- Mardi 18 juin 2019
- Mercredi 19 juin 2019
- Déplacement effectué par une délégation du Bureau de la commission au Danemark, en Suède et en Estonie - Compte rendu
- Audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de M. Éric Lombard directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018 - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur l'exécution des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique »
Mardi 18 juin 2019
- Présidence de M. Jean-François Husson, vice-président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018 - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, sur l'exécution des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et du compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales »
M. Jean-François Husson, président. - Nous recevons M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, pour évoquer les résultats de l'exécution en 2018 des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et du compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales ».
Pour notre commission et, plus largement, pour le Sénat qui représente les collectivités territoriales, cette audition est importante et nécessaire. Certes, en comparaison des 107 milliards d'euros que constitue l'ensemble des transferts financiers de l'État aux collectivités, l'importance de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui retrace 3,7 milliards d'euros de crédits, ou du compte de concours financiers, peut sembler limitée, voire mineure. Ce serait toutefois omettre qu'elle finance un nombre croissant de dispositifs essentiels à la vie des territoires, notamment la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Alors que les élus locaux, comme les sénateurs, demeurent confrontés à la plus grande incertitude concernant les modalités de compensation de la suppression de la taxe d'habitation et, plus amplement, la nature de la réforme de la fiscalité locale évoquée par le Premier ministre, la présente audition sera également l'occasion d'obtenir certains éclaircissements.
M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales. - Gérald Darmanin, Jacqueline Gourault, Olivier Dussopt et moi-même recevons les associations d'élus pour réfléchir aux scénarios concernant la suppression de la taxe d'habitation.
Je vous propose une présentation assez exhaustive de l'exécution 2018 et un début d'éclairage sur ce que vous avez voté pour 2019, puisque cela s'inscrit dans une continuité de construction budgétaire. La mission « Relations avec les collectivités territoriales » semble plus consensuelle que par le passé, probablement parce que l'enveloppe globale des concours financiers de l'État, celle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) notamment, demeure stable alors qu'elle avait considérablement diminué lors du quinquennat précédent. Les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales représentent 40 milliards d'euros, dont 27 milliards d'euros consacrés à la DGF.
Une stabilisation globale n'est pas synonyme de stabilisation individuelle ; nous devons à cet égard faire preuve de pédagogie auprès des maires et des présidents d'intercommunalités. Des fluctuations persistent en fonction des critères de démographie et de richesse, qui constituent des principes de justice. Il semble normal qu'avec plus d'habitants, il faille construire davantage et mettre à disposition plus de services publics, et inversement. Les critères d'évolution de la richesse ont connu une spirale infernale liée aux modifications de la carte intercommunale dans le cadre d'une enveloppe fermée. Beaucoup d'élus municipaux et communautaires ont subi un recul inattendu de leur DGF en 2018. En 2019, le dispositif a été stabilisé : soixante-seize communes connaissent une évolution de la DGF, qui représente moins de 1 % de leurs recettes de fonctionnement.
S'agissant de la péréquation, que nous avons conjointement souhaitée, nous observons également une stabilisation. Le mécanisme bénéficie aux communes rurales les plus fragiles avec, en outre, des systèmes de garantie de sortie, et aux communes urbaines en difficulté. Ainsi, la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation de solidarité urbaine (DSU) ont chacune fait l'objet d'un effort à hauteur de 90 millions d'euros. Le Gouvernement défend à cet égard la solidarité territoriale, souvent prônée au sein des associations d'élus mais critiquée dans les territoires. De fait, certains perdent au profit des autres. La péréquation verticale représente 40 % du montant de la DGF, contre 14 % il y a douze ans.
La dotation d'intercommunalité, imaginée en 2018, a été créée en 2019 en co-construction avec le Comité des finances locales (CFL), les associations d'élus locaux et le Parlement. Précédemment, les intercommunalités bénéficiaient d'une enveloppe en fonction de leur nature : les variations de DGF étaient considérables lorsque les cartes des intercommunalités évoluaient. La loi a unifié la taille des EPCI et, partant, les enveloppes de DGF. Désormais, 85 % des EPCI sont stables : la réforme fonctionne. Toutefois, de nombreux élus peinent à comprendre le dispositif. La DGF est issue de petites taxes locales, désormais disparues, remplacées par des dotations successives, lesquelles, par sédimentation, ont formé la DGF. Ni son histoire ni son fonctionnement ne sont aisés : la communication gagnerait à être améliorée, notamment sur les questions liées à la démographie et aux critères de richesse. Déjà, les services de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et des préfectures s'y sont engagés avec la publication de la DGF en une seule fois, le développement d'une carte interactive des 27 milliards d'euros de la DGF et la communication de chaque préfet aux associations d'élus sur les principales baisses observées dans le département. Un bilan sera présenté au CFL avant l'été. Pour ce qui concerne les indicateurs de performance applicables à la DGF, les députés souhaiteraient traiter de l'efficacité de la péréquation. La question est théoriquement passionnante, mais difficile à aborder pratiquement. De fait, les charges pesant sur les collectivités ne sont pas forcément identiques. Le Gouvernement sera attentif à toute proposition que vous formulerez.
Les dotations d'investissement - DETR, DSIL, dotation politique de la ville (DPV) et dotation de soutien à l'investissement départemental (DCID) - ont, quant à elles, considérablement augmenté. La DETR a ainsi bénéficié, depuis 2014, de 400 millions d'euros supplémentaires, pour atteindre plus d'un milliard d'euros en 2019, en stabilité par rapport à 2018. Si la DSIL a été rapportée, en 2019, à 570 millions d'euros, contre 615 millions d'euros en 2018, son évolution s'explique par l'extinction progressive des contrats de ruralité et des crédits afférents. Enfin, la DPV, d'un montant de 150 millions d'euros, soutient des projets en faveur des quartiers défavorisés. Le gouvernement précédent a augmenté les crédits de la DETR et de la DSIL pour compenser la réduction de la DGF et ses conséquences sur les capacités d'investissement des collectivités territoriales. Nous avons choisi de stabiliser la DGF, en maintenant les aides à l'investissement à un niveau élevé, soit 2 milliards d'euros. Nous avons également élargi la DSID - 212 millions d'euros en 2019 - à toutes les dépenses d'investissement des conseils départementaux.
Lors de la discussion du projet de loi de finances, vous nous aviez fait part, via un amendement déposé par Hervé Maurey, de votre souhait de disposer d'éléments de transparence sur les aides à l'investissement. Nous avons, en conséquence, développé un outil de cartographie sur l'utilisation des fonds de la DETR, destinés à des priorités décidées localement. En 2018, la DETR a financé 21 475 projets, contre 20 623 en 2017, pour une somme identique, signe de l'attention portée aux dossiers modestes, conformément à vos souhaits après la suppression de la réserve parlementaire. Le taux moyen de financement des projets retenus s'établit à 25,6 % et le montant moyen à 47 357 euros. Dans le cadre du projet de loi sur l'engagement et la proximité, qui sera présenté au mois de septembre, je proposerai quelques mesures de libération normative, notamment sur le plafond de subventions au maître d'ouvrage à hauteur de 80 % de la dépense pour l'entretien du patrimoine, enjeu essentiel pour les communes rurales. En 2018, les opérations financées grâce à la DETR ont principalement concerné la construction de bâtiments, l'urbanisme, les transports et le patrimoine.
La DSIL, pour sa part, a vocation à financer des priorités nationales, proposées par le Gouvernement et votées par le Parlement. Elles font souvent écho à de grands plans d'investissement, sur la transition écologique ou l'accessibilité par exemple. En 2018, 4 821 projets ont été retenus, contre 3 786 en 2017, avec, là aussi, une bienveillance particulière accordée aux petits dossiers par le montant ou par la nature des collectivités concernées. Ces projets, pour la plupart, permettent de continuer à faire vivre les contrats de ruralité ; ils portent majoritairement sur la rénovation thermique des bâtiments. La DETR et la DSIL créent conjointement un effet de levier estimé à 6,7 milliards d'euros en faveur des investissements locaux. Nous pouvons débattre de savoir si cela est suffisant, mais l'effort, quoi qu'il en soit, est considérable. Il convient également de reconnaitre que l'investissement local est particulièrement dynamique lors de la dernière année du mandat municipal.
Sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales », 3,8 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ont été prévus et 3,6 milliards d'euros de crédits de paiement ont été réglés, soit un taux de consommation élevé. Le constat est logique, puisque nombre des crédits de la mission sont constitutionnellement dus. En 2019, les indicateurs d'exécution ont été renforcés. Ils n'existaient auparavant que sur la DETR. Désormais, s'agissant de la DSIL, le taux de subvention moyen et le délai moyen entre la décision d'attribution et l'achèvement du projet seront disponibles. Nous prévoyons également de créer un indicateur vert, les territoires ayant un rôle majeur à jouer en matière de transition écologique. Des éléments devraient également être accessibles à l'automne sur la DCID, créée par la loi de finances pour 2019.
Vous avez été nombreux à mettre en doute la parole du Gouvernement sur le dégrèvement ; or, en 2018, chaque commune a été correctement dégrevée de la taxe d'habitation. Nous avons, à cet égard, débuté un cycle de concertation avec les associations d'élus sur le fondement de plusieurs principes, notamment la compensation de la suppression de la taxe d'habitation à l'euro près aux collectivités territoriales. Il convient plus largement de réfléchir à la fiscalité locale, notamment du fait de l'évolution dynamique des dépenses départementales, soit structurellement s'agissant du vieillissement, soit conjoncturellement pour la pauvreté. Les régions étaient très prudentes à l'idée de récupérer une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), elles n'y voient désormais plus d'inconvénient : faire évoluer la fiscalité locale peut s'avérer bénéfique. Nous ferons un point en juillet sur la concertation en cours et sur l'avenir des contrats de Cahors.
M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Nous vous remercions pour votre présentation très complète. Je souhaitais vous interroger justement sur l'avenir des contrats de Cahors, mécanisme qui concerne 322 collectivités territoriales dont les dépenses de fonctionnement dépassent 60 millions d'euros. Quel bilan dressez-vous de leur mise en oeuvre ? Envisagez-vous d'approfondir le dispositif ou de l'étendre à d'autres collectivités territoriales ? Avez-vous identifié des modifications du comportement des collectivités concernées en matière d'investissement ? Pour la réforme de la DGF, le Gouvernement, lorsqu'il s'est engagé dans la contractualisation de Cahors, s'est inspiré d'un rapport que j'avais commis avec Claude Raynal, dans lequel nous avions appelé de nos voeux une réflexion sur les critères de charges des collectivités territoriales. Le prévoyez-vous ? Avec la disparition de la taxe d'habitation à plus ou moins longue échéance et son remplacement par des impôts nationaux, la fiscalité locale est devenue obsolète. De fait, la péréquation ne considère que les ressources - alors que l'évaluation des charges se pratique, par exemple, en Italie - : cela crée des difficultés d'acceptation d'un dispositif qui représente désormais 40 % de la DGF, même s'il ne s'agit pas de remettre en cause son efficacité.
Sur la dotation d'intercommunalité, il y a eu un progrès, mais on a voulu la faire reposer de nouveau sur des critères de charges, en prenant par exemple le coefficient d'intégration fiscale (CIF), tout en fixant des amortisseurs au profit de certaines collectivités. Sommes-nous toujours dans cette philosophie ? Les huit zonages relatifs aux avantages fiscaux pour certains territoires déshérités disparaissent en 2020. Nos amendements sur ce point ont été refusés l'année dernière. Allons-nous en reparler ? La dotation pour les parcs nationaux a disparu, alors qu'un parc national va se créer. Sur la DSIL, mon appréciation diffère de la vôtre : les contrats de ruralité ayant disparu, il y a une baisse de 4 %... Par ailleurs, confirmez-vous que l'automatisation du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) sera effective au 1er janvier 2020 ?
M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Je commencerai par les contrats de Cahors - sénateur d'Occitanie, j'ai toujours plaisir à voir nos villes mises à l'honneur ! Le Gouvernement communique beaucoup sur la croissance des dépenses réelles de fonctionnement, disant que celles-ci sont plutôt bien contenues, malgré quelques dépassements ici ou là. Ces contrats avaient trois volets. Leur but n'était pas de pousser à une baisse des dépenses de fonctionnement en elles-mêmes, mais d'alimenter l'autofinancement des investissements pour réduire le besoin de financement et améliorer la capacité de désendettement. Or je n'ai rien lu sur le désendettement ou sur la réduction du besoin de financement, alors que c'était bien l'enjeu. Pouvez-vous nous en dire plus ? Peut-on considérer qu'une collectivité a rempli son contrat une fois qu'elle a limité son objectif de dépenses, même si elle ne satisfait pas aux deux autres critères ? Ces contrats comportent une clause de revoyure. Cette clause est-elle engagée ? Apporte-t-elle de nouveaux éléments ? Il y avait deux sujets de friction : les participations à des syndicats extérieurs, qui étaient comprises dans la dépense globale alors que, pour une grande part, ces sommes sont de l'investissement en matière de transport ; et le lien avec les opérations soutenues par l'État, qui imposent un supplément de dépenses.
Quelles seront les cibles macroéconomiques du Gouvernement, en termes de dépenses de fonctionnement, dans la loi de programmation pour 2020-2023 ? Doit-on s'attendre à un durcissement ? Le suivi du besoin de financement sera-t-il plus marqué ? Les soldes effectifs des collectivités locales seront-ils mieux suivis ? Cette loi de programmation répartira-t-elle mieux l'effort entre l'État, les collectivités locales et la Sécurité sociale ?
Les dotations de soutien à l'investissement des départements sont une nouveauté qui date de l'an dernier : on est passé d'une logique de guichet à une logique de projet. Pouvez-vous en dresser un premier bilan ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Les contrats de Cahors concernent 322 collectivités, et 279 en ont signé un. Je n'ai jamais compris pourquoi ce dispositif avait suscité autant de critiques au début du quinquennat. J'ai été maire d'une commune qui n'entre pas dans le champ des contrats de Cahors et président d'un département qui est concerné et, en 2014, je n'ai pas eu le choix de contractualiser puisqu'on m'a notifié de manière autoritaire que ma DGF diminuait : à l'aveugle, sans regarder si nous avions fait des économies, ni si nous avions une capacité d'autofinancement pour investir, ni si nous avions fait des schémas de mutualisation. Entre cette manière de procéder à l'aveugle et un contrat, même imparfait, mieux vaut un contrat !
On nous a reproché de concentrer les efforts sur les 322 plus grosses collectivités territoriales. Mais c'est justement le but de la manoeuvre ! Il s'agit, pour le dire franchement, de ficher la paix aux plus petites communes - ce qui est un bon postulat de départ. Dans les programmes pour l'élection présidentielle de 2017, tous les candidats voulaient diminuer les dépenses publiques, et ils parlaient tous de demander des efforts aux collectivités territoriales - certes, avec des méthodologies différentes. Toute la question est dans l'exécution. Or les contrats, ce n'est pas prendre de l'argent, c'est demander à des collectivités de limiter leurs dépenses. Ce n'est pas la même chose ! J'aurais bien aimé, en 2014 et en 2015, que le Gouvernement de l'époque daigne débattre de l'évolution de mes dépenses plutôt que de me diminuer radicalement la DGF...
Oui, une revoyure annuelle souple est prévue. Elle aura lieu en juillet, sous la forme d'un comité de pilotage, après que les préfets auront bouclé leurs échanges opérationnels avec les collectivités concernées. Si vous souhaitez nous auditionner spécifiquement après ce cycle de juillet sur les contrats de Cahors, nous serons à votre disposition. Je ne pense pas que le Gouvernement doive se réjouir qu'on ait limité les dépenses, car ce n'est pas un but en soi. Mieux vaudra se réjouir que l'investissement reparte, ou qu'on ait garanti des services publics. Les premières indications sont que seule une petite poignée de collectivités ne vont pas respecter le contrat.
Nous avons tenu parole sur le retraitement. C'est un contrat, cela se négocie et, comme chez votre assureur, il y a des petites lignes. Les dépenses que l'État demande aux collectivités territoriales font l'objet de retraitements. Par exemple, si un conseil départemental a un taux d'évolution de ses dépenses de fonctionnement proche de 1,2 %, ou du taux qui lui a été notifié soit par l'arrêté, soit par le contrat, on retraite la part des mineurs non accompagnés. Il y a une différence entre une dépense normée, rigide, et les autres dépenses de fonctionnement, qui relèvent de la libre administration de la collectivité territoriale en question.
Vous mentionnez les critères de charge de la DGF. Au moins, le mouvement intercommunal, depuis les lois Chevènement de 1999, a permis de se poser des questions. Sur la péréquation, il y a ce que nous pouvons faire ensemble au niveau national, mais il y a aussi des enjeux au sein des intercommunalités. Faut-il que le législateur s'en empare et définisse des critères ? Je ne suis pas favorable à ce qu'on se mêle de tout. Mais si le partage de la richesse ne se fait pas naturellement au sein des intercommunalités, il faudra peut-être y regarder de près. Il faut que le niveau d'intégration des intercommunalités prenne en compte cette réflexion sur les charges, même si cela n'améliore pas la lisibilité de la DGF...
Sur la dotation d'intercommunalité, nous avons assumé ensemble le CIF, et créé des amortisseurs dans le projet de loi de finances. Chat échaudé craint l'eau froide : si j'avais laissé les choses en l'état, il y aurait eu beaucoup de mouvements dans les dotations d'intercommunalité, et vous auriez incriminé le Gouvernement. Nous avons donc mis en place un système plus rigide, plus lent à créer ses effets, qui a épargné une génération entière d'élus intercommunaux, qui ont déjà connu des baisses de DGF depuis 2014, et sur lesquels la réforme des dotations d'intercommunalité devait se faire selon un rythme acceptable.
Sur les zones de revitalisation rurale, on reste sur le rendez-vous de 2020, et c'est Mme Gourault qui suit ce dossier. Sur la DSIL et les contrats de ruralité, je ne partage pas votre point de vue. Quand les crédits sont consommés, on peut relancer des contrats de ruralité, certes. Mais nous avons aussi créé d'autres dispositifs, comme « coeur de villes ». Il faut aussi faire appel à d'autres outils, comme les fonds européens, dont on a beaucoup parlé pendant la campagne européenne. L'automatisation du FCTVA n'accuse aucun retard, et c'est une belle avancée pour les collectivités territoriales.
Si la dotation globale d'équipement des départements ne pouvait servir que pour des projets d'aménagement, dans certaines régions, la DSIL a permis de financer un foyer départemental de l'enfance, ce qui n'aurait pas été possible avec l'ancien dispositif.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Sur les contrats de Cahors, la position du Sénat n'est pas une position d'hostilité. Le système contractuel, même s'il s'agit de faux contrats, est préférable à un système aveugle. En revanche, nous considérons qu'on ne peut contractualiser, et s'engager sur une baisse de dépenses, que là où l'on a des marges de manoeuvre. Les dépenses contraintes, comme la prise en charge des mineurs non accompagnés, doivent être défalquées des objectifs. Par ailleurs, la bonne exécution des contrats de Cahors ne s'explique-t-elle pas aussi par le report du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) ?
