Mercredi 11 septembre 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information termine son cycle d'auditions en entendant aujourd'hui Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C'est avec plaisir que nous retrouvons Mme Gourault au Sénat, sur les bancs desquels elle a siégé de nombreuses années et dont elle a présidé les séances.
Nous avons auditionné de nombreux responsables d'administrations et d'associations d'élus impliqués dans l'utilisation des fonds européens, dont le CGET. Au nom de la mission d'information, je souhaite remercier les services du ministère pour la qualité de nos échanges et des informations transmises. Nous avons également effectué plusieurs déplacements, dont un à Bruxelles.
À ce stade, nous avons beaucoup appris et obtenu de nombreuses informations. Nous souhaiterions conclure nos travaux avec une audition plus politique.
Nous avons pu le constater, les fonds européens font l'objet moins d'une « sous-utilisation chronique » que de difficultés d'accès, d'autant que la matière, nous avons eu l'occasion d'en prendre la mesure, est particulièrement technique.
Quel bilan dressez-vous du transfert aux régions de la gestion des fonds européens ? Ne devrait-on pas clarifier les responsabilités respectives de l'État et des régions, au bénéfice des porteurs de projets ? Ne faudrait-il pas s'orienter vers un partenariat approfondi entre l'État et les régions, mais aussi entre celles-ci et les autres collectivités ? Nous avons relevé le souhait du Gouvernement de « renationaliser » la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Qu'en est-il ? Il est également vrai qu'il y a sans doute trop de programmes opérationnels en France et que nous avons la tentation de faire du « sur-mesure ». Cela se traduit par un saupoudrage des crédits. Une mutualisation des ressources est sans doute nécessaire.
Alors que se poursuivent les négociations européennes sur la prochaine programmation, quelles sont les priorités françaises pour la politique de cohésion, et nos chances d'aboutir ? N'est-ce pas l'occasion de promouvoir des mesures visant à simplifier davantage et à alléger les contrôles ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je propose de vous donner la parole, Madame la Ministre, pour un propos liminaire, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Les Fonds européens structurels et d'investissement (FESI) constituent bien évidemment un sujet très important.
Vous connaissez mon engagement européen. Je ne peux que saluer votre initiative sur un enjeu essentiel pour la cohésion de nos territoires, trop peu mis en avant s'agissant de l'aide concrète que l'Europe apporte à nos territoires et à nos concitoyens. Nous souhaitons que les collectivités territoriales fassent la promotion des fonds européens. Je suis accompagnée par deux membres de mon cabinet et deux membres du CGET spécialistes des fonds européens.
Les fonds européens représentent au total plus de 461 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne pour la période 2014-2020. La France s'est vu allouer un montant de 27,8 milliards d'euros pour cette programmation, soit une enveloppe stable par rapport à la période 2007-2013. Les FESI sont répartis dans quatre fonds : le Fonds européen de développement régional (FEDER), qui représente 34 % de l'enveloppe de la France, le Fonds social européen (FSE), qui en représente 23 %, le FEADER, qui en représente 41 % et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui en représente 2 %.
La bonne utilisation de ces fonds pour nos agriculteurs, nos pêcheurs, nos entreprises et nos territoires est bien sûr essentielle. Je le rappelle, l'argent des fonds européens provient des contribuables européens, et donc aussi des contribuables français. De ce point de vue, nous faisons partie des contributeurs nets puisque, lorsque nous participons à hauteur de trois euros au financement du FEDER et du FSE, nous recevons un euro en retour. La situation est très différente selon le fonds considéré. Je pense en particulier à la politique agricole commune (PAC).
D'aucuns s'inquiètent d'un risque de sous-consommation de ces fonds, au risque d'une éventuelle perte de crédits. La Cour des comptes a évoqué ce sujet au printemps dernier dans un rapport. Naturellement, le Gouvernement entend ces inquiétudes, bien qu'il ne partage pas le postulat d'une « sous-utilisation chronique ». En effet, il faut toujours relativiser. Permettez-moi de vous apporter des éléments d'éclairage en la matière.
