Jeudi 11 avril 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Institutions européennes - Réunion conjointe avec une délégation du Sénat italien
M. Jean Bizet, président. - Je suis très heureux de vous accueillir, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, au Palais du Luxembourg. Nous gardons un excellent souvenir de l'accueil que vous nous avez réservé en novembre dernier, lors de notre venue à Rome. Notre dialogue avait été fructueux et il est bon de l'inscrire dans la durée, au-delà des vicissitudes qui peuvent émailler les relations entre nos dirigeants. Je vous remercie d'être venus jusqu'à Paris afin d'entretenir notre relation bilatérale, à laquelle je rappelle notre profond attachement, quelles que soient les tensions entre nos Gouvernements.
La France et l'Italie sont des pays amis, tous deux membres fondateurs de l'Union européenne, et partagent des valeurs démocratiques communes. C'est ce qui a motivé le projet de traité du Quirinal entre nos deux pays, imaginé depuis 2017 pour faire pendant aux traités de l'Élysée et d'Aix-la-Chapelle et redonner une impulsion à notre relation bilatérale. Si ce projet diplomatique est aujourd'hui ralenti, nos échanges entre parlementaires, dans le respect de nos sensibilités politiques diverses, peuvent contribuer à identifier des convergences franco-italiennes. C'est particulièrement utile à la veille de la refondation de l'Europe, qu'il nous faut d'ores et déjà envisager et qu'il faudra mener après les élections européennes et le départ annoncé du Royaume-Uni. Trois ans déjà que nous parlons du Brexit : c'est trop ! Il est temps de nous tourner vers l'avenir, que nous souhaitons continuer à construire avec l'Italie.
Nos deux pays partagent plusieurs préoccupations. La politique agricole commune (PAC), qui est au fondement de la construction européenne, est aujourd'hui menacée. Notre commission des affaires européennes s'est beaucoup investie sur ce sujet, et a initié trois résolutions qui ont été adoptées par le Sénat mais n'ont pas encore trouvé gain de cause à Bruxelles. Nous continuons donc notre travail. L'Italie est le quatrième bénéficiaire de cette politique et, comme la France, elle sait son importance pour permettre le maintien de la production agricole sur le sol européen et favoriser son exportation. L'Italie et la France sont aussi attachées à la promotion des indications géographiques protégées. Je crois qu'une nouvelle enseigne de gastronomie italienne s'est installée à Paris récemment. Elle pourra mettre en valeur la qualité de vos produits, exceptionnels et très appréciés des Français. La menace qui pèse aujourd'hui sur la PAC n'est pas seulement budgétaire; elle est plus profonde. Au Sénat, nous avons acquis la conviction que la réforme de la PAC envisagée par la Commission risque de mener à sa déconstruction : au nom d'une subsidiarité excessive, la Commission propose de renvoyer au niveau national une grande partie des modalités de mise en oeuvre de la nouvelle PAC, si bien que la politique agricole n'aurait plus grand chose d'une politique commune. Voulons-nous avoir 27 politiques agricoles nationales, à l'heure où les plus grandes puissances investissent massivement dans leur agriculture pour la conforter dans la concurrence mondiale?
Nous savons que, comme le nôtre, votre pays est inquiet que la PAC serve de variable d'ajustement au moment de l'élaboration du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Cela ne veut pas dire que nous demandons le statu quo : le budget de l'Union européenne doit être revu, dans son volet recettes comme dans son volet dépenses. Il doit permettre à l'Union européennes de relever les défis qu'elle doit affronter, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je pense notamment à notre avenir industriel commun, qui se joue autour de l'intelligence artificielle et du numérique, mais aussi à la façon dont nous allons faire face aux grands mouvements migratoires vers l'Europe.
