Mercredi 12 juin 2019
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, sur le plan stratégique « Radio France 2022 : une nouvelle ambition de service public »
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous auditionnons ce matin la présidente de Radio France, le premier groupe de radio de France. Je remercie tout particulièrement Sibyle Veil de nous avoir proposé de venir nous présenter le nouveau livre blanc réalisé par l'institution que vous avez présenté hier à l'Assemblée nationale. Alors que le contrat d'objectifs et de moyens signé entre l'entreprise et l'État en 2015 n'est aujourd'hui plus respecté par ce dernier sans qu'aucun avenant n'ait été mis en chantier - en 2018 le niveau de la ressource publique de Radio France était inférieur de 24,6 millions d'euros au montant prévu par le contrat d'objectifs et de moyens (COM) et cet écart, comme nous l'avons noté lors du débat budgétaire, s'est accru en 2019 -, on ne peut que saluer le souci du groupe de radio publique de se fixer une feuille de route stratégique.
Les enjeux sont en effet nombreux : lancement de la radio numérique terrestre, achèvement du chantier de la maison de la Radio, poursuite des coopérations avec France Télévisions, diversification des ressources, maîtrise des coûts et notamment de la masse salariale, délinéarisation des contenus radios.
L'entreprise est interpellée à la fois dans son organisation, dans sa capacité à adapter ses moyens de diffusion, dans les relations qu'elle entretient avec les autres entreprises publiques.
Établir un livre blanc dans ces conditions - et à quelques mois de la discussion d'un projet de loi sur l'avenir de l'audiovisuel public qui semble cependant s'éloigner - ne peut que nourrir de manière utile la réflexion des membres de la commission.
Je vais donc vous laisser exposer les grandes lignes de ce document dont les commissaires ont déjà pu prendre connaissance. Je laisserai ensuite notre rapporteur des crédits de l'audiovisuel, notre collègue Jean-Pierre Leleux, vous interroger puis notre collègue Jean-Raymond Hugonet qui est membre du conseil d'administration de Radio France. Je donnerai ensuite la parole à un membre par groupe politique, puis à l'ensemble des commissaires présents. Madame la présidente, je vous laisse la parole.
Mme Sibyle Veil, présidente de Radio France. - Cette audition intervient dans un moment charnière pour l'entreprise Radio France. Comme vous venez de le rappeler, j'ai présenté la semaine dernière, en conseil d'administration puis au comité central d'entreprise et à l'ensemble des collaborateurs de Radio France, le nouveau projet stratégique à l'horizon 2022. Ses enjeux ont également été présentés dans le Livre blanc que nous avons adressé aux membres de la Commission. Il est important, lorsqu'on prépare un projet d'une telle ampleur, d'expliquer aux différentes parties prenantes - à la fois les salariés en interne, mais aussi l'ensemble des acteurs impliqués qui ont un regard vigilant, sinon souvent bienveillant, sur notre maison - quels en sont les enjeux et les défis, de manière à ce que la stratégie, que nous avons élaborée depuis plusieurs mois, puisse être comprise.
J'ai à mes côtés Xavier Domino, secrétaire général de Radio France et Marie Message, qui m'a remplacée dans mes précédentes fonctions de directrice des opérations et des finances de Radio France.
Les enjeux de Radio France pour l'avenir fournissent le point de départ de ce projet stratégique. Ils sont intimement liés à ceux qui traversent la société française. Ainsi, le premier de ces enjeux concerne la baisse de la ressource publique. Il y a un an, le Gouvernement a annoncé une baisse de la redevance attribuée à Radio France à hauteur de 20 millions d'euros. Cependant, cette équation financière ne résume pas, à elle seule, la totalité des enjeux de Radio France.
En effet, deux autres enjeux sont tout aussi importants : le défi technologique, d'une part, la crise de confiance vis-à-vis des médias, d'autre part. Nous traversons ainsi une révolution numérique impliquant, à son tour, une révolution du son, avec notamment le développement des assistants vocaux, de la commande vocale et des enceintes connectées qui impliquent une nouvelle manière d'écouter la radio. Un véritable univers de l'audio est en cours de constitution et attire de nouveaux acteurs, comme les plateformes de podcasts qui se positionnent sur l'univers du son. Radio France, en tant qu'acteur dont le son est le coeur de métier, doit accélérer sa transformation numérique pour répondre aux usages nouveaux qui se développent.
Le troisième défi demeure la crise de confiance qui touche les médias, comme d'autres institutions. Notre société est travaillée par la défiance : l'individualisme, le relativisme, la désinformation et le complotisme se développent, et nos jeunes en particulier y sont vulnérables. Dans le même mouvement, la culture se globalise sous l'effet de quelques grands acteurs en situation dominante qui l'uniformisent.
Radio France, comme entreprise de médias de service public, a une responsabilité forte qu'elle a assumée, ces derniers mois, lors de la crise des gilets jaunes. Elle a ainsi défendu l'éthique du débat public en refusant sa transformation en arène, en défendant l'existence des faits contre la désinformation, en décryptant l'actualité au vue des acquis de l'histoire des idées et de la connaissance et en luttant contre l'uniformisation culturelle. Dès lors, dans ce contexte, un média de service public représente une alternative aux médias payants ou uniquement polarisés sur l'audimat, le buzz ou encore le clic.
Radio France a su proposer aux Français une information répondant à leur quotidien. Ainsi, sur quelle autre radio que France inter pouvait-on entendre au lendemain de l'incendie de Notre-Dame de Paris, la lecture de l'oeuvre de Victor Hugo par Guillaume Gallienne ? Qui d'autre que France info a consacré autant d'heures à informer sur les enjeux des élections européennes ? Je pourrais multiplier les exemples et c'est pour moi autant de raisons qui démontrent la nécessité pour Radio France de demeurer une entreprise forte qui défend les valeurs du service public dans une société qui devient de plus en plus numérique.
Sur la base de ces enjeux, nous avons élaboré une stratégie pour les prochaines années avec l'ambition que Radio France, qui est aujourd'hui le premier groupe radio en France, devienne demain le leader de l'audio - à la radio et sur le numérique - au service de tous les Français. Pour cela, Radio France devra être forte à la fois sur son métier - l'audio - et sur ses missions de service public. La réalisation de notre stratégie ne doit pas conduire à sacrifier son ambition éditoriale, mais implique de garder son actuel périmètre, c'est à dire nos sept chaînes, les 44 antennes locales de France Bleu et nos quatre formations musicales. J'ai la conviction que chacune de nos chaînes assume également cette mission de service public, comme en témoigne l'augmentation historique de leurs audiences respectives.
Garder l'ensemble de ces chaînes n'est pas le choix le plus facile. D'autres groupes de médias n'hésitent pas à supprimer des chaînes pour réaliser des économies. Aussi, les futures économies de Radio France seront obtenues en réorganisant et en conduisant des réformes en profondeur, quitte à concentrer ses moyens sur les missions estimées prioritaires, à savoir l'information, la proximité, la culture et la proposition de programmes aux jeunes publics.
Je reviendrai sur la place spécifique de la musique pour Radio France, forte de ses quatre formations musicales qui participent au rayonnement international de la France. En comparaison avec l'Allemagne, qui compte huit orchestres de dimension internationale, ou le Royaume-Uni, où la BBC dispose de cinq formations symphoniques, ces quatre formations n'apparaissent pas comme excessives. Néanmoins, ces quatre formations ont-elles vocation à demeurer au sein de Radio France ? En accueillant ces formations musicales, Radio France est en mesure de faire rayonner leurs activités, en diffusant en direct leurs concerts sur France Musique dont l'audience peut atteindre 150 000 auditeurs lors des soirées de concert. Par ailleurs, toujours dans cet objectif d'élargir le nombre de Français en contact avec la musique symphonique, l'Orchestre national de France devrait se spécialiser sur l'interprétation du grand patrimoine européen jusqu'à la fin du XIXe siècle, et l'interpréter dans le cadre de tournées dans les territoires après chaque concert à Radio France. Ainsi, les habitants des territoires, qui ne disposent pas d'orchestres symphoniques susceptibles d'interpréter certaines oeuvres d'auteurs comme Debussy, Ravel ou Berlioz, pourront avoir accès à ce répertoire français. L'autre orchestre sera quant à lui spécialisé sur l'accompagnement de la création plus contemporaine, qu'il s'agisse de commandes d'oeuvres à des compositeurs contemporains - l'année dernière, 61 oeuvres ont ainsi été créées - ou de l'accompagnement d'artistes. Radio France tire ainsi parti de son statut de premier acteur de la musique en France, grâce à l'ensemble de ses chaînes qui lui permettent de diffuser tous les genres musicaux et sont souvent les lieux où les artistes français font leurs débuts avant, pour certains d'entre eux, d'accéder à une plus large notoriété.