On observe une stabilisation globale des dotations, ce qui n'équivaut pas à une stabilisation individuelle. Certaines communes voient leurs dotations baisser fortement, ce qui peut les mettre en difficulté. N'est-il pas envisageable de prévoir des mécanismes d'amortissement - effet de cliquet, baisse en sifflet - en cas de baisse trop brutale - ou de hausse ?
Sur la taxe d'habitation, les parlementaires semblent avoir été réunis ce matin - pour ma part, je n'ai pas reçu d'invitation. L'on communique beaucoup sur l'ouverture de la concertation, en tous cas. Pouvez-vous nous confirmer que la totalité de la réforme, y compris la partie qui s'appliquera jusqu'en 2023, figurera dans le prochain projet de loi finances ? Quid de la révision des bases ? Notre groupe de travail sur l'évolution de la fiscalité locale était parvenu à des conclusions relativement partagées. Je ne suis pas hostile à l'idée d'un transfert du foncier bâti départemental vers les communes, au vu des évolutions de la TVA ou de la CSG qui pourraient le compenser. Depuis 2013, la TVA a crû en moyenne de 2,3 % par an en évolution spontanée, contre 2,2 % pour la CSG. Le Président de la République a dénoncé dans la taxe d'habitation une taxe fondée sur des bases injustes. Le même raisonnement devrait s'appliquer sur le foncier bâti. Avez-vous prévu dans cette réforme la révision des valeurs locatives ?
On annonce une révision du réseau des trésoreries. Les élus s'inquiètent pour les services rendus en termes de comptabilité publique. Ne peut-on alléger leur charge en supprimant des transferts inutiles et précipités, comme celui de la distribution de l'eau au 1er janvier, partout considéré comme brutal ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Pour le PPCR, 300 millions d'euros peuvent être mobilisés. C'est en-deçà des économies que dégagent les collectivités, mais il y a là un sujet qui sera vu au cas par cas, entre chaque préfet et chaque collectivité concernée.
Un cliquet pour la DGF ? Beau sujet ! Il existe déjà des garanties de sortie. Une commune rurale qui perd sa DSR subit d'une année sur l'autre une perte sèche importante. Vous avez voté, dans le projet de loi de finances, une garantie de sortie à 50 % : même si la commune en question n'y a plus droit - c'est-à-dire si elle est plus riche - on lui donne tout de même 50 % de ce qu'elle touchait. C'est très généreux ! Cela donne de la prévisibilité aux élus pour bâtir leurs documents budgétaires.
Faut-il figer la DGF ? Pendant le grand débat national et les 96 heures d'échanges entre le Président de la République et les maires, que j'ai animés, beaucoup de maires l'ont demandé. Le résultat serait que, dans la même communauté d'agglomération ou la même communauté de communes, un maire qui gagnera beaucoup d'habitants ne verra pas sa DGF augmenter, et un maire qui perdra des habitants, lui, aura la même DGF qu'avant.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il existe une solution intermédiaire : une baisse un peu moins brutale et, en contrepartie, une augmentation aussi moins brutale. Un lissage, en somme.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Pour 6 % d'augmentation de population, faut-il encore complexifier les choses et rendre cette dotation, qui a toujours été vivante, moins vivante ? Je ne sais pas. Si le Sénat veut avancer, je serai à votre disposition.
Ce matin, en effet, une réunion avec les parlementaires de la majorité a fuité : le Gouvernement n'interdit pas l'usage des réseaux sociaux pour les parlementaires ! Dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances, le ministre de l'action et des comptes publics sera amené à consulter les commissions des finances et à travailler avec elles. En tout cas, sur mon propre budget, je crois avoir démontré que je procédais comme cela, quelles que soient les appartenances politiques des commissaires. Cette réforme est difficile mais capitale pour l'intérêt général. Il faut des ressources dynamiques pour ceux qui ont des dépenses dynamiques. L'objectif de la réforme est de remettre du dynamisme et de la clarté dans les outils de fiscalité dont disposent les collectivités territoriales, et notamment le bloc communal.
La disparition de la taxe d'habitation est déjà une mesure d'assouplissement pour le réseau des finances publiques, et elle libérera du temps, comme d'ailleurs l'impôt à la source.
La distribution de l'eau arrive après la sécabilité des compétences. En vue du projet de loi, j'ai entamé les concertations. Nous souhaitons instituer une mesure de délégation de cette compétence sur l'eau et l'assainissement, sans sécabilité au niveau intercommunal, vers un syndicat ou une commune.
Mme Christine Lavarde. - Le ministre nous dit que les variations de DGF sont, pour 70 % des communes, inférieures à 1 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. Il serait bon de tenir compte de la définition des recettes réelles de fonctionnement, et de regarder ce que ce petit pourcentage représente en baisse réelle, qui peut aller jusqu'à 50 % de la DGF d'une année sur l'autre. Historiquement, la part forfaitaire de la DGF devait venir compenser des transferts de charges de l'État vers les collectivités ou des suppressions de recettes précédemment affectées aux collectivités et qui repartaient vers l'État ou un autre échelon. Certaines communes sont à présent en contribution négative, puisqu'elles contribuent au redressement des finances publiques, tout en continuant à assumer des missions pour l'État, en nombre toujours croissant. La philosophie de la DGF a été complètement dévoyée. Ne serait-il pas temps de concevoir un dispositif global assurant une juste rétribution des missions exercées pour l'État par les collectivités, et d'articuler les mécanismes de péréquation existants, tels le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) et le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) ? Ne faisons pas peser sur la DGF un nouveau mécanisme de péréquation.
M. Philippe Dallier. - Passée la période 2014-2017, on aurait pu penser que tout irait mieux. Mais les effets des mesures passées se cumulent, et il ne faudrait pas sous-estimer l'effet ciseau subi par les collectivités territoriales. La DGF, même quand elle ne baisse plus, est rognée par l'inflation, et se pose alors la question de la soutenabilité du système. À un moment, pour un grand nombre de collectivités, cela va coincer !
Nous sommes à neuf mois des élections municipales et, pour les maires, les présidents d'intercommunalités ou de départements, les choses sont plus floues qu'elles n'ont jamais été. Comment les candidats pourront-ils bâtir un projet à six ans ? Nous avons suffisamment démontré ici, à la commission des finances, qu'en l'absence de réforme globale de la DGF et de la péréquation, nous n'arriverons à rien ! Je rappelle que certaines communes sont contributrices au FPIC, éligibles à la DSU et éligibles au FSRIF : cela suffit à démontrer l'aberration du système. Selon que l'on vous compare à telle ou telle autre collectivité, vous êtes riche ou pauvre ; tout cela ne veut plus rien dire.
À cela s'ajoute l'incertitude sur la taxe d'habitation. Certes, le bloc communal va récupérer le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, mais cela ne compensera pas forcément la perte ; il faudra donc reconstituer une espèce de fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), qui va créer des bénéficiaires et des contributeurs nets... Et le Premier ministre de nous annoncer que la réforme aboutirait à affecter au bloc communal des recettes dynamiques : comment ferez-vous ? Si vous avez la solution, donnez-la nous, que l'on en informe nos grands électeurs... Pour l'instant, nous n'avons pas le début d'une piste.
Mme Sylvie Vermeillet. - La dotation particulière élu local (DPEL) bénéficie aux communes de moins de 1 000 habitants dont le potentiel financier par habitant est inférieur à 1,25 fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 1 000 habitants. Mais elle n'est plus versée à la commune nouvelle résultant de la fusion de deux communes qui la percevait. Or la charge à assumer est la même, et le nombre d'élus pour le faire reste inchangé. Ne pensez-vous pas devoir remédier à cette injustice ?
Vous avez estimé l'effet levier de la DETR et de la DSIL à 6,7 milliards d'euros, ce qui est en effet colossal. On sait que les projets sont plus nombreux en fin de mandat mais, faute d'avoir augmenté la DETR cette année, les préfets ont dû écarter certains dossiers ou diminuer le taux de subvention. Il y avait un coup à jouer pour renforcer cet effet de levier en 2019, monsieur le ministre !
M. Jérôme Bascher. - Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous rappeler le nombre de critères d'attribution de la DGF ? Je crois que nous gagnerions en lisibilité en les diminuant. Les élus locaux seraient ainsi mieux informés, non du montant, mais de l'affectation de leur DGF.
Le Gouvernement avait des objectifs très ambitieux en matière de diminution du personnel des collectivités territoriales. Quelle tendance constatez-vous à ce stade ?
Pensez-vous utile de modifier les règles d'utilisation de certaines recettes, telles les recettes affectées aux dépenses environnementales, qui n'ont pas toujours trouvé facilement à s'imputer ? Les chambres régionales des comptes ont fourni des pistes...
Une question philosophique enfin : est-il encore logique de parler de bloc communal ? N'êtes-vous pas victime d'une forme de syndrome de Stockholm, votre ministère semblant considérer qu'intercommunalités et communes sont une seule et même chose ?
M. Jean-Marc Gabouty. - Quelques remarques d'abord. Sur la DETR, je vous suis ; de nombreux élus demandent simplement que les préfets soient plus actifs, ou plus participatifs, surtout dans les départements où il y a beaucoup de parlementaires.
Je pense aussi que l'architecture générale du système de dotations est illisible. On peut expliquer les évolutions de la DGF, mais pas les bases. Les correctifs, tels le FPIC, ont des effets pervers : ma commune en bénéficie alors qu'elle est deux fois plus riche que ses voisines, qui ne font qu'y contribuer.
Qu'avez-vous envisagé de faire du supplément de taxe d'habitation des collectivités qui en ont augmenté le taux ? Va-t-il s'évaporer ?
Peut-on déconnecter la réforme de la fiscalité locale de la redéfinition des dotations de l'État ? Peut-on, en la matière, procéder par touches successives ? Une telle méthode n'est-elle pas une manière de repousser éternellement une réforme globale ?
Les écarts de DGF par habitant entre les différents types de blocs communaux et les territoires sont-ils tenables ? Ils varient du simple au double, voire plus, sans que des éléments objectifs ne le justifient.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Madame Lavarde, une DGF négative suppose un potentiel financier et fiscal important, ce qui est le cas dans les Hauts-de-Seine. La péréquation consiste en effet à prendre là, par exemple, pour donner ailleurs... Méfions-nous cependant des évolutions exprimées en pourcentages, qui peuvent masquer des variations de quantités très faibles.
Je comprends les propositions de remise en cause du dispositif dans son ensemble, mais c'est de trente ans de mouvements législatifs dont nous parlons. La DGF actuelle compense la disparition de nombreuses taxes depuis les années 1960, nécessaires en leur temps car il fallait tenir compte d'enjeux de ruralité ou d'urbanité pauvre. Et à l'automne dernier encore, nous étions unanimes à vouloir améliorer les dispositifs de péréquation.
M. Dallier plaide pour une telle réforme globale de la DGF. Certains ont essayé : ils ont eu des problèmes... Je songe à Mme Pirès-Beaune, sous le quinquennat précédent. C'est qu'une telle réforme fait nécessairement des gagnants et des perdants, et que ces derniers, au début, sont nombreux. C'est pourquoi personne n'est très pressé de s'y atteler, pas même le comité des finances locales. Toucher à la fiscalité locale, qui n'est déjà pas très juste, est soit un instrument d'opposition - c'est de bonne guerre - soit un sujet d'angoisse pour une génération d'élus rendus groggys par les baisses de dotations. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas évident. Si les associations d'élus souhaitent avancer dans ce sens, nous les accompagnerons - c'est ce qu'a dit le Président de la République. Le Gouvernement ne pourra en toute hypothèse en décider seul.
Le nombre de critères - certains ne sont que des sous-critères - n'est pas l'essentiel du sujet...
M. Jérôme Bascher. - Cela n'aide pas !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Nous le verrons encore à l'automne prochain dans l'hémicycle, lorsque vos collègues de montagne de tous partis se rassembleront pour demander la compensation de problèmes d'altitude... Je le dis avec bienveillance, car vous ne vous rendez pas toujours compte qu'un nouveau critère, tout sympathique qu'il paraisse, peut déstabiliser l'édifice ! L'an dernier, les appels à la raison de votre collègue Charles Guené n'ont pas suffi. Vous êtes toutefois souverains en la matière.
La compensation de la perte de taxe d'habitation par la taxe foncière n'est qu'une hypothèse. Nous discutons avec tout le monde, monsieur Dallier. Une délibération du comité des finances locales, présidé par M. Laignel, a retenu l'idée d'une affectation de taxe foncière aux communes ; une autre demandait le dégrèvement perpétuel...
M. Philippe Dallier. - Nous signons tout de suite !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - ...or je n'ai jamais entendu le Sénat proposer le dégrèvement perpétuel. Je vous donne rendez-vous cet automne pour en parler dans le cadre du projet de loi de finances, afin de donner de la visibilité dans la perspective des municipales. Certains ont fait de mauvais procès au Gouvernement en l'accusant de vouloir se refaire sur les collectivités ; or, vous l'avez vu, aucune commune ne manque d'un euro de dégrèvement. Et pour cause : nous partons du produit perçu par les collectivités pour bâtir la réforme, ce qui est une garantie de justice.
Monsieur Gabouty, la question des taux fait partie des points en cours de négociation avec les associations d'élus, de même que celle des bases. La hausse des prélèvements obligatoires s'explique en partie par le dynamisme des recettes fiscales locales, qui ont rapporté aux collectivités presque 18 milliards d'euros de plus ces dix dernières années, notamment grâce à la CFE et à la CVAE. Les fédérations du bâtiment et des travaux public vous en parlent, j'imagine, sur le terrain...
Madame Vermeillet, la DPEL est calculée sur le nombre d'habitants, pas sur le nombre d'élus. Cette question n'a pas été abordée dans le cadre des travaux de Mme Françoise Gatel sur l'exercice des mandats locaux. C'est même la première fois que l'on m'interroge sur ce point. La DPEL ne représente qu'une trentaine de millions d'euros par an, mais faisons attention. Je rappelle que les communes nouvelles sont des communes à part entière, soumises dès lors aux effets de seuils.
Nous reviendrons sur la question du personnel des collectivités territoriales dans le cadre du bilan des contrats de Cahors.
Monsieur Bascher, l'emploi du produit de la taxe d'équipement pour les espaces naturels sensibles dépend des conseils départementaux : dans certains départements, cela finance le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, ailleurs cela permet de restaurer des kilomètres carrés de zones humides.
Je crois encore à la notion de bloc communal car les EPCI ne sont pas des collectivités territoriales, mais des établissements publics qui fédèrent des communes. Le projet de loi dont nous discuterons au mois de septembre redonnera de la place aux maires dans les structures intercommunales, qui ne doivent pas singer les communes.
Monsieur Gabouty, je vous rejoins sur les effets pervers du FPIC.
Nous pouvons avancer sur la réforme fiscale, qui est un sujet important.
Vous contrôlez le Gouvernement, qui a autorité sur les préfets : n'hésitez donc pas à me faire part des difficultés précises que rencontrent les élus sur la répartition par les préfets des crédits de DETR. J'évite de m'en mêler par trop, pour que l'on ne dise pas que je politise la dotation. Un de mes prédécesseurs procédait lui-même aux arbitrages mais Jacqueline Gourault et moi-même sommes désireux de maintenir le caractère déconcentré de cette dotation.
M. Jean-Marc Gabouty. - C'est moins une question de fond que de méthode.
M. Jacques Genest. - La péréquation est une question essentielle, tant pour les communes rurales que pour les communes de banlieue. Les députés évalueront les difficultés de la péréquation ? Mais ils n'ont, pour la plupart, jamais été maires !
La DETR et la DSIL ne fonctionnent pas trop mal dans l'Ardèche. Seul accroc à déplorer : nous avons insisté pour que les communes gardent la compétence eau et assainissement, mais le préfet se défausse sur les agences de bassin, qui ne subventionnent pas non plus. Bref, c'est un pouvoir qu'on ne peut pas exercer.
Sur la réforme de la taxe d'habitation, je redis ce que j'ai déjà dit : attention au foncier ! Dans les communes où les logements sociaux sont nombreux, les gens ne paieront pas de taxe foncière, et les organismes ne compenseront qu'à hauteur de 15 %, ce qui créera des déséquilibres et distendra le lien entre les habitants et la commune.
Nous avons travaillé sur la réforme de la DGF avec MM. Guéné et Raynal. Le résultat n'était pas celui que nous attendions puisque les gagnants étaient les plus riches - je l'ai observé dans l'Ardèche en particulier !
Ces dernières années, les contentieux relatifs aux dotations de l'État aux collectivités territoriales lui ont coûté près de 40 millions d'euros. Pouvez-vous nous donner quelques informations sur les contentieux pendants ?
Pouvez-vous enfin faire le point sur les indemnités versées aux communes qui abritent des stations de délivrance des titres sécurisés ? Dans ma commune de 800 habitants, Coucouron, la délivrance des cartes grises se passe mal, mais celle des passeports et des cartes d'identité se passe très bien.
M. Jean-François Rapin. - Monsieur le ministre, je ne vous ferai pas porter le poids des fardeaux du passé, mais tiens à porter à votre connaissance quelques chiffres sur le Pas-de-Calais qui, d'après le préfet, reçoit des dotations importantes : 29,1 millions d'euros, 28,8 millions d'euros, 27,5 millions d'euros, tels sont les montants des dotations - DETR et DSIL - pour les années 2016, 2017 et 2018. La baisse est nette. En 2018, il faut ajouter à ces montants 2,4 millions d'euros au titre de la subvention exceptionnelle à la ville de Calais, répartis sur un fonds de développement de la vie associative (FDVA) dont nous ignorons l'usage qui en est fait. Ce sont 2,5 millions d'euros retirés du budget du département, qui soutenaient l'investissement des communes ! Comment envisagez-vous la suite et, surtout, comment voyez-vous la redistribution des crédits de cette dotation au milieu associatif ?
M. Bernard Delcros. - Merci de votre présence, monsieur le ministre.
Sur la DGF, je ne partage pas du tout l'idée qu'une remise à plat règlerait tous les problèmes. Fin 2015, nous avons voté un tel objectif dans la loi de finances : l'article a finalement été abrogé l'année suivante, car les simulations montraient que les effets obtenus seraient contraires aux objectifs poursuivis. Ceux qui disent que le système est injuste pensent bénéficier d'une réforme mais, à enveloppe constante, il y aura forcément des gagnants et des perdants. Bref, je crois qu'il faut être très prudent.
Cela dit, la DGF peut être améliorée. Elle a baissé, c'est vrai, mais la péréquation est passée de 14 % à 40 % ; c'était utile, car une baisse forfaitaire linéaire aurait fragilisé les territoires déjà fragiles. Vous avez donc bien fait de poursuivre le mouvement de péréquation engagé par le gouvernement précédent. Le rôle de la DGF est aussi de réguler les richesses. Les modifications importantes que nous avons observées sont pour l'essentiel liées aux évolutions des périmètres des intercommunalités, qui ont modifié leurs potentiels financiers. Bref, je crois qu'il vaut mieux améliorer l'existant plutôt que tout remettre à plat.