Le sujet de l'immigration est important et difficile partout, et spécialement pour des États comme les nôtres, dont les frontières sont celles de l'Union européennes. Si les flux de migrants se sont ralentis, nous savons que votre pays a connu une multiplication par quatre du nombre d'immigrés légaux depuis 2001, sans compter l'immigration clandestine. Nous devons ensemble réfléchir sans délai aux questions urgentes que cela soulève : l'avenir de Frontex, les centres contrôlés et les plateformes de débarquement, la relocalisation des migrants... Mais, à plus long terme, il nous faut aussi trouver les moyens qui permettraient à l'Union européenne d'accompagner le développement des pays d'origine des migrants, afin de structurer leurs économies et de créer sur place des emplois durables.
M. Ettore Licheri, président de la commission des affaires européennes du Sénat italien. - Merci de votre accueil, dans la ville de la démocratie : à chaque fois que je viens à Paris, je respire le parfum de la liberté, de l'égalité et de la fraternité - trois valeurs vacillantes de nos jours, même en Europe !
Je vous propose que nous laissions de côté la rhétorique politicienne. Nous sommes la voix du peuple, et devons sortir des polémiques pour parler vrai. Nous n'aimons pas l'Europe telle qu'elle est. Il faut le reconnaître, même s'il est toujours difficile d'admettre s'être trompé, surtout sur des sujets si vitaux. La France et l'Italie sont membres fondateurs de l'Union européenne, et c'est grâce à l'Europe que nous avons pu progresser ensemble et préserver la paix. Mais c'est en admettant nos erreurs que nous construirons une Europe plus populaire et plus belle.
Nos pères fondateurs se sont trompés en initiant une monnaie commune pour des économies si diverses, notamment en matière de dette publique. Le critère des 60 % aurait dû être respecté avant la création de l'euro, car cet alignement s'est avéré beaucoup plus difficile à obtenir ensuite. Et la Banque centrale européenne (BCE) ne disposant pas du pouvoir d'être prêteur en dernier ressort, cela a laissé à quelques centres financiers la faculté d'attaquer des États souverains, plaçant chaque État-membre en situation de vulnérabilité. Avec le temps, la disparité entre les pays n'a fait que s'accroître.
L'Italie le ressent fortement. C'est pourquoi nous avons voté une loi de finances en rupture par rapport à ce système malade, dont la dette publique en constante augmentation est le premier symptôme : alors que, depuis quinze ans, l'Italie dépense moins que ses recettes, sa dette ne cesse de s'accroître et ce que nous gagnons par les sacrifices de nos concitoyens sert à payer ses intérêts. Nous avons voulu réagir en revoyant le système, en mettant en sécurité la partie la plus vulnérable de la population. Cela n'a pas plu car, dans les lois de finances, la stabilité financière compte plus que les dépenses sociales. Et notre Constitution nous contraint à rechercher l'équilibre budgétaire. Est-ce une raison pour laisser se rompre le pacte de cohésion sociale ?
En période de crise, il faut au contraire veiller à le préserver. Dans nos banlieues, la souffrance, le chômage, la marginalisation menacent d'éclatement. À l'État de veiller au respect des valeurs de solidarité sociale ! Nous l'avons fait, mais l'Europe a dénoncé ces mesures comme des dépenses excessives et réclamé une politique d'investissement. Mais de telles dépenses, à nos yeux, sont bel et bien un investissement dans la survie, à long terme, de la démocratie ! Le but n'est pas d'en retirer des intérêts, mais de faire durer la démocratie et la liberté. Ce sont des investissements de paix. Encore faut-il en convaincre la Commission...
Par sa politique monétaire expansionniste, M. Draghi a aidé l'Italie et a permis à l'Europe de rester debout. La baisse des cours des matières premières et du pétrole a dopé la production industrielle et les investissements partout dans le monde. Mais l'Italie est apparue 27ème sur 27 dans le classement européen des pays en fonction de leur croissance. Comment était-ce possible avec un tel bagage technologique, une telle créativité, de telles ressources ? Parmi les causes endogènes, nous avons identifié le poids insupportable de la bureaucratie, une corruption élevée, de trop longs délais de traitement devant la justice civile, et un sens défectueux du bien commun. Nous avons cherché à traiter ces quatre causes, notamment par une loi contre la corruption. Ainsi, une personne condamnée pour corruption ne devrait plus pouvoir travailler dans les administrations publiques. Nous devions provoquer une rupture, y compris comme signal vis-à-vis de l'Europe. Et nous réclamons votre soutien, au nom de la longue histoire de nos relations.