Notre seconde priorité stratégique est de parler à tous les Français. Il faut ainsi à Radio France continuer à rajeunir et à renouveler son audience. Ces dernières années, nous sommes parvenus à susciter l'intérêt de nouveaux publics, souvent plus jeunes. Ainsi, parmi les 1,3 million de nouveaux auditeurs des chaînes de Radio France depuis trois ans, 500 000 ont moins de 35 ans. A rebours du média radio, qui voit l'âge de ses auditeurs augmenter, Radio France est le seul groupe de radio en France qui a vu s'abaisser l'âge de ses auditeurs. De tels résultats sont à mettre au compte de la stratégie éditoriale, ainsi que de l'augmentation de la présence numérique dans le prolongement de chacune de nos chaînes, mises en oeuvre ces dernières années. Les personnes qui nous découvrent sur le numérique peuvent nous rejoindre ensuite comme auditrices.
Nous allons poursuivre ces efforts, afin de devenir le miroir le plus fidèle possible de la société française. Outre le nombre d'auditeurs, Radio France doit viser les différentes catégories socio-professionnelles ; France Bleu touchant, grâce à ses stations locales, des auditeurs plus populaires auxquels les autres chaînes ne s'adressent qu'insuffisamment. De plus en plus d'auditeurs de France info et de France inter appartiennent à la catégorie des catégories socio-professionnelles les moins favorisées (CSP-). Preuve que les efforts doivent être intensifiés en ce sens ! Pour se faire, il importe de répondre aux nouveaux usages d'écoute et de travailler sur l'accessibilité et la stratégie de diffusion de nos programmes.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la radio numérique terrestre (RNT), avec la technologie DAB+ dont le choix devrait générer un accroissement de nos charges de diffusion à hauteur de 5 millions d'euros d'ici à 2022. La radio est un média qui accompagne et l'écoute de la radio en direct demeure très importante dans les pays où les usages du numérique sont bien plus avancés. En France, le média radio s'écoute encore à près de 87 % en direct. La RNT permet de disposer d'une technologie gratuite et anonyme, sans recourir à un opérateur télécom. Elle va également permettre d'étendre la couverture de nos antennes - comme France info ou encore FIP ou le Mouv - lesquelles, jusqu'à présent, n'étaient pas accessibles sur l'ensemble du territoire national.
La distribution numérique, qui permet d'obtenir un usage individualisé de la radio, représente également un enjeu important. Le coeur de notre stratégie est ici une plateforme numérique au sein de laquelle toutes les offres de Radio France pourront être écoutées, ainsi que les orchestres dont les concerts sont diffusés en direct et captés grâce à un partenariat que nous avons avec Arte.
Enfin, cette stratégie de distribution implique aussi de remédier à la désintermédiation de nos radios, à l'instar de ce qu'éprouvent actuellement un grand nombre d'acteurs médiatiques. Aujourd'hui, 85 % des podcasts de Radio France sont écoutés sur des plateformes tierces, de même que 65 % de l'écoute en direct de nos radios. Aussi, à terme, une telle tendance risque de couper Radio France de son public. En effet, faute de connaître la manière dont notre public écoute nos contenus, nous ne serons pas en mesure de maîtriser les propositions éditoriales et ainsi de proposer des programmes en phase avec l'évolution des usages. Dès lors, cette stratégie privilégie la maîtrise de notre distribution ; cette préoccupation est partagée avec le secteur de la presse qui a cherché, au cours de ces dernières années, à faire revenir ses lecteurs sur ses propres plateformes avec des offres par abonnement. En tant que fournisseur d'un service public, notre enjeu est de demeurer accessible et de garder un lien direct avec le public.
En outre, l'ensemble de cette stratégie vise à nous renforcer sur l'audio, qui constitue notre coeur de métier et nous permet, au sein de l'audiovisuel public, de nous différencier et d'apporter notre complémentarité. Une réorganisation importante va nous permettre d'organiser notre transformation numérique. Si de nombreuses innovations ont été conduites au sein de nos équipes durant ces dernières années, il importe désormais de les amplifier et les propager au sein de toutes les chaînes et les activités au sein de notre entreprise. Une telle démarche s'accompagne de l'évolution des métiers et des parcours professionnels. Par ailleurs, un plan d'investissement pour ces trois prochaines années, à hauteur de 25 millions d'euros, permettra de produire et de diffuser sur le numérique, dans les meilleures conditions possibles, des contenus audio.
L'investissement dans la formation sera dans le même temps multiplié par trois. Cette transformation durera ces trois prochaines années et sera assurée dans le cadre d'un nouveau pacte social que j'ai proposé aux partenaires sociaux, avec lesquels nous devrions, dès la prochaine rentrée, négocier un accord de gestion des parcours et des emplois professionnels destiné à accompagner la transformation des métiers et des compétences au sein de l'entreprise. Cet accord se traduira également par un certain nombre de départs volontaires ; une fourchette entre 270 et 390 départs volontaires a d'ailleurs été annoncée aux partenaires sociaux la semaine dernière. L'ampleur de ces départs dépendra cependant de notre capacité de négociation sur l'organisation du temps de travail qui représente un sujet d'importance pour Radio France où tout est produit en interne. En effet, les rythmes des équipes sont organisés pour répondre à une activité qui se déroule en continu. Il nous faut ainsi travailler avec les partenaires sociaux sur à la fois les règles et les pratiques, de manière à les faire converger vers les meilleurs standards en vigueur dans les autres entreprises du secteur et à assurer, en retour, l'adéquation complète entre nos moyens et nos activités. Cette négociation devrait nous occuper fortement dans les mois à venir.
Le moment est venu de conduire cette transformation ambitieuse et longue. Aujourd'hui, nos résultats, en termes d'audience, sont historiques. 15 millions de Français écoutent quotidiennement une radio de notre entreprise ; France inter est devenue la première radio en France, les audiences de France info sont au même niveau que lors de la dernière élection présidentielle et les audiences de France musique viennent de dépasser celles de sa concurrente privée. De tels résultats traduisent les efforts et le travail poursuivis ces dernières années. C'est pourquoi, cette transformation est requise pour demeurer à ce niveau élevé, afin de construire l'avenir.
En outre, durant ces dernières années, le redressement financier de Radio France a été conduit, notamment grâce au contrat d'objectifs et de moyens (COM). D'ailleurs, depuis ces trois dernières années, nous avons clôturé nos exercices avec des résultats excédant les attentes du COM et en 2018, nous avons terminé l'année avec un résultat positif de plus de 7 millions d'euros, au lieu des 0,5 million d'euros prévu.
Enfin, s'agissant du chantier de réhabilitation, nous avons engagé une réorganisation du pilotage de ce chantier que j'avais eu l'occasion d'évoquer devant vous, lors de mon audition de l'année passée. Nous ne nous contentons plus d'estimer les retards engrangés. A l'inverse, nous nous sommes fixés un objectif de coûts et de délais que nous respectons.
C'est quand on va bien qu'il faut préparer l'avenir et c'est ce que nous nous efforçons de faire aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur des crédits de l'audiovisuel. - Je vous remercie pour votre exposé particulièrement clair et dense. Il témoigne de votre volontarisme de mettre en phase Radio France avec les attentes du public et l'innovation technologique.
J'ai consacré dans mon avis budgétaire pour 2019 une étude thématique portant sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu. Une évaluation devait être réalisée au printemps avant de décider la généralisation or cette dernière a été annoncée sans que l'évaluation ait été partagée.
Le bilan de l'expérimentation semble pourtant faire débat, puisque des responsables de France Bleu pointent une absence de plus-value éditoriale, une audience confidentielle sur France 3 et, au final, une difficulté à motiver les équipes. Quel bilan tirez-vous de l'expérimentation et, surtout, quelles évolutions envisagez-vous pour répondre aux inquiétudes soulevées par certains personnels de Radio France ?
Mme Sibyle Veil. - Votre question me permet d'expliquer notre stratégie pour le réseau France Bleu, qui comprend actuellement 44 antennes locales et diffuse, quotidiennement, de dix à douze heures de programmes locaux. Ce réseau connaît depuis quelques années une érosion de son audience et une évolution de son image. A l'instar du travail débuté avec France info, qui associait trois autres entreprises audiovisuelles publiques - France Medias Monde, l'Institut national de l'audiovisuel et France Télévisions - dans un projet commun à la radio, au numérique et à la télévision, nous avons engagé, à Nice et Toulouse, une expérimentation sur les deux matinales de radio, filmée et diffusée sur France 3. A cette occasion, nous avons pu étendre les bénéfices de la démarche déjà couronnée de succès avec France info, à savoir l'exposition des programmes à des publics différents qui regardent la télévision et l'acquisition d'un savoir-faire et de moyens de captation vidéo financés par France Télévisions. L'exposition sur le numérique des émissions contribue par ailleurs aux bons résultats de France inter qui touche grâce à elle de nouveaux publics.