Je ne défends pas non plus à tout prix l'autonomie fiscale des collectivités, qui fragilise les territoires privés d'expansion démographique et économique. Il faut en revanche garantir l'autonomie financière des collectivités. À l'approche d'un nouveau mandat, les élus ont besoin de visibilité sur leurs ressources et donc leur autonomie financière. Je ne suis par exemple pas opposé à ce que le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties profite au bloc communal, car c'est à ce niveau que la compétence d'aménagement est exercée. Attribuer une part d'impôt national à une collectivité, c'est aussi une façon de faire de la péréquation.
Les annexes financières aux contrats de ruralité sont signées chaque année, mais parfois au détriment des projets classiques éligibles à la DSIL. Il est important pour la ruralité de maintenir des contrats de ruralité avec des crédits dédiés. Les supprimer ou les noyer dans des contrats plus généraux ne serait pas une bonne chose.
Nous n'avons guère parlé du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), sur lequel on entend à peu près tout, y compris des propositions de suppression. Or c'est un outil souple de financement d'investissements, de projets privés ou d'ingénierie territoriale. Avez-vous bien l'intention de le conserver ?
M. Didier Rambaud. - Certaines collectivités n'ont pas signé les contrats dits de Cahors, mais elles en ont respecté l'esprit, en maîtrisant notamment leurs dépenses de fonctionnement. Quelles sont les conséquences pour elles ? Qu'ont-elles perdu à ne pas signer ce contrat ?
M. Michel Canevet. - Monsieur le ministre, la Cour des comptes préconise dans son rapport le regroupement dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » des crédits du programme 216 qui sont destinés au fonctionnement de votre ministère. Qu'en pensez-vous ?
En ce qui concerne l'évolution de la DGF, je crois que nous devons être prudents, même s'il est vrai qu'elle est inégalement répartie, souvent au détriment des communes rurales.
Par ailleurs, il serait nécessaire de revoir les bases de la taxe foncière. Ce processus pourrait se faire au fil de l'eau, au moment de la mutation des biens.
Enfin, la réserve ministérielle existe-t-elle encore ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Monsieur Genest, les travaux d'évaluation des indicateurs de péréquation sont menés par Christophe Jerretie, député de Corrèze, et Jean-René Cazeneuve, député du Gers et président de la délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Tous deux ont été maires.
En ce qui concerne la compétence eau et assainissement, le projet de loi à venir permettra une délégation. Dans la même dynamique, nous devrons certainement toiletter les critères d'intervention des agences de l'eau.
Je souhaite remercier le sénateur Delcros de sa franchise ! Chacun sait bien qu'une réforme de la DGF est toujours très compliquée et qu'elle est rarement portée par tous les acteurs... Je rappelle que les élus ont commencé à s'intéresser à ce sujet, non pas au moment où la DGF a drastiquement diminué, mais lorsque, au sein d'une enveloppe globalement stable, les allocations individuelles ont commencé à varier de manière erratique, ce qui résultait de l'évolution du schéma intercommunal. Par ailleurs, la DGF a toujours été complexe !
Tous les contentieux relatifs aux dotations sont apurés, soit à la suite d'une décision de justice soit de manière transactionnelle.
En ce qui concerne les titres sécurisés, une enveloppe de 40 millions d'euros a été mise en place, mais ce sujet relève du ministère de l'intérieur. La question difficile reste évidemment celle du lieu où sont implantées les stations.
Monsieur Rapin, la DETR est passée de 10 millions d'euros à 16 millions entre 2014 et 2019 dans votre département.
M. Jean-François Rapin. - Le problème est le décalage avec les projets !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Nous devrons évidemment regarder ce sujet, mais vous savez que les calculs sont là aussi complexes. Nous devons trouver un équilibre entre la stabilité et la prise en compte de la vitalité des départements.
S'agissant du FDVA, diverses remontées du terrain me sont parvenues ces dernières semaines. La traçabilité des sommes et l'information au sein des commissions départementales doivent être mieux assurées. Je propose de vous préparer une note courte à ce sujet.
Monsieur Delcros, vous avez raison sur les différences qui existent entre autonomies financière et fiscale. La première est inscrite dans la Constitution et certaines grandes associations d'élus réclament la seconde. Je crois que le Sénat aurait tout à fait raison de débattre de ce sujet.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous l'avons déjà fait !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Sur l'impôt national, ce qui est vrai pour les départements le sera aussi pour les intercommunalités. C'est un outil de péréquation, mais il faut faire attention à l'évolution de ces impôts : ils peuvent être dynamiques en période de croissance, mais beaucoup moins, lorsque celle-ci est plus faible.
Sur le bilan de la DETR, de la DSIL et de la DPV, un rapport sera publié durant l'été, comme chaque année.
Les enveloppes du FNADT sont moins importantes qu'avant, notamment parce que les crédits destinés à d'autres dotations augmentent - je pense par exemple à la DETR. Je n'ai pas d'informations sur d'éventuelles difficultés.
Monsieur Rambaud, les contrats dits de Cahors sont des outils politiques pour les élus qui les ont signés et respectés : il leur est donné acte de leur maîtrise des dépenses, ce qui ne peut être que positif durant une campagne électorale... Pour les collectivités qui n'ont pas signé le contrat, mais le respectent, rien ne change. L'outil est souple : un élu peut décider, par exemple pour des raisons politiques, de ne pas le signer, mais il n'est pas pénalisé pour cela, si tant est qu'il le respecte en pratique. Les choses sont évidemment différentes pour les collectivités qui ne respectent pas le contrat. C'est un peu le principe du bonus-malus !
En ce qui concerne la réserve ministérielle, je vous assure qu'elle n'existe plus, même si le fantasme a la vie dure...
Enfin, monsieur Canevet, les crédits du programme 216 que vous évoquez relèvent encore, en effet, du ministère de l'intérieur qui continue d'assurer les fonctions support de la DGCL, même si celle-ci ne lui est plus rattachée. Les autres fonctions support du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sont assurées par le ministère de la transition écologique et solidaire. Nous verrons ce qu'il convient de faire pour l'avenir.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 18 h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 19 juin 2019
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Déplacement effectué par une délégation du Bureau de la commission au Danemark, en Suède et en Estonie - Compte rendu
M. Vincent Éblé, président. - Comme c'est traditionnellement le cas, une délégation du bureau de la commission des finances s'est déplacée à l'étranger afin d'y étudier plusieurs thématiques relevant de notre champ de compétences.
Cette année, nous avions fait le choix d'un déplacement européen, en nous rendant au Danemark, en Suède et en Estonie.
La délégation était composée de MM. Albéric de Montgolfier, Yvon Collin, Bernard Delcros, Jean-François Husson, Claude Raynal et moi-même. Elle s'est déplacée du 5 au 10 mai dernier.
Comme l'an dernier avec le Canada, nous nous sommes rendus dans deux pays souvent cités comme des exemples, le Danemark et la Suède, pour leur faible taux de chômage, leur situation budgétaire saine et aussi la politique écologique et énergétique qui y est mise en oeuvre depuis plusieurs années. Ils présentent aussi des points communs avec la France, avec leur haut niveau de prélèvements obligatoires et un niveau important de dépenses publiques.
Ce déplacement « de proximité » en Europe a permis d'évoquer de nombreux sujets avec nos voisins.
S'agissant du domaine de la fiscalité tout d'abord, nous avons abordé la problématique de l'imposition des sociétés, de la convergence fiscale entre les États et bien sûr, de la taxation des services numériques (« taxe GAFA »).
Nous avons également eu plusieurs entretiens spécialement tournés vers la fiscalité écologique et énergétique, au cours desquels ont été abordés la trajectoire de la taxe carbone et l'imposition des activités polluantes, mais aussi les dépenses publiques consacrées à l'environnement et à l'accompagnement des nouveaux usages des ménages et des entreprises.
En lien avec la mission d'évaluation que nous menons actuellement avec le rapporteur général, nous nous sommes également intéressés à la fiscalité du patrimoine, le Danemark et la Suède ayant tous deux supprimé l'équivalent de leur impôt sur la fortune il y a plusieurs années.
Une large part de nos entretiens a également été accordée aux questions bancaires, avec en particulier le développement des Fintech et l'évolution des moyens de paiement, dans des pays où les espèces sont désormais très peu utilisées, au point de s'orienter vers le « zéro cash ».
Le déplacement s'est enfin achevé en Estonie, pour aborder plus spécifiquement cette fois la question de la numérisation de l'État, qui s'accompagne d'une radicale dématérialisation des services publics. Certes, l'accessibilité des données et la facilité pour les citoyens de disposer des documents utiles ou de réaliser les démarches administratives sont impressionnantes, mais j'y ai vu aussi des risques majeurs en termes de sécurité pour des données qui sont somme toute sensibles et, par nature, très personnelles, comme par exemple la situation familiale et le dossier médical de chaque citoyen.
Pour traiter de l'ensemble de ces problématiques, nous avons à la fois rencontré des membres du Gouvernement et des parlementaires ; des services administratifs et autres agences de l'État, spécialisés sur les questions des impôts ou de l'énergie ; des entreprises et les représentants du monde économique, en particulier des entreprises et « licornes » spécialisés dans les moyens de paiement, mais aussi des acteurs du secteur du jeu vidéo, très développé en Suède, ou encore le leader mondial de l'éolien offshore ; enfin les représentants de grands établissements financiers ainsi que les banques centrales de Suède et du Danemark.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'était intéressant de voir comment des États qui sont allés assez loin dans le modèle socialiste par le passé - je pense à la Suède -, se situaient désormais sur différents sujets.
Du point de vue de la fiscalité, tout d'abord, le déplacement a été l'occasion de mieux appréhender la position du Danemark et de la Suède sur la taxation des activités numériques (« taxe GAFA »).
Nous revenons avec une meilleure compréhension du désaccord fortement manifesté par ces deux pays concernant la création d'une taxe sur les services numériques au niveau européen. De façon générale, ce sont de « petits » États et ils considèrent que leur réussite repose beaucoup sur les exportations, même si bien sûr leurs principales entreprises ont également des clients nationaux. Ils ont su développer des leaders mondiaux, le principal employeur de mon département est d'ailleurs une entreprise pharmaceutique danoise. Leurs chiffres économiques sont, de ce point de vue, assez remarquables.
Leur modèle repose d'ailleurs beaucoup sur le soutien aux entreprises, avec globalement une baisse de la fiscalité sur les sociétés.
Nous ne pouvons que les rejoindre lorsqu'ils considèrent que la solution pérenne et la plus efficace doit être trouvée au niveau de l'OCDE et qu'une taxation sur le chiffre d'affaires n'est pas idéal.
Là où l'on ne se retrouve pas, c'est sur le fait de considérer que rien ne peut être fait en attendant une réglementation internationale, y compris au niveau européen, en laissant des sociétés ne pas acquitter d'impôt sur leur activité.
L'objectif de ces gouvernements et des représentants des entreprises reste clairement d'entraver le moins possible l'activité économique, y compris celle des « géants du numérique », et de rester compétitif et attractif avec une imposition sur les sociétés réduite.
Cela explique leur hostilité forte à la taxation des services numériques au niveau européen et l'impossibilité d'obtenir un accord compte tenu de la règle de l'unanimité.
Nos entretiens ont également été l'occasion de nous pencher sur les raisons de la réussite économique de la Suède. Ce pays a en réalité su mettre en place un écosystème favorable à l'émergence et au développement d'entreprises innovantes, sans nécessairement un soutien sectoriel.
Nous avons rencontré un dirigeant d'une société de jeux vidéos qui nous indiquait ainsi qu'aucune mesure fiscale n'était spécifiquement destinée en Suède à soutenir le secteur des jeux vidéos mais que l'attractivité du pays se faisait surtout grâce à son environnement, avec une population en pointe en matière de nouvelles technologies, de bons transports et des infrastructures réseau de qualité ainsi qu'un système fiscal favorable aux entreprises.
La fiscalité du patrimoine constituait également un sujet d'étude intéressant pour le déplacement, compte tenu de l'évaluation que nous menons avec M. le Président sur la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU).
En Suède notamment, dans les années 80, une réforme a été adoptée pour taxer davantage les fortunes, en imposant à la fois les revenus et le capital. Cet État a notamment atteint des taux d'imposition très élevés qui ont pu entraver l'activité.
La Suède et le Danemark ont supprimé depuis de nombreuses années l'équivalent de l'impôt sur la fortune. Au Danemark, cela nous a été notamment justifié par le fait qu'il était très aisé d'échapper cet impôt, de nombreux moyens le permettant. En outre, globalement toute fiscalité qui contreviendrait à la compétitivité et à la transmission des entreprises est bannie par ces deux pays.
Lors de nos entretiens, il nous a semblé que la problématique de la taxation des plus riches n'était finalement pas au coeur de leurs préoccupations.
L'imposition sur le revenu en Suède semble répondre aux attentes de la population. Et ce pays a également supprimé l'impôt sur les successions il y a dix ans.
Au Danemark, l'imposition du patrimoine des ménages se répartit ainsi : 37 % sur les biens fonciers, 33 % sur l'épargne-retraite, 10 % sur les actions et les 20 % restants sur les autres actifs financiers.
Enfin, nous nous sommes évidemment intéressés à la fiscalité écologique et aux dépenses publiques consacrées à l'environnement.
La Suède et le Danemark figurent parmi les « États modèles » pour la mise en oeuvre d'une politique énergétique et écologique efficace et acceptée par la population, en prenant notamment des mesures fiscales ambitieuses.
Le Danemark se fixe également des objectifs très ambitieux dans le domaine environnemental, notamment en termes de transports.
Plusieurs questions ont été abordées lors de ce déplacement.
Comment parvenir à une fiscalité incitative et non principalement à une fiscalité de rendement ? C'est notamment la difficulté que nous avons rencontrée en France.
Quelles ont été les mesures budgétaires d'accompagnement les plus efficaces, tant pour les particuliers que pour les entreprises, dans ces deux pays ?
Les deux États sont apparus très avancés dans la mise en oeuvre d'une fiscalité écologique, avec une taxation du carbone introduite dès 1991 en Suède, ce qui a, par exemple, permis une transition efficace du parc automobile privé mais aussi des camions et autres machines-outils dans le secteur industriel.
Selon les éléments fournis par le service économique régional, la Suède présenterait donc aujourd'hui la transition énergétique la plus avancée au niveau de l'Union européenne, avec 54 % d'énergies renouvelables (EnR) et sur un rythme très soutenu puisqu'il est trois fois plus rapide qu'en France. Le chauffage ne serait plus assuré qu'à 2 % par de l'énergie fossile, contre 60 % en 1980, soit la proportion actuellement constatée en France. Les énergies renouvelables représenteraient 33 % dans le secteur des transports, contre 9 % en France.
Les deux facteurs ayant permis une telle évolution seraient, tout d'abord, le dispositif de « certificats verts » mis en place dès 2003, sans prix d'achat garantis et qui repose sur une mise en concurrence des différents modes de production entre filières EnR, conduisant à ce que le marché s'oriente naturellement vers les énergies renouvelables les moins chères.
Ensuite, la fiscalité du carbone a conduit à taxer davantage les énergies fossiles. Certains secteurs, comme l'agriculture ou la pisciculture, ont toutefois été exclus de l'application de cette nouvelle taxation du carbone, compte tenu de la concurrence des autres États et de la nécessité de les soutenir. Mais la Suède a décidé de supprimer progressivement toutes les exonérations partielles, à l'exception du diesel agricole.
En outre, depuis le 1er juillet 2018, la Suède a introduit un « taux d'obligation de réduction de l'empreinte carbone des carburants ». Le principe repose sur le fait que les carburants vendus dans les stations doivent avoir, pour l'essence, des émissions inférieures de 2,6 % à celles de l'essence pure et, pour le diesel, de 19,3 %. Ces taux évolueront dans le temps avec pour objectif de réduire l'empreinte carbone des carburants routiers de 40 % en 2030.
Les décisions prises en termes de fiscalité écologique tiennent également compte du territoire très vaste de la Suède, afin d'éviter de contribuer à une trop grande fracture entre les populations.
L'incitation à faire « les bons choix » pour l'environnement conduit par exemple la Suède à instaurer un nouvel impôt sur les sacs en plastique, à augmenter la taxe sur les produits chimiques contenus dans les appareils électroniques, ou encore à disposer depuis de nombreuses années d'un dispositif de consigne des matériaux recyclables tels que les bouteilles en plastique, les canettes en aluminium, etc.
En Suède, la très forte hausse des taxes environnementales s'est accompagnée d'une importante baisse de l'impôt sur le revenu, avec une hausse du seuil d'imposition et de l'abattement fiscal de base, afin d'éviter d'augmenter la pression fiscale sur les ménages et donc de permettre l'acceptation de cette nouvelle imposition à vocation incitative. La réforme fiscale verte réalisée au début des années 2000 en Suède a été neutre d'un point de vue budgétaire.
Il convient aussi de noter que la taxe énergie applicable aux carburants aurait aussi baissé proportionnellement pour accompagner la hausse de la taxe carbone. De même, cette dernière n'a eu qu'un impact limité sur le coût du chauffage pour les ménages, compte tenu des aides accordées pour changer les chaudières au fuel et du déploiement du chauffage urbain, les centrales de cogénération ayant transformé leur mode de production en recourant à la biomasse-bois.
D'après les informations qui nous ont été fournies, les recettes issues des taxes environnementales ne sont, pour l'essentiel, pas spécifiquement affectées à des « mesures vertes » au Danemark ou en Suède et vont au budget général de l'État.
Parallèlement à cette révolution fiscale, des aides ont été mises en place dans ces pays, notamment des primes pour enlever les chaudières en Suède, mais celles-ci ne sont désormais quasiment plus actives, notamment avec l'important déploiement du chauffage urbain.
Au Danemark, plusieurs exemples d'aides aux ménages nous ont également été donnés : changement de système de chauffage au fuel, aide et incitation fiscale pour une meilleure isolation et l'installation de panneaux solaires...
Surtout, le secteur industriel a vu comme une opportunité ce développement des énergies renouvelables et le changement de comportement demandé aux ménages et aux entreprises. Des sociétés comme Ørsted ont su faire le « grand virage » alors qu'elles étaient en difficulté, par le développement de l'éolien offshore et la biomasse.
Au Danemark, il n'existe plus de prix garanti de l'énergie et désormais, les énergies renouvelables sont moins chères que les énergies conventionnelles.
La question du développement de l'éolien offshore se pose toutefois, y compris en Suède ou en France.
M. Vincent Éblé, président. - Du point de vue des questions bancaires ensuite, nous étions globalement dans trois pays très digitalisés, ayant développé de nombreux services numériques pour répondre à la demande de leurs populations. Du point de vue des services financiers, plus de 80 % des Danois ont recours à une banque en ligne, tandis qu'en France l'on dépasse à peine 60 % et la moyenne européenne un peu plus de 50 %.
Cela a conduit à une adaptation du système bancaire, à s'assurer de la sécurisation des opérations financières réalisées mais aussi à les rendre plus rapides et efficaces (transactions les week-ends, transferts de crédit dans la journée, paiements assurés en 1,5 seconde...). Il a également fallu adapter le système au développement des solutions de paiement en « peer to peer ».