Sinon, l'Europe risque la rupture. Pour la conjurer, il faut adopter une politique européenne alignant les taux de croissance réels des différents pays. En d'autres termes, il faut permettre aux pays endettés d'investir ! Ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront produire davantage de richesses et rembourser leurs dettes. Sinon, le débiteur finit par ne payer que les intérêts, sans jamais parvenir à réduire le capital restant dû, qu'il transmet indéfiniment aux générations suivantes. Avec le Brexit, la réduction de la croissance allemande, qui ne devrait pas dépasser 0,8 %, et les tensions commerciales, ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour parler d'investir. Mais nous devons le faire, pour éviter l'accroissement des divergences entre États-membres.
Car nous avons déjà deux Europe bien distinctes : l'Europe du Nord, des pays riches, et celle du Sud, des pays pauvres. Et il y a aussi l'Europe des pays de l'Est... Entre ces groupes, la conciliation n'est jamais facile. Dans le Sud de l'Italie, j'ai parlé avec les producteurs d'olives, qui souffrent non seulement des bactéries qui attaquent leurs arbres, mais surtout des facilités que l'Europe a généreusement accordées à leurs concurrents tunisiens, pour récompenser la Tunisie devenue démocratique après les printemps arabes. Cette générosité européenne, assurément, n'a rien coûté aux pays du Nord ! Et nul n'a songé à en compenser le coût pour les producteurs impactés, parce que les cerveaux qui l'ont imaginée - à juste titre - sont trop loin du terrain.
Nous ne pouvons pas continuer à concevoir l'Europe comme une course de Formule 1, car chaque voiture a besoin de pièces différentes. Il faut une Europe à géométrie variable, avec une flexibilité et une solidarité suffisantes pour éviter la rupture.
Pour nous, la PAC est une forme très importante de welfare. En Sardaigne, il y a deux mois, le prix du lait de chèvre était passé en-dessous de celui de l'eau minérale. Les éleveurs, pour protester, en ont déversé dans les rues. Voilà ce qui arrive quand on laisse la loi du profit ôter leur dignité aux travailleurs ! Nous devons veiller à préserver nos traditions et notre histoire en matière alimentaire, gastronomique et agricole.
Mme Barbara Masini, sénatrice, membre de la commission des affaires européennes du Sénat italien. - Étant dans l'opposition, ma position est différente. Mon mouvement, Forza Italia, a une vision européenne forte. Le Président Macron a eu des propos importants sur l'Europe, et je suis d'accord avec lui. Nos conceptions diffèrent de celles du Gouvernement actuel. Pour faire repartir notre économie, qui traverse des difficultés depuis des années - je suis d'accord avec M. Licheri sur ce point -, nous préférerions des investissements et un choc fiscal. Oui, nous devons trouver un consensus susceptible de nous faire sortir d'une dette publique exagérée. Nous avons le ratio entre dette et PIB le plus élevé d'Europe, mais il était plus modéré lorsque nous étions aux responsabilités. J'ai aimé vos propos sur la PAC : nos pays sont unis dans la lutte pour préserver nos économies agricoles, qui sont les plus importantes d'Europe.