De telles expérimentations ont validé l'intérêt de travailler en partenariat avec France Télévisions pour approfondir le contenu éditorial qui relève, dans ces tranches de programme, de l'entière autonomie des équipes de France Bleu. Cette collaboration s'avère vertueuse pour les deux entreprises et un premier bilan a été présenté, fin mars dernier, à nos équipes. J'ai d'ailleurs eu, dans le cadre d'un tour de France des stations locales, l'occasion de rencontrer les personnels de France Bleu pour évoquer les enjeux de cette coopération territoriale avec France Télévisions. Nous en avons également parlé avec les partenaires sociaux. Il faut que nous soyons progressivement en capacité d'étendre cette dynamique à de nouvelles stations ; soit dix stations par an, en commençant, dès la rentrée prochaine, par les stations de Lille et Guéret. Le choix de ces deux stations de proximité, emblématiques de l'immersion de nos équipes dans le quotidien de nos concitoyens, engage l'extension prochaine de cette démarche à l'ensemble des antennes de France Bleu.
M. Jean-Pierre Leleux. - Ma seconde question portera sur l'étendue et la forme des coopérations possibles entre Radio France et France Télévisions. J'ai proposé en 2015 avec mon collègue André Gattolin la création d'une holding commune aux quatre grandes entreprises de l'audiovisuel public - France Télévisions, France Médias Monde, Radio France et l'Institut national audiovisuel. Face aux réticences j'ai ensuite proposé qu'on commence par créer une présidence commune à France Télévisions et Radio France. Le ministre de la culture s'est de nombreuses fois prononcé en faveur d'une gouvernance commune.
Ma question est donc la suivante : si cette gouvernance commune était créée en 2020 quel serait, selon vous, le premier chantier commun à ouvrir : faudrait-il commencer par le numérique ? Faudrait-il mettre l'accent sur l'offre de proximité ? Faudrait-il favoriser les mobilités de personnels entre les deux entités ?
Mme Sibyle Veil. - Les coopérations mises en place avec succès ces dernières années autour de l'information et impliquant France info sont développées sur la question de la proximité. Dans ce cadre, a été lancée Culture Prime qui est une nouvelle offre de média social de la culture. Ainsi, en associant l'INA, France Medias Monde, Arte et TV5 Monde, nous avons créé une offre de courtes vidéos dédiées à la culture et à la création culturelle tout autant qu'au décryptage de l'actualité. Ces innovations témoignent du souci de nos chaînes, animées par des valeurs et une éthique communes, de proposer des services nouveaux aux Français. Cette coopération nous lie non seulement à France Télévisions mais aussi aux autres acteurs de l'audiovisuel public. France Musique dispose d'une plateforme commune avec Arte pour la diffusion en direct des concerts sur internet, soit depuis les auditoriums de Radio France, soit à l'occasion des différents festivals comme celui d'Aix en Provence. Par ailleurs, nos liens avec l'INA sont d'autant plus forts qu'aujourd'hui, les archives - tant radios que télévisuelles - ont désormais une valeur analogue à celle du flux de production du direct. La valeur du patrimoine de l'INA, qui détient les archives des médias du service public, est ainsi considérable. Sur le numérique, d'anciennes émissions emblématiques, à l'instar de Radioscopie de Jacques Chancel sont mises en valeur et permettent de mieux comprendre l'actualité grâce à des prises de parole passées. Nos coopérations avec l'INA connaissent une valorisation croissante et sont devenues l'une de nos priorités. Radio France gère ainsi son stock de programmes tout autant que sa production de flux. Notre coopération avec France Médias Monde et RFI nous permet également de travailler sur l'actualité internationale qui est l'une des spécificités des médias de service de public. Peu de médias disposent aujourd'hui de correspondants à l'étranger qui peuvent, pour les Français, décrypter l'actualité internationale.
Ainsi, nos projets de coopération concernent l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel public et entendent proposer aux Français des offres répondant aux problématiques d'aujourd'hui, qu'elles soient de proximité ou beaucoup plus lointaines. Cette coopération doit également contribuer à dégager des économies au cours des prochaines années et implique la mobilisation de l'encadrement de Radio France.
L'existence de conventions collectives et d'un cadre social différents constitue une difficulté. Or, tout rapprochement de ce cadre social avec celui applicable aux autres acteurs de l'audiovisuel induira un coût important. Privilégions donc les rapprochements qui permettent de proposer aux Français de nouvelles offres éditoriales, en veillant que les bénéfices des nouveaux moyens mobilisés par les diverses entreprises coopérantes ne soient pas absorbés par des contraintes administratives et le rapprochement de cadres sociaux aujourd'hui disparates.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Depuis un an et demi, je représente le Sénat au sein du conseil d'administration de Radio France. Lundi dernier, j'ai soutenu l'adoption de votre nouvelle stratégie intitulée « Une nouvelle ambition de service public ». Votre réforme est vraiment intelligente et il vous faut à présent décider. La période est charnière : dans cette société de l'image, le son est bel et bien primordial, en ce qu'il permet notamment de lier la radio avec la mobilité. Ce point sera fondamental dans les prochaines années. Votre ambition est de maintenir le même périmètre, avec sept antennes, deux orchestres et deux chorales. Votre stratégie - hormis sur la problématique de la réhabilitation des bâtiments - et ses premiers résultats répondent également aux griefs auparavant formulés par la Cour des comptes : une entreprise en état de crise financière, des activités aux résultats insuffisamment pilotés, une gestion devant être plus rigoureuse et la nécessaire refondation de son modèle ; ce dernier point demeurant toutefois en question. Aussi, vous serait-il possible d'expliciter la révolution culturelle du modèle social que vous proposez, mais qui suscite des réactions angoissées de la part des représentants syndicaux ?
Mme Sibyle Veil. - Le dernier rapport de la Cour des comptes donne un satisfecit à Radio France pour ses réformes conduites ces dernières années. Néanmoins, de nombreux chantiers doivent être menés, comme celui sur le cadre social qui fait l'objet de discussions avec les partenaires sociaux. Or, comme toute entreprise, Radio France dispose d'un ensemble de règles négociées dans la durée et de pratiques dont il faut assurer la convergence. Les règles négociées doivent tendre le plus possible vers ce qui se fait dans le secteur des médias. Cette démarche doit permettre à Radio France d'être à l'avenir plus forte, dans un contexte plus général de débat sur la redevance. Je ne souhaite pas que des problèmes sociaux viennent éclipser les excellents résultats de Radio France.
C'est pourquoi, il importe que l'ensemble des problèmes de gestion relevés par la Cour des comptes soient résolus, afin qu'au moment du débat sur la redevance, l'entreprise soit en mesure de démontrer sa gestion responsable de l'argent public qui lui est confié, dans un cadre social lui-même responsable. Nous ne sommes plus dans le contexte de 2015 et l'entreprise se porte bien : les audiences sont bonnes, notre stratégie de développement des contenus numériques a démontré sa pertinence, les formations musicales sont reconnues légitimes. Dès lors, le contexte est favorable pour engager un certain nombre de chantiers socialement importants, afin que l'entreprise soit plus forte à l'avenir.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je rappellerai que le vote de notre collègue, lors du dernier conseil d'administration de Radio France, avait une valeur personnelle, puisque nous n'avions pas encore auditionné Mme la Présidente sur son Livre blanc.
M. André Gattolin. - Je m'associe au concert de louanges sur les résultats obtenus par les antennes de Radio France qui démontrent que nous disposons en matière audiovisuelle d'un service public de qualité. Ses nombreuses antennes, à l'identité forte, sont autant de marques connues des Français. Dans l'univers désintermédié des médias, le service public justifie ainsi toute sa place et dispose de ses propres capacités de développement. Dans votre plan stratégique, vous évoquez le développement de ressources propres, dont, peut-être, la publicité. A cet égard, je note une anomalie : Radio France est placée sous une double contrainte publicitaire, tant sur la durée de diffusion et le volume de chiffre d'affaires. Un tel handicap me paraît aberrant, en raison des audiences enregistrées par ces stations ! En effet, il n'y a pas de raison de limiter le chiffre d'affaire publicitaire, dans la mesure où l'on restreint de manière drastique le temps de publicité sur une base horaire, alors qu'on doit anticiper la baisse des revenus générés par la redevance audiovisuelle.
