plats, aciers spéciaux, inoxydables, ...
M. Martial Bourquin. - ...laminage à froid, classique,...
M. Franck Menonville, président. - Nous pourrons voir cela très rapidement.
M. Martial Bourquin. - Nous étions leader européen il y a vingt ou trente ans. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Mme Martine Filleul. - Concernant le manque d'attrait de la filière, je souhaiterais que nous nous penchions sur l'appareil de formation. Il n'attire ni les étudiants, ni les apprentis. Comment le revivifier, comment le faire connaître ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Effectivement. Nous pourrons aborder ce point lorsque nous traiterons de l'engagement de développement de l'emploi et des compétences.
M. Claude Kern. - Nous excluons l'aluminium alors que nous allons interroger un représentant de la filière des métaux non ferreux. De plus la filière aluminium souffre d'un très faible taux de recyclage des cannettes, gisement pourtant infini ! Les nombreuses usines de transformation sont équipées pour les traiter, mais la matière manque.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Nous pourrions inclure un développement sur ce point dans la partie consacrée à l'économie circulaire ?
M. Claude Kern. - Excellent.
Mme Anne-Catherine Loisier. - M. Bourquin propose un historique des capacités de production et un point sur le marché intérieur : pourrions-nous réunir également des éléments sur la compétitivité de nos entreprises et les marchés d'exportation ? Les territoires d'industrie qui comprennent des pôles sidérurgiques pourraient constituer de parfaits laboratoires pour nous : s'ils ont été désignés tels, c'est qu'ils ont le potentiel pour s'organiser. Intéressons-nous à ce qu'ils réalisent ! D'autant qu'ils incluent des formations. Il faudrait commencer par répertorier ces territoires.
M. Martial Bourquin, rapporteur général. - Il conviendrait également de s'intéresser aux entreprises électro-intensives, qui sont dans le périmètre de notre mission. Sans politique publique très forte sur l'énergie, ces entreprises auraient disparu du territoire.
M. Jean-Pierre Vial. - J'étais réticent dans un premier temps à vouloir limiter notre travail à l'acier mais je suis rassuré par la liste des champs à explorer que Mme Létard a dressée. En Rhône-Alpes, nous avons travaillé sur le volet énergie-récupération : il n'existe plus que deux sites d'aluminium en France, à Dunkerque et en Savoie. Le site savoyard a été sauvé par les Allemands, parce que ceux-ci ont réintégré le recyclage dans la fabrication et ont ainsi réduit le coût de la matière. Et les électro-intensifs économisent sur le coût de l'énergie grâce à l'effacement.
La mission sur l'avenir de l'industrie se penchait sur ces questions, mais son rapport a été torpillé au plus haut niveau de l'État et des grandes institutions.
M. Martial Bourquin. - C'est vrai. Merci de le signaler...
M. Jean-Pierre Vial. - C'est qu'il s'agit d'un domaine très sensible... La consommation des entreprises industrielles disparues depuis quinze ans équivaut à 6 ou 8 gigawatts. En voulant protéger les grands opérateurs d'énergie, on signe en fait la perte de l'industrie... donc la perte des grands opérateurs.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Oui, nous pourrions aborder cette question dans le troisième grand chapitre, sur la modernisation d'une filière forte consommatrice d'énergie.
M. Marc Laménie. - Il convient de privilégier l'acier, certes, mais sans oublier l'ensemble. La formation, oui, mais aussi le recrutement des jeunes, car les apprentis et les diplômés de l'enseignement supérieur trouveront dans cette filière des débouchés et des emplois.
Mme Angèle Préville. - L'économie circulaire est d'autant plus précieuse que la production d'aluminium entraîne une grave pollution aux boues rouges. Le recyclage est indispensable ! Concernant la recherche-développement, je crois que l'on produit en Suède un acier avec de l'hydrogène, sans carbone : c'est peut-être une piste à explorer dans notre travail ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'adaptation des procédés fait partie des grands défis : usine intégrée proches du minerai, usine de recyclage, on a besoin des deux, mais quelle part doit avoir chacune ? Où en est la France sur les procédés émergents, sur la recherche-développement, dans ce secteur où les innovations sont nombreuses ? Avec la fermeture d'opérateurs, on a perdu des savoir-faire. Le CEA Tech s'est penché sur cette question. Nous avions entendu son directeur, nous pourrions lui demander de nous orienter vers des interlocuteurs intéressants...
M. Franck Menonville, président. - Le CEA Tech dispose même de pilotes expérimentaux.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Nous pouvons explorer cette voie. D'ici jeudi prochain, nous préciserons tout cela et vous proposerons ainsi un calendrier, des auditions, des déplacements...
M. Jean-Marc Todeschini. - Vous souhaitez peut-être faire une visite à Florange ?
M. Claude Kern. - Du moins ce qu'il en reste...
M. Jean-Marc Todeschini. - Il reste de la sidérurgie avec 3 000 emplois.
M. Franck Menonville, président. - Merci à tous.
La réunion est close à 14 h 15.