Mme Stefania Pucciarelli, présidente de la commission spéciale sur les droits de l'homme, et membre de la commission des affaires européennes, du Sénat italien. - Pour ma part, je fais partie de la Ligue, qui participe à l'alliance gouvernementale. Nous nous sommes unis pour tenter de faire sortir l'Italie d'une période sombre. Nos décisions budgétaires ont visé à mettre un terme à une austérité qui s'est révélée stérile. Nos forces politiques ne sont pas toujours d'accord, mais elles partagent l'objectif de sauvegarder notre nation. À cet égard, nous devons soutenir le développement des pays d'origine des migrants. Et nous ne devons pas hésiter à raccompagner à la frontière les personnes qui n'ont pas vocation à se trouver sur notre territoire.
M. Simon Sutour. - Je me réjouis de cette réunion avec nos amis italiens, qui nous ont très bien reçus il y a quelques mois. Si la politique française est compliquée, la politique italienne ne l'est pas moins : Mme Masini est dans l'opposition, Mme Pucciarelli dans la majorité, mais toutes deux faisaient partie de la même coalition lors des élections ! Et le parti démocrate italien n'est pas représenté ce matin.
Votre discours était teinté d'idéalisme. C'est rafraîchissant pour nous qui sommes de l'ancien monde et que le pragmatisme oblige souvent à oublier l'idéalisme.
Je suis élu des bords de la Méditerranée, de la ville de Nîmes. Ce que vous avez dit sur les oliviers ne peut que me toucher. En France, nous produisons moins d'olives qu'en Italie, et notre production est plus sélective. Nous n'avons pas le problème de la bactérie que vous avez mentionnée, mais celui de la mouche. Les seuls endroits épargnés sont le sud de l'Espagne et le Maghreb, où il fait trop chaud pour que les mouches survivent. La concurrence est rude, notamment avec le sud de l'Espagne.
Je suis solidaire de la position défendue par le Sénat sur la PAC. Je souhaiterais que les productions méditerranéennes françaises profitent davantage de cette politique, car c'est surtout les grands betteraviers et céréaliers du Nord de la France qui en tirent bénéfice, alors qu'ils n'en ont pas forcément besoin. Les viticulteurs et les producteurs de fruits et légumes ne touchent rien. Vous heurtez-vous au même problème en Italie ?
Enfin, je partage votre point de vue sur la spécificité de l'Europe du Sud. Notre civilisation est gréco-romaine. Elle est venue du sud. Le droit écrit vient du sud. L'occitan a malheureusement été éradiqué. C'est le sens de l'Histoire. Comme président de la commission des Affaires européennes, j'avais lancé à l'époque de la présidence chypriote une Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) des pays du Sud. Les Allemands ont fait les gros yeux et cette Cosac du Sud a disparu. Peut-être pourriez-vous relancer l'initiative ?
M. Pierre Ouzoulias. - Vous avez dit en préambule que Paris était la ville de la démocratie. Pour nous, républicains français, la ville de la démocratie, c'est Rome. J'aimerais évoquer la retraite de la plèbe romaine sur l'Aventin, en 494 avant J-C., quand elle a considéré que la République lui était devenue étrangère. C'est ainsi qu'apparurent les tribuns de la plèbe, et à vous entendre la tradition se poursuit. Nous ne pouvons pas continuer à construire l'Europe sans les peuples et contre eux. Le Brexit est un avertissement. Nous devons rétablir une communauté de destin.
Je suis un amoureux de la Sardaigne. Vous êtes de Sassari. Votre île est profondément méditerranéenne et a une culture historique et archéologique très originale. Elle est à l'image de l'Europe, avec plusieurs dialectes sardes, le corse dans le nord et le catalan dans le sud. C'est une forme de raccourci de notre histoire et de ses difficultés. Comment envisagez-vous la cohabitation et l'interaction entre des régions qui doivent donner un nouvel élan à la démocratie populaire, les États-nations et l'Europe ? Le problème se pose notamment en Corse, mais nous avons aussi eu un ébat la semaine dernière sur l'Alsace, et toute l'Europe est concernée.
M. Benoît Huré. - Je me réjouis que nos deux Parlements puissent oeuvrer à un rapprochement. C'est le sens de la diplomatie parlementaire. Nous avons sans doute plus de facilité à nous parler franchement entre élus qu'entre Gouvernements.