M. David Assouline. - Notre commission, qui a défendu bec et ongles le service public de l'audiovisuel et a cru en Radio France dans un moment critique, ne peut que se féliciter des excellents résultats obtenus par ses antennes : 15 millions d'auditeurs représentent la plus grande audience nationale en termes de radio ; France inter a détrôné RTL, avec 6,3 millions d'auditeurs et 11,7 % des parts d'audience ; l'audience de France culture, avec 1 527 000 auditeurs quotidiens, connaît la plus forte progression du paysage radiophonique national, avec près de 28 %. De tels résultats démontrent l'appétence des Français pour la culture.
Je veux faire part à toutes vos équipes, qui oeuvrent dans l'ombre à la qualité du service public, de nos sincères félicitations. Il faut maintenir cette dynamique amorcée depuis la grève de 2015 qui a été la plus longue de l'histoire de votre entreprise. Les salariés ont payé un lourd tribut au redressement de Radio France et les performances de ces dernières années résultent de leur mobilisation. Or, je ne comprends pas, en ma qualité de défenseur intransigeant de la qualité de Radio France, que vous puissiez proposer 60 millions d'euros d'économies. Une telle proposition ne peut qu'avoir des répercussions sur la masse salariale qui a déjà baissé de 2,3 % ces dernières années. Vous vous contraignez ainsi à choisir entre le maintien des effectifs en sacrifiant des acquis, ou à imposer de la précarité en les conservant. De telles pratiques rappellent celles du secteur privé où les restructurations viennent souvent récompenser de bons résultats ! Prenons garde de ne pas démobiliser ces personnels qui sont à l'origine de ces succès ! A l'inverse, je pensais que pour fortifier le service public et assurer la consolidation du tournant numérique, - France Culture avec près de 24 millions de téléchargements numériques annuels étant à la pointe de la technologie -, de nouveaux moyens s'avéraient nécessaires.
M. Michel Laugier. - Comment réaliser 60 millions d'euros d'économies d'ici à 2022, tandis que la redevance audiovisuelle est en baisse et que les charges augmentent chaque année ? Quels sont vos projets pour développer vos ressources propres ? 80 % des invités aux émissions matinales diffusées par les radios matinales généralistes sont des hommes ; comment comptez-vous établir la parité parmi ces invités au sein de vos antennes, parmi lesquelles France Culture demeure la plus en pointe ? Enfin, que pensez-vous de la proposition du collectif des auditeurs de FIP qui nous a saisis ?
Mme Céline Brulin. - Je vous rejoins totalement sur votre analyse de la défiance très forte vis-à-vis des institutions et des médias, qui implique une responsabilité particulière. Si le service public ne garantit pas, à lui seul, l'indépendance et le pluralisme, il peut y contribuer significativement. Une telle réalité plaide davantage pour des moyens supplémentaires que pour des réductions budgétaires. Vous nous avez expliqué que tous vos programmes étaient produits en interne dans votre entreprise et que vous souhaitiez que vos standards se rapprochent de ceux en vigueur chez les autres acteurs qui sont dans leur quasi-totalité privés. Comment une telle approche se traduit-elle pour les personnels ? Ce qui est produit en interne représente également un gage d'indépendance. L'existence d'une plateforme propre à Radio France permet également de garantir le lien avec vos auditeurs. Comment éviter de privatiser une part de cette production interne ? En outre, le montant du plan d'économies représente 10 % du budget de l'entreprise, avec des risques de déstabilisation, alors que vous enregistrez de très bons résultats. Dans ce contexte, je m'interroge sur votre excès de zèle - votre objectif de 60 millions d'euros va bien au-delà des 20 millions d'euros d'économies demandés par le Gouvernement - auquel consent manifestement, par son silence assourdissant, le ministre de la culture. Est-il pertinent de conduire aujourd'hui de telles réductions, alors que la prochaine réforme de l'audiovisuel, dont le contenu nous échappe pour le moment, pourrait en disposer ?
Mme Mireille Jouve. - Comme tous mes collègues, je me félicite du niveau actuel des audiences du groupe Radio France. La qualité de sa programmation n'y est pas étrangère. Ce qui séduit également une grande partie de vos auditeurs, c'est la faiblesse du contenu publicitaire qui rend indiscutablement l'écoute plus attractive que chez beaucoup de vos concurrents privés. Parmi l'augmentation des ressources propres envisagée d'ici 2022, il est évoqué une croissance des recettes publicitaires de l'ordre de 8 millions d'euros. Ma question rejoindra ainsi celle de mes collègues André Gattolin et Michel Laugier : pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la nature de ces recettes supplémentaires.
Mme Colette Mélot. - Je voudrai saluer, dans le cadre du renforcement des missions de service public de Radio France, vos nouvelles priorités, à savoir l'accessibilité de l'ensemble des émissions culturelles, vos projets concernant les orchestres, ainsi que la diversification des publics que vous visez, à travers la dynamique de rajeunissement et de diffusion à l'ensemble des milieux socio-culturels. Cependant, diversifier l'offre culturelle en supprimant 10 % du budget de Radio France est une équation difficile à résoudre. Aussi, quelles répercussions concrètent aura la mise en oeuvre du plan de restructuration sur les contenus ? Sur la base de quels critères pourront s'effectuer des suppressions de programmes, comme ceux portant sur la création musicale ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous laisse la parole, madame la présidente, pour répondre à ces questions.
Mme Sibyle Veil. - Chaque année d'ici 2022, le montant de la redevance versé à Radio France va baisser de 5 millions d'euros quand nos charges vont augmenter de 5 millions d'euros par an. Pour pouvoir faire face à la baisse structurelle de la redevance, des économies ont été engagées afin que Radio France fonctionne structurellement avec un budget amputé de 20 millions d'euros. Nos ressources doivent être dynamiques, comme celles de toute entreprise. Afin d'éviter l'enchaînement de plans d'économies dans la durée, j'ai mis l'accent, dans notre projet, sur le développement de ressources propres au même niveau que celui des charges, sans amputer l'offre éditoriale proposée aux Français. 60 millions d'euros d'efforts impliquent des redéploiements, en tirant les conséquences de la mutation technologique particulièrement rapide, comme le font de nombreuses entreprises en automatisant certaines fonctions ou en investissant dans des outils. Notre plan d'investissement de 25 millions d'euros devrait ainsi permettre à la radio d'intégrer l'ensemble des nouveaux usages. Alors que durant ces dernières années, certains de nos personnels ont dû, entre leurs heures de travail dédiées à la production de la radio, consacrer du temps pour produire du texte ou des images pour assurer la diffusion numérique de nos contenus, la mise en oeuvre d'instruments dédiés permettra d'intégrer ces activités dans leur temps de travail.
Ces dernières années, notre gestion financière nous a permis de réaliser les économies prévues par le précédent contrat d'objectifs et de moyens en réorganisant notre politique d'achat et en conduisant des économies sur l'ensemble des fonctions support. Nous sommes ainsi parvenus au bout de ces efforts en ce domaine. De nombreux départs à la retraite ont, quant à eux, conduit au rajeunissement de notre pyramide des âges. C'est la raison pour laquelle les estimations des départs volontaires - qui devraient concerner a minima 270 personnes - s'avèrent équivalentes aux chiffres mentionnés dans le COM 2015-2019. La réduction nette d'effectifs ne concerne en fait que 99 départs qui n'ont pas été remplacés ; les autres étant remplacés par de nouveaux profils qui ont permis d'engager une dynamique d'offre numérique performante. Si de nombreux collaborateurs ont été remplacés, les directions dans lesquelles les départs n'ont pas donné lieu à de nouvelles embauches sont aujourd'hui désorganisées. De ce fait, il nous faut réorganiser l'ensemble des directions de Radio France pour que les conditions soient plus soutenables dans la durée et que l'entreprise soit suffisamment forte pour relever les grands défis stratégiques, au premier rang desquels la confrontation avec des acteurs numériques extrêmement puissants qui disposent d'une part d'audience grandissante, en termes de consommation média. En effet, la part prise par les réseaux sociaux dans l'information est de plus en plus importante. Comment allons-nous nous organiser pour proposer des offres alternatives, conformément à nos principes de déontologie journalistique, qui puissent efficacement contrecarrer notamment les théories complotistes ? L'offre proposée par Radio France doit ainsi être diverse : les artistes et les labels indépendants que nous promouvons permettent de faire vivre la création française. Tel est l'objectif ultime du projet que je vous présente aujourd'hui. Toutes les fonctions qui assurent et accompagnent la production radiophonique doivent être modernisées.
Les départs volontaires estimés pour les trois années à venir ne peuvent être imputés à une restructuration, mais à une réallocation des effectifs, direction par direction, en fonction des besoins de l'entreprise.