J'articulerai mon propos autour de trois points. J'évoquerai tout d'abord la situation exacte de la consommation actuelle des fonds européens, ainsi que les raisons ayant conduit aux difficultés observées depuis plusieurs mois - ces dernières se concentrent essentiellement sur le programme LEADER, géré par les élus eux-mêmes - , ensuite, les mesures mises en oeuvre pour corriger la situation et, enfin, les perspectives pour la prochaine programmation.
S'agissant de la situation exacte de la consommation des fonds européens, pour les quatre fonds structurels, le niveau de consommation en France s'inscrit, à ce stade de la période 2014-2020, dans la moyenne de l'Union européenne. En effet, au 31 décembre dernier, le taux moyen de programmation des fonds était de 61 % en France et de 68 % dans l'Union européenne. Par ailleurs, le taux moyen de certification des dépenses s'élève en France à 35 %, soit un niveau supérieur à la moyenne de l'Union européenne, qui est de 28 %. Il n'existe donc pas de « sous-utilisation chronique » de ce point de vue. Mieux, le niveau de certification des dépenses est plus élevé que la moyenne. Ainsi la France n'a-t-elle connu quasiment aucun dégagement d'office, c'est-à-dire aucune invalidation des dépenses engagées.
Autre point très important, ces taux de consommation, qu'il s'agisse de la programmation ou de la certification, sont ceux qui ont été relevés à mi-chemin de la programmation actuelle. En effet, contrairement à ce que laisse craindre l'intitulé de la programmation 2014-2020, cette programmation court en réalité jusqu'en 2023. Nous ne sommes donc pas dans une situation dans laquelle il faudrait, en moins d'une année, programmer 40 % des fonds et en certifier 65 %. Il nous reste cinq ans, soit la moitié de la durée prévue, pour achever la programmation, comme ce fut le cas pour la période précédente, pour laquelle, je le rappelle, le niveau de programmation avait atteint 99 %.
Nous sommes bien conscients de l'effort qui reste à fournir puisque les autorités de gestion devront, d'ici la fin de l'année 2021, programmer des fonds, dans le cadre de projets pluriannuels. Elles devront ensuite certifier et payer les dépenses puis les déclarer à la Commission européenne jusqu'à la fin de l'année 2023. En parallèle, elles animeront la nouvelle programmation qui aura ses propres contraintes.
À l'heure actuelle, tout l'enjeu est donc d'achever la programmation en 2020 et 2021, pour finaliser la certification jusqu'en 2023.
Toutefois, vous le savez, la situation diffère d'un fonds à l'autre. Si le niveau de consommation est normal pour le FEDER et le FSE, les difficultés se concentrent sur l'un des programmes du FEADER, le programme LEADER, pour lequel les régions sont les autorités de gestion, et le ministère de l'agriculture l'autorité de coordination.
Si ces difficultés sont réelles, elles concernent un programme qui s'élève à 700 millions d'euros, soit 5 % du FEADER. N'oublions jamais de relativiser et de replacer cette somme dans le cadre général des 28 milliards d'euros de fonds européens dont dispose la France.
Je le précise, les groupes d'action locale (GAL) peuvent être rattachés à différents types de collectivité : un département, une intercommunalité ou un pôle d'équilibre territorial et rural. Or, certaines régions rattachent les fonds LEADER à un type spécifique de collectivité. Une telle démarche ne correspond ni à une directive européenne ni à une directive nationale.
La difficulté rencontrée par le programme LEADER ne doit pas laisser penser qu'il existe un dysfonctionnement global de la consommation des fonds européens en France. À cet égard, j'ai rencontré Thibaut Guignard, le président de LEADER France.
Vous le savez, la Cour des comptes a pointé dans son rapport des retards dans l'utilisation des fonds en début de programmation, dans un contexte de décentralisation de la gestion de certains fonds aux régions, à savoir l'intégralité du FEDER et du FEADER et 35 % du FSE. Chacun s'interroge aujourd'hui sur la pertinence d'une telle décentralisation.