En Suède notamment, les Fintech sont très développées, avec 12 % des Fintech européennes en 2017 implantées à Stockholm.
Par ailleurs, l'évolution des moyens de paiement utilisés par les ménages a été très largement abordée dans les deux pays, avec seulement 13 % des opérations de paiement réalisées en espèces en Suède et 23 % au Danemark en 2017, tandis que le paiement en espèces représentait encore 68 % des transactions en France et 80 % en Allemagne. Certes, l'usage du « cash » varie encore en fonction des générations, les 15-29 ans au Danemark utilisant les espèces pour moins d'une transaction sur dix, tandis qu'elles représentent encore près de 40 % de celles des 70 à 79 ans.
En Suède, seul 1,2 % du PIB correspond à de la monnaie fiduciaire en circulation (contre par exemple 11 % du PIB en Italie) et chaque citoyen exécute environ 500 paiements électroniques par an, ce qui place cet État en tête sur ces deux plans au niveau mondial.
Les questions de la dématérialisation des paiements et de la politique du « zéro cash » sont donc très avancées dans ces deux pays, avec le développement également depuis plusieurs années des paiements mobiles et du paiement sans contact qui est possible jusqu'à 50 euros au Danemark, contre 30 euros en France.
Les paiements par carte ont aussi été facilités avec des solutions comme celles offertes par la « licorne » IZettle dont nous avons rencontré deux dirigeants et qui vient d'être rachetée par Paypal. Ses lecteurs de carte, et dont les logiciels permettent aussi de gérer les stocks par exemple, sont principalement destinés aux PME.
L'un de nos interlocuteurs a considéré que les solutions mobiles ne seraient plus utilisées dans les prochaines années, compte tenu du manque d'autonomie des batteries des téléphones qui empêche de garantir une pleine fiabilité. Il a même considéré que l'avenir serait les dispositifs biométriques, avec reconnaissance faciale, en affirmant qu'il « suffirait alors de s'utiliser soi-même pour payer » !
La question de la « désertification bancaire » est également posée dans ces États, avec notamment au Danemark une réflexion de la Danske Bank pour revenir sur leur politique offensive de fermeture des agences, avec un objectif de visibilité vis-à-vis de leur clientèle, de service rendu aux usagers pour assurer leur image, et même si ce n'est pas rentable.
Afin d'assurer une couverture correcte en termes de distributeurs de billets, les banques essaient de s'organiser pour mutualiser les distributeurs. En Suède toutefois, le nombre de distributeurs n'aurait pas diminué au cours des douze dernières années selon la fédération bancaire, tandis que le nombre d'utilisateurs se serait réduit de deux tiers.
Les institutions que nous avons rencontrées étaient globalement enthousiastes face à cette évolution de la diminution des espèces et au développement des solutions digitales. Elles ne semblaient toutefois pas mieux que nous disposer des solutions adaptées pour répondre aux besoins des populations les plus âgées ou les plus vulnérables. La Danske Bank nous a ainsi parlé de dispositifs d'aide à l'utilisation du numérique, avec des éducateurs, la distribution de manuels, etc.
Il convient toutefois de noter que le problème de l'accès aux services bancaires se pose différemment dès lors que l'usage des services internet est très largement développé parmi toutes les générations. Au Danemark, par exemple, la banque centrale nous a indiqué que d'après leurs statistiques nationales, plus de 90 % des personnes ayant entre 65 et 74 ans avaient recours à des services de banque en ligne et près de 80 % de celles ayant entre 75 et 89 ans ! Le taux de pénétration de ces solutions est donc élevé.
Au Danemark davantage qu'en Suède, où les commerçants peuvent refuser les espèces, plusieurs de nos interlocuteurs ont toutefois concédé la nécessité de maintenir des solutions alternatives, y compris pour les touristes qui n'ont pas nécessairement accès à une application mobile ou encore ceux qui n'auraient plus de batterie sur leur portable. Mais cela ne constitue pas vraiment une difficulté selon eux.
En revanche, des réflexions sont menées pour sécuriser le système en cas de panne d'électricité, d'attaque ou de guerre.
Le Danemark s'est également doté d'un Conseil des paiements, le Danish Payments Council, comprenant des représentants de tous les services et administrations et présidé par un membre de la banque centrale. Il s'est ainsi intéressé à l'évolution de l'usage des espèces, avec la constitution d'un groupe de travail comprenant à la fois des membres du conseil et des représentants de la population « senior », des personnes en situation de handicap et des groupes socialement les plus vulnérables ainsi que des experts.
D'après nos interlocuteurs, ni le Danemark ni la Suède ne recherche vraiment le « zéro cash », mais les institutions accompagnent cette évolution tandis que les commerçants préfèrent naturellement les solutions digitales, moins coûteuses que les espèces.
Le gouverneur de la banque centrale de Suède nous a également présenté son projet de « e-couronne suédoise ».Il estime que cette évolution est nécessaire afin d'assurer un bon fonctionnement du système monétaire. On a ressenti un certain scepticisme sur ce projet en discutant avec d'autres interlocuteurs, il nous a été indiqué que les échanges étaient très animés au Parlement sur le sujet.
Au Danemark, la banque centrale considère qu'une monnaie virtuelle est inutile et que le système bancaire est suffisamment solide. Ce qui est essentiel est de disposer d'une bonne infrastructure et de convaincre les banques des évolutions nécessaires.
S'agissant plus globalement du secteur bancaire, les établissements bancaires sont généralement assez hostiles au fait de partager les risques, ils ne souhaitent pas payer pour les autres.
Le déplacement au Danemark et en Suède a également été l'occasion d'aborder deux problématiques à la marge.
En premier lieu, la question du consentement à l'impôt, par opposition au « ras le bol fiscal » et aux critiques parfois formulées sur la dépense publique en France. En effet, la Suède est connue comme ayant un haut niveau d'imposition des ménages et le Danemark aussi pour son niveau de dépenses publiques, avec un fort niveau d'acceptation de la part de la population et une satisfaction globale de l'usage qui est fait des recettes fiscales.
Ce consentement à l'impôt provient notamment du fait que le système fiscal est conçu pour être lisible et simple. À l'heure actuelle, la Suède souhaite proposer une nouvelle réforme afin de retrouver un équilibre plus satisfaisant, considérant qu'il existe trop d'exonérations et de réductions. Cela contribue certainement à cette acceptation de l'impôt.
En second lieu, l'on a pu aborder la question de l'organisation des services de l'État, en s'intéressant à leur système d'agences. Ainsi l'agence des impôts, qui recouvre tous les impôts suédois, serait l'agence la plus appréciée des citoyens, notamment pour l'aide apportée, les services fournis... Elle compte 10 000 employés tandis que le ministère regroupe 60 personnes.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le déplacement s'est enfin achevé à Tallinn en Estonie pour aborder la question de la numérisation de l'État et la dématérialisation des services publics.
L'Estonie est désormais connue en tant qu'« État numérique », avec une carte d'identité virtuelle, obligatoire pour tous les citoyens, permettant d'accéder à l'ensemble des données d'un individu et de réaliser la quasi-totalité des actes administratifs, y compris la déclaration et le paiement des impôts, les demandes de prestations...
L'identification sécurisée est assurée par l'État, à partir d'un téléphone mobile. L'identification virtuelle permet d'accéder à un portail qui recense toutes les données qui sont stockées dans d'autres fichiers et récupérées par un système développé par l'État estonien, le « X road ».
Par ce portail, l'on peut ainsi accéder à l'ensemble des données, publiques ou privées, d'un citoyen, comme son permis de conduire, sa carte d'identité et d'électeur, ses données bancaires, les informations relatives à sa santé, notamment les opérations subies, les médicaments prescrits par ordonnance électronique...
Toute démarche administrative est réalisable en ligne sauf le mariage, le divorce et l'achat/la vente d'un bien immobilier.
Avec le programme « e-residency », tout entrepreneur dans le monde peut également demander à avoir une carte d'identité estonienne pour y développer une activité. Il peut alors utiliser les services numériques offerts par l'État estonien pour créer son entreprise ou sa filiale et accéder au marché européen. Le dispositif compte actuellement 55 000 e-résidents dont 2 000 Français. L'on ne peut exclure que des raisons fiscales, même si c'est surtout la simplicité des démarches administratives qui sont mises en avant. L'Estonie souhaite ainsi pouvoir attirer de l'activité économique et des investisseurs.
Conscient des risques de « cyber attaques » mais aussi d'un bug majeur susceptible d'empêcher un jour l'accès aux données, le gouvernement a prévu de stocker également une copie de ces données en dehors des frontières estoniennes, créant à cet effet une « ambassade numérique » qui se situe au Luxembourg.
Il est également possible de surveiller qui a eu accès aux données et de demander des explications voire de contester la procédure en cas d'abus.
Dès lors, les citoyens apprécient la facilité offerte par ce portail de l'« e Estonie » et ont, comme en Suède par exemple, un haut niveau d'acceptation de transparence vis-à-vis de leur vie privée et d'éléments personnels, y compris sur leur niveau d'imposition.
Peut-être avez-vous entendu que l'Estonie va encore plus loin désormais puisque l'État propose même aux citoyens de « prélever » et « ficher » leur ADN, les génomes numérisés ayant vocation à permettre le développement de la médecine prédictive.
De même, la presse française s'est fait récemment écho du fait que désormais, le jugement des délits mineurs, c'est-à-dire concernant des faits ayant entraîné des dommages de moins de 7 000 euros, pourrait être confié à une intelligence artificielle en Estonie.
En conclusion, le Danemark et la Suède paraissent disposer d'un système fiscal plus lisible et simple que celui de la France. La politique environnementale qu'ils ont lancée il y a de nombreuses années n'a pas été perçue comme punitive, mais au contraire, comme la concrétisation de convictions fortes de la nécessité de modifier les comportements. De même, la fiscalité écologique et énergétique n'est pas vécue comme une imposition supplémentaire destinée à « faire du rendement », mais comme une forme d'incitation au changement.
Les choix opérés par ces deux États ne peuvent constituer des modèles qui pourraient être littéralement calqués pour la France, compte tenu de nos différences notamment concernant la taille des pays, la culture... Mais ils correspondent à des exemples concrets de réussite qui peuvent nous inspirer, avec des États qui ont su se réformer pour redonner du souffle à leur économie alors en difficulté.
L'exemple de l'« État numérique » en Estonie fait quant à lui l'objet d'une très forte communication vers l'extérieur. Le voir concrètement mis en oeuvre a permis de percevoir à la fois les atouts mais aussi les faiblesses voire les risques majeurs d'un « tout numérique » centralisé, notamment au regard des libertés publiques et de la sécurité.
Ce déplacement nous a permis de creuser des sujets qui seront à n'en pas douter au coeur des prochains projets de lois de finances, notamment la fiscalité écologique et énergétique.
M. Claude Nougein. - Il est toujours intéressant de disposer de comparaisons entre différents pays européens. Le cas de l'Estonie est relativement à part dans la mesure où le pays a été confronté plus récemment à une révolution à la fois politique et culturelle. Je souhaite plutôt évoquer les pays nordiques et en particulier la Suède, qui a été un pays modèle pour beaucoup de Français et l'exemple de ce qu'on a longtemps appelé la sociale-démocratie.
Actuellement, la Suède traverse comme la France une période de transition écologique, qu'elle a réussi à mener à bien dans sa dimension idéologique, ce que nous ne sommes pas encore parvenu à faire. J'aurais voulu savoir quels avaient été les moteurs de cette évolution.
Beaucoup de Français sont attachés à notre niveau élevé de fiscalité. Comment cette évolution a-t-elle pu avoir lieu en Suède, qui est également un pays très fiscalisé ? Les Suédois ont compris que moins d'impôts créaient de la richesse, de la croissance et des emplois.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les pays que nous avons visités sont des pays qui restent extrêmement fiscalisés, le Danemark étant juste derrière la France en ce qui concerne le niveau d'imposition. Cependant, il y a une différence notable : l'impôt sur le revenu y est certes élevé et progressif, mais les choix posés en matière de fiscalité sont favorables à l'activité économique. Ces pays considèrent qu'ils sont de petits pays et donc fortement dépendants des exportations. Ce n'est pas le marché intérieur danois ou suédois qui pourra faire vivre les entreprises. Ils ont une industrie technologiquement très avancée et des leaders mondiaux dans certains secteurs.
Si l'on veut continuer à soutenir l'économie, il faut d'abord faire des choix qui soient favorables aux entreprises comme cela est le cas dans ces pays, que ce soit sur le capital ou les transmissions. En Suède, le taux d'imposition sur les sociétés est en baisse régulière et est désormais proche de 21 %. Les particuliers sont en revanche fortement imposés mais cette fiscalité est cependant bien acceptée.
Il convient aussi de relever qu'il n'y a pas de fonctionnaires dans les agences en Suède. Les Suédois ont bien compris que leur salut venait du monde de l'entreprise et de leur capacité à exporter et que si l'on imposait trop les entreprises, elles ne seraient plus concurrentielles.
De plus, en Suède, des grandes entreprises appartiennent à des fondations, ce qui permet notamment de se prémunir contre des changements d'actionnaires et d'éviter les offres publiques d'achat (OPA). Ces fondations reversent leurs profits à des oeuvres d'intérêt général, soutenant ainsi l'éducation, la recherche, la culture etc. Il s'agit d'un modèle tout à fait différent de la France.
M. Vincent Éblé, président. - J'ajouterais que la différence avec la France vient également de l'acceptation de la fiscalité malgré son niveau très élevé. Cette acceptation vient d'un double facteur. D'un part, il n'y pas de « maquis » fiscal, avec des impôts plus simples à comprendre. D'autre part, ces pays ont fait un effort considérable, sans doute bien plus important que la France, sur la justification et la transparence de la dépense publique. D'un côté, on sait qui paie et comment ; d'un autre, on sait à quoi l'impôt sert.
M. Éric Bocquet. - Le Président Éblé a évoqué la première banque danoise, la Danske Bank qui a fait parler d'elle ces derniers temps pour des affaires de blanchiment. Il y a eu des enquêtes au Danemark, aux États-Unis et en Estonie, et même en France. Ce sujet a-t-il été évoqué lors de vos échanges ?
M. Vincent Éblé, président. - Ce sujet a évidemment été évoqué. Nos interlocuteurs n'ont pas été particulièrement prolixes en réponse à nos questions mais ils ont bien reconnu la difficulté et nous ont indiqué qu'une refonte globale de leurs dispositifs de contrôle interne était en cours afin qu'une affaire de cette nature ne puisse pas se reproduire. Il faudra voir quelles réformes ont effectivement été conduites.
M. Claude Raynal. - Après cet exposé complet de notre déplacement, je souhaite insister sur un point qui m'a particulièrement intéressé, à savoir l'évolution des moyens de paiement et la disparition des espèces. Notre rencontre avec les gouverneurs de la banque centrale au Danemark et en Suède me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'un sujet moins évident qu'il n'y parait. Certes, on a de moins en moins recours aux espèces, mais l'idée de « zéro cash » me semble relever plutôt du slogan que de la réalité.
En effet, ces pays disposent, en cas de panne électrique ou de difficultés informatiques, de réserves monétaires permettant d'alimenter le marché en urgence. Ainsi, s'il y a bien diminution de la monnaie fiduciaire en circulation, il existe malgré cela des réserves considérables ayant vocation à être distribuées dans la journée en cas de difficulté.
Par ailleurs, les commerces n'ont pas l'obligation légale d'accepter les espèces. Une épicerie peut en effet vous refuser ce mode de règlement. Il me semble que cette évolution n'est pas souhaitable en France.
Enfin, concernant le « tout numérique » en Estonie, je ne trouve pas très rassurant qu'un très grand nombre d'informations concernant chaque citoyen soit ainsi regroupé alors que l'on sait la capacité des hackers à pénétrer les systèmes d'information.
M. Vincent Éblé, président. - Outre les hackers, il faut aussi penser aux régimes totalitaires, que l'Estonie a connus au cours de périodes récentes. Si un régime totalitaire venait de nouveau au pouvoir dans ce pays, le « tout numérique » pourrait constituer un outil de contrôle des populations d'une très grande puissance. D'un « clic », les gouvernants pourraient accéder à des bases dans lesquelles toutes les informations sur la vie de chaque citoyen sont centralisées. Cela a de quoi faire peur.
M. Jean-Claude Requier. - Concernant l'acceptation de l'impôt par les citoyens, je pense qu'il est indispensable que tout le monde paie l'impôt, comme ma famille politique l'a toujours soutenu. J'apprécie de voir des pays dans lesquels on perçoit l'impôt de manière positive et non pas négative.
Par ailleurs, la disparition du paiement en espèces signifie également celle du travail non déclaré et pourrait constituer une perspective intéressante.
M. Bernard Delcros. - Je souhaite revenir sur la question du consentement et du consensus autour de l'impôt. Ces pays montrent qu'il est important d'avoir des critères simples et une grande transparence sur les impôts. En outre, aucun parti politique ne fait du niveau d'imposition un enjeu politique lors des élections dans ces États. Il existe bel et bien un consensus sur la nécessité de payer des impôts.
M. Jean-François Husson. - Je pense qu'il faut également prendre en compte le fait qu'il s'agit de petits pays en termes de population, avec un peu plus de 5 millions et demi d'habitants au Danemark et un peu plus de 10 millions d'habitants en Suède. Ils ont su adopter une stratégie plus audacieuse que la France dans certains domaines, notamment dans l'évolution des moyens de paiement et la transition écologique, en avançant toujours dans la recherche d'un consensus. En Estonie, les dirigeants ont choisi de s'orienter vers une société numérique après d'importants changements politiques.
Sur la question de la transition écologique, le modèle suédois démontre ce que nous disons depuis longtemps au Sénat : les réformes prennent du temps. Ils récoltent actuellement le fruit de mesures prises il y a de nombreuses années et qui ont fait l'objet d'une réelle acceptation par la société. On nous a bien fait comprendre qu'il fallait du temps et de la pédagogie. Il a aussi fallu un jeu de compensation : quand il y a eu une hausse de la fiscalité verte, il y a aussi eu une baisse de la fiscalité des ménages pour rester à un même niveau de prélèvements.
La réunion est close à 10 h 30.
- Présidence de M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 10 h 40.
Audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de M. Éric Lombard directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons ce matin M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
C'est un plaisir tout particulier de vous recevoir, monsieur Lombard, car c'est la première fois que la commission des finances et la commission des affaires économiques vous entendent depuis que vous avez pris vos fonctions de directeur général en novembre 2017.
Alors que la Caisse des dépôts est placée sous la « surveillance spéciale » du Parlement, il apparaît tout à fait utile que vous puissiez nous faire part de vos réalisations depuis votre arrivée à la tête de cette institution, et des perspectives qui s'offrent à elle.
En moins de deux ans, vous avez engagé des chantiers de grande ampleur, tels que la création de la Banque des territoires, ou encore la constitution d'un grand « pôle financier public » grâce au rapprochement entre la Caisse des dépôts et la Banque Postale.