Sur les ressources propres, la dynamique doit être positive et couvrir l'ensemble de nos charges. Nous visons un objectif de 20 millions d'euros d'augmentation. Ainsi, sur les 60 millions d'euros d'efforts, 25 millions d'euros porteront sur la masse salariale et 20 millions d'euros représentent nos prévisions de recettes supplémentaires. S'agissant de la publicité, les antennes de Radio France ne doivent pas accorder aux annonceurs des volumes de temps trop importants. Or, la double limitation, qu'évoquait M. André Gattolin, ne nous permet pas de répercuter les niveaux d'audiences sur les tarifs publicitaires, comme le font les autres médias, autant publics que privés. La publicité sur nos antennes est aujourd'hui au rabais et ne reflète pas les niveaux d'audience atteints par nos antennes, grâce à nos équipes qui demeurent globalement stables dans la durée.
Si notre ambition de développement sur le numérique devrait induire de nouvelles recettes publicitaires, la diversification de nos activités sur l'ensemble de nos chaînes - comme les « papiers de France culture » qui concourent à sa visibilité ou l'enregistrement, par France inter, de conférences en vue de leur diffusion dans plus d'une centaine de salles de cinéma - fournissent à la fois des recettes et accroissent la visibilité des programmes. L'enregistrement de musiques de films y contribuent également : en 2017, à l'occasion de l'enregistrement de la musique du film Valérian, plus grosse production de ces dernières années, les formations et les conditions d'enregistrement de Radio France ont démontré un niveau d'exigence et de qualité comparable à ceux des structures londoniennes, où l'ensemble de l'industrie cinématographique de Hollywood enregistre, d'ordinaire, ses musiques de films. Il n'y a aucune raison pour que nos compositeurs de films à la renommée internationale, comme Alexandre Desplat, enregistrent ailleurs qu'en France leurs musiques ! La France, forte de ses formations musicales de renommée internationale, dispose d'une carte à jouer en la matière. De telles réalisations démontrent que nos investissements vont nous permettre, dans la durée, de développer des activités, de valoriser nos savoir-faire, de rapporter des ressources et, éventuellement, de contribuer à l'ensemble de l'industrie culturelle. En effet, tout enregistrement d'une musique de cinéma bénéficie, en retour, à l'ensemble de l'industrie du cinéma. Le développement du label « Studio Radio France » va nous permettre de valoriser notre savoir-faire.
FIP, qui diffuse, à l'inverse des autres plateformes de streaming musical, quelque 22 000 titres distincts chaque année et n'a pas d'équivalent dans le monde, va devenir une chaîne nationale. 80 % des titres qu'elle diffuse sont soutenus par des labels indépendants. FIP est ainsi un acteur de la diversité musicale. Cette chaîne, diffusée pour le moment en modulation de fréquences dans dix villes, le sera partout en France. La création d'une seule antenne permettra d'éviter le chevauchement du flux national avec les autres flux locaux, et de valoriser la diversité de la création musicale française. Telle est notre ambition pour FIP.
Sur la place des femmes, une antenne comme France inter, avec ses 6,5 millions d'auditeurs, a su conquérir l'intérêt des Français en accordant une place aux jeunes femmes : Léa Salamé, Florence Paracuellos, qui présente le journal de huit heures, Mathilde Munoz et Sonia Devillers. Autant de voix féminines jeunes qui contribuent à l'extension de l'audience à de nouveaux publics. Nous travaillons ainsi au renouvellement des voix afin d'être beaucoup plus proches de la société française et de mieux la refléter.
Mon ambition est également de maintenir la production en interne à Radio France. Nous investissons donc sur la formation, les outils et la production, pour accompagner ces personnes qui produisent en interne nos programmes dans l'avenir et valoriser ceux et celles qui font le succès de nos chaînes. Nos succès sont le fruit de plusieurs dizaines d'années d'expérience du métier de la radio, des goûts des auditeurs et de l'ensemble des acteurs culturels. Ces personnes doivent s'inscrire pleinement dans les évolutions que nous sommes en train de vivre, en comprenant l'évolution du contexte de Radio France, marquée par l'émergence de nouveaux acteurs. Aujourd'hui, les plateformes de streaming musical qui concurrençaient auparavant le média radio sur la musique le concurrence sur les contenus audios. Ainsi, Spotify a investi près de 100 millions de dollars pour racheter des producteurs de podcasts et mettre sur sa plateforme des contenus parlés et musicaux. C'est là une opportunité considérable pour que le son garde de la valeur et puisse être valorisé de la même manière que l'a été l'image dans le développement du numérique. C'est également une invitation à nous interroger sur le format et le contenu audio, et surtout à demeurer innovants comme on a su l'être dans l'histoire de Radio France. Même premiers, on ne saurait rester immobile, sous peine d'être très rapidement déclassés ! Il faut ainsi que l'ensemble des collaborateurs de Radio France partagent cette dynamique. L'ampleur des réductions d'effectifs prévues sont sans commune mesure avec ce qui se passe dans d'autres médias ; regardons ce qui se passe dans la presse écrite dans notre pays !
Enfin, s'agissant de la création musicale, comme beaucoup de médias et par respect pour nos auditeurs, nos grilles évoluent chaque année. Ce qui disparaît est annoncé plus rapidement que les nouvelles émissions ; nous attendons d'ordinaire la présentation des grilles de rentrée pour détailler nos prochaines émissions. Mais pour rassurer ceux qui assurent la création musicale en France, notre ambition est de continuer à exposer les émissions qui la retrace sur une tranche horaire beaucoup plus valorisante, afin de reconquérir une audience qu'elles ont perdue durant ces dernières années.
M. Claude Kern. - Je salue votre volonté de garder les différentes chaînes régionales, notamment de France Bleu, et de réaliser des économies tout en maintenant l'offre de programmes proposée par Radio France. Vous n'avez répondu que partiellement sur la situation de FIP. Pourquoi faire de FIP, radio la plus originale du paysage radiophonique national, une seule chaîne nationale depuis Paris et supprimer les spécificités de ses antennes locales, en resserrant son champs de compétence sur un seul champ, à savoir la musique, et omettre son remarquable travail de prescription sur la vie culturelle en général ? Pourquoi ce choix à contre-courant des attentes publiques et des déclarations du Gouvernement assurant de toute son attention portée sur la politique culturelle dans les territoires? En outre, que prévoyez-vous très concrètement pour l'avenir des FIP Bordeaux, Strasbourg et Nantes ?
Mme Sylvie Robert. - Je félicite toutes les équipes de Radio France pour la qualité de leur travail. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la maîtrise de la distribution des contenus. Quel est votre avis sur l'application Majelan, qui s'avère un agrégateur de contenus ? Disposez-vous des outils juridiques pour la contrer ou souhaitez-vous plutôt conclure une convention avec elle ? Par ailleurs, participez-vous, avec vos formations musicales, au Pass-culture sur la plateforme et dans quelles conditions ?
M. Laurent Lafon. - Votre équation financière n'est pas simple et je souhaiterais revenir sur la question de l'évolution du temps de travail au sein de l'entreprise. La Cour des comptes est revenue, dans l'un de ses rapports, sur l'accord de 2000 qui plafonne le nombre de jours de travail à 192 pour les journalistes et à 194 pour les personnels administratifs et techniques. Avez-vous abordé ce sujet, notamment avec les organisations syndicales ?
Mme Maryvonne Blondin. - Sur quelle base allez-vous réorganiser le temps de travail annuel ? Recrutez-vous des personnels avec des contrats à durée déterminée (CDD) ; longtemps, Radio France a été l'employeur de très nombreux intermittents. Par ailleurs, sur les ressources propres, faites-vous appel au mécénat ? Dans les 44 stations de France Bleu, combien d'heures de programmation sont-elles consacrées aux langues et cultures régionales ?
Mme Dominique Vérien. - Disposez-vous d'études sur les glissements d'audience de certaines de vos stations, comme France inter et France culture, ou encore Mouv et FIP ? Les 44 diffusions de France Bleu sont-elles vouées à n'être que numériques ? Sachant que France Bleu se trouve dans des endroits qui ne bénéficient pas nécessairement d'un débit numérique suffisant, le recours à la RNT est-il envisagé ?
M. Jacques Grosperrin. - Je suis inquiet des redéploiements de personnels et des efforts que vous avez évoqués. Ainsi, France Bleu, première radio de Franche-Comté, dispose de six journalistes au siège régional de Besançon et d'un journaliste en Haute-Saône. Que deviendront ces postes ? Enfin, avez-vous le projet de mutualiser le site internet avec France Télévisions, afin d'augmenter encore votre audience ?
Mme Françoise Laborde. - Le mécénat est-il voué à soutenir davantage les orchestres de Radio France ?