J'ai écouté avec attention votre exposé sur l'Europe, berceau d'une civilisation libre et solidaire. Nous avons ces valeurs en partage. Cependant, l'Europe n'est pas seule dans le monde. Elle y côtoie des géants qui s'imposent et qui s'intéressent beaucoup aux pays européens, proies faciles et de choix, car le pouvoir d'achat y est plus élevé qu'ailleurs dans le monde.
Nous ne pourrons pas être sur tous les fronts en même temps. Ma priorité est que nous continuions à nous rassembler autour de valeurs et d'objectifs communs pour que l'Europe ne devienne pas le sous-traitant de l'Asie ou du continent américain. Les cultures peuvent diverger d'un endroit à l'autre de l'Europe. C'est une richesse. Les convergences se dessinent dans le temps long. En revanche, les questions économiques et de défense, car l'Europe est aussi faite pour protéger un espace, et les questions de régulation des migrations sont urgentes. Un ancien ministre de l'Intérieur, en l'occurrence Charles Pasqua, avait l'habitude de dire : « Faisons en sorte que ces pauvres gens soient mieux chez eux, afin qu'ils ne deviennent pas des pauvres chez nous ». Pour cela, il faut que l'Europe lance des plans d'aide au développement.
Rassemblons-nous sur ces sujets et mettons-nous d'accord sur un minimum de politique sociale. Pour ce qui est des divergences, il faut laisser du temps au temps.
M. Jean Bizet, président. - Nous regardons avec attention les mutations qui s'opèrent en Italie. Nous savons combien vous êtes à l'écoute du peuple italien. Nous n'ignorons rien des dérives passées. Nous saluons votre générosité dans le dossier migratoire, sur lequel l'Europe n'a sans doute pas été à la hauteur. Nous n'avons toujours pas trouvé le moyen de sortir par le haut des accords de Dublin. D'où, sans doute, le succès de certains mouvements politiques dans votre pays.
L'Europe ne peut pas se construire contre les peuples et le Brexit en est l'illustration, même si nos amis britanniques naviguent dans l'ambiguïté depuis 44 ans. Dans un monde qui n'a jamais été aussi incertain, qui est interconnecté et imbriqué, les réponses aux grands défis ne peuvent être que collectives.
Vous avez mentionné le volet social. Au niveau communautaire, un socle européen des droits sociaux se met en place, qui fait une large place aux convergences. Le marché unique, premier marché économique mondial, ne peut plus prospérer sans une dimension sociale. Je n'aurais pas tenu ce genre de propos, il y a trois ou quatre ans, mais les crispations se font sentir, qui sont devenues éruptions weekend après weekend en France. Nous ne pouvons plus continuer ainsi. Au-delà des perspectives économiques, le projet européen porte des valeurs. C'est peut-être la solution. L'Europe, c'est le temps long et c'est aussi le compromis. Je ne partage pas les réactions brutales du Gouvernement ou du Président de la République français vis-à-vis de l'Italie, État membre fondateur et ami.
Le 12 juin prochain, nous réunirons les attachés agricoles des différentes ambassades pour travailler sur un projet commun. Des fonds de développement existent pour lutter par exemple contre le parasite qui détruit vos oliveraies. Vous avez su exploiter les signes de qualité pour répondre aux problèmes des producteurs d'huile d'olive. Améliorer la qualité est le seul moyen de sortir par le haut. Ce n'est pas simple et il faudra du temps. Je fais confiance au savoir-faire italien.
Vos propos étaient teintés d'idéalisme. N'y changez rien, car c'est le charme de l'Italie. Vos partenaires sauront vous rappeler au pragmatisme. Fonds européens, fonds Juncker, digitalisation, intelligence artificielle, les solutions existent.