La Caisse des dépôts elle-même connaît des changements significatifs, notamment avec la loi « Pacte », récemment promulguée, qui modifie en partie la gouvernance de votre institution en faisant évoluer les prérogatives de la commission de surveillance. Deux membres de la commission des finances, Jérôme Bascher et Claude Raynal, y représentent d'ailleurs le Sénat.
Au début de votre mandat, vous aviez indiqué vouloir rationaliser les participations financières de la Caisse des dépôts et procéder à des ajustements de son organisation. Vous nous donnerez votre appréciation des évolutions réalisées en la matière et des prochains changements à venir.
Il me semblerait utile d'avoir des éclaircissements sur deux points qui intéressent la commission des finances. Le premier concerne les résultats financiers de la Caisse des dépôts pour 2018. Vous nous en rappellerez certainement les principaux éléments, mais pouvez-vous nous expliquer pourquoi la contribution du groupe au budget de l'État était moindre en 2018 qu'en 2017, soit 1,6 milliard d'euros contre 1,9 milliard d'euros ? Compte tenu des nouvelles modalités de calcul du « dividende » versé chaque année à l'État prévues par la loi Pacte, ne craignez-vous pas une hausse importante de cette contribution l'an prochain ?
Le second point concerne le nouvel engagement écologique et social de la Caisse des dépôts. Cette dernière a levé la semaine dernière 500 millions d'euros d'obligations « durables », dont 90 % visent à financer des projets dits « verts » et 10 % à financer des projets « sociaux ». Vous nous direz en quoi ces obligations sont différentes des « green bonds » émis en 2017. Par ailleurs, les deux tiers des investissements devraient concerner des projets immobiliers. Comment leurs impacts environnementaux et sociaux sont-ils évalués ? Comment justifiez-vous le succès de cette première émission en dépit du taux de rendement négatif proposé ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, vous le savez, les liens entre le Parlement et la Caisse des dépôts sont étroits et anciens. En venant échanger avec nous aujourd'hui, vous vous inscrivez dans une relation de confiance et de collaboration de plus de deux cents ans. « Une histoire qui dure », donc !
Nous sommes tous, ou avons été, élus locaux. Nous savons donc combien la Caisse est un partenaire majeur dans le financement des services publics de proximité comme les écoles, les hôpitaux et les logements sociaux. Votre action est en effet un outil essentiel dans le financement des infrastructures du quotidien et vous donne une présence à chaque étape de la vie de nos citoyens, de la crèche à la retraite.
Les récentes années, voire les derniers mois, ont été riches à la fois de législations qui concernent ces domaines, et de projets portés par votre institution. Du point de vue du Parlement, je pense notamment à la loi ELAN et à la loi Pacte. En parallèle, vous avez lancé des initiatives comme la Banque des territoires, qui devrait renforcer encore les liens entre les collectivités et la Caisse, ou de nouveaux fonds de prêts pour les PME, qui portent à près de 3 milliards d'euros votre engagement dans la création et le développement de ces entreprises. La Caisse est également un partenaire majeur du programme Action coeur de ville.
Par ailleurs, la loi Pacte nous rapproche encore. Nous serons en effet amenés à interagir encore plus fréquemment, puisqu'elle prévoit la présence d'un membre de la commission des affaires économiques du Sénat au sein du conseil de surveillance, aux côtés de celui déjà désigné par nos collègues de la commission des finances.
La commission des affaires économiques a naturellement un intérêt tout particulier pour les questions de financement de l'économie et du logement social. Nos collègues auront de nombreuses questions à vous poser au cours de cet échange, tant l'empire de la Caisse des dépôts est vaste. Les sujets d'intérêt et d'actualité ne manquent pas.
Nous devrions ainsi aborder les enjeux du logement social et de l'urbanisme en général, du financement des PME, de l'innovation, de l'énergie, du tourisme.
Pour ma part, monsieur le directeur général, j'aurais un vif intérêt à ce que vous développiez les actions de la Caisse qui concernent la restructuration des bailleurs sociaux, le programme Action coeur de ville et, évidemment, les opérations en cours autour de La Poste.
Au-delà de ces projets actuels, votre projet affiche une ambition forte : celle de dépenser dans les territoires 20 milliards d'euros par an pendant cinq ans. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir convié à m'exprimer devant vos commissions réunies. C'est avec grand plaisir que j'inaugure ce nouveau format introduit par la loi Pacte.
À bien des égards, cette loi va d'ailleurs contribuer à la modernisation et au développement de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle ouvre bien sûr la voie au rapprochement avec La Poste, mais elle porte surtout une réforme importante de notre gouvernance. Le texte a pu évoluer au cours du débat parlementaire, notamment grâce aux apports du Sénat, et je me félicite du travail que nous avons mené ensemble.
La loi Pacte préserve les spécificités du statut de la CDC en maintenant le caractère public de l'établissement, qui reste placé sous la surveillance la plus spéciale du Parlement, tout en modernisant sa gouvernance ; les prérogatives de la Commission de surveillance sont renforcées, afin de rapprocher son fonctionnement des meilleurs standards de la gouvernance d'autres institutions financières.
D'abord, la loi Pacte modernise la composition de la commission de surveillance. Le rôle central du Parlement est considérablement renforcé. À compter de 2020, la future Commission de surveillance sera composée de seize membres, dont cinq parlementaires : trois députés - deux membres de la commission des finances, un membre de la commission des affaires économiques - et deux sénateurs - un membre de la commission des finances, un membre de la commission des affaires économiques. Trois personnalités qualifiées seront également nommées par le président de l'Assemblée nationale, et deux le seront par le président de votre Haute Assemblée. Autre évolution importante : deux salariés en seront également membres.
Surtout, la commission de surveillance devient un véritable organe délibérant. Elle se prononcera, demain, sur les orientations stratégiques, adoptera le budget, déterminera le niveau d'appétence au risque, le niveau de fonds propres et le besoin de liquidités, sur la base d'un modèle prudentiel qu'elle déterminera.
Dernier élément de modernisation : la supervision de la CDC sera désormais confiée à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l'ACPR. La préparation de notre établissement à cette évolution constitue d'ailleurs l'un des grands chantiers de cette année 2019.
Je suis convaincu que ces réformes étaient nécessaires. Conjuguées aux transformations internes menées depuis un an et demi, elles permettront d'améliorer l'efficacité et la lisibilité de l'action de la CDC. Cette action, comme je m'y étais engagé lors de ma nomination, je la veux résolument dirigée vers les territoires. Car, plus que jamais, la lutte contre les fractures territoriales et sociales est une priorité pour la Caisse des dépôts.
Pour mener cette action, nous nous appuyons bien sûr sur les résultats du groupe, et ceux de 2018, que nous avons rendus publics en avril, sont bons.
Le bilan agrégé de la CDC, qui additionne celui de la section générale et celui du fonds d'épargne, s'élève à un peu plus de 430 milliards d'euros d'engagement. Nos fonds propres sont stables par rapport à 2017, soit 48 milliards d'euros dont 12 milliards d'euros au titre du fonds d'épargne et 36 milliards d'euros au titre de la section générale. Les résultats agrégés de 2018 s'élèvent à 3,3 milliards d'euros, dont respectivement 1,8 milliard d'euros pour la section générale et 1,7 milliard d'euros pour le fonds d'épargne. En dépit d'évolutions liées à des facteurs exceptionnels, dont l'impact est relativement limité, nos résultats pour 2018 sont donc stables par rapport à 2017.
L'une des conséquences de ces bons résultats est une nouvelle contribution importante de la CDC au budget de l'État puisque 1,6 milliard d'euros ont été versés au titre de 2018. Cette contribution est en baisse par rapport à 2017, monsieur le président, en raison notamment de plus-values exceptionnelles en 2017. À l'occasion du bicentenaire de la CDC, un accord avec le pouvoir exécutif avait été trouvé pour céder certains actifs, tels que la participation de la CDC à la Sanef.
Sur la question des nouvelles règles de fixation de cette contribution, la loi Pacte prévoit que le ministre de l'économie propose, après avis de la commission de surveillance, un montant. Jusqu'à présent, le ministre propose que la moitié des résultats consolidés de la section générale soit versée à l'État. Nous allons essayer de maintenir ce cap, mais la CDC reste sensible à l'évolution des marchés financiers.
Dans les prochaines années, si l'environnement économique nous le permet, nous ambitionnons de maintenir cette contribution autour de 1,7 milliard d'euros, tout en étant plus ambitieux pour les territoires. De 2019 à 2023, nous souhaitons en effet investir 100 milliards d'euros : 75 milliards d'euros de prêts sur fonds d'épargne et 25,9 milliards d'euros d'investissements sur nos fonds propres.
En 2018, nous avons également mené une réorganisation ambitieuse de la CDC autour de cinq métiers, afin de rendre notre action plus lisible. Cela me permet de vous présenter aujourd'hui la contribution de chacun de ces métiers à nos résultats.
Notre activité de gestion d'actifs a réalisé un résultat agrégé de 1,267 milliards d'euros en dépit d'un contexte boursier volatil. L'encours d'actifs en gestion est de 154,6 milliards d'euros, en hausse de 4 milliards d'euros. Cet encours dépasse actuellement 170 milliards d'euros. Ces résultats permettent à la fois de financer l'économie réelle et de dégager la rentabilité nécessaire pour financer les activités d'intérêt général de la CDC. Par ailleurs, l'empreinte carbone de notre encours a été réduite de près de 50 % sur les quatre dernières années. Nous poursuivrons nos efforts dans cette voie.
La gestion des participations stratégiques, qui regroupe l'ensemble des participations dans nos filiales, contribue au résultat 2018 à hauteur de 900 millions d'euros, notamment grâce aux excellents résultats de CNP Assurances, de La Poste ou d'Icade.
Notre troisième métier, le soutien aux entreprises, avec Bpifrance, a réalisé cette année un résultat d'un milliard d'euros. Cette dynamique reflète le développement commercial de Bpifrance, notamment en faveur du soutien aux entreprises en région. Ce très bon résultat se traduit dans nos comptes par une contribution de 333 millions d'euros.
La direction des retraites et des solidarités ne contribue pas au résultat de la CDC. Ce n'est pas son rôle. Ses équipes, les plus nombreuses de l'établissement public, travaillent pour le compte de leurs mandants, qu'il s'agisse de l'État ou de régimes de retraite. L'activité de cette direction a été très soutenue l'an passé, avec notamment la mise en place du compte personnel de formation, le CPF, sur laquelle je reviendrai. De gros investissements ont été réalisés pour optimiser les prestations de services de ces métiers qui constituent une véritable expertise du groupe CDC.
Dernier métier : la Banque des territoires (BDT). Le 6 juin dernier, nous avons fêté avec Olivier Sichel le premier anniversaire de cette marque qui regroupe l'ensemble de nos activités au service des territoires. Je rappelle que la BDT propose à ses clients, élus, professions juridiques et organismes de logement social, du conseil et des crédits d'ingénierie, des prêts, des investissements en capital pour financer des projets. La BDT met également à disposition les capacités de son opérateur CDC-Habitat, qui gère plus de 500 000 logements.
Cette première année d'exercice a été une réussite, en tout cas en termes de niveau d'activité. En 2018, la Banque des territoires a réalisé un résultat agrégé légèrement supérieur à un milliard d'euros. Ces moyens, nous les mettons au service des territoires, avec par exemple en 2018 : 769 millions d'euros d'investissements locaux ; 12,8 milliards d'euros de prêts en faveur du logement social et des collectivités locales ; 17 millions d'euros de crédit d'ingénierie pour accompagner les collectivités dans leurs projets.
Au cours de sa première année d'existence, la Banque des territoires a aussi démontré sa capacité à répondre rapidement aux besoins des territoires et des élus. Je pense au Plan logement, sur lequel je reviendrai, mais aussi à l'« Aqua prêt », une enveloppe de 2 milliards d'euros de financements de très long terme en faveur du renouvellement des réseaux d'eau et d'assainissement.
Comme vous le constatez, ces résultats sont solides. Le modèle de la Caisse des dépôts est robuste, sain et vertueux : nos activités rentables, la gestion d'actifs et les participations, permettent de financer notre action d'accompagnement des politiques publiques en faveur de l'intérêt général et de la lutte contre les inégalités territoriales et sociales, au coeur de notre mandat.
En 2019, nous comptons poursuivre et approfondir cette dynamique en faveur des territoires. La Banque des territoires est naturellement au coeur de cette stratégie et intervient sur la plupart des chantiers que nous avons ouverts cette année. Elle joue en effet un rôle essentiel en appui des politiques publiques. Je pense notamment à trois grands programmes nationaux.
Le grand plan d'investissement (GPI), dont nous assurons une partie de la gestion en collaboration avec le Commissariat général à l'investissement, a permis d'investir 8 milliards d'euros et d'engager 1 520 projets en 2018.
Le plan « Action coeur de ville », initié par votre ancien collègue Jacques Mézard, s'est déjà concrétisé par la signature de 222 conventions avec les villes choisies. Dans le cadre de ce plan, nous participons à des actions de modernisation, de revitalisation, de retour des commerces en centre-ville, de rénovation de l'habitat social et de l'équipement public afin de redonner de l'attractivité à ces territoires où vivent 25 % de nos concitoyens.
Ce programme, qui part des territoires, est exemplaire dans sa méthode, et nous accompagnons cette démarche qui part du terrain. Le 11 décembre dernier à Poitiers, nous avons convié les 222 maires afin qu'ils puissent échanger sur les bonnes pratiques. De nombreux maires ont accepté d'animer des ateliers pour partager leur expérience comme Jean-François Copé, maire de Meaux et Nathalie Appéré, maire de Rennes.
Le programme le plus récent, « Territoires d'industrie » est tout aussi essentiel. La question de la réindustrialisation de notre pays est fondamentale, en matière de lutte contre le chômage mais aussi de rééquilibrage des territoires. Elle ne pourra passer que par des projets locaux, au plus proche des territoires et de leurs particularités, afin d'ancrer des bassins d'emploi. Dans ce programme, la Banque des territoires assume son rôle d'appui aux politiques publiques en prévoyant d'investir 100 millions d'euros par an. Pour cet appui aux politiques publiques, nous travaillerons demain en coordination étroite avec la future Agence nationale de la cohésion des territoires.
Cette année, nous comptons également amplifier notre effort d'investissement dans les territoires, avec plus de 820 millions d'euros d'investissements sur nos fonds propres. Notre engagement génère un effet de levier supérieur à sept et permet un soutien significatif à des secteurs comme les infrastructures numériques ou les énergies renouvelables.
Nous souhaitons aussi renforcer et rendre plus attractive notre offre de prêts en faveur des collectivités territoriales. J'ai évoqué l'« Aqua-prêt » lancé en 2018. Sur le même modèle, nous avons proposé à l'État de diversifier notre gamme de financements, pour répondre aux besoins croissants des collectivités, sur des maturités très longues. Le premier conseil de défense écologique a concrétisé cette proposition, puisque le Premier ministre a confirmé la mise en place prochaine de nouvelles enveloppes de 5 milliards d'euros de nouveaux prêts : l'« Édu-prêt », en faveur de l'investissement dans les bâtiments éducatifs ; le « Mobi-prêt », qui soutiendra les investissements dans les mobilités du quotidien ; l'extension de l'« Aqua-prêt » à une compétence coûteuse pour les collectivités, à savoir la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la Gemapi.
La Banque des territoires est aussi un acteur pivot du secteur du logement social, avec un encours de près de 150 milliards d'euros, qui représentent 290 000 prêts. Sur les trois dernières années, les financements au secteur s'élèvent en moyenne à 14 milliards d'euros par an.
Le logement social connaît de très profondes évolutions, que nous nous efforçons d'accompagner. Nous l'avons fait avec le premier Plan logement, lancé en avril 2018. Toutes les mesures de ce plan sont opérationnelles. Je pense notamment au dispositif d'allongement de dette auquel les organismes ont recouru massivement pour plus de 16 milliards d'euros, mais aussi au prêt de haut de bilan 2.0 pour renforcer leurs fonds propres.
Je sais que le Sénat a suivi très attentivement les travaux qui se sont tenus dans le cadre de la clause de revoyure. Vous avez pu constater que la BDT y a joué un rôle essentiel, notamment par les études que nous avons produites. Surtout, nous avons annoncé début mai le Plan logement 2. Nous avons d'abord voulu soutenir l'investissement des bailleurs avec des mesures massives : 4 milliards d'euros de nouveaux prêts à taux fixe et 1 milliard d'euros d'Eco-prêt supplémentaire. Pour apporter au secteur plus de visibilité et garantir sa solvabilité, nous allons également renforcer les quasi-fonds propres des bailleurs, grâce à la souscription de titres participatifs pour 800 millions d'euros.
Au total, les Plans logement 1 et 2 représentent près de 16 milliards d'euros. C'est un effort considérable. J'en profite pour vous redire mon attachement au modèle de financement du logement social sur fonds d'épargne, qui permet d'offrir à 17 % de nos concitoyens des logements abordables et le plus souvent de qualité. Ce modèle est unique en Europe et doit être préservé. Il a contribué à protéger le secteur des aléas de marché, des crises financières et des intérêts d'acteurs privés. Il permet en outre une tarification unique des prêts sur l'ensemble du territoire, avec des maturités très longues pouvant aller jusqu'à quatre-vingts ans avec le Plan logement 2.
Autre chantier de cette année, sans doute le plus structurant : le rapprochement avec La Poste que j'ai évoqué en introduction. Cette opération permettra la constitution d'un grand pôle financier public au service des territoires, dont le bilan sera supérieur à 1 000 milliards d'euros. Au-delà des chiffres, je voudrais revenir sur le sens que nous donnons à ce projet, qui doit profiter à la CNP, à La Poste, à la Caisse des dépôts, mais surtout à l'intérêt général.
Ce projet sera bénéfique pour CNP Assurances, qui est une grande compagnie, dont le modèle devait impérativement être conforté. CNP est confrontée à de nouveaux enjeux et cette opération renforcera son modèle d'affaires, dans la mesure où elle ne possède pas de réseau de distribution en propre. L'évolution de ses partenariats obligeait à repenser son modèle et notamment à renforcer son ancrage avec La Banque postale. Cette opération permet également de renforcer le lien avec le groupe BPCE, qui a décidé de rester un partenaire majeur de CNP jusqu'en 2030.
C'est évidemment un projet bénéfique pour La Poste, qui est confrontée à une érosion rapide des volumes de courrier. Sous l'impulsion de Philippe Wahl, elle opère une diversification très ambitieuse, en développant de nouveaux métiers. C'est dans ce contexte que nous avons souhaité constituer un pôle public de bancassurance, en apportant à la Banque postale les parts que détient la CDC dans CNP Assurances. Cette opération sera donc un élément clé de la transformation de La Poste, en renforçant son pôle de services financiers à destination du grand public.
Pour le groupe CDC, ce rapprochement préservera nos résultats et doit aussi nous permettre de gagner en force de frappe. Ainsi, le maillage territorial unique dont dispose La Poste, avec ses 17 000 points de contact, est utile à l'accomplissement des missions du groupe Caisse des dépôts, en cohérence avec la création de la Banque des territoires. Cette opération améliorera également la cohérence des outils publics de financement, au service des territoires et de nos concitoyens.