Mme Sonia de la Provôté. - Le réseau France Bleu, fort de sa connaissance territoriale, joue un rôle important pour l'information locale et s'avère l'équivalent de la presse régionale dans tous nos territoires. Ce réseau a un rôle également essentiel dans le mécénat de l'événementiel local ; il nous permet de défendre de nombreux événements qui participent de la diversité culturelle dans le territoire. Cette présence territoriale est d'ailleurs identifiée par tous les interlocuteurs, tant des élus, de la société civile ou des responsables de l'Etat. Vu de la province, ce réseau est essentiel à la démocratie et au partage d'une information de qualité. Aussi, les plans de restructuration vont-ils avoir un impact sur le réseau de France Bleu, dont le rôle des collaborateurs sur le terrain est beaucoup plus important que la dimension numérique.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je m'associe aux compliments de mes collègues sur le réseau France Bleu, dont l'ancrage territorial est remarquable. Nous sommes des élus des territoires et nous continuons à vivre de grands événéments sur nos territoires. Ce réseau est à l'origine de partenariats intelligents et les événéments qu'il retransmet sont autant d'opportunités de conquête de nouveaux publics. Cependant, quels sont les partenariats renforcés avec France Télévisions où l'on ne voit pas si souvent que cela vos orchestres ? Ma question suivante concernera la désintermédiation de l'écoute de la radio. Dans le cadre de la préparation du colloque sur l'audiovisuel public que nous avons organisé en juillet 2018, une enquête d'opinion a indiqué que 70 % des personnes sondées éprouvaient le besoin d'une plateforme regroupant toute l'offre audiovisuelle publique, radios et télévisions confondues. Cette offre aurait ainsi le mérite de renforcer la visibilité de Radio France. Qu'en pensez-vous ? Enfin, au niveau international, quelles sont vos relations avec France Médias Monde et RFI ? Comment s'articulent-elles avec vos contrats respectifs d'objectifs et de moyens ?
Mme Sibyle Veil. - Le projet de faire de FIP une chaîne nationale répond à l'exigence d'égalité territoriale. Aujourd'hui, FIP ne dispose que de trois décrochages locaux en France : Bordeaux, Toulouse et Strasbourg. Il n'y a pas de raison pour que les habitants des autres villes françaises ne puissent pas bénéficier de cette chaîne qui met à l'honneur sur son antenne des artistes français. FIP possède d'ailleurs une résonance internationale ; pour preuve, le fondateur de Twitter l'écoute depuis la Californie ! Nous avons de l'ambition pour cette chaîne qui met en valeur la diversité musicale ; celle-ci ne pouvant être restreinte à trois territoires ! Alors que le réseau France Bleu est un réseau local disposant de 44 stations, nous n'aurions pas les moyens aujourd'hui de déployer un réseau analogue pour FIP.
M. Claude Kern. - Supprimez-vous les antennes existantes ?
Mme Sibyle Veil. - Nous allons nous appuyer sur les équipes de FIP qui assurent actuellement les décrochages locaux pour créer des délégués musicaux qui bénéficieront à l'ensemble des antennes de Radio France aux programmations diverses. Cette démarche nous permettra de continuer à détecter les talents locaux et à mettre en valeur les festivals, dans une logique qui bénéficiera désormais à l'ensemble du groupe.
La plateforme Majelan, lancée la semaine dernière, met en visibilité l'évolution du secteur, marquée par l'émergence de nouveaux acteurs. Certains sont concurrents et se positionnent en production et en distribution de contenus, - à l'instar de Majelan -, tandis que d'autres sont complémentaires et nous permettent de présenter nos programmes à de nouveaux publics. Les produits de service public n'ont pas vocation à servir de produits d'appel pour des plateformes développées dans un intérêt économique. Nous sommes là pour servir le grand public et non des intérêts économiques et ce, alors que le droit d'auteur est aujourd'hui reconnu et que de nombreux producteurs indépendants, et de médias francophones dans une plus large mesure, se sont émus de retrouver leurs contenus diffusés sur d'autres plateformes, sans en avoir été informés au préalable. Ce travers concerne d'autres plateformes que Majelan. Le marché de l'audio est en cours d'organisation. Encore faut-il que celle-ci respecte certaines règles ; personne ne comprendrait que les contenus de France Télévisions se retrouvent sur des plateformes de distribution de contenus vidéos, sans que ce groupe n'en ait été au préalable informé. La contractualisation avec les plateformes de diffusion vidéo est une exigence légitime, afin d'assurer le respect de notre droit d'auteur et de la démarche éditoriale qui est celle des contenus des programmes de service public.
Sur le Pass culture, nous avons fait des propositions pour que certaines de nos offres, correspondant à sa démarche, puissent y figurer, comme des offres de contenu d'émissions ou de retransmission d'événements - à l'instar de concerts auxquels le Pass culture garantirait un accès privilégié - que nous produisons à Radio France.
Le nombre de jours travaillés à Radio France, qu'évoque régulièrement la Cour des comptes dans ses rapports, est l'une des questions abordées avec les partenaires sociaux. Comme la presse s'en est faite l'écho la semaine dernière, nous discutons avec ceux-ci de la planification des rythmes de travail et du nombre de jours travaillés et de congés. Nous avons proposé que la réduction du nombre des jours de congés soit différenciée en fonction des métiers et de leurs contraintes particulières, tout en veillant à rejoindre les règles du secteur radiophonique, y compris France Medias Monde.
D'ailleurs, la rigidité de la planification de notre temps de travail est telle que le recours aux CDD s'impose à certaines périodes, comme lors de la préparation des nouvelles grilles d'été ou de la production d'événements spécifiques. L'organisation différente du temps de travail à Radio France devrait nous permettre d'avoir moins recours à ces emplois précaires.
S'agissant de ressources propres, l'activité culturelle importante - avec un projet artistique fort pour les deux formations musicales - doit nous permettre, comme de nombreuses institutions culturelles, de susciter le soutien de mécènes. Notre objectif est de recueillir 6 millions d'euros par an en ce domaine.
La place des langues et cultures régionales dans notre programmation est très importante, que ce soit sur France Bleu, Breizh izel ou Alsace. Nous veillons à ce que ces programmes soient diffusés à des heures de grande écoute. Ainsi, trois heures de programme en langue bretonne sont diffusés quotidiennement sur France Bleu Brezhizel, tandis que les programmes de France Bleu Alsace le sont intégralement en alsacien.
Sur les éventuels glissements d'audience, les succès d'audience s'expliquent par la diversité des lignes éditoriales qui ne se concurrencent pas les unes les autres. Il n'y a donc pas de cannibalisation entre les différentes chaînes.
Je vous remercie d'avoir souligné la place du réseau France Bleu comme interlocuteur des collectivités locales et des différents acteurs culturels et économiques sur vos territoires respectifs. Lors de la présentation de ma candidature à la présidence de Radio France devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, j'avais souligné l'importance d'une information de proximité au coeur du quotidien de nos concitoyens. Telle est ma conviction bien antérieure à la crise des gilets jaunes. Avec 500 heures de programmes locaux offerts par ses 44 stations, France Bleu nourrit également l'offre d'information de nos différentes chaînes nationales. Cependant, je suis particulièrement attachée à ce que nous concentrions nos moyens financiers sur l'offre de programmes de proximité de France Bleu. Cette démarche s'inscrit ainsi dans nos priorités de service public pour les années à venir.
Je souhaite que les orchestres aient l'audience la plus large possible. L'intimité avec la musique interprétée et jouée est une expérience irremplaçable. Hier soir, nous avons organisé le festival « l'Ecole en choeur » qui rassemblait 850 élèves, de 7 à 18 ans. De tels événements s'inscrivent dans nos missions de service public et il incombe à Radio France d'en assurer le rayonnement le plus large possible. Nous espérons que les années à venir vont nous permettre de diffuser, avec France Télévisions, ce que font nos deux orchestres, qui représentent un atout pour notre service public et qu'il conviendra de mettre à l'honneur dans les programmes de l'audiovisuel public. Nous avons, à cet égard, évoqué un éventuel projet dans le cadre de l'émission « Le grand échiquier ».
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'insiste sur le déficit de visibilité de nos orchestres nationaux sur France Télévisions depuis au moins une décennie ! Aucun progrès n'a été accompli, en dépit de nos demandes réitérées !
Mme Sibyle Veil. - Alors que France inter est devenue la première radio de France, il faut veiller à doter nos chaînes des moyens nécessaires à la réalisation de leurs ambitions éditoriales. France Bleu est parmi celles-ci. Je ne peux naturellement hiérarchiser nos différentes chaînes, puisque chacune d'elle assume une mission de service public bien particulière. Nous serons extrêmement vigilants à ce que France Bleu ait les moyens de continuer à remplir son rôle. C'est l'une des raisons pour lesquelles le partenariat éditorial avec France Télévisions, qui nous permet de doter l'ensemble de ces antennes avec des moyens de captation que Radio France n'était pas en mesure d'acquérir seule, a été constitué. France culture et France inter, ainsi que toutes nos chaînes musicales, ont chacune une ambition légitime.