Il semble facile d'identifier a posteriori un responsable. Mais comment ne pas se rappeler le contexte général de l'époque, marqué par plusieurs facteurs déterminants : une négociation européenne complexe et un niveau d'exigence accru de la part de la Commission, dont nous devons nous réjouir à l'échelle européenne ; deux évolutions institutionnelles au sein des collectivités territoriales, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM ; enfin, la fusion des régions. Les collectivités territoriales se sont donc transformées, aussi bien au niveau institutionnel que dans l'exercice de leurs compétences. Avec le recul et le retour d'expérience, il apparaît que le transfert du FEDER et du FSE s'est globalement bien déroulé et que celui du FEADER a été plus délicat en termes d'anticipation et de préparation. Toutefois, certaines régions avaient mieux anticipé que d'autres, tandis qu'un certain nombre d'entre elles n'ont connu que des évolutions à la marge.
Le Gouvernement s'est pleinement mobilisé pour résoudre ces difficultés bien identifiées sur le FEADER, qui ne concernent donc pas mon ministère. Je tenais à vous faire part des différentes mesures mises en oeuvre depuis plusieurs mois. À chaque fois, des mécanismes de correction ont été mises en place.
Tout d'abord, les difficultés étaient liées aux outils informatiques, les logiciels utilisés fonctionnant conformément à la précédente programmation, sans prendre en compte les changements intervenus avec les évolutions de la gouvernance. L'État a pris la mesure de ces dysfonctionnements et a déployé toutes les mesures nécessaires pour rétablir un fonctionnement correct des outils. Il n'y a plus de retard de paiement pour le FEADER, sauf sur le programme LEADER, au sujet duquel l'État se mobilise fortement depuis le début de l'année 2018, pour appuyer l'action des régions au travers de trois mesures d'accompagnement : la finalisation de la production des outils informatiques, une meilleure coordination grâce à la mise en place d'un groupe technique LEADER réunissant tous les acteurs et, enfin, la formation des instructeurs, ainsi que, dans certaines régions, des recrutements pour résorber les stocks. Les premiers résultats sont tangibles, puisque les engagements au niveau national s'élèvent à 22 % de l'enveloppe LEADER et les paiements à 7 %. Certes, certaines régions sont plus performantes que d'autres.
Ensuite, la méconnaissance des dispositifs européens par les porteurs de projets et leur déficit d'ingénierie pour bénéficier des fonds représentent une deuxième difficulté. Pour ma part, je suis toujours frappée par le fait que ceux qui avaient bénéficié des fonds européens grâce au zonage sont toujours, aujourd'hui, les plus performants pour obtenir des fonds européens... Tout simplement, ils ont l'expérience, leurs personnels ayant déjà monté des dossiers. Cela témoigne des besoins en ingénierie dans le cadre des dossiers européens.
Un partenariat de qualité entre l'État et les régions est indispensable, et c'est ce à quoi je me suis employée lors du comité État-régions qui s'est tenu début juillet dernier. En outre, j'ai demandé à mes services de travailler sur la possibilité d'organiser des formations au niveau national, qui pourraient se tenir de manière déconcentrée dans les territoires, en partenariat avec les régions, pour avancer de manière dépassionnée sur les opportunités, les obligations et les améliorations du processus.
Pour résumer, je dirai que l'amélioration de la gestion des fonds européens est évidemment possible. Elle repose sur des principes de responsabilité, mais aussi de partenariat. Bien que nous vivions dans une République décentralisée, bien que certaines compétences aient été transférées aux collectivités territoriales, j'ai la conviction que l'État et les collectivités ont besoin l'un des autres, dans ce domaine comme dans d'autres, dans l'intérêt global de nos concitoyens.
Dans la mesure où les préfets de département sont les délégués territoriaux de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ils peuvent informer et orienter les porteurs de projets vers les autorités de gestion dont ils relèvent. Même si certains avaient voulu aller plus loin, l'ANCT ne peut pas empiéter sur le rôle des autorités de gestion. En revanche, les préfets peuvent indiquer quelle autorité de gestion correspond au projet porté.
La préparation de la prochaine programmation est essentielle pour que la France dispose de l'enveloppe la plus élevée possible, avec une souplesse de gestion nous permettant d'atteindre nos objectifs en matière de cohésion des territoires, et pour éviter les écueils constatés sur le LEADER.