Surtout, j'ai la conviction que ce projet sert l'intérêt général. La Poste continuera à assurer ses missions de service public, mais nous allons aussi développer ensemble de nouveaux axes stratégiques, toujours dans l'objectif de lutter contre les fractures territoriales.
Je pense bien sûr aux maisons de services au public, qui sont la base des futures maisons « France service » annoncées par le Président de la République. Nous nous sommes engagés sur un plan pluriannuel d'investissement de 30 millions d'euros. Aux côtés du groupe La Poste, nous souhaitons garantir la qualité de service de ces structures et participer à la création des 500 nouvelles maisons « France service », notamment dans les territoires ruraux, afin de lutter contre l'enclavement et de veiller à l'accès de tous aux services publics. C'est pourquoi nous voulons également renforcer l'itinérance du dispositif, en constituant des équipes mobiles capables d'apporter le service directement au domicile des usagers.
Vous le voyez, les synergies entre La Poste et la CDC existent déjà et nous allons les développer et les renforcer. J'en citerai trois : la transformation numérique des territoires, puisque nous voulons poser les bases d'un pôle de souveraineté numérique et accompagner davantage la transformation numérique de l'État et des collectivités, je pense au projet Blockchain ; la ville intelligente, avec le développement d'une plateforme nationale pour structurer la logistique urbaine ; la « Silver économie » et les services à la personne, afin que la CDC et La Poste deviennent un acteur important au service du « bien vieillir ».
Si vous le souhaitez, je pourrais détailler plus précisément les modalités de cette opération lors de notre échange. Je voudrais simplement vous en indiquer les grandes étapes jusqu'à sa conclusion, dont nous espérons qu'elle interviendra début 2020. Nous sommes dans l'attente de la décision de l'Autorité des marchés financiers (AMF) auprès de laquelle la Banque Postale a déposé une demande de dérogation à une offre publique d'achat (OPA) sur CNP. L'opération devra ensuite être validée par la Commission de surveillance de la CDC et le conseil d'administration de La Poste, puis soumise à l'accord des différentes autorités de tutelle et de supervision : l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Banque centrale européenne (BCE). L'opération devrait aboutir au 1er trimestre 2020.
Pour conclure ce tour d'horizon des perspectives pour les prochains mois, je voudrais évoquer deux chantiers qui me tiennent particulièrement à coeur. Au-delà de la lutte contre les inégalités territoriales, il y aussi la lutte contre toutes les inégalités. En ce sens, le développement des activités de la direction des retraites et des solidarités est l'une de mes priorités.
Je pense d'abord à la mise en oeuvre du compte personnel de formation, dont le législateur a confié la gestion à la Caisse des dépôts et consignations, désormais exprimé en euros. Les bénéfices pour nos concitoyens seront très concrets : tout salarié ou demandeur d'emploi pourra, demain, réaliser sa démarche en ligne, pour la recherche d'une formation adaptée, de l'inscription jusqu'au paiement. Aujourd'hui, le taux de chômage des personnes non qualifiées est de 18 %, ce qui rend la formation professionnelle indispensable. Cette opération constitue un triple défi - technique, organisationnel et social. Nos équipes sont pleinement mobilisées et répondront dans les temps à ces défis. Nous avons d'ailleurs pu présenter à la ministre Muriel Pénicaud les avancées de la plateforme il y a quelques semaines.
Second chantier sur lequel nous sommes mobilisés depuis plusieurs mois : la future réforme des retraites. Je l'ai rappelé tout à l'heure, depuis plus de 70 ans, la CDC est un partenaire privilégié des employeurs publics. Nous gérons près de 4 millions de retraités, soit un retraité sur cinq. La CDC gère quatre des cinq régimes de retraite publics - la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec), la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) et le Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) - et coopère étroitement avec le service des retraites de l'État.
Forte de cette expérience, la CDC, qui gère des régimes par capitalisation et répartition, par annuité et par points, des régimes de base ou complémentaires, peut compter parmi les grands opérateurs de la future réforme. Par la diversité de nos savoir-faire et des régimes que nous gérons, je pense que nous sommes à même de devenir l'acteur référent d'un futur pôle public des retraites.
J'espère, au travers de ce bref tour d'horizon des multiples activités de la CDC, avoir pu vous montrer que nous mobilisons chaque jour nos forces pour servir l'intérêt général, au plus près des territoires.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Le Gouvernement a annoncé le transfert de la Société de financement local, la SFIL, banque publique participant au financement des collectivités territoriales, à la Caisse des dépôts. Or, le montant élevé de prêts structurés, 3,5 milliards d'euros environ, dans son bilan n'est pas sans rappeler les difficultés antérieures de Dexia. Pourriez-vous nous faire un point sur l'avancée des discussions sur ce transfert et sur la solvabilité de la SFIL ?
La Caisse des dépôts a annoncé la semaine dernière l'augmentation de 6 % à 8 % de sa participation au capital d'Euronext, devenant le premier actionnaire de l'opérateur boursier. Or, plusieurs agences de notation ont souligné le risque financier que constituerait l'achat de la bourse d'Oslo pour Euronext. Ne faudrait-il pas stabiliser l'endettement d'Euronext avant de se lancer dans de nouvelles opérations ?
Enfin, un rapport parlementaire préconise de « mettre la main » sur les dépôts de garantie des locataires. La CDC a-t-elle été associée à cette réflexion ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le directeur général, vous avez fait référence à l'accompagnement qu'accorde la Caisse des dépôts dans la restructuration du mouvement HLM et des bailleurs sociaux en détaillant les différents dispositifs. Pouvez-vous nous préciser les résultats des prêts à taux fixe et des prêts de haut de bilan bonifiés un an après leur lancement ?
L'offre Tonus de la Banque des territoires en zones tendues prévoit l'investissement en nue-propriété dans la construction de logements sociaux, dont les bailleurs seraient usufruitiers pendant une période de 15 à 20 ans. Quels bailleurs sont visés ? Souhaitez-vous par cette offre faire revenir les institutionnels dans le logement résidentiel ? Ce serait une bonne chose, mais vous n'ignorez pas que le mouvement HLM est particulièrement inquiet que le secteur privé détienne des logements sociaux.
Enfin, comment envisagez-vous de décliner l'initiative « smart-city » sur les technologies de la ville de demain dans le logement social ? Avez-vous noué un partenariat avec le logement HLM ? En effet, des projets incubés par des organismes de logements sociaux semblent particulièrement intéressants, comme la construction en matériaux biosourcés, que vous pourriez accompagner à une plus grande échelle.
M. Philippe Dallier. - Monsieur le directeur général, je salue le rôle joué par la CDC dans la clause de revoyure en éclairant le débat par les études qu'elle a pu fournir. Cela étant, les ressources ont été remplacées par des prêts, qui finiront par devoir être remboursés un jour, même au bout de 80 ans... Action Logement s'est également efforcée de trouver des solutions à moyen terme, mais après ?
La réforme du Gouvernement repose notamment sur la réorganisation des bailleurs sociaux. Cette réforme permettra-t-elle de réaliser des économies d'échelle qui pourraient être réaffectées à la construction ? Quel sera le rôle de la Caisse des dépôts dans cette phase de réorganisation ? Les économies d'échelle attendues seront-elles à la hauteur ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Les commerçants des centres-villes ont été victimes de préjudices économiques graves en marge du mouvement des Gilets jaunes. La Banque des territoires, présentée par le Gouvernement comme une réponse aux fractures sociales, est-elle intervenue, et comment ?
Quels sont selon vous les principaux obstacles à la mise en place d'un fonds national d'indemnisation des pertes d'exploitation occasionnées par ces manifestations ? Les communes, les régions, les chambres de commerce et d'industrie et les chambres des métiers et de l'artisanat ont participé localement à la mise en place de fonds d'indemnisation, mais pas l'État.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Comme mon collègue Dallier, je pense que la CDC, par ses études et sa défense du logement social, a joué un rôle important dans l'arbitrage de la clause de revoyure. À peine était-elle signée que le Gouvernement lançait une mission portant sur la diversification des sources de financement du secteur du logement social... Or, si les investisseurs institutionnels sont très utiles pour le logement intermédiaire, ils représentent une menace pour le logement social, remettant en cause la lucrativité quasi nulle du capital des logements sociaux. Cette mission évoque également un financement par d'autres prêteurs que la Caisse des dépôts et consignations, et s'interroge sur la capacité des fonds d'épargne à assurer les besoins de financement du logement social. Avez-vous été associé à cette réflexion ? Partagez-vous ce diagnostic ? Le principe structurant d'un financement du logement social assuré a minima à 50 % par la Caisse des dépôts pourrait-il être remis en cause ?
Pour conclure, je rappellerai que la spécificité du Livret A au regard de la réglementation européenne est adossée à sa mission prioritaire de financement du logement social.
M. Thierry Carcenac. - Merci pour votre explication sur le pôle financier public, et notamment sur les liens que vous êtes en train de mettre en place avec la Banque Postale. Je souhaite vous interroger sur les fonds propres et les maisons de services au public, qu'on appellera désormais les maisons « France service ». Vous avez annoncé le déblocage de 30 millions d'euros de vos fonds propres pour l'aménagement du territoire. La Poste a également annoncé sa participation. Quid de la transformation numérique ? La CDC a beaucoup fait par le passé pour l'accompagnement des personnes âgées dans les territoires ruraux ou dans le cadre de la politique de la ville. La Poste dispose aussi du fonds de présence territoriale qu'elle pourrait mobiliser en ce sens.
M. Roland Courteau. - Vous financez des projets bas carbone, la production d'énergies renouvelables, les économies d'énergie. Pouvez-vous détailler vos actions ? Le parc des bâtiments publics des collectivités territoriales représente des millions de mètres carrés, notamment dans les bâtiments d'enseignement, et la plupart de ces bâtiments sont anciens et mal isolés. Il y a là de colossales économies d'énergie à réaliser. Avec le plan d'investissement, vous avez dégagé une enveloppe spécifique pour réduire l'empreinte énergétique des bâtiments publics et accompagner les collectivités territoriales dans leurs projets de rénovation. Pour quel montant exactement ? Pouvez-vous faire un point d'étape sur la mise en place de ce plan ?
L'action coeur de ville représente effectivement un effort important en matière d'ingénierie et de financement. Ne se fait-elle pas au détriment des petites villes, celles qui comptent moins de 10 000 habitants ?
Comment envisagez-vous l'indemnisation des pertes enregistrées par les commerçants suite aux manifestations ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous avez évoqué la réforme des retraites, et vous êtes un acteur majeur de la gestion des régimes publics de retraite, aux côtés du service des retraites de l'État. Comment, techniquement, allez-vous reconstituer les carrières complètes des agents publics ? Actuellement, vous ne disposez que des six derniers mois. Combien de temps cela prendra-t-il ? Que deviendra le régime de cotisation par capitalisation pour les fonctionnaires ?
Mme Sylviane Noël. - En 2018, 68 % de vos prêts ont bénéficié à des communes de moins de 3 000 habitants, pour un montant d'investissement de près de 20 milliards d'euros. Si petites soient-elles, les communes doivent souvent faire face à des investissements très lourds, qu'il s'agisse du financement d'écoles ou de celui des réseaux, dans un contexte budgétaire communal très contraint. Or le caractère élevé d'une annuité peut constituer un frein très important au déblocage de l'investissement pour des communes qui n'ont pas un budget très élevé. J'ai été maire d'une commune de 400 habitants pendant dix ans, et j'ai pu constater à de nombreuses reprises que la CDC ne proposait pas de prêts d'une durée supérieure à celle proposée par les banques commerciales, c'est-à-dire 25 ans. Si l'on peut se réjouir de la mise en place de dispositifs innovants, comme l'Aqua-prêt, qui permettront aux collectivités de gérer au mieux leurs compétences sur l'eau, l'assainissement ou la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, il est regrettable que ce type de financement ne puisse pas être proposé pour d'autres types d'investissements, au moins pour des collectivités qui ont des budgets plus contraints. La banque des territoires offrira-t-elle des modalités de prêt plus flexibles aux petites communes, pour étaler ces investissements considérables sur des durées plus longues ?
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué votre participation au développement de l'économie et des start-up via la BPI, à hauteur de 330 millions d'euros. Comment évaluez-vous l'affectation de ces fonds ? On ne construira pas une économie émergente dans le numérique sans aider à la création et à l'accompagnement de ce qu'on appelle maintenant les licornes, c'est-à-dire des entreprises importantes et viables de l'économie numérique.
Le dispositif « territoire d'industrie » est une énième traduction - positive - du grand plan d'investissement qui remonte déjà à quelques années. Le Gouvernement a choisi de cibler certains territoires, plutôt métropolitains, au détriment de territoires plus ruraux, pourtant tout autant concernés par les filières priorisées. En fait, il y a beaucoup de communication, et les moyens publics ne sont pas forcément au rendez-vous dans les 130 territoires repérés. Vous dites que l'ensemble du territoire national doit être éligible à ce type de soutien. Allez-vous aider autant les entreprises situées dans les territoires d'industrie que celles qui n'y sont pas ?
M. Martial Bourquin. - L'Union européenne a remis en cause SFIL, dont la rentabilité est faible et qui surrémunère de nombreux cadres, sans parler des incertitudes réglementaires et des stratégies de diversification contestées. SFIL restera-t-il l'un des véhicules bancaires du pôle ? La Cour des comptes et l'Europe se sont exprimées sur cette question.
Bien sûr, la banque des territoires va prendre toute sa place dans le soutien à l'industrie. Y aura-t-il aussi des prises de capital dans certaines PME en difficulté ? Je pense en particulier à General Electric. Allons-nous continuer à ne pas investir dans les capitaux privés de ces entreprises ? L'Allemagne le fait, avec ses Länder, et pour nous, cela devient tabou ! Lorsqu'une entreprise est en difficulté, comme nous l'avons fait pour PSA, avec succès, comme M. Obama l'a fait avec General Motors, avec succès, l'État doit investir non seulement dans la machine-outil, mais aussi dans le capital, pour la relancer. La France est en train de prendre du retard dans ce domaine, quand d'autres pays européens font le contraire.
Mme Annie Guillemot. - Pour les logements sociaux, la ressource a été remplacée par des prêts, comme l'a dit M. Dallier. Et la circulaire dont a parlé Mme Lienemann repose le problème du modèle économique du logement social et du rôle central qu'a la CDC. Beaucoup d'élus et de maires s'interrogent sur la durée du prêt, et sur la garantie des villes. Ils sont toujours absents alors qu'ils sont les premiers concernés. Sans leur garantie, il n'y a plus de construction de logement social. Et ils sont très hostiles à la construction de logements sociaux chez eux sans qu'ils puissent donner leur avis. Cela met la CDC en situation difficile dans certains territoires.
M. Daniel Gremillet. - Vous avez évoqué l'exemple du numérique, avec la fibre pour tous sur l'ensemble du territoire pour éviter une certaine fracture numérique. Quand les choses se passent bien, il faut le dire aussi ! Vous avez parlé de l'ambition de réindustrialiser la France. Si le chiffre envisagé est de 100 millions d'euros par an, cette ambition est bien faible ! Même s'il s'agit de prises de participation, et qu'il y a un coefficient multiplicateur, 100 millions d'euros par an, ce n'est rien !
La France a une chance territoriale phénoménale. Sur l'aspect agricole, un programme est prévu ; sur l'aspect forestier, pouvez-vous nous exposer le travail réalisé et les perspectives d'accompagnement des investissements forestiers industriels ? Il faut un grand plan national d'accompagnement pour la reforestation de nos territoires. Ce n'est pas la surface forestière qui diminue, mais le nombre de tiges productives.
M. Éric Lombard. - Monsieur le Président Éblé, vous m'avez demandé quelle était la différence entre un green bond et un sustainable bond. Les deux correspondent à des émissions de dette de la CDC, allouées à des opérations particulières de transition écologique et énergétique. Le sustainable bond a un mandat plus large, qui inclut le logement social et les maisons de retraite, alors que le green bond se restreint à des opérations écologiques. Les 500 millions d'euros levés seront affectés à des opérations à vocation écologique et solidaire. Ils ont été collectés la semaine dernière, pour cinq ans, à un taux négatif de 26 centimes : non seulement les investisseurs nous prêtent de l'argent, mais en plus ils nous payent pour cela ! Ce n'est pas forcément un très bon signal sur l'équilibre macroéconomique général, mais c'est un témoignage de la motivation des investisseurs internationaux, puisque seuls 40 % des fonds proviennent d'investisseurs français.
Les prêts structurés de la SFIL ont été réduits, et s'élèvent désormais à un milliard d'euros. La SFIL est une banque de développement, détenue à 75 % par l'État, 20 % par la CDC et 5 % par la Banque Postale, qui a été constituée pour récupérer un certain nombre d'actifs de Dexia. Ses équipes ont fait un travail remarquable ces dernières années pour réduire le risque qui était porté par l'État du fait de ces actifs. C'est un travail de Pénélope : pour chaque ligne, avec chaque contrepartie, il a fallu négocier pour réduire le risque. L'encours de la SFIL est d'environ 75 milliards d'euros, pour 1,5 milliard d'euros de fonds propres. La rentabilité de la SFIL est modeste, ce qui est assez logique pour une banque de développement. Son mandat est de financer les collectivités, et elle continue à le faire en refinançant l'activité de financement des collectivités locales de la Banque Postale. La diversification, pour elle, sera de financer les grandes opérations d'exportation. C'est une activité qui contribue à l'intérêt général, et les banques sont demandeuses de cette intervention. La grande exportation française est d'ailleurs suivie attentivement et garantie par l'État au travers de la BPI.
La SFIL restera-t-elle un véhicule bancaire de la CDC ? Oui, puisqu'il y a un mandat particulier. Un des projets qui sous-tend le rapprochement avec la Poste est de bien coordonner l'action de quatre établissements de types très divers mais ayant chacun un mandat bien précis : Bpifrance, la Banque des territoires, la SFIL et la Banque postale.
Je ne connais pas la rémunération des collaborateurs de la SFIL. Il y a des activités très techniques de gestion financière mais, comme on est dans le secteur public, ce ne sont pas les rémunérations qui sont servies dans le privé. La situation a été suivie de très près par l'État, et le sera par nous lorsque la SFIL rejoindra le groupe.
Sur Euronext, nous sommes montés au capital en deux temps. Nous avions 3 %, Bpifrance avait 3 % et, en accord avec Nicolas Dufourcq, nous avons rassemblé ces participations dans les mains de la CDC pour avoir une unité de commandement sur ces 6 %. Comme une banque française et une banque néerlandaise étaient vendeuses, nous avons racheté leurs participations. La première raison est qu'Euronext constitue un actif stratégique : Euronext est une grande infrastructure de marché, et l'endroit où s'échangent les titres permettant d'accéder au capital des grandes entreprises européennes. Il était donc dans le mandat de la CDC de peser au capital de cette grande entreprise européenne d'origine française. Sous l'autorité de Stéphane Boujnah, Euronext construit une plateforme européenne. C'est une institution très bien gérée, dont l'équilibre financier, que nous suivons attentivement, ne nous inspire pas d'inquiétude, et qui a les moyens de financer son développement, d'autant qu'elle s'appuie sur des actionnaires solides.