Je connais les dérives passées de l'Italie, et également celles de la France. Il faut trouver une issue positive à ces crises. Le président Juncker a proposé un grand plan pour l'Afrique, pour éviter que nous soyons de nouveau pris au dépourvu par l'arrivée massive de migrants. Si nous ne parvenons pas à mettre en place une politique d'union pour la Méditerranée, nos civilisations risquent d'être submergées, et Rome, ville millénaire, risque d'en souffrir. M. Sarkozy, qui était italien par certains côtés, avait défendu cette idée en son temps.
Êtes-vous d'accord pour que nous élaborions une déclaration commune sur la PAC ? Quelles réflexions vous inspire la procédure de Dublin ?
Mme Stefania Pucciarelli. - En Ligurie, d'où je suis originaire, l'agriculture ressemble à celle de votre pays. Nous connaissons bien ce problème avec les mouches. Notre difficulté principale tient aux appels d'offre. Les fonds européens n'arrivent pas aux petits agriculteurs, alors qu'ils en ont besoin. Sans doute les procédures sont-elles trop complexes. C'est pourtant grâce à ces petits agriculteurs que nous évitons certaines catastrophes climatiques, comme les inondations.
La qualité des produits est importante. Dès lors qu'un produit arrive sur la table d'un consommateur, il a une identité qui doit pouvoir être tracée. Les garanties de qualité que nous développons en matière de traçabilité justifient un prix élevé. Or nous manquons de soutien européen pour défendre la qualité et la traçabilité des produits.
M. Jean Bizet, président. - Nous pourrions adopter un avis politique commun sur la traçabilité. Les approches de la politique communautaire peuvent évoluer sur ce point.
Mme Stefania Pucciarelli. - En mer de Ligurie, la pêche de certains poissons est interdite, alors qu'elle reste possible dans les eaux de Nice. Des familles de pêcheurs ont dû mettre la clé sous la porte. Je ne reconnais plus cette Europe.
M. Jean Bizet, président. - J'ai bien noté ces difficultés. Il faut que nous trouvions une issue positive.
M. Ettore Licheri. - Plus les Italiens et les Français parlent ensemble, plus ils tombent d'accord. Nous avons des années d'histoire démocratique en commun. Monsieur Ouzoulias, la prochaine fois que vous séjournerez en Sardaigne, vous serez mon invité. Sur la Cosac des pays de la Méditerranée, il me semble que l'Allemagne a posé son veto. Il s'agissait d'élaborer une pensée commune de tous les pays qui en faisaient partie. Il n'est pas concevable qu'un pays puisse s'opposer ainsi au dialogue qui s'instaure entre d'autres partenaires. Cela ne peut qu'entretenir un malaise et créer des déséquilibres qui seront source de mécontentement.
Loin de moi l'idée de critiquer l'Allemagne avec laquelle l'Italie entretient des relations commerciales fortes. Le secteur automobile allemand utilise 70 % de composantes italiennes. Si l'Allemagne est en bonne santé, l'Italie et la France le seront aussi, et inversement.
Si nous parvenons à construire en Europe un corps politique solidaire et équitable, nous pouvons nous permettre de signer des traités commerciaux bilatéraux. La France pourrait traiter directement avec la Chine, dès lors qu'elle fait partie d'un système politique intégré qui protège l'ensemble des États membres. Osons le dire, et cessons d'être hypocrites : nous n'avons jamais cessé de signer des traités bilatéraux, et nous sommes tous porteurs d'intérêts nationaux. La seule limite est de veiller au respect de l'éthique et des valeurs de nos Constitutions. Je ne crois pas que l'économie française pourra être écrasée par celle de la Chine. Je crois plutôt que la vision politique démocratique et solidaire de la France s'exportera vers la Chine. Voilà pourquoi je ne crois pas que Rome puisse un jour être écrasée par la Chine ou les États-Unis.