Au niveau européen, nous plaidons pour pondérer la baisse de l'enveloppe FEADER, qui pourrait passer de 11,5 à 8,5 milliards d'euros puisque le Brexit fait disparaître un contributeur net. Nous souhaitons également la définition d'un objectif territorial pour le FEDER. La Commission offre la possibilité aux autorités de gestion de définir, à hauteur d'un maximum de 15 % de l'enveloppe nationale, un objectif stratégique en faveur des zones urbaines, rurales et côtières, pour traiter des disparités infrarégionales. Cela s'appliquerait aux États membres dont le revenu national brut par habitant est supérieur à la moyenne communautaire. Nous sommes naturellement favorables à cette souplesse, mais nous souhaitons laisser encore davantage de liberté aux régions dans leurs choix thématique et territoriaux : En prenant comme base de référence le PIB par habitant au niveau régional pour encadrer les principes de concentration, celles-ci pourraient si elles le souhaitent porter cette part à 25 % dans les régions françaises dont le PIB se situe en dessous de la moyenne communautaire (soit la très grande majorité). Cette souplesse dans les choix est un souhait des régions auquel je suis bien évidemment favorable. Elles pourraient si elles le souhaitent mieux prendre en compte les disparités infrarégionales qui peuvent être importantes. Le référentiel statistique pour calculer cette concentration thématique est déjà conçu sur une base régionale dans la période actuelle.
Au niveau national, l'orientation prise - dont les présidents de région ont été informés avant l'été - est de privilégier la continuité de gestion pour le FEDER et le FSE, ce qui est gage de simplicité et d'efficacité, et de clarifier la ligne de partage entre l'État et les régions pour le FEADER, sujet très sensible, où s'opposent les positions des régions, du ministère de l'agriculture, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), des agriculteurs hors FNSEA... Le Premier ministre a décidé qu'il y aurait une séparation entre le surfacique et le non-surfacique. Le surfacique, qui représente 70 % à 80 % du FEADER, concerne notamment les mesures agro-environnementales et climatiques ; le non-surfacique comprend notamment les mesures d'investissement dans les exploitations et le développement rural, ce qui inclut LEADER. La proposition de la Commission est de séparer le FEADER des autres fonds structurels et de le réintégrer dans le premier pilier de la PAC. Certes, les régions auraient voulu la totalité. Mais l'État estime qu'il y a aussi des politiques nationales, liées au changement climatique ou à la gestion de l'eau, et qu'une partie des fonds doit donc être gérée au niveau national. Je crois toutefois que le monde agricole est plutôt favorable à la solution proposée par le Gouvernement. Il y voit la garantie d'une politique nationale dans certains domaines.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Nous faisons le constat que la gestion des fonds européens souffre d'une réelle complexité administrative, accentuée par l'accumulation de normes à chaque niveau décisionnel. Le contrôle des fonds devient de plus en plus lourd, à telle enseigne qu'on a pu parler de « sur-contrôle ». Nous observons aussi une vraie inégalité des territoires. Les difficultés paraissent surtout concerner les collectivités territoriales de petite taille, dont les ressources administratives sont limitées. De ces deux constats découle la nécessité de simplifier et d'alléger la charge administrative et de mutualiser les moyens, en privilégiant l'intervention intercommunale, qui semble être le niveau pertinent pour le montage des dossiers, avec une éventuelle assistance technique.
Ce qui a amené mon groupe à proposer cette mission d'information, c'est le ressenti des territoires, qui est trop souvent négatif, comme vous l'avez d'ailleurs confirmé en évoquant certains articles de presse. En allant au fond des choses, nous avons constaté que, s'il n'y avait pas de sous-utilisation chronique, toutes les difficultés que vous avez évoquées sont bien réelles.
La loi portant création de l'ANCT a été adoptée en juillet dernier. Elle sera utile pour l'emploi des FESI, en informant et orientant les porteurs de projets dans leur demande de subvention et en coordonnant l'utilisation de ces fonds. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les moyens mis à disposition de l'ANCT pour que sa mission soit réellement efficace et réponde, dans chaque département, aux demandes des collectivités candidates aux fonds européens ? On attend beaucoup de cette agence...
M. Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales du Commissariat général à l'égalité des territoires. - Nous vous avons présenté l'activité du CGET, qui s'effectue sous l'autorité de la ministre. Le choix fait dans la loi, et qui sera confirmé par le décret d'application, est d'organiser tout simplement le transfert de l'ensemble des effectifs du CGET au sein de l'ANCT. Cela concerne une vingtaine d'agents. Actuellement, le conseil d'administration de l'ANCT fait de la place aux représentants de l'État et des collectivités locales.
M. Pierre Louault. - Mais il est présidé...
Mme Jacqueline Gourault. - Par le représentant des collectivités territoriales ! C'est normal : l'ANCT est une agence d'État. L'État est ravi qu'un élu la préside, mais il semblait justifié que l'État ait la majorité dans l'agence qui est à destination des territoires et qui sera présidée par les territoires. D'ailleurs, les départements ne font pas présider leurs agences par le préfet...
M. Hugo Bevort. - Il fallait trouver un dispositif dans lequel ces effectifs puissent informer, orienter et coordonner l'utilisation des fonds et, en même temps, réaliser ces missions pour le compte de l'État. D'où l'idée de partager le personnel, et de faire en sorte qu'à Bruxelles, la France puisse porter sa position par l'intermédiaire de l'État. Pour la contribution à la définition des positions françaises à Bruxelles et dans le concert européen, le travail se fait sous l'autorité directe de la ministre, dans le cadre d'une structure partagée, avec une courte majorité à l'État et une présidence revenant aux collectivités, mais pour le compte de la ministre.
Nous tirerons en tout cas parti des transformations en cours pour assurer un meilleur pilotage du système d'information. L'État avait pour mission de le développer pour le compte de l'ensemble des autorités de gestion, et il l'a fait avec Synergie, mais sa gouvernance était complexe. Aussi avons-nous choisi de tout remettre ensemble et de développer le système au sein d'une même entité. Quatorze agents supplémentaires sont prévus pour cette tâche. Cela permettra notamment de vous informer en temps réel de l'état des consommations.
M. Pierre Louault. - Traditionnellement, les fonds européens allaient surtout vers des territoires zonés. L'ouverture de ces fonds à l'ensemble des territoires fait que, aujourd'hui, c'est l'inverse, parce que la matière grise est plutôt dans les métropoles, dans les grandes villes. Il y a donc un équilibre à retrouver car les territoires les plus défavorisés bénéficient le moins des fonds européens, et notamment du FEDER, du FSE, et même du FEADER, capté par l'agriculture périurbaine.
Quand un système coûte plus cher en fonctionnement qu'il n'apporte à ceux qui soumettent des dossiers, c'est qu'il y a un problème. L'Europe a compris cette difficulté. Les contrôles et l'exigence sur les dossiers doivent être adaptés au montant apporté ! Quand on apporte 5 000 euros à une association d'une petite collectivité et que le dossier est trop lourd, cela coûte très cher en gestion. Il faut donc impérativement simplifier. On a beaucoup reproché l'empilement des règles pour les fonds européens : l'Europe en fixe un certain nombre, la France les interprète et les régions en ajoutent encore. En Allemagne, il y a une négociation beaucoup plus forte entre l'État et l'Europe, et entre l'État et les régions : en d'autres termes, on sait y adapter les procédures et les fonds aux besoins.
Les aides surfaciques vont revenir à l'État, ce qui inquiète les régions, dont les priorités peuvent différer. J'ai utilisé des fonds européens pendant trente ans : l'État croit toujours avoir raison et emmène souvent vers de grosses erreurs. Un des points faibles actuels est la concertation entre l'État et l'Europe. Il faut la renforcer si l'on ne veut pas que l'Europe devienne impopulaire. Typiquement, LEADER touche tous les Français et est bien ressenti. Mais les projets sont tellement lourds à porter pour des fonds qu'on reçoit trois, quatre ou cinq ans plus tard... Il ne faut pas supprimer LEADER, mais simplifier et discuter.
Mme Jacqueline Gourault. - Pour LEADER, il y a aussi un saupoudrage qui fait que le coût de gestion du dossier peut être supérieur à la subvention donnée. L'enjeu de la simplification est de trouver un meilleur équilibre entre la bonne gestion financière et une mise en oeuvre plus fluide et plus performante.
Dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, la Commission européenne avait adopté une modification réglementaire, dite omnibus, simplifiant la mise en oeuvre. Pour la programmation post-2020, la Commission a présenté plus de 80 mesures de simplification. En France, nous disposons d'un comité État-régions, que j'ai présidé le 2 juillet avec les présidents de région. Nous avons adopté la feuille de route pour l'élaboration des accords de partenariat et des futurs programmes, et retenu des méthodes communes d'optimisation de la gestion sur les programmes. Nous avons parlé aussi des systèmes d'information, des décisions qu'il faut prendre... Bref, les positions que je défends à Bruxelles sont aussi celles des régions. En Allemagne, on est dans un autre système, puisque c'est un État fédéral. Lors de ma première réunion sur les fonds européens, la Commission demandait que tout soit centralisé par État. Nous nous y sommes opposés, tout comme l'Allemagne.
Le mot de recentralisation a été évoqué...
Mme Laurence Harribey, présidente. - Oui, par moi.
Mme Jacqueline Gourault. - En clarifiant les rôles, on réalise aussi une réelle décentralisation car il y a aujourd'hui des agents de l'État qui assurent l'instruction de dossiers pour lesquels les régions vont devenir autorités de gestion et réaliser elles-mêmes l'instruction ! Il n'y a pas de recentralisation du FEADER, au contraire. Il va même y avoir des transferts de personnel, pour quelques centaines agents, de l'État vers les régions. Pour l'instant, nous avions une fausse décentralisation. Nous allons en réaliser une vraie.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Pourriez-vous préciser vos propos sur le surfacique et le non-surfacique ? Si l'État reprend la main sur le surfacique, je ne vois pas en quoi il y a décentralisation...
M. Hugo Bevort. - Sur le non-surfacique, il y avait une décentralisation de façade, la réalité du pouvoir d'instruction restait entre les mains des services de l'État. La discussion consistera à évaluer précisément quels moyens transférer.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Il me semble tout de même que séparer le surfacique du non-surfacique remet en cause la cohérence des politiques agricoles et des politiques de développement durable. Il est vrai qu'il y a un risque de différenciation entre les régions, mais aucune politique n'est parfaite. Pour autant, il est un peu contradictoire de demander aux régions de s'engager dans des politiques de développement rural, dans des politiques environnementales fortes, qui sont lourdes pour elles, tout en leur faisant perdre la main sur un volet fondamental du développement agricole. Il y a un vrai problème d'appropriation des enjeux de mutation agricole et environnementale. Vous plaidez pour la concertation, et c'est la bonne façon de résoudre les problèmes. Plutôt que de séparer le surfacique et le non-surfacique, n'était-il pas plus cohérent, au nom de la cohésion des territoires, d'aller vers un partage de compétences et vers une concertation ? C'est une question d'articulation entre politiques publiques nationales et politiques publiques régionales : il faut faire des régions des partenaires des politiques nationales car la diversification des politiques régionales mettrait en cause la cohésion nationale.
Mme Jacqueline Gourault. - Il n'y a jamais de mur de verre. On travaille ensemble, pour faire de la politique intelligente et contractuelle. L'État doit assumer une politique nationale. Je connais une exploitation vinicole bio qui est à cheval sur deux départements et deux régions ; ce ne sont pas les mêmes règles ! Ce viticulteur, par ailleurs président national des chambres d'agriculture, plaide pour que l'État continue à mener des politiques de soutien partout sur le territoire. Ce n'est pas dirigé contre les régions : on peut tout à fait travailler ensemble, et c'est d'ailleurs le rôle du comité État-régions interfonds.
Mme Laurence Harribey, présidente. - C'est un point de vigilance car chaque solution suscite de nouveaux problèmes...
Faut-il réduire le nombre de programmes opérationnels au nom de la souplesse, de la simplicité et de l'efficacité, au risque d'une globalisation préjudiciable aux spécificités territoriales ? Je pense au programme LEADER qui requiert un travail de dentelle, mais sur le sens duquel on s'interroge parfois.