Sur le dépôt de garantie des locataires, nous avons rencontré l'auteur du rapport. Nous avons des réserves sur l'idée de centraliser des ressources financières à un moment où leur rémunération est négative. Ce serait compliqué pour l'établissement qui porterait la ressource... Et les bailleurs sociaux ont de la trésorerie.
Un vrai mouvement d'évolution est engagé dans le logement social, avec un rapprochement des bailleurs pour se consolider. Ils s'appuient sur la mise en place des outils : le rallongement de la dette est en place ; le prêt de haut de bilan tarde à être mis en oeuvre, car il s'agit d'une offre conjointe avec Action logement. La clause de revoyure a permis une meilleure compréhension entre les différentes familles de l'HLM, Action logement, l'État et la CDC, sur les outils à leur disposition. Les rapprochements qui se font sont de vrais rapprochements. CDC Habitat, notre opérateur de logement social, a décidé l'année dernière de fusionner les treize entreprises sociales pour l'habitat de son réseau, ce qui génère de vraies économies - et, avec plus de 750 opérateurs, le logement social a des gains de productivité à faire.
L'offre Tonus que nous mettons en place repose sur nos capitaux propres à hauteur de 700 millions d'euros. Elle est conçue pour être à destination des bailleurs sociaux exclusivement. Je remercie la commission de surveillance de son soutien : la CDC va porter la nue-propriété pendant des durées de quinze à vingt ans, sans aucune rémunération. Le bailleur social, ayant l'usufruit, récupèrera la totalité des revenus, pour un investissement qui représentera sans doute la moitié du montant total.
Il y a aussi des baisses de charges pour le secteur : quand nous allongeons la dette en faisant du prêt de haut de bilan à 0 % pendant vingt ans, nous supprimons des charges financières. Outre l'effort de bonification financière, qui représente 700 millions d'euros par an, l'État a décidé de maintenir un taux de Livret A certes élevé par rapport à l'univers des taux, mais plus bas qu'il n'aurait été avec la formule précédente, et cela représente aussi un effort de soutien au secteur de 700 millions d'euros.
Avec le mouvement du logement social, nous sommes dans une relation d'offre de service. Nous dialoguons avec les fédérations, avec chaque organisme, et chacun décide si nos outils lui conviennent ou non. La Banque des territoires emporte un dynamisme accru, avec un site internet à destination de tous les organismes, présentant des offres très diverses.
L'allongement de la dette, s'il diminue la charge annuelle, ne fait pas baisser le coût global, qui augmente au contraire. Quel est le rôle de la CDC dans la réorganisation ? Les acteurs viennent nous voir et nous finançons le projet qu'ils nous proposent. Notre neutralité entre les mouvements de logement social est totale, et nous offrons les mêmes outils à chacun - je l'ai clairement dit aux fédérations.
Le financement des PME et des TPE n'est pas le rôle de la Banque des territoires. Bpifrance finance les entreprises grandes et moyennes. Le financement des commerces de centre-ville, qui ont souffert, n'est ni dans notre mandat ni dans nos moyens. C'est le rôle des banques commerciales ou mutualistes qui sont sur le terrain. Quant aux indemnisations, elles relèvent des assureurs ou des pouvoirs publics. La CDC ne fonctionne qu'avec les revenus de ses placements et de son travail. S'il lui arrive de financer à fonds perdus de l'ingénierie ou du développement, elle ne peut intervenir sur un fonds d'indemnisation pour ce type d'activités.
Dans le cadre de la mission que vous avez mentionnée, nous avons été interrogés. Il est important d'avoir un modèle partant du Livret A, qui est un produit de placement sûr et très apprécié de nos concitoyens. Ce livret A alimente essentiellement le logement social et les activités d'investisseur de la CDC. Le logement social étant garanti par les élus et les collectivités locales, cela fait du Livret A un placement extrêmement sûr. C'est l'ensemble qui fait système, et il ne faut pas l'affaiblir en le modifiant, car il est puissant et protecteur.
Même dans la configuration actuelle, avec des marchés financiers agités et des taux d'intérêt négatifs, il n'y pas de doute sur la solidité des fonds d'épargne, dont les fonds propres ont été augmentés fortement ces dernières années, dont les résultats sont très largement positifs et dont l'équilibre financier est assuré. Les fonds d'épargne gérés par la CDC représentent 285 milliards d'euros. Au total, il y a environ 290 milliards d'euros de prêt, dont 170 milliards d'euros pour le logement social et les collectivités locales - le reste étant investi sur les marchés financiers. Tout cela est très solide, et se déploie dans le cadre d'un mandat que nous donne le Gouvernement, et sous la surveillance très attentive du ministère des finances. Aucune préoccupation, donc, mais ce système doit continuer à se développer.
Sur certains segments du secteur du logement, on peut être plus dynamique. Je pense notamment au logement intermédiaire, où nous avons nous-mêmes été acteurs de la dynamisation, dans un pays où le manque de logements est un sujet chronique depuis des dizaines d'années.
Pour les maisons « France service », les 30 millions d'euros viendront de la CDC, et le fond de présence territoriale est utilisé chaque année par la Poste pour maintenir une présence territoriale très large - et coûteuse. La transformation numérique comporte deux éléments. L'installation du très haut débit partout est en cours, au rythme de 100 000 prises par trimestre dans les régions d'initiative publique, non couvertes par les opérateurs privés. Pour les personnes âgées ou celles qui ne sont pas adaptées, c'est la présence humaine qui les aidera, dans les maisons « France service », itinérantes ou fixes. Il faut une présence sur les territoires, pour permettre un accompagnement personnel, lorsqu'il est nécessaire.
La transition écologique est une de nos priorités. Les financements existent, et nous avons des enveloppes très abondantes pour la rénovation thermique du logement social. Les règles ont été assouplies, et on espère que cela sera mieux utilisé. Vous avez raison : sur les bâtiments publics mal isolés, il y a des économies importantes à faire pour les collectivités locales. Nous souhaitons qu'elles se saisissent de ces enveloppes pour faire de la rénovation des bâtiments. Nous avons aussi des enveloppes pour les universités, et nous avons rénové l'université de Bordeaux. Nous le faisons savoir aux élus, et la Poste nous aidera à leur porter le message.
Il y a plusieurs types de territoires, dans la République, qui demandent un traitement particulier. Il y a les quartiers, dont on ne parle pas beaucoup, mais auxquels nous sommes très attachés. Il y a les villes moyennes, pour lesquelles l'initiative « Action coeur de ville » est très forte. Nous devons être très actifs dans les bourgs ayant une fonction de centralité. Nous le sommes dans certaines régions, qui ont engagé des initiatives dans ce sens, comme la Bretagne. Nous le sommes quand les élus nous le demandent. Je me suis, par exemple, rendu à Brioude, à la demande du maire, pour monter un projet. Nous réfléchissons, avec le Gouvernement, à des initiatives plus fortes en faveur des bourgs et des zones rurales ayant une fonction de centralité, sur un modèle de coordination entre les différents acteurs : État, CDC et probablement quelques autres.
Pour ce qui concerne le dossier des retraites, la reconstitution de carrière est compliquée. Sans anticiper sur les décisions du Gouvernement, il me semble qu'il y a trois cas de figure. Pour celles et ceux qui prendront leur retraite dans les cinq ans qui viennent, le régime ne change pas. Les personnes qui entrent dans la vie professionnelle intègreront immédiatement le futur système. Entre les deux, pour les personnes qui ont déjà acquis des droits importants dans le système actuel, et qui vont en acquérir dans le futur système, il faudra reconstituer leur carrière, et basculer les intérêts de l'ancien système dans un nouveau système - car il me semble important que les droits acquis soient préservés. Cela nécessitera une longue période de transition, pour que les droits de chacun soient bien reconstitués. Un pays comme la Suède a fait ça avant nous, sur des périodes de transition longues, et sous la surveillance d'organismes publics et des partenaires sociaux. En tous cas, il faudra du temps. Concernant l'avenir de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), et d'autres systèmes, c'est au Gouvernement de faire des propositions. Pendant la très longue période de transition, ce système sera probablement maintenu. Et, même si nous basculons vers un régime universel, il faudra bien diverses institutions pour gérer les différentes catégories d'agents et de salariés.
Les prêts des fonds d'épargne sont autorisés par décision du ministre des finances, avec lequel nous avons des débats francs et directs sur les enveloppes pour les collectivités locales. Depuis la crise de 2008, les banques du secteur concurrentiel sont revenues très activement dans le financement des collectivités locales. Les fonds d'épargne ont vocation à intervenir quand il y a une faille de marché, mais pas en concurrence avec les acteurs privés.
Pour la plupart des collectivités locales, il y a les offres des banques commerciales ; la Banque des territoires peut intervenir en complément, mais avec une offre plus onéreuse. Pour les grandes collectivités, cela ne pose pas de problème : elles arbitrent. Pour les petites, qui n'ont pas forcément accès aux banques commerciales, c'est plus compliqué, mais elles disposent de nos offres. Que je sache, les banques commerciales vont très rarement au-delà de 25 ans pour la durée des prêts - ce qui s'inscrit, par conséquent, dans le mandat de la CDC. La durée du crédit que nous proposons est liée au projet. Pour un projet de très long terme, comme pour des prêts fonciers ou en matière d'infrastructures, nous allons sur des durées plus longues.
Pour l'évaluation de Bpifrance, nous analysons très attentivement l'utilité des fonds engagés. Je suis convaincu que l'énergie exceptionnelle déployée par Nicolas Dufourcq et les équipes de Bpifrance est l'une des causes du retour de l'industrialisation et du développement des sociétés - nous avons désormais une cinquième licorne française, dans le secteur de la photographie. Nous suivons, segment par segment, la croissance et le développement de nos investissements. C'est très encourageant.
Sur les territoires ruraux qui ne sont pas dans les territoires d'industrie, je ferais la même réponse que sur les villes moyennes : nous sommes présents, et nous accompagnons, y compris quand ce n'est pas fléché par un grand programme national.
M. Gremillet dit que 100 millions d'euros par an, ce n'est rien. En effet, mais le mandat de la CDC ne porte pas sur le développement des entreprises elles-mêmes, qui concerne Bpifrance ou les banques commerciales. Il porte sur l'aménagement local qui permet d'accueillir l'industrie. De ce point de vue, la somme paraît bien calibrée. S'il faut plus, nous mettrons les fonds immédiatement à disposition.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd !
M. Éric Lombard. - Pour la CDC, le sujet est plutôt de trouver des projets. Quand le projet est identifié et porté par les acteurs locaux et par les entreprises, nous trouvons les fonds.
Le CDC doit-elle intervenir dans les entreprises en difficulté ? C'est le rôle de Bpifrance, qui peut prendre des risques plus importants que ne le ferait un opérateur privé pour soutenir une entreprise qui présente des risques particuliers ou se trouve dans une phase difficile de sa vie. En cas de retournement ou d'intervention dans une situation très difficile, il me semble que c'est plutôt le rôle de l'État, même s'il peut y avoir débat. Lorsque la souveraineté nationale est concernée, les outils sont plutôt à la main du ministère des finances, avec lequel nous avons un dialogue très fluide.
La garantie des collectivités locales est essentielle. Chacun fait en sorte qu'elle ne soit pas appelée. Lorsqu'un organisme est en difficulté, la CDC intervient, et parfois aussi la Caisse de garantie du logement locatif social.
La CDC ne gère que 300 000 hectares de forêts, dont 150 000 hectares qui lui appartiennent - qui appartiennent donc à tous. Cette gestion est faite de manière responsable, avec une vision longue. Nous replantons chaque année 3 500 hectares. J'ai accompagné le Président de la République lors d'un déplacement dans les Vosges, car l'adaptation et la modernisation de notre secteur industriel forestier sont des enjeux importants.
M. Franck Montaugé. - Comment évaluez-vous l'efficience de votre accompagnement des entreprises du numérique ?
M. Éric Lombard. - Nous le faisons en conseil d'administration de Bpifrance, par segments d'investissement. On observe l'évolution de la valorisation du portefeuille, et en suivant les entrées et sorties de portefeuille. La direction générale de Bpifrance nous présente les nouveaux investissements, et notamment les initiatives récentes dans la Deep Tech. Il y a des succès, et des échecs.
M. Vincent Éblé, président. - Merci.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018 - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur l'exécution des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique »
M. Vincent Éblé, président. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État chargée de la transition écologique et solidaire.
Madame la ministre, vous venez nous présenter les résultats de l'exécution en 2018 des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ». Nous pourrons également aborder le compte d'affectation spéciale « Aide à l'acquisition de véhicules propres », qui retrace les crédits du bonus-malus automobile et de la prime à la conversion, compte qui disparaît en 2019 - vous pourrez d'ailleurs nous rappeler les raisons de sa suppression.
Les dépenses de la mission en 2018 s'élèvent à 13,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 13,5 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui représente des augmentations d'environ 13 % par rapport aux crédits exécutés en 2017. Si on laisse de côté les mesures de périmètre entre 2017 et 2018, il est incontestable que cette hausse témoigne de l'augmentation des moyens alloués aux politiques portées par la mission. L'année 2018 a ainsi emporté la généralisation du chèque énergie ainsi qu'un recalibrage de la prime à la conversion.
Alors que le Premier ministre a annoncé dans sa déclaration de politique générale que les « douze prochains mois seront ceux de l'accélération écologique », peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur les mesures envisagées à ce stade par le Gouvernement, en particulier en matière fiscale ?
Notre collègue Jean-François Husson, rapporteur spécial des crédits de la mission et des comptes d'affectation spéciale, vous interrogera et nous passerons ensuite aux questions de l'ensemble des commissaires.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Le bilan de l'exécution pour l'exercice 2018 du budget du ministère de la transition écologique et solidaire comprend les crédits de la mission, les crédits rattachés de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».
Le montant des autorisations d'engagement (AE) ouvertes en 2018 s'élève à 29,7 milliards d'euros, en augmentation de 2,6 milliards d'euros par rapport à 2017, soit une progression de 9,5 %. Le montant des crédits de paiement (CP) ouverts en 2018 s'élève à 29,2 milliards d'euros, en augmentation de 2 milliards d'euros par rapport 2017, soit une progression de 8,2 %.
Ces augmentations s'expliquent principalement par trois raisons : la budgétisation du financement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à hauteur de 600 millions d'euros, alors qu'elle était auparavant financée par une taxe affectée, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ; la montée en puissance du chèque énergie avec l'augmentation de 500 millions d'euros des crédits du programme 345 pour accompagner la transition énergétique et la hausse du coût des énergies pour les plus modestes ; enfin, l'augmentation des dépenses de transition énergétique pour 200 millions d'euros environ, à la suite des nouvelles estimations de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
En loi de finances rectificative (LFR), assez peu de mouvements ont été opérés, eu égard au montant des crédits de budgétisation initiale.
Ainsi, 278,4 millions d'euros supplémentaires ont été ouverts sur les programmes suivants : 115,5 millions d'euros sur le programme 198 « Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres » ; 85,5 millions d'euros sur le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » ; 77,4 millions d'euros sur le programme 792 « Contribution au financement de l'attribution d'aides au retrait de véhicules polluants ».
Parallèlement, 784 millions d'euros ont été annulés sur les programmes suivants : 594,6 millions d'euros sur le programme 764 « Soutien à la transition énergétique » ; 89,9 millions d'euros sur le programme 203 « Infrastructures et services de transports » ; 50,1 millions d'euros sur le programme 345 « Service public de l'énergie » ; 16,4 millions d'euros sur le programme 181 « Prévention des risques » ; 14,3 millions d'euros sur le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » ; 6,5 millions d'euros sur le programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » ; 5,5 millions d'euros sur le programme 159 « Expertise, information géographique et météorologique » ; 4,4 millions d'euros sur le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » ; 2,3 millions d'euros sur le programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture ». C'est généralement le gel de la réserve de précaution qui mène à une annulation en fin d'année.
Le montant des AE consommées atteint 28,2 milliards d'euros, soit 95,1 % des crédits ouverts, tandis que celui des CP consommés atteint 28,5 milliards d'euros, soit 97,6 % des crédits ouverts. Le taux de consommation des crédits est légèrement supérieur à celui de 2017, qui était de 94,4 % en AE et de 96,7 % en CP.
En CP, le montant des crédits non consommés diminue de 192 millions d'euros entre 2017 et 2018, passant de 903 millions d'euros à 711 millions d'euros. Cette baisse s'explique notamment par un schéma de fin de gestion moins contraignant que l'an dernier : les seules annulations de crédits ayant été opérées sur des crédits initialement mis en réserve, elles n'ont pas perturbé la programmation de la dépense. Par ailleurs, contrairement aux années précédentes, le programme 203 n'a pas été soumis à l'obligation de reporter une partie de ses fonds de concours, permettant d'améliorer la consommation de ce programme.
J'en viens aux faits marquants.
Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » a bénéficié du dégel de sa réserve et de l'ouverture de 85,5 millions d'euros en LFR en remboursement de l'avance qu'il avait dû consentir au CAS « bonus-malus » au titre de la prime à la conversion - 38 millions d'euros - et pour couvrir les besoins de l'enveloppe spéciale de transition énergétique (ESTE), à hauteur de 60 millions d'euros.
Le programme 205 « Affaires maritimes » a bénéficié d'une levée partielle de sa réserve pour régler, en toute fin de gestion, des arriérés de dette sociale.
Le programme 345 « Service public de l'énergie » a bénéficié d'une levée partielle de sa réserve en CP et d'une ouverture importante en AE pour résorber une partie du report des charges déterminées par la CRE pour les différents opérateurs, passant ainsi de 628,9 millions d'euros à 542 millions d'euros.
Les régimes sociaux ont nécessité un dégel intégral de leur mise en réserve et même, pour celui des transports terrestres, de l'ouverture de 115,5 millions d'euros supplémentaires en LFR.
Le taux de consommation des crédits des CAS dédiés aux trains d'équilibre et à la transition énergétique a fortement progressé, mais il conserve un niveau très bas pour le CAS relatif à l'électrification rurale, à 52,7 %.
S'agissant des dépenses de personnel, les crédits ouverts en 2018 s'élèvent à 2,86 milliards d'euros, en diminution de 13 millions d'euros par rapport à 2017, soit 0,4 %.
Le montant des crédits consommés atteint 2,82 milliards d'euros, soit 98,9 % des crédits ouverts. Le taux de consommation des crédits de personnel est donc légèrement supérieur à celui de 2017, qui s'élevait à 98 %.
Le schéma d'emplois assigné au ministère était de 828 équivalents temps plein (ETP) en loi de finances initiale et a été exécuté à hauteur de 801 ETP.
Le plafond d'autorisation d'emplois du ministère s'élevait à 40 328 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et a été réalisé à hauteur de 40 008, dont 9 163 au titre du pôle ministériel de la cohésion des territoires, soit une sous-consommation de 320 ETPT, soit moins de 1 % du plafond d'emplois.
Le schéma d'emplois du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », dit BACEA, assigné en loi de finances initiale était nul, avec un plafond d'autorisation d'emplois fixé à 10 536 ETPT et une exécution du plafond d'emplois à 10 431 ETPT.