Le projet d'une plateforme regroupant l'ensemble de l'offre audiovisuelle du service public est important. Vos questions sur ce point illustrent votre compréhension de l'écosystème numérique dont la puissance et la diversité des contenus impliquent de proposer une offre très large afin de toucher le plus grand nombre de nos compatriotes. Il faut être parmi les toutes premières applications téléchargées, sous peine de perdre en visibilité. La dimension est ainsi un élément essentiel pour demeurer attractif. Néanmoins, je constate une plus grande maturité dans la compréhension de ce qui se passe sur le numérique. En effet, la convergence numérique ne signifie pas la déclinaison d'un même contenu en son, image ou texte, de manière indifférenciée. Chaque média a ainsi sa spécificité. Pour preuve, la BBC a développé une offre « BBC Sounds » et a dissocié son player auparavant unique en deux players - respectivement consacrés au son et à la vidéo - pour correspondre aux différents usages. En effet, un player vidéo unique a tendance à écraser le son. Les usages sont également distincts : si la vidéo implique le temps de la regarder et de choisir parmi une diversité d'offres, le son accompagne et s'écoute en direct. Soyons ainsi vigilants quant à la différence de chaque média ; le son étant fortement distinct de la vidéo. Cependant, avec Culture Prime, qui associe les autres acteurs du service public audiovisuel, nous avons démontré notre capacité de produire des vidéos grâce auxquelles nous pouvons atteindre une taille critique, gage de notre visibilité sur le numérique. C'est la raison pour laquelle, si, à l'échelle de notre groupe, nous disposons d'une application et d'un site par antenne, notre ambition est de regrouper l'ensemble des offres sur l'application Radio France, de manière à atteindre la taille critique nécessaire à nos ambitions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, madame la présidente, pour vos réponses. Vous constaterez notre grand intérêt pour l'audiovisuel public en général, et pour la radio en particulier. Nous allons suivre ce dossier de manière très approfondie, dans un contexte marqué par la prochaine loi de finances pour 2020 et la prochaine réforme de l'audiovisuel, dont le contenu ne nous a pas été encore précisé. Nous demeurons ainsi mobilisés.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne M. Jean-Raymond Hugonet rapporteur de la proposition de loi n° 482 (2018-2019), adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative à la création du Centre national de la musique.
Avenir des conseillers techniques sportifs - Communication
M. Michel Savin, rapporteur. - Notre commission m'a missionné la semaine dernière afin d'examiner la situation des conseillers techniques sportifs - communément appelés les CTS - avant que notre assemblée n'examine dès la semaine prochaine le projet de loi pour la transformation de la fonction publique dont une disposition est susceptible de les impacter gravement.
Depuis mercredi dernier nous avons avec Jean-Jacques Lozach, Claude Kern, Mireille Jouve, Antoine Karam, Céline Brulin, Stéphane Piednoir procédé à l'audition des fédérations sportives et des représentants des CTS. Le résultat de ces échanges nous a confortés dans nos craintes les plus vives concernant l'avenir du sport français. Nous pouvons dire aujourd'hui que les menaces qui pèsent sur les CTS font partie d'un ensemble qui en réalité déstabilise tout notre modèle sportif, sans que l'on comprenne bien l'alternative qui nous serait proposée.
Permettez-moi tout d'abord de remettre en perspective la situation. Il existe différents modèles d'organisation du sport de haut niveau.
Aux États-Unis ce sont les universités qui jouent un rôle déterminant pour structurer les filières sportives tandis qu'en Grande-Bretagne c'est le système éducatif tout entier qui permet d'organiser la détection des futurs athlètes de haut niveau. En Allemagne, les Lander jouent un rôle déterminant. En France, depuis la réforme mise en oeuvre par l'État dans les années 1960, un système original a été initié qui s'appuie d'une part sur des structures associatives - les fédérations sportives agréées - animées le plus souvent par des bénévoles et d'autre part sur le ministère chargé du sport qui apporte une expertise sous la forme de mise à disposition de personnels qualifiés.
Ces conseillers techniques sportifs qui, selon l'article L 131-12 du code du sport, ont soit le statut de fonctionnaire, soit celui d'agent public, sont rémunérés par l'État pour exercer les fonctions de directeur technique national, entraineur national, conseiller technique national ou conseiller technique régional.
Selon l'article R 131-16 du code du sport, ces missions portent en priorité sur le développement des activités physiques et sportives (notamment la pratique sportive au sein des associations sportives), la détection des jeunes talents, le perfectionnement de l'élite et la formation des cadres, bénévoles et professionnels.
Comme vous pouvez le constater, les CTS jouent un rôle de pivot dans l'organisation du sport. Ils sont à la fois des experts indispensables pour le haut niveau mais aussi les acteurs du service public du sport pour tous.
Alors que les CTS devraient être mobilisés pour préparer les prochaines échéances olympiques et paralympiques de Tokyo 2020, Pékin 2022 et Paris 2024, ils sont aujourd'hui menacés par la volonté du Gouvernement de les transférer coûte que coûte aux fédérations sportives déléguées.
Lors du débat budgétaire, notre collègue Jean-Jacques Lozach avait déjà eu l'occasion de faire part de notre inquiétude suite aux déclarations gouvernementales évoquant la suppression puis le transfert aux fédérations et aux collectivités locales des 1 600 CTS. Face à la levée de bouclier, le Gouvernement avait temporisé mais la révélation, il y a quelques semaines, par les médias d'un document de travail du ministère des sports évoquant un transfert progressif vers les fédérations sur la base du volontariat d'ici 2025, et un détachement obligatoire après cette date a ranimé les plus vives inquiétudes.
La ministre des sports, a eu beau indiquer que ces cadres conserveraient leur statut de fonctionnaire, les craintes ont été confirmées par l'ajout par l'Assemblée nationale - sur proposition du Gouvernement - à l'article 28 du projet de loi pour la transformation de la fonction publique d'une disposition permettant un détachement d'office des fonctionnaires « lorsqu'ils exercent leurs missions auprès d'une personne morale de droit privé », ce qui est précisément le cas des CTS.
Cette disposition concernerait également, selon la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction Publique, les « nombreuses structures constituées sous forme d'associations ou de fondations qui sont des personnes morales de droit privé qui peuvent avoir recours à des agents publics, par exemple les associations qui gèrent des dispositifs d'action sociale pour des collectivités territoriales ou des actions de secourisme, d'aide humanitaire ou de santé pour les établissement de santé ».
La question qui se pose à nous, à quelques jours de l'examen de ce texte, est de bien comprendre les conséquences qu'aurait le transfert des CTS aux fédérations sportives tel qu'il se dessine aujourd'hui. Pour cela nous avons rencontré la semaine dernière les représentants des fédérations de handisport, du judo, de l'aviron, de la lutte et du basket-ball. Ils nous ont rappelé que l'extinction du cadre était déjà engagée puisque le concours de recrutement de professeurs de sport et les mobilités ont été suspendus.
Ils nous ont ensuite alertés sur le fait que le transfert aux fédérations serait pour l'État une source de surcoût puisque celui-ci, dans un premier temps, devrait prendre à sa charge la rémunération de personnels sous statut privé ce qui lui occasionnerait un surcoût qu'ils estiment à 25 %. Le coût de la prise en charge des 1 600 CTS passerait ainsi de 120 M€ à 152 M€.
Ce simple calcul a suffi pour convaincre les fédérations auditionnées que la promesse de compensation ne serait que provisoire à l'image de la précédente tentative initiée dans les années 1992-1994. À cette époque des fédérations avaient été invitées à prendre à leur charge la rémunération de certains CTS mais la compensation avait été supprimée au bout de 3 ans.
Or aujourd'hui le Gouvernement ne donne aucune garantie sur le maintien de la compensation financière intégrale dans le temps. Comme l'a indiqué un auditionné, il aurait été possible de faire autrement en prenant le temps de concevoir un transfert de mission et de moyens - comme ce fut le cas pour les CREPS - mais il n'en a rien été. L'idée même d'un transfert vers les collectivités locales ne semble plus d'actualité.
Les représentants des fédérations estiment aujourd'hui que l'empressement de l'État à se séparer des CTS relève davantage d'un choix politique que d'une décision rationnelle et ils s'inquiètent d'une baisse des effectifs suite aux départs à la retraite non remplacés qu'ils évaluent à 30 % d'ici 2025. Les dégâts seraient particulièrement importants dans les petites fédérations qui ont des moyens limitées en dépit de leur contribution importante en termes de médailles olympiques ; ces fédérations auront beaucoup de difficultés pour recruter de nouveaux cadres techniques faute de moyens financiers.