Mme Jacqueline Gourault. - Le nouvel objectif stratégique européen est de répondre aux disparités territoriales et infrarégionales pour la période 2021-2027, pour une Europe plus proche des citoyens. Cet objectif, souvent qualifié de territorial, peut être l'occasion de traiter des disparités infrarégionales. Il offre l'occasion de massifier et de coordonner l'effort public en direction des territoires les plus fragilisés par la crise, qui continuent de décrocher ou qui se situent dans les périphéries. Des moyens supplémentaires pourraient ainsi servir à remédier aux disparités qu'on rencontre dans les villes et les campagnes. Et cela engendre des choix !
Mme Laurence Harribey, présidente. - Moins de programmes opérationnels et une capacité d'intervention spécifique...
M. Hugo Bevort. - C'est là
la grande nouveauté de la future programmation, et c'est ce que
demandait la France. D'ordinaire, chacun essaie de consommer les crédits
disponibles pour les projets en cours, souvent des projets de grande ampleur
portés par des métropoles - ainsi les crédits
sont-ils consommés en une seule fois. L'idée de l'objectif
territorial est de permettre des choix territoriaux assumés et
évalués pour ceux qui le souhaitent. Le but est de tenir compte
des spécificités territoriales pour assurer le
développement de ces territoires, et non pas, par exemple, de ne
favoriser que des approches thématiques identiques
partout, de manière à éviter de favoriser
les territoires les plus structurés. Cette nouvelle façon de
faire permet de contrebalancer le risque que vous évoquiez tout à
l'heure, sachant qu'il appartient aux régions d'identifier les
territoires à privilégier.
Dans la programmation actuelle, deux objectifs sont territorialisés : les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones transfrontalières - 1,2 milliard d'euros. Là, pour la première fois, on dispose d'un outil de développement des territoires ruraux, qui permet d'éviter cet effet d'éviction des territoires les plus démunis en ingénierie.
Mme Jacqueline Gourault. - La nouvelle génération de contrats de plan État-région (CPER) coïncide avec la nouvelle génération de fonds européens. Autrefois, les CPER avaient essentiellement pour objet le développement des grandes infrastructures sur le territoire français grâce aux fonds de l'État et des régions et sur lesquels se greffaient parfois des fonds européens. C'était une politique nationale. Là, nous voulons partir des besoins des régions, sans dupliquer un modèle unique dans la France entière - je précise que la question des transports est traitée à part. Les politiques négociées avec la région Bretagne seront différentes de celles qui le seront avec la région Hauts-de-France. Cette démarche permettra de répondre à la finalité des fonds européens, à savoir cibler les aides en fonction des problématiques de chaque territoire. Cette idée nouvelle de « différenciation », les régions l'ont acceptée bien volontiers : le but est de leur apporter des réponses utiles, de renforcer cette politique de territorialisation des fonds européens. À un moment, il faut accepter, ce qui n'est pas évident, de consacrer plus d'argent à certains territoires qu'à d'autres, à ceux qui ont le plus besoin d'être aidés. Il ne s'agit pas d'opposer les territoires urbains aux territoires ruraux, les uns comme dans les autres pouvant être confrontés à des difficultés, mais il faut être au plus proche du terrain et territorialiser les aides à l'échelle infrarégionale, d'autant plus que certaines régions sont maintenant très étendues.
L'État pratique de plus en plus une politique de contractualisation avec des territoires en difficulté. Ainsi, un contrat a été conclu avec le département de la Creuse, département en difficulté qui se dépeuple et qui requiert une intervention publique.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Cette contractualisation ne peut-elle pas s'appuyer sur celles qu'ont mise en place les régions ? Vous parlez de cette contractualisation avec le département de la Creuse, mais la région Nouvelle-Aquitaine, d'une superficie équivalente à celle de l'Autriche et dont je suis conseillère régionale, est en train de mettre en place une cinquantaine de contrats territoriaux. Le but est d'éviter de monter des usines à gaz et que chacun monte son projet dans son coin !