Le schéma d'emplois assigné aux opérateurs du ministère était quant à lui de 504 ETP, soit un plafond d'autorisation d'emplois de 25 325 ETPT, pour une exécution établie à 24 937 fin 2018.
Enfin, le CAS « bonus-malus » n'a pas été supprimé, puisque seule la prime à la conversion a été budgétisée sur le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », en 2019. À la suite de cette rebudgétisation, le CAS a été réorganisé avec la création de deux programmes : le programme 797 « Aide à l'acquisition de véhicules propres pour les personnes physiques » et le programme 798 « Aide à l'acquisition de véhicules propres pour les personnes morales ».
M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Pouvez-vous faire le point sur le lancement des contrats de transition écologique (CTE) ? Comment le ministère a-t-il sélectionné les quarante nouveaux CTE lancés en juillet prochain ?
Quel bilan faites-vous de la généralisation du chèque énergie en 2018 ? Comment expliquez-vous que le taux d'usage du chèque énergie par les ménages ne soit que de 70 %, ce qui est inférieur aux prévisions ? Comment imaginez-vous l'extension du chèque énergie à deux millions de ménages supplémentaires cette année ?
La commission des finances du Sénat a plusieurs fois réclamé que le Parlement soit consulté sur le montant des charges de soutien au développement des énergies renouvelables, eu égard aux montants en jeu. Envisagez-vous d'agir en ce sens ?
Comment expliquez-vous la sous-estimation importante du rendement du malus automobile, mais également du nombre de demandes de primes à la conversion en 2018 ?
Enfin, pourquoi le coût total du protocole d'indemnisation d'EDF pour la fermeture anticipée de la centrale nucléaire de Fessenheim n'est-il pas encore connu ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - La démarche qui sous-tend les CTE est simple : il s'agit d'accompagner les territoires souhaitant se doter d'un projet à dominante écologique, laquelle s'ajoute généralement à une composante économique et sociale. Quatre CTE visent des territoires touchés par la fermeture d'une centrale à charbon. Les autres, plus proactifs, portent sur des territoires souhaitant évoluer sur des sujets écologiques. L'initiative lancée par Sébastien Lecornu a abouti à la sélection d'une première cohorte d'une dizaine de CTE, dans une approche dite bottom-up, sans cadre préétabli. Les projets sont donc très variés : une communauté urbaine globale, une réindustrialisation, des mobilités, des liaisons entre énergies renouvelables et agriculture, la biodiversité. J'ajoute qu'il n'existe pas de financement dédié, mais que la contractualisation facilite la mobilisation de financements de droit commun, voire privés, et apporte un appui très apprécié en matière d'ingénierie.
Une dizaine de nouveaux projets devraient être finalisés à l'été et nous souhaitons en sélectionner une cinquantaine d'ici au 9 juillet prochain, sachant que nous avons reçu 127 candidatures. Pour assurer la cohérence de la démarche, nous travaillons à une coordination entre les différents dispositifs portés par l'État, notamment le programme Action coeur de ville, les territoires d'innovation, les appels à projets « French impact », les territoires d'industrie. À moyen terme, un contrat de développement devra forcément réaliser une synergie entre les dimensions écologique et économique. Nous recherchons également une cohérence territoriale avec le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) et le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT). Nous lancerons dès que possible de nouvelles cohortes, jusqu'à banaliser complètement la démarche.
Selon nos données, le taux de recours au chèque énergie est de 80 %, monsieur le rapporteur, situé plutôt dans la fourchette haute pour une prestation sociale. Le chèque énergie est un progrès récent. En 2019, pour sa deuxième année d'application à la France entière, les montants individuels devraient passer à 272 euros et le nombre de foyers éligibles à 5,6 millions.
Cette aide de l'État versée par l'Agence de services et de paiement (ASP) doit être mieux relayée par les services sociaux de proximité. Nous devons améliorer la coordination avec les collectivités territoriales, mairies et départements. C'est une marge de progrès pour l'année prochaine. Nous avons par ailleurs simplifié les modalités de mobilisation, mais nous devons parfaire la communication avec les usagers pour atteindre un taux de recours supérieur à 90 %. Nous prévoyons environ 850 millions d'euros de dépenses sur le chèque énergie en 2019.
Pour le compte d'affectation spéciale « Aide à l'acquisition de véhicules propres », 365 millions d'euros de crédits ont été ouverts. Pour ce qui est du rendement du malus écologique, la prévision en PLF était de 388 millions d'euros, pour une réalisation de 596 millions d'euros résultant d'une hausse de l'achat de véhicules neufs de type Sport Utility Vehicle (SUV).
Le conseil d'administration d'EDF a examiné une première version du protocole d'indemnisation relatif à la fermeture de Fessenheim, mais le décalage de la date de fermeture des réacteurs a conduit à le renégocier. Il est à présent pratiquement finalisé. Il devra, aux termes de la loi pour un État au service d'une société de confiance, passer par un comité interministériel de transaction qui vient d'être créé - le 25 avril dernier - au ministère de la transition écologique. La fermeture du premier réacteur est prévue pour mars 2020, celle du second à la fin de l'été 2020.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci, madame la ministre, pour ces premiers éclairages.
Nous avons bien noté que le rendement du malus automobile avait progressé, mais cela veut dire que l'objectif de conversion du parc n'est pas complètement atteint ; les gens achètent notamment plus de véhicules de type Sport Utility Vehicle (SUV) - nous les voyons circuler à Paris... Est-ce à dire que le barème n'est pas adapté ?
Le coût des dépenses fiscales et autres crédits d'impôt a connu une forte hausse, de plus d'un milliard d'euros, pour atteindre près de 4,7 milliards d'euros. C'est normal, me direz-vous, puisque cela dépend des tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Le commissariat général au développement durable et la Cour des comptes - saisie au titre de l'article 58 alinéa 2 de la LOLF - affirment que certaines exonérations de TICPE sont dommageables à l'environnement. Que répondez-vous ? Où en êtes-vous concernant la suppression du taux réduit sur le gazole non routier (GNR) ? Nous avions considéré l'an dernier qu'il fallait à tout le moins l'étaler dans le temps et épargner au maximum les PME. On est finalement allé au-delà en renonçant à la suppression de ce taux réduit en 2019.
Le coût du crédit d'impôt transition énergétique (CITE), lui aussi, est reparti à la hausse puisqu'il atteint 1,9 milliard d'euros en 2018, contre 1,7 milliards d'euros en 2017. Or, je le rappelle, le CITE devait prendre la forme d'une prime en 2019, avant que le Gouvernement annonce sa transformation en une aide de l'agence nationale de l'habitat (ANAH) pour partie et en crédit d'impôt pour une autre partie à compter de 2020. Qu'est-ce qui justifierait l'une et l'autre de ces hypothèses et où en est-on exactement ?
M. Vincent Éblé, président. - Lors de l'examen du projet de loi relatif à la restauration de Notre-Dame de Paris, nous nous sommes interrogés sur la création d'un éventuel crédit d'impôt pour les personnes modestes non assujetties à l'impôt sur le revenu, qui n'auraient donc pas bénéficié de la réduction fiscale sur les dons versés en vue de la restauration de la cathédrale. Il peut en aller de même en matière de transition énergétique, afin que celle-ci n'aggrave pas les inégalités sociales. Pour que cette transition réussisse, il est essentiel d'aider les ménages modestes à rénover leur logement, à utiliser de nouvelles sources d'énergie, à acheter un véhicule moins polluant. Notre commission a mesuré, grâce à l'appui de la Cour des comptes, les résultats positifs du programme Habiter mieux, qui aide les propriétaires modestes à réduire la consommation énergétique de leur logement. Toutes les dépenses fiscales ayant un objet de transition écologique et énergétique sont-elles à présent sous forme de crédit d'impôt ou de prime ? Certains publics modestes échappent-ils encore à de telles incitations ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Les dépenses du CAS « Aide à l'acquisition de véhicules propres » représentaient 550 millions d'euros en 2018. Ce chiffre dissimule des mouvements contraires. La prime à la conversion, qui accompagne l'achat de tout type de véhicule, augmente fortement puisqu'elle a dépassé la prévision de 76 % et conduit à abonder le CAS de nouveau ; en revanche, les bonus versés sur les achats de véhicules électriques ont été inférieurs de 37 % au montant prévisionnel en raison de ventes plus faibles que prévu - même si 40 000 bonus ont été versés. Le mouvement de transition du parc est en définitive assez fort, mais il doit moins aux achats de véhicules électriques, dont l'offre ne sera massive et donc à plus bas coût que dans les mois à venir, qu'à la prime à la conversion, qui a fini à force d'ajustements par trouver son public. En 2018, 255 000 ménages l'ont réclamée, et nous estimons ce chiffre à 400 000 en 2019. Le Premier ministre a dit dans son discours de politique générale que nous visions désormais le million de primes à la conversion. Bref, le dispositif fonctionne et transforme effectivement le parc automobile, ce qui a un effet sur le climat.
Un mot sur les niches fiscales. Nous suivons les travaux de Bénédicte Peyrol sur le sujet. Une mission a été confiée à l'inspection générale des finances et au conseil général de l'environnement et du développement durable pour évaluer l'impact écologique de la fiscalité. Gérald Darmanin pilote les réflexions sur les niches fiscales. Le Gouvernement envisage de revenir sur celle relative au GNR de manière étalée dans le temps, afin de rendre le dispositif réellement incitatif.
Nous avons pris l'engagement de transformer le CITE en prime, afin d'accélérer le versement des aides. Le fait de devoir avancer de l'argent pendant une période relativement longue ralentit en effet l'engagement des travaux, et le prélèvement à la source n'y a rien changé. L'évolution du dispositif sera engagée à compter de l'exercice 2020. À terme, la prime sera fusionnée avec celles versées par l'Anah aux ménages les plus modestes. L'Anah n'étant toutefois pas capable d'absorber la transformation du dispositif d'un coup, nous procéderons par étapes. À moyen terme, la prime sera modulée selon les revenus du ménage.
La plupart des outils fiscaux sont désormais des aides directes : c'est le cas de la prime à la conversion, du bonus écologique, du chèque énergie - même si ces aides ne sont pas toutes versées selon les mêmes circuits -, du CITE bientôt. Ne retenir que des crédits d'impôt ou des primes est une exigence de justice sociale et permet de toucher tous nos concitoyens, qu'ils soient ou non assujettis à l'impôt sur le revenu.
M. Antoine Lefèvre. - La lutte contre les passoires thermiques est un vrai sujet. Le taux de recours au chèque énergie reste faible, même à 80 %. Quelles sont les pistes de simplification pour rendre le dispositif plus lisible ? La partie rénovation du dispositif « Action coeur de ville » permet d'en faire la promotion. N'oublions pas que ce sont les questions énergétiques qui ont déclenché le mouvement des Gilets jaunes.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Des mesures de simplification ont été prises entre l'avant-dernière campagne et celle de cette année. D'une part, le chèque a été dématérialisé auprès des fournisseurs d'énergie - et une fois utilisé, le fournisseur d'énergie rappelle automatiquement au consommateur qu'il peut être utilisé à la bonne période. D'autre part, les résidents d'Ehpad et d'autres types de résidences collectives peuvent, depuis un décret récent, en bénéficier. Il faut en toute hypothèse un peu de temps pour qu'une prestation soit utilisée. Mais je vous rejoins : 80 % de recours, ce n'est pas entièrement satisfaisant. Nous avons identifié deux leviers pour améliorer cet indicateur : la mobilisation des services des collectivités, tels les CAF, et la promotion du dispositif auprès des Français.
M. Bernard Delcros. - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'exécution des opérations retenues sur les territoires à énergie positive pour la croissance verte ? Les appels à projets avaient conduit à en lancer plusieurs vagues, à l'initiative des territoires, avec des financements spécifiques. Certains projets ont cependant été remis en question. Où en est-on à présent ?
M. Jean-Claude Requier. - Le marché mondial de démantèlement des centrales nucléaires est évalué à 220 milliards d'euros. À lui seul, le marché français représente environ 650 millions d'euros par an et l'on peut anticiper un fort développement dans les dix ans à venir. La France est en pointe dans ce secteur. Quelles sont les perspectives de développement de cette filière prometteuse en termes d'emplois ?
M. Yvon Collin. - Merci, madame la ministre, pour vos informations. Quelles sont les relations qu'entretient votre ministère avec les agences de l'eau, et que pouvez-vous nous dire de la qualité de l'eau ? Dans quelles conditions articulez-vous vos interventions avec celles des agences de l'eau et du ministère de l'agriculture, en particulier en ce qui concerne le développement de l'agriculture biologique et le plan Ambition Bio ? Les agences sont appelées à contribuer de plus en plus largement en la matière, et leur doctrine diffère parfois de celle du ministère de l'agriculture.
M. Philippe Dallier. - Certes, le CITE coûte cher : 1,9 milliard d'euros. Le Premier ministre a aussi critiqué le fait que ses bénéficiaires n'étaient pas forcément les plus modestes. L'Anah, qui a connu des périodes difficiles en matière de financement, s'est vu fixer l'objectif de traiter 75 000 dossiers par an. La Cour des comptes, saisie dans le cadre de l'article 58 paragraphe 2 de la LOLF, a pointé le risque que l'exigence de quantité l'emporte sur celle de qualité des dossiers. Les sommes affectées au CITE seront-elles intégralement transférées sur un autre dispositif - que l'Anah ou un autre acteur pourrait prendre en charge ? Les annonces du Premier ministre sur ce sujet n'ont pas été très claires. S'oriente-t-on vers une autre logique, plus axée sur les résultats ?
M. Thierry Carcenac. - Je reviendrai pour ma part sur le chèque énergie. Je ne retrouve nulle part les 80 % dont vous parlez. La note de la Cour des comptes sur l'analyse de l'exécution budgétaire pour l'année 2018 mentionne, page 55, le chiffre de 70 %, le nombre de chèques distribués et encaissés s'élevant respectivement à 3,6 millions et 2,5 millions. Vos partenaires sont en outre nombreux : vous avez parlé de la CAF, des CCAS, ou des départements via le fonds de solidarité pour le logement. On voit également poindre le revenu universel d'activité, le RSA, la prime d'activité, les APL... Ne peut-on se doter d'une vision globale, en mettant autour de la table tous les partenaires ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Pour mettre en oeuvre les principes inscrits dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte, une enveloppe spéciale transition énergétique a été mise en place. Ce fonds a été confié à la Caisse des dépôts et consignations. À ce jour, 3 000 conventions ont été conclues, pour un total de 626 millions d'euros - 606 millions pour les seuls territoires à énergie positive pour la croissance verte. Nous sommes en train de résorber les difficultés de suivi budgétaire de ces dépenses. Au 30 mai 2019, 300 millions d'euros ont été versés. Pour 2020, nous prévoyons 200 millions d'euros de paiements compte tenu des crédits disponibles à la Caisse des dépôts - sachant que nous avons alimenté ce fonds à hauteur de 535 millions d'euros. Le besoin de crédits de paiement devrait être de 58 millions pour 2020 et probablement de 72 millions d'euros pour 2021. Nous sommes à présent en mesure de suivre les paiements conformément aux conventions signées avec les collectivités concernées.
Je vous rejoins sur le démantèlement des centrales nucléaires, qui peut constituer un domaine d'excellence française. Un comité de filière nucléaire, sous l'égide du ministre de l'économie et des finances et du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, travaille aussi sur la question du démantèlement - posée dans le projet de territoire de Fessenheim. Nous pouvons sans doute développer une filière et des emplois. S'agissant de Fessenheim, la difficulté est de convaincre nos partenaires de l'autre côté du Rhin de la pertinence du technocentre, qui pourrait être un point d'appui pour la filière française du démantèlement et recevoir les déchets en provenance de centrales démantelées en Allemagne.
Les six agences de l'eau, dont le budget global représente 2,1 milliards d'euros, sont des opérateurs très importants du ministère. Elles sont compétentes à la fois pour le petit cycle - qualité de l'eau au sens strict et assainissement - et pour le grand cycle - respect des masses d'eau et équilibre de nos écosystèmes. La fin de de la première phase des assises de l'eau a donné lieu à la mise en place d'une enveloppe de prêt à la Caisse des dépôts et consignations pour financer l'assainissement et le repositionnement de ces agences. Le ministre d'État et moi-même annoncerons les conclusions de la deuxième phase des assises le 1er juillet prochain.
La qualité de l'eau reste très bonne en France puisque plus de 98 % des Français ont accès à une eau de qualité, ce qui est très supérieur aux standards. Toutefois, des tensions saisonnières subsistent. Le comité de suivi de la situation hydrique que j'ai présidé il y a quelques semaines a révélé que ni les nappes ni les cours d'eau n'avaient totalement reconstitué des niveaux satisfaisants. Aussi le ministère de l'agriculture et le mien ont-ils souhaité avancer sur les retenues d'eau pour les agriculteurs, dans des conditions maîtrisées. Une circulaire a été cosignée à cet effet par nos deux ministères en avril dernier.
Les agences de l'eau sont bien sûr des acteurs importants pour l'agriculture, ne serait-ce que parce qu'elles collectent la redevance pour pollution diffuse, affectée à la transition vers l'agriculture biologique. Nous sommes en outre en train de configurer les paiements pour services environnementaux, soit 150 millions d'euros, qui serviront aux agences d'appui pour la transition bio et agroécologique, avec une priorité sur la protection des captages. Je n'ai pas connaissance de doctrines spécifiques, mais il est vrai que les comités de bassin sont présidés par les élus et peuvent se doter d'une doctrine légèrement différente, sous le contrôle toutefois de toutes les parties prenantes - agriculteurs, usagers, etc.
L'enjeu de la rénovation thermique des bâtiments est de trouver le bon équilibre entre quantité et qualité. Le Premier ministre entend s'assurer que les rénovations sont concentrées sur les rénovations les plus efficaces d'une part, les ménages qui en ont le plus besoin d'autre part. La refonte du barème des aides ANAH et du CITE améliorera l'efficacité du dispositif : les aides seront en quelque sorte proportionnelles à la quantité de carbone évitée, suivant les recommandations de France Stratégie et du rapport Quinet, et ainsi plus cohérentes avec les programmes « Habiter mieux agilité » et « Habiter mieux sérénité » de l'ANAH. Les arbitrages relatifs au nombre et aux types de ménages aidés n'ont pas encore été rendus, mais la philosophie reste de concentrer les aides sur ceux qui en ont le plus besoin, afin de rendre les rénovations possibles dans toutes les couches de la population. Nous souhaitons même étendre le bénéfice de ces aides aux propriétaires bailleurs, ce qui est indispensable pour rénover les copropriétés.
Le taux d'usage du chèque énergie que j'ai indiqué est le plus récent fourni par la direction générale de l'énergie et du climat concernant la campagne 2018 : il s'élève à 78 %, soit 424 millions d'euros consommés rapportés à 539 millions d'euros émis. La trajectoire de la campagne 2019 étant un peu meilleure, nous espérons passer la barre des 80 %.
M. Vincent Éblé, président. - Il nous reste à vous remercier.
La réunion est close à 17 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.