Mais même les grandes fédérations devraient subir les conséquences de l'extinction programmée du cadre des CTS au moins à plusieurs niveaux :
- les CTS les plus « côtés » pourraient être recrutés par des équipes étrangères. Le phénomène n'est pas nouveau mais certaines ont clairement fait savoir qu'elles étaient désireuses d'accueillir certains cadres français dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 !
- les CTS qui seront transférés ne bénéficieront plus de la formation qui leur était dispensée par l'État. On peut donc craindre une baisse de leur expertise ;
- l'existence d'un cadre d'État offrait une possibilité de reconversion pour les sportifs de haut niveau en fin de carrière sportive ;
- le détachement des CTS occasionnera pour les fédérations des coûts supplémentaires en termes de gestion des ressources humaines ;
- l'ensemble de ces répercussions financières à la charge des fédérations peuvent déboucher sur une augmentation du prix de la licence.
Est-ce que le ministère des sports a bien pris conscience des enjeux ? On peut réellement s'interroger à l'issue de nos auditions. Ceci d'autant plus que la nouvelle Agence nationale du sport n'a pas encore fait l'objet d'une déclinaison régionale ce qui constitue un autre sujet de préoccupation et que des doutes émergent quant au niveau exacte de son budget, le montant annoncé de 350 M€ ne semblant pas correspondre à la réalité.
Pour Philippe Bana, le président de l'association des DTN, ce qui est en cause n'est rien de moins que le maintien d'un service public du sport en charge de l'éthique, de la santé, de la lutte contre le dopage et de la performance. Derrière la disparition des CTS certains, comme Tony Martin, le délégué général du Syndicat national des activités physiques et sportives, discernent un processus inéluctable qui pourrait menacer la dimension éducative du sport et la diversité des disciplines.
En fait, les questions qui se posent aujourd'hui sont bien de savoir quelle est la place du sport dans les politiques publiques et quel avenir on souhaite pour les disciplines qui ne relèvent pas du « sport business ».
Alors que le Sénat doit examiner en séance publique la semaine prochaine le projet de loi de transformation de la fonction publique, il nous semble urgent de surseoir à la possibilité de transférer les CTS de manière obligatoire. Plutôt que de condamner un modèle qui n'a pas démérité, nous proposons à la ministre des sports de rouvrir le débat sur l'avenir des CTS, les fédérations comme les personnels concernés y sont prêts. Les collectivités territoriales doivent être associées à cette réflexion.
Je propose donc aux collègues qui le souhaiteraient de cosigner l'amendement que nous avons préparé au-delà des appartenances politiques avec Céline Brulin, Mireille Jouve, Antoine Karam, Claude Kern, Jean-Jacques Lozach, et Claude Malhuret, et vous-même Madame la Présidente, amendement qui propose d'exclure les CTS du transfert obligatoire prévu à l'article 28.
M. Jean-Jacques Lozach. - Je souhaite insister sur l'importance et la gravité du sujet. L'ensemble des collègues ont été interpellés par les représentants des CTS. Ces cadres constituent depuis les années 1960 l'architecture du modèle sportif. Ils ne concernent pas seulement le haut niveau mais également le sport pour tous à travers l'action des conseillers techniques départementaux et des conseillers d'animation sportive. Le système a donné satisfaction même s'il doit être amélioré concernant la gestion, la formation et la répartition de ces cadres. J'observe que 1 400 CTS ont signé la pétition et que l'ensemble des 1 600 membres du cadre représentent près de 50 % du personnel du ministère des sports. On peut s'interroger sur la méthode et l'absence de concertation, tout comme sur le moment choisi à un an des Jeux olympiques de Tokyo. Il faut que le Gouvernement sorte de la contradiction consistant d'une part à annoncer une pause sur le transfert jusqu'à la remise d'un rapport avant la fin de l'année et d'autre part à tarir la source du cadre en supprimant le concours de recrutement. J'observe par ailleurs que la disparition des CTS contredirait l'objectif de reconversion des sportifs poursuivis par la loi Braillard. Il faut donc exclure les CTS de l'application de l'article 28.
M. Claude Kern. - Beaucoup d'entre nous ont été sollicités pour supprimer l'alinéa 11 de l'article 28 mais il est plus pertinent d'en exclure les CTS. Ces derniers demeurent indispensables pour atteindre l'excellence et permettre la détection des talents dans les clubs.
M. Antoine Karam. - J'ai eu l'occasion dans de précédentes fonctions dans le domaine sportif en Guyane de mesurer l'importance des CTS pour sociabiliser les sportifs. Je signerai l'amendement et je souhaite que le Gouvernement soit à l'écoute de cette initiative.
M. Jacques Grosperrin. - C'est un démantèlement du service public du sport qui aura un impact très important. Les CTS permettaient de corriger les inégalités territoriales. Le risque de départ pour l'étranger est réel, un des meilleurs entraîneurs de judo est déjà parti pour la Russie. On doit être solidaire de la proposition d'amendement. La ministre ne se rend pas compte de la situation.
Mme Céline Brulin. - Je partage en totalité ce qu'ont dit mes collègues. C'est l'avenir du ministère qui se joue et celui de la politique sportive. L'extinction du cadre des CTS rendra impossible un retour, ce qui est contradictoire avec l'idée de détachement. Par ailleurs, il y a un problème de crédibilité à nous dire qu'il faut voter une disposition que la ministre déclare ne pas vouloir mettre en oeuvre. La mobilisation du mouvement sportif est exceptionnelle. Il ne faudrait pas que l'objectif des 80 médailles fixé pour les Jeux de Paris 2024 aboutisse, du fait du départ des CTS à l'étranger, à ce que ces médailles profitent à d'autres pays.
Mme Françoise Laborde. - Nous avions réalisé un travail important sur ce sujet au moment de l'adoption de la loi Braillard. Je constate qu'il y a un écart considérable entre ce qui est proposé et ce que nous avions unanimement voté à l'époque. Les membres du groupe RDSE soutiennent pleinement l'amendement présenté par notre rapporteur.
Mme Colette Mélot. - Je fais confiance à notre rapporteur et je co-signerai également cet amendement.
M. Christian Manable. - Face à l'absurdité de cette réforme dont on comprend mal les raisons, si ce n'est une vision ultra-libérale du sport, je co-signerai évidemment l'amendement présenté par notre rapporteur.
M. Michel Savin. - En dehors de considérations budgétaires qui peuvent être à l'origine de cette proposition relative aux CTS, je peine moi aussi à comprendre les motivations de la ministre. Il est clair que Bercy demande une réduction des crédits et des postes au sein du ministère des sports.
J'estime que cette réforme gouvernementale, conduite dans la précipitation et sans aucune réflexion préalable sur la base d'un amendement déposé à l'Assemblée nationale n'est pas acceptable. En revanche, je ne suis pas hostile, par principe, à faire évoluer le rôle des CTS, à revoir, en fonction des besoins, leur répartition dans les différentes fédérations ou même à les rattacher à une autre autorité, dès lors que ces réformes marqueraient un progrès pour le sport au niveau territorial. En l'espèce, la réforme gouvernementale est susceptible de réduire à néant tous les efforts entrepris depuis plusieurs années par ces personnels pour aboutir au niveau local sur des questions aussi importantes que le sport féminin, le sport santé ou encore la formation des bénévoles et des dirigeants. C'est pourquoi il me paraît primordial de mettre un coup d'arrêt à ce projet pour faciliter une reprise sereine des discussions. Sur la base des travaux que nous avons conduits ces dernières années, notre commission n'est pas opposée à ce que des concertations s'engagent.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'amendement que nous propose M. Savin ne peut pas être déposé au nom de notre commission car nous ne nous sommes pas saisis pour avis de ce texte. Sa présentation de ce matin est une simple communication. Pour autant, il est souhaitable que son amendement soit le plus largement possible co-signé. Je vous invite à sensibiliser vos collègues dans chacun de vos groupes.
Nous avons fait référence dans nos débats à la loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs. Il s'agit d'une loi d'origine sénatoriale, dont nos deux anciens collègues Dominique Bailly et Didier Guillaume ont été à l'origine. Je suis surprise que Didier Guillaume, désormais membre du gouvernement, ne la soutienne pas davantage. Comme avec la loi ELAN ou le projet de loi Notre-Dame qui revenaient sur des dispositions de la loi LCAP, nous sommes une nouvelle fois confrontés à une réforme qui remet en cause des dispositions législatives très récentes et dont les effets n'ont pas encore été véritablement évalués. Nous ne pouvons pas l'accepter.
La réunion est close à midi.