Mme Jacqueline Gourault. - La région est partie prenante dans ce contrat passé avec la Creuse. J'ai visité récemment le lycée professionnel des métiers du bâtiment de Felletin - « Quand le bâtiment va, tout va », disait Martin Nadaud, qui fut député de la Creuse -, lycée auquel la région, qui est compétente pour la formation, a accordé une aide très importante dans le cadre de ce contrat.
Dans les Hauts-de-France, un contrat a été signé avec le territoire Sambre-Avesnois-Thiérache, à cheval sur les départements du Nord et de l'Aisne, territoire très pauvre et en grande difficulté. Et chaque collectivité apporte aussi sa contribution.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Pour résumer, la première ligne directrice, c'est celle-ci : pas de remise en cause de la décentralisation, considérant que les difficultés tiennent essentiellement au contexte tel que vous l'avez décrit au début de votre intervention, mais clarification des compétences, en particulier sur les questions agricoles, au nom de la cohésion de certaines politiques nationales qui doivent être déclinées sur le territoire en toute responsabilité.
Deuxième ligne directrice : s'appuyer sur la contractualisation territoriale, la clarification des compétences n'impliquant pas l'érection de frontières ou de « murs de verre » entre les différents niveaux de collectivité.
Troisième ligne de force : intégrer la dimension européenne aux nouvelles méthodes de contractualisation et faire des crédits européens un levier de cette contractualisation.
Mme Jacqueline Gourault. - Oui c'est cela, avec l'objectif de cibler les territoires qui en ont plus besoin.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Des dérives sont possibles, mais aucune politique n'est jamais parfaite. Il faut donc être vigilant.
Mme Jacqueline Gourault. - En effet. Et comme nous le rappelle très souvent le Président de la République, il faut contrôler les résultats de ces politiques pour mesurer leur efficacité, ce qui n'est pas tout à fait une habitude dans la culture française.
M. Pierre Louault. - L'Europe le demande au titre du contrôle de performance.
Pour revenir sur les fonds LEADER, ne pourrait-on pas, contractuellement, laisser aux régions la possibilité de financer certains gros dossiers avec des crédits d'État et des crédits européens, tout en leur permettant de s'engager, avec un taux de subventionnement similaire, en faveur de petits dossiers sans avoir de comptes en rendre à Bruxelles ? Je pense à des festivals de musique comme Jazz in Marciac ou le Printemps de Bourges. Cela permettrait sans doute de gagner en performance et en efficacité, tout en affichant un financement à la fois étatique, régional et européen.
Mme Jacqueline Gourault. - Cette proposition me semble intéressante. Tout à l'heure, il a été dit que l'intercommunalité était souvent considérée comme le bon niveau, mais l'instruction de tout petits dossiers coûte parfois très cher en temps et en argent. Je rappelle que les fonds LEADER sont parfois fongibles dans le FEADER lorsqu'ils ont été fortement priorisés. Il est bon de le rappeler pour éviter leur restitution en cas de non-utilisation.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Il faut aussi souligner la volonté de la Commission européenne d'être plus proche du citoyen. Finalement, la complexité a alimenté l'anti-européisme. Il m'est arrivé de rencontrer des porteurs de projets ayant renoncé à solliciter un financement européen par crainte de cette complexité. Or l'Europe apporte beaucoup aux territoires. Il faut tout faire pour éviter ce genre de réaction.
Mme Jacqueline Gourault. - La formation au montage des dossiers européens est très importante. Ma communauté d'agglomération salariait, en commun avec la chambre d'agriculture, une personne spécialiste des fonds européens, faute de disposer dans notre personnel administratif d'un agent suffisamment au fait de cette ingénierie. Il arrive même parfois que plusieurs intercommunalités embauchent un tel spécialiste. Et cela peut valoir le coup !
Mme Laurence Harribey, présidente. - C'est le modèle que nous avons mis en place en Nouvelle-Aquitaine : les intercommunalités étant d'une taille trop réduite pour conduire seules des projets de développement économique, la région contractualise avec elles leur aspect ingénierie.
Je vous remercie, Madame la Ministre, du temps que vous nous avez consacré et me félicite de la qualité de nos échanges, très libres, qui nous ont permis de bien avancer dans notre réflexion. J'espère que notre rapport sera lu avec attention et suivi d'effets !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 16 h 20.