Quant à l'Afrique, nous pouvons mettre en place un mécanisme d'accueil des migrants, ou bien faire en sorte qu'ils choisissent de rester chez eux. D'ici 2030, 700 millions d'Africains auront 18 ans. Les richesses se concentrant au nord, il est inévitable qu'ils souhaitent rejoindre ces territoires plus fertiles. Aucune barrière humaine n'empêchera ce flux migratoire. Nous avons dépouillé le continent africain de ses richesses et de ses matières premières. Il est temps de décider si un fonds de l'Union européenne suffira pour que l'Afrique prenne son destin en mains. Nous soutenons une coopération économique globale à 360 degrés avec ce continent.
Le total des aides financières destinées à l'Afrique est inférieur à celui des aides prévues pour la défense orientale de notre continent, ce qui signifie que nous dépensons de l'argent pour construire des barrières plutôt que pour aider l'Afrique. L'Europe ne peut pas rester au milieu du gué. Nous devons donner plus de poids au dispositif Frontex tout en faisant en sorte que l'économie africaine bénéficie aux Africains.
Concernant le système de Dublin, il faudrait convaincre l'Europe du Nord qu'il n'est pas acceptable. Il est issu d'un moment particulier de notre histoire européenne, et sa révision serait éloquente. Si l'Europe ne comprend pas que ces accords encouragent l'indifférence de la plupart des États membres, je ne donne pas cher du projet européen.
Mme Stefania Pucciarelli. - Notre commission des Affaires européennes a clairement demandé que des fonds d'aide soient distribués à l'Afrique. Peut-être faudrait-il que les Parlements des autres États membres joignent leur voix à la nôtre.
M. Jean Bizet, président. - Je prends note de vos suggestions. Sans doute faudra-t-il que nous nous revoyions très prochainement. Monsieur le président, je vous remercie de vous être exprimé avec la fougue qui vous caractérise. Les convergences sont possibles sur bien des sujets.
Chers collègues, je souhaiterais ajouter un dernier mot au titre de notre mission de contrôle de la conformité des textes européens qui nous sont soumis au principe de subsidiarité.
Le mandat des institutions européennes touchant à sa fin, le flux de textes qui nous est transmis au titre de l'article 88-6 de la Constitution se tarit. Ainsi, depuis la dernière réunion de son groupe de travail sur la subsidiarité le 21 février dernier, notre commission n'a reçu qu'un seul texte au titre du contrôle de subsidiarité. Aussi, je n'ai pas jugé utile de réunir le groupe de travail et je saisis donc l'occasion de notre réunion aujourd'hui pour évoquer ce texte, sur lequel nous devons néanmoins nous prononcer : il s'agit d'un projet de décision qui vise à modifier la décision n° 1313/2013/UE relative au mécanisme de protection civile de l'Union européenne.
La modification proposée ne porte pas sur le mécanisme de protection civile lui-même, mais a pour seul objet d'en pérenniser le financement au-delà de l'actuel cadre financier pluriannuel (2014-2020).
Ainsi, sur la période couverte par le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027), le mécanisme de protection civile de l'Union européenne bénéficierait de 1,4 milliard d'euros (à prix courants).
La Commission européenne ne dispose certes que d'une compétence d'appui aux États membres en matière de protection civile, mais ce texte ne me semble pas porter atteinte au principe de subsidiarité : en effet, sa nature est exclusivement financière, et il intervient en outre dans le contexte d'une modification récente de la décision de 2013 visant à renforcer ce mécanisme de protection civile.
C'est pourquoi je vous propose de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
Il en est ainsi décidé.
Nos amis italiens visiteront le Sénat et partageront un déjeuner avec le président du groupe d'amitié France-Italie, M. Hervé Marseille.
M. Ettore Licheri. - Je vous remets une collection de monnaies italiennes produites par l'État, qui illustrent les épisodes les plus importants de notre histoire démocratique. Ce cadeau est une promesse pour les batailles qui nous attendent dans les mois prochains afin de faire triompher la liberté.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie. À mon tour, je vous remets la médaille du Sénat.
La réunion est close à 11h15.